1L’engagement pris par le Canada par rapport au protocole de Kyoto suppose des mesures et des actions qui diffèrent considérablement selon les secteurs de consommation et de production d’énergie. Le succès de cet engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre au Canada repose sur la prise en compte des caractéristiques régionales. La structure économique est différente, le comportement des consommateurs est variable, la disponibilité des ressources est différente, etc. Ces différences par région et par secteur expliquent, par exemple, que l’Alberta émet six fois plus de dioxyde de carbone que le Québec par habitant (tableau 1).
Tableau1 : Émissions de Gaz à effet de serre (GES) au Canada.
Source : Environnement Canada (2001) et Statistiques Canada (2002).
Région
|
GES
per capita
(2000)
|
Émissions
Kt éq. CO2
(2000)
|
Croissance
1990-2000
|
Canada
|
23,5
|
724 519
|
19,6 %
|
Québec
|
12.3
|
90 400
|
2,3 %
|
Ontario
|
17.7
|
207 000
|
14,4%
|
Alberta
|
74.1
|
223 000
|
30,4%
|
|
|
|
|
- 1 Comme exemple on peut citer l’exploitation croissante des sables bitumineux.
2Cet écart entre le Québec et d’autres provinces comme l’Alberta est souvent attribué au secteur de production d’énergie : par exemple, dans le secteur de l’électricité, l’utilisation de l’hydroélectricité au Québec est nettement avantageuse d’un point de vue « émission de gaz à effet de serre (GES) ». À l’inverse, on le sait, le principal litige entre l’Alberta et le reste du Canada pour le respect de Kyoto se situe au niveau de la production de pétrole et de gaz naturel pour fin d’exportation. Comme en Alberta on passe graduellement à des techniques d’exploitation1 plus intensives en énergie, les émissions de gaz à effet de serre ne peuvent qu’augmenter. Le cas de l’Ontario est semblable : il sera difficile de respecter Kyoto dans le secteur de la production d’énergie puisque la part des renouvelables et du nucléaire est appelée à baisser, notamment au profit du gaz naturel.
3Afin de respecter globalement Kyoto dans ces provinces, il serait donc logique d’agir plus fortement au niveau de certains secteurs de consommation qui offrent une marge de manœuvre plus importante. À cet effet, le cas du secteur résidentiel est intéressant. Pourtant lorsque l’on examine le bilan du secteur résidentiel depuis 1990, il n’y a pas lieu de s’inquiéter (voir le tableau 2). Alors que l’augmentation des gaz à effet de serre a été importante pour l’ensemble des secteurs (11,0% globalement), la consommation d’énergie ainsi que les émissions de gaz à effet de serre dans le résidentiel sont restées à peu près stables.
4Dans le futur, en se fiant aux prévisions canadiennes pour l’horizon 2010 (tableau 3), les émissions liées au secteur du bâtiment en général et au résidentiel en particulier resteront marginales par rapport à d’autres secteurs. Deux questions se posent cependant : a) quelles mesures prendre pour atteindre la réduction proposée de 8Mt dans le secteur des bâtiments, et plus précisément dans le secteur résidentiel si on revient au sujet de l’article? b) Peut–on aller plus loin?
5Le tableau 4 montre que le secteur résidentiel du Québec représente environ 17% de ses besoins totaux d’énergie secondaires, ce qui est dans la moyenne nationale. Par contre, il est intéressant de constater que le Québec est nettement en bas de la moyenne nationale pour la consommation d’énergie par ménage et pour les émissions de GES liées au secteur résidentiel. Les albertains en particulier consomment environ deux fois plus d’énergie par ménage que les Québécois. Ces statistiques montrent aussi que l’Ontario et l’Alberta représentent respectivement 15.5% et 13.3% des émissions liées au secteur résidentiel canadien.
6Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces écarts de consommation. La pénétration du chauffage électrique est certes le principal facteur : la répartition du principal combustible de chauffage dans les logements individuels est de l’ordre de 70 % électrique au Québec, 7 % dans les Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta).. On sait également que la température est plus froide en moyenne dans les Prairies qu’à Montréal ou Québec.
7Mais cette situation peut-elle s’expliquer que par les différences de climat ou par la pénétration plus importante du chauffage électrique au Québec? Les résultats de nos travaux semblent démontrer que non.
8Cet article montre qu’un potentiel en termes d’efficacité est possible dans le résidentiel, en particulier dans les provinces où le chauffage de nature thermique est prédominant. Cela permettrait de réduire la pression sur les autres secteurs, comme ceux du transport et de la production d’énergie.
9Une question demeure cependant, comment évaluer ces différences d’énergie utile pour le chauffage par province et par type de logement, cela dans un but d’estimer le pas à franchir pour réduire les émissions de GES pour les provinces les plus polluantes?
10Depuis le début des années 1980, les organismes qui réalisent des prévisions énergétiques se sont convertis de plus en plus vers des modèles technico-économiques. Dans le secteur résidentiel en particulier, l'utilisation de ces modèles exige des estimations détaillées des consommations d'énergie par usage, ces usages étant le chauffage des locaux et de l'eau chaude ainsi que le besoin d'énergie lié aux équipements ménagers, à l'éclairage et à tout autre équipement de la maison.
11Il existe trois méthodes pour estimer la consommation d’énergie par usage :
-
La technique du mesurage de la consommation chez un certain nombre de clients;
-
Les modèles de simulation d'ingénierie qui calculent pour un certain nombre de maisons typiques le bilan énergétique des flux de chaleur en fonction des degrés jours observés dans une région donnée;
-
L’analyse conditionnelle de la demande (ACD) qui est une méthode statistique reliant la consommation d’un échantillon de clients avec leurs caractéristiques particulières à la fois techniques (qualité du logement) et socio-économiques (revenu, âge des répondants, techniques, etc.).
Tableau 2. Facteurs influant sur les émissions de gaz à effet de serre associées à la consommation d’énergie secondaire, Canada 1990-1999.
Source : L’évolution de l’efficacité au Canada de 1990 à 1999, OEE, RNCan, 2001.
|
Canada
Mégatonnes
1990
|
Canada
Mégatonnes
1999
|
Émissions de GES1
|
Consommation d’énergie1
|
Intensité en gaz à effet de serre de la consommation d‘énergie2
|
|
Résidentiel
|
69,7
|
69,9
|
0,3
|
1,3
|
-1,0
|
Commercial
|
47,6
|
54,1
|
13,7
|
13,4
|
0,2
|
Industriel
|
141,3
|
150,6
|
6,6
|
11,4
|
-4,3
|
Transport
|
135,1
|
161,6
|
19,6
|
20,3
|
-0,5
|
Agricole
|
13,7
|
16,2
|
18,2
|
15,4
|
2,0
|
Total
|
407,4
|
452,4
|
11,0
|
12,2
|
-1,1
|
Tableau 3. Réduction d’émissions de GES par secteurs au Canada en Mt : scénario de base en 2010, 1.- Le résidentiel représente environ 56% des émissions liées au bâtiment, 2.- Secteur pétrole, gaz, génération d’électricité, industries, 3- Utilisation des terres (agriculture, foresteries), marché international (permis échangeables), 4.- Réduction en deux étapes : a) actions en cours et puits, b) nouvelles actions.
Source : Plan du Canada sur les changements climatiques, oct. 2002.
|
Transport
|
Bâtiment1
|
Émetteurs industriels2
|
Autres3
|
Total
|
Émissions 2010
|
206
|
84
|
425
|
94
|
809
|
Réduction4
|
21
|
8
|
96
|
50
|
180
|
Tableau 4. Importance du résidentiel dans la consommation d’énergie secondaire et des émissions de GES (% du total pour l’an 2000). Source : Compilé à partir du catalogue 57-003 de Statistique Canada. 1.- Part du résidentiel sur les besoins totaux, tout secteur confondu : énergie totale toute forme confondue, combustibles fossiles exclusivement, 2.- Consommation par ménage en kWh par an, tout type de logement, 3.- Compilé à partir de la base de données du Ministère des Ressources Naturelles du Québec. On inclut aussi les fermes. Pour les logements exclusivement, les émissions totales de GES sont inférieures aux valeurs présentées. Par exemple, au Québec, la part du résidentiel est de l’ordre de 7% au lieu de 9.1%
Région
|
Énergie Totale1
|
Combustible1
|
Cons/ménage2
|
GES3
|
Canada
|
17.3
|
14.1
|
31487
|
12.5
|
Québec
|
17.6
|
9.1
|
25334
|
9.1
|
Ontario
|
19.7
|
17.0
|
33420
|
15.5
|
Alberta
|
15.0
|
15.4
|
49568
|
13.3
|
12Étant donné que nulle méthode n’est parfaite, chacune est complémentaire et utile.
13En ce qui concerne la technique du mesurage et les modèles de simulation, le désavantage majeur est lié à leur faible échantillonnage. On ne peut donc pas avoir une bonne représentation des facteurs fort variés qui expliquent la consommation d’énergie par ménage. On sait par exemple, que les normes de construction sont très différentes selon les époques de construction. On sait également que le nombre de personnes dans un ménage et leur âge sont déterminants pour le niveau de consommation.
14Une troisième approche, l'analyse conditionnelle de la demanded'énergie (ACD) proposée par Parti et Parti (1980), permet partiellement de combler les lacunes des deux premières. L’approche est simple et relativement peu coûteuse. Elle permet de tester l'influence de variables non techniques et par conséquent d'introduire indirectement les comportements des consommateurs.
15L'ACD est une méthode de régression qui a pour but de désagréger la consommation totale d'énergie de chaque ménage échantillonné à travers l'ensemble des équipements existants, même si la consommation spécifique des équipements est inconnue. Notre expérience passée a montré que la valeur des résultats est cependant liée à la qualité des sondages. Un des problèmes souvent rencontré est lié à la colinéarité des variables. Ce problème survient lorsque plusieurs équipements ont des taux de diffusion élevés, ce qui est le cas de certains équipements ménagers : tous ont un frigo, une cuisinière, un téléviseur, etc.
16À la lumière de ces expériences, il apparaît que la méthode ACD est très utile pour estimer la consommation de certains usages, mais pour d’autres usages, la méthode a toujours des limites. En général, les usages comme le chauffage des locaux et le chauffage de l'eau ressortent bien et sont reproductibles d’un sondage à l’autre.
17Cette méthode a surtout été appliquée pour le secteur électrique pour des raisons évidentes que la consommation d'électricité d'un ménage, seule valeur connue, correspond à plusieurs usages dont les valeurs ne sont pas connues. Les analyses faites au niveau des sondages de RNCan démontrent également que la méthode s'avère très intéressante pour analyser les usages au gaz naturel. Une brève description mathématique de cette approche est présentée en annexe 1.
18L’analyse conditionnelle de la demande (ACD) a été effectuée avec succès pour tous les sondages d’Hydro-Québec depuis 1979 (périodicité d’environ 4 ans). Les analyses ACD ont également été effectuées pour les trois sondages de Ressources Naturelles Canada (RNCan) depuis 1993. À titre d’exemple, trois références sont proposées : Lemay, Genois et Lafrance (2002), Lafrance, Germain et Jacques (2001), Lafrance et Perron (1974).
19Dans la comparaison des sondages, il faut cependant considérer deux facteurs particulièrement importants pour l’analyse ACD :
-
La demande de chauffage varie selon le nombre de degrés-jours observés; cela implique donc une normalisation du paramètre température pour bien comprendre ce qui se passe. Les derniers sondages effectués en 1997 et 2001 correspondent à des années particulièrement chaudes, ce qui peut causer de graves erreurs d’interprétation des résultats.
-
La qualité des sondages varie d’un organisme à l’autre, et d’une année à l’autre. Bien que les sondages de RNCan soient de la même taille que ceux conduits par Hydro-Québec (environ 10,000 répondants), ils sont pénalisés par deux facteurs importants : a) le taux de recouvrement des factures est relativement faible (chez Hydro-Québec on a accès à toutes les factures des clients); b) pour un même nombre de répondants, le sondage canadien couvre l’ensemble du Canada et donc un plus grand nombre de consommateurs; la représentation par province est parfois déficiente.
20Parmi les autres différences existantes entre les sondages de RNCan et Hydro-Québec, il faut signaler le fait que RNCan a obtenu une partie des consommations de gaz naturel par client, ce qui permet une analyse ACD. Hydro-Québec n’a que les factures d’électricité.
21Pour ce qui est de l’estimation de la consommation de chauffage par l’approche ACD, il faut réaliser qu’il s’agit de chauffage net, c’est-à-dire de l’énergie fournie par le système de chauffage. Pour effectuer une correction de température – cas des années plus chaudes – il faut considérer le chauffage brut qui est la somme du chauffage net et des effets croisés de chauffage liés à l’utilisation des autres équipements dans la maison. La correction pour le paramètre température peut-être complexe si on considère tous les paramètres de transfert de chaleur. Pour les besoins de cet article, nous avons utilisé un facteur de correction simple basé sur les degrés-jours de chauffage observés pour une année donnée sur les degrés-jours moyens.
22En analyse ACD, la première précaution à prendre est de diviser l’échantillon en classe homogène de consommation. Le premier paramètre considéré est l’année de construction du logement. En divisant par âge de construction, on tient notamment compte des normes de construction qui ont varié au cours du temps. Dans cet article, nous ne présenterons pas les résultats détaillés par âge de construction, mais nous y ferons référence à plusieurs reprises. Il est important de noter que les maisons dites neuves sont des maisons construites après 1990.
23Finalement il est important de noter que les résultats présentés ne couvrent pas tous les sondages effectués et qu’ils correspondent essentiellement aux maisons unifamiliales.
24Les travaux de Lafrance et Perron (1994) indiquent que le Québec semble avoir réalisé des économies importantes de chauffage net entre 1979 et 1984 et cela pour tous les types de chauffage électrique (voir résultats partiels dans le tableau 5). Cette économie d’énergie peut être attribuée en gros à quatre facteurs :
-
Une meilleure étanchéité due à des normes plus sévères;
-
Une baisse moyenne de la température de chauffage liée à un contrôle par pièce des chauffages radiants à une prise de conscience des consommateurs de réduire leur consommation d’énergie;
-
Une augmentation des effets croisés de chauffage liée à diffusion accrue des équipements ménagers;
-
L’augmentation de la part relative des maisons neuves.
25Une analyse détaillée (non illustrée dans les tableaux) montre cependant que les deux premiers facteurs sont prédominants. En d’autres mots, cela indique donc que les divers programmes d’efficacité mis en place au Canada et au Québec pendant la période 1979-1984 ont eu un impact réel.
26En première analyse, une comparaison des estimés de chauffage électrique unitaire de 1979 à nos jours (tableau 5) indiquerait que cette diminution du chauffage net a été à tout le moins durable.
27Comme les maisons récentes satisfont à des normes plus sévères de construction, une comparaison du parc de 1979 avec celui de 2002 montre une réduction progressive des consommations moyennes de chauffage. Mais depuis 1984, les gains d’efficacité ont été moins importants qu’entre 1979 et 1984.
28Pour éviter les erreurs d’interprétation, il faut cependant normaliser en fonction des degrés-jours observés, la superficie du logement et les caractéristiques des ménages. Par exemple, il ne faut pas négliger le fait que les ménages récents disposent d’un revenu plus élevé et possèdent plus d’équipements qu’il y a 20 ans. Cette diffusion plus grande des équipements occasionne des effets croisés de chauffage plus importants.
29Parmi les résultats intéressants provenant des travaux ACD, il faut noter qu’en général, les systèmes radiants (à plinthes en particulier) consomment moins que les systèmes centralisés, de type air pulsé par exemple. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces différences. Par exemple, le contrôle par pièce dans le cas des plinthes facilite l'abaissement de la température moyenne sans perte de confort pour l'occupant.
30Une fois tous ces facteurs analysés, on peut déduire l’impact des programmes d’efficacité énergétique. L’analyse successive des estimés de chauffage montre donc une cassure entre 1979 et 1984. Par la suite, la baisse du chauffage moyen est progressive. Pour 2002, la consommation plus faible du chauffage est attribuée au fait que les degrés-jours de chauffage ont été beaucoup plus faibles que prévu.
31En d’autres mots, la variation observée entre 1979 et 1984 peut être attribuable à des gains d’efficacité. Il faut savoir que l’on était en pleine politique nationale de l’énergie et qu’Hydro-Québec a fait des campagnes d’information sur les bénéfices de modifier les comportements de consommation : la baisse de la température de chauffage faisait partie des campagnes d’information diffusées. Visiblement les consommateurs québécois ont réagi à ces programmes en isolant plus leur maison et en modifiant leur comportement en matière de contrôle de la température de chauffage. Résultat, le gain observé par ménage pour ceux utilisant le chauffage électrique a été de l’ordre de 38%. Pour ceux qui avaient des chauffages type radiant, le gain a été de 36%.
Tableau 5 Estimation des consommations de chauffage électrique au Québec : parc existant (kWh par ménage par an, unifamiliale). Source : Rapports périodiques d’analyse ACD : Hydro-Québec. Note : La correction pour le paramètre température n’est pas incluse. Pour l’enquête 2002, par exemple, les degrés-jours de chauffage étaient plus faibles que la moyenne, ce qui explique une estimation plus faible pour le chauffage.
Système
|
Enquête 79
|
Enquête 84
|
Enquête 89
|
Enquête 2002
|
Central air chaud
Radiant
|
16226
17528
|
12538
11265
|
12642
9873
|
9431
7985
|
32Évidemment, ces résultats dépendent de la qualité des sondages et des limites de la méthode ACD. Mais aucun doute ne subsiste sur le fait que le Québec a pris un virage majeur en faveur de l’efficacité à cette époque. Voyons si au Canada ce virage a été aussi révélateur.
33À la lumière des résultats obtenus pour le Québec, la comparaison avec le reste du Canada doit évidemment prendre en compte les différences régionales en terme de climat et de caractéristiques des ménages ainsi que la diffusion des types de chauffage. Mais toute analyse doit également se référer au contexte historique en matière programme d’efficacité.
34Il faut savoir que le gouvernement du Québec et Hydro-Québec ont proposé des programmes successifs d’économie d’énergie qui en général n’ont pas eu la même intensité dans les autres provinces. En outre, si le programme national du début des années 1980 s’appliquait à tous les citoyens canadiens, la réponse par province n’a pas été la même.
35Cette prise de conscience du Québec de mieux construire les habitations a débuté avec le programme des normes Novelec au début des années 1970. L’objectif premier d’Hydro-Québec n’était pas l’efficacité, mais une opération de marketing. En forçant les clients désireux d’avoir un chauffage électrique à mieux isoler leur maison, la facture des clients apparaissait ainsi plus basse, même si le prix unitaire de l’électricité était plus élevé que celui du mazout.
36Lors de la politique nationale de l’énergie, au début des années 80, Hydro-Québec a renchérie les subventions du fédéral en donnant des subventions pour la conversion du chauffage au mazout et en instituant le programme bi-énergie. Plusieurs programmes de promotion de l’efficacité ont également été mis en place à la fin des années 70 par le gouvernement du Québec et Hydro-Québec. Finalement, les normes de construction au Québec ont été renforcies en 1974, 1977 et en 1982.
37En conséquence cet effort soutenu du Québec a permis d’avoir une certaine avance par rapport aux autres régions du Canada, ce qui explique la consommation moyenne plus basse d’énergie par ménage.
38Dans la comparaison inter-région, il faut s’assurer de comparer les choses sur la même base. En prenant les cas extrêmes du Québec et de l’Alberta, par exemple, on observe des taux de diffusion des systèmes de chauffage radicalement opposés à deux points de vue :
-
Au Québec, la principale forme d’énergie pour le chauffage est l’électricité; le principal système de chauffage est de type radiant, donc plus efficace : gain de 15% environ sur le chauffage utile si on se base sur les études d’Hydro-Québec.
-
En Alberta, la principale forme d’énergie de chauffage est le gaz naturel, ce qui suppose que l’on doit corriger les estimés selon l’efficacité de la fournaise; de plus le principal système de chauffage est de type air pulsé, renommé moins efficace qu’un système radiant avec contrôle par pièce si on se fie aux analyses ACD effectuées historiquement.
39Afin de comparer les résultats par région canadienne, nous avons donc suivi l’algorithme suivant :
-
Pour le Québec, nous avons utilisé les estimés pour le chauffage électrique de type air pulsé, et non ceux de type radiant.
-
Dans l’étude canadienne, les trois provinces des prairies sont traitées ensemble pour des raisons de taille des échantillons; mais il faut savoir que les résultats liés au gaz naturel correspondent en gros à la situation de l’Alberta et de la Saskatchewan;
-
Pour les prairies, nous avons utilisé les résultats ACD effectués pour les usages au gaz naturel, puis nous avons estimé une consommation d’énergie utile de chauffage en supposant un rendement moyen de la fournaise à 70%; ce chiffre de 70% ne provient pas d’une enquête ou d’une étude précise; il s’agit plutôt d’une hypothèse qui est généralement utilisée par les prévisionnistes en demande lorsqu’il s’agit de faire les bilans par forme d’énergie dans le secteur résidentiel. Bien qu’approximatif, cette hypothèse est en général du bon ordre de grandeur si on calcule le ratio (ventes de gaz naturel)/(nombre de logements utilisant le gaz pour le chauffage).
-
Les résultats du Québec et des prairies ont ensuite été normalisés en fonction des degrés-jours moyens par région.
40Les tableaux 6 et 7 présentent d’abord les estimés de chauffage au gaz et à l’électricité en termes d’énergie achetée ou finale. Déjà, on note un écart important entre le Québec et le reste du Canada. Mais pour avoir une idée plus juste, la consommation des systèmes au gaz naturel est corrigée pour la ramener en énergie utile (Eutile ) selon la formule suivante :
41Eutile = Efinale * Ft * Fr
42Où
43Efinale = énergie finale en kWh par ménage par an
44Ft = Facteur correcteur moyen pour les degrés de chauffage = 18% supérieur dans les prairies par rapport au Québec
45Fr = correction pour le rendement du brûleur de la fournaise = .70
Tableau 6. Chauffage électrique : comparaison entre le Québec et le Canada (kWh/ménage/an).
1.- Ce sont les estimations retenues pour le modèle REEPS, version 2002, 2.- Avec le sondage de 2002, l’année de référence était beaucoup plus chaude que la normale (environ 14%), 3.- Central = système centralisé en mode air pulsé.
|
Enquête 93
Canada
|
Enquête 97
Canada
|
Hydro-Québec
Québec1
|
Modèle 2002
Québec2
|
Parc existant
Central3
Radiant
|
14129
10068
|
15764
12075
|
15677
11500
|
9431
7985
|
46Le tableau 7 montre que même en considérant toutes les corrections de température et de rendement, les besoins de chauffage au Québec en termes d’énergie utile seraient inférieurs d’environ 38% à ceux des Prairies : 14090 kWh/Ménage au lieu de 22594 kWh/Ménage. Or, ce chiffre correspond à peu de choses près au gain d’efficacité observé entre 1979 et 1984 au Québec. Ailleurs au Canada, les écarts avec le Québec sont également significatifs.
47Qu’est-ce que cela signifie en termes de gain d’efficacité possible pour les habitations dans les Prairies? Probablement que l’affirmation de récupération de 38% d’énergie n’est pas réaliste pour les raisons suivantes :
-
D’abord ces chiffres agrégés cachent d’autres réalités techniques et sociales que nos modèles ne peuvent prendre en compte de façon précise. Par exemple, quelle est la part réelle des effets croisés de chauffage? Pour avoir une meilleure idée des mesures d’économie à effectuer, il faudrait une enquête exhaustive qui n’existe pas.
-
Puis, au Québec, il faut bien réaliser qu’une grande partie des gains est attribuable aux normes de construction plus sévères dans les maisons neuves construites depuis le début des années 70. Or d’un point de vue économique, certaines mesures sont inabordables dans le domaine de la rénovation.
-
Finalement, il faut bien comprendre la limite de notre approche à tous les niveaux. Que cache ce 38% sur la question des rendements du brûleur par exemple? Si on met un rendement inférieur à 70%, l’économie sur l’enveloppe est moindre. À l’inverse, si le rendement de la fournaise est supérieur, cela signifie que les économies d’efficacité sont moindres.
48Cela dit, nul doute que l’écart entre ceux qui chauffent à l’électricité au Québec et ceux qui se chauffent au gaz dans les Prairies indiquent des écarts d’efficacité. On peut séparer le problème en trois :
-
Cas 1 : agir au niveau de l’efficacité de l’enveloppe par des programmes ciblés de subventions;
-
Cas 2 : changer le comportement des consommateurs en termes de niveau de température de chauffage, par des campagnes d’information ou par l’installation de thermostats programmables.
-
Cas 3 : faire un meilleur suivi des brûleurs : selon nos estimés le rendement de 70% utilisé pour nos calculs est même optimiste;
49Avec les mesures proposées en 2 et 3, sans encore toucher à l’enveloppe de la maison, un gain d’efficacité est donc possible pour les habitations qui ont un chauffage au gaz, et cela partout au Canada. En extrapolant pour le reste du Canada les résultats obtenus pour les prairies, une réduction d’au moins de 10% des émissions est possible dans le secteur résidentiel tout simplement en jouant sur l’efficacité de la fournaise. Techniquement des rendements de 77% sont tout à fait possibles avec un bon suivi. Un autre 10% est également possible en jouant sur les comportements en matière de température de chauffage moyen. En d’autres termes, sans grand investissement, il est possible de respecter Kyoto dans le secteur résidentiel (réduction de 6% du niveau de 1990), et même d’en faire plus.
50Évidemment tous ces résultats restent à être confirmés par des études plus exhaustives. Mais bien que nous soyons conscients de l’imprécision de nos avancés, le fond de nos conclusions semble robuste.
51Le respect de Kyoto dans le secteur résidentiel au Canada n’est pas aussi problématique que dans d’autres secteurs. À preuve, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté marginalement entre 1990 et 2000. Par contre, la comparaison des émissions par province montre que des réductions sont possibles dans la plupart des provinces canadiennes. En comparant le bilan du Québec avec ceux des autres provinces, on peut déduire que des économies importantes sont possibles dans le cas du chauffage des locaux. Dans les Prairies, par exemple, une partie de l’écart de 38% en termes d’inefficacité pourrait ainsi être comblée en proposant des programmes qui améliorent l’étanchéité des habitations. Mais des mesures moins coûteuses sont d’abord à considérer à deux niveaux : faire un meilleur suivi des rendements au niveau des brûleurs, une sensibilisation des consommateurs au fait qu’une baisse de la température moyenne est rentable.
Tableau 7 Chauffage: énergie finale et utile (kWh/ménage par an),
1.- Correction du rendement de la fournaise = 70%, 2.- Résultat de 2002 corrigé pour le facteur température Prairies/Québec, 3.- Central = mode air pulsé ou avec caloporteur à eau chaude.
|
Central eau3
(Finale)
|
Central air3
(Finale)
|
Central air3
(Utile1)
|
Canada Parc existant (gaz)
Enquête 97
Enquête 93
|
36660
35055
|
27194
27080
|
19035
18958
|
Canada Stock neuf (gaz)
|
28222
|
26222
|
18350
|
Prairies : Parc existant (gaz)
|
43167
|
32278
|
22594
|
Québec Stock existant (électrique)
|
---
|
11940
|
11940
|
Québec Stock existant (électrique)
|
---
|
---
|
140902
|
52Le respect de Kyoto dans le secteur résidentiel au Canada n’est pas aussi problématique que dans d’autres secteurs. À preuve, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté marginalement entre 1990 et 2000. Par contre, la comparaison des émissions par province montre que des réductions sont possibles dans la plupart des provinces canadiennes. En comparant le bilan du Québec avec ceux des autres provinces, on peut déduire que des économies importantes sont possibles dans le cas du chauffage des locaux. Dans les Prairies, par exemple, une partie de l’écart de 38% en termes d’inefficacité pourrait ainsi être comblée en proposant des programmes qui améliorent l’étanchéité des habitations. Mais des mesures moins coûteuses sont d’abord à considérer à deux niveaux : faire un meilleur suivi des rendements au niveau des brûleurs, une sensibilisation des consommateurs au fait qu’une baisse de la température moyenne est rentable.
53De telles mesures permettraient probablement d’enlever de la pression sur d’autres secteurs, dont celui de la production d’énergie.
54Bien que nos résultats fassent la démonstration que des rattrapages soient possibles, d’autres travaux sont nécessaires pour améliorer leur précision et surtout pour mieux analyser le gisement des économies en terme économique.
55Les auteurs tiennent à remercier Hydro-Québec et l’Office de l’efficacité énergétique de Ressources Naturelles Canada pour leur support financier continue. Grâce à ce support financier, les analyses de sondage successives ont mené à cet article. Plus particulièrement, nous tenons à remercier nos collaborateurs dans ces institutions, notamment, M Adelhakim Seinoun et Jean-François Bilodeau.