1L’humanité est de plus en plus consciente des enjeux environnementaux qui risqueraient de compromettre la durabilité de la vie sur terre. En effet, depuis la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement tenue à Stockholm (1972), en passant par le Sommet de Rio de Janeiro en 1992, les Etats ne cessent de s’engager, à travers des Conventions, Traités et Protocoles, à œuvrer pour un monde meilleur. Il s’agit de générer le développement durable. Ce vœu pieux, par ailleurs un bel objectif justifié, pose un certain nombre des préalables avant de devenir une réalité vivante et vécue.
2Musibono (2006) soutient qu’il est impossible de prétendre à un quelconque développement durable tant il n’y a pas encore une redéfinition des règles plus justes du marché mondial et que la pauvreté sous toutes ses formes cesse d’écraser une bonne partie de l’humanité. La destruction des écosystèmes et des habitats les plus fragiles par une exploitation désordonnée des ressources naturelles ainsi que par des rejets toxiques ou polluants ne contribue pas à la promotion du développement durable. Enfin, comment peut-on parler du développement durable quand il n’y a pas sécurité sociale ? Quand la grande majorité des communautés nationales du Tiers monde vit de façon chronique et/ ou aiguë dans la pauvreté la plus absolue. Par exemple, comment comprendre qu’avec des excédents agricoles d’un côté, l’on puisse faire de l’alimentation un luxe de l’autre ?
3Au regard de ce qui précède, nous affirmons que la ratification des traités internationaux sur des questions environnementales ne veut rien dire quand une bonne partie de l’humanité se trouve dans une pauvreté absolue. Cet article essaie de montrer que le grand ennemi de la durabilité de l’humanité reste l’insécurité économique, l’insécurité écologique (c’est-à -dire pollution et dégradation de la qualité de l’habitat ; destruction des écosystèmes et gaspillage des ressources) et l’insécurité sociale, et qu’au-delà des slogans, le monde (devenu village planétaire) doit accroître la solidarité réelle (Musibono, 2009 ; PNUE-GEO3, 2003).
4Une certaine opinion des pays pauvres considère souvent les questions environnementales, importées des pays industrialisés à travers les Nations unies, l’Union européenne et autres partenaires au « développement », comme une des multiples stratégies qui freinent l’industrialisation du Sud pour permettre aux Etats du Nord à travers leurs multinationales le pillage des ressources naturelles du Sud. Les miettes des bénéfices rétrocédées à travers l’aide au développement et l’aide humanitaire sont claironnées pour distraire (accentuant ainsi la dépendance et la pauvreté chronique), etc. Nous avons entendu maintes fois ces déclarations même auprès des universitaires qui sont fatigués des injustices du marché mondial, de l’absence de la justice sociale distributive des richesses créées par le bradage des ressources naturelles du Sud au niveau du village planétaire, un nouveau concept pour flouer le tiers monde afin de mieux le dépouiller de ces ressources. Ici, nous essayons de vérifier jusqu’à quel niveau ces affirmations en sourdine peuvent-elles traduire la réalité du public sur le terrain.
5Notre réflexion porte sur une étude qui s’est déroulée à Kinshasa d’avril 2005 à mars 2007. Kinshasa, une mégapole d’environs huit à dix millions d’habitants, est la capitale de la République Démocratique du Congo dont la population est essentiellement d’origine rurale. Kinshasa est une ville très hétérogène morphologiquement car à la périphérie surélevée en plateaux s’oppose le centre plat donnant ainsi à la ville la forme d’assiette. La population présente d’énormes disparités sociales, avec une grande prédominance de la classe paysanne à la périphérie accidentée. Ces paysans urbains pratiquent l’agriculture de subsistance sur un espace réduit, ce qui crée des conflits fonciers récurrents entre différents usagers. L’administration publique, le commerce, l’agriculture urbaine et services divers constituent les principales sources de revenu de la population. En effet, le maraîchage et le petit élevage parcellaire sont depuis les années 1990s les principales sources de revenus familiaux (Jeune Afrique, 2007 ; Musibono, 2009).
6La vie de la population reste encore très ruralisée et cela se traduit, entre autres, par des comportements ruraux. La culture urbaine est encore embryonnaire. Tous ces comportements démontrent que les gens n’ont pas encore quitté psychologiquement leurs villages et rendent difficile l’assainissement de la ville. On peut prendre pour exemple l’usage des poubelles et des latrines modernes, qui semble être une corvée pour ces populations.
7L’étude sur laquelle nous basons notre réflexion repose sur trois questions relatives à quelques traités environnementaux déjà ratifiés par la RDC de manière à évaluer le niveau d’information environnementale à la base, le niveau de connaissance et d’appropriation par rapport à la Convention sur commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Nous voulions avoir une idée sur le niveau d’appropriation de ces conventions et protocoles par la population de Kinshasa, par ailleurs la plus scolarisée du pays. S’agissant de CITES, nous avons également recouru à l’observation directe sur le marché à gibier et à animaux sauvages sur pieds (WRI, 2001 ; WRI, 1998).
8Ainsi, neuf des traités ratifiés par la République démocratique du Congo (soit deux protocoles et sept conventions) ont été utilisés dans cette étude effectuée auprès de 3 000 personnes, choisies aléatoirement, dans trois milieux socioprofessionnels différents, à raison de 1 000 personnes par milieu socio-professionnel (universités, écoles primaires, marchés public) (PNUD, 2008).
9Au regard des résultats de l’enquête, il apparait que la grande majorité de la population ne connaît pas les traités internationaux. Pour la population la plus scolarisée (universitaires), le traité le plus connu est celui sur les changements climatiques (88 %) et le protocole qui s’y rattachant (89 %), mais uniquement 64 % des universitaire connaissent la convention sur la diversité biologique et 3 % pour la CITES. Pour la majorité des traités, le niveau d’information est très faible. Les élèves du secondaire et les vendeurs sont les moins informés.
Tableau 1. Réponses positives, par catégorie socioprofessionnelle, aux questions posées
Questions et Traités
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Catégories socio-professionnelles
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Universités
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Ecoles secondaires
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Vendeurs aux Marchés publics
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1. Avez-vous déjà entendu parler de :
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Oui
|
Oui
|
Oui
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Protocole de Carthagena ?
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45 (4,5Â %)
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0 (0Â %)
|
0 (0Â %)
|
Convention-cadre sur les changements climatiques ?
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876 (87,6Â %)
|
134 (13,4Â %)
|
0 (0Â %)
|
Protocole de Kyoto…. ?
|
892 (89,2Â %)
|
137 (13,7Â %)
|
0 (0Â %)
|
Convention sur la diversité biologique ?
|
643 (64,3Â %)
|
3 (0,3Â %)
|
0 (0Â %)
|
Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone ?
|
347 (34,7Â %)
|
15 (1,5Â %)
|
0 (0Â %)
|
Protocole de Montréal ?
|
152 (15,2Â %)
|
8 (0,8Â %)
|
0 (0Â %)
|
Convention de Stockholm sur les POPs ?
|
64 (6,4Â %)
|
0 (0Â %)
|
0 (0Â %)
|
Convention sur le droit de la mer ?
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128 (12,8Â %)
|
0 (0Â %)
|
0 (0Â %)
|
Convention sur la lutte contre la désertification ?
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163 (16,3Â %)
|
0 (0Â %)
|
0 (0Â %)
|
2. Avez-vous déjà entendu parler de CITES ?
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28 (2,8Â %)
|
0 (0Â %)
|
5 (0,5Â %)
|
10Le Tableau 1 indique bien l’absence d’une communication environnementale pour une meilleure appropriation des traités par la population. Le 0,5 % des vendeurs ayant déjà entendu parler de CITES n’en savent pas grand-chose car préoccupés par leur survie quotidienne. Cela se traduit bien par leur commentaire à la question 3a. En outre, plus grave encore, les élèves futurs cadres du pays, sont ignorants de la CITES et de la majorité des autres conventions internationales, bien qu’on organise dans le pays une journée de l’arbre chaque année. Ce qui nous pousse déjà à formuler une recommandation urgente sur la vulgarisation par des voies formelles (ex. programmes scolaires) et par des voies informelles (ex. actions de sensibilisation par des médias, des ONGs, Eglises, les conférences, séminaires, etc.) de différents traités environnementaux afin de créer une conscience environnementale nationale, surtout chez les futurs leaders du pays.
11Cette méconnaissance se traduit par la présence d’espèces animales protégées dans les marchés (Tableau 2). Ce tableau illustre aussi la pression exercée sur la biodiversité par les chasseurs (sur terrain) et des revendeurs à Kinshasa. En questionnant les 0,5 % des vendeurs du gibier et animaux sauvages sur pieds qui ont déjà entendu parler de la CITES, ceux-ci relèvent qu’ils doivent vivre car ce commerce constitue leur source de revenu, non négligeable, dans un environnement de cueillette sans protection sociale.
12Ces observations indiquent un niveau d’application faible des Conventions environnementales en R D Congo. Un tel niveau d’application des conventions auprès de la base, ne peut conduire au résultat attendu, c’est-à -dire conserver durablement les espèces en danger. Cette situation devrait interpeller les décideurs qui pensent que ratifier des traités suffit à récolter les effets attendus à la base.
13Les résultats de cette étude nous poussent à conclure que les acteurs de terrain à la base sont, très peu ou pas du tout, informés sur le contenu et le bien-fondé des traités ratifiés. Ainsi, l’application des traités environnementaux reste très sommaire par les populations. Selon nous, ceci provient du fait que la communication environnementale est quasi absente et la sensibilisation et l’éducation environnementale sont absentes.
14Ainsi, en dépit des traités ratifiés, il n’y a pas de politique de gestion responsable de l’environnement en RD Congo. D’où, l’impérieuse nécessité de promouvoir la communication environnementale afin de mobiliser l’opinion populaire en vue d’une gestion participative. La création des chaînes de radio et télévision communautaires spécialisées en environnement serait un pas décisif. Les programmes traiteraient des différents aspects de l’environnement (ex. ressources, qualité de la vie, instruments juridiques, etc.) en partant des études cas phares, des traditions, us et coutumes, etc. facilement compréhensibles. Ceci contribuerait efficacement à l’appropriation par des communautés nationales (riches et pauvres) des politiques environnementales mises en œuvre, y compris l’essence même des traités ratifiés.
15La faible appropriation des conventions par les populations ne peut contribuer au développement durable. En effet, quand la population à la base ne tire pas d’avantages matériels des espèces protégées, il lui sera difficile de s’approprier les conventions y relatives car la pauvreté reste le premier ennemi de la conservation durable surtout dans un environnement de cueillette.
Tableau 2. Quelques espèces animales protégées (Statut CITES) vendues sur les marchés de Kinshasa ainsi que leur statut CITES (Avril 2005 à Mars 2007).
Espèces
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Marchés de Kinshasa
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Port Strabac
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Marché Bikeko
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Marché Ngaba
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Port Baramoto
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Statuts des espèces
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Pan paniscus (Bonobo)
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+
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-
|
-
|
+
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Totalement protégée
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Loxodonta africana (Eléphant)
|
+
|
+
|
-
|
+
|
Totalement protégée
|
Okapi johnstoni (Okapi)
|
-
|
+
|
-
|
+
|
Totalement protégée
|
Pan troglodytes (Chimpanzé)
|
+
|
-
|
-
|
+
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Totalement protégée
|
Kobus leche (Antilope)
|
-
|
-
|
+
|
-
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Partiellement protégée
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Smitsia gigantea (Pangolin géant)
|
-
|
-
|
+
|
-
|
Totalement protégée
|
Colobus angolensis (Singe)
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Totalement protégée
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Perodicticus potto (Singe)
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Partiellement protégée
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Tragelaphus scriptus (Bush buck)
|
+
|
+
|
+
|
-
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Partiellement protégée
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Tragelaphus spekei (Sitatunga)
|
+
|
+
|
+
|
+
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Partiellement protégée
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Cephalophus monticola (Nkay en kikongo)
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+
|
+
|
+
|
+
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Partiellement protégée
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Cephalophus dorsalis (Ngulungu en kikongo)
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+
|
+
|
+
|
+
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Partiellement protégée
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16En février 2010, la situation n’a pas évolué car les mêmes pratiques et marchés à gibier se sont amplifiés. Par exemple, il n’y a personne pour suivre le mouvement du gibier qui sort du pays voire celui vendu localement. Les équipes de CITES et TRAFFIC ont récemment animé des ateliers sur la viande de brousse à Kinshasa, mais sans impact réel sur le comportement de la population. L’évaluation environnementale post-conflit conduite actuellement par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) à travers toutes les provinces congolaises confirme bien sur le terrain les faiblesses de conservation durable de la biodiversité animale.