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Dossier : Santé et environnement

Les risques sanitaires des produits dérivés de la chloration des eaux de bassins de natation

Sylviane Carbonnelle

Abstracts

Swimming pools are attended by a lot of people worldwide, to swim or to relax. However, the chlorinated atmosphere of swimming pools may be responsible for health problems. Indeed, the majority of swimming pools are disinfected by chlorine based products –leading to the formation of potentially toxic derivatives- and studies have recently drawn attention to health risks linked to the attendance of swimming pools. It has been suggested among other things that the increasing and earlier exposure of children to swimming pools chlorination by-products could, in association with other factors, be implicated in the increasing incidence of asthma and allergies. For the moment, prevention measures should be taken to decrease the risk linked to the exposure to these derivatives (reduction in their formation or in their accumulation at least).

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1Selon une enquête menée en 2000 par le COIB (Comité Olympique et Interfédéral Belge), la natation est le deuxième sport national après le cyclisme. La natation est pratiquée par 23% de la population, ce qui représente une augmentation de 7% par rapport à l’enquête de 1998. Cette activité sportive est pratiquée par 26% des habitants du sud du pays, ce qui lui donne la première place au palmarès des disciplines sportives. Elle prend la deuxième place dans le nord du pays après le cyclisme avec 21% de personnes qui s’adonnent à ce sport. Des chiffres de TNS Media (spécialiste des enquêtes de marché en Belgique) et du COIB datant d’avril 2001 révèlent que la natation obtient la deuxième place parmi les sports favoris des femmes belges avec 33% des préférences après le vélo et le cinquième chez les hommes belges avec 15% des préférences.

2La natation possède de nombreux avantages. C’est un sport complet qui produit un état de bien-être chez les personnes qui la pratiquent. Elle n’impose pas nécessairement un exercice de haute intensité (comme dans la course à pied par exemple) et partant, est accessible au plus grand nombre. Le corps est porté par l’eau ; ce sport convient par conséquent aux obèses, aux femmes enceintes, aux personnes âgées. En outre, il engendre peu de pathologies de surcharge (tendinites, périostites…), contrairement à certains sports. La natation offre aussi l’avantage d’une position couchée et d’un exercice avec les bras et les jambes ; elle favorise donc le retour veineux et le remplissage cardiaque et de ce fait, augmente le volume d’éjection cardiaque. Ce sport est même souvent recommandé aux asthmatiques par le corps médical, l’atmosphère chaude et humide des bassins prévenant l’apparition de crises d’asthme. On observe en effet moins de bronchoconstriction induite par l’exercice dans ce sport. Enfin, le fait de savoir nager évite des noyades.

3Cependant, jusqu’à présent, peu d’attention a été portée à l’environnement et plus particulièrement à la qualité de l’air dans lequel se pratique ce sport. Or, la première raison évoquée par les personnes pratiquant un sport est le maintien de la santé (motivation première avec 97% des réponses parmi les personnes sondées lors de l’enquête du COIB en 2000). Il est de ce fait important de vérifier si les bénéfices incontestables de la natation énumérés ci-dessus ne sont pas contre-balancés par l’apparition de pathologies liées aux conditions d'environnement dans lesquelles se pratique ce sport.

4La chloration de l’eau potable est sans conteste un des progrès majeurs de santé publique du siècle passé. Elle a permis la disparition de nombreuses maladies comme le choléra, la fièvre typhoïde, la dysenterie. A côté de cela, de nombreux effets délétères sont attribués au chlore et à ses dérivés. Citons par exemple les pesticides organochlorés (DDT), les chlorofluorocarbures (CFC) détruisant la couche d’ozone, les polychlorobiphényles (PCB), les dioxines.

5La majorité des piscines sont désinfectées grâce au chlore ou à ses dérivés. La chloration de l’eau est une technique de désinfection aisée et bon marché permettant d’éviter de nombreuses infections bactériennes, virales et parasitaires. Des affections peuvent en effet se propager au sein de toute communauté et par conséquent également lors de la fréquentation des bassins de natation. Ce sont les sels d’hypochlorite (sodium ou calcium) et le chlore gazeux qui sont le plus souvent employés, mais d’autres désinfectants à base de chlore sont parfois utilisés comme les chloroisocyanurates (OMS, 2000). Dans les piscines traitées par chloration, de l’acide hypochloreux est formé lors de l’ajout du désinfectant à l’eau. L’acide hypochloreux est l’agent biocide. C'est un oxydant puissant. Lorsqu'il réagit avec la matière organique apportée par les baigneurs (sueur, urine, squames de la peau, résidus de cosmétiques...), de nombreux produits potentiellement toxiques sont formés, parmi lesquels notamment le chloroforme lors de la réaction avec la matière carbonée (Figure 1a) et des chloramines lors de la réaction avec la matière azotée (Figure 1b).  Les chloramines existent sous trois formes : la mono-, la di- et la trichloramine (ou trichlorure d’azote).

6Les chloramines, par leur caractère oxydant, sont parfois utilisées comme désinfectants.  Due à sa faible solubilité dans l’eau, la trichloramine est la plus volatile et se retrouve donc dans l’air. Ce gaz donne l’odeur caractéristique des bassins de natation et est responsable de l’irritation oculaire et respiratoire ressentie par les personnes fréquentant ces bassins (Massin, 1998 ; Agabiti et coll., 2001). Le trichlorure d'azote constitue l’espèce largement prédominante dans l’air des bassins de natation (Jessen, 1998) et la plus toxique pour les voies respiratoires. C’est le seul gaz à atteindre des concentrations aussi élevées dans un environnement fréquenté par le grand public. Les niveaux de chloramines dans l’eau et dans l'air fluctuent largement avec le degré de chloration de l'eau, le taux d'occupation du bassin, l'hygiène et le comportement des baigneurs, le renouvellement et la température de l'eau et de l'air (Si la température de l'air n'est pas supérieure d'au moins deux degrés à celle de l'eau, l'évaporation est favorisée et le passage de la trichloramine dans l'air est de ce fait facilité.), la turbulence de l'eau (présence éventuelle de toboggans, vagues, bulles, cascades, jets et chutes d'eau comme les parapluies favorisant le dégazage des chloramines et menant à la formation d'aérosols d'acide hypochloreux). Les concentrations dans l’air peuvent varier entre 500 et 1500 µg/m³ tandis qu’elles sont généralement de l’ordre du mg/l dans l’eau. On comprendra aisément que les niveaux les plus élevés sont retrouvés dans l’air des bassins récréatifs.

7Dans notre société, il est de bon ton d’envoyer les enfants à la piscine dès leur plus jeune âge. La croyance que l’environnement d’une piscine ne présente pas de risque pour la santé de ceux qui la fréquentent est profondément ancrée dans les esprits et le manque de considération à l'égard du problème potentiel de toxicité de ces produits issus de la chloration de l'eau est reflété par les règlements de la plupart des pays, axés sur la qualité microbiologique de l’eau des piscines, ignorant en grande partie la qualité de l’air. En Belgique, cependant, à la suite de notre première étude explicitée ci-après, un arrêté du 10 octobre 2002 du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fixant les conditions d’exploitation pour les bassins de natation paru au Moniteur Belge du 8 novembre 2002 stipule que les valeurs maximales admissibles de chloramines dans l'air sont de 0,5 mg/m³. Cette valeur est identique à la valeur de confort qui a été proposée en France par l'INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité). Malgré la conviction de beaucoup de personnes que l’environnement d’une piscine est sain, il serait quand même intéressant de vérifier si les désinfectants à base de chlore et leurs dérivés ne peuvent pas représenter un risque pour la santé des personnes exposées à ce type d’environnement, c’est-à-dire les nageurs (et particulièrement les enfants qui représentent une bonne partie des baigneurs dans ces établissements), mais aussi les maîtres nageurs. Les enfants sont particulièrement à risque, à la fois en raison de facteurs biologiques (maturation pulmonaire, respiration buccale, fréquence respiratoire et rapport surface/poids plus élevés, peau plus perméable), comportementaux (ingestion d’une plus grande quantité d’eau par les jeux et l’apprentissage de la natation) et environnementaux (eau plus chaude, forte densité de baigneurs, bassin peu profond contribuant à une concentration de chloramines). Ceci explique par exemple qu’un enfant d’un an restant une heure dans une piscine chlorée absorbe en moyenne trois fois plus de chloroforme qu’un maître nageur pendant une semaine, ce qui provoque un net dépassement de la dose journalière acceptable de chloroforme (OMS, 2000).

Figure 1. Description des réactions chimiques formant les composés potentiellement toxiques dans les piscines désinfectées grâce au chlore

a) formation du chloforme (entre autres), b) formation des chloramines.

8En fait, un grand nombre de personnes sont exposées à l’atmosphère chlorée des bassins de natation - on peut estimer ce nombre à plusieurs millions dans le monde - et représentent des populations très diverses : il y a celles qui vont à la piscine de leur propre initiative pour y nager ou s’y délasser (le grand public, les nageurs de compétition) mais aussi les bébés nageurs suite au choix de leurs parents, les écoliers dans le cadre de l’obligation scolaire du cours de natation, certaines personnes pour des raisons médicales et enfin, les maîtres nageurs et le personnel d’entretien des piscines dans le cadre de leur profession. Il faut rappeler que presque toutes les personnes présentes dans une piscine sont exposées au trichlorure d’azote, celui-ci se trouvant dans l’atmosphère des piscines traitées au chlore qui sont majoritaires.

9Plusieurs facteurs expliquent le fait que les concentrations en chloramines soient plus élevées qu’auparavant. L’augmentation du coût de l’énergie a amené à construire des bassins dont le plafond est de plus en plus bas, de manière à réduire les dépenses de chauffage. De ce fait, les chloramines peuvent s’accumuler dans l’air des piscines. Il est d'ailleurs presque possible de deviner l’année de construction d’un bassin rien qu’en connaissant la hauteur du plafond. L’augmentation du coût de l’eau a amené à réduire son renouvellement. Ceci provoque une accumulation de chloramines. Les équipements récréatifs se sont multipliés ces dernières années, provoquant la formation d’aérosols d’acide hypochloreux et favorisant le dégazage des chloramines. C’est d’ailleurs cette propriété qui est utilisée dans les systèmes visant à éliminer les chloramines (Gérardin et coll., 1999). On comprendra alors que les bassins à débordement dégazent en permanence les chloramines dans l’air de la piscine ! L’augmentation de la température de l’eau n’a généralement pas été accompagnée d’une augmentation de celle de l’air, ceci favorisant à nouveau le dégazage des chloramines.

10Les enfants sont aussi plus fréquemment exposés et de façon plus précoce. On peut citer la vogue des bébés nageurs, la possibilité d'aller à la piscine dès les premières années d'école offerte par un nombre croissant d'établissements, l'augmentation de la fréquentation des piscines par de jeunes enfants accompagnés de leurs parents, l'accroissement du nombre de piscines privées parfois couvertes (avec concentration des chloramines dans l'air dans ce cas).

11Plusieurs éléments sont apparus tout récemment dans la littérature scientifique suggérant que l’exposition croissante et de plus en plus précoce des enfants aux produits de chloration dans les piscines publiques pourraient, en association avec d'autres facteurs (en particulier les allergènes domestiques), être impliquée dans l’augmentation de l’incidence de l'asthme et des allergies.

12Dans la plupart des pays industrialisés, on assiste depuis plusieurs années à une augmentation inquiétante de l’asthme et des allergies, en particulier chez les jeunes enfants. L’asthme est d’ailleurs une priorité de santé publique pour l’OMS. Cette affection reste sous-diagnostiquée et sous-traitée. Elle est à l’origine d’une morbidité importante et constitue en particulier la première cause d’absentéisme scolaire lié à une affection chronique chez l’enfant. Elle entraîne en outre chaque année plusieurs décès en Belgique. On ne dispose pas à ce jour de données précises concernant l’ampleur de ce phénomène. A Bruxelles toutefois, on estime à environ 14 % la prévalence d’enfants présentant de l’asthme. Cette information provient de la campagne de dépistage menée par le COIB entre 1996 et 1999. Parmi le pourcentage estimé, la moitié concerne un asthme méconnu du patient. De façon remarquable, l’asthme présente de grandes variations entre les écoles et les quartiers de Bruxelles (de 5 à plus de 20 %) sans qu’un lien statistique ne ressorte avec le niveau socio-économique des enfants, la présence d’animaux domestiques ou l’exposition à la fumée de cigarette. Plusieurs hypothèses liées à l’environnement ou au mode de vie ont été successivement évoquées pour expliquer cette augmentation de l’incidence de l’asthme et des maladies allergiques : pollution de l’air, allergènes domestiques, vaccinations, exercice physique, alimentation et plus récemment encore, une hygiène excessive. A ce jour cependant, la cause exacte de l’augmentation de l’incidence de l’asthme et des allergies chez l’enfant n’est pas encore établie et en tout cas, on n’a pas encore identifié un facteur de risque dont le contrôle permettrait d’arrêter et d’inverser l’évolution actuelle de l’incidence de ces maladies. La question de recherche de nos études vise à tester l’intervention du facteur environnemental qu’est la fréquentation des bassins chlorés dans ces pathologies. Il s’agit d’étudier s’il existe un lien entre l’exposition au trichlorure d’azote présent dans l’air des bassins de natation dont les eaux sont désinfectées par chloration et des troubles respiratoires, qu’ils soient au stade infra-clinique ou clinique.

13La toxicité aiguë du trichlorure d’azote est bien connue. Chez l’animal, cette substance a le même pouvoir d’irritation que le chlore ou le formaldéhyde (Gagnaire, 1994) et cause un œdème pulmonaire fatal à haute dose (Barbee, Thackara et Rinehart, 1983). Chez l’homme, des cas d’atteinte pulmonaire aiguë ont été décrits à la suite d’expositions accidentelles à des désinfectants ou agents de nettoyage à base de chlore (Martinez et Long, 1995 ; Karnak et coll., 1996 ; Tanen, Graeme et Raschke, 1999).

14La littérature scientifique est remarquablement pauvre en ce qui concerne la toxicité chronique du trichlorure d’azote. Une étude a été réalisée chez des maîtres nageurs français (Massin, 1998). Elle n’a pas trouvé de relation entre l’exposition au trichlorure d’azote, les indices de la fonction respiratoire et l’hyperréactivité bronchique. Cependant, à cause d’un biais potentiel de sélection (effet du travailleur sain : les personnes devenues malades ont quitté la profession), les auteurs n’excluent pas la possibilité d’effets chroniques. Toutefois, une équipe franco-britannique a récemment démontré que le trichlorure d’azote peut provoquer de l’asthme chez des maîtres nageurs (Thickett et coll., 2002). Bien que certaines études antérieures aient déjà révélé une fréquence accrue d’asthme et d’hyperréactivité bronchique chez les nageurs de compétition (Zwick et coll., 1990 ; Helenius et coll., 1998), elles n’étaient pas spécifiquement axées sur le trichlorure d’azote. De plus, il pourrait s’agir d’une causalité inverse (Il y a peut-être beaucoup d’asthmatiques qui font de la natation). Certains cas qui semblent lier le développement ou la dégradation d'un asthme aux désinfectants à base de chlore utilisés dans le cadre du traitement des eaux de piscines ont également été rapportés (Anonymous, 1979 ; Mustchin et Pickering, 1979 ; Penny, 1983 ; Watt, 1991 ; Fjellbirkeland, Gulsvik et Walloe, 1995). Il n’est toutefois pas possible de tirer des conclusions à partir d’asthmatiques ayant suivi des programmes d’entraînement de natation (Fitch, Morton et Blanksby, 1976 ; Huang et coll. 1989 ; Matsumoto, Araki et Tsuda, 1999 ; Wardell et Isbister, 2000).

15Nous avons réalisé une étude, rendue publique en janvier 2001, mettant en évidence chez des enfants de 8 à 12 ans une hyperperméabilité de la barrière constituée par le revêtement cellulaire du poumon dont le facteur déterminant principal était la fréquentation cumulée de la piscine scolaire (Bernard et coll., 2003). Cette fragilisation des poumons avait été découverte grâce au dosage sanguin de protéines provenant du poumon (pneumoprotéines) et reflétant l'intégrité du revêtement pulmonaire. Ces protéines sont la CC16 (protéine de la cellule de Clara, une cellule des petites bronches), la SP-A et la SP-B (protéines associées au surfactant). Elles permettent donc de détecter des lésions infra-cliniques du revêtement cellulaire du poumon causées par des polluants de l’air et d’autres toxiques pulmonaires (Hermans et Bernard, 1998). De là, une série de questions se sont posées, notamment les répercussions réelles sur la santé de la fréquentation de piscines traitées au chlore. Nous avons alors réexploité les données provenant de la campagne de dépistage de l’asthme du COIB. En interrogeant les directeurs d'écoles sur la fréquentation des piscines des enfants ayant participé à l’étude, nous avons trouvé un lien entre la prévalence de l’asthme et la fréquentation cumulée des piscines dans le cadre des activités scolaires, lien renforcé en tenant compte de la hauteur des bassins. (Bernard et coll., 2003). Nous avons rapidement effectué une étude sur les effets aigus de l’exposition d’enfants et d’adultes à l’atmosphère chlorée d’une piscine lors d’une séance de natation où l’augmentation de perméabilité pulmonaire a été reproduite, sans altération des tests fonctionnels respiratoires (pas de changement des volumes et débits d’air). Cette perméabilité accrue était déjà présente après exposition passive à l'air de la piscine (Il avait été demandé aux adultes de rester d'abord au bord de la piscine avant la nage).  Cette modification de perméabilité a aussi été retrouvée chez des souris ou des rats exposés à l’atmosphère de la même piscine ou à de la trichloramine pure (Carbonnelle et coll., 2002). Une observation intéressante de notre première étude est la corrélation positive entre les immunoglobulines E (marqueur de sensibilisation allergique) et les concentrations de SP-B. Ceci suggère qu’une perméabilité pulmonaire augmentée pourrait prédisposer les enfants (du moins, les sujets susceptibles) au développement de l’asthme (lien entre les immunoglobulines E et l’asthme).

16Si un lien causal pouvait être établi entre l’exposition au trichlorure d’azote par la fréquentation des bassins de natation et l’asthme, une diminution considérable de la morbidité et de la mortalité pourrait être obtenue en agissant sur le facteur “ piscine ”. En effet, l’asthme est une maladie fréquente, touchant toutes les tranches d'âge de la population, en particulier les jeunes enfants. Bien que l’asthme soit une maladie multifactorielle, on peut en espérer une diminution de fréquence importante, même en agissant sur un seul facteur. Toute réduction de l’incidence de cette affection, même minime, entraînerait une amélioration considérable de la qualité de vie de nombreuses personnes, sans tenir compte de l’impact socio-économique, cette affection représentant une charge considérable pour la collectivité.

17Le système respiratoire n’est toutefois pas le seul atteint. En effet, il existe trois voies d’exposition. L’inhalation concerne aussi bien les gaz que les aérosols. Par inhalation d’aérosols d’acide hypochloreux, des chloramines pourraient être formées in situ à l’intérieur de la cavité buccale. L’absorption par voie cutanée n’est pas à sous-estimer, surtout chez l’enfant. Enfin, il ne faut pas négliger l’exposition par ingestion, chaque nageur avalant en moyenne 50 ml d’eau par heure de natation (jusqu’à un demi-litre pour un enfant). Les organes impliqués comprennent donc potentiellement les poumons, les yeux, la peau et l’appareil digestif. Dans la littérature scientifique, on trouve quelques articles concernant la toxicité des piscines chlorées vis-à-vis d’organes autres que le poumon. Une équipe a émis l’hypothèse qu’en synergie avec d’autres facteurs, l’eau chlorée pourrait jouer un rôle dans le développement du mélanome cutané, à cause de la présence de mutagènes dans l’eau (Rampen et Fleuren, 1987 ; Rampen, Nelemans et Verbeek, 1992 ; Nelemans et coll., 1994). Concernant le système oculaire, Haag et Gieser (1983) ont constaté un œdème de la cornée chez des sujets nageant en eau chlorée, sans impact sur l’acuité visuelle. Ils ont également observé des érosions de la cornée. Un auteur a même relevé des érosions dentaires chez les nageurs de compétition (Geurtsen, 2000).

18En conclusion, à défaut d’un changement du système de désinfection de l’eau, la qualité de l’air des bassins doit être améliorée. Il existe en effet des alternatives à l’emploi du chlore comme désinfectant. On peut le remplacer par le brome ou l’ozone, mais ceux-ci posent aussi des problèmes (OMS, 2000). Seul le système cuivre-argent, utilisé dans deux piscines en Belgique, semble avoir fait ses preuves. Ce système demande néanmoins un investissement important.

19Les risques toxiques des produits dérivés de la chloration des piscines sont évitables par des mesures simples et c’est pour cette raison que les autorités sanitaires et les directeurs de piscines doivent tout mettre en œuvre pour éviter une pollution par ces substances. Il faut d’une part réduire la formation de chloramines et d’autre part les éliminer de façon efficace lorsqu’elles sont formées. Pour agir sur la formation des chloramines, il faut réduire l’apport de matière organique et donc agir sur l’hygiène des baigneurs (douche idéalement savonnée, passage aux toilettes avant d’aller à l’eau pour les enfants, port effectif du bonnet de bain…), de même qu’il est nécessaire de bien contrôler certains paramètres tels que les concentrations de chlore dans l’eau et la température de l’air et de l’eau. L’élimination des chloramines, pour éviter leur accumulation dans l’air de la piscine, peut être améliorée par l’optimisation du système de ventilation (en évitant de recycler l’air !) ou par l’investissement dans des systèmes de dégazage en dehors des halls de piscine (bac tampon avec chutes d’eau ou tour de strippage) (Gérardin et coll., 1999).

20Les bienfaits du sport et de la natation en particulier ne sont donc pas à mettre en cause. Toutefois, à la lumière de nos résultats, il serait souhaitable de ne pas emmener les enfants à la piscine dès leur plus jeune âge en raison de leur sensibilité plus élevée aux toxiques. Dans l'attente de plus amples informations concernant les risques sanitaires de la fréquentation des piscines chlorées, l’idéal serait de fréquenter une piscine non traitée au chlore ou du moins bien ventilée, surtout pour les jeunes enfants et les asthmatiques.

21L'intérêt des études déjà réalisées, de celles en cours ou à l'état de projet, est donc d'attirer l'attention sur les effets réels et potentiellement nocifs de certaines substances utilisées couramment dans notre environnement. Les résultats de nos observations permettront peut-être de mieux cerner ces effets et de préciser les recommandations à suivre pour protéger la population. En effet, les personnes travaillant dans l’industrie agro-alimentaire pourraient également être concernées puisque les légumes frais prêts à l’emploi ainsi que la volaille et le gibier sont désinfectés dans de l’eau chlorée avant conditionnement. Des chloramines sont d’ailleurs présentes dans l’air de ces entreprises (Hecht, 1998). Peu avant la première guerre mondiale et jusque dans les années 50, la trichloramine a été employée à large échelle pour blanchir la farine, mais cette technique a disparu suite à la découverte de dérivés toxiques dans le pain (Mellanby, 1946). Enfin, le personnel de nettoyage est également concerné par l’emploi de désinfectants à base de chlore comme l’eau de javel.

22Remerciements : Les études réalisées à l’Université catholique de Louvain ont été financées par l’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement avec le soutien du Ministre de l’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale.

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Bibliography

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Site internet d’intérêt :

http://www.inrs.fr - entrer les mots-clés "chlore", "chloramine" et "trichlorure". Les publications de l’INRS ayant trait aux chloramines sont disponibles sur le site dans leur intégralité.

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References

Electronic reference

Sylviane Carbonnelle, « Les risques sanitaires des produits dérivés de la chloration des eaux de bassins de natation », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 4 Numéro 1 | mai 2003, Online since 01 May 2003, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/4638 ; DOI : 10.4000/vertigo.4638

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About the author

Sylviane Carbonnelle

Médecin de Santé Publique, Université catholique de Louvain,clos Chapelle-aux-Champs 30/54, B-1200 Bruxelles, 00-32-2-764-32-56 Sylviane.Carbonnelle@toxi.ucl.ac.be

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