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Dossier : Agendas 21 Locaux : Des Perspectives à l'action

L’éducation comme levier de compréhension et de contagion du développement durable

Anne Versailles

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1Si tout est dans tout … Que tout interagit avec tout ; et de manière incertaine encore… Qu’en plus il faut tenir compte d’humains à naître que personne n’a encore rencontrés… Sans mentir à ceux qui vivent, maintenant, à l’autre bout de la planète ou tout à côté, et que l’on connaît si mal… Que tout cela doit s’accommoder des besoins des autres êtres vivants dont la survie, tout compte fait, conditionne la nôtre… Et si en outre on tient aussi compte du fait que nos modes de vie à nous occidentaux, nantis mais à nos yeux pas tant que cela, exigeraient au moins trois planètes pour être étendus à tous… On ne peut s’empêcher de rester perplexe… Par où commencer ? Le développement durable paraît bien difficile à concrétiser ! Et les atermoiements internationaux renforcent encore cette impression tant au niveau de l’agir local que du changer personnellement.

2À la fois pressant, complexe et encore si flou, le développement durable s’impose à beaucoup comme un réel changement de paradigme face auquel la sensibilisation, l’éducation et la formation constituent d’importants leviers de changement. Distillées au sein de presque tous les chapitres d’Action 21, ces trois notions font par ailleurs l’objet d’un chapitre spécifique1 de ce programme d’actions pour le 21e siècle. Qu’en est-il toutefois au niveau local ? Agissent-elles réellement avec cette force de levier escomptée ? Voilà quelques questions qui balisent la réflexion qui suit et qui se place dans le contexte de la mise en œuvre du développement durable, au niveau local, en Belgique francophone, avec quelques éclairages venant du côté belge néérlandophone ou d’autres pays de la francophonie européenne comme la France ou la Suisse.

Somme de problèmes, d’idéaux ou d’utopies ?

3Né de la rencontre entre Environnementalistes et Tiers-Mondistes, le développement durable a bien du mal à sortir d’une vision problèmes : problèmes environnementaux et leur cortège de pollutions, de détériorations et de nuisances ; problèmes de développement et leur cortège de mal-être, maladies, pauvreté, inégalités. Et l’action se cantonne alors dans le « lutter contre » : discipline épuisante que de toujours ramer à contre courant.

4En 1992, Rio a davantage présenté le développement durable comme une vision nouvelle du Monde : « la Terre, foyer de l’humanité qui constitue un tout marqué par l’interdépendance »2. L’idée maîtresse était celle « d’établir un partenariat mondial, sur une base nouvelle et équitable en créant des niveaux de coopération nouveaux entre les États, les secteurs clefs de la société et les peuples »3. Action 21 reposait sur l’idée que l’humanité est à un tournant de son histoire et décline en propositions de principes d’action, d’objectifs, d’activités et de moyens d’exécution un idéal vers lequel orienter ce changement de direction. Mais était-ce suffisamment opérationnel ? Par définition, si un idéal peut séduire, il ne se pratique pas. Il en est de même d’une idée, d’un concept. Et il suffit de voir le peu de cas qui a été fait de ce programme d’action pourtant pertinent et potentiellement concrétisable.

5Ainsi, quelques semaines avant Johannesburg, la Belgique cherchait-elle des initiatives qui puissent être présentées et données en exemple. L’appel lancé en ce sens par le Conseil Fédéral de Développement Durable a reçu si peu d’écho.  Cela voudrait-il dire que rien ne se fait ? Heureusement non.  Ici et là, on observe bien un bouillonnement d’initiatives locales portées par des réseaux de personnes convaincues que d’aucuns appellent des « changeurs de monde4 ». Plus que la recherche d’un idéal, c’est l’utopie qui les motive. Une somme d’utopies réalistes qui relèvent non pas des « ou-topos » du lieu qui n’existe pas, mais bien des « eu-topos » du lieu meilleur.

Agent, acteur, auteur, trois niveaux d’implication

6En 1999, une vaste enquête a été menée à l’initiative du Conseil Fédéral du Développement Durable5. Son objectif était d’investiguer ce que les Belges pensaient du développement durable. Préoccupés ! Voilà ce qui se dégageait de cette enquête : les Belges se disent préoccupés par ces questions et prêts à agir, à changer. Mais comment ?

7Une autre étude6 menée par le Réseau Eco-Consommation sur le comportement des consommateurs wallons montrait que ceux-ci se plaignent de l’ampleur de la tâche qui consiste à rassembler les informations utiles, pertinentes et suffisantes pour faire un choix responsable.  Ainsi, en matière de déchets, à part le tri dont il commence à avoir acquis les trucs et ficelles, le consommateur dit ne pas savoir quoi faire pour diminuer ses déchets.  En outre, il se dit découragé car il ne parvient que difficilement à estimer les résultats des efforts consentis.  Tant et si bien, qu’en réaction, et l’étude le montre, la conscience des problèmes environnementaux serait même en train de régresser parmi le public : on ne sait plus quoi faire, alors on ignore le problème…

8Qu’offre-t-on au citoyen qui se dit prêt à « faire quelque chose » ? On peut ici distinguer trois types d’offres qui s’adressent à trois niveaux d’implication possible pour le citoyen. L’offre la plus importante vise le niveau du citoyen-consommateur. D’agent passif, de nombreuses initiatives et campagnes de sensibilisation menées depuis les années 80 (brochures, dépliants, expositions, spots TV et radio, …) l’incitent à devenir consomm’acteur. Il s’agit surtout de l’inviter à exercer une discrimination positive vis-à-vis de certains produits reconnus acceptables sur le plan environnemental et/ou social. Il s’agit aussi de participer aux efforts collectifs de tri des déchets en vue de leur valorisation en tant que ressources secondaires. Dans une moindre mesure, il s’agit également de choisir d’autres modes et habitudes énergétiques liées au chauffage domestique, aux transports, à l’éclairage, … Toutefois, les moyens, tant en termes financiers que par rapport au registre de compétences visées, sont dérisoires face à ceux engagés par la publicité commerciale. On peut en effet regretter que cette communication dite sociale vise davantage l’intellect que l’affect7 du public ciblé (Van den Berg et Versailles, 20018). Notons aussi que des réflexions sont actuellement menées au sein du groupe de travail sensibilisation du Conseil Fédéral de Développement Durable sur l’impact négatif que peut avoir la publicité commerciale sur la mise en œuvre du « changer personnellement » et sur les moyens de le réguler9.

9Deuxième niveau d’implication possible pour le citoyen, celui de la participation active. Il est ici acteur, c’est-à-dire collaborateur, partenaire. Il collabore à la construction d’un développement, de sa compréhension à sa concrétisation. Toutefois, on peut regretter ici que l’offre de collaboration qui lui soit faite s’ouvre rarement très en amont du processus de construction. Le rôle du citoyen se limite alors à émettre un avis sur des propositions quasi finalisées qui lui sont soumises, par exemple par voie d’enquêtes publiques10. Néanmoins, on sent qu’une culture de concertation commence à se mettre en place. Différents lieux consultatifs ou participatifs existent au niveau local : commissions consultatives communales et thématiques (commission consultative d’aménagement du territoire, commission consultative de développement rural,  …), plans communaux d’environnement et de développement de la nature, contrats de rivière, plate-forme participative autour de la Forêt de Soignes11, réunions d’information et de concertation avec les élus locaux, conférences citoyennes12… A quelques exceptions près, ces formes de participations s’inscrivent dans une logique qui est d’abord et avant tout environnementale. En Flandre, on observe une culture de concertation et de participation citoyennes mieux ancrée qui se traduit notamment par des formes et des lieux de participation qui travaillent sur un mode davantage global, dont plusieurs villes en Agenda 21. Dans la partie francophone du pays par contre, il existe peu d’initiatives très volontaristes, à part peut-être celle (débutante) de l’Agenda 21 local de la commune universitaire d’Ottignies-Louvain-la-Neuve13 qui est également la première commune administrée par un bourgmestre issu d’un parti vert14. En effet, rares sont les communes qui, en Région wallonne par exemple, ont une démarche globale de développement durable car la perception environnementale est encore très poussée (Mestdag, 2002a15). En outre, elles ne disposent pas de soutien, d’incitant ou d’outils adéquats vis-à-vis de telles démarches globales.

10Par contre, si on sort du niveau de l’administration communale en tant que telle, on peut lister toute une série d’initiatives qui intègrent davantage la dimension globale du développement durable. Elles constituent souvent un troisième niveau d’implication possible pour le citoyen, celui où il est auteur de projet. Une récente étude (Mestdag, 2002b16) passe en revue une dizaine d’initiatives locales de développement durable menées en Région wallonne. Une constante : ces initiatives sont bel et bien portées par des individus ou des petits groupes d’individus qui s’impliquent réellement en tant qu’auteurs que ce soit dans un cadre professionnel ou privé, et l’auteure de l’étude n’hésite pas à les caractériser de pionniers ou de leaders. Les éléments déclencheurs de ces initiatives sont variés et le plus souvent très personnellement liés à la vie, professionnelle ou privée, de leurs initiateurs : événement anodin, logique d’opposition à un système, continuation d’une action déjà engagée, … En référence à la typologie des compétences décrites par Leclercq (1987)17, on peut assimiler ces éléments déclencheurs à des compétences dynamiques dont bénéficient fortement les auteurs de ces projets et qui leur donnent une motivation et une implication particulièrement forte qui permet de porter le projet de manière plus solide qu’en suivant un mode d’emploi. Mais comme le relève Mestdag (2002b), si cette hypothèse devait se confirmer, cela montrerait la difficulté d’inciter une démarche de développement durable en l’absence de cet élément particulier susceptible de toucher la sensibilité de l’une ou l’autre personne. L’étude brosse un tableau du genre David contre Goliath : des poignées d’initiateurs motivés qui se démènent18 corps, âme et biens face à l’inertie des comportements et des habitudes ambiants, face au manque de soutien, d’incitants et d’encouragement, face au manque d’accompagnement et d’outils. Et l’auteure de conclure que la mise en œuvre locale du développement durable ne fait décidément pas partie de ce que l’on pourrait appeler la « culture d’entreprendre » mais relève plutôt d’une opposition à un système établi. Cela se sent également très fort dans l’appel à projets de concrétisation du développement durable que lançait cette année encore la Fondation pour les Générations Futures19.

11De l’initiation (isolée) à la dynamisation (globale) de ces projets de concrétisation du développement durable au niveau local, il y a une fracture que révèle l’étude en question et que son auteure interprète comme « un symptôme d’un manque de soutien, de compréhension et de contagion du développement durable au sein de la société ». Le développement durable fait fuir20 ! La question qui se pose est de savoir comment assurer cette compréhension indispensable à la contagion, elle-même vecteur de soutien ?

12Mestdag (2002b) pointe deux pistes : celle de la nécessaire implication de tous les acteurs concernés et celle de l’importance de disposer d’une représentation de la société de demain à laquelle se référer et vers laquelle tendre. En tant que processus qui se déroule tout au long de la vie, l’éducation, tant formelle que non formelle, a ici un rôle important à jouer. Telle qu’elle se pratique actuellement, dans les milieux tant formels que non formels, l’éducation peut-elle relever ce défi ? Peut-elle assurer la compréhension de la nécessité du développement durable, la compréhension du développement envisagé et sa contagion ?

L’éducation serait-elle en crise ?

13Comprise comme un processus éminemment global, généralisé et endogène (Goffin, 197621), l’éducation mobilise un ensemble de mécanismes, de ressources et de compétences propices au développement d’une participation citoyenne aux processus de réflexion et de décision telle que prônée par Action 21.  Dans une telle perspective d’éducation en vue du développement durable, on a tendance à reconnaître divers axes de cheminement qui, en Belgique, diffèrent selon la spécificité des sources de financement possibles22. Ainsi en Flandre, l’approche globale se nomme « mondiale vorming » (éducation mondiale) et comprend cinq approches différentes : éducation à l’environnement, éducation aux droits de l’homme, éducation à la paix, éducation au développement et éducation interculturelle. Dans la partie francophone du pays, pas de coupelle globale mais quatre approches complémentaires quoi que très cloisonnées  : l’éducation relative à l’environnement, l’éducation au développement, l’éducation à la citoyenneté et l’éducation à la santé.  De manière conceptuelle, chacun de ces axes spécifiques n’est en rien exclusif des autres.  Au contraire, les valeurs qu’ils véhiculent, les compétences qu’ils visent à développer et les enjeux autour desquels ils mobilisent leurs publics s’interpénètrent l’un l’autre.

14Par son caractère global et généralisé, l’éducation (et a fortiori celle qui s’inscrit dans une compréhension et une contagion du développement durable) impose en effet transdisciplinarité et décloisonnement.  Aussi, autour de ces différentes approches qui sont autant d’axes de cheminement, voit-on en Belgique, comme ailleurs et peut-être plus qu’ailleurs23, s’organiser de nombreux acteurs publics, associatifs, institutionnels et privés.  Le contexte institutionnel belge francophone révèle un important morcellement des compétences liées à l’éducation : si les compétences « enseignement » et « culture » sont plutôt du ressort du gouvernement de la Communauté française, les gouvernements fédéral et régionaux se partagent les aspects plus thématiques (environnement, santé, développement, etc.).  Pour cette raison parmi d’autres, l’organisation entre les acteurs de l’éducation reste difficile et peu structurée.  Tous développent une multitude d’outils, animations, stages, documents, événements, campagnes, etc.  La plupart des projets menés impliquent une tripartite d’acteurs publics (souvent pourvoyeurs de moyens financiers et logistiques), associatifs (offrant compétences et services) et scolaires (souvent bénéficiaires, plus ou moins acteurs ou simplement consommateurs, des projets mis en place).  Malgré un climat pressant de concurrence entre eux, une tendance à la structuration des acteurs s’affirme néanmoins progressivement.  On assiste en effet, en Flandre plus qu’en région francophone, à des tentatives de regroupement et de coordination d’organismes, sous forme de réseau, de collectif, de groupement ou de consortium, qui se constituent de manière sectorielle (par approche ou axe de cheminement), souvent intra-communautaire et parfois en lien avec des ONG ou autres structures internationales (comme l’UNESCO).

15Dans le monde scolaire, transdisciplinarité et décloisonnement ne sont pas davantage de mise24.  Pourtant, depuis 1997, le nouveau Décret qui définit les missions de l’école ouvre grand la porte à une éducation comprise dans cet esprit d’ouverture et de mise en liens.  Le décret impose à toutes les écoles et pour tous les enfants de veiller à : (mission n°1) épanouir toute leur personnalité, (mission n°2) faire acquérir connaissances et compétences leur permettant de s’intégrer dans la vie économique, sociale, culturelle, (mission n°3) former des citoyens responsables acteurs d’une société démocratique, solidaire et pluraliste, et (mission n°4) avec les mêmes chances d’émancipation pour tous. Si tous les ingrédients y sont, dans la réalité quotidienne, la structure scolaire, ses temps, ses lieux ne permettent rien de tout cela, ou si peu.  En outre, comme le décrit Cornet (1998), chaque école redéfinit pour elle-même, selon les logiques qui lui sont propres, ce qui lui paraît juste et bon. Car chaque école est à la fois un service public (avec des missions définies de manière centralisée), une cité politique (avec des procédures de débat), un appareil idéologique (avec des exigences de fidélité à son pilier ou réseau), une communauté de personnes (avec une cohésion à affirmer et préserver), une entreprise (avec des travailleurs à organiser efficacement et des clients à satisfaire).  Aussi, selon leur contexte sociologique, verra-t-on des écoles qui privilégieront la mission d’enseignement, tandis que d’autres mettront davantage en avant la mission d’épanouissement individuel ou d’éducation civique et citoyenne. Ces dernières participeront ou consommeront l’imposante offre associative en matière d’éducation à … (l’environnement, le développement, la santé, la citoyenneté, …).

16On le voit, tant dans le secteur associatif de l’éducation non formelle que dans celui, scolaire, de l’éducation formelle, les structures sont en décrochage par rapport aux valeurs et aux compétences qu’elles mettent en avant et tentent de développer chez leurs publics. Les acteurs associatifs prônent l’interdisciplinarité, le décloisonnement, la mise en liens mais restent confinés dans leur chapelle, cherchant les spécificités qui les caractérisent et qui leur permettent de revendiquer leur part du gâteau : moyens, publics cibles, partenaires, champs d’action, … Ils prônent l’investissement dans la durée mais, pris par les enjeux à court terme liés à la découpe du dit gâteau, ne se donnent que rarement le temps d’investir dans la réflexion, la prise de recul, la formation continuée. Ils prônent le socio-constructivisme, la pédagogie de projet mais s’effraient devant l’engagement et le partage des responsabilités à la fois communes et différenciées qui caractérisent le travail collaboratif. Repli identitaire, manque de formation continuée, perte de contact avec les objectifs, les représentations et la vision à long terme de leur engagement, tout cela ne pointe-t-il pas une crise du secteur de l’éducation non formelle ? Du côté de l’éducation formelle aussi, l’école se retrouve coincée entre des logiques contradictoires : logique économique de production, d’efficacité et de compétitivité ; logique sociale d’intégration, de justice, de solidarité et d’égalité et logique culturelle d’épanouissement et de satisfaction.

17Ainsi torturée et écartelée entre des logiques divergentes, on voit mal comment l’éducation pourrait être ce levier attendu face à l’injonction de la compréhension et de la contagion du développement durable à travers les sphères tant individuelles, locales que globales.

Quel développement pour l’éducation ?

18Pour Cornet (1998), l’issue passe d’abord et avant tout par une bonne formation de base en sciences humaines : « Pour éduquer aux médias, à la citoyenneté responsable, au développement solidaire et durable, à l’environnement, à l’interculturel, … il ne faut surtout pas éduquer aux médias, à la citoyenneté responsable, au développement solidaire et durable, à l’environnement, à l’interculturel, … mais il faut deux heures de sciences humaines intégrées minimum par semaine de la maternelle au supérieur, avec des enseignants formés à la didactique des sciences humaines. ».

19Si le développement durable apparaît à beaucoup comme un changement de paradigme, sans doute faut-il en effet changer de perspectives tant pour les objectifs, les contenus que les compétences développés par ce que l’on pourrait nommer une éducation vers le développement durable. Comme le précise Forster (200225), la matière est très complexe, ses contours encore imprécis et ses limites floues. On peut déplorer en Belgique le faible rôle de l’université dans l’émergence et la compréhension du concept de développement durable. Comme le reconnaît Installé26, les chercheurs sont mal formés pour aborder des sujets qui dépassent le cadre strict de leur discipline. Il existe peu de contrats de recherche transversaux27. Encore ce cloisonnement ! En Suisse, le débat ouvert par la Fondation Education et Développement a conduit à la délimitation de cinq champs d’apprentissage : l’interdépendance, l’équité sociale, les conflits et leur résolution, les images et leur perception, les transformations et l’avenir. Programme aussi ambitieux qu’éclectique ! Différentes compétences à développer ont également été listées : celles de dialoguer, de se distancer, de pratiquer l’abstraction, de raisonner en réseau, de résoudre des problèmes, d’avoir un esprit critique, d’assimiler seul, d’évaluer les informations, de planifier, de juger et de décider. En outre, l’accent a aussi été mis sur l’objectif dit d’empowerment, soit la capacité à se prendre en main, à agir, à mobiliser sa créativité.

20En termes d’objectif, miser sur l’éducation comme levier de contagion du développement durable devrait revenir à motiver et organiser une dynamique participative qui incite le citoyen à s’impliquer autant que possible en tant qu’auteur, c’est-à-dire très en amont dans les processus d’élaboration des contenus. Organiser cette participation citoyenne exige de donner et de légitimer un nouveau statut au savoir et aux connaissances, basé justement sur leur décloisonnement, leur co-construction et leur partage.

21Bien plus qu’une mode, le fonctionnement en réseau, tant humains qu’électroniques ou en interface réel-virtuel, peut offrir de nouveaux espaces pour l’action collective. L’interactivité qui les caractérise exige de modifier les processus par lesquels nous concevons les contenus. Du modèle dans lequel le producteur conçoit et impose, par diffusion, sa conception, on passe à un modèle de métaconception dans lequel des auteurs peuvent concevoir de manière collaborative leurs propres produits.  Le design devient participatif et réseauté. En matière de développement durable et de participation citoyenne, les potentialités qu’offre ce modèle de métaconception sont évidentes.

22Toutefois, l’innovation culturelle qui transpire de cette approche n’est pas mince ! Elle ne tient pas tant dans le partage (qui fait partie de la culture des acteurs éducatifs) que dans la co-construction non pas de l’information mais des connaissances. Non pré-organisées, non linéaires, les connaissances répondent à de nouvelles caractéristiques qui induisent un passage depuis une culture d’archivage, axée sur le passé, à une culture de construction émergeante, axée sur l’avenir. Cette transformation implique notamment un changement du mode d’évaluation qui, actuellement fondé essentiellement sur des compétences spécifiques (savoirs et savoir-faire technico-scientifiques), devient davantage axé sur des compétences stratégiques (savoir collaborer, savoir se connecter, savoir interagir) exigeant des compétences dynamiques fortes (en termes de savoir-être et de savoir-devenir).

23Quelques pistes sont donc ici ébauchées pour faire de l’éducation ce levier pour une compréhension et une contagion du développement durable. En matière d’objectifs, il s’agit de permettre et d’organiser une réelle dynamique participative. En matière de contenus, il s’agit de développer des compétences spécifiques liées aux savoirs et savoir-faire des sciences humaines, sociales, politiques et économiques. En matière de compétences, il s’agit de privilégier celles qui facilitent la mise en lien et en réseau des personnes et des connaissances et qui dynamisent leur intelligence collective d’auteurs.

24En ce qui concerne enfin les limites du bras de levier ainsi constitué, il s’agit de ne pas vouloir déléguer à l’éducation (des autres) l’apprentissage de comportements que nous n’appliquons pas nous-même. Ainsi, si les actions de partenariat de type II (d’initiatives privée ou associative, sur base volontaire, et à visée éducative ou participative) que Johannesburg a voulu dynamiser sont indéniablement vecteurs de contagion du développement durable, leur pouvoir d’inoculation n’est pas illimité ! Des actions de type I (d’initiative publique, contraignantes, légales) doivent les précéder ou tout au moins relayer la contagion naissante. Ainsi, en matière d’environnement par exemple, chacun chérit son auto-mobilité, saute sur les offres alléchantes de certaines compagnies aériennes, continue à préférer une lecture sur papier plutôt que sur écran, rechigne devant la contrainte du tri des déchets ou le poids des emballages consignés, se laisse séduire par les miracles des lingettes et autres produits jetables, … bref, continue impunément à consommer et à ponctionner bien plus que les 2 hectares qui devraient équitablement revenir à chaque être humain. Mais pas de problème, on vous met une dose d’éducation relative à l’environnement ! C’est le syndrome du tigre28 : « Lorsque les chasseurs et les braconniers mettent une espèce en danger d’extinction comme le tigre, on ne s’en prend pas aux chasseurs et aux braconniers, on éduque le tigre ! ».

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Notes

1  Chapitre 36 : Promotion de l’éducation, de la sensibilisation du public et de la formation

2 Préliminaires à la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 1992

3  ibid.

4 Changeurs de Monde, Grégor Chapelle, Editions EVO, Bruxelles, 2002

5  Le rapport intégral de cette étude ainsi qu’un résumé des conclusions sont consultables sur le site http://www.belspo.be/frdocfdd/pubnlfr/enq1999/inh_mat.htm – Une deuxième enquête menée en 2002 a affiné ces résultats par une étude également qualitative : http://www.belspo.be/frdocfdd/pubnlfr/enq2002/inh_mat.htm

6  Résultats d’une enquête sur l’éco-consommation auprès de 611 personnes en Wallonie en 2001, Enquête réalisée par le Réseau Eco-Consommation, 2002

7 « Le Roi boit… Max Havelaar ! » Voici ce qu’un journaliste du journal parlé annonçait, il y a quelques jours, sur la première chaîne radio du service public belge. Témoignage symbolique s’il en est ! Et si la voie d’entrée à la sensibilisation du développement durable était justement celle-là ? Celle du témoignage de proximité. Et tant mieux si le rayon de proximité du témoin couvre toute une nation !

8  Van den berg et Versailles, A., 2001, in L’éducation à la consommation durable, Quelle politique, quelles actions ? – Actes du Colloque de l’Association Universitaire pour l’Environnement du 22/11/2000

9  Voir les résultats du Séminaire du 27 mars 2002 intitulé « Publicité et Développement durable » et consultables depuis http://www.belspo.be/frdocfdd/fr/pubfr/pubfr.htm

10  La deuxième enquête menée en 2002 sur l’existence d’une base sociale au développement durable (et consultable depuis http://www.belspo.be/frdocfdd/pubnlfr/enq2002/inh_mat.htm) révèle notamment que les citoyens interrogés s’impliquent préférentiellement dans une participation qui leur demande peu d’implication personnelle, comme par exemple le fait de signer des pétitions.

11  http://www.foretdesoignes.net

12  En 2001, la Fondation pour les Générations Futures a organisé la première Conférence Citoyenne en Belgique qui portait sur l’aménagement du territoire, la mobilité et le développement durable au niveau de la province du Brabant wallon (voir http://www.fgf.be/). En 2003, la Fondation Roi Baudouin organise une Conférence citoyenne au niveau fédéral belge sur les tests génétiques (voir http://www.mesgenes.be) et la Flandre en initie une sur la problématique des OGM.

13  http://www.billy-globe.org/fr_2001/johannesburg/reportages/lln.htm

14  A l’initiative de la Région wallonne, 15 villes sont maintenant mises en démarche d’Agenda 21 local ; mais comme l’initiative leur est en quelque sorte dictée par les instances régionales, il est possible que les compétences dynamiques de motivation nécessaires ne soient pas suffisamment présentes en leur chef pour assurer le plein succès de cette initiative.

15  Mestdag C., 2002a, Bilan et analyse des initiatives communales en matière de développement durable, Rapport de stage effectué en vue de l’obtention du DES en Science et Gestion de l’Environnement, Université Catholique de Louvain, Secrétariat INIS, Place Croix du Levant 2, Louvain-la-Neuve, 102 p.

16  Mestdag, C., 2002b, Initiatives locales de développement durable en Wallonie, identification, rencontre et analyse, WWF-Belgium, UCL-FSA-CESAME, Fondation pour les Générations Futures, 35 p.

17  Leclercq, D., 1987, L’ordinateur et les défis de l’apprentissage, in Horizon, novembre 87 et mars 88

18  L’auteure précise « par conviction personnelle, par volonté de changement et moins souvent par choix de suivre les règles d’une idéologie » car son analyse montre que les dimensions inter et intragénérationnelles sont souvent peu ou pas développées au sein de ces initiatives, or ces dimensions participent pleinement de la définition du développement durable

19 http://www.fgf.be

20  Un indicateur intéressant est ce qui s’est passé lors de la Journée de la Terre 2002 pour laquelle le WWF-belgium avait centralisé toute une série d’offres de visites guidées et d’animations sur le thème du développement durable au niveau local. Le succès fut très faible. Et, pour ne citer qu’un exemple, une excursion guidée sur le thème de la flore en Forêt de Soignes, qui se fait régulièrement avec un public nombreux, n’a attiré qu’une seule personne ce jour-là où son intitulé avait été transformé en « le développement durable de la Forêt de Soignes ».

21  Goffin, L., 1976, Environnement et évolution des mentalités, Thèse de doctorat, FUL, Arlon et http://www.lamediatheque.be/Environnement/cadre_EE_Ere.htm

22  En Suisse, on parle d’éducation dans une perspective globale, en tant que réponse pédagogique à la globalisation (voir http://www.globaleducation.ch/francais/pages/A_Zm.htm

23  Etat fédéral, la Belgique présente un système à trois étages, mis en place par une série de réformes institutionnelles.  L’étage supérieur est occupé par l’Etat fédéral, 3 communautés (la Communauté française, la Communauté germanophone et la Communauté flamande) et par 3 régions (la Région wallonne, la Région flamande et la Région de Bruxelles – Capitale). Ces acteurs sont égaux en droit et interviennent, sur pied d’égalité dans des domaines différents.  L’étage intermédiaire est occupé par les Provinces.  A la base, se trouvent les communes qui constituent les lieux de pouvoir les plus proches du citoyen.  Selon leur localisation géographique et les compétences exercées, provinces et communes relèvent de l’Etat fédéral, des Communautés ou des Régions.

24  Citons toutefois l’une ou l’autre initiatives d’écoles isolées qui font un travail qui se situe à un niveau global remarquable. La plus avancée est celle de l'Institut Robert Schuman (Eupen) qui coordonné depuis 15 ans par un enseignant, Jean-Michel Lex, instaure une véritable mise en projet de l'ensemble de l'école tant sur les aspects de gestion environnementale que de l'organisation pédagogique. Une école qui vise à être en "développement durable" et "durablement en développement". L'intérêt de cette initiative réside également dans le souci permanent de l'équipe éducative de transférer son expérience à travers la réalisation d'outils, l'échange avec des collègues d'autres écoles ainsi que la communication, l'implication et la valorisation des jeunes, etc.

25 Forster, S., 2002, Education au développement durable, article préparatoire au Congrès National « Le développement durable fait école, l’école fait-elle du développement durable ? » organisé par la Fondation Education Développement, Berne, novembre 2002

26  d’aprèsune intervention du professeur Michel Installé, membre de la Commission Environnement de l’UCL lors d’une journée d’étude sur l’éducation au développement durable (http://www.alliances.be/olln/durable/cr1.html)

27  Notons ici l’expérience intéressante de l’Université d’Anvers qui a lancé un réseau inter-facultaire au sein duquel se mettent en place des projets de recherche qui tiennent compte des aspects éthiques, sociaux, culturels, environnementaux, … et vis-à-vis desquels des experts académiques côtoient des étudiants et des citoyens. En outre, les principes de l’Agenda 21 sont inscrits dans tous les domaines et activités de l’Université.

28  D’après une image de Marc Moulin citée par Jacques Cornet, 1998, op. cit.

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References

Electronic reference

Anne Versailles, « L’éducation comme levier de compréhension et de contagion du développement durable Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 3 Numéro 3 | décembre 2002, Online since 01 December 2002, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/4183 ; DOI : 10.4000/vertigo.4183

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Anne Versailles

PhD, Consultante en communication et éducation dans le domaine de l’environnement et du développement durable a.versailles@skynet.be

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