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2009

Les aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles : est-ce possible dans les forêts québécoises?

François Brassard

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Introduction

  • 1 Certains intervenants affirment que la cible de protection de 8 % du territoire est suffisante, al (...)

1Depuis 2002, la superficie des aires protégées est passée de quelques milliers à plus de 117 000 km2 sur le territoire du Québec avec la mise en œuvre du Plan d’action stratégique sur les aires protégées, coordonné par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). Bien qu’un débat subsiste sur le pourcentage à atteindre1 en cette matière, la création d’aires protégées est devenue une action fondamentale dans la mise sur pied d’un aménagement durable des forêts. Elles sont la clé de voûte des stratégies de conservation qui visent à maintenir le fonctionnement des écosystèmes et à créer des zones de refuge pour les espèces dans un paysage forestier transformé et homogénéisé par les activités humaines. Notons au passage que le standard de certification forestière du Forest Stewardship Council – qui fixe des cibles en matière d’aires protégées – a contribué à leur essor dans les forêts exploitées du Québec.

2À l’échelle mondiale, la vaste majorité des aires protégées a été créée au cours des quarante dernières années. On compte maintenant dans le monde 12 % des terres émergées en zones protégées. Ce changement d’affectation du territoire constitue une révolution en ce qui concerne l’utilisation des écosystèmes, tant à l’échelle mondiale qu’à celle du Québec. Pour la première fois depuis la révolution industrielle, des superficies significatives sont dédiées à la protection de la nature. Il s’agit d’un changement de valeur important que l’on commence à reconnaître et à comprendre.

  • 2  Québec, 2002, Loi sur la conservation du patrimoine naturel. Éditeur officiel du Québec, LRQ, chap (...)

3Dans la zone forestière du Québec, l’établissement des aires protégées se fait principalement en utilisant deux nouveaux statuts : les réserves de biodiversité et les réserves aquatiques, inscrits dans la Loi sur la conservation du patrimoine naturel adoptée en 20022. Ces statuts d’aire protégée ont spécialement été créés pour répondre au contexte des forêts québécoises, caractérisées par une forte utilisation pour la villégiature, la chasse, la pêche, la randonnée, les diverses activités traditionnelles, etc. Les planificateurs d’aires protégées de l’époque ont jugé qu’il n’était pas possible de faire croître significativement le réseau avec les statuts traditionnellement utilisés au Québec, puisqu’ils interdisent, par exemple, la chasse sportive et la villégiature. De plus, le ministère de l’Environnement de l’époque ne considérait pas ces activités récréatives comme les plus problématiques sur le plan de la conservation de la biodiversité. Il a plutôt visé la création de territoires protégés où les activités industrielles, comme la récolte de bois à grande échelle, les activités d’exploration et d’extraction minières, le harnachement de rivière, etc., sont interdites. Ce choix a été motivé par le fait que l’exploitation industrielle des ressources naturelles a un impact important sur la biodiversité, en modifiant la dynamique naturelle des écosystèmes et les habitats des espèces.

4Le Québec a donc utilisé des statuts d’aires protégées moins restrictifs que les réserves écologiques et les parcs nationaux pour faire croître son réseau d’aires protégées. Cette stratégie est nécessaire pour créer les bases d’un réseau d’aires protégées qui seront des témoins de l’évolution des écosystèmes, sans les activités industrielles qui ont cours sur la majorité du territoire forestier. Ce réseau devrait contenir – dans des zones de plusieurs centaines de km2 – les différentes conditions écologiques du milieu forestier pour remplir son rôle de témoin et de refuge pour les espèces. À cet effet, le MDDEP réalise un bilan de la performance du réseau d’aires protégées en matière de conservation de la biodiversité. Ce bilan devrait être publié au cours de l’année 2009 et il permettra de découvrir, le cas échéant, les carences en matière de représentativité de ces zones témoins.

L’après-objectif du « 8 % représentatif de la biodiversité » au Québec

  • 3  http://www.iucn.org/fr/congress_fr/index.cfm

5Les enjeux de connectivité, de zones tampons, d’efficacité de la gestion et de l’adaptation aux impacts des changements climatiques interpellent de plus en plus les planificateurs d’aires protégées. Ces enjeux étaient parmi les principaux thèmes discutés par la communauté internationale lors du dernier congrès de l’UICN tenu à Barcelone en octobre 20083. Plusieurs États élaborent actuellement des stratégies pour assurer une connectivité biologique entre les zones témoins que sont les aires protégées strictes. Les zones tampons, qui assurent une transition dans les mesures de protection autour des aires protégées strictes, pourraient aussi s’avérer nécessaires dans un contexte d’aménagement forestier intensif ou dans le cas d’aires protégées trop petites pour assurer pleinement leurs rôles de protection. L’établissement d’aires protégées dans les zones les plus sensibles aux changements climatiques est une stratégie adoptée par plusieurs États, dont l’Australie, ce qui pourrait aussi influer sur l’aménagement du territoire forestier du Québec. C’est pourquoi, sans présumer des résultats du bilan 2009 sur les aires protégées, le MDDEP étudie la possibilité d’utiliser aussi les catégories d’aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles (catégorie VI de l’IUCN) dans la phase qui suivra l’atteinte de l’objectif du « 8 % représentatif de la biodiversité ».

L’exemple ou l’exception du parc Algonquin en Ontario

6Le parc Algonquin se situe entre la Baie Georgienne et la rivière des Outaouais au centre sud de l’Ontario. Il est le premier parc provincial à avoir été instauré en Ontario en 1893. À la même époque, le Québec créait les parcs des Laurentides, De La Vérendrye et de la Montagne-Tremblante. Ces derniers ont par la suite perdu leur statut de parc, sur la majorité de leur superficie, au profit de celui de réserve faunique, alors qu’en Ontario le parc Algonquin a conservé son statut de « parc provincial ».

7Le parc Algonquin couvre aujourd’hui une superficie de 7 700 km2, ce qui en fait le troisième plus grand parc de cette province. L’Ontario le classe comme un « parc naturel ». L’originalité de ce parc est qu’il est géré en fonction d’une utilisation durable des ressources forestières, en plus d’assurer les missions de conservation, d’interprétation du patrimoine, de récréation, etc., traditionnellement associées au statut de parc. Selon notre compréhension, le parc Algonquin est l’exemple qui se rapproche le plus de ce que pourrait être une aire protégée avec utilisation durable des ressources naturelles en forêt boréale.

8Les activités qui se déroulent dans ce parc sont déterminées par le plan de gestion du parc provincial Algonquin réalisé par l’autorité de conservation du parc. Ce plan cerne les diverses zones du parc, y compris les réserves naturelles, les zones sauvages, les sites historiques, les zones d’environnement naturel, d’aménagement, d’accès ainsi que de loisirs et d’utilisation des ressources, qui orientent l’ensemble des activités qui ont lieu dans ce parc. C’est l’autorité de conservation du parc qui approuve les plans d’aménagement forestier.

9Ainsi, 44 % de la superficie du parc est dédiée à la protection stricte, i.e. sans prélèvement des ressources forestières, tandis que 56 % est disponible pour des activités de foresterie. Le parc Algonquin accueille chaque année près d’un million de visiteurs qui viennent du monde entier, mais surtout de l’Amérique du Nord. Parmi les attractions du parc, on compte le « centre des visiteurs » et le musée des bûcherons. Un programme d’interprétation du parc propose des activités comme des excursions d’appel au loup, des promenades guidées, etc.

10Les activités de foresterie dans la région existaient déjà avant que le parc Algonquin ne soit établi comme parc provincial. Les grandes ressources forestières du parc en font une source importante de bois pour l’industrie forestière locale. Le parc fournit environ 40 % de l’approvisionnement en bois des terres de la Couronne au centre de l’Ontario. Il emploie plus de 420 personnes dans des activités de foresterie et plus de 2 400 dans des usines de façonnage du bois. Ainsi, les forêts du parc contribuent grandement à l’économie régionale.

  • 4  Organisme placé sous l’autorité du gouvernement ontarien.
  • 5  Ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, 2007, Le parc Algonquin, fiche technique.

11L’Agence de foresterie du parc Algonquin est l’organisme de la Couronne4 chargé de veiller à la gestion durable des forêts du parc. Le plan de gestion du parc stipule que les activités de foresterie sont autorisées dans la zone de loisirs et d’utilisation des ressources. Le plan de gestion forestière de l’Agence décrit la façon dont ces activités doivent se dérouler. L’Agence de foresterie du parc Algonquin est également responsable de la récolte du bois et de la distribution de produits du bois aux usines. En 2005-2006, elle a vendu pour 25,5 millions de dollars de produits du bois. En 2007, treize usines de bois recevaient une partie de leur approvisionnement en bois du parc de manière régulière, et cinq à dix autres, de façon périodique. En se fondant sur la récolte moyenne actuelle de bois de 520 000 m3 par année, les forêts du parc Algonquin injectent chaque année quelque 170 millions de dollars dans l’économie de l’Ontario5.

Une demande sociale pour les aires protégées de catégorie VI voit le jour au Québec

12Un certain nombre d’intervenants du milieu forestier commencent à s’intéresser aux aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles (catégorie VI de l’IUCN) au Québec. Un groupe de travail est actif depuis 2007 et étudie cette option de conservation du territoire forestier. Il est coordonné par Nature Québec et réunit différents représentants des milieux faunique, gouvernemental et environnemental. Ce comité a le mandat de faire des recommandations au gouvernement en vue d’établir la bonification des territoires fauniques structurés de manière à ce qu’ils répondent aux critères internationaux d’une aire protégée avec utilisation durable des ressources naturelles. Un rapport devrait être publié au début de l’année 2009.

13Certains intervenants, dont la Société des établissements de plein air du Québec, se sont déjà positionnés en faveur de l’établissement de ce type de statut de protection dans des territoires fauniques structurés. Notons aussi que pour M. Alain Cossette, de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs : «Il est urgent que l’ensemble des réserves fauniques bénéficient d’un statut de protection particulier, comme par exemple celui d’aire protégée de catégorie VI en lien avec les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Les réserves sont des territoires patrimoniaux où les activités de chasse, de pêche et de villégiature devraient se pratiquer dans un contexte privilégié». En l’absence d’une véritable gestion intégrée des ressources forestières, une demande sociale voit le jour pour l’établissement d’aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles.

14Par contre, une partie du mouvement environnemental québécois et canadien voit d’un mauvais œil l’utilisation de cette catégorie d’aire protégée. Ces intervenants craignent que l’établissement d’aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles ne nuise à la création d’aires protégées « strictes » comme les réserves de biodiversité et les parcs nationaux. Ils craignent également que les juridictions n’utilisent ce statut moins restrictif pour faire croître rapidement la proportion d’aires protégées sur leur territoire.

Une vision québécoise des aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles

15Si nous voulons que ce mode de conservation du territoire se réalise avec succès au Québec, il faut assurer une grande rigueur environnementale à chacune des étapes de sa mise en œuvre. Les territoires qui seront proposés pour obtenir ce statut devront répondre à la définition et aux principes d’aire protégée énoncés dans les lignes directrices pour l’application des catégories de gestion aux aires protégées de l’UICN. En ce sens, le groupe de travail sur la catégorie VI du Québec a adopté une vision de l’utilisation de cette catégorie en conformité avec les travaux de l’UICN. En voici la version actuelle :

Une aire protégée avec utilisation durable des ressources est un territoire voué à la protection et au maintien de la biodiversité et utilisé de manière à sauvegarder la naturalité de ses écosystèmes tout en assurant l’utilisation durable de ressources naturelles et de services nécessaires au bien-être des communautés.

Ces territoires constituent des espaces exemplaires en matière de développement durable où la conservation de la nature intègre la préservation, la gestion durable des ressources biologiques, la protection et, le cas échéant, la restauration. Sur ces territoires, la protection des écosystèmes naturels et la mise en valeur des ressources sont mutuellement bénéfiques. Pour être acceptables, les stratégies et pratiques de mise en valeur des ressources naturelles doivent être complémentaires ou du moins compatibles avec les objectifs de protection de la biodiversité et de maintien du caractère naturel de l’aire protégée. En cas de conflit avec l’utilisation des ressources naturelles, la protection et le maintien de la biodiversité ainsi que le maintien du caractère naturel des écosystèmes doivent prendre préséance.

La gestion de l’aire protégée doit être encadrée par des autorités publiques dotées d’un mandat précis visant la protection et le maintien de la biodiversité et des ressources de l’aire, dont ils s’acquittent en collaboration avec les communautés concernées.

Dans le cadre d’un réseau intégré d’aires protégées s’appuyant sur l’ensemble des six catégories de l’UICN, l’un des rôles privilégiés des aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles est également de contribuer au maintien de l’intégrité écologique d’aires protégées strictes, en servant de zones tampons avec les territoires altérés plus fortement par l’homme. Les aires protégées de catégorie VI facilitent la structuration de complexes de zones protégées multi-catégories interconnectées visant la protection et le maintien de la biodiversité et de la naturalité des écosystèmes à une échelle biorégionale.

16Conclusion

17En 2002, le Québec a fait le choix d’utiliser les catégories d’aires protégées « strictes » (principalement de catégories II et III) pour faite croître son réseau d’aires protégées à la hauteur du 8 % représentatif des écosystèmes du territoire forestier. Il s’est aussi engagé à créer un réseau d’aires protégées qui réponde aux standards internationaux en la matière. L’utilisation de catégories strictes de gestion pour cette première phase d’établissement du réseau est nécessaire pour constituer de véritables zones témoins de grandes superficies (> 100 km2). Ces zones de protection serviront de base à l’établissement d’un aménagement durable des forêts. Au besoin, elles seront complétées en fonction des résultats du bilan de la performance du réseau d’aires protégées, qui sera publié en 2009.

18Une fois cette base de zones témoins bien établie dans le paysage forestier, il est permis de penser qu’une partie des prochaines aires protégées créées au Québec pourrait inclure un volet d’utilisation durable des ressources forestières, dans un objectif de maintien de la biodiversité. Ces aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles (catégorie VI) répondraient aux besoins de conservation de certains territoires fauniques structurés ou de territoires communautaires. Toutefois, le succès de cette approche repose sur l’établissement d’une grande crédibilité environnementale des actions d’aménagement et de prélèvement réalisées dans ces aires. C’est pourquoi il est nécessaire de créer des outils scientifiques et légaux propres à cette nouvelle approche de conservation au Québec.

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Notes

1 Certains intervenants affirment que la cible de protection de 8 % du territoire est suffisante, alors que d’autres sont d’avis que c’est un minimum et qu’il faut aller vers une proportion beaucoup plus élevée.

2  Québec, 2002, Loi sur la conservation du patrimoine naturel. Éditeur officiel du Québec, LRQ, chapitre C-61.01, 35 pages.

3  http://www.iucn.org/fr/congress_fr/index.cfm

4  Organisme placé sous l’autorité du gouvernement ontarien.

5  Ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, 2007, Le parc Algonquin, fiche technique.

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References

Electronic reference

François Brassard, « Les aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles : est-ce possible dans les forêts québécoises? Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Regards / Terrain, Online since 30 December 2008, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/7243 ; DOI : 10.4000/vertigo.7243

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About the author

François Brassard

Coordonnateur scientifique à la planification du réseau d’aires protégées, Direction du patrimoine écologique et des parcs, ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec (Canada), Courriel : francois.brassard@mddep.gouv.qc.ca

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