1Depuis la Conférence de Rio de 1992, des centaines d’initiatives s’apparentant à la Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) ont été lancées de par le monde. A travers succès et échecs, beaucoup a pu être appris sur cette approche pour le développement durable. Aujourd’hui , malgré les différences d’appréciation, tout le monde s’accorde sur son « fort potentiel d’utilisation stratégique » du fait du débat et de la circulation des idées qu’elle génère et de sa capacité à « faire exister le littoral » en tant que système aux yeux de nombreux décideurs (Billé, 2005). En effet, il apparaît que les efforts isolés de gestion ne permettent plus de répondre à la rapidité des changements qui s’opèrent au niveau des bassins versants et des zones côtières. La présentation qui suit tente de faire le point sur les réalisations majeures que l’on peut tirer de l’ensemble des expériences GIZC mais aussi de ses limitations et des leçons qu’il convient d’en tirer pour le futur.
2Face aux défis posés par les changements de tous ordres, les initiatives de gestion des zones côtières ont permis d’apporter un certain nombre de réponses que l’on peut citer comme suit :
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- 1 Elaboration d’un Plan Directeur Zone Côtière de la région Menabe, Madagascar : La région Menabe a (...)
- 2 Etablissement des Comités de Gestion des Ressources Côtières de sous-districts côtiers en Thaïland (...)
Les initiatives GIZC sont à l’origine de quantité de plans, d’arrangements légaux et institutionnels pour améliorer les formes de gestion effective ou intentionnelle (Mermet, 1992) des acteurs économiques et de l’action publique par la promotion systématique de la consultation pour la recherche d’un meilleur consensus. Quelle que soit l’échelle d’intervention, et dans le cadre légal et institutionnel existant, les arrangements institutionnels sont indispensables à la durabilité du processus de participation initié entre les acteurs et décideurs concernés. Un tel arrangement institutionnel peut être pré-existant à une initiative GIZC, comme dans le cas de la région Menabe à Madagascar1, permettant ainsi la mise en oeuvre immédiate d’un processus de planification, ou il peut être à créer comme dans le cas des comités de gestion de sous-district dans le sud de la Thaïlande2.
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- 3 Pratiques de pêche et développement de l’éco-tourisme aux îles Apo, Philippines : Comme dans de no (...)
- 4 Le programme équatorien de gestion des ressources côtières et ses cinq Zones Prioritaires de Gesti (...)
Il y a de nombreux exemples d’usagers qui ont modifié leurs activités pour les rendre plus compatibles avec le maintien de la qualité des milieux et la diminution des effets négatifs sur les autres activités. Dans ce processus, les institutions gouvernementales et la société civile font l’apprentissage du partenariat sous toutes ses formes. Celui-ci peut etre dicté par une intiative communautaire réussie comme dans le cas des îles Apo aux Philippines3, ou résulte d’une volonté politique forte, comme dans le cas des Zones Prioritaires de Gestion en Equateur4.
3La mise en oeuvre des cinq zones proritaires de gestion a été un élément clé de ce programme GIZC de première génération soutenu par USAID et le Centre des Ressources Côtières de l’Université de Rhode Island (1986-1994). Ces cinq zones expérimentales, pourvues d’un arrangement institutionnel approprié, avaient pour but de tester la mise en oeuvre du processus de participation de l’ensemble des acteurs à la prise de décision. Parmi les nombreuses activités entreprises, l’une des plus remarquables concerne l’amélioration des pratiques de gestion entre cultivateurs de crevette et petits pêcheurs des villages avoisinant. Le plan negocié entre acteurs a permis de mettre en oeuvre des replantations de mangrove sur plus de 199 hectares (Robadue, 1995).
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- 5 La Réserve de Biosphère de Mananara-Nord a été créée en juillet 1989. Elle est située au nord de l (...)
Certaines initiatives GIZC, lorsqu’elles ont pu s’appuyer sur un arrangement institutionnel solide et ont donc pu jouer sur la durée, ont permis la restauration des conditions environnementales de milieux particulièrement fragiles ou dégradés tout en rétablissant un meilleur équilibre entre les activités concernees. Ces effets positifs ont pu être observés à diverses échelles, allant du niveau d’un village côtier à des écosystèmes de dimension régionale, plus particulièrement dans le cas des parcs ou réserves nationales comme la Reserve de Biosphere de Mananara-Nord a Madagascar5.
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De nombreux guides de bonne pratique ont été développés, en terme de gestion côtière mais également sur divers sujets sectoriels touchant aussi bien au tourisme, à la pêche, à l’aquaculture ou encore au transport. Les principes et les méthodes qu’ils promulguent sont d’autant plus opérationnels lorsqu’ils sont intégrés dans la législation. Nickerson et Olsen (2003) ont donné des exemples intéressants d’initiatives d’« apprentissage partagé » au travers de réseaux tels que ceux du Partenariat Global pour l’Eau (www.gwpforum.org), de la Gestion Locale des Aires Marines Protégées (www.LMMAnetwork.org) dans le pacifique sud, et du Projet de Durabilité de la Gestion Intégrée Côtière (www2.mozcom.com).
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La gestion intégrée des écosystèmes marins et côtiers a permis de constituer un réseau dense d’infrastructures et de supports de par le monde (revues, conférences, universités et centres de recherche, marchés d’expertise, etc.), favorisant les rencontres entre chercheurs, praticiens et décideurs, et l’émergence d’objectifs communs formalisés dans nombre de conventions internationales dont celui de la Convention sur la Biodiversité et ses douze principes fondamentaux sur l’approche écosystémique (Tableau 1). Selon la remarque faite par Dauvin (2002) à propos d’une enquête d’opinion sur les principaux impacts positifs du projet europeen de gestion integree des zones côtières (EC, 1999), les quatre plus cités concernent l’aide à la décision améliorée, une meilleure compréhension entre partenaires, une meilleure sensibilisaton du public, et plus de consensus sur les priorités.
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De ce fait, nombre d’universités de pays développés ou en voie de développement offrent à présent des cursus de formation court et long terme sur la gestion des zones côtières et des problèmes qui lui sont liés. L’accroissement des capacités des praticiens de la GIZC est effectivement fondamentale pour le succès des projets complexes qu ‘ils ont ou auront à gérer aux niveaux local, national et/ou régional.
Tableau 1. Les 12 principes de la Convention sur la Biodiversité pour la mise en oeuvre de l’approche écosystémique
4Des centaines d’expériences GIZC de par le monde est né tout un ensemble de stratégies dépendantes du système naturel, du contexte national et des principaux bénéficiaires auxquels elles s’adressent ainsi que des problèmes qu’elles tentent de traiter (Olsen, 2003). Malgré leur évolution parallèle, les trajectoires de ces différentes initiatives peuvent être schématiquement ramenées à la recherche de nouvelles formes de gouvernance d’une part, et le développement des capacités à gérer l’information et les données scientifiques. Garcia et al. (2003) fait crédit à ces différentes initiatives d’avoir permis d’attirer l’attention sur un certain nombre d’observations majeures :
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Les solutions à court-terme sont au final plus coûteuses.
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La prudence est de mise (principe de précaution), face à la variabilité naturelle et l’incertitude des processus en jeu.
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Il est nécessaire de passer à des formes de gouvernance plus démocratiques, participatives et transparentes.
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Il est nécessaire de développer la coopération (partenariat), la coordination et l’intégration.
5Ces observations sont devenues constitutives de nombreux accords internationaux et de conventions régionales.
6Le Code de Conduite pour les Pêches Responsables de la FAO introduit les stratégies de réduction des menaces de la sur-exploitation, des activités de pêche destructrices et illégales, pour ne citer que celles-là. En particulier l’Article 10 définit les actions qui doivent permettre d’intégrer les pêches dans la gestion des zones côtières, faisant appel nommément à l’utilisation de formes de gestion intégrée des zones côtières. Aujourd’hui, la communauté scientifique des pêches parle d’ « Approche Ecosystémique pour une gestion intégrée des ressources halieutiques » (Prouzet, 2006).
7La Convention sur la Biodiversité a aussi mis l’approche écosystémique au cœur de son dispositif, en établissant les douze principes de sa mise en application (Tableau 1). Parmi les principaux outils de gestion, figurent les Aires Marines Protégées et leur intégration dans les politiques de gestion intégrée des bassins versants et des zones côtières. Mais certaines organisations vont au-delà, en mettant l’approche écosystémique au cœur de leur stratégie de développement durable (Laffoley et al., 2004).
8Parmi les cas exemplaires, celui qui a poussé l’expérience le plus loin est probablement le Parc Marin de la Grande Barrière de Corail en Australie. Contrairement à beaucoup d’Aires Marines Protégées, qui n’ont qu’une couverture partielle de l’écosystème qu’elles sont censées protéger, le Parc Marin de la Grande Barrière de Corail couvre théoriquement l’ensemble du système barrière, plus les habitats associés qui vont du rivage jusqu’aux eaux océaniques. En 2004, un nouveau plan de zonage étendait l’étendue des aires de protection absolue (no-take area) à 33% du total, tout en s’assurant qu’elles étaient suffisamment représentatives de chacune des 70 bio-régions composantes du Parc. Fin 2004, l’Etat du Queensland suivait le pas, en reprenant à son compte l’ensemble du plan et en le dotant d’un arsenal réglementaire. De manière complémentaire, les autorités du Parc et de l’Etat du Queensland mettaient en œuvre un Plan de Protection de la Qualité des Eaux Coralliennes, définissant un certain nombre d’actions de réduction des flux polluants vers la Grande Barrière de Corail. (MPA News, 2006). Sous-tendue par les principes de l’approche écosystémique, la « dimension écologique se trouve ainsi intégrée au sein de l’aménagement du territoire, de l’économie et de la planification » (Dauvin, 2002).
9« Le rôle de l’eau doit être abordé dans un contexte plus large que le bassin et son hydrologie (hydrologique, écologique, économique, commercial et socio-politique). La planification des ressources en eau inspirée seulement par le cycle hydrologique et la capacité des ingénieurs à le modifier est une inspiration dangereusement étroite et une base très peu sûre pour la planification et une politique sur les ressources en eau » (Allan et al. 1999).
10Sur la base de cette citation, force est de constater qu’en moins de 20 ans, le débat sur l’eau est passé d’un niveau technique, axé d’abord sur l’évaluation des ressources disponibles et la répartition entre les usages dominants, à une approche multi-usages, englobant le cours d’eau et son bassin versant. Très récemment, le Partenariat Mondial pour l’Eau (GWP, 2000) a introduit la notion de Gestion Intégrée des Ressources en Eau ((IWRM, Integrated Water Resources Management) qui, en Europe, s’est formalisée dans la Directive Cadre sur l’Eau (2000). A travers le développement de Plans de Gestion des Bassins Versants, la Directive exige que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de « bon état » environnemental d’ici 2015 (WWF, 2001).
11Un autre exemple hautement illustratif de cette approche est l’initiative « Gestion des grands fleuves », lancée en 1989 par le Canada puis soutenue par les fonds multilatéraux de la Francophonie sous l’égide de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie (Burton, 2001) : le projet a débuté en Afrique de l’Ouest, sur les fleuves Sénégal et Niger (1990), puis s’est étendu à plusieurs grands systèmes d’eau douce dans l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, et en Asie du Sud-Est. Le Réseau francophone de gestionnaires d’écosystèmes fluviaux et lacustres qui s’est ainsi progressivement constitué a permis de capitaliser l’expérience accumulée pour aboutir à un cadre conceptuel de la gestion intégrée par bassin. Les principes et les processus décrits dans le document de Burton (2001) sont très similaires à ceux de la GIZC.
12Depuis son adoption il y a dix ans, le PAG (Programme d’Action Globale pour la Protection de l’Environnement Marin contre les Pollutions d’Origine Tellurique) du PNUE a reconnu l’intérêt de lier un tel programme aux approches de gestion intégrée des zones côtières et des bassins versants, aux côtés des plans d’utilisation des sols. En effet, les nouvelles formes de gouvernance liées à la GIZC sont susceptibles de renforcer les gouvernements locaux ou les collectivités locales dans leur mise en œuvre des plans de lutte contre les impacts des pollutions telluriques.
13L’impact du Tsunami de decembre 2004 dans l’Océan Indien, représente aussi une opportunité de préparation et de mise en œuvre d’une stratégie de réduction des risques contre les catastrophes naturelles, dans le cadre du développement durable de la région et de chacun des pays concernés. La Stratégie et le Plan d’Action de Yokohama (1994), puis le Cadre d’Action de Hyogo (2005-2015) recommandent la mise en œuvre de formes de gestion intégrée dans le cadre de l’ensemble du processus de réhabilitation.
14Les pays signataires de la Convention Cadre sur le Changement Climatique des Nations Unies s’engagent notamment à élaborer des plans d’action pour faire face aux impacts à long terme du changement climatique. Là encore, la gestion intégrée du littoral a été identifiée comme étant le meilleur mécanisme adaptatif possible de réponse aux effets du réchauffement. La mise en œuvre efficace de ces plans d’action dépendra donc largement de leur intégration dans les stratégies regionales et nationales de gestion integree des zones cotieres.
15Parmi ces différentes stratégies, il apparaît qu’aucune ne détient la « vérité » ou est exclusive de l’autre (Chua, 2006). Il n’existe pas de solution unique pour proposer le développement durable du littoral (Dauvin, 2002). En effet, le développement de nouveaux modes de gouvernance des écosystèmes côtiers dont l’homme est partie intégrante, ne peut être l’objet d’une stratégie unique mais passe plutôt par la maîtrise d’un « cocktail » de stratégies liées aux conditions écologiques, sociales, économiques et culturelles sur le territoire ou la mosaïque de territoires objets de la gestion. Or, là est bien la faiblesse des expériences menées à ce jour, à savoir l’absence de communication et d’échanges de savoir entre les différents groupes concernés, chacun développant sa stratégie de manière isolée. La conséquence est, qu’en dépit du nombre impressionnant d’expériences, l’effet cumulé de ces dernières reste limité et n’a jusqu’à présent pas permis de répondre de manière satisfaisante à la dégradation continuelle des écosystèmes côtiers. Il est donc temps d’outrepasser les frontières entre ces différentes approches et de les intégrer au service de la gouvernance des écosystèmes marins et côtiers.
- 6 Un exemple d’approche nationale : l’Afrique du sud : Le Département des Affaires Environnementales (...)
16Si les stratégies diffèrent et ne se sont guère échangées jusqu’à présent, il y a par contre un fort consensus sur la « philosophie » de l’approche. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur le fait que la gestion côtière va bien au-delà de la simple application de solutions techniques en réponse à des problèmes techniques. Il s’agit avant tout d’un processus adaptatif, d’apprentissage, qui doit être en mesure de répondre aux changements permanents des pressions exercées par un système socio-économique sur un territoire donné, et aux réactions complexes qui s’en suivent sur les écosystèmes côtiers (Olsen, 2003). Le développement d’une telle capacité ne peut se faire sans l’existence de mécanismes éprouvés de mise en responsabilité (accountability), où chacun connaît ses droits et ses devoirs dans un contexte de ressources financières et humaines limitées. Il est aussi de plus en plus reconnu que la gestion intégrée des zones côtières doit pouvoir fonctionner comme un système qui se développe simultanément aux diverses échelles de gouvernance (nested governance), du local au global, en passant bien sûr par le national. Aujourd’hui, il existe de nombreux exemples de Stratégie Nationale côtière comme celle de l’Afrique du Sud6 (Encadré 4) ou océanique, comme celle mise en œuvre au Canada depuis 2002 (Pêches et Océans Canada, 2002).
17Parmi d’autres exemples dans le monde, le cas européen est particulièrement instructif dans ce domaine : alors que l’on a une multiplicité d’initiatives se développant depuis parfois fort longtemps au niveau local dans chacun des pays côtiers, l’Union Européenne a emboîté le pas en encourageant ces expériences locales pour aboutir en 2002 à une Recommandation GIZC invitant tous les Etats membres à réaliser une évaluation nationale et à développer leur stratégie et plan d’action nationaux GIZC d’ici 2007.
18Un peu moins de cinq ans après la publication de la Recommandation, un certain nombre d’actions stratégiques ont été proposées suite à un bilan de la situation réalisé fin 2006 (EC, 2006).
19Les recommandations et actions relatives à l’évaluation européenne de la GIZC sont de :
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Renforcer la dimension européenne de la GIZC en s’appuyant sur une approche Mers Régionales.
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Dresser le profil de la GIZC et favoriser son intégration dans les politiques sectorielles.
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Elaborer une approche stratégique de GIZC orientée vers un développement écologique, social, économique et culturel harmonieux.
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Prendre en compte les risques majeurs à long-terme : la vulnérabilité face aux changements climatiques et aux catastrophes naturelles.
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Favoriser la prise de conscience, l’orientation, la formation et l’enseignement.
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Encourager la coordination et la participation des parties prenantes.
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Assurer l’intégration des politiques européennes.
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Assurer la cohérence entre les cadres de contrôle et d’évaluation.
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Améliorer les connaissances élémentaires dans le domaine de la GIZC.
20De ce qui précède, on peut ainsi définir l’objet de la GIZC comme l’invention de nouveaux systèmes de gouvernance permettant de répondre aux changements des écosystèmes côtiers.
21Les deux piliers indissociables qui supportent cette approche sont les processus de gouvernanceet la production des connaissances utiles à la prise de décision. L’origine et l’aspect expérimental de la GIZC en font un sujet international de recherche en soi dont la progression ne peut se faire sans une participation active aux réseaux internationaux.
22Plus particulièrement,
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La GIZC doit renforcer la production des connaissances et les systèmes de gouvernance afin d’être en mesure de répondre aux changements des écosystèmes intervenant à diverses échelles de temps et d’espace.
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Le processus GIZC requiert la pleine participation des scientifiques, des gestionnaires, et des acteurs économiques à toutes les étapes du cycle de gestion afin d’améliorer les connaissances, la communication et la prise de décision.
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Les principes de subsidiarité et de prise de précaution sont également importants pour une évolution effective de la GIZC. Subsidiarité est le principe démocratique qui consiste à dire que les décisions devraient être prises à la base par les acteurs locaux, en accord avec les intérêts de la société civile en général. Le principe de précaution veut que lorsqu’il y a menace de dommages sérieux ou irréversibles, le manque de connaissance ne soit pas utilisé comme une excuse de non intervention. Selon le principe de précaution, les décisions publiques et privées devraient être guidées par (i) des études d’impact approfondies et, (ii) une évaluation des risques rapportée à plusieurs options.
23Ces questions sont reprises d’un débat majeur sur les apports des connaissances à la GIZC (Bodungen et Turner, 2001) qui s’est tenu à Berlin en 1999. Elles restent amplement d’actualité !
24Si on accepte que la GIZC devrait être l’expression d’une gestion adaptative, comment peut-on en faire un outil expérimental d’intégration progressive des connaissances utiles dans les politiques publiques ?
25Si l’on accepte de considérer que la GIZC est un processus d’apprentissage, il est nécessaire de se donner les moyens d’analyser, de critiquer et de disséminer les résultats des initiatives GIZC entreprises de par le monde. Malheureusement, les évaluations restent éminemment individuelles, le plus souvent basées sur le système utilisé par le bailleur de fonds, rendant ainsi les comparaisons quasiment impossibles. Avec la promotion des approches régionales comme celle de l’Europe, les choses commencent cependant à changer, quoique les systèmes d’indicateurs proposés restent encore trop peu opérationnels.
26Il serait particulièrement utile d’examiner plus avant les forces et faiblesses des différentes structures organisationnelles tels que les divers types de comités consultatifs mis en place pour mettre en relation scientifiques, utilisateurs et gestionnaires. Pour participer efficacement à ces structures de concertation, le scientifique lui-même doit s’adapter. L’idéal du scientifique en matière de GIZC consiste probablement à avoir une solide formation et pratique dans une discipline des sciences de la nature ou sociales, tout en ayant une connaissance suffisante des autres disciplines pour s’engager effectivement dans des recherches interdisciplinaires et l’évaluation des options en lien avec la gestion.
27En matière de communication vers les utilisateurs et les décideurs sur les conséquences des changements des écosystèmes côtiers, beaucoup reste à apprendre du côté des techniques du « marketing social» afin de générer les changements de comportement. De nombreuses ONGs internationales l’ont compris depuis longtemps mais il serait temps que les institutions scientifiques sachent également s’en servir pour des causes moins immédiates.
28Comment peut-on définir/prescrire le modèle de gouvernance le plus approprié ?
29De nombreux projets relatifs à la GIZC en sont maintenant à leur deuxième génération (plus de dix ans), et leur expérience accumulée demande à être consolidée pour permettre d’identifier les formes de gouvernance les plus appropriées au contexte local. Une telle analyse nécessite l’intervention des sciences sociales, aussi bien pour l’approche des structures de gouvernance que des dynamiques sociales qu’elles génèrent.
30D’ici les prochains 10 ou 20 ans, que va-t-il advenir des sites ou les projets GIZC en cours seront achevés ? L’inertie des programmes, l’apparition de nouveaux enjeux, et la rareté des ressources posent souvent un défi à la capacité d’adaptation des gestionnaires et des connaissances sur lesquelles ils s’appuient. Pour les sciences, les phases d’évaluation et de ré-orientation représentent à la fois un défi et une chance de prise de recul pour mieux apprécier les progrès réalisés durant le cycle précédent. Pour combattre certaines idées tenaces quant à l’inutilité de plus de recherche, il est essentiel que les scientifiques veillent à ce que le processus de gouvernance soit en mesure d’assimiler les nouvelles connaissances, que ce soit en continu ou à intervalles de temps.
31Comment peut-on s’arranger des nombreuses incertitudes inhérentes aux différentes disciplines, entre disciplines, et à la frontière des sciences et du politique ?
32Il importe de reconnaître les controverses scientifiques lorsqu’elles existent et de faire en sorte de rendre compte des différentes opinions. Le mythe de l’objectivité de la science fait que l’on en attend des informations écrites en « noir ou en blanc », alors qu’elle est souvent dans le « gris » par manque de connaissance. Il importe de développer des approches qui facilitent la confrontation entre antagonistes pour le développement des consensus sur la base des plus récentes connaissances acquises.
33Lorsque la réponse unique n’est pas de mise, des scénarios devraient être développés et pas seulement dans le cas des études d’impact. Les scientifiques doivent prendre l’habitude de manier l’incertitude pour aider les décideurs à considérer différentes situations dans des contextes changeants. Il est ainsi nécessaire de développer des méthodes qui permettent de lier l’observation et la surveillance à la modélisation, comme c’est le cas en météorologie.
34Que devrions-nous savoir sur les comportements humains afin d’adapter au mieux les modes de communication des connaissances ?
35Le bon déroulement de la GIZC est dépendant du degré de confiance établit entre les scientifiques, les usagers et les décideurs. Afin de faciliter les échanges et construire un climat de confiance, les scientifiques doivent être formés aux techniques de communication notamment en ce qui concerne l’utilisation des divers médias. Gestionnaires et scientifiques doivent entretenir des relations plus interactives notamment en s’invitant mutuellement dans leurs réunions professionnelles respectives.
36La question du contexte culturel et des différentes perceptions qui s’en suivent, est souvent mésestimée et conduit à des solutions qui peuvent être tout aussi bien adaptées dans certains cas et échouer misérablement dans d’autres. Communiquer efficacement avec les usagers et les gestionnaires nécessite une bonne connaissance des systèmes de valeur existant là où ces derniers opèrent. Pour être encouragé, il est par ailleurs nécessaire que cet effort d’adaptation de la communication soit reconnu comme faisant partie intégrante de l’activité scientifique.
37Comment la GIZC peut-elle incorporer les différentes échelles de temps et d’espace à chaque étape de son processus de développement ?
38Les indicateurs sont indispensables à toutes les étapes du processus GIZC. Les indicateurs utilisés pour le milieu marin à l’échelle globale sont en général assez simples et plutôt de nature qualitative. Ils sont utilisés principalement pour établir des comparaisons et pour la communication. Cependant, dans d’autres domaines, ils peuvent être quantifiés et servir de mesure régulatrice tels que les standards sur l’eau potable de l’Organisation Mondiale de la Santé ou l’Indice de Développement Humain (IDH) des Nations Unies. A l’échelle régionale, les indicateurs sont généralement définis dans le cadre des conventions internationales pour leur caractère descriptif mais également régulateur. A l’échelle nationale, les tableaux de bord statistiques sont bien développés dans de nombreux domaines mais souvent font défaut dès qu’il s’agit des milieux côtiers et marins. A l’échelle locale, la question du développement des indicateurs ne se pose pas nécessairement en termes scientifiques mais en terme de potentialité à faire passer les messages. Au niveau individuel enfin, des indicateurs tel que l’indice composite d’Empreinte Ecologique (Ecological Footprint) peuvent aider à faire utilement prendre conscience des liens de cause à effet qui existent entre les comportements individuels et leur impact cumulé sur l’environnement global.
39Un seul groupe d’indicateurs ne suffit donc pas à décrire et mesurer l’évolution des problèmes du local vers le global. La question se complique encore d’avantage si on considère les différences de perception des échelles entre sciences sociales et sciences de la nature. Pour ces dernières, la fonctionnalité des échelles est en général limitée par les frontières imposées par la géographie physique. En sciences sociales, les contraintes sont plutôt d’ordre administratif, politique et économique. Ces différences de perception spatiale et leurs conséquences structurelles, constituent un problème majeur de la gestion des zones côtières. Le meilleur moyen pour atténuer ces différences de perception est de se situer dans des espaces définis selon leurs limites naturelles, comme par exemple les bassins versants.
40Comme le déclare Chua (2006) avec ironie mais non sans sens pratique, « l’échec est mère du succès ». Effectivement, après quatre décennies d’efforts en matière de développement de la GIZC, il constate que les difficultés de mise en œuvre et les échecs restent nombreux, particulièrement lorsqu’il s’agit de mettre en évidence les bénéfices socio-économiques et/ou écologiques de ces entreprises. Alors que la GIZC est globalement reconnue et recommandée pour être la meilleure approche de gestion pour tendre vers le développement durable, ses initiatives de par le monde, particulièrement dans les pays en développement, restent largement soutenues par les bailleurs de fond alors que les autorités nationales commencent à s’y atteler. Au prix il est vrai d’un effort de recherche non négligeable, la moisson des leçons tirées de ces expériences est cependant très riche et permet d’esquisser le cadre de mise en relation des dynamiques internes à la gestion intégrée des zones côtières, de la contribution possible des projets/programmes successifs à ces dynamiques, et de la mesure de leur performance (Tableau 2).
41Tableau 2. Cadre des dynamiques GIZC et contribution des projets/programmes
42Comme Olsen (2000) l’a souligné, le facteur limitant la gestion effective des zones côtières n’est pas dû au « manque d’interprétation des connaissances scientifiques existantes », mais plutôt au manque de stratégie pour rendre la gouvernance “inclusive, participative et reflétant les valeurs et préoccupations des acteurs sur leur propre territoire ». Le plus gros défi pour la résolution des problèmes côtiers est donc celui du changement des comportements humains.
43Pour cette raison, la gestion en question consiste à aller au-delà de la prise de conscience des problèmes pour provoquer un début de changement dans les perceptions et les attitudes qui, ultimement, conduiront à une amélioration durable des comportements comme esquissé dans la première partie du Tableau 2 (dynamiques GIZC). Les projets ou programmes sont chargés de mettre en œuvre les processus qui vont permettre à cette dynamique de changement des comportements de s’opérer de manière incrémentale, au travers les divers produits et résultats acquis au cours des générations successives de projets ou programmes GIZC. Mais, comme le dit le sociologue Bernard Kalaora (2007, communication personnelle), « face à une telle opération, il ne suffit pas d’être armé scientifiquement, il faut être aussi porteur d’une éthique de conviction et croire en la capacité individuelle des individus et des institutions à se réformer en vue du bien commun contre les intérêts égoïstes et sectoriels ».
44L’évolution schématique du Tableau 2 paraît être organisée en une séquence linéaire de causalités directes, alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Il n’en reste pas moins qu’il permet de mettre en relation un certain nombre d’éléments dont les initiatives GIZC passées ont parfois permis le développement, mais pas nécessairement de manière liée et cohérente dans le temps et dans l’espace. Les nouvelles pratiques de gouvernance et les capacités d’expertise qui ont pu voir le jour, demandent à être d’avantage développées pour non seulement mettre plus de cohérence entre les diverses politiques rapidement passées en revue dans cet article, mais également pour faciliter la convergence des initiatives locales et globales et ainsi accroître la capacité et la rapidité de réponse aux changements des systèmes côtier et océanique.
45Biographie
46Yves Hénocque a débuté sa carrière il y a environ 30 ans, après avoir passé sa thèse en Ecologie Marine et fait ses premières armes dans le domaine de l’aquaculture et du repeuplement de pêcheries à homard, tout d’abord en France puis plus tard au Japon. Cette première expérience l’a conduit à rentrer aux affaires internationales de l’IFREMER où il s’est occupé plus particulièrement du développement des projets de collaboration avec les pays de l’Asie et du Pacifique Sud.
47Au tout début des années 90, il a pris la responsabilité d’un nouveau laboratoire d’environnement côtier au centre Méditerranéen de l’IFREMER, à Toulon. C’est en 1994, après un séjour de formation aux Etats-Unis, qu’il a commencé à s’impliquer dans divers projets relatifs à la démarche de Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) en France, dans les autres pays de la Méditerranée, dans le sud-ouest de l’océan Indien, et en Asie du sud-est. Depuis 2002 et jusqu’à fin 2007, il travaille dans le sud de la Thaïlande où il co-dirige au sein du département des pêches, un projet soutenu par la Commission Européenne sur la gestion partagée des ressources et des habitats côtiers.