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Dossier : Agendas 21 Locaux : Des Perspectives à l'action

Les agendas 21 locaux : un difficile passage du savoir à l’action

Émilie Thuillier, Frédéric Paran and Vincent Roche

Full text

Introduction

  • 1  Acronyme anglais du Conseil international pour les initiatives locales en environnement

1Les Agendas 21 locaux sont l'instrument politique visant à traduire, à l'échelle locale, les grandes lignes de l’Agenda 21 établit au Sommet de Rio en 1992 par la mise en place de processus participatifs et multi-sectoriels appropriés. Même si l'on peut identifier des initiatives en matière d'Agendas 21 locaux au Canada, notamment celles de l’ICLEI1, elles demeurent relativement marginales, en tout cas absentes au Québec. Par ailleurs, quand on fait le tour des colloques et ateliers relatifs au développement durable en Amérique du nord, et ce depuis les 4 dernières années, rares sont ceux qui traitent spécifiquement des enjeux relatifs aux Agendas 21 locaux. Pourtant le questionnement soulevé par l'élaboration d'un Agenda 21 local commence à faire émerger des préoccupations spécifiques : diversification des usages du territoire, développement des capacités humaines, territoire de projets, processus participatif, méthodologie décisionnelle, qualité de vie. À notre connaissance, aucun événement canadien de courte durée, à la fois de nature scientifique et professionnelle, n'a traité spécifiquement de la dimension décisionnelle (processus de prise de décision et aide à la décision) impliquée dans la mise en application du développement durable du territoire.

  • 2  Tenue les 16, 17 et 18 octobre 2002 à l’Université du Québec à Montréal ; financée par le Conseil (...)

2S’insérant dans ce contexte, cet article est un compte-rendu, largement argumenté par les auteurs,des idées, questions et expériences abordées à l’occasion de la conférence-atelier « Comment décider dans une perspective de développement durable? »2. Il vise à définir les liens existant entre les différents champs de recherche pertinents dans le cadre du développement durable des territoires et plus précisément dans le cas des Agendas 21 locaux. En effet, étant donné que ces initiatives locales s’inscrivent clairement dans une perspective interdisplinaire, il convient, d’une part, de faire le point sur les connaissances disciplinaires pouvant être utilisées dans un tel contexte et, d’autre part, d’explorer la manière dont celles-ci sont ou devraient être en interaction. Ce tour d’horizon permettra d’identifier les actions à entreprendre pour favoriser la mise en œuvre d’Agendas 21 locaux dans les sphères scientifique, pédagogique, technique et politique.

3Nous insistons sur le fait que cet article se base uniquement sur la conférence-atelier et qu'il n'a donc nullement la prétention de brosser un portrait exhaustif de l’état des connaissances actuelles. En fait, l’intérêt de cet article est de définir des questions qui sont autant de pistes de recherche pour l’avenir ainsi que de synthétiser les débatsautour de composantes importantes du développement durable du territoire et donc des Agendas 21 locaux. À la lumière des discussions qui ont eu lieu lors de la conférence-atelier, nous avons choisi de structurer cet article autour de quatre composantes essentielles : le développement durable, la participation, l’information et les outils. Ces thèmes, qui font chacun l’objet d’une section, sont ici présentés de manière linéaire pour des raisons logistiques, mais ils ne doivent en aucun cas être considérés de manière isolée. En effet, ils sont liés les uns aux autres par de fortes relations d’interdépendance comme l’illustrent les flèches de la figure 1.

Figure 1. Les principaux éléments liés aux Agendas 21 locaux

1. Les principes du développement durable : de la théorie à la mise en œuvre sur un territoire

4La publication du Rapport Bruntland en 1987 a popularisé le concept de développement durable qui s’énonce comme suit :

« Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de "besoin", et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » (souligné par Brodhag dans le cadre de la conférence-atelier).

5À ce propos, Brodhag fait remarquer que nous avons tendance à omettre la deuxième phrase de la définition, laquelle souligne l’importance des concepts de besoins et de limitations qui sont probablement au cœur du passage entre la théorie et la mise en œuvre de ce concept. Ainsi, les besoins des populations s’expriment lorsque les acteurs se heurtent à des contraintes bien concrètes souvent liées au territoire.

6Dans ce contexte, les différents intervenants ayant participé à cette conférence-atelier, autant les chercheurs que les praticiens, semblent s’entendre sur le fait qu’un développement durable se concrétise sur un territoire, ce qui introduit une dimension spatiale essentielle à ce concept. De ceci découle une question qui fut omniprésente lors des trois jours d’ateliers : quel est l’espace pertinent du développement durable ? Godard (1997) propose que :

« Les scènes du développement durable qui réussiront sont celles qui arriveront à trouver un bon équilibre entre deux pôles, celles qui sauront être à la fois de bons espaces de problèmes permettant une construction sociale et intellectuelle satisfaisante de ces problèmes, et de bons espaces de solutions permettant l’engagement coordonné d’actions et une mobilisation efficace des ressources adaptées aux problèmes identifiés » (1997, souligné par Brodhag).

7Cette proposition pourrait nécessiter la création de nouveaux espaces aptes à traiter d’une problématique spécifique.

8Il convient aussi de se questionner sur le rôle des échelles locale, régionale, nationale et internationale dans la mise en œuvre du développement durable. Dans une perspective locale, on voit clairement qu’il existe des problèmes locaux pour lesquels des solutions locales sont possibles alors que d’autres types de problèmes nécessitent l’intervention d’un niveau supérieur. Inversement, les problèmes globaux sont tributaires, pour une grande partie, des actions posées à des échelles inférieures. Chaque échelle a donc un rôle propre à jouer, rôle qui doit être harmonisé avec celui des autres échelles par une articulation verticale cohérente. Dans ce contexte, et en tenant compte du fait que les différents niveaux de décision ont naturellement tendance à reporter les responsabilités aux autres paliers, que ce soit vers le haut ou vers le bas, il semble nécessaire d’assurer la représentation des différentes échelles lors de la concertation se déroulant à une échelle donnée. Par exemple, lors de discussions au niveau local, cette représentation pourrait se traduire par la présence de l’État.

9Un bel exemple d’articulation verticale nous est donné par l’Agenda 21 établi à Rio en 1992. En effet, alors que la portée de ce document est essentiellement internationale, le chapitre 28, intitulé « initiatives des collectivités locales à l'appui d'Action 21 », définit ce que pourrait être un Agenda 21 local :  

  • 3  http://www.agora21.org/rio92/A21_html/A21_1.html

« Il faudrait que toutes les collectivités locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afin d'adopter un programme Action 21 à l'échelon de la collectivité. La concertation et la recherche d'un consensus permettraient aux collectivités locales de s'instruire au contact des habitants et des associations locales, civiques, communautaires, commerciales et industrielles et d'obtenir l'information nécessaire à l'élaboration des stratégies les plus appropriées. Grâce au processus de concertation, les ménages prendraient davantage conscience des questions liées au développement durable. »3

10Dans cette définition initiale, l'Agenda 21 local apparaît essentiellement comme un processus participatif. La participation de l’ensemble des citoyens est en effet une des pierres angulaires de la démarche d’Agenda 21 local. La figure 2 schématise les interactions, favorisées par la participation, entre la collectivité et les différents groupes. Les acteurs ont des attentes diverses face à la collectivité et, en retour, elles fournissent des apports qui peuvent être positifs ou source de conflits.

Figure 2. Apports possibles des différents acteurs à la collectivité locale (d’après Hewitt, 1995)

11Ainsi, les Agendas 21 locaux ont pour objectif un développement durable local. Cette notion résulte de la fusion des concepts de développement durable et de développement local, ce qui n’est pas sans poser problème puisqu’il existe une tension entre ces deux concepts et ce autant sur le plan théorique que dans la pratique. Au niveau théorique, leurs littératures respectives s’ignorent plus qu’elles ne se renforcent, ce qui devrait faire l’objet d’un questionnement plus approfondi. Quelle est la cause de cet état de fait ? Est-ce l’ambiguïté de la notion de développement ? Est-ce le résultat d’un manque d’arrimage entre deux concepts qui ne sont pas le fruit de la même école de pensée ? De toute évidence, les causes de l’existence d’un fossé entre ces deux concepts n’ont pas été clairement énoncées parce que la question se pose toujours. De plus, les deux notions diffèrent grandement sur le plan de leur fonctionnement puisque, alors que le développement local se veut une démarche endogène, le développement durable a une forte composante exogène, car il découle de principes universels. Enfin, pendant les périodes de discussion du colloque, une intervenante a noté qu’il existe un problème de perception entre ces deux écoles puisque les personnes qui oeuvrent en développement local ont tendance à réduire la notion de développement durable à sa seule composante environnementale.

12Dans la pratique, cet écart entre développement durable et développement local a été constaté par Funel qui intervient auprès des collectivités locales depuis plusieurs années. Il utilise une méthode basée sur la représentation d’un territoire par les acteurs locaux (méthode détaillée à la quatrième section) pour accompagner ceux-ci dans le processus de planification de chartes de territoire en France. Une des conclusions de son expérience est que l’adéquation entre le développement durable et la charte de territoire est en fait conditionnée par le degré de conscientisation des acteurs locaux. En effet, l’accompagnateur n’étant pas en mesure d’imposer des contraintes aux acteurs locaux lorsqu’ils construisent l’avenir souhaité pour leur territoire, le développement de ce dernier ne sera en accord avec les principes de développement durable que si les acteurs se sont appropriés de tels principes. Ceci pose un défi de taille aux Agendas 21 locaux. En effet, comment faire en sorte que la représentation de l’avenir souhaité pour le territoire, laquelle est construite par les acteurs, intègre les principes du développement durable à la situation locale ? Par conséquent, il semble que, dans un contexte d’implantation d’un Agenda 21 local, une des conditions nécessaires pour transposer la méthode utilisée par Funel est que les acteurs locaux soient en mesure d’inclure les principes du développement durable dans leur projection de l’avenir souhaité. La même condition prévaudrait également pour toute autre méthode basée sur une représentation souhaitée d’un territoire. Mais  comment faire en sorte que ceci soit effectivement le cas ? La sensibilisation des populations par l’éducation relative à l’environnement est-elle suffisante pour faire en sorte que les acteurs intègrent des réflexes visant un développement durable dans leurs pensées et leurs actions ?

13De plus, la projection des acteurs dans l’avenir illustre un des défis du développement durable qui consiste à mettre en interaction le court et le long terme. Le fait que le développement soit intimement lié aux dynamiques politiques d’un territoire implique qu’il n’est pas toujours aisé de mettre en mouvement des actions qui s’inscrivent dans une vision à long terme. La démarche globale d’implantation d’un Agenda 21 local, qui s’inscrit justement dans le long terme, pourrait-elle contribuer à réduire la prépondérance de l’échéancier politique ? Mais quelle est la capacité des acteurs à se projeter dans l’avenir et quelles méthodes ou quels outils permettant d’inclure le long terme pourraient leur venir en aide ?

14Ces réflexions illustrent les difficultés inhérentes aux notions de développement durable et de développementlocal qui se trouvent en fait à la base de la conception des Agendas 21 locaux. Comment peut-on mesurer la durabilité du développement local ? En fait, la réponse à cette question dépend en grande partie de la définition du local, surtout dans un contexte urbain. En effet, il est clair que, à ce jour, aucune ville au monde n’est durable. Pour tenter de répondre à cette question, il faut donc tout d’abord délimiter le local. Cependant, le développement durable local est-il une fin en soi ? Que cherchons-nous à atteindre ? Un développement durable à l’échelle de la planète ? Si tel est effectivement le cas, et en admettant que le développement durable global ne résulte pas de la somme des développements durables locaux, dans quelle mesure un réseau mondial d’Agendas 21 locaux permettra-t-il un développement durable global ? Ces questions mettent en évidence la nécessité de travailler à une meilleure articulation entre les différents niveaux de gouvernement pour que le passage d’une échelle de décision à l’autre soit fluide afin que les interactions nécessaires entre celles-ci puissent se faire le plus adéquatement possible.

2. Les processus participatifs : à la recherche des conditions d’application

15Dans la première section, nous avons abordé la question des relations entre le développement durable et le développement local. Dans un contexte participatif, Brodhag a mis en évidence que, alors que dans une perspective de développement local le plus important est d’en arriver à un consensus entre tous les acteurs présents, ce qui importe dans une perspective de développement durable est de mettre en place des stratégies collectives ou individuelles en accord avec les limites imposées par les écosystèmes ainsi que l’organisation de la société. La démarche est de ce fait fondamentalement différente. En effet, dans une perspective de développement durable, la participation de tous dans le but d’obtenir un consensus n’est pas suffisante parce que certains acteurs, les générations futures ainsi que la Nature et les autres êtres vivants, sont absents. De plus, le consensus n’aboutit pas forcément à la prise en compte des enjeux environnementaux, notamment lorsque les questions les plus urgentes sont d’ordre socio-économique.

16Ainsi, dans une perspective d’Agenda 21 local, qui relève à la fois du développement durable et du développement local, il apparaît clairement que le fait de réunir les parties prenantes et d’obtenir un consensus entre elles n’est pas suffisant. En effet, étant donné le réflexe humain naturel de s’entendre contre celui qui est absent, comment faire en sorte d’inclure les intérêts des acteurs faibles ou absents ? Cette question se pose à deux niveaux. Il est des acteurs, tels que les générations futures ainsi que la Nature et les autres êtres vivants, qui  ne pourront jamais être présents à la table de négociation. Pour les inclure, il faudrait avoir recours à des principes et des groupes aptes à représenter leurs intérêts. À ce propos, sommes-nous aptes à défendre les intérêts des générations futures ? Comment pouvons-nous imaginer leurs besoins ? Le mieux serait de leur laisser le plus d’options possibles, mais comment faire la part entre nos besoins actuels et la nécessité de conserver de telles options ? Deuxièmement, il est des acteurs qui pourraient s’asseoir autour de la table, mais qui, par manque de temps, d’intérêt, de compréhension des enjeux ou pour d’autres raisons, n’y sont pas.  Dans ce contexte, il appert nécessaire, lors de la mise en place d’un processus participatif, de recenser les parties prenantes de la problématique, ce qui suppose une démarche pro-active de la part de l’organisme à la base d'un tel processus. Mais comment faire en sorte que ces parties prenantes    participent ?

17De plus en plus, la bonne gouvernance est considérée comme pouvant favoriser le caractère participatif du développement durable. Mais qu’entend-on exactement par gouvernance locale ? Selon Stocker (1998),

« 1) elle fait intervenir un ensemble d'institutions et d'acteurs qui n'appartiennent pas tous à la sphère du gouvernement ; 2) les frontières et les responsabilités sont moins nettes dans le domaine de l'action sociale et économique ; 3) elle traduit une interdépendance entre les pouvoirs des institutions associées à l'action collective ; 4) elle fait intervenir des réseaux d'acteurs autonomes ; 5) elle part du principe qu'il est possible d'agir sans s'en remettre au pouvoir ou à l'autorité de l'État. »

18La gouvernance locale n’est pas un processus décisionnel, comme peut l’être la négociation par exemple, mais bien un style de conduite qui peut revêtir différentes formes : le consensus, le contrat et l’arbitrage (d’aprèsBrodhag). Toutefois, la gouvernance locale ne peut pas s’imposer, elle doit émerger du milieu, ce qui pose un défi de taille aux Agendas 21 locaux. Est-il possible de favoriser l’émergence de la gouvernance et, si oui, comment ?

19D’autre part, la participation publique est-elle toujours souhaitable ? Lors de la conférence-atelier, une personne a souligné qu’il existe des effets pervers à la participation et qu’avant de prôner une participation tous azimuts, il convient d'en anticiper les effets. L’exemple de la Suisse pourrait ainsi servir d’étude de cas étant donné que ses habitants, très souvent appelés à participer à travers des processus institutionnalisés, connaissent bien le phénomène du consensus qui paralyse. Dans tous les cas, selon Prescott, il semble judicieux que le rapport coût/efficacité soit raisonnable pour ne pas se retrouver dans une situation où le coût de la participation soit supérieur à celui du projet.  Dans le même ordre d’idée, existe-t-il un moment opportun pour enclencher un processus de participation publique ?

20Dans ce sens, Gagnon a insisté sur l’importance de la participation publique, c’est-à-dire de la société civile, de la communauté, et ce en incluant les plus démunis, dans l’identification et la définition des enjeux locaux. La question sous-jacente à cette prise de position était : comment faire en sorte que les enjeux locaux stratégiques ne soient pas définis par les entreprises ? L’implantation d’un Agenda 21 local pourrait contribuer à la solution en offrant un lieu où les collectivités locales pourraient définir les enjeux locaux auxquels devraient s’intégrer les entreprises qui s’établissent sur le territoire. Ceci pourrait également venir corriger la tendance actuelle qui fait en sorte que les entreprises ne sont pas suffisamment intégrées dans les démarches d’Agendas 21 locaux. Pour ce faire, il est essentiel de construire des espaces de coopération dans un système compétitif. D’ailleurs, la compétitivité n’est pas nécessairement contradictoire avec le développement durable puisqu’au cours de sa présentation, Prescott a suggéré d’utiliser cet argument, en plus, par exemple, de ceux d’éco-efficience et de fierté nationale, pour convaincre les décideurs et les entreprises de la nécessité de mettre en oeuvre le développement durable.

21La participation publique peut également s'inscrire dans des processus décisionnels qui sont modifiés par le climat d’incertitude scientifique dans lequel nous évoluons souvent lorsqu’il s’agit de problématiques environnementales. Effectivement, il est possible d’observer un passage de la décision traditionnelle, séquentielle, unilatérale faite par un acteur (un décideur légitime) à une décision prise par un réseau d’acteurs et qui s’opère selon un modèle itératif. Cette non-linéarité de la décision implique que celle-ci est réversible jusqu’à la fin du processus décisionnel et même au-delà puisque l’émergence de nouveaux éléments peut à tout moment remettre la décision en question et relancer la négociation. Cette modification dans les processus décisionnels entraîne l’apparition  et le foisonnement de décisions de second rang, ou micro-décisions, qui, sans en avoir l’air, exercent une influence certaine sur la décision finale. Dans ce contexte, il semble primordial de garder trace de ces micro-décisions afin d’être en mesure de reconstituer le débat (d’après Joliveau). Cette nouvelle tendance pose cependant la question de la responsabilité de la décision. En effet, qui a finalement  décidé ? Celui qui a formulé le décret ou l’ensemble des participants ? Et est-ce qu’une décision de groupe entraîne nécessairement une responsabilité de groupe ? Si oui, comment est-il possible de l’opérationnaliser ? De l’autre côté, comment faire pour que les élus ne se sentent pas dépossédés d'une partie de leur pouvoir décisionnel ?

22La problématique de la décision dans un contexte participatif soulève également le problème de la nature du pouvoir décisionnel donné aux participants. Il est important, lors de la mise sur pied d’une structure participative, de déterminer quel est le pouvoir décisionnel que l’on désire attribuer à cette nouvelle structure ainsi que le poids relatif de chaque individu ou groupe à l'intérieur de ce groupe. À ce propos, Tsoukias a relevé le fait que la meilleure façon de ne pas laisser quelqu'un décider est de le faire participer, surtout si celui-ci se retrouve en position minoritaire dans le groupe formé. Il faut également toujours avoir en tête que si une personne ou un groupe s’investit dans un processus participatif sans jamais réussir à faire en sorte que ses idées soient prises en compte, il ou elle risque de remettre en question la valeur de sa participation et, de ce fait, de mettre en cause la crédibilité des processus participatifs.

  • 4  Selon la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire (Loaddt), i (...)

23Un exemple concret de cette distorsion entre participation et décision a été présenté par Funel dans le cadre d’un processus de planification de chartes de pays4. Deux rencontres de plusieurs heures avec des acteurs locaux volontaires permettent au consultant d’aider la collectivité à formuler un projet d’avenir supporté par un plan d’actions à mettre en œuvre. Cependant, à la lumière de plusieurs expériences, il convient de se questionner sur l’utilité du travail réalisé par les participants, car la décision finale est toujours prise par la sphère institutionnelle qui n’a pas participé au processus. Ceci entraîne inévitablement de nombreuses pertes, notamment dans la mise en place des actions, puisque le programme d’action est souvent en bout de ligne à visée électorale.

24Tous les questionnements entourant les démarches participatives s’inscrivent dans ce que Giddens (1994) nomme la surmodernité. Les sociétés des pays industrialisées sont devenus des sociétés largement réflexives, c’est-à-dire que nous nous posons de plus en plus de questions sur comment nous faisons les choses. Ainsi, le processus utilisé pour arriver à un résultat devient aussi important, si ce n’est pas plus, que le résultat en lui-même. Dans ce contexte, on observe un passage de l’aide à la décision au processus d’aide à la décision, comme l’a indiqué Tsoukias.

25La participation du public peut enfin se concrétiser à travers la mise en œuvre, c'est-à-dire les actions posées qui découlent d’un processus de planification dans lequel Prescott identifie sept étapes : (1) Mandat gouvernemental et organisation du travail ; (2) État de la situation (portraits du territoire visé) ; (3) Élaboration d'une stratégie ; (4) Élaboration d'un plan d'action ; (5) Mise en œuvre par les partenaires ; (6) Suivi et évaluation (indicateurs) et (7) Rapports périodiques. Selon Prescott, en général, et ce autant dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement, les quatre premières étapes sont bien réalisées. Toutefois, l’étape de la mise en œuvre souffre souvent de carence et l’étape du suivi et de l’évaluation est généralement oubliée alors que c’est probablement une des plus importantes.

26Prescott, à partir de son expérience sur le terrain, propose plusieurs stratégies pour améliorer la mise en œuvre du plan d’action. Tout d’abord, il considère qu’il est primordial qu’il y ait une personne ou un groupe ciblé pour chaque action, c’est-à-dire un porteur d’action, pour qu’il soit possible de responsabiliser les différents partenaires. De plus, même si tous les partenaires potentiels ont été recensés, le présentateur suggère de ne pas attendre que tous soient prêts à participer avant d’entamer le processus avec les entités qui se montrent intéressées. Éventuellement, d’autres viendront se joindre au groupe plus tard dans le processus, soit parce qu’ils seront alors disponibles, soit parce qu’ils seront attirés par la dynamique et les réalisations du groupe ou pour toute autre raison. Il convient cependant d’informer tous les participants de l’ampleur du processus de participation et de la liste des parties prenantes qui peuvent se joindre au processus à tout moment.

27En ce qui concerne le suivi et l’évaluation, Prescott souligne l’importance de planifier cette étape dans un délai temporel compatible avec l’échéancier électoral. En effet, il est judicieux de prévoir dès le départ que les sept étapes du processus pourront se dérouler à l’intérieur d’un même mandat électoral lorsque le plan d’action est étroitement lié à la dynamique politique. Les rapports, qui sont produits par les partenaires, sont également très importants pour le suivi et l’évaluation, mais ils ont en plus une utilité pour les partenaires parce qu’ils leur permettent de publiciser leurs actions.

3. L’information : la clé du développement durable ?

28L’information est essentielle aux processus participatifs et ces deux concepts sont si intimement liés que l’on note parfois une confusion entre participation et information. C’est ce qu’a souligné Gagnon en affirmant que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec (BAPE), au cours des procédures d’évaluation des impacts sur l’environnement, a tendance à utiliser la consultation du public pour faire l’inventaire des impacts sociaux d’un projet. Or, la consultation du public sur des projets précis n’enlève en rien la nécessité d’analyser les impacts sociaux de ce projet. Ce cas illustre également la différenciation du savoir scientifique et des savoirs locaux. L’expression par les citoyens de leurs préoccupations face à un projet (savoirs locaux) ne peut pas se substituer entièrement à la réalisation d’études des impacts sociaux de ce même projet (savoir scientifique).

29Cette émergence des savoirs locaux peut être en partie liée à l’incertitude scientifique sur une question donnée et est particulièrement visible dans les controverses socio-techniques qui s’interrogent sur des problèmes scientifiques non-résolus. Dans cette optique, Joliveau, d’après les travaux de Callon et Lascoumes (2001), a souligné que cette théorie des controverses socio-techniques représente un outil d’exploration des problèmes soulevés dans une société donnée et de l’identité des acteurs, particulièrement des groupes émergents. En effet, dans un contexte d’incertitude scientifique, de nouveaux individus sont invités à participer aux débats, ce qui a pour effet de créer des coupures entre, d’une part, les spécialistes et les non-spécialistes et, d’autre part, les décideurs et les non-décideurs. De plus, cette théorie représente un outil d’apprentissage de résolution de conflit dans une perspective de développement durable à travers les négociations qui font suite aux débats.

30De ces considérations découlent un questionnement sur le rôle de l’information. Favorise-t-elle un consensus ou au contraire le rend-elle plus difficile à obtenir ? Quelle est son influence sur l’action ? À ce propos, Brodhag a souligné que, dans un contexte de connaissances imparfaites, il existe deux façons d’agir. Lorsque la situation n'est pas irréversible, il est possible d'évaluer les résultats pour affiner les décisions dans un cycle d'amélioration continue par un suivi et un contrôle. Par contre, lorsque la situation est potentiellement irréversible, il convient d'agir selon le principe de précaution.

31Au niveau de la planification, la problématique des connaissances imparfaites se traduit par le fait qu’il est presque toujours impossible de faire un état des lieux exhaustif avant d’engager une action. Prescott et Funel, deux praticiens, considèrent que le fait de partager les informations sectorielles détenues par les différents acteurs d’un territoire suffit à dresser un portrait valide de ce territoire. En d’autres termes, il appert que le principal besoin n’est pas de mieux connaître le territoire, mais de rassembler et de traiter l’information, ce qui nécessite l’emploi d’outils, thème de la prochaine section de notre article. Une autre façon d’envisager les choses est de dire que nous n’avons pas besoin d’une représentation complète du territoire, mais d’un diagnostic ciblé selon des objectifs déterminés au préalable.

Fonctions informationnelles

Besoins

Outils

(manuels et informatiques)

Connaissance du territoire (systèmes territoriaux, systèmes physiques)

Base de données géographique à double niveau sur les 3 thèmes (environnement-société-économie)

Préparation de données ou de cartes pour la diffusion

Veille sur les données disponibles

Traduction/adaptation des données scientifiques ou techniques pour un grand public

Production de visualisations concrètes

Système d’information géographique (SIG)

Cartographie

Diffusion Web

Promenades virtuelles

Vues 3D

Connaissance générale, sectorielle ou globale (processus, normes, causalités, modèles de relations)

Modèles causaux

Connaissances thématiques

Systèmes-experts

Glossaire hypertexte

Cours disponibles sur internet

Expression des savoirs locaux

Représentations

Cartes mentales

Films, vidéos

Ateliers d’écriture

Graphisme

Établissement de chorèmes

Analyse collective d’une situation

     

Analyse spatiale

Débat structuré

Analyse statistique

Analyse environnementale

Analyse économique

Jeu de rôles

Expression des idées

SIG

Group Decision Support Systems (GDSS)

Negociation Support Systems (NSS)

Analyse multicritères

Logiciels spécialisés

Modélisation d’un système physique, SIG

Modélisation économétrique

Système multi-agents

Remue-méninge

Conscientisation individuelle ou collective

Analyse d’un système causal

Évaluation de situation pour une entreprise

Logiciels de modélisation

Baromètre individuel

Site internet dynamique ciblé selon le statut de l’individu

Normalisation

Tableau de bord (qualité totale ou performance environnementale)

Élaboration collective d’un projet d’action

Choix des critères d’évaluation

Sélection de variantes

Analyse par scénarios

Analyse multicritères

Simulation

Tableau 1.  Les grandes fonctions informationnelles et leurs outils (inspiré de Joliveau)

32Une autre problématique importante est celle de la transmission de l’information aux acteurs. Comment est-il possible de traduire une réalité complexe afin que le grand public puisse s’en approprier les enjeux ? Quelle devrait être la place des experts et des chercheurs universitaires dans ce domaine ? Dans un autre ordre d’idée, étant donné l’impossibilité d’atteindre l’idéal de l’exhaustivité de l’information, quels sont les besoins spécifiques en information pour le cas des Agendas 21 locaux ? Le tableau-synthèse (tableau 1) inspiré de la présentation de Joliveau propose des éléments de réponse à ces questions puisqu’il met en relation les grandes fonctions informationnelles, les besoins en information et certains outils existants, la majorité d’entre eux issus des technologies de l’information.

33Le tableau 1 illustre qu’il existe en fait de nombreux outils, mais il n’est pas aisé de les relier à des besoins et des fonctions informationnelles, d’autant plus que ceux-ci ne sont pas toujours clairement identifiés. En fait, ce tableau est destiné à évoluer avec la multiplication des expériences et le développement des connaissances, lesquels permettront de raffiner la catégorisation des fonctions informationnelles et des besoins qui en découlent ainsi que la liste d’outils pertinents.

4. Les outils d’aide à la décision : de la conception à l’utilisation sur le terrain

34Dans les sections précédentes, nous avons plusieurs fois mentionné la nécessité de développer des outils pour assister la prise de décision dans un contexte de développement durable alors que, d’un autre côté, comme le démontre le tableau 1, il existe actuellement de nombreux outils. Cet état de fait devrait stimuler la réflexion. Ces outils sont-ils réellement utilisés et, sinon, pourquoi ? Existe-t-il des besoins spécifiques pour lesquels aucun outil n’est disponible ? Dans les limites des discussions de la conférence-atelier, nous tenterons ici de fournir des éléments de réponse à ces deux questions, puis, dans un deuxième temps, nous détaillerons quelques outils qui ont fait l’objet de présentations à cette même occasion.

35Un des éléments qui est clairement ressorti de la conférence-atelier est que les chercheurs universitaires sont allés vers des outils trop compliqués, ce qui pourrait expliquer pourquoi ces derniers ont de la difficulté à franchir le seuil de la sphère universitaire. Il semble que les chercheurs aient tendance à imaginer les besoins des praticiens alors qu’il serait plus adéquat de définir les besoins rencontrés sur le terrain avant de créer des outils simples qui pourraient être facilement utilisables par des personnes n’ayant pas participé à leur conception. Toutefois, il appert que certains outils ne pourront jamais être vraiment simples puisque la réalité qu’ils cherchent à illustrer, mesurer, analyser est complexe. Par conséquent, une simplification poussée des outils pourrait entraîner une simplification trop importante de la réalité et, de ce fait, les rendre inaptes à remplir leur rôle. Dans ce contexte, il est pertinent de se questionner sur le rôle des chercheurs universitaires au niveau de la conception d’outils permettant d’œuvrer dans un contexte de développement durable ainsi qu’au niveau du passage entre la sphère théorique et le domaine pratique. Par exemple, comment et à quel point le domaine de la pratique devrait-il influencer les universitaires dans leur démarche ? Comment est-il possible de favoriser l’utilisation par les praticiens et les acteurs locaux d’outils conçus par des chercheurs ? Il semble qu’une formation adéquate soit nécessaire pour rendre les outils accessibles à ceux qui ne les ont pas construits.

36Il est en tout cas indéniable qu’il existe un marché pour les outils d’aide à la décision, tant sur le plan opérationnel qu’en recherche. Toutefois, il appert qu’un seul outil n’est pas, dans bien des cas, suffisant et il devient nécessaire de réaliser un montage de méthodes et d’outils qui puisse répondre à une situation particulière. Ce montage pose par contre problème dans la mesure où chaque méthode possède son cadre propre et qu’il peut être difficile de les combiner en vue de profiter de leur complémentarité. Afin de déterminer quel agencement d’outils pourrait être utilisé pour répondre à un problème donné, Joliveau propose d’étudier des expériences de cas.

37Existe-t-il des besoins spécifiques pour lesquels aucun outil véritablement adéquat n’est disponible ? Il semble que oui. Par exemple, quel outil permet de mesurer la durabilité du développement ? À l’échelle nationale, Brodhag a présenté un graphe permettant une mesure grossière de la situation d’un pays par rapport à un objectif de développement durable. Dans la figure 3, les besoins des générations actuelles, quantifiés par l’indice de développement humain (IDH), en ordonnée et les besoins des générations futures, quantifiés par l’empreinte écologique, en abscisse délimitent une zone divisée en quatre parties représentant chacune des conditions environnementales et économiques différentes. La plus petite section, qui correspond à un développement durable, est délimitée par un IDH d’au moins 0,8 ainsi que d’une empreinte écologique de moins de  2 ha/hab. Une fois l’IDH et l’empreinte écologique calculés pour un pays donné, il est possible de placer le dit pays sur ce graphe et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Cependant, les indicateurs utilisés, l’indice de développement humain et l’empreinte écologique, souffrent d’une faiblesse théorique et la détermination des seuils correspondant à un développement qui serait durable paraît arbitraire. De plus, il est possible de se demander si la notion d’empreinte écologique équivaut réellement aux besoins des générations futures.

38Cette difficulté à mesurer la durabilité du développement, et ce aux diverses échelles,  pose également la question de l’identité de ceux qui fixent les normes. Selon Brodhag, ces normes proviennent d’organismes tels que l’ONU, du système ISO, en fait surtout des pays du Nord. Étant donné que les principes du développement durable se veulent universels, les normes qui y sont rattachées devraient logiquement également être universelles. Cela signifie-t-il que les pays du Nord (ou pays industrialisés) sont en train d’imposer des principes et des normes aux autres pays ? Si oui, quelles en sont ou quelles pourraient en être les conséquences ?

Figure 3. Une méthode d’évaluation du développement durable

39Il existe d’autres besoins liés à la problématique des Agendas 21 locaux pour lesquels, malgré le fait que certains outils existent déjà, des outils différents pourraient être pertinents. C’est notamment le cas de l’aide à la négociation. En effet, étant donné la nature tripartite du développement durable, la mise en œuvre d’un tel développement porte en soi des conflits qui devraient être résolus par la négociation. À ce propos, au cours de la conférence-atelier, Joliveau et Paran ont proposé que les systèmes d’information géographique (SIG) ainsi que d’autres outils informatiques tels que la cartographie, le web, les promenades virtuelles et les vues 3D  puissent servir à faciliter la négociation territoriale. Ceux-ci, en qualité d’outils de connaissance du territoire, pourraient être utilisés pour faciliter la communication entre les parties prenantes à la négociation en proposant des visualisations concrètes des différentes représentations du territoire. En effet, en produisant par exemple des cartes du même territoire vu par différents acteurs, les conflits liés à la représentation de ce territoire seraient tout de suite décelés et pourraient être nivelé avant de poursuivre les négociations.  Toutefois, étant donné la complexité technique d’utilisation de ces outils, la présence d’une personne spécialement formée ayant pour mission de rassembler l’information et de la mettre en forme est nécessaire. Ce gestionnaire pourrait également être le médiateur. Lors de la conférence-atelier, un participant a également proposé que le médiateur puisse porter les enjeux des absents. Est-ce souhaitable ? Cette proposition soulève une question d’ordre plus générale : quel est le rôle du médiateur ?

40Enfin, d’autres outils déjà existants pourraient être utilisés dans un contexte d’Agenda 21 local, comme par exemple les systèmes de gestion de l’environnement. Bien que ceux-ci soient actuellement plutôt conçus pour les besoins des entreprises, il serait possible de créer un système qui, à l’instar par exemple des normes ISO 14 000, aurait pour but d’accréditer une collectivité locale à un certain standard. Cependant, à quel point cet outil est-il transférable dans le contexte des Agendas 21 locaux ? Et est-il souhaitable de soumettre le concept d’Agenda 21 local à une certification ? Brodhag considère que  le processus d’Agenda 21 local n’est pas encore assez mature et qu’il reste beaucoup de choses à expérimenter avant qu’on puisse envisager un tel système de certification. Par contre, étant donné que la qualité des Agendas 21 locaux est très hétérogène à l’heure actuelle, il serait peut-être légitime d’imposer des éléments en terme de résultats.

41Après avoir discuté des liens entre les besoins et les outils existants ou manquants, nous présentons dans les paragraphes suivants trois outils ayant fait l’objet de discussions lors de la conférence-atelier. Dans les sections et paragraphes précédents, nous avons mentionné à plusieurs reprises le fait que les outils conçus par les chercheurs sont peu ou mal utilisés. Dans ce contexte, l’intérêt de l’expérience de gestion participative du bassin de la rivière Etchemin (Québec) présenté par Molines est que l’outil d’aide multicritères à la décision a été intégré à un processus participatif. Le choix des critères d’évaluation et du système de pondération a été effectué par les participants du comité de bassin. Puis, pour chacun des scénarios, les participants ont déterminé la valeur des critères. Avec la collaboration d’une personne formée à l’analyse multicritères, le comité de bassin a donc pu utiliser et s’approprier cette méthode pour choisir un scénario d’action, choix qui a pu être expliqué aux participants à l’aide de la représentation graphique de la variabilité des préférences et des jugements ainsi que du classement des différents scénarios. Cette démarche a également permis de vérifier l’influence des différents groupes sur la décision en comparant le classement des scénarios entre (1) un vote par participant et (2) un vote par groupe d’intérêt, les agriculteurs par exemple. L’existence de points communs entre cette expérience et une démarche d’Agenda 21 local permet de suggérer l’utilisation de cette méthode lors de l’implantation de tels Agendas.

42Un autre outil qui a été suggéré pour la planification des Agendas 21 locaux est la méthode utilisée pour préparer le plan de mise en œuvre de la Convention des Nations-Unies sur la biodiversité au Québec. Celle-ci pourrait être utile pour les Agendas 21 locaux dans la mesure où il serait possible de transférer la matrice de planification conçue à cette occasion.  Cette matrice consiste en un tableau où on retrouve, en colonne, les sept étapes d’un processus de planification présenté par Prescott et, en rangée, quinze thèmes représentant les grands secteurs de la société. Un des intérêts de cette matrice est qu’elle essaye d’inclure l’ensemble des dimensions pertinentes d’un projet à travers les quinze grands secteurs de la société. De plus, cette matrice peut être utilisée à différentes échelles ainsi que dans différents pays puisqu’elle a déjà été intégrée dans le cadre de projets à l’étranger.

43Enfin, Funel a présenté la méthode qu’il utilise pour accompagner les acteurs d’un territoire donné à rédiger une charte de territoire en France. Cette méthode vise premièrement la construction d’un système de représentation du territoire par les acteurs locaux volontaires. Cela suppose que la connaissance du territoire est partagée entre les habitants du territoire et que le fait de rassembler les connaissances individuelles permet de dresser un portrait valide du territoire. Les ressources et les handicaps du territoire, déterminés par les volontaires, sont regroupées en 50 à 60 critères par un processus de concertation. Puis, l'influence que chaque critère a sur les autres est quantifiée sur une échelle de 0 à 2, ce qui permet de classer ces critères selon un indice de motricité et un indice de dépendance afin de pouvoir les représenter de manière graphique. Dans un deuxième temps, il s’agit de définir l’avenir souhaité par la communauté pour ensuite définir des stratégies assurant le passage de la situation présente à l’avenir souhaité. Dans ce contexte, l’arrimage entre le développement durable et la charte de territoire est en fait conditionné par la conscientisation des acteurs locaux.

Conclusion 

44Les questionnements suite à cette conférence-atelier mettent en évidence le fait que le développement durable et le développement local, et surtout l’articulation entre ces deux concepts, constituent des champs de recherche ouverts et ce tant au niveau de la conceptualisation théorique que de la mise en œuvre dans la pratique. Il nous paraît intéressant d’utiliser le cas des outils d’aide à la décision pour illustrer les gestes à poser dans le domaine scientifique pour atteindre les Agendas 21 locaux.

45Il semble que nous disposions de beaucoup de connaissances pertinentes tout comme il existe de nombreux outils, mais il est peut-être maintenant nécessaire, d’une part, d’intégrer ces connaissances et ces outils et, d’autre part, de vérifier l’adéquation entre les acquis scientifiques et leur utilisation sur le terrain. Dans un deuxième temps, il serait intéressant de vérifier quels sont les besoins rencontrés sur le terrain lors de la mise en œuvre du développement durable de manière générale et d’Agendas 21 locaux de manière spécifique afin de travailler à la recherche de solutions.

46Les discussions de la conférence-atelier ont également mis en lumière les limites du savoir scientifique dans la mesure où l’enclenchement et la réalisation d’initiatives locales ne peuvent se faire sans une formation adéquate des acteurs locaux. Cette formation apparaît essentielle pour améliorer le fonctionnement des processus participatifs, pour favoriser l’émergence de la gouvernance, pour faciliter l’utilisation d’outils et pour permettre aux acteurs de s’approprier les enjeux de problématiques complexes.

47En ce qui concerne le domaine politique, il ressort clairement de l’ensemble des discussions qu’il convient d’améliorer l’articulation entre les différents niveaux décisionnels afin de parvenir à une plus grande cohésion des actions, tant du point de vue de leur conception que de leur mise en œuvre, réalisées à chaque échelle. De plus, l’importance de plus en plus grande octroyée à la gouvernance locale implique la nécessité d’approfondir la réflexion sur le rôle des autorités locales au sein de la société ainsi que de préciser la nature des relations entre les notions de participation et de décision.

48Enfin, il a été proposé lors de cette conférence-atelier que, pour être en mesure de mieux cerner les problématiques spécifiques aux Agendas 21 locaux, le mieux serait de faire un retour sur des expériences de cas concrètes. L’évaluation des processus d’Agendas 21 locaux en cours pourrait en effet se révéler riche en enseignements.

49Les personnes ci-dessous ont activement participé à la conférence-atelier :

50Brodhag, Christian, Directeur de recherche à l’École des Mines de Saint-Etienne, France

51Funel, Jean-Marie, Chargé de projet à la SCET, France

52Gagnon, Christiane, Professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi

53Joliveau, Thierry, Maître de conférence à l’Université Jean Monnet de St-Etienne, France

54Molines, Nathalie, Doctorante à l’Université Jean Monnet de St-Etienne, France

55Paran, Frédéric, Doctorant à l’École des Mines de St-Etienne, France

56Prescott, Jacques, Chef d’équipe au Ministère de l’environnement du Québec

57Roche, Vincent, Professeur-associé à l’Université du Québec à Montréal

58Tsoukias, Alexis, Directeur du LAMSADE, Université de Paris-Dauphine, France

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Bibliography

Callon, M., P. Lascoumes, et al (2001) Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Éditions du Seuil : Paris.

Commission Brundtland (1988) Notre avenir à tous, Commission mondiale sur l'environnement et le développement, Éditions du Fleuve, Les Publications du Québec, Montréal.

Hewitt, N. (1995) Guide du Programme Européen des Agendas 21 Locaux - Comment s'engager dans un programme d'action à long terme vers un développement durable ? ICLEI, Observatoire de l'Environnement de la Communauté Urbaine de Lille, Publication de la version française : Région Nord-Pas-de-Calais, France

Giddens, A. (1994)Les conséquences de la modernité, Paris : L'Harmattan.

Godard, O. (1997) « La démarche de développement durable à l’échelle des régions urbaines », in Pouvoirs locaux, n°34 111/1997, (actes du 5ème forum des acteurs du développement durable, Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Lille, France 23 mai 2000).

Stoker, G.(1998) « Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance », In Revue Internationale des Sciences Sociales, Dossier "la gouvernance", numéro 155, mars 1998, pp 19-30.

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Annex

Déclaration commune pour les Agendas 21 locaux

Lors d’une Conférence-atelier internationale5, tenue à l'Université du Québec à Montréal du 16 au 18 octobre 2002, et portant sur "Comment décider dans une perspective de développement durable? Le cas des Agendas 21 locaux", les participants québécois et français, issus des milieux universitaires, gouvernementaux, et de la société civile, en sont arrivés à une déclaration commune6.

En tant que chercheurs, intervenants gouvernementaux et  membres de la société civile nous prenons considération:

  • de l'engagement des pays signataires du plan d'action adopté à Johannesburg  et plus particulièrement de l'objectif (art. 149) "d'améliorer le rôle et les capacités des gouvernements locaux et des parties prenantes dans la mise en oeuvre de l'Agenda 21 à l'échelle locale";

  • de la "déclaration commune des gouvernements locaux au Sommet Mondial sur le Développement Durable" sous l'égide du "International Council for Local Environmental Initiatives (ICLEI)", demandant aux gouvernements nationaux de "lancer et d'appuyer les campagnes nationales pour la planification d'un développement durable au niveau local";

  • de l'engagement de L'Institut de l'énergie et de l'environnement de la Francophonie (IEPF) en collaboration avec Le Secrétariat francophone de l'Association internationale pour l'évaluation d'impacts (IAIA-AIEI) à mettre en oeuvre un programme de renforcement de capacité pour la Maîtrise des outils de gouvernance pour l'environnement et le développement (MOGED), dont la finalité est d'intégrer l'environnement dans tous les processus décisionnels, et qui vise à développer dans les pays membres de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) les capacités humaines, institutionnelles, législatives et matérielles leur permettant de mettre en Å“uvre des programmes économiquement viables et socialement acceptables;

  • de l'engagement de collectivités locales françaises ainsi qu'ailleurs dans le monde, dans la mise en oeuvre d'Agendas 21 locaux, et au Québec et dans ses régions, de la déclaration des Maires du Réseau québécois des Villes et Villages en santé à prendre des mesures en faveur du développement de communautés durables;

En tant que spécialistes du développement durable et des Agendas 21 locaux :

  • Nous reconnaissons la pertinence et la nécessité de ces engagements;

  • Nous constatons l'existence d'expériences et d'initiatives locales, au Québec, en France et ailleurs dans le monde, et d'outils méthodologiques éprouvés susceptibles de permettre la réalisation de ces engagements;

  • Nous constatons également la nécessité de poursuivre les efforts d'innovation, de recherche, et de formation en partenariat avec les communautés locales;

  • Nous recommandons que les organismes internationaux, les gouvernements nationaux et locaux prennent rapidement les mesures nécessaires, renforcent les expériences existantes, et développent les mécanismes d’évaluation et de transfert permettant de diffuser largement les expériences positives, les méthodes éprouvées et les expertises reconnues;

  • Nous décidons de poursuivre la collaboration internationale déjà initiée, en mettant notamment en oeuvre des projets communs tels que des Ateliers d'échanges, et la mise en réseau d'une plate-forme d'échange sur les Agendas 21 locaux;

  • Nous nous engageons à soutenir les initiatives d'élaboration et de mise en oeuvre des agendas 21 locaux en partageant l'information disponible, notamment par l’utilisation d’Internet, en transférant les savoirs, et en accompagnant les parties prenantes dans leurs démarches d'apprentissage et d'intervention.

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Notes

1  Acronyme anglais du Conseil international pour les initiatives locales en environnement

2  Tenue les 16, 17 et 18 octobre 2002 à l’Université du Québec à Montréal ; financée par le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil de la Région Rhône-Alpes et l’ARUC-Économie sociale.

3  http://www.agora21.org/rio92/A21_html/A21_1.html

4  Selon la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire (Loaddt), il s’agit d’un projet commun de développement durable local incluant du développement durable (un peu du type Agenda 21 local) pour une période de 5 à 10 ans sur un périmètre précis.

5  Cette Conférence-Atelier a été organisée par: le Groupe d'études interdisciplinaires en géographie et environnement régional (GEIGER) de l'Université du Québec à Montréal: Vincent Roche et Jean-Philippe Waaub; le Chantier Développement durable de l'Alliance Recherche Université Collectivité (ARUC) - économie sociale: Christiane Gagnon, Université du Québec à Chicoutimi; le projet "Aide à la décision et négociation territoriale", École des Mines de St-Etienne (France): Didier Graillot et Christian Brodhag (responsable de Agora 21).

6  Christian Brodhag, Directeur de recherche, École des Mines de St-Etienne, France; Marie-Pierre Chevrier, Chercheure, Enviro Sapiens; Serge Desroches, Chercheur, Université du Québec à Montréal; Daniel Drouin, Chargé de projet, Conseil Régional de l'Environnement, Montérégie;  Pierre Dumolard, Professeur et directeur du SEIGAD, Université de Grenoble, France; Jean-Marie Funel (à titre personnel); Christiane Gagnon, Professeure, Université du Québec à Chicoutimi; Nicole Huybens, Professeure, Université du Québec à Chicoutimi; Nathalie Molines, Doctorante, CRENAM, Université de Saint-Etienne, France; Jacques Prescott, Chef d'équipe, Ministère de l'environnement du Québec; Jacques Régnier, Directeur de la Région Laboratoire en Développement Durable du Saguenay-Lac-St-Jean; Vincent Roche, Professeur-associé, GEIGER, Université du Québec à Montréal; Alexis Tsoukias, Professeur, LAMSADE Université de Paris-Dauphine, France; Jean-Philippe Waaub, Professeur, GEIGER, Université du Québec à Montréal.  Pour informations: roche.vincent@uqam.ca.

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References

Electronic reference

Émilie Thuillier, Frédéric Paran and Vincent Roche, « Les agendas 21 locaux : un difficile passage du savoir à l’action Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 3 Numéro 3 | décembre 2002, Online since 01 December 2002, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/4179 ; DOI : 10.4000/vertigo.4179

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About the authors

Émilie Thuillier

Étudiante de maîtrise en Sciences de l'environnement, Université du Québec à Montréal

Frédéric Paran

Étudiant au doctorat à l’École des Mines de St-Etienne, France

Vincent Roche

Professeur-associé à l’Université du Québec à Montréalroche.vincent@uqam.ca

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