Skip to navigation – Site map
Dossier : Écologie et économie

Les firmes multinationales face au risque climatique : sauver le capital en sauvant la terre ?

Mathias Lefèvre

Abstracts

Climate change calls into question the activities and practices of numerous economic actors. Trying to face the issue, states have engaged in a prevention process. This process stimulated the reaction of major multinational corporations, who constitute important and powerful actors in the dynamics of world capitalism. They have either try to annihilate or to control the institutional process. Engines of contemporary capitalism, fossil fuels’ producers and big consumers are at the heart of the issue. Seen by some of them as a strategic stake and a potential source of economic opportunities, climate change is the place of battles for new markets between rival firms. But the issue can also be read like the place of a larger battle, between firms and critical elements of the society, where what is at stake is the transformation of existing social structures.

Top of page

Author's notes

La thèse en cours porte sur les stratégies de firmes multinationales face à l'action inter-gouvernementale de lutte contre le changement climatique.

Full text

Introduction

1Le problème du changement climatique, problème d’environnement global, est caractérisé par d’importantes controverses et incertitudes scientifiques. Versées sur la scène publique, celles-ci ont donné naissance à une controverse sociale sur les activités en cause et les solutions à retenir. Cette controverse sociale prend la forme d’une confrontation entre divers acteurs, étatiques (Etats, entités inter-gouvernementales) et non étatiques (ONG, firmes multinationales, etc.), qui sont autant de perceptions de ce qui fait problème, d’intérêts et de visions du monde.

2Dans cet article, nous traitons exclusivement des firmes multinationales, et de leurs réactions et actions face au problème et au processus de réglementation internationale engagé par les Etats. Aujourd’hui acteurs économiques et politiques majeurs, les firmes multinationales (FMN) sont, parmi toutes les entreprises, celles qui ont cherché à se faire entendre, qui ont émis des positions et se sont appliquées à les faire valoir. A vrai dire, face à un problème d’environnement global tel que le risque climatique, avec la perspective d’une action inter-étatique de prévention, elles sont vraisemblablement les premières, en tant qu’entités multinationales, à avoir pressenti une « menace » potentielle pour leurs activités marchandes, mais également les seules à disposer des moyens de réagir et d’influer.

  • 2  Dans cet article, nous entendons par « réglementation », le fait, pour une autorité étatique, de r (...)

3Après une présentation de ces acteurs privés multinationaux, de leur place, rôle et pouvoir dans la dynamique du capitalisme mondial, nous porterons notre attention, de façon assez synthétique et informative, sur le risque climatique lié à l’accentuation anthropogénique de l’effet de serre, et sur le processus de prévention engagé au niveau international et les éléments de réglementation2 négociés. Abordant ensuite les réponses de firmes appartenant aux industries concernées (combustibles fossiles, chimie, sidérurgie, etc.), nous tenterons, dans notre interprétation de l’affaire, de souligner comment tout cela s’encastre dans la dynamique politico-économique du capitalisme mondial. Le risque climatique semble déterminer de nouvelles batailles pour les marchés, entre firmes rivales. Celles-ci se positionnent, pour essayer de tirer parti de la réglementation envisagée, ou pour l’annihiler. Plus largement, les réactions d’industriels peuvent s’analyser comme des stratégies visant à restaurer/préserver les aspects essentiels de structures sociales favorables, en réponse à des mises en cause et en question de leurs activités, voire de leur existence. Cela nous conduira à nous interroger sur la signification des diverses postures adoptées par les FMN face au problème du changement climatique.

La FMN dans le capitalisme mondial : acteur économique et politique

Essor et consécration de l’acteur économique multinational

  • 3  Le capitalisme mondial, lié à la multinationalisation des firmes, entendu non pas comme processus (...)

4Le contexte global dans lequel a pris forme la question du changement climatique est celui du capitalisme mondial3. Réalité englobante d’aujourd’hui, le capitalisme est fondamentalement caractérisé par la recherche de profit en vue d’élargir le champ des activités profitables : « production (ou négoce) pour le profit, profit pour l’accumulation, accumulation pour une production (un négoce) et un profit accrus » (Beaud, 2000, p. 405). Cette poursuite incessante et indéfinie de l’accumulation pour l’accumulation, associée à la transformation de toute chose en marchandise (Wallerstein, 2002), se trouve au cœur du capitalisme. Combinée à l’innovation et la transformation continue du processus de production (Schumpeter, 1990), elle en détermine la dynamique principale.

5Sous le capitalisme, l’instrument premier pour la production et la distribution de marchandises est la firme (Chandler, 1992). Organisation industrielle, commerciale et/ou financière, mais aussi lieu de contestation sociale et de pouvoir (Amoore, 2000 ; Coriat & Weinstein, 1995), la firme est l’entité légale au sein de laquelle se concrétise l’innovation, et qui permet au processus d’accumulation de se faire, le plus souvent avec le soutien plus ou moins significatif de l’Etat national. Elaboration de nouvelles marchandises et de nouvelles machines, recherche de nouveaux débouchés, de nouvelles occasions de profit, et recherche (voire création) de nouveaux besoins solvables à satisfaire – les seuls que le capitalisme prenne en compte –, la firme a constamment pour objectif de renforcer, d’élargir et de renouveler ses marchés. Il est une quasi-nécessité, pour elle, de croître pour perdurer (Morvan, 1985).

6Le processus de « multinationalisation » (ou de « transnationalisation ») s’inscrit dans cet impératif de croissance de la grande firme nationale : celle-ci ne cherche plus seulement à exporter, elle investit à l’étranger, elle délocalise tout ou partie de la production, elle implante à l’étranger plusieurs filiales dans plusieurs pays (Michalet, 1998 ; Andreff, 2003). Jusqu’au début du XXe siècle, ce processus s’appuyait de façon prédominante sur une stratégie d’approvisionnement (matières premières). Désormais, la FMN combine une stratégie de marché à une stratégie de rationalisation de la production, et s’applique à une intégration mondiale de la production. Le lieu de création de la valeur est ainsi déplacé ; le processus d’accumulation est mondialisé afin de pouvoir être perpétué.

  • 4  Il est ici opportun de rappeler, avec Rachline (1991), que le marché, « véritable vitrine du capit (...)
  • 5  « Pratiquement d’ailleurs, le capitalisme n’existe que dans la mesure où l’espace économique réel (...)

7Par la multinationalisation, la firme en quête de flexibilité accrue en vient alors à établir un marché « interne », qu’elle coordonne grâce aux technologies de l’information et de la communication, en s’appuyant sur des moyens de transport sur longues distances, rapides et puissants. Elle forme une « structure internalisée » (Michalet, 1998 ; 2004), et on parle de commerce « intra-firme ». Ainsi, elle se place hors-marché, et cherche à exploiter les disparités entre pays4. Dorénavant, les FMN conçoivent leurs stratégies mondiales en jouant sur les caractéristiques de leur pays d’origine et sur celles des pays potentiellement hôtes : infrastructures et services publics, coûts et niveaux de qualification de la main d’œuvre, qualité du système de la recherche et des infrastructures scientifiques, moyens de financement, prix de l’énergie et des matières premières, etc.5. De fait, comme le souligne Michalet (1998, p. 226), « cette capacité à exploiter les avantages de localisation pour maximiser leur avantage compétitif les conduit à faire des Etats-nations des auxiliaires subordonnés dans la concurrence internationale ». Ceux-ci voient leurs politiques économiques et industrielles de plus en plus conditionnées par les stratégies des FMN, qui les condamnent désormais à se concurrencer entre eux pour attirer des investissements. L’Etat, historiquement soutien de son capitalisme national, devient alors « mondialisateur », il « intervient en faveur des multinationales, s’adapte à la mondialisation des firmes et la promeut » (Andreff, 2003, p. 92).

8L’investissement direct à l’étranger (IDE), aujourd’hui mesure et vecteur principal de la multinationalisation des firmes, est un capital qu’investit une FMN dans la création et l’implantation d’une nouvelle filiale à l’étranger, ou dans la prise de contrôle d’une firme étrangère déjà existante. Cet IDE est fortement polarisé. En 2001, le stock d’IDE est concentré à près de 70 % dans les pays de la Triade, constituée des trois grands pôles que sont l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon (CNUCED, 2003). Ainsi, c’est une proportion croissante du commerce international qui s’opère à l’intérieur des FMN : en ce tout début de XXIe siècle, les flux intra-firmes constitueraient 40 % de ce commerce (Michalet, 2004), si bien que, selon la CNUCED (op. cit., p. 19), « l’IDE continue de jouer un rôle plus important que le commerce dans la fourniture de biens et de services à l’étranger ». La dynamique des FMN ne fait qu’aggraver la polarisation observée, car c’est de façon très sélective que celles-ci s’intéressent aux pays extra-triadiques, principalement pour leurs marchés et les matières premières.

9Entre rivalité et collaboration, les FMN et les pays de la Triade concourent ainsi à la formation d’un « ensemble à la fois national, multinational et mondial, très fortement inégal et hiérarchisé » (Beaud, 2000) : à eux seuls, quelques grandes firmes (pour la majorité américaines) et quelques puissants pays contrôlent la presque totalité de la production marchande et des échanges, et le principal des moyens financiers, de la recherche scientifique, du développement technique et de la capacité d’innovation.

Le pouvoir structurel de la FMN, acteur politique

  • 6  « La structure de la production est l’ensemble des accords qui déterminent ce qui est produit, par (...)
  • 7  Ce qui ne remet pas fondamentalement en cause la relation de dépendance mutuelle qu’elles entretie (...)
  • 8  Susan Strange semble entendre par « structure », un ensemble d’accords qui à la fois déterminent d (...)

10Dans sa forme multinationale, la firme domine aujourd’hui la structure de la production6. De l’agroalimentaire à l’automobile, en passant par les télécommunications et l’électronique, la construction, l’énergie, la pharmacie ou encore l’habillement, une très large part de ce qui est, de nos jours, produit, distribué puis consommé, porte le sceau de FMN. La FMN est devenue un acteur non étatique central au sein de l’économie politique internationale. Cette consécration s’est accompagnée d’une transformation du rôle et de la place de l’Etat dans l’économie mondiale. Pratiquement réduit à devoir séduire les investisseurs, ce dernier ne connaît plus d’autorité souveraine sur l’économie (Scholte, 1997 ; Strange, 1996). Si l’avenir d’une FMN dépend fondamentalement de sa capacité à demeurer rentable et compétitive face à ses rivales, et donc à produire et commercer dans un cadre institutionnel, social et productif que seul l’Etat est à même de lui garantir, nous l’avons vu précédemment, l’avenir industriel d’un pays, sa spécialisation commerciale, dépend, de manière de plus en plus décisive, des choix stratégiques que feront ces FMN7. En tant que propriétaires des moyens de production, et organisatrices du procès de production, les FMN détiennent ainsi un pouvoir « structurel » significatif (Strange, 1996 ; Gill & Law, 1989). Ce pouvoir diffus est celui de déterminer le contexte dans lequel les autres acteurs prennent leurs décisions ; il est un pouvoir sur les structures, la capacité de les façonner d’une certaine manière8.

  • 9  Pour différentes discussions théoriques de la firme comme « acteur politique » (Sklair, 1998) et d (...)
  • 10  Le pouvoir structurel demeure un pouvoir qui peut être contesté (par l’Etat, par des firmes rivale (...)

11Ainsi, dans son rapport à l’Etat national, la firme, et plus encore la FMN, occupe une place privilégiée. Toutefois, le fait qu’elle ait une telle position ne signifie pas, pour autant, que ses ambitions et ses intérêts soient obligatoirement, de tout temps et en tout lieu, favorisés. En effet, garant contre toute désagrégation sociale, et soucieux de sa légitimation, l’Etat peut devenir gênant, privilégier certaines branches ou certains secteurs d’activités, ne pas en satisfaire d’autres (Vogel, 1987). De la sorte, il peut influer sur la compétitivité et la profitabilité des firmes. Cette potentialité de voir leur « santé économique » contrariée par des politiques étatiques a conduit la plupart des firmes, et plus particulièrement les FMN, à considérer très sérieusement, de façon plus systématique, l’action politique9. Celle-ci constitue une dimension essentielle de leurs stratégies industrielles et commerciales ; la stratégie politique vient ainsi en complément de la stratégie concurrentielle. Le lobbying, le financement de candidats politiques, la communication, et la formation de coalitions permanentes et ad-hoc, intra- et inter-industries, s’inscrivent dans cet « activisme ». Ils représentent les canaux d’influence dont se servent les firmes nationales et multinationales pour réagir contre les intentions régulatrices des Etats, ou pour gagner un avantage compétitif quelconque. C’est via ces canaux, et notamment via leurs associations représentantes, que les FMN tentent d’orienter, d’influencer, d’affecter, voire d’annihiler les diverses actions inter-gouvernementales de protection de l’environnement global, comme nous le verrons dans notre discussion sur la prévention du risque climatique. Ainsi, leur pouvoir structurel, lié à leur poids dans les économies nationales et l’économie mondiale (production, investissement, emploi), est en quelque sorte entretenu par ces stratégies politiques10.

12Au sein de l’ordre mondial, la FMN représente donc un acteur économique et politique central. Son pouvoir sur les structures, et notamment la structure de la production, se traduit par une influence remarquable sur les modes de vie et l’orientation des sociétés. Du fait de sa taille et de ses activités de production, de transformation et de distribution de marchandises, elle est également un acteur important de la dégradation écologique. Elle l’est, en particulier, par l’usage immodéré qu’elle fait de l’ingrédient essentiel à l’existence et à la pérennité de ces activités : l’énergie, base du mode de vie moderne. Pour les transports, l’industrialisation, l’urbanisation, l’énergie est au cœur du capitalisme contemporain. Structurellement dépendant de la consommation des ménages, ce dernier l’est aussi devenu des combustibles fossiles : charbon (premières phases du capitalisme industriel), pétrole et gaz naturel. Ces sources d’énergie sont cependant également, nous allons le voir, au cœur du problème lié au climat global.

Le risque climatique : émergence, institutionnalisation et réglementation

« Tout phénomène environnemental est nécessairement un produit social conditionné par la façon dont l’alerte à son sujet a été déclenchée et dont l’affaire correspondante s’est ensuite développée. »

13Philippe Roqueplo, Climats sous surveillance, 1993.

Emergence du problème d’environnement global, entre controverses et précaution11

  • 11  Pour une bonne synthèse historique de l’émergence de l’affaire, entre science et politique, se rep (...)

14Le problème du changement climatique trouve son origine dans une question de savants ; il est, à la base, une construction scientifique. Cette construction s’illustre par l’existence d’importantes controverses et incertitudes scientifiques sur l’ampleur du phénomène, la responsabilité humaine, les liens de causalités et les conséquences potentielles. En effet, il n’existe pas, aujourd’hui encore, une parfaite stabilisation du savoir. On sait comment « fonctionne » l’effet de serre. On a pu mesurer l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, ces gaz issus des activités humaines de production, de consommation et de transport. On sait que cette augmentation peut constituer une cause d’élévation de la température, si l’on omet l’existence d’effets compensateurs. Mais, dans les années 1980, alors que l’alerte a été lancée, on ne sait pas encore, de façon précise, la part de l’homme dans l’accentuation de l’effet de serre, si accentuation il y a. Et si les modèles climatiques, et les projections effectuées, donnent à voir des modifications à venir de la durée, de la localisation, de la fréquence et de l’intensité d’événements extrêmes tels que les inondations, les sécheresses et les tempêtes, on ne sait pas, avec précision, quoi (quelle sera l’amplitude de l’élévation des températures et de ses diverses conséquences climatiques ?), quand (à quel rythme : demain, dans 50 ans, 100 ans ?) et où (quelles régions seront principalement concernées, quelles régions bénéficieront des modifications du climat, quelles sont celles qui les subiront ?).

15En outre, il n’y a pas aujourd’hui de dommages perceptibles par des agents présents, des dommages dont on peut certifier le lien avec une modification du climat. S’il est avéré que les conséquences climatiques concerneront avant tout des individus encore absents (les générations futures), une perception généralisée du risque climatique semble néanmoins demeurer assujettie à l’apparition de dommages dont on pourra assurer qu’ils sont la résultante d’un effet de serre anthropogénique (si tant est que l’on puisse un jour y parvenir…).

  • 12  Les sécheresses survenues aux Etats-Unis en 1988. Sur le rôle de ces événements catastrophiques da (...)

16C’est l’association des travaux et des informations scientifiques, de la mobilisation internationale de chercheurs ainsi que de militants écologistes, de la survenance d’événements climatiques extrêmes « actualisateurs »12 et des médias, qui va alors contribuer à la « politisation » de la question et à la naissance d’une controverse sociale sur les responsabilités en jeu, sur les activités en cause, puis sur les solutions à apporter à ce qui, de fait, fait maintenant « problème ». Malgré la vive controverse sur l’ampleur du phénomène, les différents liens de causalités et les conséquences, le risque potentiel d’irréversibilité et la forte mobilisation internationale des scientifiques et des écologistes ont contribué à la création d’un climat d’urgence. Et c’est dans ce climat d’urgence que se déroule la controverse sociale.

17Celle-ci prend forme d’une interférence de divers intérêts, industriels et commerciaux, politiques et médiatiques. Divers acteurs, c’est-à-dire différentes perceptions, différentes compréhensions de ce qui fait problème, différentes visions du monde, du futur, et de la nature, mais aussi différentes positions sociales et politiques, s’affrontent alors : pour certains, la lutte face au risque climatique constituerait une menace pour leurs intérêts et la pérennité de leurs activités ; pour d’autres, elle serait potentiellement porteuse d’opportunités ; pour d’autres encore, elle est plus une question d’éthique, de justice, de responsabilité envers des générations futures, envers les pays du Tiers-Monde, envers la Biosphère…

18Au cours de ce processus social va s’imposer l’idée d’agir « par précaution », alors que les controverses scientifiques demeurent : il va s’imposer l’idée qu’on en sait assez pour convenir de la nécessité d’agir, même si de nombreuses zones d’ombres demeurent encore.

19Cette nécessité de lutter face au risque climatique – problème d’environnement global, dont les causes (les émissions de GES), et les conséquences, sont/seront planétaires – s’envisage cependant comme une réduction globale des émissions de GES. Cela concernerait ainsi, à travers le monde, toutes les activités émettrices des six principaux GES comptabilisés (à savoir : le CO2, le CH4, le N2O, le HFC, le PFC et le SF6). Les émissions de CO2 sont attribuables aux activités utilisatrices de combustibles fossiles (transports, production d’électricité et de chaleur, production d’acier, de ciment, de produits chimiques, et autres industries lourdes, etc.), elles sont liées à l’énergie. Quantitativement dominantes, et en croissance constante, elles vont de ce fait constituer, au fil de la controverse sociale, celles que l’on va principalement chercher à réduire. D’autres sources d’émissions de GES sont le déboisement et la modification des sols, la riziculture (pour le CH4), la fermentation entérique (vache et termites) ou la combustion de biomasse.

20Ainsi, la question controversée qu’un groupe d’acteurs, scientifiques et écologistes, ont portée sur la scène publique, met principalement et profondément en cause des modes de production et de consommation, et une société qui est structurellement dépendante des combustibles fossiles. Elle appelle à s’interroger sur des activités, des politiques, des pratiques, des comportements, et en fin de compte, une façon de vivre, voire une conception de la vie.

Processus institutionnel de prévention et forme de la réglementation

21Pour faire face au risque climatique, prévaut l’option de la coopération au niveau international. Décision au cheminement peu clair, à la toute fin des années 1980, les principaux Etats industrialisés (ceux de la Triade) engagent, dans le cadre des Nations Unies, un processus de prévention du risque climatique. En effet, étant donné le caractère planétaire du risque, l’approche qui a prévalu a été celle d’une action collective inter-étatique. Celle-ci passera par la négociation d’une convention internationale d’environnement, lieu de multiples batailles politiques et idéologiques, où se mêlent Etats et acteurs non étatiques (Newell, 2000). Un texte est adopté en 1992 à la conférence de Rio de Janeiro, dans lequel les pays de la Triade précisent leurs responsabilités passées (« communes mais différenciées ») dans les émissions de GES et leur devoir de « prendre la tête » de la lutte face au risque climatique ; c’est la Convention des Nations Unies sur les Changements Climatiques ou « Convention Climat », qui entrera finalement en vigueur en mars 1994, après ratification par toutes les Parties à la Convention. A l’occasion de la conférence de Rio, et sous la pression des mouvements écologistes et de pays du Sud, les pays de la Triade (plus Europe de l’Est et Russie) se sont publiquement donné l’objectif de revenir, en 2000, à leurs niveaux d’émissions de 1990. La proposition n’implique rien de légalement contraignant, elle tient plus de la rhétorique. Ces pays s’engagent également à aider les pays du Sud – les pays extra-triadiques –, en fournissant des ressources financières et en facilitant les transferts technologiques.

  • 13  La Conférence des Parties (COP en anglais) est l’autorité suprême de la Convention Climat : elle e (...)

22Trois ans plus tard, à Berlin, face à l’inefficacité des engagements volontaires pris à Rio, la Conférence des Parties13 reconnaît alors la nécessité d’un renforcement des engagements des pays industriels. C’est le Mandat de Berlin, qui, parallèlement à l’élaboration d’objectifs quantifiés de limitation et de réduction des émissions de GES, c’est-à-dire de quotas, va prévoir d’élaborer des politiques et des mesures à visées nationales. Opter pour des objectifs quantifiés de réduction, c’était alors se lancer dans la mise en place d’un système d’échange de quotas, et ainsi laisser tomber l’idée, initiée par l’Union européenne, d’établir une taxe internationale sur le carbone et l’énergie (Hourcade, 2001).

  • 14  Au 1er septembre 2004.

23Après deux années et demi de négociations intenses, alimentées par la consolidation d’un consensus scientifique sur ce qui fait problème, la responsabilité humaine dans le phénomène, et les risques à venir, les 180 Etats-Parties à la Convention Climat conviennent d’adopter un Protocole à la Convention : le Protocole de Kyoto est adopté en décembre 1997 à la troisième réunion de la COP (COP 3). Il confirme le choix de raisonner en termes d’objectifs quantifiés à atteindre. D’après cet accord, toujours en cours de ratification14, les pays de la Triade (plus Europe de l’Est et Russie) ont accepté l’obligation juridique de réduire globalement leurs émissions de GES de 5,2 % d’ici la période 2008-2012 par rapport à l’année de référence 1990 – le chiffre convenu est fonction de la marge de manœuvre envisageable de chaque pays : notamment, les perspectives de croissance démographique et économique, le système énergétique et l’organisation des transports dans chaque pays. Ce traité engage les pays signataires à élaborer et à appliquer des politiques et des mesures au niveau national, et éventuellement régional, telles que l’amélioration de la productivité énergétique, par l’instauration de normes, ou la promotion des sources renouvelables d’énergie.

  • 15  A partir du moment où avait été fait le choix d’une gestion des réductions des émissions par la fi (...)
  • 16  Les pays ayant souscrit à un engagement de réduction de leurs émissions appartiennent à l’annexe B (...)
  • 17  Pour une présentation de cet instrument économique et des mécanismes de Kyoto, voir, parmi les nom (...)

24En outre, le choix fait un peu sous hypnose d’adopter des objectifs quantifiés de réduction, va finalement, mais logiquement, aboutir à l’adoption d’un système d’échange de permis d’émission15. Dans le but officiel principal de faciliter le respect des engagements internationaux pris, des mécanismes particuliers ont alors été créés, et sont aujourd’hui encore en phase de mise en oeuvre. Ces mécanismes dits « de flexibilité » concernent pour l’essentiel, le commerce inter-gouvernemental de permis d’émissions entre pays ayant souscrit aux obligations de réduction, la mise en œuvre conjointe de projets de réduction des émissions (MOC) et le mécanisme pour un développement « propre » (MDP)16. La MOC et le MDP participent à la constitution du même instrument de restriction des émissions, le commerce de permis d’émissions de GES à un niveau international, dont il reste à définir l’ensemble des règles, avant qu’il soit mis en place17.

25Devenus par la suite un enjeu prépondérant des négociations sur le climat, l’objet central de stratégies de firmes, ces mécanismes faisant appel au marché et au capital ont été conçus pour permettre aux Etats de l’annexe B (et implicitement, aux firmes qui ont des activités sur les territoires de ces Etats), soit de réaliser leurs efforts de réduction en-dehors de leur territoire, là où les coûts sont supposés plus faibles et les potentiels de réduction plus importants, soit de bénéficier des efforts effectués par d’autres, au moyen de transferts de leurs réductions d’émissions sous la forme de crédits d’émissions. La notion de « flexibilité » traduit explicitement le souhait (en premier lieu, des pays et firmes de la Triade) de minimiser les impacts économiques des politiques climatiques (Lefèvre, 2002).

Les industriels face à l’intention de réglementation, ou la voie de l’accommodement

  • 18  « The influence of TNCs extends over roughly 50 per cent of all emissions of greenhouse gases. Thi (...)

26Le risque climatique et la formation d’un processus de réglementation, ont suscité la forte mobilisation de multiples FMN, appartenant à diverses industries. Au début des années 1990, près de la moitié des émissions totales de GES sont dues aux activités de ces acteurs18. Les producteurs de combustibles fossiles (pétrole, charbon, et dans une moindre mesure, gaz naturel), et les branches et secteurs industriels fortement dépendants de ces sources d’énergie pour leurs activités de production, de transformation et de distribution, se trouvent au cœur du problème. Ils sont a priori les principaux concernés par une réglementation visant à réduire ou maîtriser les émissions de GES (de CO2 en particulier). C’est ce qui a induit, et induit toujours, globalement, une forte résistance aux actions étatiques et inter-étatiques engagées. Il s’agit, pour ces industriels, de protéger leur position de marché, leur profitabilité et leur légitimité sociale (Levy & Newell, 2002). Avec l’adoption, par un grand nombre de FMN, d’un discours pro-actif et d’une posture plus coopérative et accommodante, l’ambition des firmes peut néanmoins également être interprétée de façon plus large, comme visant la restauration/préservation des structures sociales du capitalisme contemporain.

Les stratégies politiques, de la résistance à la pro-action

  • 19  Les éléments de critique émanent du mouvement écologiste et des ONG qui le représentent, mais égal (...)

27Que le capital transnational ait un pouvoir structurel sur les économies capitalistes, du fait de leur besoin systémique de croissance – qu’il impose sa logique aux autres acteurs –, n’implique pas qu’il forme un bloc homogène (Newell & Paterson, 1998). Par définition, sous le capitalisme, les firmes sont en compétition : elles s’affrontent pour des parts de marché, ou pour l’accès aux ressources. De fait, face à un processus institutionnel de réglementation de leurs activités, les FMN concernées peuvent être conduites à se positionner différemment selon leur situation financière et économique, leur position de marché et leurs avantages compétitifs, leur organisation, leurs compétences centrales et leur culture, leur environnement institutionnel, leur pays d’origine et les politiques qui y ont déjà cours. Certaines tenteront d’annihiler l’intention régulatrice, la jugeant néfaste, alors que d’autres auront estimé qu’elles peuvent tirer un avantage concurrentiel futur de l’application de la réglementation. Ces dissensions entre firmes, entre et au sein de « fractions du capital », se reflètent dans les stratégies politiques mises en œuvre et leur poids respectif sur le processus institutionnel. En cela, il s’agit de distinguer entre des champs de bataille : notamment, entre celui où se concurrencent les firmes, au sein de l’économie mondiale (bataille pour les marchés), et celui où s’opposent le capital multinational et ceux qui le critiquent (bataille sur les structures sociales)19. Ces deux champs s’enchevêtrent dans la question climatique.

  • 20  La difficulté étant bien entendu de parvenir à une position commune, selon le degré d’hétérogénéit (...)
  • 21  L’Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles (OICA), l’International Aluminium Inst (...)

28Les divisions entre firmes, entre et au sein de branches ou de secteurs, se sont révélées dans la formation d’organisations représentantes, canal d’influence collective. Face à la perspective d’une réglementation, une FMN peut agir en son propre nom et faire valoir sa position particulière. Plus fréquemment, lorsque son intérêt rejoint celui d’autres firmes, elle optera pour l’action collective au sein d’un groupe, déjà existant ou ad-hoc, formant ainsi une coalition de firmes, rassemblant des firmes d’une même industrie, d’une même branche, ou des firmes appartenant à différentes branches et industries n’ayant ainsi pas coutume de se côtoyer. Épaulés par des experts, axant en grande partie leurs actions sur la communication d’informations et la forte présence sur les lieux de négociation, ces groupes concourent à la défense d’intérêts collectifs et à la promotion d’une position partagée par chacun des membres, auprès des instances administratives20. Moyen d’organiser les efforts des firmes, de concentrer le pouvoir, « porte-parole », le regroupement permet de mutualiser les coûts du lobbying alors entrepris. Le risque climatique a été l’occasion de voir apparaître ces assemblages de firmes peu habituels qui, contrairement aux associations professionnelles, souvent anciennes, créées pour promouvoir le développement et l’expansion mondiale d’une industrie ou d’un commerce21 (et donc pour éloigner toute entrave à ce développement), se sont formés spécifiquement pour affronter un problème précis, une politique ou une réglementation à venir.

29La Global Climate Coalition (GCC), organisation américaine représentante des « intérêts fossiles » (pétrole, charbon, automobile, acier, chimie, etc.), constituée de firmes et d’associations professionnelles nationales, est apparue en 1989 dans le but bien précis de contrer, et si possible couler le processus inter-gouvernemental de prévention naissant. Au même titre que le mystérieux Climate Council, proche des pays producteurs de pétrole, la GCC s’inscrit typiquement dans une posture de résistance : coûte que coûte, Kyoto ne doit pas être mis en œuvre. L’argumentation s’appuie sur une remise en question des fondements scientifiques du problème d’environnement, sur la mise en avant des impacts économiques supposés négatifs d’une restriction des rejets gazeux, et la crainte d’une perte de compétitivité internationale. Leur objectif a été partiellement atteint avec le retrait des Etats-Unis du Protocole de Kyoto, en mars de l’année 2001.

  • 22  Les groupes cités en note 22 (hormis l’OICA), les pétroliers de l’IPIECA et ceux, européens, d’EUR (...)
  • 23  Sur cette proposition de directive européenne, voir Liberatore (1995) et Haigh (1996). Sur le rôle (...)

30Dans une posture qui correspond relativement plus à celle de l’acquiescement qu’à celle de la résistance ferme, figurent la plupart des autres groupements de représentation, ad-hoc ou déjà existants22. Ceux-ci, à l’instar de la GCC, soulignent bien le caractère menaçant pour la compétitivité internationale de leurs membres d’une réglementation de leurs activités, et estiment, quitte à agir, que les technologies et le marché doivent jouer un rôle majeur dans la recherche de solutions. A la différence de la GCC, cependant, ils n’expriment pas de scepticisme particulier à l’égard du risque climatique, et n’aspirent pas explicitement à détruire le processus de prévention. Dans l’ensemble, ils visent plutôt à l’accompagner, à y participer, pour l’influencer en faveur de leurs membres, et tenter d’en tirer parti ou de ne pas être lésés. La CCI, les chimistes du CEFIC, le WCI ou les électriciens européens d’EURELECTRIC, toutes des organisations ayant formulé, aux différents moments de la négociation, des positions sur les politiques et mesures en discussion, ne nient pas l’existence d’un problème liant climat global et activités industrielles, et la nécessité d’une action de prévention. Toutefois, elles veillent, lobbying aidant, à ce que cette action ne desserve pas leurs membres. En cela, elles cherchent à délimiter les frontières de la négociation (Newell, 2000). Que l’on songe à l’hostilité générée par la proposition émise en 1991-92 par la Commission européenne, d’imposer une taxe mixte CO2-énergie aux firmes européennes. Les branches et secteurs intensifs en énergie et les FMN ont joué un rôle central dans le front contre la proposition, notamment via les organisations EUROPIA, CEFIC, IFIEC, EUROMETAUX, EURELECTRIC et UNICE23. Lorsqu’elle est ainsi perçue par tous comme potentiellement dommageable à la compétitivité internationale et à la pérennité des activités productives – qu’elle puisse l’être effectivement ou non –, la réglementation envisagée doit être amendée dans le sens d’une moindre efficacité, ou mise aux oubliettes. Grèves de l’investissement, emplois, délocalisations, croissance économique, les FMN ont un portefeuille de menaces plus ou moins crédibles à faire valoir contre l’ambition régulatrice de l’Etat. C’est un état de fait, dans son rapport au capital transnational, l’Etat, cherchant à appliquer au niveau national ou international des politiques de défense de l’environnement, tend invariablement, invité par ledit capital ou une fraction hégémonique, à devoir reconsidérer ses intentions.

31D’une résistance dure, active, très bien exprimée par les américains de la GCC et les industriels de l’énergie, l’évolution du processus de prévention du risque climatique, avec notamment l’adoption des mécanismes de flexibilité, a donné à voir un mouvement de la part de nombreux industriels, vers une résistance relativement plus « douce », moins exposée. Quelles que soient les positions réelles, il ne s’agit pas de montrer qu’on ne croit pas à la réalité du risque d’environnement, et qu’on ne veut rien faire pour le prévenir. Au contraire, il s’agit de se montrer coopératif. L’épisode européen de la taxe CO2-énergie a été assez déterminant. Pas vraiment consultés lors de la préparation de la proposition de réglementation, les industriels ont réagi avec férocité ; il fallait « tuer l’idée de taxe ». De fait, en partie parce que contraint de répondre à des demandes sociales de protection de l’environnement, l’Etat a été conduit à revoir son mode de réglementation du monde « récalcitrant » des affaires. Préserver des conditions stables d’accumulation et une légitimité sociale a, par ailleurs, exigé des FMN concernées une posture plus constructive et accommodante, voire pro-active. La « liberté du capital » doit être préservée, et même accrue, la contestation sociale et les critiques, satisfaites.

Luttes intra-capital et poussées des « éco-modernisateurs »

« We need to take the appropriate steps in order to ensure that our business remains sustainable. »

32Lord Brown, BP, Londres, novembre 2003.

« While my great-grandfather was a leader in the first industrial revolution, I want Ford Motor Co. to be a leader in the second industrial revolution – the clean revolution. »

33William Clay Ford Jr, Ford Motor Company, janvier 2000.

  • 24  Ces positions plus mesurées tiennent vraisemblablement à la difficulté, au sein de formations asso (...)
  • 25  Bien que significatives, ce ne sont pas tant ces quelques défections, mais bien la décision améric (...)
  • 26  Plus exactement, le WBCSD trouve son origine dans le Business Council for Sustainable Development (...)

34Aux côtés des firmes qui voient dans le processus inter-étatique de réglementation une menace pour la pérennité de leurs activités, un frein potentiel qu’elles cherchent à casser, et celles qui y voient, certes, une menace, mais qui, relativement, plutôt acquiescent face à la perspective d’une telle réglementation (sans, pour autant, ne pas chercher à l’influencer)24, il y a celles pour qui cette perspective semble désormais « intéressante ». Avec la consolidation du consensus scientifique sur le risque climatique, et l’institutionnalisation de ce risque – que traduit l’idée qu’« il sera là encore pour un bon moment » –, la GCC a vu quelques uns de ses membres fuir, au profit d’autres coalitions25. Parce qu’en désaccord avec les postures soutenues, et craignant certainement pour leur image publique ou leur réputation, certaines firmes ont jugé bon de délaisser les sceptiques, pour définitivement rejoindre le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Organisation ad-hoc elle aussi, formée en 1991 pour préparer la conférence de Rio, le WBCSD représente actuellement les intérêts de près de 170 FMN, confondant ainsi diverses industries : automobile (Ford, Renault, Toyota), chimie (Monsanto, Dupont), électronique (Sony, Samsung), assurance (Swiss Re), boissons gazeuses (Coca Cola), ciment (Lafarge) ou, bien entendu, énergie (BP, EDF, TransAlta)26. Cette coalition se positionne explicitement en faveur d’une action préventive face au risque climatique, et promeut une conception singulière du « développement soutenable », axée sur l’innovation technique, l’efficacité énergétique et les solutions de marché. Au même titre que le Business Environmental Leadership Council (BELC, un groupement lié aux américains du Pew Center), les français d’Entreprises pour l’Environnement (EPE), ou le groupe initié par l’ONG américaine Environmental Defense, le Partnership for Climate Action (PCA), des alliances dont il comprend certains des membres, le WBCSD exprime l’ambition qu’ont ses représentés de saisir les opportunités industrielles et commerciales d’une lutte contre le changement climatique, et de la protection de l’environnement de façon plus générale. Ainsi, non plus apparaître comme la cause, mais comme faisant partie de la solution au problème, lequel devient un « enjeu de stratégie » (Hoffman, 2001).

  • 27  « Some policy-makers, with the support of forward thinking companies, are taking action to extend (...)

35Ce mouvement vers un « environnementalisme de firme » stratégique s’observe dès la fin des années 1980, alors que prend forme le discours de « modernisation écologique » (voir encadré 1). Des fractions du capital voient ainsi dans la restauration de l’environnement un nouveau champ d’activités profitables, de nouveaux marchés, un moteur potentiel de croissance27.

36Les principales FMN porteuses de l’ambition « éco-modernisatrice » siègent au sein du WBCSD. On y trouve alors quelques uns des plus fervents partisans des mécanismes de flexibilité adoptés à Kyoto en 1997 – une adoption à laquelle il est fort probable qu’ils aient poussé, étant donné le soutien qu’ils portaient déjà à ce type d’outil bien avant Kyoto (Cf. notamment Schmidheiny, 1992). Ceux-ci, afin de promouvoir plus efficacement le système d’échange de permis d’émission – tel qu’ils l’interprètent et l’imaginent –, ont constitué, en 1999, l’International Emission Trading Association (IETA). Comprenant à la fois des industriels des combustibles fossiles pris au sens large (pétrole, charbon, gaz, automobile, chimie, etc.), de l’électricité (nucléaire notamment), mais aussi, et c’est là sa particularité, des brokers (mettre en contact offreurs et demandeurs d’émissions), des consultants (développement de projets de réduction des émissions, prospective du marché et du prix des permis, etc.), et des agences d’audit (mesure, validation et certification des réductions d’émissions), IETA, à l’instar du WBCSD, revêt le rôle d’entrepreneur institutionnel : l’optique est de participer à la mise en forme de la réglementation à venir (définitions, règles, méthodes, agendas), afin qu’elle corresponde le mieux possible aux intérêts des firmes représentées. S’assurer, comme cela est fait, le soutien d’organes clés des Nations Unies, tels que le PNUE et la CNUCED, constitue alors un réel atout.

  • 28  Pour des discussions sur les gestes pro-actifs de ces deux compagnies pétrolières, voir, entre aut (...)

37Ces « ONG d’entreprises » concentrent les FMN qui cherchent à anticiper la transition de marché qu’une prévention du risque climatique implique (Hoffman, 2002). Aux côtés de firmes comme Dupont pour la chimie, ou Lafarge pour le ciment, les compagnies pétrolières Shell et BP sont les exemples les plus connus28. Sans pour autant délaisser leurs activités énergétiques centrales, toutes deux se réorientent vers l’exploitation du gaz naturel (moins « riche » en carbone que le pétrole), investissent dans le solaire photovoltaïque et, plus timidement, dans l’éolien, s’impliquent fortement, à leur échelle, dans l’apprentissage des mécanismes de Kyoto (en particulier le MDP et le commerce d’émissions), misent sur le « management industriel du carbone » (voir encadré 2), et soignent particulièrement bien leurs images publiques. Typiquement pro-actives, ces FMN cherchent à se placer sur les marchés en émergence ou à venir, dans le domaine des énergies renouvelables et l’échange de droits d’émissions de GES. Elles s’inscrivent en net contraste par rapport à l’attitude plus résistante de leur principale rivale, ExxonMobil. Illustration d’une « lutte intra-capital » pour influencer le processus inter-étatique de réglementation, cette divergence de postures est en partie le résultat de l’évaluation comparative que chaque firme a effectuée, entre les coûts et bénéfices de l’action, et ceux de l’inaction. Elle est aussi, très probablement, le fait d’une culture interne qui diffère selon les firmes, de PDG aux perceptions, aux visions et aux référents culturels et idéologiques divergents, de portefeuilles de compétences propres à chacune des firmes, de bases nationales et régionales différentes, d’environnements institutionnels distincts, ou encore, de pressions de la part d’investisseurs. On peut également pressentir, dans les stratégies de placement de Shell et BP, le dessein d’assurer la reconversion de la firme, alors que, les ressources s’amenuisant, il va devenir de plus en plus difficile de répondre à une demande croissante.

38Pour plus d’informations sur ce projet : http://www.co2captureproject.org/​index.htm

39Sur fond de dissensions entre et au sein de fractions du capital, ainsi se dessinent de nouvelles batailles pour les marchés, entre importantes FMN. Au cœur à la fois du capitalisme contemporain et du risque climatique, les industries liées aux combustibles fossiles, poussées à réagir, s’allient ou se font front, afin de préserver des conditions favorables à la continuation et à l’expansion de leurs activités respectives. On assiste alors à l’émergence d’un mouvement de FMN pro-actives qui révèle une volonté affichée d’agir face au problème d’environnement et une attitude plus coopérative envers les Etats, les agences inter-gouvernementales et des ONG environnementales. Adossant le discours légitimatoire de la modernisation écologique, ces firmes espèrent tirer un avantage compétitif de la réglementation climatique, en axant leurs stratégies d’accumulation sur le développement de technologies contribuant (ou supposées contribuer) à la prévention du risque : sources renouvelables d’énergie, technologies « éco-efficientes », carburants « propres », technologies de capture et de stockage du carbone, etc. Elles semblent également miser sur l’échange de droits d’émissions, instrument « flexible » d’incitation à abaisser les rejets gazeux, à même de préserver leur profitabilité, et source potentielle de revenus. Leurs stratégies discursives, organisationnelles et matérielles annoncent ainsi la couleur : sauver le capital en sauvant la Terre.

Conclusion

40Le problème du changement climatique est un produit social, conditionné par la façon dont l’affaire s’est développée à la suite de l’alerte scientifique (Roqueplo, 1993). Libérées sur la scène publique, à travers les média, les controverses et informations scientifiques ont suscité une controverse sociale, sur les responsabilités en cause et les stratégies de prévention à retenir. Cette controverse se traduit par la confrontation de multiples acteurs, étatiques et non-étatiques, et met ainsi en présence plusieurs perceptions et interprétations des faits, des croyances diverses et des représentations particulières du monde et des relations homme/nature, et partant, différentes conceptions de ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, en termes d’options techniques à choisir, mais également de règles, de cadres juridiques, de normes et d’instruments à mettre en oeuvre.

41Dans cet article, nous avons voulu mettre en évidence la place prépondérante qu’occupe la firme multinationale dans la dynamique du capitalisme contemporain et partant, son poids d’influence dans la controverse sociale sur le changement climatique. Au cœur de l’économie mondiale et du problème d’environnement global, les industriels des combustible fossiles (pris au sens large) ne sont pas restés inertes face à la perspective d’une réglementation de leurs activités, qu’ils y aient vu une menace, ou une opportunité. Siège de luttes politico-économiques entre FMN – les « luttes intra-capital » – les négociations internationales, et leurs aboutissements normatifs, à condition d’être traduits légalement, sont les déterminants d’avantages compétitifs futurs. Le risque climatique revêt en cela un enjeu stratégique de poids.

42Dans cette controverse sociale, les Etats de l’espace triadique, tenus d’assurer leur légitimation publique, rencontrent de sérieux éléments de crise, tiraillés entre la nécessité de sauvegarder la croissance économique d’une part, et celle, a priori contradictoire, de protéger l’environnement d’autre part. Occupés, de façon croissante, à séduire les capitaux aussi bien étrangers que nationaux, et à éviter leur fuite, entretenant ainsi le pouvoir structurel du capital multinational, ils doivent finalement, dans leur tentative inter-étatique de prévention du risque climatique, composer avec de bien maigres marges de manœuvre. Ceci explique, en grande partie, le caractère tortueux des négociations internationales.

  • 29  Ce système a trouvé, chez de nombreuses FMN, un étonnant soutien (comme moyen de minimiser les coû (...)

43La décision d’orienter le choix des solutions vers l’emploi d’un système d’échange de permis d’émission29, et vers la promotion de l’investissement privé (MDP et MOC), de l’innovation technique et des partenariats entre FMN, ONG et instances inter-gouvernementales, peut alors s’expliquer de diverses façons. Partageant, sur ce point, la thèse défendue par Levy & Egan (2003), nous pensons assister à une forme de changement dans la continuité. C’est l’idée, inspirée des réflexions du philosophe italien Gramsci (1891-1937), de « révolution passive » (ou « révolution-restauration ») : un processus de réforme « par le haut » et par concessions, qui vise à préserver les aspects essentiels des structures sociales.

  • 30  Notons cependant, parmi les firmes favorables aux politiques climatiques, le cas particulier du se (...)
  • 31  Un compromis essentiellement symbolique et biaisé, si l’on considère d’une part que lorsqu’il s’ag (...)
  • 32  Cet imaginaire qui trouve en son noyau le projet d’une expansion illimitée d’une « maîtrise ration (...)

44Le problème du changement climatique peut effectivement se lire comme une menace pour le « capitalisme carbonifère » (Paterson, 2001), celui, contemporain, dont la force motrice réside encore dans les industries liées aux combustibles fossiles. La réponse inter-étatique aux pressions sociales pour une protection du climat – la Convention Climat et son protocole – annonce une transition de marché, c’est-à-dire une transformation « imposée » de la structure de la production. Les luttes intra-capital observées laissent alors transparaître les ambitions de groupes de firmes, d’empêcher, ou d’accompagner cette transformation. Le groupe de FMN qui y voient une source d’avantages compétitifs potentiels participe de la constitution et de la consolidation d’une large coalition d’intérêts favorable à un type d’action préventive, réunie autour de l’idée de modernisation écologique30. Dans l’optique de pouvoir sécuriser un pouvoir structurel, ces FMN pro-actives, issues des industries concernées, et inquiètent pour leur « capital-réputation », cèdent alors à une forme de compromis symbolique31 avec des Etats, des agences inter-gouvernementales et des ONG environnementales. Là s’illustre ce que nous entendions, plus haut, par l’expression de « bataille sur les structures sociales ». Les réponses éco-modernistes aux demandes sociales de protection du climat, résultat de confrontations entre Etats (et leurs bureaucraties respectives), et entre Etats et firmes essentiellement – avec, plus accessoirement, la participation de quelques grandes ONG –, peuvent être assimilées à une tentative de clôture du sens : les solutions validées, qui entretiennent l’illusion qu’un capitalisme « vert » serait possible, privilégient des valeurs, des croyances et une représentation du monde et des relations homme/nature déjà bien ancrées, consubstantielles à l’imaginaire social capitaliste32, aux dépens d’autres valeurs, d’autres croyances, et d’autres représentations du monde et des relations homme/nature.

Nous souhaiterions remercier Valérie Boisvert, Benjamin Denis, ainsi que trois réviseurs anonymes pour leurs précieux commentaires sur des premières versions de cet article.

Top of page

Bibliography

Amoore, L., 2000. « International Political Economy and the ‘Contested Firm’ », New Political Economy, 5 (2), p. 183-204.

Andreff, W., 2003. Les multinationales globales, coll. Repères, La Découverte, Paris, 123 p. (Nouvelle édition).

Aubertin, C., Vivien, F.-D., 1998. Les enjeux de la biodiversité, coll. Poche Environnement, Economica, Paris, 122 p.

Baron, R., 2001. International Emissions Trading: From Concept to Reality, International Energy Agency, Paris, 159 p.

Beaud, M., 2000. Histoire du capitalisme, de 1500 à 2000, coll. Points, Seuil, Paris, 437 p.

Beder, S., 1996. « Charging the Earth : The Promotion of Price-Based Measures for Pollution Control », Ecological Economics, 16, p. 51-63.

Bodansky, D., 1994. « Prologue to the Climate Change Convention », in Mintzer I. M., Leonard J. A. (Dir.), Negotiating Climate Change. The Inside Story of the Rio Convention, Cambridge University Press, Cambridge, p. 45-74.

Buttel, F. H., 2000. « Reflections on the Potentials of Ecological Modernization As a Social Theory », Natures, Sciences, Sociétés, 8 (1), p. 5-12.

Capron, M., Quairel-Lanoizelée, F., 2004. Mythes et réalités de l’entreprise responsable, coll. Entreprises & Société, La Découverte, Paris, 252 p.

Castoriadis, C., 1975. L’institution imaginaire de la société, coll. Points, Seuil, Paris, 538 p.

Castoriadis, C., 1999. Figures du pensable, coll. La couleur des idées, Seuil, Paris, 308 p.

CEO, 2000. Greenhouse Market Mania. UN Climate Talks Corrupted by Corporate Pseudo-Solutions, Corporate Europe Observatory Issue Briefing, November, Amsterdam, 56 p.

Chandler, A. D., 1992. «Organizational Capabilities and the Economic History of the Industrial Enterprise », Journal of Economic Perspectives, 6 (3), Summer, p. 79-100.

Chavagneux, C., 2004. Économie politique internationale, coll. Repères, La Découverte, Paris, 122 p.

CNUCED, 2003. Rapport sur l’investissement dans le monde. Les politiques d’IDE et le développement : perspectives nationales et internationales (Vue d’ensemble), Nations Unies, New York et Genève, 60 p.

Coriat, B., Weinstein, O., 1995. Les nouvelles théories de l’entreprise, Le Livre de Poche, Paris, 218 p.

Eugène, E., 2002. Le lobbying : une imposture ?, Le Cherche Midi, Paris, 216 p.

Fligstein, N., 1996. « Markets As Politics: A Political-Cultural Approach to Market Institutions », American Sociological Review, 61, August, 656-673.

Gill, S. R., Law, D., 1989. « Global Hegemony and the Structural Power of Capital », International Studies Quarterly, 33, p. 475-499.

Gleizes, J., Moulier-Boutang, Y., 2000. « Plaidoyer contre les droits à polluer », EcoRev’, 3, novembre (Disponible à l’adresse Internet : http://ecorev.org/).

Godard, O., 1993. « Stratégies industrielles et conventions d’environnement : de l’univers stabilisé aux univers controversés », in Environnement, économie, Insee Méthodes, 39-40, Paris, p. 145-174.

Godard, O., 2001. « Agir, mais comment ? Le consensus et ses limites », Sociétal, 31, 1er trimestre, p. 55-60.

Gouldson, A., Murphy, J., 1996. « Ecological Modernization and the European Union », Geoforum, 27 (1), p. 11-21.

Greenwood, J. (Dir.), 2001. The Effectiveness of EU Business Associations, Palgrave, Basingstoke, 288 p.

Habermas, J., 1997. « Les problèmes de la légitimation dans l’Etat moderne », in Après Marx, Hachette Littératures, Paris, p. 249-293 (Première édition française en 1985, Arthème Fayard, Paris).

Haigh, N., 1996. « Climate Change Policies and Politics in the European Community », in O’Riordan T., Jäger J., (Dir.), Politics of Climate Change. A European Perspective, Routledge, London, p. 155-185.

Hajer, M., 1997. The Politics of Environmental Discourses. Ecological Modernisation and the Policy Process, Oxford University Press, Oxford, 332 p.

Hodgson, G. H., 1998. « The Approach of Institutional Economics », Journal of Economic Literature XXXVI, March, p. 166-192.

Hoffman, A. J., 2001. From Heresy to Dogma. An Institutional History of Corporate Environmentalism (Expanded Edition), Stanford University Press, Stanford, 287 p.

Hoffman, A. J., 2002. « Examining the Rhetoric : The Strategic Implications of Climate Change Policy », Corporate Environmental Strategy, 9 (4), p. 329-337.

Hourcade, J.-C., 2001. « Le climat au risque de la négociation internationale », Le Débat, 113, janvier-février, p. 136-145.

Hourcade, J.-C., Courtois, P., Lepesant, T., 2000. « Socio-economics of policy formation and choices », in Gupta, J., Grubb, M., (Dir.), Climate Change and European Leadership: A Sustainable Role for Europe?, Kluwer, Dordrecht, p.109-134.

Ikwue, T., Skea, J., 1994. « Business and the Genesis of the European Community Carbon Tax Proposal », Business Strategy and the Environment, 3 (2), p. 1-10.

Jackson, T., Begg, K., Parkinson, S., 2001. Flexibility in Climate Policy. Making the Kyoto Mechanisms Work, Earthscan, London, 242 p.

Lawrence, T. B., 1999. « Institutional strategy », Journal of Management, 25 (2), p. 161-188.

Lefèvre, M., 2002. « La prévention du risque climatique entre régulations économiques et stratégies industrielles », Natures, Sciences, Sociétés, 10 (4), p. 38-48.

Levy, D. L, Egan, D., 2003. « A Neo-Gramscian Approach to Corporate Political Strategy : Conflict and Accomodation in the Climate Change Negociations », Journal of Management Studies, 40 (4), p. 803-829.

Levy, D. L, Newell, P., 2002. « Business Strategy and International Environmental Governance: Toward a Neo-Gramscian Synthesis », Global Environmental Politics, 2 (4), p. 84-101.

Levy, D. L., Kolk, A., 2002. « Strategic Responses to Global Climate Change: Conflicting Pressures on Multinationals in the Oil Industry », Business and Politics, 4 (3), p. 275-300.

Liberatore, A., 1995. « Arguments, Assumptions and the Choice of Policy Instruments. The Case of the debate on the CO2/energy tax in the European Community », in Dente B., (Dir.), Environmental Policy in Search of New Instruments, Kluwer, Dordrecht, p. 55-71.

Michalet, C.-A., 1998. Le capitalisme mondial, coll. Quadrige, PUF, Paris, 368 p. (Première édition en 1985, même éditeur).

Michalet, C.-A., 2004. Qu’est-ce que la mondialisation ? Petit traité à l’usage de ceux et celles qui ne savent pas encore s’il faut être pour ou contre, coll. Essais, La Découverte/Poche, Paris, 212 p. (Première édition en 2002, même éditeur).

Morvan, Y., 1985. Fondements d’économie industrielle, coll. Gestion, Economica, Paris, 482 p.

Muttitt, G., Marriott, J., 2001. Cynics or Saviours?, The Ecologist, 31 (6), July/August, p. 50-51.

Najam, A., (1999). « World Business Council for Sustainable Development: The Greening of Business or a Greenwash? », in Bergesen, H. O., Parmann, G., Thommessen, O. B. (Dir.), Yearbook of International Co-operation on Environment and Development 1999/2000, Earthscan, London, p. 65–75.

Newell, P., 2000. Climate for Change. Non-State Actors and the Global Politics of the Greenhouse, Cambridge University Press, Cambridge, 222 p.

Newell, P., Paterson, M., 1998. « A Climate for Business: Global Warming, the State and Capital », Review of International Political Economy, 5 (4), Winter, p. 679-703.

Nioche, J.-P., Tarondeau, J.-C., 1998. « Les stratégies d’entreprise face aux réglementations publiques », Revue Française de Gestion, juin-juillet-août, p. 70-74.

Observatoire de l’Europe Industrielle, 2000. Europe Inc. Liaisons Dangereuses entre institutions et milieux d’affaires européens, Agone, Marseille, 312 p.

Oliver, C., 1991. « Strategic Responses to Institutional Processes », Academy of Management Review, 16 (1), p. 145-179.

Paterson, M., 1996. Global Warming and Global Politics, Routledge, London, 238 p.

Paterson, M., 2001. « Climate Policy as Accumulation Strategy : The Failure of COP6 and Emerging Trends in Climate Politics », Global Environmental Politics, 1 (2), May, p. 10-17.

Philibert, C., 2000. « Permis d’émissions et écotaxes, les outils du développement durable », Alternatives Economiques, 179, mars, p. 56-59.

Rachline F., 1991. De zéro à epsilon. L’économie de la capture, coll. Pluriel, Archipel First, Paris, 255 p.

Roqueplo, P., 1993. Climats sous surveillance. Limites et conditions de l’expertise scientifique, Economica, Paris, 401 p.

Rosanvallon, P., 1999. Le capitalismeutopique. Histoire de l’idée de marché, coll. Points, Seuil, Paris, 252 p. (Édition revue et corrigée. Première édition en 1979, même éditeur).

Scholte, J. A., 1997. « Global Capitalism and the State », International Affairs, 73 (3), p. 427-462.

Schrope, M., 2001. « A Change of Climate for Big Oil », Nature, 411, 31 May, p. 516-518.

Schmidheiny, S., (avec le BCSD), 1992. Changer de cap. Réconcilier le développement de l’entreprise et la protection de l’environnement, Dunod, Paris, 392 p.

Schumpeter, J., 1990. Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, Paris, 451 p. (Première édition française en 1951, même éditeur).

Sewell, W. H., 1992. « A Theory of Structure: Duality, Agency, and Transformation », American Journal of Sociology, 98 (1), July, p. 1-29.

Shaffer B., 1995. « Firm-level Responses to Government Regulation : Theoretical and Research Approaches », Journal of Management, 21 (3), p. 495-514.

Sklair, L., 1998. « As Political Actors », New Political Economy, 3 (2), p. 284-287.

Skodvin, T., Skjaerseth, J. B., 2001. « Shell Houston, we have a climate problem! » Global Environmental Change, 11, p. 103-106.

Strange, S., 1996. The Retreat of the State. The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge University Press, Cambridge, 218 p.

UNCTC, 1992. Climate Change and Transnational Corporations. Analysis and Trends, United Nations Centre on Transnational Corporations, New York, 112 p.

Ungar, S., 1992. « The Rise and (Relative) Decline of Global Warming as a Social Problem », The Sociological Quaterly, 33 (4), p. 483-501.

Van den Hove, S., Le Menestrel, M., de Bettignies, H.-C., 2002. « The Oil Industry and Climate Change : Strategies and Ethical Dilemmas », Climate Policy, 2, p. 1-17.

Vogel, D., 1987. « Political Science and the Study of Corporate Power : A Dissent from the New Conventional Wisdom », British Journal of Political Science, 17 (4), October, p. 385-408.

Wallerstein, I., 2002. Le capitalisme historique, coll. Repères, La Découverte & Syros, Paris, 124 p. (Nouvelle édition. Première édition en 1979, La Découverte).

WBCSD, 2001. The Business Case for Sustainable Development. Making a Difference Toward the Johannesburg Summit 2002 and Beyond, World Business Council for Sustainable Development, Geneva, 13 p.

Weale, A., 1995. « Ecological Modernisation and the Integration of European Environmental Policy », in Liefferink, J. D., Lowe, P. D., Mol, A. P. J., (Dir.), European Integration and Environmental Policy, John Wiley & Sons, Chichester, p. 196-216.

Yoffie, D. B., 1988. « How Industry Builds Political Advantage », Harvard Business Review, May-June, p. 82-89.

Image3

Top of page

Notes

1  L’expression fait référence à Raoul Vaneigem dans sa Lettre de Staline à ses enfants réconciliés (Verdier, 1998, p. 58) : « Tandis que s’éternise le dialogue de sourds entre le vieux capitalisme ruinant la planète au nom de la rentabilité et ses opposants ruinant la rentabilité au profit de la planète, une mutation se dessine. Elle annonce la couleur : sauver le capital en sauvant la terre. »

2  Dans cet article, nous entendons par « réglementation », le fait, pour une autorité étatique, de réglementer, de légiférer, d’assujettir quelqu’un à un règlement, une mesure, une politique. Sous cette acception, nous englobons, par exemple, aussi bien les normes (instrument dit réglementaire), que les taxes et les permis d’émission (instruments économiques).

3  Le capitalisme mondial, lié à la multinationalisation des firmes, entendu non pas comme processus achevé, mais néanmoins déjà bien avancé dans les années 1980. Cf. Michalet (1998).

4  Il est ici opportun de rappeler, avec Rachline (1991), que le marché, « véritable vitrine du capitalisme », est un instrument au service de l’Etat. Le marché permet à l’Etat de cerner, de repérer les flux commerciaux, de les rendre visibles. Il est un « espace étatique ». En outre, pratiquement, le marché ne peut exister sans Etat. En internalisant les flux et en déterritorialisant l’espace économique, la FMN, transposition partielle et intéressée de l’utopie libérale, parvient, en quelque sorte, à se défaire de l’autorité étatique : l’Etat ne peut plus appréhender et donc contrôler correctement les flux qui traversent son territoire.

5  « Pratiquement d’ailleurs, le capitalisme n’existe que dans la mesure où l’espace économique réel n’est pas homogène. Il peut même se définir comme un mouvement de réorganisation à son profit des fractures, des failles, des dénivelées, des déphasages de l’espace économique et du tissu social. Son pouvoir s’appuie en ce sens sur un savoir stratégique que les firmes multinationales sont habituées à manier à l’échelle du monde entier » (Rosanvallon, 1999, p. 231).

6  « La structure de la production est l’ensemble des accords qui déterminent ce qui est produit, par qui, pour qui, où, avec quelles méthodes, quelles combinaisons de facteurs de production (terre, travail, capital, technologie) et à quelles conditions » (Chavagneux, 2004, p. 38). Cf. également Strange (1996).

7  Ce qui ne remet pas fondamentalement en cause la relation de dépendance mutuelle qu’elles entretiennent avec l’Etat. Elles requièrent toujours sa présence pour les règles d’échange, le système monétaire, la protection des droits de propriété, la réglementation du travail, les infrastructures matérielles, l’ordre social, etc. Inversement, lui trouve l’un des fondements contemporains de sa légitimité dans le maintien d’un taux de croissance économique positif, et il dépend, pour cela, comme pour une partie du financement de son appareil et de ses politiques sociales, des firmes (i.e. du capital). Ainsi, il n’y a pas domination d’un bord sur l’autre, car les deux, le plus souvent, collaborent afin de sécuriser les conditions de l’accumulation. Voir, sur cette relation de dépendance, les développements de Habermas (1997), Rosanvallon (1999) et Fligstein (1996), parmi d’autres.

8  Susan Strange semble entendre par « structure », un ensemble d’accords qui à la fois déterminent des pratiques, et sont déterminés par des pratiques ; lorsqu’elle parle de structures, elle parle alors de « relations de pouvoir » à un niveau international (Strange, 1996). Pour son analyse du pouvoir structurel, elle retient quatre structures principales : production, finance, sécurité et savoir/information. Par opposition à l’interprétation déterministe, qui tend à les réifier, les structures – chez d’autres, les « institutions » (Hodgson, 1998) –, images de configurations particulières de forces, sont comprises à la fois comme la cible et le moule de l’action humaine. Voir notamment Sewell (1992). L’expression « structures sociales » que nous utilisons à quelques reprises dans ce texte, désigne alors l’image d’une configuration particulière de normes, croyances et valeurs socialement instituées et propres à l’organisation sociale existante, et qui détermine assez largement les autres structures désignées par Strange.

9  Pour différentes discussions théoriques de la firme comme « acteur politique » (Sklair, 1998) et de l’« activisme » politique, selon ses diverses formes, voir, parmi d’autres, Shaffer (1995), Yoffie (1988), Nioche & Tarondeau (1998), Oliver (1991), Lawrence (1999), Eugène (2002) et Greenwood (2001). Pour des réflexions critiques, voir, par exemple, l’ouvrage de l’Observatoire de l’Europe Industrielle (2000).

10  Le pouvoir structurel demeure un pouvoir qui peut être contesté (par l’Etat, par des firmes rivales, par des éléments de la société). Les stratégies politiques, et notamment le lobbying, visent à le préserver, voire à l’étendre. Nous noterons cependant que le pouvoir structurel des firmes trouve une solide assise dans un imaginaire social dominant, l’imaginaire social capitaliste (Castoriadis, 1975) et l’un de ses constituants essentiels : une injonction à consommer (et à produire) toujours davantage. Car c’est un fait indéniable, sous le capitalisme, la production et la consommation, ce dont toute société ne peut se passer, ont été érigées en fins ultimes de l’existence humaine.

11  Pour une bonne synthèse historique de l’émergence de l’affaire, entre science et politique, se reporter à l’ouvrage de Paterson (1996). Voir également Roqueplo (1993) et Bodansky (1994).

12  Les sécheresses survenues aux Etats-Unis en 1988. Sur le rôle de ces événements catastrophiques dans la construction sociale du problème du changement climatique, voir Ungar (1992). Sur le construction sociale du problème, à proprement parler, se reporter notamment à Godard (1993), Paterson (1996) et Roqueplo (1993). Pour des approches similaires dans le cadre d’autres problèmes d’environnement global, et notamment celui concernant la biodiversité, voir Aubertin & Vivien (1998). 

13  La Conférence des Parties (COP en anglais) est l’autorité suprême de la Convention Climat : elle est responsable du maintien des efforts internationaux de lutte contre le risque climatique (respect de la mise en œuvre de la Convention, recueil des communications nationales, évaluation des mesures prises, etc.). Elle se réunit tous les ans depuis 1995, chaque année dans un lieu différent. Pour plus d’informations sur le processus institutionnel engagé et les organes créés, se rendre sur le site Internet de la Convention : www.unfccc.de.

14  Au 1er septembre 2004.

15  A partir du moment où avait été fait le choix d’une gestion des réductions des émissions par la fixation d’objectifs quantifiés, il était presque inévitable, pour des raisons d’imprévisibilité des coûts, d’adopter un système d’échange de droits d’émissions. Cf. Hourcade et al. (2000) et Hourcade (2001).

16  Les pays ayant souscrit à un engagement de réduction de leurs émissions appartiennent à l’annexe B du Protocole de Kyoto. Il s’agit des pays de la Triade, plus ceux d’Europe de l’Est « en transition vers une économie de marché » et la Russie. La MOC ne concerne que les pays de cette annexe, et consiste, pour un pays (une firme) de la Triade, à effectuer un projet de réduction des émissions dans un autre pays de l’annexe, un pays dits « en transition ». Le MDP concerne les pays extra-triadiques dits « en développement ». Il a en fait été construit sur la même idée que la MOC, mais avec, avant tout, un objectif de « développement », pour répondre aux requêtes des Etats-Unis – que les pays du Sud fassent partie du processus de prévention et s’engagent aussi à réduire leurs émissions – et de pays du Sud – que leur « développement » puisse bénéficier de ce système d’échange d’émissions de GES.

17  Pour une présentation de cet instrument économique et des mécanismes de Kyoto, voir, parmi les nombreux écrits existants, Baron (2001), Philibert (2000), Godard (2001) et Jackson et al. (2001). Se rendre également sur le site Internet de la Convention : www.unfccc.de. Pour des lectures critiques, voir Beder (1996), Gleizes & Moulier-Boutang (2000) et CEO (2000).

18  « The influence of TNCs extends over roughly 50 per cent of all emissions of greenhouse gases. This includes about half of the oil production business, virtually all of the production of road vehicules outside of the centralized economies, most chlorofluorocarbon production, and significant portions of electricity generation and use » (UNCTC, 1992, p. 2).

19  Les éléments de critique émanent du mouvement écologiste et des ONG qui le représentent, mais également, et ils ont parties liées, de ce que les médias dénomment aujourd’hui le mouvement « alter-mondialisation » (auquel se joignent parfois des syndicats). La contestation peut prendre diverses formes : manifestations, appel au boycott, campagnes de dénonciation, pressions directes sur la firme ou via les actionnaires, etc. Ces actions peuvent constituer une menace sérieuse pour l’image ou la réputation d’une firme, et partant, pour son développement ultérieur.

20  La difficulté étant bien entendu de parvenir à une position commune, selon le degré d’hétérogénéité des intérêts industriels et commerciaux ainsi rassemblés. Qu’il y ait une trop grande disparité entre les intérêts et opinions de membres peut expliquer le fait que certains groupes n’aient pas émis de positions sur des politiques qui concernaient pourtant le ou les secteurs d’activités représentés.

21  L’Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles (OICA), l’International Aluminium Institute (IAI), EUROMETAUX, le European Chemical Industry Council (CEFIC), KEIDANREN ou encore l’imposante Chambre de Commerce Internationale (CCI).

22  Les groupes cités en note 22 (hormis l’OICA), les pétroliers de l’IPIECA et ceux, européens, d’EUROPIA, le lobby patronal européen UNICE et la European Roundtable of Industrialists (ERT), les industries intensives en énergie de l’IFIEC, les cimentiers du CEMBUREAU ou encore les producteurs de charbon du World Coal Institute (WCI).

23  Sur cette proposition de directive européenne, voir Liberatore (1995) et Haigh (1996). Sur le rôle des acteurs industriels dans le retrait de la proposition, voir Ikwue & Skea (1994) et Newell & Paterson (1998).

24  Ces positions plus mesurées tiennent vraisemblablement à la difficulté, au sein de formations associatives comme l’UNICE ou la CCI, regroupant des industries et des nationalités diverses, d’accorder des intérêts et des opinions hétérogènes.

25  Bien que significatives, ce ne sont pas tant ces quelques défections, mais bien la décision américaine de se retirer de la négociation du protocole de Kyoto en 2001, qui conduira à la désactivation de la GCC.

26  Plus exactement, le WBCSD trouve son origine dans le Business Council for Sustainable Development (BCSD) créé en 1991 à l’initiative de l’industriel suisse Stephan Schmidheiny, sur proposition du Secrétaire Général de la conférence de Rio, Maurice Strong. Le BCSD avait pour but de donner une voix au monde des affaires. En 1995, le BCSD a fusionné avec le World Council for the Environment (WICE), un enfant de la CCI, pour former le WBCSD. Pour plus de détails, voir Najam (1999). Voir également le site Internet de la coalition : www.wbcsd.ch et Schmidheiny (1992).

27  « Some policy-makers, with the support of forward thinking companies, are taking action to extend the boundaries of the market and turn part of the environmental commons into tradable commodities » (WBCSD, 2001, p. 11), ou encore : « Our aspiration is to turn a threat and a risk into an opportunity », Lord Brown, PDG de BP, lors d’une allocution auprès d’un groupe d’investisseurs institutionnels, à Londres en novembre 2003 (www.bp.com/genericarticle.do?categoryId=98&contentId=2015334).

28  Pour des discussions sur les gestes pro-actifs de ces deux compagnies pétrolières, voir, entre autres, Van den Hove et al. (2002), Levy & Kolk (2002), Skodvin & Skjaerseth (2001), Muttitt & Marriott (2001) et Schrope (2001).

29  Ce système a trouvé, chez de nombreuses FMN, un étonnant soutien (comme moyen de minimiser les coûts de réduction des émissions ou de reporter les efforts de réduction à effectuer) – voire un réel enthousiasme (comme nouveau marché potentiellement colossal) –, aux dépens d’autres instruments, probablement perçus, et alors à tord, comme étant plus « étatiques » ou « bureaucratiques ». Ce soutien affiché des firmes pour le système des permis d’émissions, jugé moins dommageable à la poursuite de leurs buts, doit cependant être tempéré : globalement, la forme de réglementation qu’elles préfèrent est bien celle de l’auto-réglementation (les contrats de branches, les certifications, les labels, les codes de bonnes conduites).

30  Notons cependant, parmi les firmes favorables aux politiques climatiques, le cas particulier du secteur électro-nucléaire. Incontestablement, la question du climat représente pour ce secteur une opportunité pour « fonder une raison d’être incontestée à une technologie à la légitimité fortement contestée » (la formule est de Benjamin Denis, comm. pers.).

31  Un compromis essentiellement symbolique et biaisé, si l’on considère d’une part que lorsqu’il s’agit d’imposer aux firmes des réglementations réellement efficaces, les Etats sont dans leur ensemble assez réticents, et d’autre part que les ONG qui trouvent une considération aux yeux de FMN sont d’abord celles qui pourront servir à légitimer leurs pratiques. Sur les ONG et leur prétendu contrepoids, voir l’intéressant ouvrage de Capron et Quairel-Lanoizelée sur l’« entreprise responsable » (2004).

32  Cet imaginaire qui trouve en son noyau le projet d’une expansion illimitée d’une « maîtrise rationnelle » sur le tout, nature aussi bien qu’êtres humains, « pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle » soulignait très justement Castoriadis (1999).

Top of page

References

Electronic reference

Mathias Lefèvre, « Les firmes multinationales face au risque climatique : sauver le capital en sauvant la terre ? Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 5 Numéro 2 | novembre 2004, Online since 01 November 2004, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/3549 ; DOI : 10.4000/vertigo.3549

Top of page

About the author

Mathias Lefèvre

Doctorant en économie politique au Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED), 45 bis, avenue de la Belle Gabrielle, 94 736 Nogent-sur-Marne Cedex,mlefevre@centre-cired.fr

Top of page

Copyright

© Tous droits réservés

Top of page