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Dossier : ERE, Nature et Culture : Art et science au service de l'éducation relative à l'environnement

Éducation musicale et ERE : Éléments d'un cadre axiologique

Vincent Valentine

Abstracts

This paper examines the relationship between the objectives of music education and those of education relative to sound environment in Raymond Murray Schafer's educational proposal. This study aims to distinguish between music and sound dimensions, with a mind toward constructing an educational model and proposing a preliminary axiological framework born of music education and education relative to sound environment.

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Full text

Introduction

  • 1  # Raymond Murray Schafer (1933- ). Compositeur, écrivain, musicologue et éducateur canadien. Schaf (...)

1Peu de recherches traitent des relations entre l'éducation relative à l'environnement (ERE) et l'éducation musicale. À ce jour, la seule proposition que nous connaissons reste celle du Canadien Raymond Murray Schafer1 (1965, 1967, 1969, 1970, 1975, 1979, 1992).

  • 2  En anglais, Schafer emploi le mot Soundscape qui désigne à la fois l'environnement sonore, un envi (...)
  • 3  En anglais, Soundscape design. L'expression esthétique acoustique traduit mal l'esprit de ce conce (...)

2Dans Le paysage sonore2 (1979), Schafer décrit l'évolution de l'environnement sonore depuis les débuts de l'humanité. Constatant l'état de détérioration précipitée de cet environnement, il pose les assises de l'esthétique acoustique3 , une discipline ayant pour objet l'harmonisation de cet environnement sonore selon des critères esthétiques. En effet, le bruit étant un phénomène subjectif, les mesures légales ne sauraient suffire à améliorer la situation. C'est pourquoi les musiciens, en tant qu'" architectes du son ", devraient être les premiers agents de restauration du paysage sonore (Schafer, 1986, p. 248). Dans cette entreprise, ils feront appel aux connaissances de l'écologie sonore une discipline définie par Schafer comme " l'étude des sons dans leurs rapports avec la vie et la société " (1979, p. 281).

  • 4  Dans le domaine de l'écologie sonore, il est d'usage de nommer ce type d'éducation Soundscape Educ (...)

3Dans le but d'engager la population dans ce projet, Schafer a imaginé une nouvelle forme d'éducation musicale intégrant une dimension environnementale4 . Ses idées novatrices ont d'ailleurs influencé l'élaboration des programmes d'enseignement musical à l'échelle du Canada (Comeau, 1995). Mais nous pensons que la proposition de Schafer est incomplète, car plusieurs éléments restent nébuleux, implicites ou même absents. De plus, nous croyons qu'une relecture critique à la lumière des théories contemporaines en éducation serait enrichissante à plusieurs égards.

4Idéalement, notre proposition devrait se présenter sous la forme d'un modèle éducationnel (Legendre, 1993) structuré avec ses dimensions axiologiques, formelles, praxéologiques et explicative (Legendre, 2001, p. 233). Nous n'ambitionnerons pas d'élaborer un tel modèle dans le cadre de cet article. Toutefois, nous amorcerons un travail de structuration en ce sens. Une première étape consistera à éliminer l'ambiguïté autour de la double mission, environnementale et musicale, de la proposition de Schafer. En effet, les éléments axiologiques s'y rapportant ne sont pas clairement formulés.

  • 5  Actuellement, il n'existe pas de synthèse structurée et critique des différentes axiologies en édu (...)

5Étant donné que la proposition de Schafer se présente à la fois comme une éducation musicale et une éducation relative à l'environnement, nous envisageons le recours à deux cadres axiologiques distincts. En ce qui concerne l'éducation musicale, le cadre adopté s'inspire des travaux de François Delalande (1984) sur les conduites musicales5 . Bien qu'il soit discutable, nous pensons que ce cadre rejoint les intentions de Schafer. Pour la dimension environnementale, nous nous sommes naturellement intéressés au domaine de l'ERE. Le cadre théorique et stratégique proposé par Lucie Sauvé (1997) nous est apparu approprié en ce qu'il synthétise une trentaine d'années de recherches en ERE et fournit des repères axiologiques très bien définis et articulés.

6Pour chacune de ces deux dimensions, nous présenterons une liste d'objectifs généraux qui servira à situer les aires d'intervention respectives, nous résumerons la pensée de Schafer et compléterons avec des éléments de mise en contexte. Le cas échéant, nous ciblerons au passage quelques aspects à envisager ou à réexaminer et proposerons des éléments de solution.

Une éducation musicale6

  • 6  Ces objectifs sont donnés à titre indicatif à défaut de pouvoir recourir à une synthèse validée. (...)

7Du point de vue de l'éducation musicale, Schafer s'inscrit dans les pédagogies d'éveil-créativité, un courant fondé sur les nouvelles formes d'expression musicale et sur la prise en compte de la créativité enfantine (Valentine, 2000). Essentiellement, il s'agit de développer chez l'enfant des conduites musicales, avant d'entreprendre un enseignement musical ou instrumental particulier. Selon Delalande (1984), les conduites musicales seraient universelles et animeraient depuis toujours le désir d'invention musicale. Dans le cadre de ce texte, nous les reformulons en termes d'objectifs généraux pour l'éducation musicale :

  1. Accroître de la sensibilité aux sons;

  2. Développer l'habileté à produire des sons;

  3. Développer la capacité d'attribuer une signification aux sons;

  4. Développer la capacité d'organiser les sons;

  5. Développer la capacité d'apprécier une organisation sonore (D'après Delalande, 1984).

  • 7  Exemples de définitions traditionnelles de la musique :
  • 8  En français : L'art des bruits.

8Au vingtième siècle, l'avant-garde musicale a remis en question et rejeté les définitions conventionnelles de la musique7 . Un des moments marquants de cette révolution musicale fut certainement la publication en 1913 de L'arte dei rumori8 du peintre et compositeur futuriste Luigi Russolo (1954). Dans son manifeste, l'Italien montrait l'influence du bruit mécanique sur la sensibilité humaine et, par voie de conséquence, sur l'esthétique musicale. Ennuyé par les sons purs de la musique, Russolo souhaitait enrichir les timbres de l'orchestre traditionnel par la construction de nouveaux instruments producteurs de bruits.

  • 9  John Cage (1912-1992). Compositeur américain; une des figures les plus importantes de la musique a (...)
  • 10  Nous nous sommes limités ici au contexte du XXe siècle. Toutefois, depuis la pensée des pythagoric (...)

9Plusieurs courants musicaux se sont développés au vingtième siècle en subrogeant le concept de " notes ", c'est-à-dire des sons relativement stables, de hauteur repérable, par un concept beaucoup plus intégrateur, le " son ". Ces nouvelles pratiques et théories musicales ont permis d'étendre la palette orchestrale à l'ensemble de l'univers sonore connu. Pour John Cage9 : " Music is sounds, sounds around us whether we're in or out of concert halls " (Schafer, 1986, p. 94). Héritier de ces courants musicaux10, Schafer nous propose de voir l'environnement sonore comme une composition musicale dans laquelle nous serions à la fois le public, les interprètes et les compositeurs (Schafer, 1979, p. 281). L'environnement sonore devient donc ici l'objet de l'éducation musicale et le prétexte au développement des conduites musicales (Valentine, 2001).

10Dans la conception schaferienne, il ne faut plus chercher les activités musicales dans leur forme habituelle. Par exemple, Schafer remplace l'expression ear training par ear cleaning (Schafer, 1967). Alors que la première fait référence aux activités de formation auditive conventionnelles consistant, par exemple, à identifier et à reproduire des intervalles, des accords ou des mélodies (Truax, 1999), la seconde vise le déconditionnement des habitudes d'écoute. Ainsi, on fera porter l'attention des élèves sur des sons habituellement ignorés, tels que le son de la ventilation d'un édifice, celui des pas sur un trottoir ou les sons extramusicaux lors d'un concert. On pourra ensuite décrire les caractéristiques de ces sons avec des mots, les représenter graphiquement ou gestuellement, puis tenter de les imiter avec la voix.

11De même, les activités d'analyse musicale se feront directement dans l'environnement sonore. Par exemple, l'utilisation du magnétophone permettra d'enregistrer un environnement sonore précis. Des réécoutes successives serviront à catégoriser les sons : 1) tonalité, signal, empreinte, archétype (1979, p. 23); 2) humain, animal, naturel, technologique (1979, p. 197); 3) beau, laid, agréable, désagréable (1979, p. 202); etc. Le sonomètre mesurera avec précision l'intensité des sons en décibels afin d'évaluer le niveau de dangerosité d'un lieu. L'itinéraire acoustique sera utilisé pour explorer un environnement sonore donné. Il s'agit d'une promenade guidée par une partition, sorte de carte indiquant les climats sonores et sons intéressants auxquels porter attention durant le parcours (Schafer, 1979, p. 291).

  • 11  En anglais, Soundscape composition. La musique environnementale est une forme de musique électroac (...)

12Enfin, la composition musicale devient esthétique acoustique. Elle peut prendre la forme d'une intervention directe dans l'environnement sonore de façon à améliorer une situation jugée insatisfaisante ou, à la manière des compositeurs de musique environnementale11 , celle d'une œuvre électroacoustique réalisée à partir des sons de l'environnement. D'autres types de composition sont aussi possibles.

Une éducation relative à l'environnement sonore

13Si la proposition de Schafer peut être envisagée comme une forme d'éducation musicale, elle se présente aussi comme une éducation relative à l'environnement. À titre de rappel, mentionnons que l'ERE peut être envisagée selon trois perspectives complémentaires (Sauvé, 1997, p. 80): 1) la perspective environnementale qui vise à préserver, restaurer et améliorer la qualité de l'environnement; 2) la perspective éducative qui vise à favoriser le développement optimal des personnes et des groupes sociaux en ce qui concerne leur relation à l'environnement; 3) la perspective pédagogique qui vise à promouvoir le développement d'une éducation plus adaptée à la réalité du monde actuel et aux besoins des sociétés contemporaines, dont la transformation sociale elle-même.

14Les objectifs généraux pour les perspectives environnementale et éducative de l'ERE pourraient être formulées ainsi (d'après Sauvé, 1997) :

  1. Prise de conscience au sujet de l'environnement sonore, des problèmes associés et du réseau de relation personne - société - environnement sonore.

  2. Acquisition de connaissances sur l'environnement sonore, sur les problèmes associés et sur le réseau de relation personne - société - environnement sonore.

  3. Développement d'attitudes et de valeurs favorables à l'optimalisation du réseau de relations personnes - société - environnement sonore.

  4. Développement de compétences et d'habiletés relatives à la résolution de problèmes et à l'écogestion, dans la perspective du développement de sociétés responsables.

  5. Adoption de modes de vie personnels et exercice de l'action individuelle et collective favorables au réseau de relations personne - société - environnement sonore

  • 12  http://interact.uoregon.edu/MediaLit/WFAE/home/index.html

15La dégradation de l'environnement sonore est une question sensible chez Schafer qui fut l'un des premiers à attirer l'attention du public sur la problématique de la pollution sonore, une dimension souvent négligée de la pollution environnementale. La pollution sonore résulte d'un déséquilibre entre les éléments d'un environnement sonore causé par un ou plusieurs sons perturbateurs (Truax, 1999). Les effets physiologiques, psychologiques et communicationnels de la pollution sonore sont maintenant largement documentés, notamment sur le site Internet du World Forum for Acoustic Ecology12 .

  • 13  En anglais : Tuning.

16Pour Schafer, la pollution sonore est avant tout un problème de société qui résulte de la perte d'une culture de l'audition. Dans Le paysage sonore (1979), il défend la thèse selon laquelle depuis la Renaissance et l'invention de l'imprimerie, la vue aurait évincé l'ouïe dans les modes de préhension de la réalité. L'harmonisation13 de l'environnement sonore implique le rétablissement d'une culture auditive et, conséquemment, des changements profonds dans notre conception de la vie et de nos rapports avec l'environnement (Schafer, 1979).

17Une telle transformation sociale ne pourrait reposer sur le seul développement des conduites musicales; il faut favoriser le développement de multiples dimensions de la personne et l'acquisition d'un savoir-agir ainsi que susciter un vouloir-agir relatif à l'environnement sonore. C'est précisément la mission de l'ERE (Sauvé, 1997).

18Or, une crainte hante les musiciens pédagogues : la prise en compte de la dimension environnementale vient-elle compromettre l'atteinte des objectifs liés à la dimension musicale ? Nous répondrons que lorsque le concept d'environnement sonore est intégré à celui de musique, comme c'est le cas ici, il n'y pas d'opposition a priori entre l'éducation musicale et l'éducation relative à l'environnement sonore. Il est cependant essentiel de comprendre que ces deux dimensions sont complémentaires, chacune ayant une axiologie spécifique. Dans la planification pédagogique, les deux dimensions devront toutefois être prises en compte simultanément.

  • 14  Il ne s'agit que d'une esquisse servant à illustrer l'orientation générale d'une démarche d'intégr (...)

19Dans Pour une éducation relative à l'environnement, Lucie Sauvé (1997) propose une démarche globale d'ERE caractérisée par six phases : 1) exploration; 2) conception d'un projet; 3) déroulement du projet; 4) communication; 5) évaluation; 6) suivi (Sauvé, 1997, p. 270-288). Inspirée de ce modèle-cadre, voici quelles pourraient être les étapes d'une activité de type recherche-action visant la résolution d'un problème lié à l'environnement sonore14.

20Exploration : Stimulés par un élément déclencheur, les élèves explorent d'abord leur environnement sonore. Ils participent alors à un itinéraire acoustique qui leur fait découvrir et interpréter différentes dimensions de l'environnement sonore de leur école afin de favoriser un éveil sensoriel et l'émergence de questions. Cette activité leur permet de développer concurremment des compétences musicales, comme la discrimination auditive.

21Conception : À la suite de cette phase exploratoire, les élèves ont à choisir un projet à réaliser. Ce pourrait être la résolution d'un problème de pollution sonore identifié dans l'école.

22Déroulement : Ils doivent effectuer une investigation plus poussée de cette situation dans le but d'aboutir à un diagnostic. Pour ce faire, ils sont amenés à vérifier les niveaux sonores, à recueillir des échantillons sonores, à étudier les effets psychologiques, physiologiques ou même éducationnels de la situation problématique. Ils peuvent aussi être amenés à analyser les valeurs qui sous-tendent les positions des différents acteurs et à clarifier les leurs en organisant des débats ou des jeux de rôles. Ils ont finalement à porter un jugement esthétique sur la situation étudiée, ce qui fait partie des compétences musicales.

23Ensuite, ils ont à engager plus spécifiquement leurs compétences en esthétique acoustique. Afin de résoudre la situation problématique, ils doivent imaginer différentes solutions. Quatre principes devront être considérés (Schafer, 1979) : 1) le respect de la voix et de l'oreille humaine; 2) la conscience du symbolisme des sons; 3) la connaissance des rythmes et des tempi du paysage sonore naturel; 4) la compréhension des mécanismes d'équilibre grâce auxquels un paysage sonore aberrant peut se corriger. Les solutions proposées sont ensuite évaluées afin de retenir la meilleure. Un plan d'action est élaboré, mis en œuvre, puis évalué.

24Communication : Une fois le projet complété, les élèves doivent en communiquer le processus et les résultats lors d'un événement spécial. Cette étape permet, entre autres, d'objectiver, de structurer et de synthétiser les principaux apprentissages, de même que de partager les nouvelles connaissances, expériences et réalisations.

25Évaluation et suivi : L'évaluation du projet par l'enseignant doit porter à la fois sur le processus et sur les résultats et fait appel à l'évaluation formative et à l'évaluation sommative. Le suivi, correspond à une évaluation à long terme et vise la consolidation des acquis.

26Dans sa perspective pédagogique, l'ERE se présente comme un mouvement éducationnel favorisant le changement en éducation. Les objectifs généraux de la perspective pédagogique pourraient se formuler ainsi (Sauvé, 1997):

  1. Ouvrir l'école sur le milieu de vie;

  2. Promouvoir une pédagogie interdisciplinaire;

  3. Promouvoir l'implication active de l'élève dans le processus d'apprentissage;

  4. Promouvoir l'apprentissage coopératif;

  5. Stimuler l'approche expérientielle de la réalité;

  6. Promouvoir le recours à la démarche de résolution de problèmes réels.

27Schafer a été professeur titulaire à l'Université Simon Fraser de Colombie Britanique de 1965 à 1975. C'est sans doute à cet endroit qu'il a pris connaissance des courants de recherche novateurs en pédagogie : pédagogie ouverte, créativité, interdisciplinarité. Sa proposition en est visiblement inspirée. On peut aussi supposer qu'il s'est intéressé à l'ERE étant donné la filiation évidente entre les stratégies qu'il préconise et celles employées dans ce champ éducationnel.

28Mais, comme c'est souvent le cas en éducation musicale, la dimension pédagogique reste peu élaborée et beaucoup d'éléments restent implicites. Schafer énonce bien quelques principes généraux, mais il ne développe pas les détails de leur mise en application et n'expose pas les fondements théoriques sur lesquels il s'appuie. De plus, Schafer restreint l'aspect apprentissage en se concentrant presque exclusivement sur les contenus à acquérir. Il est donc difficile de se prononcer sur la pensée pédagogique de Schafer. Néanmoins, des indices nous permettent d'inférer qu'il rejoint l'esprit de plusieurs des objectifs généraux présentés ci-haut.

29Ouvrir l'école sur le milieu de vie : Dans ses écrits, Schafer milite en faveur d'une éducation musicale au diapason de son époque qui tienne compte des réalités et des problématiques musicales actuelles. Elle s'oppose en cela au culte des génies disparus qui caractérise une conception répandue de l'éducation musicale. De plus, les activités pédagogiques se réalisent souvent dans le milieu de vie.

30Promouvoir une pédagogie interdisciplinaire : Un des grands intérêts de la proposition de Schafer est d'ouvrir l'éducation musicale sur des préoccupations éducationnelles contemporaines : éducation relative à l'environnement, éducation à la citoyenneté, éducation à la santé, etc. De plus, l'étude de l'environnement sonore implique le recours aux données issues des disciplines scientifiques qui s'intéresse au son : acoustique, psychoacoustique, anthropologie, sociologie, etc. Enfin, Schafer insiste sur les correspondances qui unissent les différentes formes artistiques. Il est donc très facile d'envisager une pédagogie interdisciplinaire. S'il y fait allusion, Schafer ne précise toutefois pas les paramètres d'une telle pédagogie.

31Promouvoir l'implication active de l'élève dans le processus d'apprentissage : Schafer ne précise pas le rôle de l'élève dans le processus d'apprentissage; il propose des situations d'apprentissage expérientiel.

32Promouvoir l'apprentissage coopératif : L'éducation musicale en milieu scolaire est largement une affaire de groupe. La plupart du temps, on fait référence à l'apprentissage collectif plutôt qu'à l'apprentissage coopératif. Schafer n'aborde pas la question de la coopération dans l'apprentissage; il propose néanmoins des activités de groupe.

33Stimuler l'approche expérientielle de la réalité : Pour Schafer, il ne saurait y avoir d'éducation relative à l'environnement sonore sans un contact avec les réalités sonores. Plusieurs activités suggérées par Schafer impliquent donc une immersion dans l'environnement sonore : promenades et itinéraires acoustiques, recherches de sons spécifiques, analyse sur le terrain, etc. Schafer ne fait évidemment pas allusion à la théorie de l'apprentissage expérientiel, laquelle a été développée un peu plus tard, soit au début des années 1980 (Sauvé, 1997).

34Promouvoir le recours à la démarche de résolution de problèmes réels : Les activités proposées par Schafer sont surtout des exercices. Certaines impliquent une intervention directe dans l'environnement sonore en vue de la résolution d'un problème de pollution sonore. Cependant, Schafer ne fait pas référence à une démarche de résolution de problèmes.

Conclusion

35Cet article avait pour de but d'amorcer une restructuration de la proposition de Schafer à la lumière des connaissances actuelles en éducation musicale et en ERE. L'objectif était de préciser la double mission, environnementale et musicale, de sa proposition. Pour ce faire, nous avons procédé à une analyse de cette proposition en fonction d'un cadre axiologique issu de l'éducation musicale et de l'ERE.

36Sur le plan de l'éducation musicale, Schafer a su proposer une éducation musicale ouverte sur les réalités musicales et les préoccupations éducationnelles contemporaines. Son concept de paysage sonore s'inscrit dans la théorie musicale contemporaine et peut servir de fondement à une éducation axée sur le développement de conduites musicales. En ce qui concerne l'ERE, Schafer doit être considéré comme un pionnier. D'une part, ses premiers écrits coïncident avec la naissance de l'ERE, soit à la fin des années 1960. D'autre part, bien que l'oreille soit l'un des principaux capteurs sensibles de l'environnement et que la pollution sonore soit devenue un problème socio-environnemental préoccupant, il demeure l'un des seuls à avoir traité de la dimension sonore de l'environnement en éducation. Notre analyse nous a permis de comprendre que la poursuite d'objectifs musicaux et environnementaux pouvait être compatible dans le cadre d'une éducation musicale.

37L'analyse de la proposition de Schafer a fait ressortir le peu d'importance qu'il accorde aux aspects pédagogiques. Dans une optique éducentrique (Legendre, 1995), sa proposition serait plus intéressante si elle était développée à l'intérieur d'un cadre théorique et stratégique qui tienne compte de toutes les composantes de la situation pédagogique et qui intègre les récents développement de la pédagogie. Cela pourrait favoriser la conception et l'élaboration d'activités plus appropriées aux buts poursuivis.

38Enfin, il ressort globalement que le cadre théorique et stratégique développé par Lucie Sauvé (1997) pourrait être appliqué avantageusement à la dimension environnementale de la proposition de Schafer. Cette dernière en serait grandement enrichie. Un cadre équivalent devrait être appliqué à la dimension musicale. Malheureusement, le domaine de l'éducation musicale ne bénéficie pas encore d'un outil aussi élaboré.

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Bibliography

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Valentine, V. 2000. " L'instrumentarium Baschet : l'innovation et la tradition en éducation musicale ". Mémoire de maîtrise. Montréal : Université du Québec à Montréal.

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Notes

1  # Raymond Murray Schafer (1933- ). Compositeur, écrivain, musicologue et éducateur canadien. Schafer est l'un des compositeurs canadiens les plus réputés; il s'est aussi illustré dans d'autres champs de spécialisation, notamment en musicologie et en journalisme. Ses écrits sur l'enseignement musical et sur l'écologie sonore constituent, encore aujourd'hui, des références incontournables.  

2  En anglais, Schafer emploi le mot Soundscape qui désigne à la fois l'environnement sonore, un environnement de sons et un environnement sonore abstrait, c'est-à-dire une composition musicale.

3  En anglais, Soundscape design. L'expression esthétique acoustique traduit mal l'esprit de ce concept. Nous la conservons cependant dans ce texte. L'esthétique acoustique a trait au rétablissement et à l'amélioration d'environnements sonores déséquilibrés et son processus s'apparente à celui de la composition musicale, puisqu'il s'agit essentiellement de choisir les sons à préserver, à introduire ou à éliminer dans un environnement sonore en fonction de critères esthétiques.

4  Dans le domaine de l'écologie sonore, il est d'usage de nommer ce type d'éducation Soundscape Education. La terminologie française n'est pas encore précisée.

5  Actuellement, il n'existe pas de synthèse structurée et critique des différentes axiologies en éducation musicale. Une recherche concernant le développement d'une axiologie globale de l'éducation musicale mériterait d'être entreprise. Cette axiologie pourrait nous aider à mieux comprendre la nature de l'éducation musicale et à favoriser l'élaboration de programmes d'études plus complets et cohérents.

6  Ces objectifs sont donnés à titre indicatif à défaut de pouvoir recourir à une synthèse validée.

7  Exemples de définitions traditionnelles de la musique :

    * Art of combining sounds with a view to beauty of form and expression of emotion; sounds so produced; pleasant sound, e.g. song of a bird, murmur of a brook, cry of a hound (The Concise Oxford English Dictionary (1956) cité dans Schafer, 1986, p. 94).

    * Science des sons considérés quant à la mélodie, au rythme et à l'harmonie (Quillet-Flammarion,1963, p. 1059).

    * Science ou emploi de sons qu'on nomme rationnels, c'est-à-dire qui entrent dans une échelle dite gamme (Michel, 1961, p. 272).

8  En français : L'art des bruits.

9  John Cage (1912-1992). Compositeur américain; une des figures les plus importantes de la musique au XXe siècle. Ses recherches sur la facture instrumentale, les techniques de composition liées au hasard, la musique électronique et ses réflexions philosophiques ont profondément changé les conceptions et les perspectives musicales (Rostand, 1970). Il a notamment composé une oeuvre pour piano, titrée 4'33'', dans laquelle le pianiste ne produit aucun son. La musique est celle des sons qui proviennent de la salle : ventilation, chuchotements, toux, etc.

10  Nous nous sommes limités ici au contexte du XXe siècle. Toutefois, depuis la pensée des pythagoriciens et leurs théories très poussées sur la musique des sphères, il existe bel et bien une conception de la musique de la Nature; une musica mundana opposée à la musica humana. Très opérante à la Renaissance, cette conception a connu des sursauts importants au XIXe siècle aussi.

11  En anglais, Soundscape composition. La musique environnementale est une forme de musique électroacoustique caractérisée par la présence d'ambiances et de sons environnementaux. Le but est de susciter chez l'auditeur des associations mnémoniques et imaginaires liées à l'environnement sonore et de révéler des significations profondes (Truax, 1999). Claude Schryer et Hildegard Westerkamp sont des compositeurs représentatifs de ce courant.

12  http://interact.uoregon.edu/MediaLit/WFAE/home/index.html

13  En anglais : Tuning.

14  Il ne s'agit que d'une esquisse servant à illustrer l'orientation générale d'une démarche d'intégration musique-ERE.

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References

Electronic reference

Vincent Valentine, « Ã‰ducation musicale et ERE : Éléments d'un cadre axiologique Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 4 Numéro 2 | octobre 2003, Online since 02 October 2008, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/4482 ; DOI : 10.4000/vertigo.4482

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About the author

Vincent Valentine

Doctorant UQAM, chargé de cours à la Faculté des arts de l'UQAM.vincent.valentine@sympatico.ca

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