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Dossier: La biodiversité des océans: ses différents visages, sa valeur et sa conservation

Les aires marines protégées à l’épreuve du sous-développement en Afrique de l’Ouest

Bertrand Cazalet

Abstracts

The contribution of the Marine Protected Areas (MPA) is essential to the conservation of the eco-systems and the socio-economic development of the populations of poor countries. The concept of MPA started developing at the beginning of the 1970’s when the international community became aware of the destruction of the environment by human activities, sometimes with irreversible consequences. International law has always constituted the «legal base» of the creation and the evolution of the MPA. In the 1990’s, the notions of sustainability and governance integrated new priorities in the MPA objectives and the conditions for their establishment, particularly by means of participation and decentralization movements. The construction of the MPA as legal and administrative tools follows the direction of public policy. The institutional structure and its standardizing framework are also marked by western models. However, the state specificity of under developed nations reveals the sui generis functioning mechanisms of the MPA. The real legal applicability of these systems is very variable, and shows certain characteristics such as the putting into question of the legitimacy and the efficiency of public action, the difficulties in carrying out political reforms broad enough to improve the management of protected areas, the multiplication of those concerned, the tendency to a «privatizing» of the MPA through exterior interventions which claim a part of responsibility, and finally, the economic and commercial dimension which certainly constitutes the most important threat for the future of the MPA and its indigenous populations.

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Editor's notes

Cette étude à été réalisée dans le cadre du Projet INCO CONSDEV de la Commission Européenne : Cohérence des politiques de conservation et de développement des Aires Protégées Côtières et Marines d’Afrique de l’Ouest. Pour plus de renseignement cf. site officiel du Projet CONSDEV : www.resed.org/consdev.

Full text

Introduction

  • 1  Montréal, octobre 1996.
  • 2  Intertidal désigne la zone côtière entre la basse mer moyenne et la pleine mer moyenne, espace alt (...)

1Les aires marines protégées (AMP) sont des échantillons représentatifs des écosystèmes marins et côtiers. Elles abritent les richesses naturelles mondiales et jouissent, à ce titre, d‘une haute valeur symbolique. Le Congrès mondial de la conservation1 en donne la définition suivante : «Tout espace intertidal2 ou infratidal ainsi que ses eaux sus-jacentes, sa flore, sa faune et ses ressources historiques et culturelles que la loi ou d’autres moyens efficaces ont mis en réserve pour protéger en tout ou en partie le milieu ainsi délimité». La fonction initiale des AMP consistait à protéger et « mettre sous cloche » un site remarquable, unique par sa biodiversité et son esthétique, et dans une moindre mesure, par son patrimoine culturel. Mais cette vocation première, que nous pourrions qualifier de « contemplative », était le fruit d’une représentation scientifique assez fragmentaire de la gestion de la nature, aujourd’hui largement dépassée.

2La principale évolution des AMP depuis les années 1970, est la forte expansion du nombre de territoires classés et leur élargissement inévitable à des espaces occupés et utilisés par l’homme. La prise en compte de la dimension socio-économique des AMP est relativement récente et intervient timidement au début des années 1980 dans le sillage du programme sur l’Homme et la Biosphère de l’UNESCO, instrument novateur sur lequel nous reviendrons. Ce dernier cherche à développer un réseau mondial d’aires protégées, tout en considérant l’Homme comme partie intégrante de son environnement et non plus exclu des schémas classiques de préservation.

  • 3  Plus de 1300 AMP sont recensées à l’heure actuelle à travers le monde et la majorité d‘entre elles (...)

3La réflexion autour de la thématique des aires protégées s’appuie sur les travaux des instances internationales qui tracent les étapes historiques du droit de l’environnement. L’aspect récurrent des grands problèmes environnementaux suppose une action concertée et multilatérale. La coopération internationale est ici fondamentale, surtout dans les rapports nord-sud. La multiplication des aires marines protégées au cours des vingt dernières années3, apparaît comme l’un des fruits de cette « prise de conscience environnementale » amorcée lors de la conférence des Nations Unies de Stockholm, du 16 juin 1972.

  • 4  Principe 4 : « pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit con (...)

4L’inspiration internationale des politiques de conservation est indéniable… mais l’émergence dans les années 1990 du concept de « développement durable » témoigne d’une évolution supplémentaire dans le renouvellement des idées et la transformation permanente des objectifs. Cette expression, consacrée par la Déclaration de Rio de 1992 dans son principe 44, adopte une approche plus systémique des questions environnementales, permettant d’envisager dans la globalité le développement humain et ses effets et l’impérative protection des milieux et des ressources naturelles. Le premier effet visible de ce principe est d’introduire la protection de l’environnement dans l’ensemble des politiques publiques industrielles, urbaines, agricoles, etc. Mais curieusement, la détermination par les Etats de la portée juridique de ce principe va entraîner également une redéfinition des politiques de gestion des AMP, car elle introduit à l’inverse la dimension anthropique dans des espaces d’abord réservés à la conservation.

5Les AMP ne sont plus aujourd’hui un simple enjeu écologique, mais sont considérées comme des sphères territoriales cohérentes susceptibles de participer à des degrés divers au développement des populations vivant à l’intérieur de la zone protégée, à proximité et au-delà. L’amélioration des conditions de vie des résidants et le maintien de leurs activités est indissociable de la garantie de ressources marines et côtières pérennes.

  • 5  « Observée sur la durée des cinq dernières décennies, l’évolution des pêches maritimes mondiales, (...)

6Cette dépendance de nature bilatérale est une illustration des grandes problématiques d’envergure mondiale visant à réformer les politiques des pêches autour des objectifs de durabilité, en quête d’un équilibre entre la conservation des espèces et leur utilisation à long terme. Les richesses halieutiques constituent, pour deux raisons principales, un champ d’investigation prioritaire. Elles sont tout d’abord une source vitale d’apport protéique pour les populations humaines, surtout dans les zones sous-développées. En outre et par voie de conséquence, elles sont la cible d’une surexploitation chronique et victimes d’un épuisement progressif et programmé5. Les causes et les effets de ce phénomène sont de plus en plus « mondialisés », ce qui limite la capacité des Etats à agir seuls dans la mise en place d’outils efficaces de gestion et nécessite une action commune et consensuelle à l‘échelle internationale. Mais, force est de constater que les séquelles de la prédation incontrôlée sont démultipliées dans les pays sous-développés, principaux détenteurs des richesses naturelles en général et des richesses halieutiques en particulier.  

  • 6  dont le passage dans ces zones côtières obéit à une phase de leur cycle biologique (reproduction, (...)

7Face à ces questions très complexes, le rôle concret d’une AMP peut sembler dérisoire. Or, leur fonction contribue activement à la survie de la faune sédentaire et migratrice6 mondiale. Parfois, à l’intérieur d’une même région ou sous-région, des AMP situées sur le parcours d’une ou plusieurs espèces, forment un réseau commun de conservation et définissent une stratégie globale d’aménagement et de gestion de ces ressources. Par leur répartition « géostratégique », la participation des AMP au maintien des écosystèmes et au dynamisme global de la faune naturelle est vitale d’un point de vue scientifique.

8Nous verrons d’abord la contribution du droit international au processus de création et de diffusion des AMP en tant que modèle juridique de conservation et de gestion de la biodiversité, mais également comme outil essentiel au développement socio-économique des populations présentes sur ces espaces. Nous tenterons ensuite d’analyser l’application concrète de ses mesures par les Etats, acteurs principaux et souverains dans la mise en place des AMP. En effet, les récentes recommandations internationales en matière de durabilité et de gouvernance, poussent les Etats sous-développés sur la voie des réformes juridiques et administratives. Mais ces transformations sont entravées par des situations de crise de l’Etat et les difficultés qui en résultent pour les autorités responsables de la gestion quotidienne des AMP.

Le rôle « catalyseur » du droit international dans la mise en place et le développement des AMP

9Les prémices de la protection environnementale sont d’origine occidentale, mais leur généralisation sera le fruit de l’action internationale dans ses relations inter-étatiques. Ainsi, le paradigme de l’AMP comme moyen de conservation, va connaître un essor relativement récent mais très intense. En quelques  décennies, la perception de l’aire protégée et de ses finalités, va passer d’une approche rigide et simpliste de la préservation à une analyse beaucoup plus complète et réfléchie, incluant l’ensemble des acteurs présents sur ces espaces et leurs enjeux particulièrement complexes et souvent contradictoires.   

La genèse conceptuelle du processus de constitution des AMP

L’évolution historique des modes de conservation

  • 7  avec son lot de révélations officielles sur les premiers grands bouleversements écologiques : effe (...)
  • 8  le concept de conservation de la nature apparaît dans les années 1950, sous l’impulsion notable de (...)

10Historiquement, les années 19707 amorcent un réel élan en faveur de la promotion des AMP et de la reconnaissance de leur profonde utilité. Elles naissent progressivement dans le sillage des premiers grands engagements internationaux de protection de l’environnement qui développent une approche conservationniste8 de la gestion de la nature.

  • 9  Les Etats Unis vont lancerce mouvement avec la création du Parc National du Yellowstone en 1872, s (...)

11Dans les périodes antérieures, les engagements en faveur de la protection des milieux naturels procédaient d’initiatives étatiques isolées. Dès la fin du 19ème siècle, certains Etats décidèrent, à travers la création des premiers Parcs Nationaux, d’appliquer une protection intégrale de la faune et de la flore sur des espaces remarquables de leur territoire9.Le modèle dit de « Parc National » sera très largement exporté, y compris dans les pays du sud. Ce phénomène se vérifie, non seulement dès l’époque coloniale (comme par exemple au Sénégal) mais aussi bien plus tard, à la suite des mouvements d’autodétermination.

12Les premières aires protégées étaient caractérisées par une vision statique de sauvegarde de la nature qui consistait à préserver le site de toute occupation ou influence humaine. Cette conception engendra à l’égard des populations considérées comme « mal placées », d’innombrables procédures d’expropriations, de déplacements ou d’expulsions manu militari.

  • 10  Son origine remonte à la première Conférence intergouvernementale sur la conservation et l’utilisa (...)

13Dès 1970, l’intervention du programme sur «l’homme et la biosphère» de l’UNESCO (MAB) intègre la dimension socio-économique en tant qu’élément essentiel des politiques de conservation de la biodiversité. Le programme MAB encourage la création d’un réseau d’aires protégées10 et axe sa réflexion autour de l’idée nouvelle d’utilisation rationnelle des ressources, dans les milieux à forte présence ou activité anthropique. L’utilisation rationnelle se définit comme une utilisation des ressources au bénéfice de l’humanité d’une manière qui soit compatible avec le maintien des propriétés naturelles des écosystèmes. La démarche biosphérique propose donc une analyse en termes de systèmes, beaucoup plus complète. Cette recherche d’harmonie ou au moins d’une meilleure cohérence, annonce déjà l’évolution fondamentale des années 1990 et la consécration par la Conférence de Rio du concept de développement durable.

  • 11   En 1983, le Congrès de Minsk définit en accord avec le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’E (...)

14La grande originalité du Programme MAB est de structurer les territoires selon un zonage préétabli : une ou plusieurs zones centrales, des zones tampon et des zones de transition. Mais, dans les premiers temps, ce sont surtout les sites d’intérêt scientifique qui son retenus, avec une vision privilégiant la conservation et la recherche pure plutôt que les problématiques du développement harmonieux des populations avec leur environnement. Ce n’est qu’au début des années 1980, que l’institution du programme MAB commence réellement à considérer la place de l’Homme dans la biosphère, consciente des nécessités d’ouvrir ses objectifs aux aspects socio-économiques11.

  • 12   Le réseau compte actuellement près de 400 réserves de biosphère à travers le monde.

15Sur le plan juridique et administratif, les réserves de biosphère relèvent de la seule souveraineté des Etats et sont placées sous leur juridiction. Elles ne font pas l’objet d’une convention internationale mais simplement d’un cadre statutaire correspondant à un aménagement particulier de l’espace en fonction d’un zonage en cercles concentriques. Ce dernier prévoit les modalités d’utilisation des différentes zones de la réserve, variant selon des critères de protection décroissant du centre vers la périphérie. Ce cadre, officiellement adopté en 1995 à Séville, doit garantir l’exécution conforme du programme par les Etats et la promotion du Réseau12 en tant qu’outil de conservation de la biodiversité. L’adhésion des Etats est libre et volontaire, rien n’est imposé sauf le respect de critères communs et la participation active de tous les membres. Ce modèle incitatif s’inscrit dans la notion juridique de « soft Law » décrite ci-dessous.

La dualité des sources juridiques internationales

16En droit international, il convient de distinguer deux grands types d’actes juridiques. En premier lieu, nous avons les actes contraignants qui représentent les accords conventionnels (traités, conventions...) portés à la signature des Etats membres et dont l’entrée en vigueur (texte définitif et obligatoire) intervient au terme d’un processus plus ou moins long de ratification. Le droit des Traités est codifié depuis la Convention de Vienne du 23 mai 1969. Elle reconnaît plusieurs principes fondamentaux ayant pour but de régir les rapports inter-étatiques. L’article 34 pose le principe de l’effet relatif des traités. Ces derniers ne créent « ni obligations, ni droits pour un Etat tiers sans son consentement ». En d’autres termes, ils ne sont opposables qu’aux seuls Etats signataires, parties aux traités. De plus, les Etats doivent respecter la règle pacta sunt servanda, qui repose sur la confiance mutuelle entre Etats membres, censée garantir une application objective et de bonne foi des traités.

  • 13   L’article 13 de la Charte des Nations Unies donne mandat à l’Assemblée Générale de « provoquer de (...)

17En second lieu, interviennent les actes non contraignants, on les nomme également « actes concertés non-conventionnels ». Comme leur nom l’indique, ils ne sont pas soumis au droit des traités. Leurs formes sont multiples : les conférences, les déclarations et les recommandations des organisations internationales, les codes de conduite, les conventions incitatives, les protocoles, les plans d’action… Ils sont la composante de ce que la doctrine anglo-saxonne appelle la « softLaw » («droit mou»). En dépit de leur caractère volontaire, ces actes, généralement basés sur des « normes pertinentes » du droit international, sont considérés comme des instruments juridiques à part entière. Outre leur rôle moralisateur, ces textes permettent de préparer le terrain à la conclusion de futurs traités internationaux ou à des travaux de codification13. Ils incitent les Etats à respecter leur contenu mais également à prendre des mesures contraignantes à cet effet, voire même à les transposer dans l’ordre juridique interne. Enfin, ces déclarations contribuent à la création de la coutume internationale lorsqu’elles déterminent de nouveaux principes de portée générale. Malgré leur caractère facultatif, leur portée juridique est évidente.   

  • 14  Pour une présentation plus complète de ces aspects : B. CAZALET, Genèse conceptuelle et analyse de (...)

18La portée générale des outils juridiques analysés ici, déborde du cadre exclusif des AMP. Les thèmes relatifs à la conservation des milieux biologiques et à la protection des ressources naturelles ont fait l’objet de multiples engagements formels à l’échelle mondiale, nous ne retiendrons ici que les principaux14.

Les textes internationaux de référence

L’émergence du droit international de l’environnement : la Conférence de Stockholm du 16 juin 1972

19La Conférence Stockholm symbolise la naissance d’une « conscience environnementale » qui va permettre d’appréhender les problèmes dans leur globalité, avec en parallèle une amélioration des connaissances scientifiques. La protection de l’environnement représente à l’époque un sujet très sensible (dans le sens où il n’était pas prioritaire), sujet dont on ne pouvait poser les bases qu’à travers un texte non obligatoire mais ayant le mérite d’alerter les Etats sur la situation et de les empêcher ainsi de l’ignorer. Ces derniers, très soucieux du respect du principe de souveraineté territoriale et de leur libre-arbitre en matière de gestion des ressources et des milieux naturels, rendaient l’hypothèse d’un traité complètement illusoire.

20La Déclaration va fédérer tout un ensemble de normes et de principes hétérogènes existants pour constituer la « Charte » du droit de l’environnement. Suite à la Conférence, la doctrine va produire une intense littérature « environnementale » et l’insérer au droit international de l’époque. D’un droit enclavé, on passe progressivement à un droit intégré dans l’ordre juridique international.

21La Déclaration présente, à titre introductif, une proclamation en sept points dont le but est d’afficher une « conception commune et des principes communs qui inspireront et guideront les efforts des peuples du monde en vue de préserver et d’améliorer l’environnement ».

22Le texte énumère ensuite vingt-six principes qui énoncent les bases de l’aménagement et de l’utilisation rationnelle des ressources renouvelables et non renouvelables et par voie de conséquence de la gestion des aires protégées. Le principe 2 rappelle les impératifs de protection « dans l’intérêt des générations présentes et à venir » des ressources naturelles. Ce même principe englobe sous ce terme : l’air, l’eau, la terre, la flore et la faune et les échantillons représentatifs des écosystèmes naturels. La dégradation générale de l’environnement renforce sa valeur et induit un véritable engagement pour sa conservation. Une telle démarche est un encouragement aux efforts de gestion des aires protégées, de leur faune et de leur flore et offre des perspectives de soutien dans la création de nouvelles zones de préservation.

23Le principe 4 affirme la « responsabilité particulière » de l’homme face à la raréfaction des richesses naturelles et préconise à cet égard une « sage gestion ». Cette formule peut s’interpréter sur un plan juridique par une gestion en « bon père de famille » qui traduit une gestion avisée, prudente et normale appliquée au patrimoine naturel et à ses composantes.   

24Dans le contexte politique de l’époque, l’émancipation des Etats du Tiers monde conjuguée à l’importance majeure du principe de souveraineté, confère au droit du développement une place essentielle. La primauté accordée au développement va sensiblement limiter la portée et l’efficacité de la Conférence car les Etats dans leur ensemble vont continuer a donner la priorité aux progrès économiques et sociaux au détriment de l’environnement.

25D’autres textes incitatifs viendront relayer cette initiative liminaire. Nous pouvons citer la Stratégie Mondiale pour la Conservation de 1980 lancée par l’UICN, le WWF et le PNUE. Elle annonce déjà formellement les contours du développement durable : elle parle « d’un type de développement qui prévoit des améliorations réelles de la qualité de vie des hommes et en même temps conserve la vitalité et la diversité de la terre. Le but est un développement qui soit durable. A ce jour, cette notion paraît utopique, et pourtant elle est réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que c’est notre seule option rationnelle ».

26Conjointement à cette action de portée générale, une approche plus sectorielle élabore les premiers accords à objet particulier de conservation. De nombreuses conventions viendront concrétiser les efforts de la communauté internationale en faveur d’une utilisation rationnelle des espaces-ressources. Ces textes constituent des « leviers » à la création de nouvelles AMP, nous pouvons citer parmi les plus connus d’entre eux : La Convention de Ramsar relative aux zones humides d’importance internationale du 2 février 1971 (Iran), la Convention de Paris pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, du 16 novembre 1972,la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), du 3 mars 1973, la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices (CMS) appartenant à la faune sauvage, du 25 juin 1979...

27Le droit de l’environnement, longtemps marginal et enclavé, s’intègre progressivement dans l’ordre juridique international. Cette évolution est marquée par la mise en commun des objectifs de développement économique et social avec les nécessités de préserver les ressources et les sites. A l’inverse, ce raisonnement s’applique d’autant plus aux AMP, considérées le plus souvent comme des espaces purement naturels, dont la dimension humaine était totalement minimisée.  

Le développement comme nouveau paradigme des AMP 

28Parmi les nombreux textes relatifs au développement durable, nous nous limiterons aux plus explicites, susceptibles d’éclairer nos problématiques sur les AMP.

L’héritage de Stockholm : la Déclaration de Rio ou la Déclaration d’un nouvel objectif de durabilité (13 juin 1992)

29Au plan structurel, la Déclaration de Rio englobe plusieurs types de textes d’une portée juridique variable. Tout d’abord, elle comprend deux traités dont la Convention sur la diversité biologique. Ensuite, sont élaborés trois instruments facultatifs, dépourvus de toute force contraignante, nous retiendrons la Déclaration sur l’environnement et le développement et l’Agenda 21.

La Déclaration sur l’environnement et le développement

30La Déclaration sur l’environnement et le développement réactualise Stockholm et réaffirme l’importance du rapport environnement -développement en consacrant le concept de « développement durable » dans son principe 4 (rappelé en introduction). L’auteur, A. Kiss, considère que « cette forme de développement ne compromet pas les possibilités de l’avenir tout en cherchant à satisfaire les besoins du présent, autrement dit, elle est respectueuse des ressources naturelles ».

31Il s’agit d’un principe « composite intégrant trois objectifs inséparables et contradictoires » : le premier objectif est celui de la croissance et de l’augmentation des productivités. Le second recherche une meilleure répartition du bien-être et la réduction de la pauvreté à travers le partage. Enfin, le troisième rappelle la nécessaire protection de la nature, comme la condition essentielle aux deux précédentes.

32La Déclaration dégage également des règles supplémentaires qui vont enrichir et compléter le développement durable, renforcer sa « matrice conceptuelle » (P.M. Dupuy, R.G.D.I.P. 1997, p.886). Le principe 15 consacre, entre autre, le principe de précaution : « En cas de risque de dommages graves et irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Ce concept est amené à remettre en cause certaines pratiques et opinions antérieures jugées irresponsables ou accusées d’avoir directement ou indirectement des effets pervers sur l’environnement. Il reconsidère aussi et surtout l’archétype de la certitude et de la cohérence scientifique. Il préconise la prudence par le biais d’une approche plus « souple » des questions environnementales en considérant les activités humaines, le risque encouru et ses conséquences « a priori » et cela, tant que l’on ne peut pas prouver le contraire. Une telle démarche induit un renversement de la charge de la preuve. Communément, la charge de la preuve est le devoir d’établir les faits, objets d’un litige ou générateurs d’un dommage, par celui qui les conteste, c’est-à-dire en droit, la victime ou, dans un sens plus général, le demandeur. Or, ici, pour invoquer le principe de précaution, il suffit de soulever une simple incertitude porteuse de risques potentiels, charge étant faite au défendeur (autorité publique responsable, gestionnaire) d’apporter la preuve scientifique d’une absence de risque.

33D’autres principes de mise en œuvre, désormais biens connus, sont affirmés : le principe du pollueur-payeur , la consultation et la participation de la société civile aux processus décisionnels (principe 10), le devoir de prévention (principe 2), le recours aux études d’impact environnemental (principe 17)…

34Le processus de Rio renouvelle, de façon tout à fait classique, l’appel à la coopération internationale mais effectue une distinction en estimant que « les Etats ont des responsabilités communes mais différenciées » (principe 7 et 11), ils doivent coopérer à « la tâche essentielle de l’élimination de la pauvreté…condition indispensable du développement durable » (principe 5). Les pays développés ont une responsabilité particulière « dans l’effort international en faveur du développement durable ». Une « priorité spéciale » doit être accordée aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables (principe 6).

35Il est intéressant de noter que, vingt ans après, Rio n’a pas plus de pertinence juridique que son illustre aînée Stockholm, c’est toujours une simple déclaration d’intention de la communauté internationale unanimement bien-pensante. Heureusement, la Convention sur la diversité biologique compense pour partie cette faiblesse, par un engagement réel et contraignant des Etats.  

  • 15  Pour une réflexion originale sur ces questions : Le développement durable, Tome II, émergence d’un (...)
  • 16  « Dans la course à la « modélisation » du développement durable entre disciplines, la modélisation (...)

36Le développement durable n’est pour l’heure qu’un projet à réaliser, dont la nature et le contenu restent très vagues pour ne pas dire inexistants. Remplir cette « coquille vide » reste le grand défi des années à venir, d’autant plus ardu que cette notion est transposable à toutes les disciplines scientifiques au sens large (y compris les sciences juridiques et politiques15). Chacune engageant alors un travail de « modélisation16 » de ce nouvel « idéal » à atteindre, selon ses propres critères, mais au risque d’en faire un concept polysémique.

L’Agenda 21 et ses rapports avec les AMP

37Ce Plan d’Action mondial présente quarante chapitres qui détaillent les actions à mener et les stratégies à adopter pour parvenir à une concrétisation du développement durable tel qu’il est défini dans la Déclaration de Rio.

38Une référence particulière est faite à l’égard des aires protégées et de leur promotion. Le chapitre 15.5g relatif aux activités de gestion en faveur de la préservation de la diversité biologique préconise de « renforcer les systèmes de zones protégées (zones terrestres, marines ou aquatiques), et préserver, entre autres éléments, les zones dulçaquicoles et autres zones humides vulnérables et les écosystèmes côtiers, tels qu'estuaires, récifs coralliens et mangroves ». Le 15.5j reprend la notion de zone de transition et encourage« dans les secteurs adjacents aux zones protégées un développement sans danger pour l'environnement et qui puisse s'inscrire dans la durée, afin de mieux protéger ces zones ». Le 15.7g vise à améliorer la coordination internationale« des mesures prises pour assurer une conservation et une gestion efficace des espèces migratoires non parasites menacées d'extinction, avec un appui, d'un niveau approprié, à la création et à la gestion de zones protégées dans des régions transfrontalières. Dans les chapitres 9 à 22 consacrés à l’ensemble des ressources planétaires, des recommandations sont favorables à l’élaboration de stratégies et de plans nationaux de développement permettant d’intégrer une utilisation rationnelle des ressources naturelles ainsi qu’un renforcement des aires protégées.  

La Convention de Rio sur la diversité biologique (CDB) du 22 mai 1992

39La Convention sur la diversité biologique est qualifiée par certains auteurs de « convention-chapeau » en raison de sa contribution essentielle au droit de l’environnement, sa portée globale et l’ambition de ses objectifs (visant à la fois les gènes, les espèces et  les écosystèmes).

40Entré rapidement en vigueur le 29 décembre 1993, ce texte de référence suscite depuis un mouvement unanime d’adhésion et beaucoup de sollicitations. Il est considéré aujourd’hui comme un instrument universel, excepté pour quelques rares pays refusant toujours de le signer.

  • 17  Ce concept est analogue à celui de « patrimoine mondial de l’humanité » mais sans la « consistance (...)

41Son but, exprimé par l’article 1, vise « la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages des ressources génétiques… ». Selon l’alinéa 3 du préambule, la conservation de la biodiversité (son rôle dans l’évolution) et la sauvegarde des écosystèmes sont « une préoccupation commune à l’humanité17 », mais rappelant, au même titre que la Déclaration du 13 juin, les « responsabilités différenciées » des Etats.

42Les grands principes du droit international de l’environnement sont réaffirmés : les principes de précaution, de coopération, l’utilisation d’études d’impact environnemental (art. 14), le devoir d’information (art. 17). La CDB désigne, dans son article 3, le principe selon lequel les « Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources », ce « focus » de la souveraineté des Etats sur les ressources naturelles relativise quelque peu la notion de « préoccupations communes » formulée dans le préambule.

43Le respect des droits souverains des Etats, dans l’exploitation de leurs propres ressources, est également garanti par l’article 4 de la CDB, ainsi que le pouvoir qu’ils détiennent d’en réguler l’accès. Ils doivent, en outre, coopérer pour faciliter l’accession et l’utilisation rationnelle des ressources génétiques (art. 15) par les autres parties contractantes. A cette fin, des systèmes de contreparties financières, le soutien à la recherche scientifique (art. 18) ainsi que le transfert de technologie (art. 16) sont encouragés, surtout au bénéfice des pays en développement pour éviter, ou réduire, les risques d’appauvrissement de leur biodiversité. La reconnaissance des savoirs traditionnels sur les ressources naturelles est un élément de cette « mission » de sauvegarde.

  • 18  Un projet de plan de travail conjoint est élaboré chaque année en application du Protocole de coop (...)

44Le recours à la technique de l’aire protégée est directement évoqué par l’article 8 (CDB), en tant que moyen pertinent de conservation et de gestion du patrimoine biologique, directement in situ et dans les espaces périphériques. Ce mode d’organisation doit être complété par la mise en place d’un mécanisme juridique et administratif. L’aire protégée est une solution préconisée pour répondre à un objectif général de sauvegarde des espèces et de leurs milieux ou de reconstitution des écosystèmes dégradés. Des lignes directrices de mise en œuvre renforcent ce dispositif. Elles offrent de nombreuses similitudes avec des recommandations formulées par d’autres instruments internationaux de protection, notamment la Convention Ramsar évoquée précédemment. Ces deux textes ont d’ailleurs décidé d’un Plan de travail conjoint18.

  • 19  Signé en 1995, il s’agit d’un plan d’application sur trois ans de la CDB, son objet spécifique con (...)

45Des complémentarités s’expriment en matière d’écosystèmes marins et côtiers : dans ce domaine, le programme de travail du Mandat de Djakarta19 prévoit que la CDB et la Convention Ramsar sur les zones humides collaborent afin d’identifier les sites importants et de définir les critères de création et de gestion des aires protégées.       

46Dans les domaines intersectoriels, la prévention de la perte de biodiversité liée à l’introduction d’espèces exotiques bénéficie d’un projet commun de communication et de sensibilisation sur les espèces envahissantes, notamment en Afrique.

47La majorité des Etats membres de la CDB, ont transposé son contenu dans leurs législations internes. Certes, la CDB est obligatoire pour les Etats l’ayant ratifiée mais ses dispositions restent très générales et les directions qu’elle préconise nécessitent une interprétation concrète, adaptée aux plans nationaux d’action pour l’environnement ou aux politiques plus spécifiques sur les aires protégées. De nombreux pays se sont ainsi dotés de nouveaux codes généraux (de l’environnement) ou plus ciblés sur la pêche, les forêts, la faune et la flore, la chasse…

Le Code de conduite pour une pêche responsable de 1995 et ses implications en matière de durabilité

  • 20  Cette notion englobe « l’utilisation durable des ressources halieutiques avec l’environnement et l (...)

48Au préalable, c’est la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay (Jamaïque) du 10 décembre 1982, qui établi définitivement les limites géographiques des différentes zones marines. Ce traité fixe les statuts juridiques des zones maritimes, avec pour principal corollaire, la répartition des compétences étatiques pour réglementer l’accès et l’usage des ressources halieutiques. Une fois les pouvoirs partagés, l’activité de pêche redevient majoritairement une question de souveraineté nationale, de « propriété » de l’Etat ou de négociation inter-étatique (voire de conflits d’intérêts). Mais, face à l’échec des politiques nationales de gestion, souvent incapables de réguler des pressions excessives de pêche, le code de conduite de 1995 tente d’appliquer le concept de durabilité aux activités halieutiques et définit dans ce but les principes fondamentaux d’une pêche responsable20.

49Le Code a été élaboré par la FAO (Food and Agriculture Organisation) et adopté à l’unanimité par la Conférence de la FAO le 31 octobre 1995. Il trouve son origine dans la Déclaration de Cancùn (Mexique) de mai 1992 qui va poser les bases du concept des pêches responsables. Il s’articule autour de dix objectifs présentés à l’article 2. Par sa portée globale destinée à l’ensemble des activités halieutiques, le Code ne fait pas référence expressément à la gestion des pêcheries dans les AMP. Toutefois, plusieurs recommandations spécifiques à certaines zones ou à certains types d’activités sont, de fait, directement applicables aux aires protégées, considérées le plus souvent comme des lieux d’expérimentation privilégiée pour la modélisation du développement durable.

50L’article 10 du Code, sur l’intégration des pêcheries dans l’aménagement des zones côtières, incite les Etats a adopter « un cadre juridique et institutionnel et a définir des politiques appropriées…pour permettre une utilisation durable des ressources ». La question de l’allocation des ressources est souvent facteur de conflits : entre plusieurs communautés de pêcheurs invoquant un accès aux espaces de pêches, entre les communautés de pêcheurs et les autres utilisateurs des zones côtières (tourisme, pêche industrielle, expansion urbaine…). La prévention des risques potentiels d’interactions doit être évaluée avec la mise en place en parallèle de mécanismes de résolution des conflits au niveau administratif (art. 10.1.4). Les AMP suscitent souvent la convoitise de ceux qui sont à sa périphérie, ainsi un aménagement efficace implique un cadre juridique et institutionnel fort et une définition précise des rôles et des responsabilités respectives des organismes de gestion. L’utilisation du zonage apparaît comme un moyen pertinent de réglementation de l’accès aux espaces et d’utilisation rationnelle des ressources. De plus, les droits et pratiques traditionnelles des communautés côtières doivent être reconnus et garantis et leurs représentants consultés et associés aux processus de décisions engagés par l’autorité publique (art. 10.1.2 et 10.1.3).

  • 21  La notion de pêche artisanale suppose d’être définie au moyen de critères techniques et juridiques (...)

51L’article 7.5 applique « l’approche de précaution » à l’aménagement des pêcheries. Ainsi, concernant la petite pêche et la pêche artisanale21, le code préconise, entre autre, l’élaboration de systèmes d’aménagements de types communautaires. En effet, pour certaines zones trop isolées et ne pouvant bénéficier d’études scientifiques intensives ou d’une surveillance accrue, des directives proposent de décentraliser la responsabilité de la gestion au niveau des utilisateurs de la ressource (communautés locales ou coopératives). Au sein des AMP, les réorganisations institutionnelles récentes, les objectifs de décentralisation et de délégation partielle des pouvoirs, sont des premières réponses aux recommandations formulées par le code de conduite. Depuis 1995, de nombreux Etats ont intégré cet instrument facultatif dans leurs législations nationales, lui conférant ainsi la force juridique essentielle à son respect et à sa mise en œuvre.

La reconnaissance d’un cadre statutaire pour les aires protégées du Programme MAB (UNESCO) : la Stratégie de Séville du 20-25 mars 1995

52La Stratégie de Séville est une réunion d’experts du programme MAB de l‘UNESCO. Le but de ce Forum est d’élaborer un cadre statutaire pour les réserves de biosphère, en conformité avec le principe de durabilité et ses composants, consacrés par la Conférence de Rio.

53On retrouve toujours le rôle particulier des aires protégées présentées comme des « vitrines » du développement durable.

54Tout d’abord, les trois grandes fonctions des réserves de biosphères sont re-précisées : la conservation des ressources génétiques, des espèces, des écosystèmes et des paysages reste le leitmotiv pour l’identification des réserves. Ensuite, le développement économique et humain contrôlé est la condition sine qua none à une gestion durable du site. Enfin, le support logistique (recherche, éducation, formation, surveillance continue) comme l’outil indispensable à l’action des décideurs et des gestionnaires.

55Les caractéristiques du zonage sont redéfinies :

  • une ou plusieurs aire(s) centrale(s) : avec une protection à long terme de la biodiversité, une surveillance accrue, des activités de recherche et d’éducation (« peu perturbantes »).

  • une ou plusieurs zone(s) tampon qui entourent ou jouxtent les aires centrales et utilisée pour des activités compatibles avec des « pratiques écologiquement viables » (éducation environnementale, loisir, écotourisme, recherche appliquée et fondamentale).

  • une zone de transition flexible (ou aire de coopération) comprenant des activités agricoles, d’établissements humains ou autres exploitations durables et « dans laquelle les communautés locales, agences de gestion, scientifiques, organisations non gouvernementales, groupes culturels,groupes d’intérêts économiques…travaillent ensemble pour gérer et développer durablement les ressources de la région ».

  • 22  Par savoirs vernaculaires, on entend : « ensemble des connaissances propres à une communauté et qu (...)

56Le cadre statutaire rappelle la démarche systémique et pluridisciplinaire (politique de gestion planifiée), où la dimension humaine doit être revalorisée par la reconnaissance des savoirs vernaculaires22 (la biodiversité culturelle) et par des partenariats «souples et adaptatifs » entre les communautés locales et les autorités responsables.

57Il convient de rappeler que les réserves de biosphère ne constituent qu’un label international mais nullement un statut juridique. C’est ensuite aux Etats de construire la structure juridique et institutionnelle de ces espaces. Le plus souvent, un mécanisme de protection préexiste déjà à l’intervention de l’UNESCO (parc naturel, parc national, site classé…). Le programme MAB vient « recouvrir » l’aire protégée, identifie les sites prioritaires grâce au zonage et permet ainsi d’étendre sa surface et d’affiner le fonctionnement de ce territoire à l’intérieur de l’Etat.

  • 23  François Féral, Analyse des politiques publiques des aires marines protéges ouest-africaines, Poje (...)

58Ce sont  sur les quelques instruments recensés ici, que reposent l’évolution historique et le renforcement progressif des législations nationales des PVD en matière d’AMP. En toute hypothèse, la loi exprime donc « l‘acte juridique d‘application des engagements internationaux et régionaux23 ». Les observations succinctes présentées ci-dessus, nous éclairent sur la construction conceptuelle des AMP en tant qu’outils juridiques d’abord essentiellement protectionnistes et naturalistes puis progressivement élargis aux nécessités du développement socio-économique. Le droit international permet de généraliser des principes d’origine principalement occidentale, tout en offrant des cadres de soutien et en proposant une mise en œuvre uniforme des objectifs par les pays en voie de développement. Le quatrième Congrès Mondial des Parcs tenu à Caracas (Venezuela) en février 1992, rappelait les idées essentielles à la réalisation d’un développement durable : la participation effective des populations autochtones à l’élaboration et à la mise en place des plans de gestion, la reconnaissance d’autorités décentralisées, la coopération internationale et la constitution de réseaux de conservation… Le Congrès suivant, organisé en Afrique du Sud en 2003, consacrera le principe de gouvernance. Ce concept, apparu dans les milieux intellectuels anglo-saxons des années 1990, est aujourd’hui très employé dans les discours des décideurs et des politiques. Il propose d’autres modes d’organisations pour répondre plus efficacement aux exigences de durabilité, y compris dans les AMP.

La bonne gouvernance comme objectif central des politiques d’AMP dans les PVD

59La notion de gouvernance, présentée comme le nouvel axe de gestion des zones protégées, mérite d’être définie et précisée. En effet, dans les secteurs sous-développés, si l’intégration juridique de la durabilité et de ses conditions semble acquise, un profond décalage persiste entre les objectifs proclamés et leur applicabilité réelle à l’intérieur des AMP. L’analyse du fonctionnement quotidien de ces espaces nous incite à la prudence et relativise le caractère durable des politiques existantes.        

Éléments pour une définition de la gouvernance appliquée aux AMP

60Le dernier Congrès Mondial des Aires Protégées, s’est tenu à Durban (Afrique du Sud), du 8 au 17 septembre 2003. Cette assemblée se réunit tous les dix ans sous l’égide de l’UICN, elle fait un bilan critique de la situation des aires protégées mondiales et définit les objectifs prioritaires de la prochaine décennie. En 2003, la Conférence insiste tout particulièrement sur un « nouveau » concept : la gouvernance. Le terme généraliste de gouvernance n’est pas nouveau en-soi, mais il est suffisamment protéiforme pour être fédérateur. Devenue une formule à la mode, la gouvernance entre rapidement dans le langage courant des gestionnaires et des responsables politiques. La gouvernance après le développement durable, un concept succède à un autre, mais sans pour autant le chasser.  

61Les réunions de Durban seront clôturées par une série d’engagements formels des Etats et des institutions de soutien. Mais, il s’agit à nouveau d’actes volontaires non contraignants (déclarations, recommandations, plans d’action…) qui ne sont pas des actes juridiques obligatoires au sens du droit international classique (traités, conventions) tels que définis précédemment. Ces réunions ont une fonction essentielle de forum, elles favorisent les échanges interétatiques et réactualisent la réflexion en matière de gestion des aires protégées. Leur but est double : définir les axes stratégiques au plan mondial, tout en permettant aux Etats de s’exprimer et de s’informer afin d’améliorer les politiques nationales concernées, ou d’en établir si elles n’existent pas.

  • 24  Membres de l’Institut sur la Gouvernance, Principes de gouvernance pour les aires protégées au XXI (...)

62Dans l’esprit de Durban, la gouvernance ne remplace pas le développement durable, elle apparaît plus tôt comme un moyen d’y parvenir. Parmi les diverses définitions de la gouvernance, celle proposée par les auteurs J. Graham, B. Amos et T. Plumtre24 est assez conforme à nos propos : il s’agit « des interactions entre les infrastructures, les processus et les traditions qui déterminent comment le pouvoir est exercé et les responsabilités sont assumées, comment les décisions sont prises et comment les citoyens et les autres groupes d’intérêts se font entendre ».    

63Mais, cette description relativement précise, ne fait jamais mention explicitement de la place et du rôle fondamental de l’Etat, même si cela peut se deviner. Or, en dépit de cette omission, on retrouve dans la notion de gouvernance les caractéristiques principales des politiques publiques d‘AMP, fondées avant tout sur les rapports entre l’Etat et les divers acteurs de la société civile. Nous reviendrons ultérieurement sur cette logique du « discours international ambiant », prompt à minimiser de plus en plus la capacité d’action des Etats (surtout dans les pays pauvres) pour la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité.

64Les recommandations du Congrès de Durban pour une bonne gouvernance montrent une similitude étonnante avec les critères classiques des politiques publiques d’environnement : l’émergence d’un problème (détérioration de la biodiversité), son identification par le système politico-administratif (vision stratégique d’un problème collectif et complexe, incluant à la fois des aspects humains, historiques, culturels…), la participation des groupes d’intérêts (ou groupes cibles) au processus de décision, la solution retenue (issue d’un consensus entre l’Etat et les groupes cibles), l’évaluation des résultats (efficacité et efficience) et de leurs effets directs et indirects, la transparence et la primauté de la loi.         

  • 25  « …basée sur l’application des méthodologies scientifiques appropriées focalisées sur les niveaux (...)
  • 26  C. de Roany, L’approche par écosystème pour la gestion des pêcheries : un concept en quête de défi (...)
  • 27  C. de Roany, L’approche par écosystème pour la gestion des pêcheries, op.cit.

65Les orientations préconisées par Durban privilégient les méthodes décentralisées, la cogestion et l’approche écosystémique25 (déjà adoptée par la CDB). Cette dernière est censée réconcilier les « sciences-dures » (biologie, physique, chimie, mathématiques…) avec les « sciences-molles » (anthropologie, sociologie, histoire, droit, sciences politiques, économie…) et les unir au cœur d’une même « philosophie de gestion »26. Sans vouloir se prononcer hâtivement sur ce modèle encore récent et indéterminé, on peut s’interroger sur sa constitution, perçue par certains auteurs, comme une « révolution fondamentale des esprits »27. La démarche écosystémique est un postulat à dominante scientifique, basé sur le travail des chercheurs et leur connaissance des milieux naturels. Or, pendant plusieurs décennies, les politiques publiques d’AMP sont restées la représentation des recherches en biologie marine, réduisant la fonction du droit à convertir en termes juridiques des normes scientifiques. A plus grande échelle, les politiques de gestion des pêches maritimes seront longtemps dominées par ces méthodes, dont les conséquences sur la préservation à long terme des espèces halieutiques concluent largement à leur échec. La théorie écosystémique ne met pas l’homme au centre des problèmes de conservation de la biodiversité, elle le range simplement comme un maillon parmi les organismes biologiques classiques. Elle semble donner la priorité à la compréhension du fonctionnement des écosystèmes alors que l’origine des risques provient de l’homme. La connaissance la plus complète possible des écosystèmes et de leurs interactions demeure d’un intérêt limité si elle n’est pas au service des politiques de régulation des activités humaines. Le savoir scientifique n’est pas une fin, ce n’est qu’un moyen d’aider les décideurs. Ces derniers ont la responsabilité de gérer les interactions entre l’ensemble des acteurs humains des AMP (directs, indirects, intérieurs, extérieurs) et négocier avec eux la mise en œuvre de mesures rationnelles pour le maintien des biotopes.

  • 28    Selon le Pr. D.M. Kabala «…il pourrait être utile d’institutionnaliser un mécanisme planétaire d (...)

66Aujourd’hui, les concepts de protection, de conservation, de responsabilité ou de gouvernance ne sont plus considérés individuellement mais ont fusionné pour former une vision d’ensemble et œuvrer dans le même sens afin d’offrir un « Cadre général d’action » à l’échelle mondiale, dont l’objectif déclaré est de parvenir au développement durable28. En pratique, les principes de droit international présentent, au niveau étatique, une intégration et une efficience très variable, façonnée (pour ne pas dire déformée) la plus part du temps par les contraintes locales et les modes d’organisation et de fonctionnement  des administrations gestionnaires concernées.

L’applicabilité juridique des normes et le fonctionnement des AMP

67Notre analyse se place du point de vue du droit public et des politiques publiques. Le droit public est d’abord le droit de l’Etat, de son administration centralisée et de ses démembrements. Dans une perspective plus dynamique, il désigne le droit de l’action publique régissant le fonctionnement des  structures administratives et l’interventionnisme étatique dans la définition des politiques publiques. Nos recherches effectuées dans trois aires marines ouest-africaines (Mauritanie, Sénégal et Guinée-Bissau), permettent de dégager des processus de transformation de l’action publique sous l’effet de différents facteurs, à la fois internes et externes.

AMP et politiques publiques

68L’Etat, est la seule autorité habilité à la création d’une AMP, et il utilise désormais les instruments internationaux que nous venons de résumer pour développer sa propre législation et définir une politique adaptée en fonction des buts poursuivis, des moyens disponibles et des contraintes existantes. Les objectifs qui prévalaient lors de la formation d’une AMP dans les années 1970 ont donc depuis lors  beaucoup évolué et se sont surtout diversifiés. La rénovation législative entreprise dans les années 1990 par de nombreux pays en voie de développement (décentralisation, gestion participative…), illustre clairement cette volonté de réactualisation et de mise en conformité avec les prescriptions internationales, en quête d’une plus grande applicabilité et effectivité.

69Les politiques publiques posent la question de l’administration du secteur public dans ses relations avec l’économie et la société (les politiques publiques sont la « science de l’action publique » selon Pierre Muller). Les analyser, permet de s’interroger sur la pertinence de l’interventionnisme de l’Etat. Elles sont à la fois un outil d’aide à la décision et l’ensemble des mesures factuelles mises en œuvre dans un secteur donné. Cette démarche peut se résumer selon la formule suivante : « bien comprendre pour mieux décider ». 

70Du point de vue des politiques publiques, le fonctionnement des AMP nous permet d’observer et de comprendre le modus operandi de l’action publique :

  • le fondement de la prise de décision lié à l’émergence d’un problème de perte de la diversité biologique.

  • le système d’organisation retenu et construit (structure institutionnelle et cadre normatif).

  • le processus décisionnel comme reflet des relations entre l’autorité administrative gestionnaire et les acteurs de l’aire marine présents sur, ou autour de l’aire marine et de ses activités.

  • les coûts, l’évaluation des résultats, l’atteinte des objectifs, le respects de la réglementation, les effets voulus ou imprévus, les situations de conflits…

  • 29  F.Féral souligne la « Typologie dualiste des institutions » caractérisée par une dichotomie entre« (...)

71Dans le cas des AMP d’Afrique de l’Ouest, même si le rôle de l’Etat (basé sur un système bureaucratique et centralisé) reste prépondérant, il apparaît, que l’influence des acteurs de la société civile (formels et informels) devient de plus en plus décisive, tant au niveau international que local29.

  • 30  F. Rangeon, La société civile, histoire d’un mot, in La Société Civile,ouvrage collectif du CURAP (...)

72A titre informatif, nous pouvons rappeler une définition bien lisible et opérationnelle de la société civile : selon le philosophe Hegel (Principes de la philosophie du droit, 1821), il s‘agit « …des personnes privées qui ont pour but leur intérêt propre… cette société contient les trois éléments suivants : la médiation du besoin par le travail, la défense de la propriété, enfin l’administration et la corporation comme défense des intérêts particuliers ». Pour Maurice Hauriou (juriste français), elle est une « formation sociale essentiellement décentralisée », elle symbolise tout un ensemble d’institutions qui fonctionnent au service de différents intérêts catégoriels. A côté de la société civile, apparaît l’institution primaire prééminente représentée par l’appareil d’Etat, lui même organisé en nombreuses et complexes institutions administratives spécialisées et titulaire de compétences juridiques exceptionnelles. Ces deux grands groupes institutionnels coopèrent en permanence (négociations constantes pour le partage des richesses et du pouvoir), l’Etat ayant un rôle prépondérant d’arbitrage des compétitions entre institutions de la société civile. Selon François Rangeon30, le société civile s’apparente à un mythe politique : « avant d’être un concept ou une idée, la société civile évoque tout d’abord un ensemble de valeurs positives : l’autonomie, le responsabilité, la prise en charge par les individus eux-mêmes de leurs propres problèmes. Par sa dimension collective, la société civile semble échapper aux dangers de l’individualisme et initier la solidarité. Par sa dimension civile, elle évoque l’émancipation de la tutelle étatique,…on s’explique ainsi la réactivation récente du couple Etat-société civile ». Elle reste toujours une notion ambiguë, complexe à manier, et dont les acceptions s’orientent souvent en fonction des idéologies. D’une façon générale, nous pouvons dégager deux définitions de la société civile. Une première définition large, qui englobe l’ensemble du domaine privé (social et économique) aux antipodes de l’Etat. Une deuxième définition plus restrictive, qui cantonne la société civile à la simple sphère sociale, en dehors de l’Etat et du marché.      

73Dans le contexte d’Etats dits en développement, le fonctionnement des AMP est confronté à de multiples problématiques. Le but de notre étude n’est pas d’établir une liste exhaustive des difficultés communes à l’ensemble des aires marines protégées, mais simplement de donner quelques indications et d’exposer certaines tendances observées lors de nos propres analyses et propres évaluations de situations où des AMP sont en jeu.

La marque des modèles « importés »

  • 31   atteintes multiples aux libertés individuelles : restrictions, interdictions, autorisations spéci (...)

74Sur un plan administratif et juridique, nous avons observé qu’en Afrique de l’ouest, une aire marine protégée correspond à une opération de police administrative spéciale dans laquelle le futur territoire de l’AMP va être « Etatisé ». L’acte législatif fondateur met en place une administration responsable de la gestion et du contrôle de cet espace. Ce dernier, devient une circonscription d’exception où va s’appliquer un régime juridique particulier beaucoup plus contraignant et coercitif que sur le reste du territoire. Afin de garantir sa mission, l’institution est dotée d’un arsenal normatif31 élaboré et dont le but principal est la conservation de la biodiversité du site.

75L’organisation juridique et institutionnelle est marquée par un mimétisme vis-à-vis des modèles occidentaux. Cette caractéristique étant renforcée par la persistance d’une administration bureaucratique, centralisée et très hiérarchisée, héritée des anciennes puissances coloniales. Par défaut d’adaptation, le système bureaucratique est resté souvent très cloisonné, avec une absence de souplesse dans les relations transversales, aboutissant à des administrations enkystées dans l’appareil d’Etat. Les autorités déconcentrées, gestionnaires des AMP, subissent naturellement les effets de cette rigidité. Elle sont soumises à une autorité ministérielle trop souvent distante et peu impliquée. De plus, les institutions de terrain soulignent régulièrement la précarité de leur situation et l’insuffisance des moyens humains, logistiques et financiers mis à disposition par leurs tutelles de direction et ministérielles.

76Par ses carences, l’appareil d’Etat est contesté dans sa légitimité et dans son efficacité. Illégitime par son manque d’implication pour une stratégie valable et pérenne de développement des populations autochtones. L’autorité perd alors son rang de « chef de file » d’un projet collectif et volontaire. Cette indifférence, alliée à l’indigence des moyens déployés, ne permet pas une application efficace de la réglementation. Or, en plus de la sensibilisation et de la gestion participative, l’Etat doit être en mesure d’affirmer sa souveraineté sur le territoire de l’aire marine par un contrôle rigoureux des activités, par la sanction des illégalités, par sa faculté de prévenir les conflits latents et de pouvoir les régler le cas échéant.

La question des réformes administratives et de la décentralisation

  • 32  Dès la fin des années 1980, dans plusieurs pays et notamment sur le continent africain, on constat (...)

77Face au constat de la faillite des Etats32, les instances internationales ont appuyé un processus de décentralisation, considéré comme un élément essentiel de la durabilité. Ce phénomène amorcé dans les années 1990, souvent de manière  précipité, transfère aux nouvelles autorités décentralisées toute une liste de compétences en matière de gouvernance locale, de développement socio-économique, de gestion de l’environnement et des ressources naturelles. Mais cette autonomie s’accompagne dans de nombreux cas d’un désengagement financier tout aussi brutal de l’Etat. Au niveau des AMP, cet état de fait et de droit oblige les administrations locales (aux budgets souvent très limités) à trouver d’autres sources de revenus, à les rechercher ailleurs auprès des bailleurs de fond. Beaucoup d’ONG et d’intervenants privés s’engagent alors, auprès des autorités locales, dans des plans locaux de développement. Cette modification évidente des rapports fait naître une nouvelle dynamique de gouvernance et crée un flux d’initiatives locales (plans, programmes, projets…) que l’on peut considérer comme de réelles politiques publiques « territoriales ».

  • 33  Associer les gouvernements locaux à des « acteurs non étatiques » peut porter à confusion, plusieu (...)

78En droit international, on constate également un mouvement de reconnaissance de ces nouveaux acteursnon étatiquesreprésentés par la société civile (essentiellement les ONG), le secteur privé et les gouvernements locaux33. Plusieurs accords conventionnels Nord/Sud de coopération et d’aide au développement (durable) prévoient la possibilité de faire bénéficier directement ces acteurs d’une part des contributions financières (afin d‘éviter un transit par l‘Etat central), tout en soutenant l’amélioration et le renforcement de leurs capacités institutionnelles. Une évolution intéressante qui va vers la recherche d’une plus grande équité, avec la volonté d’intégrer la participation d’acteurs non étatiques tout en respectant la position et les missions légitimes des gouvernements.

La « privatisation » des AMP par des administrations off-shore

79Ce phénomène, au terme provocateur de privatisation des AMP, est largement lié au précédent, et découle de nos observations menées sur les trois cas d’études.

80En premier lieu, les AMP sont le fruit d’une institutionnalisation croissante, entamée dès les années 1980. Le rôle des ONG bailleurs de fond se renforce progressivement (UICN, WWF, Fondations…), ainsi que l’intervention des programmes de la Banque Mondiale qui entraînent une démultiplication des fonds pour la protection environnementale. Le « feuilletage » institutionnel, lié à la diversification des acteurs, rend le fonctionnement des AMP de plus en plus complexe. En effet, étant donné l’indigence des moyens des administrations gestionnaires centrales, elles sont dépendantes de fait de la participation financière de leurs partenaires extérieurs. Cette faiblesse est renforcée par l’absence de coordination des diverses administrations bureaucratiques, qui renvoient l’image d’institutions plus souvent concurrentes qu’associées. Cette perte de maîtrise de la capacité de gestion, nous amène à reconnaître que les AMP sont des lieux « d’innovations institutionnelles » sur lesquels l’intervention ne se limite pas à la seule autorité publique officiellement responsable.

81Ensuite, au niveau des communautés décentralisées, le constat est similaire, mais trouve d’autres justifications évoquées plus haut : des revenus propres totalement dérisoires alliés à une méfiance vis à vis du pouvoir central favorisent le développement de partenariats avec la société civile extérieure et importée (ONG, privés, entreprises…).

  • 34  Pour la gouvernance, la décision, au lieu d’être la propriété et le pouvoir de quelqu’un (individu (...)

82Enfin, l’explication principale semble provenir d’une vision anti-étatique largement diffusée dans les forums internationaux. Elle s’exprime par la contestation des modalités de l’action publique et par une remise en cause globale de l’Etat dans sa légitimité et dans son efficacité. Selon plusieurs auteurs, la définition même de la gouvernance porte en elle cette forme de péréquation et de « redistribution » des compétences34. Ainsi, l’Etat abandonne peu à peu son monopole de la décision politique pour le diluer auprès des groupes de pressions les mieux organisés mais pas toujours les plus légitimes au regard des objectifs louables du développement durable.

  • 35  Sur ces questions, se référer aux travaux particulièrement intéressants de D. Dumoulin, Problèmes (...)
  • 36  Cf. D. Dumoulin, op. cit.

83Dans les AMP, c’est le lobby de la conservation qui domine, il détient la puissance financière et négocie selon ses propres objectifs sa participation à la gestion de l’espace protégé. Sa position renforce son autorité et sa « légitimité » au détriment des institutions étatiques traditionnellement responsables. L’historique de la création des AMP dans les pays du Sud, nous renseigne sur les raisons de cette présence des groupes catégoriels environnementalistes. Il faut pour cela remonter aux sources de la « demande de conservation »35 qui va engendrer à partir des années 1970 la multiplication des aires protégées dans les PVD. Ce sont les pays industrialisés qui ont exporté au sud leurs modèles juridico-administratifs de protection de la nature, celui du Parc National en est l’exemple le plus classique. Un encouragement qui s’apparente plus à l’imposition d’un « dispositif conservationniste par des pressions politiques et financières sur les élites occidentalisées des pays du sud36 ». Localement, les grandes ONG et autres institutions écologistes s’identifient rapidement comme les principaux relais de cette demande. Ces structures très professionnalisées, de culture et d’origine également occidentale, « s’installent » au cœur des AMP dès leur création et deviennent « naturellement » des acteurs principaux de ces espaces.         

84Dans son ensemble, l’action internationale pour la protection de biodiversité, s’accompagne d’une coopération, afin de mieux garantir l’applicabilité des concepts juridiques « importés ». Ceci par le biais d’un soutien institutionnel et financier protéiforme, très présent dans les AMP que nous avons étudiées. En effet, la majorité des Conventions et Accords environnementaux sont adoptés sous l’égide d’organisations intergouvernementales ou d’ONG. Ces organismes, disposent d’institutions déconcentrées qui participent activement à la création de programmes nationaux ou régionaux, à l’élaboration des plans de gestion et surtout au soutien financier de ces espaces protégés (UICN, FAO, UNESCO, Union Européenne…). Elles jouent un rôle déterminant dans la gestion des AMP et peuvent s’émanciper de la « tutelle » étatique, par leur influence politique et leur autonomie financière, jusqu’à consacrer un système de « gouvernance sans gouvernement », privilégiant une gestion technocratique, basée sur la comitologie et les rapports d’expertise.

  • 37  Patricia Rosiak, Les transformations du droit international économique, les Etats et la société ci (...)

85Ces nouvelles formes de gouvernance sont aussi le fruit d’un « abandon de souveraineté des pays du Sud37 » en matière économique. La libéralisation des échanges induit « moins d’Etat » et les plans d’ajustement structurels obligent les gouvernements à déréglementer leurs économies, à diminuer les dépenses publiques, à privatiser les grandes entreprises et à ouvrir leurs frontières et leurs marchés à la libre concurrence. Or, nous allons voir que l’exploitation commerciale du potentiel productif des AMP est très avancée et très difficilement contrôlée, et cela pour deux raisons principales. Tout d’abord, une demande extérieure (nationale et internationale) en produits halieutiques de plus en plus forte qui génère d’innombrables pressions sur les ressources renouvelables. Ensuite, des politiques de gestion déséquilibrées, longtemps orientées uniquement vers la conservation, avec une prise en compte tardive du développement réel des populations.  

La déstabilisation des AMP par leur développement économique et commercial mal maîtrisé

86Dans les différents sites étudiés nous avons observé que les AMP ne sont pas un système autarcique, reflétant l‘image idyllique d‘une communauté hors du temps et vivant en toute quiétude de l’opulence d’un jardin d’Eden, sans autres besoins ni désirs. L’ouverture des marchés n’a pas épargné ces lieux, mais un jugement ambivalent peut être porté sur ce phénomène.

87À l’économie traditionnelle de subsistance s’ajoute désormais une économie de marché, matérialisée par l’intensification des échanges avec l’extérieur. Les AMP sont de plus en plus intégrées dans les flux commerciaux nationaux, régionaux, voire mondiaux. Leur état de conservation est en général plus satisfaisant que dans les zones périphériques non protégées et leur qualité de « réservoir »de produits naturels excite les convoitises. Elles sont devenues des espaces « d’appropriation » des richesses et d’inflation des échanges. Ceci est accéléré par la « privatisation »des AMP et la dérive néo-libérale. La demande extérieure en produits exerce une pression permanente sur les populations, favorise la concentration économique à la périphérie et attire la venue de nouveaux migrants. Le très faible niveau de vie des communautés autochtones accélère le développement du négoce, synonyme logique de réduction de la pauvreté.

  • 38  La répartition des activités est calquée sur les rythmes saisonniers et renferme tout un répertoir (...)

88Mais il est évident à l’inverse qu’une valorisation incontrôlée des ressources peut court-circuiter « l’effet réserve » d’une AMP jusqu’à l’apparition des premiers signes de surexploitation et les risques d’émergence de conflits sociaux qui en découlent. L’effet réserve est la répercussion sur les peuplements de la mise en réserve du site et donc de l'arrêt ou de la limitation stricte des activités de pêche. Cet effet agit vers l’intérieur, en transformant l’AMP en lieu de refuge pour les espèces cibles exposées à de fortes pressions, mais également vers l’extérieur lorsque les mesures de protection et de gestion ont permis de fixer suffisamment les ressources pour favoriser ainsi un mouvement de reconstitution des stocks au-delà des limites de l’aire marine. Il convient de préciser que l’économie des AMP n’est pas forcément réduite au seul domaine halieutique. Elles offrent le plus souvent un éventail d’activités économiques coutumières38 (polyculture et élevage extensif, cueillette, chasse…) et touristiques concomitantes et complémentaires au secteur de la pêche (poissons, crustacés, coquillages).

89Les contradictions du développement durable s’expriment ici avec acuité. C’est à l’Etat de jauger la menace que représente la « valeur marchande » de plus en plus forte des AMP. Dans quelles mesures doit-il limiter l’exploitation des ressources, sans pour autant hypothéquer l’avenir et le développement social des habitants ? L’action publique devrait porter en priorité sur la régulation des marchés par une protection du périmètre de l’aire vis à vis des pressions extérieures et une maîtrise des flux humains et marchands.

90De nombreuses pistes sont également explorées pour endiguer ce risque de transformation de l’AMP en simple capital de ressources. Tout d’abord la légitimation et surtout la garantie par l’Etat des droits d’usages traditionnels et des droits fonciers non discriminatoires. Mettre en place de manière négociée la « territorialisation » des espaces avec les communautés traditionnelles, sensibiliser et responsabiliser les acteurs à l’égard de leur patrimoine naturel et des valeurs qu’il incarne (le re-sacraliser). Ensuite, la rémunération en échange des services environnementaux fournis par les populations autochtones en utilisant la méthode des coûts-avantages (avantages fiscaux et coûts différenciés). Enfin, le développement d’activités alternatives de valorisation des ressources, notamment l’écotourisme, susceptibles de favoriser une exploitation beaucoup plus faible quantitativement mais bien plus intéressante qualitativement, entraînant une augmentation de la valeur ajoutée des produits naturels, accompagnées de prestations de services assez rémunératrices.   

Conclusion

  • 39  L’importation internationale du cadre conceptuel, ou de la genèse de l’AMP et l’importation occide (...)

91Au-delà du phénomène de double importation juridique39 présenté ici, la problématique nous amène à essayer de définir la place réelle de l’homme dans son environnement. L’homme en fait partie mais il n’y est plus intégré. Dans ce sens, l’idée d’une harmonie totale entre l’homme et la nature paraît utopique, y compris dans les AMP.

92En effet, même si dans les PVD, quelques zones protégées offrent encore une stabilité remarquable entre le milieu et ses utilisateurs, elle demeure très fragile car menacée de l’extérieur par l’internationalisation des échanges, les intérêts supérieurs (industries, prospection..), les migrations de populations (guerres, pauvreté, sécheresse…). Ces situations ont tendance à isoler et à perturber les systèmes de valeurs (culturelles, sociales…) véhiculés par les savoirs ancestraux, témoins séculaires de la force et de la longévité des sociétés traditionnelles. Selon l’approche écosystémique, la dimension humaine n’est qu’une composante de l’organisation biologique. Or, l’homme, en tant qu’acteur économique, est devenu le ferment principal des grands déséquilibres et non un simple maillon intégré à la chaîne de la vie. Il a toujours voulu se soustraire au déterminisme naturel.

93Enfin, il ne faut pas oublier que l’homogénéité passée, entre l’homme et la nature, n’était pas le fruit du hasard. Bien au contraire, elle était l’aboutissement d’un processus long et complexe, réunissant plusieurs conditions : une connaissance empirique très poussée du milieu par les populations (et la constitution corrélative de terroirs), la maîtrise de techniques d’utilisation et d’exploitations rudimentaires mais parfaitement adaptée aux conditions naturelles (déterminisme corrélant l’espace, le temps, et les espèces) et aux buts poursuivis, l’existence d’une communauté humaine organisée et structurée autour d’une discipline collective ferme dont l’objectif majeur était la survie quotidienne de tous grâce l’utilisation des ressources.

94Au sein des AMP étudiées, nous avons le sentiment que deux mondes s’ignorent : celui de la conservation (raison d’être des AMP) et celui du marché (dont l’apparition est en général postérieure). Le premier serait enclin à maintenir les AMP à l’état de sarcophages, propices à une « exposition internationale » in situ. Le second, témoigne d’une adaptation en temps réels aux lois de l’offre et de la demande et dont les effets négatifs prévus ou imprévus sur la biodiversité sont connus. Le premier doit s’ouvrir au second et inversement. Même si la gouvernance rejette la hiérarchie et la décision par le haut au profit de la négociation, l’Etat demeure, selon nous, son référent principal. Il est de sa responsabilité d’affirmer sa présence et son autorité, ne serait-ce que pour régler les conflits d’intérêts entre acteurs de la société civile et pour ramener une gestion, longtemps confisquée par « les hautes sphères », au plus près des populations résidentes. Les AMP ne sont-elle pas considérées comme des laboratoires de la conservation et du développement ?

95Garder cet équilibre au sein des AMP suppose qu’un effort collectif d’autorégulation soit préservé ou renforcé, non seulement à l’intérieur de ces espaces mais également hors de leurs frontières, pour réaliser leur opposabilité. Pour provoquer cette réaction et corriger l’impact des activités humaines, il est fait référence, entre autre, aux systèmes de feed-back qui préconisent des modes de gestion flexibles, adaptatifs, permettant de compléter ou de corriger rapidement une situation ou des effets indésirables identifiés. Ce mécanisme se définit à l’origine comme une tendance de la vie à contrôler les déséquilibres en les compensant par des effets inverses, c’est un des processus d’autorégulation des êtres vivants.

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Notes

1  Montréal, octobre 1996.

2  Intertidal désigne la zone côtière entre la basse mer moyenne et la pleine mer moyenne, espace alternativement couvert et découvert par les marées. Infratidal désigne un substrat continuellement immergé.

3  Plus de 1300 AMP sont recensées à l’heure actuelle à travers le monde et la majorité d‘entre elles sont situées dans les pays du « sud ».

4  Principe 4 : « pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit constituer une partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément ».

5  « Observée sur la durée des cinq dernières décennies, l’évolution des pêches maritimes mondiales, communautaires et nationales met clairement en lumière quatre phénomènes découlant directement de la sur pêche: une surexploitation plus ou moins grave des populations exploitées, des capacités de pêche excédentaires, une dégradation des écosystèmes exploités, enfin une récurrence des conflits entre différents types de pêches et vis-à-vis d‘autres usages de l‘océan. »  Académie des Sciences, Exploitation et surexploitation des ressources marines vivantes, RST n°17, décembre 2003, p.405.  

6  dont le passage dans ces zones côtières obéit à une phase de leur cycle biologique (reproduction, ponte, nourriture, croissance des juvéniles…).

7  avec son lot de révélations officielles sur les premiers grands bouleversements écologiques : effet de serre, destruction de la couche d’ozone, pollution des milieux biosphériques, de la biomasse, des sols, diminution de la biodiversité…Cf. B. CAZALET, Genèse conceptuelle et analyse des politiques de gestion des APCM d’Afrique de l’Ouest , Projet CONSDEV, WP5, Juin 2004, p. 7. www.resed.org/consdev .

8  le concept de conservation de la nature apparaît dans les années 1950, sous l’impulsion notable de l’UICN (Union Mondiale pour la Conservation de la Nature) première grande organisation « écologiste », mais largement isolée à l’époque. Selon certains auteurs, le concept de conservation est plus fonctionnel que celui de la protection absolue car il «  renferme, à côté d’un aspect de stricte protection, un aspect dynamique de mise en valeur rationnelle des écosystèmes qui doit permettre de tirer un meilleur parti des ressources naturelles et des milieux biosphériques. » (D.M. KABALA, Protection des écosystèmes et développement des sociétés, état d’urgence en Afrique, p. 15,l’Harmattan, 1993).

9  Les Etats Unis vont lancerce mouvement avec la création du Parc National du Yellowstone en 1872, suivis par les Parcs Kruger en Afrique du Sud en 1892.

10  Son origine remonte à la première Conférence intergouvernementale sur la conservation et l’utilisation rationnelle de la Biosphère, initiée en 1968 au sein de l’UNESCO. Avant-gardiste, au même titre que la Conférence de Stockholm de 1972, elle lance l’idée d’un réseau mondial représentatif d’aires protégées « portant sur des écosystèmes ou une combinaison d’écosystèmes terrestres et côtiers/marins reconnues au niveau international … ».  UNESCO, 1996. Réserves de Biosphère : la Stratégie de Séville et le cadre statutaire du réseau mondial. UNESCO Paris.

11   En 1983, le Congrès de Minsk définit en accord avec le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) un Plan d’action pour les Réserves de Biosphères.

12   Le réseau compte actuellement près de 400 réserves de biosphère à travers le monde.

13   L’article 13 de la Charte des Nations Unies donne mandat à l’Assemblée Générale de « provoquer des études et de faire des recommandations en vue…d’encourager le développement progressif du droit international et de sa codification. ». La codification est « la formulation plus précise et la systématisation des règles de droit international dans les domaines où existe déjà une pratique étatique conséquente, des précédents et des opinions doctrinales. ». En réalité, il s’agit d’harmoniser des règles coutumières autour d’un ensemble de règles écrites. Cette opération se réalise par le biais de traités spécifiques de codification, comme par exemple les Conventions sur le Droit de la Mer de Genève (1958) et de Montego Bay  (1982).

14  Pour une présentation plus complète de ces aspects : B. CAZALET, Genèse conceptuelle et analyse des politiques de gestion des APCM d’Afrique de l’Ouest , Projet CONSDEV, WP5, Juin 2004. 

15  Pour une réflexion originale sur ces questions : Le développement durable, Tome II, émergence d’une norme juridique, Ouvrage collectif sous la Direction de François FERAL et Jean-Marc FEVRIER, Revue NEMESIS n°4, 2002, Presses Universitaires de Perpignan.

16  « Dans la course à la « modélisation » du développement durable entre disciplines, la modélisation juridique va souvent prendre la forme de la normativisation », F. GALLETTI, Le droit de l’environnement, un ensemble de normes pour le développement durable ?, in le développement durable, Tome II, émergence d’une norme juridique, NEMESIS, op.cit. pp. 239-275.

17  Ce concept est analogue à celui de « patrimoine mondial de l’humanité » mais sans la « consistance juridique » de ce dernier.

18  Un projet de plan de travail conjoint est élaboré chaque année en application du Protocole de coopération signé, entre les deux Conventions, en janvier 1996. Il porte sur des domaines communs à la fois thématiques (recouvrant l’ensemble des écosystèmes existants) et intersectoriels (l’introduction d’espèces exotiques, les indicateurs de biodiversité, les systèmes de surveillance et d’alerte rapide, l’inventaire et la gestion des sites, les petits Etats insulaires en développement, la connaissance et les modes de vie traditionnels, les études d’impact, les stratégies, politiques, les lois et plans nationaux, l’utilisation durable des éléments de la biodiversité, le tourisme durable…).

19  Signé en 1995, il s’agit d’un plan d’application sur trois ans de la CDB, son objet spécifique concerne la diversité biologique marine et côtière, il s’adresse en particulier à la gestion des AMP par « la mise au point de critères pour leur création et leur gestion ».

20  Cette notion englobe « l’utilisation durable des ressources halieutiques avec l’environnement et le recours à des méthodes de capture et d’aquaculture sans effets nocifs sur les écosystèmes, les ressources ou leurs qualités. Ce concept fait également place à la notion de valeur ajoutée aux produits, par des processus de transformation respectant les normes sanitaires requises, et à l’adoption de pratiques commerciales permettant d’assurer aux consommateurs l’accès à des produits de qualité » : extrait de la Conférence Internationale sur la pêche responsable de Cancùn de 1992, organisée à l’initiative du gouvernement mexicain en coopération avec la FAO.

21  La notion de pêche artisanale suppose d’être définie au moyen de critères techniques et juridiques rigoureux. Bien souvent, lors de nos investigations nous avons observé (à l’intérieur des AMP ou à leur périphérie), l’existence de flottilles de pêches dites « artisanales », mais qui obéissent, en réalité, à une logique totalement industrielle. Sans rentrer dans les détails, certains indices nous permettent d’avancer cette hypothèse: le nombre très important d’unités de pêche (pirogues de 5 à 25m de long avec une capacité motrice en proportion), la multiplication de campements nomades, très mobiles et bénéficiant d’installations de transformation des produits in situ,  l’utilisation de filets maillants d’une longueur de plusieurs kilomètres, le ciblage d’espèces à forte valeur ajoutée (raies, requins…), la dépendance des équipages vis-à-vis des armateurs et des mareyeurs extérieurs, des flux commerciaux dépassant largement le simple échelon local…       

22  Par savoirs vernaculaires, on entend : « ensemble des connaissances propres à une communauté et qui, plus ou moins systématisées, ont été acquises dans son expérience historique. La transmission de ces savoirs est traditionnelle, mais leurs contenus et leurs origines sont composites : aussi souvent véhiculés par les migrations, les voyages, les conflits, la colonisation, que par la mémoire collective » F.Féral 2002 - Sociétés maritimes, droit et institutions des pêches en Méditerranée occidentale. FAO, document technique n°420, Rome.

23  François Féral, Analyse des politiques publiques des aires marines protéges ouest-africaines, Pojet CONSDEV, Synthèse régionale, WP4, février 2004.

24  Membres de l’Institut sur la Gouvernance, Principes de gouvernance pour les aires protégées au XXIème siècle, cités par F. SIMARD, Coordinateur du Programme Marin, Centre pour la Coopération Méditerranéenne de l’UICN, Malaga, octobre 2003, (www.uicn.org).  

25  « …basée sur l’application des méthodologies scientifiques appropriées focalisées sur les niveaux de l’organisation biologique qui comprend les processus et les interactions essentiels des organismes et de leur environnement. L’approche écosystémique reconnaît que les humains sont une composante à part entière des écosystèmes » , Conférence des parties à la CDB, janvier 1998.

26  C. de Roany, L’approche par écosystème pour la gestion des pêcheries : un concept en quête de définition, Droit de l’Environnement N°116-mars 2004.

27  C. de Roany, L’approche par écosystème pour la gestion des pêcheries, op.cit.

28    Selon le Pr. D.M. Kabala «…il pourrait être utile d’institutionnaliser un mécanisme planétaire de régulation et de contrôle en matière de gestion rationnelle des ressources naturelles et de maintien de la capacité sustentatrice de la Terre pour la poursuite de l’évolution culturelle de l’homme », Protection des écosystèmes et développement des sociétés, op.cit., p. 177.

29  F.Féral souligne la « Typologie dualiste des institutions » caractérisée par une dichotomie entre« l’appareil d’Etat et les institutions de la société civile ». Cette présentation permet de mettre en lumière « le rapport de partenariat entre d’une part les institutions qui dépendent de l’Etat et qui interviennent à divers titres dans les politiques (pêche, agriculture, environnement, tourisme…) et d’autre part les institutions de la société civile qui fonctionnent au service des différents intérêts catégoriels de ces même secteurs ».

30  F. Rangeon, La société civile, histoire d’un mot, in La Société Civile,ouvrage collectif du CURAP de Picardie, collection des PUF, 1986.

31   atteintes multiples aux libertés individuelles : restrictions, interdictions, autorisations spéciales, régulation de l’installation, de l’entrée et de l’accès aux espaces/ressources…

32  Dès la fin des années 1980, dans plusieurs pays et notamment sur le continent africain, on constate une stagnation chronique, une croissance sans développement, voire même des débuts de régression illustrés par une augmentation de la pauvreté.

33  Associer les gouvernements locaux à des « acteurs non étatiques » peut porter à confusion, plusieurs auteurs qualifient d’ailleurs cette appellation « d’ambiguë ». En effet, ces institutions sont autonomes par rapport à l’Etat central, elles disposent d’une identité, d’un rôle et de pouvoirs propres. Mais, si elles sont démocratiquement élues et politiquement représentées, certains estiment qu’elles ne sont que le « prolongement » des gouvernements centraux et dépendent par conséquent de ces derniers pour l’attribution des financements. Or, c’est précisément ici que ce situe l’enjeu des nouveaux modes de répartitions des aides qui obligent à dissocier ces collectivités territoriales de l’Etat (pour pouvoir les considérer comme de nouveaux acteurs non étatiques), les reconnaître comme des responsables à part entière et leur permettre de bénéficier directement des contributions extérieures.       

34  Pour la gouvernance, la décision, au lieu d’être la propriété et le pouvoir de quelqu’un (individu ou groupe), doit résulter d’une négociation permanente entre les acteurs sociaux… P. Moreau Defarges, La gouvernance, Que-sais-je ? PUF, n°3676, 2003.

35  Sur ces questions, se référer aux travaux particulièrement intéressants de D. Dumoulin, Problèmes d’échelle, histoire et politique de la construction des réserves naturelles comme un bien public mondial, Communication, Colloque « les biens publics mondiaux », Pau, 25 et 26 octobre 2001.

36  Cf. D. Dumoulin, op. cit.

37  Patricia Rosiak, Les transformations du droit international économique, les Etats et la société civile face à la mondialisation économique, l’Harmattan, Collection « Logiques Juridiques », Paris, 2003.

38  La répartition des activités est calquée sur les rythmes saisonniers et renferme tout un répertoire de savoirs vernaculaires transmis traditionnellement par les différents groupes humains utilisateurs du milieu.

39  L’importation internationale du cadre conceptuel, ou de la genèse de l’AMP et l’importation occidentale des modèles administratifs de gestion.

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References

Electronic reference

Bertrand Cazalet, « Les aires marines protégées à l’épreuve du sous-développement en Afrique de l’Ouest Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 5 Numéro 3 | décembre 2004, Online since 01 December 2004, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/3274 ; DOI : 10.4000/vertigo.3274

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About the author

Bertrand Cazalet

Doctorant en droit public, Université de Perpignan, Centre d’Etude et de Recherche sur les Transformations de l’Action publique (CERTAP), 52, avenue Paul Alduy, 66 860 Perpignan, bertrandcazalet@yahoo.fr

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