1La découverte par le microbiologiste américain Thomas Brock à la fin des années soixante, de populations microbiennes abondantes proliférant dans les sources chaudes du parc national de Yellowstone aux Etats-Unis, à des températures comprises entre 50°C et 90°C, allait ouvrir la voie à une nouvelle ère passionnante de la microbiologie. Désormais tous les milieux extrêmes de la planète allaient être l’objet de nombreuses investigations destinées tant à répertorier les microorganismes capables d’y proliférer, qu’à repousser les limites de la vie sur Terre, avec pour nouvelle frontière la présence éventuelle de vie microbienne sur d’autres planètes. Au cours de cette aventure étalée sur les trente dernières années et se poursuivant encore aujourd’hui, ces limites ont sans cesse été repoussées et des microorganismes capables de se développer à des pH , à des salinités, à des températures, à des niveaux de radiations extrêmes ont été découverts et caractérisés.
2La découverte des sources hydrothermales profondes est quant à elle, plus récente puisque datant de 1977, quand à bord du sous-marin « Alvin », une équipe de géologues américains découvrait au large de l'Equateur, à près de 2600 m de profondeur, une forte activité volcanique et un fluide surchauffé s‘échappant d'imposantes structures minérales aux allures de cheminées. Des campagnes de plongées ultérieures permettaient la découverte et l’exploration approfondie de nouveaux sites hydrothermaux. (Pacifique oriental, golfe de Californie, dorsale médio-atlantique, mer de Papouasie-Nouvelle-Guinée, bassin arrière arc de la fosse des Mariannes, etc.). Ces sites hydrothermaux sont caractérisés par des conditions de hautes pressions, de forts gradients de température (2°C à 400 °C), de fortes teneurs en éléments toxiques (métaux lourds, méthane, sulfures, etc…), l’absence totale de lumière et de faibles apports nutritionnels essentiellement liés aux apports détritiques des couches superficielle de l’océan.
3Malgré de telles conditions et dans ces espaces que l’on imaginait volontiers désertiques, des écosystèmes se sont mis en place autour de ces cheminées hydrothermales. Les chercheurs ont rapidement émis l'hypothèse que la survie de ces écosystèmes singuliers reposait sur une microfaune bactérienne abondante. Le réseau trophique observé au niveau de ces sites hydrothermaux apparaît fortement dépendant de la production primaire que constituent ces bactéries. Ces bactéries (autotrophes et chimiolitotrophes) sont alors capables d'utiliser les composés minéraux dissous pour fabriquer de la matière organique, peuvent utiliser le CO2 comme source de carbone, l’oxydation des composés organiques et/ou inorganiques comme source d’énergie et des substances inorganiques réduites comme source d’électrons. Ces microorganismes peuvent servir d'aliments aux animaux filtreurs tandis que ceux-ci, à leur tour, vont nourrir les espèces prédatrices (poissons, poulpes, crustacés), apportant la preuve que la vie peut se développer dans l'obscurité des fonds marins.
4Les sources hydrothermales profondes comportent des milieux extrêmement divers. En effet, depuis l’eau de mer environnante et les sédiments superficiels avoisinants 2°C jusqu’aux zones chaudes des fumeurs, il existe des gradients thermiques qui permettent le développement de psychrophiles (organismes inféodés aux milieux froids), de mésophiles et de thermophiles et hyperthermophiles. Mais si le fonctionnement de ces écosystèmes hydrothermaux recèle encore un certain nombre de mystères, il est rapidement apparu qu’un challenge pouvait être mis en place autour de l’exploitation biotechnologique des microorganismes adaptés à ces conditions extrêmes. Ce challenge serait alors basé sur une simple hypothèse simple : à un environnement extrême doit nécessairement correspondre une biodiversité bactérienne adaptée à cet environnement. Et cette biodiversité ne serait elle pas alors source de microorganismes atypiques pouvant synthétiser, en conditions de laboratoire, de nouvelles molécules bioactives, de nouveaux médicaments ?
5La première phase d’une telle approche biotechnologique passe par la constitution d’une collection originale de microorganismes. Cette collection compte à ce jour plus de 1500 isolats dont les ¾ correspondent à des microorganismes mésophiles et le reste à des microorganismes thermophiles et hyperthermophiles avec pour certains d’entre eux des optima de croissance en température supérieurs à 100°C. Les microorganismes identifiés à ce jour appartiennent principalement aux genres Vibrio, Alteromonas et Pseudoaltéromonas (Raguénes et al.,1996 ; 1997a, 1997b, 2003; Cambon et al.,2003) en ce qui concerne les bactéries mésophiles et Pyrococcus, Thermococcus et Desulfurobacterium (Godfroy et al., 1997; Godfroy et al., 1999; Cambon-Bonavita et al., 2003; Alain et al., 2003) en ce qui concerne les microorganismes thermophiles et hyperthermophiles. Mais il est fort à penser que les études engagées sur cette collection aboutiront à la description de nouveaux genres et espèces bactériens.
6Cette collection constitue le point de départ de toutes recherches engagées sur ces microorganismes de l’extrême et sur la synthèse, en conditions de laboratoire, de molécules innovantes. Parmi les axes de recherche privilégiés, les polymères bactériens ont été rapidement identifiés comme d’importance au même titre que les enzymes et plus spécifiquement les enzymes thermostables associées aux bactéries thermophiles et hyperthermophiles. Seuls seront abordés dans ce manuscrit, les polymères bactériens en rappelant cependant que bien d’autres pistes de valorisation existent, s’agissant des métabolites secondaires, de lipides et autres constituants bactériens sans oublier l’usine cellulaire par elle-même.
7Comme polymères bactériens présentant un réel intérêt biotechnologique, il convient de citer en priorité les polysaccharides, en particulier les exopolysaccharides (EPS), biosynthétisés en conditions de laboratoire, par ces microorganismes et les poly-beta hydroxyalcanoates (PHA), plus connus sur le nom de polyesters biodégradables.
8Les polysaccharides peuvent être définis comme des macromolécules formées de l’enchaînement de motifs similaires en l’occurrence de glucides appelés couramment sucres ou oses. Initialement dominé par les gommes d’origine végétale et algale, le marché s’ouvre également aux polysaccharides bactériens. En milieu marin, cette production semble être majoritairement le fait de souches appartenant aux genres Alteromonas, Pseudoalteromonas, Shewanella et Vibrio (Nazarenko et al., 2003).Chez les bactéries, ces polysaccharides sont présents au niveau de la paroi cellulaire, constituant essentiel des lipopolysaccharides (LPS), à l’extérieur de la cellule liée à cette même cellule (polysaccharide capsulaire), soit encore relargué dans le milieu de culture sous forme d’exopolysaccharides (EPS).
9Dans la nature ces exopolysaccharides remplissent plusieurs fonctions, celles d’une barrière physique favorisant la lutte contre la phagocytose ou encore contre la dessication, une réponse à un stress environnemental, ou encore une fonction essentielle dans les processus d’interactions et reconnaissances cellulaires. Mais surtout, et parmi les mieux décrites, il y a celle d’assurer la fixation irréversible des microorganismes sur les surfaces exposées en milieu naturel et favoriser, en concentrant et piégeant la matière organique et les oligo-éléments nécessaires à leur croissance de ces bactéries, la formation d’un voile biologique (biofilm) (Geesey, 1982; Wolfaardt et al., 1999 ; Flemming and Wingender, 2001). Cette biosynthèse d’exopolysaccharides est ainsi, dans la grande majorité des cas , la première étape d’une succession de séquences qui vont conduire en milieu marin à la formation de macrosalissures ou fouling.
10En termes d’exploitation biotechnologique, les exopolysaccharides bactériens présentent quelques atouts comme l’absence de dépendance vis à vis d’aléas climatiques, écologiques et politiques pouvant affecter la qualité, le coût et l’approvisionnement de leurs homologues extraits d’algues ou de plantes. De plus les possibilités d’agir sur les conditions de fermentation (sources de carbone, température, aération, pH, etc...) en vue d’optimiser la production, d’assurer la traçabilité, mais aussi de modifier le polymère produit, jouent en faveur de la fermentation bactérienne. Ces polymères présentent enfin un degré de régularité de structure plus important et peuvent être extraits et purifiés sans l’utilisation de conditions drastiques. Les inconvénients de ces polymères bactériens restent liés aux microorganismes eux-mêmes, à leur manipulation et conservation ainsi qu’à la production de métabolites secondaires associés à la fermentation. Selon les applications visées, la présence de traces d’ADN, d’ARN, de lipopolysaccharides ou autres produits secondaires biosynthétisés de manière concomitance à la production de polysaccharides, peuvent s’avérer rédhibitoire quant au devenir industriel de ces macromolécules.
11Le plus connu des exopolysaccharides bactériens est sans conteste le xanthane, produit depuis de nombreuses années par une bactérie Xanthomonas campestris pv campestris. D’autres polysaccharides connaissent actuellement des développements dans différents secteurs industriels comme le gellane biosynthétisé par Sphingomonas paucimobilis, le dextrane (Leuconostoc mesenteroides), le succinoglycane (Agrobacterium radiobacter), le curdlane (Agrobacterium spp, Rhizobium spp), le wellane, le rhamnane, les alginates (Azetobacter vinelandii, A. chroococcum, Pseudomonas spp) et celluloses bactériennes (Acetobacter spp), les cyclodextrines (Bacillus spp), les pullulanes (Aureobasidium pullulans), l’héparine (Escherichia coli serotype K4 et K5) et l’acide hyaluronique (Sutherland, 1996). Ces deux derniers polysaccharides occupent des positions particulières dans le domaine de la santé, notamment au niveau de l’héparine de bas poids moléculaire comme anticoagulant ou de l’acide hyaluronique comme biomatériau (produits de comblement ou encore favorisant la cicatrisation…) .
12Agir sur les conditions de fermentation ou encore sur le matériel génétique des micro-organismes constituent des axes de recherche auxquels vient naturellement s’ajouter celui de la découverte de nouveaux microorganismes capables de synthétiser ces polysaccharides. La seconde approche apparaît encore incertaine tant la biosynthèse des exopolysaccharides est la résultante d’un processus complexe impliquant un grand nombre d’enzymes parfois très spécifiques à la seule synthèse de ces macromolécules. Dans l’optique de la mise en évidence de nouveaux microorganismes producteurs, les environnements extrêmes et en particulier les conditions atypiques des sources marines hydrothermales profondes les présentent alors comme un champ d’investigation privilégié pour cette recherche de nouvelles espèces et de biomolécules aux propriétés originales.
13L’identification de bactéries productrices d’exopolysaccharides passe par une phase de criblage (Figure 1) suivie d’une mise en culture en milieu liquide en fermenteurs dont les capacités varient entre 1 litre et 20 litres. Les conditions physico-chimique de biosynthèse sont alors celles du laboratoire et le milieu choisi un milieu marin reconstitué enrichi par une source de carbone adaptée. Il faut alors de 48 à 60 heures pour observer un changement notable de ce milieu de culture notamment une forte augmentation de viscosité traduisant l’apparition d’exopolysaccharides. Une centrifugation à haute vitesse (20 000 g) permet d’isoler les cellules bactériennes et des traitements ultérieurs, soit utilisant des alcools froids ou de l’acétone, soit des ultracentrifugations et dialyses successives, permettent d’obtenir, dans le grande majorité des cas un, ou parfois deux, exopolymère à très faible taux de contaminants (Guézennec et al., 1994 ; Vincent et al., 1994 ). La biosynthèse de deux exopolysaccharides n’est pas un phénomène rare au niveau de bactéries marines sans que réellement des explications viennent en apporter la raison. La séparation de ces deux polysaccharides se fait en jouant sur la force ionique des solutions de polymères. Le polysaccharide est préservé de toute hydratation ou autre modification d’ordre chimique ou photochimique avant de subir des analyses pour en déterminer, d’une part la composition en oses et la présence de substituants (acétate, succinate, lactate, hydroxybutyrate…,) dont la nature et la position au niveau des chaînes polysaccharidiques peuvent s’avérer primordiales pour certaines fonctionnalité de ces macromolécules et, d’autre part, la structure de l’unité répétitive de la macromolécule (Talmont et al., 1991). De telles analyses requièrent en ce qui concerne ces macromolécules au demeurant fort complexes, un ensemble de méthodologies de chimie analytique allant de la simple Chromatographie en Phase Gazeuse aux différentes techniques de spectrométrie de masse et de Résonance Magnétique Nucléaire multidimensionnelle, etc… (Rougeaux et al, 1998; Rougeaux et al,1999a;Rougeaux et al., 1999b).
Figure 1. Criblage de bactéries productrices d’exopolysaccharides
14La connaissance de cette unité répétitive (monomère) est d’importance à plusieurs titres. Elle permet de tenter d’établir, sur la base d’expérimentations ou de connaissances antérieures, une relation structure-fonction ou encore de mettre en évidence la fraction active du polysaccharide. De même, elle peut faciliter la mise en place de techniques et méthodologies adaptées permettant des modifications à façon (dépolymérisation, ajout de manière sélective de groupements fonctionnels) des molécules de très haute masse moléculaire. Enfin, cette connaissance peut s’avérer tout simplement nécessaire dans une démarche de mise sur le marché du polysaccharide alors utilisé comme principe actif.
15Des propriétés physico-chimiques, rhéologiques et de leurs activités biologiques dépendent pour partie, les applications de ces exopolysaccharides. Mais il convient de ne pas oublier que le développement de ces nouveaux polysaccharides n’est pas seulement lié à leurs propriétés physico-chimiques et activités biologiques mais également, notamment dans les domaines de grande consommation, à leur coût de production comparativement à leurs homologues d’origine algale, animale ou végétale.
16Les polysaccharides représentent une famille de biopolymères dont la diversité de structures offre un large spectre de propriétés fonctionnelles. Outre l’intérêt connu depuis de nombreuses années de ces biopolymères dans l’exploitation pétrolière, dans l’agro-alimentaire comme agents de texture, dans l’agro-chimie, dans les industries du papier et dans bien d’autres domaines, les scientifiques et les industriels s’intéressent de plus en plus aux activités biologiques de ces molécules et à leurs applications dans le domaine thérapeutique. Sur ce point, la littérature scientifique s’enrichit régulièrement de données relatives aux activités biologiques de ces polysaccharides et leurs applications potentielles dans différents secteurs de la santé (Weiner et al, 1995; Tzianabos, 2000; Colliec et al., 2004).
17A ce jour, sur la base d’un criblage très partiel et orienté de la collection, plus de 30 exopolysaccharides présentant des propriétés intéressantes ont été mis en évidence. Les résultats les plus marquants restent sans nul doute la mise en évidence de structures polysaccharidiques complexes (linéaires et multi-ramifiées) (Figures 2 et 3), la caractérisation de sucres originaux (Dubreucq et al, 1996), la mise sur le marché d’un exopolysaccharide dans le domaine de la cosmétique, la mise en œuvre de nouvelles techniques de modifications de ces polymères et la découverte d’un polysaccharide présentant de fortes similitudes de structure avec l’acide hyaluronique. L’acide hyaluronique est un composant majeur des matrices extracellulaires. Ce polysaccharide de haute masse moléculaire joue un rôle fondamental dans l’homéostasie cutanée , module l’inflammation, protège les cellules de l’action des radicaux libres, peut faciliter la prolifération cellulaire et l’angiogénèse et enfin par un effet barrière, diminue les risques infectieux. Son rôle dans la prévention des cicatrices chéloïdes a également été démontré.
Figure 3. Structure de l’unité répétitive de l’exopolysaccharide sécrété par Alteromonas infernus
Figure 2. Structure de l’unité répétitive de l’exopolysaccharide sécrété par Vibrio diabolicus.
18Ce nouveau polysaccharide linéaire bactérien dont l’unité répétitive est composé de 3 sucres (N acétyl glucosamine, N acétyl galactosamine et acide glucuronique ) dans un rapport molaire 1 /1/2, (Rougeaux et al.,1999a) a démontré des propriétés fort intéressantes en terme de régénérations osseuse et dermique, laissant entrevoir un développement rapide dans le domaine des biomatériaux. Ce polysaccharide de haut poids moléculaire (~ 800 KDa) produit par fermentationde la souched’origine hydrothermale Vibrio diabolicus (Raguénes et al., 1997b)a été évalué comme implant de comblement osseux dans un modèle expérimental. Des lésions osseuses au niveau des deux lobes pariétaux ont été pratiquées dans la calotte crânienne chez le rat. Chez un même animal, le défaut de taille critique réalisé dans le pariétal droit est comblé par de l’EPS sous sa forme native ou du collagène (matériau pris comme référence), tandis que le défaut de taille critique réalisé dans le pariétal gauche est laissé vacant. Après 15 jours d’expérimentation, tous les animaux traités avec ce polymère montrent une cicatrisation complète à 96 % au niveau du défaut comblé et de manière fort intéressante, partielle à 90 % au niveau du défaut laissé vacant. Parallèlement , les animaux traités au collagène montrent une très faible cicatrisation au niveau des deux lésions : 18 % pour la lésion comblée par du collagène et 14 % pour la lésion vacante. Enfin d’un point de vue histologique, aucune réaction inflammatoire est observée et l’os néoformé en 15 jours est parfaitement structuré : les fibres de collagène sont orientées, les ostéoblastes recouvrent les surfaces osseuse et des ostéocytes sont présents. Une néovascularisation intense est également observée et le tissu conjonctif cutané n’a pas proliféré de façon anarchique (Zanchetta and Guezennec, 2001; Zanchetta et al., 2003a; 2003b).
19Les mécanismes d’action de ce polymère, y compris son effet systémique, sont encore mal connus même si le rôle des protéoglycanes et de polysaccharides à contrôler certaines cytokines comme les facteurs de croissance et l’interféron-gamma par crinopexie (potentialisation de l’activité, régulation de la biodisponibilité et de la stabilité) est quant à lui accepté.
20La grande majorité des exopolysaccharides identifiés à ce jour sont complexes et de très haute masse moléculaire (> 106 Da). Ces hautes masses sont certes compatibles avec d’éventuelles applications dans les domaines de l’environnement, de la chimie et pour partie dans la cosmétique et dermocosmétique, mais le sont moins dans le cas d’applications dans un certain nombre de domaines de la santé et d’une utilisation en tant que produit bioactif. Une réduction de ces hautes masses s’impose et le processus de dépolymérisation doit alors être adapté à la nature du polysaccharide considéré : dépolymérisation par hydrolyse chimique, par voie radicalaire, ou encore par des procédés physico-chimiques ou physiques comme l’utilisation d’ultrasons haute et basse fréquence (Guézennec et al.,1998). L’ajout, ou la suppression, de groupements fonctionnels selon les applications recherchées est le fait d’actions chimiques et/ou enzymatiques, cette dernière pouvant présenter l’avantage d’une plus grande spécificité. Il en a été ainsi de quelques EPS natifs de très haute masse pour lesquels une dépolymérisation partielle n’a pas généré l’effet biologique recherché, tandis que la sulfatation permettait d’obtenir des héparinomimétiques ou « heparin-like ». Un dérivé de bas poids moléculaire (24 000 g/mol) et fortement sulfaté (40%) a pu ainsi être obtenu à partir d’un exopolysaccharide secrété en conditions de laboratoire par la bactérie Alteromonas infernus isolée du fluide d’un site hydrothermal du bassin de Guaymas (Basse Californie) (Raguénes et al.,1997b). Lors d’études menées par Fischer et ses collaborateurs ( Matou et al.,2004), ce dérivé s’est avéré 3 à 4 moins actif que l’héparine de bas poids moléculaire et 8 à 10 fois moins actif que l’héparine non fractionnée au niveau de tests de coagulation. L’étude de son mécanisme d’action a montré que, tout comme l’héparine, ce dérivé inhibe la génération de thrombine après activation de la coagulation par la phase contact (voie endogène) et retarde la génération de thrombine déclenchée par activation de la phase contact. Il a pu également être montré que toutes les chaînes polysaccharidiques se lient fortement à l’antithrombine (inhibiteur plasmatique naturel de la thrombine et de certains facteurs de la coagulation), contrairement à l’héparine non fractionnée dont seulement 1/3 des chaînes (contenant le pentasaccharide) sont de haute affinité pour l’antithrombine. L’électrophorèse montre également qu’une faible proportion des chaînes présentent une forte affinité pour le deuxième cofacteur de l’héparine, autre inhibiteur ou serpine inhibant spécifiquement la thrombine (Colliec et al.,2001; Matou et al.,2004).
21Ces résultats confirment le potentiel thérapeutique cardiovasculaire de nouveaux polysaccharides marins d'origine bactérienne (auxquels il convient d’ajouter des polysaccharides extraits d'algues brunes). Si des études complémentaires sont encore nécessaires tant au niveau des techniques d’obtention de ces polysaccharides modifiés, l'enjeu économique est de taille et doit se traduire rapidement par un transfert des molécules et des méthodologies à des partenaires de l'industrie pharmaceutique (Guezennec , 2002).
22A ces exemples du potentiel de ces molécules de l’extrême, il convient d’ajouter les études prometteuses menées en oncologie sur l’apport de ces molécules sur la spécificité et/ou l’efficacité d’anticorps monoclonaux utilisés en immunothérapie. De même, les potentialités liées à la rhéologie de ces polysaccharides (Talmont et al,1991; Bozzi et al., 1996a, 1996b) et/ou à leur pouvoir de rétention (voire de sélectivité) de métaux lourds (Loaec et al.,1997; 1998) font actuellement l’objet de travaux complémentaires. Si les sources hydrothermales et les bactéries associées à ces écosytèmes atypiques apparaissent alors comme des sources de métabolites innovants en particulier en termes d’exopolysaccharides, d’autres milieux à caractère extrême comme celles présentes au niveau du continent antarctique se sont révélées également comme biotechnologiquement fort intéressantes. Les études et recherches menées dans le cadre de collaborations avec l’université de Tasmanie ont ainsi démontré le caractère innovant de polysaccharides produits en conditions de laboratoire par ces microorganismes du « froid » (Manca et al.,1996; Mancuso et al.,2004a, 2004b, 2004c) .
23Mais les exopolysaccharides ne constituent pas les seules voies d’applications de ces macromolécules de l’extrême. D’autres polymères font l’objet d’études et pour certaines d’entre elles prometteuses, comme les poly hydroxyalcanoates ou PHA (polyesters biodégradables) biosynthétisés dans des conditions proches de celles des exopolysaccharides, ou les polyamines dont les applications thérapeutiques notamment sur certains cancers pourraient faire l’objet d’études spécifiques. La part des polymères biodégradables dans le monde en 2000 était de 44 000 tonnes par an, soit 0,12% du marché des matières plastiques. Les prévisions de croissance pour ce type de polymères, incluant non seulement les poly beta hydroxyalcanoates mais aussi les polysaccharides et PLA (polymères d’acide lactique), situent ce marché à plus de 500 000 tonnes en 2005/2006 et 4 millions de tonnes à l’horizon 2020. L’évolution des législations en matière de développement durable, en matière de réduction de l’effet de serre et rejet de CO2, une meilleure gestion des déchets ainsi qu’une volonté d’une réduction de la dépendance vis à vis des matières premières importées, plaident en faveur du développement de ce type de polymères.
24Cette production intracellulaire de polyesters par les bactéries est la résultante de conditions de stress imposées à la bactérie, de manière générale lorsqu’un élément nécessaire à sa croissance devient limitant. L’absence de composés azotés est souvent la cause de cette accumulation de molécules de réserve mais d’autres éléments comme les sulfates, phosphates ou même certaines vitamines ou oligo-éléments peuvent favoriser cette synthèse intracellulaire. La nature chimique des polyesters est directement liée à celle de la source de carbone prédominante. En jouant sur les sources de carbone, il peut alors être possible de favoriser la synthèse de polyesters à courte chaîne (poly beta hydroxybutyrate C4, poly beta hydroxyvalerate C5) ou longue chaîne ( poly beta hydroxydécanoate C10 et +) , saturées, insaturées ou ramifiées et parfois halogénées . De la nature de ces unités répétitives dépendra les propriétés physico-chimiques de ces polyesters biodégradables et par voie de conséquence leurs applications. Les premières études réalisées sur les écosystèmes hydrothermaux ont permis de démontrer la présence in situ de polyhydroxyalcanoates intéressants (Guezennec et al.,..1998). Les études se poursuivent actuellement pour identifier les microorganismes producteurs et en étudier les potentialités en termes d’exploitation biotechnologique.
25D’autres molécules mériteraient également une attention particulière comme les lipides membranaires et plus particulièrement de lipides d ‘archae, ces éthers de glycérol présentant de fortes similitudes de structure avec des molécules à usage anti-cancéreux.
26De nombreuses études s’accordent sur le fait que la contribution des microorganismes marins à la découverte de nouveaux composés notamment bioactifs ira croissante. En ce sens la connaissance des écosytèmes atypiques et des microorganismes associés à de tels environnements est porteuse d’espoirs quant à la découverte de nouvelles molécules. C’est que vient de démontrer près de 15 années d’études sur les environnements hydrothermaux mais qui a vu également confirmation dans l’exploration d’autres milieux extrêmes.
27Jean Guezennec est responsable du Programme de Valorisation des Ressources Biologiques à l’Ifremer, du laboratoire de Biotechnologies et Molécules Marines de l’Ifremer (Brest/Nantes) et il est président du Groupe Français des Glucides. Le Laboratoire de Biotechnologies et Molécules Marines s’est donné comme objectifs la découverte, la caractérisation et la valorisation de molécules innovantes secrétées, dans des conditions de laboratoire, par des microorganismes issus d’écosystèmes atypiques. Ces écosystèmes incluent les sources hydrothermales mais également les écosystèmes de l’Antarctique et d’atolls du Pacifique Sud. Ces études portent à la fois sur les métabolites secondaires et les polymères bactériens incluant notamment les exopolysaccharides et les poly beta hydroxyalcanoates (PHA ou polyesters biodégradables). Les champs d’applications de ces molécules se situent au niveau des domaines de la cosmétologie, de la chimie, de l’environnement mais également et surtout dans les domaines de la santé.