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Dossier : Agendas 21 Locaux : Des Perspectives à l'action

Action 21 et le développement durable  

Jean-Guy Vaillancourt

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Sommaire

1Le développement durable est un concept qui a été élaboré graduellement à partir des années 70, et qui est apparu au plan international dans la stratégie mondiale de la conservation de 1980 et dans le rapport Brundtland de 1987. Sa mise en œuvre s'opère surtout à travers l'actualisation concrète d'Action 21, le plus substantiel des cinq documents importants issus de la conférence des Nations-Unies sur l'environnement et le développement à Rio en 1992. À partir d'Action 21, le concept de développement durable est en train maintenant d'être appliqué dans des plans d'action locaux, régionaux et nationaux, et dans divers secteurs de l'environnement comme l'aménagement urbain, le transport, l'habitation, la foresterie, l'agriculture, les pêcheries, l'énergie, etc. Après avoir décrit brièvement les origines lointaines et prochaines du concept de développement durable, ce texte centrera l'attention sur la mise en oeuvre d'Action 21, surtout au plan local.

2Le concept de développement durable (certains choisissent d'utiliser les mots viable ou soutenable) est devenu une expression incontournable depuis environ une décennie dans les discussions et les écrits concernant l'environnement et le développement dans les pays du Nord et du Sud de la planète. Il y a un accord presque généralisé parmi ceux qui s'intéressent aux questions de justice internationale et de protection de l'environnement que la Conférence des Nations-Unies  sur l'environnement à Stockholm en 1972, et celle de Rio sur l'environnement et le développement en 1992, ont été des étapes importantes, bien que limitées, dans la mise en marche du développement durable (Bessie, 1993; Viola, 1998; Vaillancourt, 1995a, 1995c). Ce que plusieurs tentent d'oublier, toutefois, c'est qu'il y a eu une autre conférence des Nations unies sur l'environnement à Nairobi en 1982, à mi-chemin entre Stockholm et Rio.

3Nairobi 82 n'a pas été un demi-succès comme Stockholm 72 et Rio 92, ce fut plutôt un désastre complet. Le président Ronald Regan venait d'arriver au pouvoir aux États-Unis, et la délégation qu'il envoya à Nairobi pour le représenter à réussi à saboter complètement la conférence. Au début des années 80, les gouvernements de la plupart des grands pays occidentaux étaient de droite, et faisaient la promotion du néolibéralisme et de la privatisation, alors que les préoccupations environnementales et d'équité sociale étaient leur dernier souci. La guerre froide entre les deux superpuissances de l'époque, les USA et l'URSS, était alors à son zénith, tandis que la conscience environnementale au plan mondial était encore bien mitigée et commençait à peine à remonter un peu, après un certain atténuement vers la fin des années 70. Par conséquent, certaines personnes plus conscientisées ont décidé qu'il fallait faire quelque chose pour éviter une répétition de l'échec catastrophique de Nairobi 82 lors de la conférence de Rio en 1992.

Le rapport Brundtland  et le développement durable

4La Commission des Nations unies sur l'environnement et le développement, présidée par Mme Gro Harlem Brundtland de la Norvège, a été créée en 1983 par l'Assemblée générale de l'ONU, en bonne partie pour compenser le désastre de l'année précédente à Nairobi, et faire en sorte que le Sommet de la Terre de Rio en 1992 ne soit pas un échec semblable. Cette commission de haut niveau était composée de six représentants occidentaux, de trois Est-Européens, et de douze représentants des pays du Tiers-Monde. Ceux-ci étaient tous des personnes engagées d'une façon ou d'une autre dans les questions de développement international ou de protection de l'environnement. Après une vaste tournée de consultations dans plusieurs pays du monde, ils publièrent leur rapport sous le titre Notre avenir à tous (CMED, 1988). Ce rapport, connu maintenant sous le nom de Rapport Brundtland, fait le point sur les divers problèmes mondiaux aux plans économique, environnemental et social, établit des liens entre ces problèmes, et propose un ensemble de suggestions et d'orientations pour aider à résoudre ces problèmes pressants. Le rapport consacre le nouveau terme de développement soutenable, en le définissant comme "un développement qui  répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs" (CMED, 1988). Aujourd'hui, le développement soutenable ou durable est opérationalisé en tenant compte des trois dimensions majeures identifiées dans le rapport Brundtland et ailleurs, à savoir la dimension économique-développementale, la dimension écologique-environnementale et la dimension socio-politique (Pearce et al. 1989; Jacobs et Sadler, 1991; Goodland, 1995; Vaillancourt, 1995b). Le développement durable est un concept qui permet d'aller bien au-delà des postulats économiques traditionnels (Daly, 1996; Gendron et Revéret, 2000) et qui doit "prendre en compte les interconnections et l'encastrement de la société humaine dans l'écologie naturelle (Redclift, 1987).

5La Commission Brundtland n'a pas inventé les termes de développement durable (ou soutenable) et de soutenabilité. En 1976, un manifeste écologique publié par le Parti écologique britannique (Ecology Party, 1976) avait proposé de créer une société soutenable et d'établir une société de conservation. En France en 1973, Ignacy Sachs fonda le Centre de recherche sur l'environnement et le développement, et il lança les Cahiers de l'écodéveloppement l'année suivante. En 1977, il mit sur pied une autre publication, un bulletin intitulé Nouvelles de l'écodéveloppement, afin de promouvoir l'écodéveloppement dans le Tiers-Monde. Sachs (1980) systématise les idées sur l'environnement et le développement qui avaient fait leur apparition durant la décennie précédente, dans un livre intitulé Stratégies de l'écodéveloppement, qui décrit les façons d'harmoniser l'écologie et l'économie, et qui montre comment soumettre les décisions économiques internationales aux exigences primordiales et urgentes de la justice sociale et de la protection de l'environnement.

6Comme la "technologie appropriée" de Schumacher (1973), l'écodéveloppement de Sachs (1980) fut un concept précurseur important pour l'émergence de celui de développement durable. En 1980 également, l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN, 1980), en collaboration avec le Fonds Mondial pour la Nature et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), avec l'appui de l'UNESCO et de la FAO, a publié un document devenu célèbre intitulé La stratégie mondiale de la conservation : la conservation des ressources au service du développement durable, qui insiste sur l'idée qu'un développement durable réussi doit tenir compte des facteurs sociaux et environnementaux, et pas seulement des réalités économiques. Ce manifeste insiste aussi sur le fait que pour arriver à une conservation soutenable des ressources, il faut tenir compte des coûts et des bénéfices à long terme, et pas seulement des profits immédiats.

7Lester Brown (1981), fondateur et directeur du Worldwatch Institute, a aussi établi les paramètres fondamentaux du développement durable dans un livre prophétique intitulé Building a Sustainable Society. Cette idée de construire une société soutenable plutôt que de viser la croissance ou même le développement, est encore très vivante aujourd'hui (Robinson, 1990), et c'est probablement pour cette raison que plusieurs experts préfèrent parler de soutenabilité plutôt que de développement soutenable (Mebratu, 1998), alors que d'autres préfèrent utiliser l'expression "développement durable et équitable" (Jacobs et al; 1988).

8Nous pourrions retourner encore plus loin en arrière, aux pratiques séculaires de plusieurs peuples autochtones partout dans le monde, aux croyances concernant la nature dans plusieurs religions, à la sagesse des philosophes grecs et romains de la nature, à la praxis des moines Bénédictins et Cisterciens, à la Commission de la conservation du Canada qui, en 1915, lança un appel pour le respect des cycles naturels de la nature, et affirma que nous devons utiliser non pas le capital-nature mais seulement les intérêts de ce capital pour que les générations futures puissent continuer de profiter elles aussi de ces intérêts. Nous pourrions remonter aussi au Congrès international pour la conservation de la nature, tenu à Paris en 1923, qui proposa de maintenir un équilibre entre la conservation de la nature et l'utilisation de ses ressources, et à la conférence de l'UNESCO à Fontainebleau en 1948, où fut créée l'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources. C'est ce groupe qui a publié en 1951 une série de rapports sur L'État de la protection de la nature dans le monde en 1950. Nous pourrions aussi rappeler la publication du fameux livre de Rachel Carson (1963) intitulé Le printemps silencieux, (qui parle de conservation de la nature, de protection de l'environnement et de soutenabiltié), de la conférence de l'UNESCO de 1968 sur l'utilisation rationnelle et la conservation de la biosphère, et du rapport de la rencontre de Founex de 1971 sur l'intégration des stratégies de développement et de protection de l'environnement. Le livre-manifeste de la conférence de Stockholm de Barbara Ward et René Dubos (1972) intitulé : Nous n'avons qu'une terre et le rapport du Club de Rome de Meadows et al.  (1972) intitulé : Halte à la croissance, qui insistait sur la nécessité de viser une croissance zéro au plan économique et au plan démographique, ont lancé un débat sur l'environnement et le développement économique qui se poursuit encore aujourd'hui. La nécessité d'instaurer le développement durable est un constat qui s'affirme graduellement et qui s'est manifesté particulièrement durant les années 70 à travers une série d'ouvrages dont celui de Barry Commoner (1972) sur les ressources renouvelables et les technologies douces, de Pierre Dansereau (1973) sur La terre des hommes et le paysage intérieur, d'Herman Daly (1973) sur l'économie stationnaire, d'Edward Goldsmith (1972) et de Kimon Valaskakis (1979) sur la société de conservation, et d'Amory Lovins (1977) sur les voies énergétiques douces.

9Ces contributions, et bien d'autres encore, ont conduit à une prise de conscience progressive du fait que le développement ne serait jamais viable, soutenable ou durable à moins que les décideurs ne commencent à prendre en compte les dimensions environnementales, sociales, politiques, culturelles, et éthiques en même temps que les facteurs économiques et technologiques. Le Rapport Brundtland, avec son insistance sur la soutenabilité, a donné une impulsion considérable à cette nouvelle façon de penser. Le concept intégrateur de développement durable que met de l'avant le rapport Brundtland a été largement popularisé et accepté en bonne partie parce qu'il permettait de répandre une vision plus englobante et plus équilibrée de la nécessaire interdépendance entre la protection de l'environnement et le développement socio-économique. Plusieurs commentateurs et critiques ont insisté sur le fait que le développement durable est un cri de ralliement rassemblant toutes sortes de partenaires possibles, parce qu'il opère une espèce de compromis entre des options difficiles à réconcilier au premier abord, à savoir le développement et l'environnement, l'éthique et la politique, la nature et la culture, la pauvreté et les ressources des pays du Sud et l'idéologie de compétitivité et de surconsommation des pays du Nord. (Lélé, 1991) ; Hawkins et Buttel de leur côté, montrent que le développement durable peut être compris comme pouvant jouer quatre rôles :

  • 1 - celui d'une idéologie environnementaliste

  • 2 - celui d'une mode dans le domaine du développement ou de pivot symbolique dans les conflits au sujet du développement

  • 3 - celui d'un poteau indicateur servant à identifier et à évaluer les politiques et les programmes de développement

  • 4 - celui d'une catégorie théorique (Hawkins et Buttel, 1992, p. 831)

10En 1988, le Centre pour notre avenir à tous fut créé à Genève pour être le point central du suivi des activités découlant du rapport Brundtland et pour préparer le Sommet de la Terre de Rio de 1992. Quatre grandes réunions préparatoires ont eu lieu pour rédiger les ébauches des divers documents de Rio, qui ont finalement abouti à cinq textes majeurs : la déclaration de Rio, la convention sur les changements climatiques, la convention sur la  biodiversité, un document plutôt modéré sur les principes de la forêt, et enfin, l'important programme d'action appelé Action 21 (UNCED, 1992). Les réunions préparatoires, tout comme les consultations qui avaient servi à préparer le rapport Brundtland, ont réuni de nombreux participants venus d'horizons très divers, entre autres les grandes ONG internationales et nationales et certains groupes de base. Le volet officiel du Sommet de la Terre de Rio de 1992, c'est-à-dire la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED) s'est tenue à Rio du 3 au 14 juin 1992. Il y avait 168 pays de représentés, et 117 chefs d'État ou de gouvernement sont intervenus dans les sessions finales. À Rio en 1992, le Forum Global des ONG, qui s'est tenu parallèlement à la conférence officielle, a produit 33 traités des peuples portant non seulement sur les sujets abordés dans Action 21, mais aussi sur des questions laissées de côté par les représentants gouvernementaux de la CNUED, tels le militarisme, la dette du Tiers-Monde, les entreprises multinationales, l'énergie nucléaire, et l'éducation relative à l'environnement (Earth Council/IICA, 1994 ; Vaillancourt, 1993). Dans le contexte de l'après-Rio, les ONG ont continué de poursuivre leur stratégie bi-directionnelle qui consistait à travailler à la fois à l'intérieur et à l'extérieur des institutions de l'ONU, afin d'éviter d'être marginalisés ou d'être cooptés.

Action 21 et le développement durable

11L'idée à l'origine d'Action 21 était de proposer 21 actions importantes pour le 21e siècle dans le domaine de l'environnement et du développement. Finalement, ça a donné un plan d'action monumental de 800 pages, comprenant l'énumération des problèmes critiques majeurs auxquels nous avons à faire face comme communauté globale en forte croissance démographique sur une petite planète aux ressources limitées (UNCED, 1992). Les suggestions comprenaient la protection des divers environnements naturels et bâtis, la revitalisation du développement socio-économique, et la réalisation de la justice sociale et de l'équité. Action 21 examine les problèmes d'urbanisation galopante, de pauvreté grandissante, de famine endémique, de croissance démographique, d'analphabétisme, de santé, de détérioration des écosystèmes rendus de plus en plus fragiles par l'épuisement des ressources, de désertification, et divers types de pollution. Dans 40 chapitres regroupés en quatre sections, Action 21 identifie les enjeux et les défis des prochaines décennies et propose diverses solutions simples et pratiques pour réaliser le développement durable aux niveaux international, continentaux, nationaux, régionaux et locaux.

12Le texte d'Action 21 a finalement été accepté à Rio après beaucoup de discussions et de compromis. Ce plan représente un consensus obtenu par des représentants officiels de 168 États sur la façon de s'orienter vers l'édification d'une économie forte et saine et d'un environnement de qualité pour tous les peuples de la planète. On y propose toute une série de mesures, de politiques, de législations et de stratégies que les gouvernements, les entreprises, les ONG et les individus peuvent et doivent mettre en œuvre. Action 21, en somme, constitue un effort pour institutionnaliser les 27 principes généraux énoncés dans la déclaration de Rio.

13La première partie d'Action 21 insiste sur la nécessité d'une coopération internationale et intersectorielle pour accélérer la réalisation du développement durable dans les pays du Sud et du Nord. L'attention y est mise sur l'importance du commerce, sur le besoin de combattre la pauvreté et les comportements de surconsommation, de respecter la capacité de support des écosystèmes, et de promouvoir la qualité des soins de santé. La priorité y est mise sur les efforts en vue de créer des établissements humains viables, et sur l'intégration de la protection environnementale et des coûts de restauration dans les prises de décision. La deuxième partie traite de la protection des ressources, à savoir l'atmosphère, le sol, les forêts, les régions montagneuses, l'agriculture, la biodiversité, les océans et l'eau potable. Elle contient des chapitres sur les produits chimiques toxiques, les déchets dangereux, les matières résiduelles, les égouts, et les déchets radioactifs. La troisième partie oriente l'attention vers les divers acteurs sociaux qui peuvent faire une différence face aux gouvernements, à savoir les femmes, les jeunes, les autochtones, les ONG, les autorités locales, les syndicats ouvriers, les commerçants et les industriels, la science et la technologie, et les agriculteurs. La quatrième partie est intitulée : "Par où commence-t-on?" Elle porte sur les questions des ressources financières, des transferts de technologie, de la science, de l'éducation et de la conscientisation du public, de la création de capacités nationales, des arrangements institutionnels internationaux, du droit et des mécanismes internationaux, et du partage de l'information et des données en vue des prises de décisions.

14Afin de mettre en œuvre Action 21, l'ONU a créé trois nouvelles institutions : la Commission du développement durable (CDD), le Comité interinstitutionnel sur le développement durable (CIDD), et le Conseil consultatif de haut niveau sur le développement durable. La Commission du développement durable coordonne les programmes de l'ONU dans ce domaine, alors que le Fonds pour l'environnement mondial, qui avait été créé avant le Sommet de Rio, finance des projets dans les pays pauvres.

15En somme, Action 21 est un document impressionnant. Graduellement, il est arrivé a être considéré comme une réussite importante, malgré ses lacunes évidentes. Certains vont même jusqu'à penser qu'il pourrait devenir le document de base pour aider à réaliser le développement durable au 21e siècle. Becker (1993) affirme que "le développement durable a été conçu comme un nouveau paradigme universel". Mais le développement durable et Action 21 ont aussi été sévèrement critiqués pour leurs lacunes (Doyle, 1998; Sachs, 1999 ; Latouche, 1994). En fait, lorsqu'on lit le texte d'Action 21, on est frappé par le style terne et par un certain manque d'inspiration et de vision. À première vue, ça semble être un imposant travail, d'autant plus qu'il a été rédigé puis corrigé dans de grandes réunions d'experts qui se disputaient jusqu'à tard dans la nuit sur les mots à utiliser et à changer, et sur la place des virgules et points virgules. Mais même après que les chefs d'États et de gouvernements l'eurent adopté dans sa version finale le 14 juin 1992, le document a dû être condensé dans de courts manuels et résumés pour pouvoir devenir intelligible et opérationnel (Earth Council/IICA, 1994 ; Keating, 1993). Le document de 800 pages lui-même est un texte bureaucratique, rédigé dans le lourd jargon des documents de l'ONU. Ses suggestions, en dernière analyse, n'ont pas de valeur légale contraignante, et elles dépendent, pour leur actualisation, d'institutions internationales comme le Fonds pour l'environnement mondial, qui a peu d'argent à sa disposition, et la Banque mondiale, qui a les fonds mais aussi une approche assez biaisée, plutôt que d'un financement plus flexible et plus généreux de la part des gouvernements des pays riches et industrialisés. Une autre critique d'Action 21, c'est que ce document reflète le point de vue élitiste des pays riches du Nord sur les problèmes environnementaux, c'est-à-dire une insistance trop unilatérale sur la liberté des marchés, sur la croissance démographique, et sur la survie des espèces en voie d'extinction, et qu'il néglige les problèmes cruciaux de la pauvreté, de la dette du Tiers-Monde, et du militarisme (Doyle, 1998). Pour arriver à un consensus unanime, les participants ont dû éviter plusieurs questions controversées et plusieurs solutions audacieuses. Toutefois, Action 21 comprend plusieurs suggestions utiles qui sont maintenant en train d'être adoptées et même radicalisées partout dans le monde par des gens qui ont pris ce plan d'action au sérieux. Comme le rapport Brundtland et son concept de développement durable, Action 21 et sa myriade de suggestions pour des applications concrètes de ce concept à tous les niveaux et dans tous les secteurs, ne sont pas des panacées pour tous les problèmes environnementaux, économiques et sociaux de l'heure, mais ce sont des pas dans la bonne direction. Une décennie ou presque après Rio 92, Action 21 continue d'inspirer beaucoup d'activités, et plusieurs personnes croient qu'il ne faut pas rejeter ce document au moment même où il commence à peine a être connu et utilisé. Les résultats ont peut-être été plutôt minces jusqu'ici, mais plusieurs pensent qu'Action 21 sera utilisé davantage et même complété et amélioré dans les années à venir, pourvu que l'insistance soit mise sur les application locales et sectorielles qui prennent simultanément en ligne de compte les trois dimensions de base du développement durable, à savoir les dimensions environnementale, économique, et sociale

La mise en œuvre d'Action 21 : La Commission du développement durable

16En décembre 1992, l'Assemblée générale de l'ONU a demandé à son Conseil économique et social (ECOSOC) d'établir la Commission du développement durable afin que celle-ci évalue les progrès dans la réalisation des recommandations et des engagements d'Action 21 et des autres documents de Rio 92, aux niveaux international, régionaux et nationaux. Cette commission, composée de 53 membres (13 de l'Afrique, 11 de l'Asie, 10 de l'Amérique latine et les Antilles, 6 de l'Europe de l'Est et 13 de l'Europe, de l'Amérique du Nord et de l'Océanie) reçoit et évalue l'information sur les problèmes encourus, donne des orientations sur les politiques, et fait la promotion de partenariats internationaux pour le développement durable. Elle analyse aussi l'information reçue des ONG, et fait des recommandations à ECOSOC et même à l'Assemblée générale de l'ONU. Elle tient une réunion annuelle où elle évalue le progrès accompli dans quelques uns des 39 domaines sélectionnés pour des programmes concrets (Desai, 1995, p. 50).

17La Commission du développement durable a récemment centré son attention sur deux domaines trans-sectoriels où la coopération internationale est faible et où les réalisations sont déficientes : le transfert des technologies et les ressources financières. À la session de 1994 de cette Commission, plusieurs pays ont soumis des rapports sur l'actualisation d'Action 21 au plan national, et un programme de consommation et de production durable a été étudié. La Commission a aussi demandé que les normes environnementales nationales soient renforcées, et elle a insisté sur la nécessité de diminuer les octrois qui nuisent à l'environnement et opèrent des distorsions dans le commerce, tout en réitérant sa demande que l'aide officielle pour le développement soit augmentée pour rencontrer la cible de 0.7 pour cent du produit national brut. La participation des ONG aux réunions annuelles de la Commission est de bon augure pour l'avenir de celle-ci, mais de gros problèmes demeurent aux plans financier et institutionnel. Le montant total requis pour mettre Action 21 en œuvre a été estimé à US $600 milliards au début du Sommet de Rio en juin 1992. Le secrétariat de la CNUED a calculé qu'il faudrait US $125 milliards en argent neuf chaque année en provenance des pays riches pour aider les pays pauvres, mais vers la fin du Sommet, Maurice Strong a indiqué de façon plus réaliste que la somme de US $10 milliards par an était requise et que de 5 à 7 milliards seraient nécessaires seulement pour "amorcer la pompe". En fait, le financement par le Fonds pour l'environnement mondial est encore tellement bas qu'il est incapable de fournir les fonds nécessaires pour les rares programmes qui étaient déjà en cours. (Bessie, 1993). De 1991 à 1994, le Fonds pour l'environnement mondial a eu seulement 1.2 milliards de dollars à dépenser, une fraction minime de ce qui était réellement requis.

18Après avoir examiné des questions sectorielles lors de ses sessions de 1994, 1995, et 1996, la Commission sur le développement durable a fait, en 1997, une évaluation d'ensemble de l'application d'Action 21, pour préparer une session spéciale de l'Assemblée générale de l'ONU. À la 8e session de la Commission en avril 2000 à New York, l'intérêt sectoriel principal a été centré sur les ressources terrestres, l'agriculture et les forêts, et le thème intersectoriel a été les ressources financières, le commerce et les investissements, et le développement économique. À la 9e session les 16-27 avril 2001 à New York, les principaux sujets d'évaluation ont été l'énergie et le transport durables, deux secteurs qui sont étroitement liés au problème crucial du réchauffement global.

19Plus de dix ans après Rio et plusieurs mois après Johannesburg, nous sommes encore loin d'avoir atteint les objectifs de développement durable proposés en 1992. Au niveau global et au niveau international, les acquis de la mise en œuvre d'Action 21 sont encore assez maigres. Le réchauffement de l'atmosphère, la déforestation, la perte de la biodiversité, le manque de services sanitaires de base, la pollution de l'eau, la dégradation des sols, et la pauvreté du Tiers-Monde demeurent encore des questions très problématiques. Il y a peu d'efforts de faits pour faire respecter les réglementations existantes, et on fait face à une grande lenteur pour régler les enjeux pressants et pour respecter les engagements et les ententes de la CNUED, et il y a beaucoup trop de rhétorique et de paroles pieuses pour la quantité et la qualité des actions entreprises.

Actions 21 aux niveaux national et local

20Les réussites les plus intéressantes en ce qui concerne l'actualisation d'Action 21 ont été aux niveaux national et local, et dans divers secteurs particuliers. Comme il y a eu des milliers d'initiatives à ces niveaux, je ne mentionnerai que quelques exemples de ce qui a été réalisé récemment. Le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a créé une série de réseaux pour le développement durable, avec le concours de représentants d'une trentaine de pays et de territoires en voie de développement, pour faciliter l'échange d'information et d'idées concernant Action 21, pour aider à formuler plus librement des plans nationaux pour promouvoir le développement durable, et pour réduire la dépendance vis-à-vis les donateurs étrangers. Les diverses agences de l'ONU, à travers le Comité interinstitutionel sur le développement durable (CIDD), qui a été mis en place pour faciliter la coordination entre les agences de l'ONU et pour éviter le dédoublement des efforts, et à travers le PNUE et la CDD, sont aussi en train de chercher des façons de réaliser de façon concrète les idées sur le développement durable comprises dans Action 21.

21Capacité 21 est une extension d'Action 21. Ce programme a été lancé à Rio en 1992 pour aider les pays en voie de développement à construire leur capacité d'intégrer les principes d'Action 21 dans la planification et le développement au plan national. C'est une initiative menée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), avec l'aide financière d'un fonds en fiducie alimenté par les pays partenaires de Capacité 21. Le financement est modeste, mais jusqu'ici plus de 50 pays ont bénéficié de ces programmes, et 20 autres ont pu profiter des services de conseillers surtout dans les domaines des ressources locales et du transfert des connaissances au niveau national. Un processus semblable est en train d'être mis en œuvre grâce à plus de 100 comités nationaux pour le développement durable qui ont été créés depuis 1992.

22Au Canada, par exemple, le Ministère des affaires étrangères et du commerce international a  lancé Action 2003, sa seconde stratégie triennale pour le développement durable, afin d'intégrer le concept de développement durable dans toutes les politiques et toutes les activités de ce ministère au Canada et dans 160 de ses bureaux à l'étranger. Action 2003 a établi six objectifs principaux pour atteindre ce but, dont l'un est de préparer le Sommet mondial sur le développement durable qui a eu lieu en Afrique du Sud en 2002. Les ONG nationales et les gouvernement provinciaux se servent aussi d'Action 21 comme inspiration pour leurs propres activités et politiques dans le domaine du développement durable et de la protection de l'environnement.

23Au niveau continental, l'Europe est une des régions du monde où les programmes d'action pour le développement durable sont les plus avancés. L'Union européenne, à travers sa Commission environnementale, a présenté son sixième Programme d'action environnementale appelé Environnement 2010 : notre avenir, notre choix. Ce programme s'attaque à quatre domaines prioritaires : les changements climatiques, la nature et la biodiversité, la santé environnementale, et les ressources naturelles et les matières résiduelles. Ce nouveau programme vise a renforcer et à dépasser l'approche établie grâce à des solutions innovatrices, à intégrer les préoccupations environnementales dans toutes les politiques pertinentes, à travailler avec le monde des affaires et avec les consommateurs, à centrer les efforts sur l'information et la participation des citoyens et à développer une attitude plus consciente à l'égard de l'utilisation du territoire. Dans la plupart des pays d'Europe (O'Riordan et Voisey, 1998), par exemple en Allemagne (Breuermann, 1998), et aussi dans certains pays du Tiers-Monde comme le Brésil (B.K. Becker, 1993), Action 21 a servi de point de départ pour la mise en œuvre du développement durable dans plusieurs secteurs de l'environnement.

24La réalisation d'Action 21 au niveau local a été faite surtout à travers le processus d'Action 21 local, qui est maintenant le mécanisme principal qu'utilisent les communautés locale pour adopter une culture de gouvernance axée sur le développement durable. Des gouvernement locaux partout dans le monde sont en train de mettre sur pied une planification à partir d'Action 21 locale, en lançant un processeur consultatif pour préparer et mettre en œuvre les plans locaux de développement durable et en faire ensuite le suivi. En 1996, il existait plus de 1800 de ces projets d'Action 21 locale dans 64 pays différents. Le chapitre 28 d'Action 21 demandait aux gouvernements locaux d'établir de tels processus d'Action 21 locale. À cette fin, le Conseil international pour les initiatives environnementales locales (CIIEL) a lancé une initiative globale pour aider les gouvernements locaux à mettre en œuvre ces processus d'Action 21 locale. Dans une première phase, le Programme des communautés modèles a développé et testé des méthodes de planification en vue du développement durable, et dans une seconde phase, le CIIEL a établi des réseaux d'Action 21 locale. Le CIIEL a publié un guide de ressources d'Action 21 locale pour l'Asie et le Pacifique, et un ouvrage en 2 volumes intitulé Projet des communautés modèles d'Action 21 locale basé sur des projets dans 14 villes. Le CIIEL est en fait l'organisme environnemental international des gouvernements locaux. Fondé en 1990, le CIIEL a pour mission de bâtir et d'appuyer un mouvement mondial de gouvernement locaux pour faire la promotion et le suivi d'améliorations tangibles dans les conditions environnementales globales à travers l'accumulation d'actions locales. C'est une association dont les membres sont actuellement 325 villes, municipalités, comtés, et leurs associations dans le monde entier. CIIEL a des liens formels avec l'Union internationale des autorités locales (UIAL). Le projet des Villes a été lancé en 1998 par le CIIEL comme projet pilote, afin d'évaluer les stratégies et les performances de développement durable au niveau municipal, dans les domaines de la gouvernance, des changements climatique et de la gestion de l'eau potable (Pour en connaître davantage sur le CIIEL, voir le site sur le réseau :  www.iclei.org).

25La planification d'Action 21 locale est en train d'être développée dans la région de l'Asie et du Pacifique avec 300 villes qui se sont intégrées au processus. Il y a un mouvement croissant d'Action 21 locale basé sur cette approche de planification stratégique et sur la stratégie de renforcement de capacité qui en découle. Environ 90 % des projets locaux d'Action 21 sont réalisés dans les pays développés, mais les pays plus pauvres s'impliquent de plus en plus. Le mouvement pour utiliser Action 21 pour créer des villes viables a réussi tout particulièrement en Europe où des pays comme l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l'Espagne, et le Portugal ont mis sur pieds d'intéressants programmes dans ce domaine. Des villes du Tiers-Monde comme Porto Alegre au Brésil et Naga City aux Philippines, par exemple, ont aussi impliqué leurs populations dans des pratiques participatives visant à protéger l'environnement urbain qui sont inspirées par Action 21. À San José, au Costa Rica, un projet tente de nettoyer le bassin versant de la rivière Rio Tarcales. Ainsi plusieurs projets et programmes sont en train d'être réalisés grâce à des jumelages au nord et au sud, ou par des projets qui reçoivent une aide internationale.

26Si nous voulons réaliser le développement durable, il est évident qu'il doit être appliqué de façon assez différente dans les pays industrialisés et sur-consommateurs du Nord, et dans les pays pauvres et sous-développés du Sud, mais qu'il doit aussi y avoir un nombre croissant de partenariats. Ceci signifie que nous devons éliminer les modes anti-environnementaux et non soutenables de production et de sur-consommation dans le Nord, alors que la priorité dans le Sud doit être d'atteindre un degré plus élevé de développement tout en protégeant l'environnement le mieux possible. Le développement durable est un concept qui doit être appliqué en tenant compte non seulement du niveau géographique (local, national, régional, global) et des différents secteurs d'activité (vg la foresterie, les pêches, l'agriculture, l'énergie, etc), mais aussi des niveaux social, environnemental, et économique déjà atteints. Il y a maintenant des milliers de projets en train d'être mis en œuvre partout dans le monde qui doivent une partie de leur inspiration à l'idée de développement durable telle que proposée dans Action 21, ce qui veut dire qu'en dépit de ses lacunes, Action 21 a obtenu jusqu'ici des résultats plutôt positifs quoique très limités (Farrell et Hart, 1998, pp. 4-9, 26-31).

Conclusion

27Rio 92 a eu lieu il y a dix ans. En 2002, à Johannesburg en Afrique du Sud, s’est tenu un autre Sommet de la Terre, une conférence Rio + 10 durant laquelle les participants ont fait une évaluation compréhensive des acquis et des déficiences de la CNUED de Rio 92 et surtout d'Action 21.  Johannesburg 2002 a été orienté d'abord et avant tout vers l'action et a concentré son attention sur l'actualisation du développement durable. Les discussions à la CDD, dans les ONG et parmi les autres partenaires concernant cette conférence ont insisté pour que celle-ci soit centrée sur l'action plutôt que sur les paroles. De plus, on doit cesser de trop parler de Rio 92 et même de Rio + 10. Bien sûr, on peut s'inspirer de Rio 92 et de ses réalisations comme Action 21, mais Johannesburg 2002 fut quelque chose de nouveau et d'assez différent de Rio 92. Ce fut une rencontre au Sommet des chefs d'État et de gouvernement, comme Rio 92, mais les ONG y ont été plus activement engagées à chaque étape du processus et à tous les niveaux. Il y a eu des réunions préparatoires dans lesquelles les ONG et les experts ont  participé pleinement, et ils ont  participé activement aussi à l'intérieur même de la conférence ainsi qu'à l'extérieur de celle-ci, comme ce fut le cas à Stockholm en 1972 et à Rio en 1992. (voir www.un.org//rio+10, pour de l'information sur Johannesburg 2002)

28Johannesburg 2002 a été une conférence sur la mise en œuvre concrète du développement durable, à tous les niveaux et dans tous les secteurs importants. On y a insisté surtout sur la pauvreté et sur la surconsommation, sur la globalisation et les initiatives locales, et sur la consommation et la production durables, ainsi que sur les liens entre toutes ces réalités. Johannesburg 2002 a bâti sur les acquis du rapport Brundtland, de Rio 92 et d'Action 21, plutôt que de recommencer à zéro avec des idées et des concepts entièrement différents. Maintenant, dans l’après Johannesburg, on devra concentrer les efforts sur l'opérationalisation du développement durable, surtout en liant les niveaux local, national et global, et la participation des ONG devra y être une préoccupation primordiale (Prinzen et Finger, 1994). Plutôt que d'essayer de tout couvrir, on devra accomplir certaines tâches précises comme la promulgation d'une véritable Charte de la Terre au lieu de seulement faire une déclaration de principes comme celle de Rio en 1992. On devra ratifier le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques et le Protocole longtemps attendu sur la bio-sécurité, même si les États-Unis continuent à faire de l'obstruction sur ces questions. On doit s'attaquer aussi à des questions qui ont été évitées à Rio et à Johannesburg comme une véritable convention sur les forêts, et comme la mise au ban et l'élimination de l'énergie nucléaire et de la course aux armements. Enfin, on devra donner une réelle force financière, économique, et légale aux ententes, aux protocoles, et au secrétariats environnementaux internationaux.

29Si on en juge par les discussions en cours, il faut dorénavant insister sur les façons de supprimer les obstacles et les barrières qui bloquent l'action concrète et efficace, plutôt que de s'intéresser seulement aux concepts et aux énoncés de principes. Les enjeux intersectoriels et non seulement les discussions sectorielles sont à l'ordre du jour. Renforcer la capacité institutionnelle et la participation publique, surtout pour les jeunes, les pauvres et les femmes ainsi que partager l'information sur les pratiques gagnantes, est plus important que de discuter sans fin de principes, de programmes et de politiques. En somme dans l’après Johannesburg 2002, il faut mettre en œuvre des projets de développement durable et réaliser à tous les niveaux des plans inspirés d'Action 21, et non pas continuer de débattre de ces enjeux sans rien faire de concret à leur sujet.

30Si le chemin parcouru jusqu'ici nous a permis de comprendre en partie l'interdépendance entre le développement et l'environnement, entre la pauvreté et la surconsommation, entre la mondialisation et les initiatives locales, le défi dans l’après Sommet de la Terre de 2002 sera d'accélérer l'opérationalisation du concept de développement durable que le rapport Brundtland entrevoyait comme étant Notre avenir à tous, et qu'Action 21 avait esquissé sous la forme d'un agenda à réaliser, dans un long texte difficile à lire mais riche en potentialités multiples. L'institutionalisation du mouvement pour le développement durable et pour la mise en œuvre d'Action 21, avec ses hauts et ses bas et ses inévitables retards et échecs, devra aller de l'avant et continuer bien au-delà de ce qui a été élaboré à Rio en 1992 et réaffirmé à Joburg en 2002.

31Beaucoup de gens sont impatients à l'égard de l'opposition des entreprises, face au manque d'engagement des politiciens à l'égard de la protection de l'environnement et à cause des retards et lacunes dans la mise en œuvre du développement durable (Doyle, 1998), mais ce ne sont pas là des raisons suffisantes pour mettre de côté ce concept et essayer de repartir à neuf avec quelque chose d'inédit qui n'a pas encore fait ses preuves. Il est encore possible de faire beaucoup de chemin avec le concept de développement durable, surtout si nous nous concentrons sur la mise en œuvre aux plans local et sectoriels, et si le concept est bien défini et bien interprété (Vaillancourt, 1995b, Mebratu, 1998). Fred Buttel (2000) se demande si le concept de modernisation écologique a le potentiel pour remplacer celui de développement durable, mais j'en doute fort. Le débat, toutefois, de la mise au rancart du développement durable, parce qu'il a été galvaudé et récupéré, est ouvert, mais personnellement, je crois qu'il est encore trop tôt pour laisser tomber ce concept et le remplacer par quelque chose d'autre qui n'a pas fait ses preuves.

32Une des tâches principales des sociologues de l'environnement et des écosociologues en ce début du 21e siècle est de clarifier et d'élucider le sens véritable du terme de développement durable pour qu'il puisse être appliqué avec succès dans différents secteurs de l'environnement et aux différents niveaux géographiques (Strong, 1997, Vaillancourt, 1995a). Pour y arriver, nous devons maintenant faire des efforts gigantesques pour construire de meilleurs indicateurs du développement durable, une tâche herculéenne que nous commençons à peine à affronter sérieusement.

33Comme Passerini (1995) l'a signalé dans un article sur "La soutenabilité et la sociologie" dans la revue American Sociologist, les sociologues sont en train de manquer le bateau parce qu'ils sont trop lents à faire face aux questions soulevées par les enjeux du développement durable, alors que d'autres disciplines y ont accordé plus d'importance. Passerini croît que la sociologie est magnifiquement équipée, avec sa riche tradition théorique, méthodologique, et empirique, pour contribuer à la compréhension scientifique de ce phénomène. Il pense que le fait de s'occuper de la question de développement durable pourra orienter la sociologie dans des directions nouvelles et intéressantes. Redclift et Woodgate (1997) vont essentiellement dans le même sens. Un autre livre récent développe lui aussi cette idée que le concept de soutenabilité peut être utilisé comme un terme commun de référence pour aider à promouvoir une réorientation dans les diverses sciences sociales de l'environnement et même dans l'ensemble des sciences sociales (E. Becker et T. John, 1999). Je suis tout à fait d'accord avec eux sur ce point, et je suis content que le comité de recherche 24 de l'Association internationale de sociologie ait choisi la soutenabilité et le développement durable comme thème de notre propre petite conférence de Rio en août de l'an 2000, afin de préparer deux événements majeurs qui ont eu lieu en l'an 2002, à savoir le Congrès mondial de sociologie à Brisbane en Australie, et le Sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg en Afrique du Sud. Ce texte se veut une contribution aux débats en cours sur la mise en œuvre du développement durable, débats qui continueront de nous accaparer pour bien des années encore, et qui devraient aider aux praticiens à passer effectivement à de l'action inspirée par Action 21.

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References

Electronic reference

Jean-Guy Vaillancourt, « Action 21 et le développement durable   Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 3 Numéro 3 | décembre 2002, Online since 01 December 2002, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/4172 ; DOI : 10.4000/vertigo.4172

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Jean-Guy Vaillancourt

Directeur du Groupe de Recherche en Écologie Sociale (GRESOC), Département de sociologie, Université de Montréal jean.guy.vaillancourt@umontreal.ca

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