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Dossier : Ethique et Environnement à l’aube du 21ème siècle : la crise écologique implique-t-elle une nouvelle éthique environnementale ?

De mirabilibus mundi : vers une éthique et une esthétique environnementales

Hicham-Stéphane Afeissa

Abstract

Il s’agit de s’interroger sur les relations que peuvent soutenir deux types de discours ou deux types d’approche de la nature : d’une part celle qui fait de l’environnement naturel un objet de préoccupation morale, et d’autre part celle qui fait de la nature un objet d’appréciation esthétique. De quelle manière une esthétique de la nature peut-elle prétendre compléter ou fonder une éthique de l’environnement ? Comment peut-on passer de la considération de la beauté de la nature à l’idée selon laquelle nous aurions des devoirs à l’endroit des entités du monde naturel ?

Le croisement entre une éthique et une esthétique environnementales est chose faite depuis plus de 20 ans dans les pays anglo-saxons, où se sont formés deux courants philosophiques qui sont assez rapidement entrés en conjonction l’un avec l’autre : d’une part un courant d’éthique environnementale, et d’autre part un courant d’esthétique naturaliste, que l’on appelle aussi « esthétique environnementale ou « esthétique cognitiviste ».

Les modalités selon lesquelles se sont effectuées cette rencontre sont très complexes, et ont donné lieu (et donnent encore lieu) à de nombreux débats. Cet article se fixe pour objectif d’examiner ce que certains éthiciens de l’environnement sont allés chercher du côté d’une esthétique cognitiviste de l’environnement, en resserrant l’attention autour de l’une des figures majeures de chaque domaine de recherche considéré : Holmes Rolston, pour l’éthique environnementale, et Allen Carlson, pour l’esthétique cognitiviste.

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1Nous souhaiterions nous interroger dans le cadre de cet article sur les relations que peuvent soutenir deux types de discours ou deux types d’approche de la nature : d’une part celle qui fait de l’environnement naturel un objet de préoccupation morale, et d’autre part celle qui fait de la nature un objet d’appréciation esthétique.

  • 1  La bibliographie est pléthorique. Merchant, 2007, dans la section de sa bibliographie consacrée au (...)

2Précisons d’emblée que notre point de vue ne sera pas celui de l’historien. Qu’il y ait un lien généalogique entre ces deux formes de sensibilité à la nature, que la contemplation de la nature comme constituant un spectacle de toute beauté ait pu conduire historiquement à la préservation des sites doués d’une certaine valeur esthétique, c’est un point de fait qui est parfaitement documenté. Il a ainsi pu être établi que la représentation paysagère de la nature a joué un rôle décisif dans l’histoire de la formation de la sensibilité écologique partout dans le monde, que l’environnementalisme contemporain – surtout en Amérique du Nord – plonge ses racines dans la tradition romantique du XIXe siècle, que le mouvement de préservation des parcs nationaux aux Etats-Unis a trouvé l’une de ses principales motivations dans l’appréciation esthétique de la nature sauvage. Pour prendre un exemple très précis, les historiens ont pu montrer que les séries artistiques de l’école de Barbizon ont permis d’obtenir l’annulation de coupes de vieux arbres dans la forêt de Fontainebleau, et ont conduit ultimement à classer cette forêt parmi les sites protégés (Polton, 2005)1.

3Le lien entre le souci de la nature et son appréciation esthétique se laisse donc aisément établir au regard de l’histoire, ce qui ne surprendra personne : en effet, si les diverses composantes de notre environnement naturel étaient absolument dénuées à nos yeux de toute valeur esthétique, si nul n’admirait la magnificence de ses paysages, la luxuriance de sa végétation, l’abondance des formes de vie qui pullulent à sa surface et dans ses océans, il est hautement probable que la sensibilité écologique ne se soit pas développée, ou en tout cas qu’elle se soit développée avec beaucoup moins de vigueur et d’amplitude. La beauté de l’environnement naturel possède une force mobilisatrice sans pareille.

4Il ne s’agit donc pas pour nous de documenter ce point de fait – ce travail a déjà été fait et très bien fait. Notre propos se voudrait plus philosophique, en prenant pour objet le type de relations discursives qu’une esthétique de la nature peut soutenir avec une éthique de l’environnement. Que veut dire que ces deux types d’approche de la nature peuvent être « complémentaires » l’une de l’autre ? En quel sens une esthétique de la nature peut-elle prétendre « fonder » une éthique environnementale ? Comment peut-on passer de la considération de la beauté de la nature à l’idée selon laquelle nous aurions des devoirs à l’endroit des entités du monde naturel ? Que doit être une morale pour pouvoir puiser sa motivation pratique dans la considération de la beauté de la nature ? En admettant que la beauté puisse constituer une source de motivation pratique, l’acte qui en résulte peut-il être tenu pour un acte authentiquement moral ? Et réciproquement : que doit être une esthétique de la nature pour pouvoir contenir en tant que telle des prescriptions axiologiques ? Dans la mesure où une éthique et une esthétique semblent relever de deux registres discursifs fondamentalement distincts, ne peut-on légitimement soupçonner que le projet visant à les combiner offre un bel exemple de ce qu’Aristote appelait une « metabasis eis allos genos » – une confusion des genres ?

  • 2  Pour citer quelques noms, parmi les éthiciens de l’environnement qui articulent une éthique enviro (...)

5Depuis plus de deux décennies, les philosophes de l’art et les environnementalistes anglo-saxons ont cherché à répondre à ces questions difficiles en s’efforçant de construire un espace commun d’interlocution entre leur domaine de recherche respectif. C’est ainsi qu’un croisement s’est effectué entre le courant d’éthique environnementale et le courant d’esthétique naturaliste (également baptisé du nom d’esthétique « environnementale »), selon des modalités assez complexes qui ont suscité de nombreux débats à la fois entre les éthiciens de l’environnement (certains estimant qu’il est nécessaire de chercher du côté d’une esthétique de l’environnement le fondement d’une éthique environnementale, d’autres jugeant la chose impossible et contradictoire), entre les théoriciens d’une esthétique environnementale (certains estimant qu’une esthétique environnementale ne peut avoir, en tant que telle, de pertinence quelconque sur le terrain de la moralité, d’autres pensant le contraire), et enfin entre les éthiciens de l’environnement et les théoriciens de l’art (certains protestant contre l’usage que font de leurs travaux les spécialistes de l’autre domaine de recherche, d’autres se félicitant au contraire de cette situation)2.

6Une cartographie précise des débats en cours demanderait beaucoup de soin, et elle aurait l’incomparable mérite d’offrir un premier accès en français à une vaste littérature qui attend encore d’être traduite et qui n’a connu que fort peu d’écho en France. Les lignes qui suivent visent plus modestement à poser les premiers jalons d’une telle étude.

7A cette fin, il nous a paru opportun de travailler en priorité à défricher le terrain, et de ne pas craindre par conséquent de sacrifier l’élégance à la clarté en adoptant un plan divisé en quatre parties. La première sera consacrée à présenter pour elles-mêmes quelques-unes des idées clés du courant d’éthique environnementale, de manière à faire ressortir la spécificité de cette manière de poser philosophiquement les problèmes environnementaux. La seconde prendra pour objet de réflexion un modèle d’esthétique subjectiviste (celui défendu par Oscar Wilde) afin de mettre au jour quelques-unes de ses caractéristiques essentielles, et afin de pouvoir les opposer, dans une troisième partie, à l’esthétique objectiviste (dans la version défendue par Allen Carlson). Enfin, la quatrième partie s’emploiera à expliquer de quelle manière la rencontre entre une éthique et une esthétique environnementales est susceptible de se produire, en resserrant l’attention autour de l’une des figures majeures de l’éthique environnementale contemporaine (à savoir Holmes Rolston III).

Idées clés du courant d’éthique environnementale

8Pour ne pas trop nous éloigner de notre propos, nous ne ferons aucune remarque d’ordre historique sur la formation de ce courant de pensée qu’est l’éthique environnementale, en renvoyant le lecteur désireux d’en savoir plus aux études existantes (Larrère, 1997, Afeissa, 2007, Afeissa, 2008a, Afeissa, 2009, Afeissa, 2010). Nous voudrions poser sans plus tarder la question de savoir quel type de projet philosophique poursuit une éthique environnementale.

9Il importe de dire sans plus tarder qu’il est très malaisé de répondre à cette question car l’éthique environnementale n’est pas un courant philosophique homogène, unifié autour d’un certain nombre de principes ou de problématiques dans lesquels tous les penseurs se reconnaîtraient. Elle est bien plutôt une nébuleuse en expansion permanente traversée par des tendances de sens opposées, en compétition les unes avec les autres. Il serait loisible de dénombrer au moins une dizaine d’écoles différentes (le biocentrisme, l’écocentrisme, l’écoféminisme, l’écologie sociale, le pluralisme, le pragmatisme, etc.), si bien que l’on peut dire qu’il n’y a peut-être pas une seule proposition qui n’ait fait l’objet de contestation à l’intérieur même du champ de l’éthique environnementale. Par conséquent, toute présentation en termes généraux court le risque d’être à la fois partielle et partiale – risque que nous assumerons dans ce qui suit, en nous réglant, non pas sur le contenu doctrinal de telle ou telle école d’éthique environnementale, mais sur un idéal-type, en entendant par là, comme le veut Max Weber, un concept limite auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de ses éléments.

10Disons enfin, par anticipation, que nous procéderons de la même manière lorsque l’heure sera venue de nous tourner vers le courant d’esthétique environnementale, qui est au moins aussi diversifié et conflictuel que peut l’être celui de l’éthique environnementale. Dans la mesure où il s’agit pour nous de mettre en lumière les conditions sous lesquelles un dialogue fructueux est parvenu à se nouer entre ces deux domaines de recherche, nous privilégierons, parmi les nombreuses variantes d’esthétique environnementale, celle qui s’est révélée la plus proche de la théorie d’éthique environnementale en direction de laquelle notre étude est délibérément orientée et dont nous reprenons plus d’une propositions à notre compte.

11Comme le nom l’indique, une éthique environnementale entreprend de poser les problèmes environnementaux sur le terrain de la moralité en se demandant quels sont les devoirs et les obligations qui nous incombent dans le rapport aux entités du monde naturel, en entendant par là non seulement les organismes individuels, mais aussi les éléments abiotiques du milieu naturel, et des ensembles naturels tels que des écosystèmes. Dans la perspective d’une éthique environnementale, la régulation qui doit être mise en place dans notre rapport à la nature n’est pas d’abord ni essentiellement d’ordre juridique, technique ou politique, mais d’ordre moral.

12Mais, objectera-t-on, cette façon de poser les problèmes n’est-elle pas quelque peu incongrue dans la mesure où la crise environnementale ne se présente pas à nous à la façon d’un problème moral dont il conviendrait d’apprendre à mesurer les enjeux, mais plutôt sous la forme beaucoup plus technique d'une perturbation qui défie les possibilités de reconstitution des stocks naturels et de restauration de ses équilibres ? Les interventions humaines, parce qu’elles sont de plus en plus massives et de plus en plus concentrées dans le temps, menacent d'interrompre des cycles naturels et de nous conduire à des seuils d'irréversibilité : voilà – précisément défini – le problème auquel nous sommes confrontés, et on ne voit pas du tout ce que la morale vient faire ici.

13Si donc l’état de délabrement de la planète justifie pleinement que l’on prenne un certain nombre de décisions en vue de fonder une pratique écologiquement et socialement responsable de la vie économique (par exemple en mettant en place une fiscalité incitative, en faisant voter des lois interdisant aux industriels de déverser des produits toxiques dans nos rivières, en exigeant que des études d’impact et d’aménagement soient menées à bien avant toute implantation d’un centre d’enfouissement de déchets, etc.), il n’y a cependant aucun sens à élaborer une éthique de l’environnement et à promouvoir la nature au rang de sujet de considération morale. De ce point de vue, il paraît tout bonnement absurde et grotesque de parler de devoirs à l’endroit de la nature, du respect qui lui est dû, de valeurs naturelles.

14C’est en vertu de cette suspicion de principe à l’endroit de toute problématique d’éthique environnementale qu’il a longtemps été d’usage en France de mettre l’accent sur la responsabilité environnementale des hommes les uns à l’endroit des autres, et sur les risques qu’engendre l’usage des techniques sans que jamais soit posée la question de savoir si nous n’avons de devoir qu’à l’endroit des autres hommes, ou encore si l’opposition dualiste entre l’homme d’une part et la nature d’autre part ne demanderait à être réexaminée. Plus grave encore, il est à noter que la nature même de la crise écologique n’est pas vraiment examinée dans ce cadre de pensée. Le problème est en effet de savoir si l’on peut se contenter de poser le problème de la crise de l'environnement dans le langage de la comptabilité énergétique, comme on a tendance à le faire en Europe, sans que jamais soient examinés pour eux-mêmes les principes et les motifs des rapports que nous soutenons avec la nature. Peut-on se contenter de faire ses comptes avec la nature, de recenser et de quantifier les ressources naturelles sans jamais s’interroger sur ce que sont les représentations, les valeurs qui règlent le rapport de l’homme à son environnement naturel, sur la façon dont l’homme se représente la place qu’il occupe dans la nature ?

  • 3  Sur ce dernier point, voir Naess, 2008, ainsi que la postface que nous avons rédigée pour cette éd (...)

15L’éthique environnementale (et ceci vaut également de la deep ecology de Arne Naess3) se donne précisément pour programme d’examiner tout le système d’idées qui règle le rapport de l’homme à la nature dans le but de mettre au jour les racines culturelles de la crise environnementale contemporaine. L’on comprend par là même qu’elle ne puisse pas se contenter d’une remise en question de la société libérale en ses modes de gestion économique et politique – même si elle peut aussi prendre cette forme –, tout simplement parce que ce qui est entré en crise avec la crise environnementale est jugé être autrement plus profond et plus ancien que le seul mode de production capitaliste ou que le consumérisme propre à la manière de vivre des Occidentaux.

  • 4  Sur le sens et l’histoire de cette distinction, nous nous permettons de renvoyer à Afeissa, 2008b. (...)

16Mais en quel sens peut-on dire que la crise écologique contemporaine procède de la tradition philosophique, scientifique et religieuse occidentale ? Qu’est-ce qui fait problème dans cette tradition ? De quoi s’agit-il ? En un mot : de son anthropocentrisme – autrement dit de l’idée selon laquelle l’homme est la mesure de toute chose. L’une des expressions caractéristiques de cet anthropocentrisme de la culture occidentale se trouve dans la distinction multiséculaire qui est faite entre les choses et les entités du monde qui comportent une « valeur instrumentale » et celles qui comportent une « valeur intrinsèque ». Dire d’une chose ou d’une entité qu’elle a une « valeur instrumentale » signifie qu’elle n’a aucune « valeur intrinsèque », aucune valeur en soi, par elle-même, mais qu’elle n’a que la valeur que lui confère l’usage que les hommes peuvent en avoir. Conformément à une tradition dont les prémices remontent à l’antiquité grecque, les êtres humains et eux seuls sont censés posséder une valeur intrinsèque, c’est-à-dire grosso modo une dignité (et non pas un prix), tandis que tout le reste de la nature n’est censé posséder qu’une valeur instrumentale, c’est-à-dire n’exister que pour servir les fins que poursuivent les hommes4.

  • 5  L’expression de « patient moral » est de Warnock, 1971, et a été reprise et élaborée par Goodpaste (...)

17L’éthique environnementale se propose de mettre fin à l’anthropocentrisme des valeurs qu’elle accuse d’être à l’origine des problèmes environnementaux que nous rencontrons, et elle s’efforce de concevoir les êtres vivants non humains, ainsi que les composantes abiotiques du milieu naturel, comme des patients moraux, c’est-à-dire comme des êtres susceptibles d’être présentés comme des objets de préoccupation morale pour eux-mêmes5. Il ne s’agit pas de promouvoir des comportements normatifs vis-à-vis de l’environnement non humain en fonction de la prospérité et du bien-être humain, puisque cela revient à n’attribuer de valeur à la nature qu’en fonction des hommes (donc une valeur instrumentale). Il ne s’agit pas de promouvoir un usage pondéré, un usage durable des ressources naturelles pour garantir la survie de l’humanité. L’éthique environnementale revendique la prise en compte morale de l’environnement non humain pour lui-même. Elle s’oppose à la réduction des éléments composant l’environnement à de seules et uniques ressources, et entend mettre au jour la nature comme lieu de valeurs intrinsèques dont l’existence commande un certain nombre d’obligations morales.

18Par là même apparaît l’espaceau sein duquel vont pouvoir s’élaborer quelques-unes des problématiques majeures de l’éthique environnementale. Le problème fondamental que rencontre toute entreprise d’éthique environnementale est de savoir, premièrement, comment déterminer quel type d’objet ou d’entité au sein de l’environnement naturel peut être tenu pour porteur d’une valeur intrinsèque ; deuxièmement, comment fonder un certain nombre d’obligations morales et, de manière plus générale, une responsabilité des hommes à l’endroit de la nature sur la reconnaissance de l’existence de valeurs naturelles intrinsèques ; troisièmement, comment ordonner de façon hiérarchique les diverses valeurs intrinsèques et les obligations morales qui leur sont corrélatives, étant bien entendu qu’une éthique de la valeur intrinsèque n’implique pas de soutenir la thèse d’une sorte d’égalitarisme normatif (exigeant un traitement moral identique pour les êtres humains et pour l’ensemble de la nature) au motif qu’on reconnaît une valeur intrinsèque à la nature dans sa totalité ou dans certaines de ses composantes.

Esthétique subjectiviste

19Quel bénéfice une entreprise de ce genre peut-elle espérer tirer d’unes esthétique de la nature ? Quels sont les liens que peuvent nouer ces deux approches du monde naturel ? A quel niveau de la construction d’une éthique environnementale l’esthétique de la nature peut-elle se révéler d’une quelconque utilité, et de quelle manière ?

20Les connexions entre ces deux approches peuvent s’effectuer à tous les niveaux, et l’entrelacs de relations complexes qui en résulte explique la multiplication des débats entre les éthiciens de l’environnement et les théoriciens de l’art. Les divergences se sont fait jour sur la façon de déterminer le statut conceptuel du beau naturel envisagé comme l’une des déterminations de valeur de la nature, sur la possibilité de dériver un ensemble de devoirs à partir de la considération des propriétés esthétiques des éléments du monde naturel, et sur le problème de savoir si la beauté du monde naturel peut déterminer un critère d’évaluation morale permettant de juger, au cas par cas, du bien-fondé de telle ou telle action dans la nature.

  • 6  Sur ce genre d’idées très courantes dans l’histoire de l’esthétique, voir le chapitre 4 du livre d (...)

21La principale difficulté que rencontre le projet visant à articuler une esthétique de la nature sur une éthique de l’environnement tient à ce que l’appréciation esthétique semble être par essence irrémédiablement subjective et, en ce sens, anthropocentrée. En effet, la beauté, que ce soit celle d’une œuvre d’art ou celle d’une composante quelconque du monde naturel, n’est-elle pas toujours, comme le disait le poète, dans l’œil de celui qui regarde ? N’est-ce pas à la faveur de la représentation que s’en donnent les hommes que la nature s’éveille à la vie ? Que peut bien être la nature en elle-même, vidée pour ainsi dire de tout regard, si ce n’est une nature morte, muette, « an-esthésiée » ou « an-esthétique », en dépit de son exubérance6 ?

22Entre mille autre références possibles permettant d’élucider le sens de ces thèses, un texte célèbre d’Oscar Wilde extrait du Déclin du mensonge nous retiendra quelques instants en tant qu’il fait apparaître peut-être mieux qu’un autre les caractéristiques fondamentales de toute esthétique subjectiviste :

23Ce que nous voyons, et la façon dont nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés. Jeter un coup d’œilà une chose ce n’est pas la voirvraiment. On ne voit une chose que si l’on en aperçoit la beauté. Alors, et alors seulement, commence-t-elle vraiment d’exister. De nos jours, les gens voient les brouillards non parce qu’il y a des brouillards, mais parce que les poètes et les peintres leur ont appris la mystérieuse beauté de tels effets. Il a certes pu y avoir du brouillard sur Londres depuis des siècles et j’ose même dire qu’il y en avait. Mais comme personne ne le voyait, nous n’en savons rien. Le brouillard n’avait pas d’existence avant que l’art ne l’eût inventé. (Wilde, 1977)

  • 7  Monet est par excellence le peintre du fog londonien, qu’il a cherché à représenter d’innombrables (...)

24Comment Wilde peut-il dire que le brouillard qui s’abat sur Londres depuis des siècles n’avait pas d’existence avant que les poètes et les peintres – c’est-à-dire en l’occurrence principalement Dickens et Monet7 – ne l’eurent inventé ? Wilde ne dit pas qu’il n’y avait pas de brouillard sur Londres avant l’invention des poètes et des peintres, il dit même expressément le contraire : il est tout à la fois sûr qu’il y avait du brouillard sur Londres et que personne ne le voyait. L’incertitude dont il est question dans le texte (« …nous n’en savons rien… ») ne porte pas sur l’un ou l’autre point, mais sur ce que pouvait bien être le brouillard avant son invention par les peintres et le poètes. Les nappes de brouillard n’ayant jamais été données à voir pour elles-mêmes auparavant, n’ayant jamais été décrites ni jamais représentées pour elles-mêmes, ses propriétés sont longtemps restées inconnues.

25De quelle manière le brouillard existait-il par le passé, et comment était-il vu ? Afin de répondre à ces questions, Wilde distingue finement entre deux régimes de perception : celui qui consiste à « jeter un coup d’œil » et celui qui consiste à « voir » – « to look » et « to see » (ce que l’on pourrait également traduire dans ce contexte par « entrevoir » et « apercevoir »). Selon Wilde, il ne fait aucun doute que les nappes de brouillard ont été entrevues depuis des siècles, et que les Londoniens n’ont pas attendu les artistes pour leur prêter une certaine attention. Tout le problème est de savoir quel type d’attention était accordé à ce phénomène. En toute rigueur, assure Wilde, on ne peut pas dire que le brouillard était vu pour lui-même, il était au mieux entrevu, il était ce sur quoi on jetait un coup d’œil pour voir au-delà de lui, comme par transparence. Le brouillard n’était pas vu, il était ce qui empêchait de voir ; il était vécu (plutôt que vu) comme une gêne, un voile intempestif, un rideau de fumée qui dissimule et soustrait à la vue ce qui seul vaut d’être vu. Le brouillard avait bien une signification pratique dans la vie quotidienne des Londoniens, en tant que perturbation provisoire des fonctions d’orientation, mais aucune existence esthétique.

26Comme le dit avec humour Wilde, là où, avant l’intervention des artistes, l’homme de la rue se contentait d’attraper un rhume, voilà tout à coup que, après le travail de représentation des poètes et des peintres, il se met à saisir un effet esthétique (Wilde, 1977). Comment s’y sont-ils pris ? Manifestement, le régime de perception a été modifié : ce qui n’était jusqu’alors qu’entrevu a été donné à voir pour lui-même en sorte qu’il soit enfin aperçu. Les nappes de brouillard ont commencé à être représentées pour elles-mêmes, elles ont recouvré pour ainsi dire une certaine épaisseur, de sorte à empêcher le regard de les percer sans avoir aucun égard pour elles – comme la vitre à travers laquelle on regarde n’est pas vue pour elle-même. Il fallait donc que le regard en vienne à se réfléchir et à observer le milieu intermédiaire de perception ; pour y parvenir, il fallait inventer un procédé pour contraindre le regard à faire une halte dans sa course folle en direction de l’objet de son attention ; il fallait lui apprendre à voir le milieu à travers lequel il voit toute chose, non pas en lui faisant perdre des yeux l’objet de son regard, mais au contraire en le rendant sensible à la manière dont le milieu intermédiaire de perception modifie le mode d’apparaître des choses.

27Que signifie alors apercevoir les « mystérieuses beautés » du brouillard ? De quelle manière le brouillard modifie-t-il la façon dont les choses nous apparaissent ? En enveloppant toutes choses d’une gaze légère, les brumes impriment d’invisibles déformations, altèrent la coloration, brouillent les frontières entre terre et ciel. L’universelle dissolution des formes et dilution de toutes les couleurs qui en résulte fait apparaître un paysage aux limites tremblantes que nul n’aurait jamais vu si les artistes n’avaient su nous le donner à voir. En ce sens, il ne suffit pas de dire qu’ils nous ont appris à voir autrement le brouillard, mais bien plutôt qu’ils nous appris à le voir tout court, parce qu’ils ne se sont pas contentés de modifier son mode d’apparition, ils lui ont donné existence en tant qu’il est ce qui modifie le mode d’apparition de toutes choses.

  • 8  O. Wilde avance clairement cette idée dans la suite du même texte où il évoque « le blanc frémisse (...)

28Le coup de génie des premiers peintres du brouillard londonien a été de contraindre l’œil à se regarder regarder, en une torsion réflexive qui lui a donné à voir le milieu à travers lequel s’effectue toute perception. Une fois cet apprentissage effectué, l’œil saura percevoir dans la nature ce que l’art lui a appris à voir, en sorte qu’il pourra passer de lui-même d’un milieu intermédiaire de perception à un autre et en décrire les effets sur le mode d’apparition des choses : des nuées à la lumière du soleil, de la neige à la bruine, du vent à la pluie, etc.8

  • 9  Le concept de constitution est entendu en son sens phénoménologique, c’est-à-dire au sens de l’act (...)

29Ce qui nous paraît tout à fait remarquable dans ce texte tient à ce que l’on pourrait appeler, en des termes qui doivent autant à Kant qu’à la tradition phénoménologique, la promotion de l’activité du sujet en tant que constitutive de l’expérience esthétique9. Il ne s’agit en aucune façon de prêter généreusement à Wilde une quelconque théorie du libre jeu des facultés, ni une phénoménologie implicite de la perception, mais simplement de prendre note de la dimension à ses yeux essentiellement réflexive, et donc subjective, de l’expérience esthétique. La nature n’est belle que pour autant et dans la mesure où elle donne occasion à un sujet constituant de s’exercer, en sorte que l’expérience de la beauté se ramène toujours à l’expérience de ce qu’un sujet peut produire à travers le jeu de ses propres facultés. Ce qui séduit dans la nature n’est finalement rien autre chose que l’image réfléchie par le miroir qu’elle nous tend.

Esthétique objectiviste

30Mais si la beauté de la nature repose en dernière analyse sur le jeu des opérations réflexives d’un sujet constituant, alors on voit mal comment ce modèle d’appréciation esthétique de la nature pourrait être compatible avec les fins que se donne une éthique environnementale, car un telle esthétique paysagère, en faisant apparaître la nature comme dénuée de toute valeur qui lui soit propre, semble plutôt conforter l’anthropocentrisme que dénonce inlassablement les éthiciens de l’environnement. En effet, dans ce cadre de pensée, la beauté de la nature n’est pas dans la nature, mais dans l’œil qui celui qui regarde, lequel continue de se contempler lui-même de façon narcissique dans le miroir de la nature.

31On trouve une formulation plaisante de cette idée dans un texte de G. Berkeley dans lequel ce dernier développe incidemment quelques remarques sur l’art à l’occasion d’une méditation dont l’objet immédiat et la portée réelle sont d’ordre moral. Fort de la maxime selon laquelle « le véritable possesseur d’une chose est celui qui en jouit et non celui qui en est le possesseur sans en jouir », Berkeley s’estime autorisé à tirer la conclusion que, tout bien considéré, il est « l’un des hommes les plus riches de Grande-Bretagne » au motif qu’il a un droit de propriété sur « tous les colliers de diamants, des croix, des étoiles et brocatelles et des manteaux brodés qu’[il] voit au théâtre et aux fêtes d’anniversaire », lesquels « donnent plus de plaisir naturel à celui qui les voit qu’à celui qui les porte ». De la même manière, il pense être justifié à considérer que « les beaux ornements de tous les carrosses dorés », que les « braves gens qui y sont assis et qui se sont mis en frais pour se parer si joliment », et même « les élégantes et les belles dames » ne sont là que pour lui plaire, pour le divertir, « comme autant de perruches dans une volière ou de tulipes dans un jardin », car « de leurs parures extérieures, le plaisir qu’[il] tire est réel, le leur imaginaire ». Et il conclut, établissant un lien explicite avec des considérations d’ordre esthétique :

32Une galerie de tableaux, un cabinet ou une bibliothèque où j’ai mes entrées, j’estime qu’ils sont à moi. En un mot, tout ce que je demande, c’est l’usage des choses : les possède qui voudra. (Berkeley, 1967. Nous soulignons)

33Si toutes choses ne sont belles et ne procurent de plaisir qu’à la condition de l’expérience que peut en faire un sujet (et, en ce domaine, plus pure et sans mélange est l’expérience, plus entière et intense sera la jouissance qu’on en tirera), alors chacune en particulier et toutes en général peuvent bien disparaître : la beauté, la richesse ou la valeur du monde n’en sera ni diminuée ni augmentée pour peu que demeure indemne la conscience d’où procède toute valorisation. Les galeries d’art, cabinets d’amateur et autres bibliothèques peuvent bien s’embraser, le monde peut bien s’effondrer – la conscience esthétique, quant à elle, perdra seulement une (belle) occasion de s’exercer.

34Il y a fort à parier qu’une éthique environnementale s’accommodera fort mal d’une telle conclusion, elle qui entend mettre à l’abri le monde et ses valeurs intrinsèques de toute destruction anthropique. De manière plus générale, ce sont les conditions les plus fondamentales d’articulation d’une éthique et d’une esthétique environnementales qui paraissent faire défaut. Sans doute cela est-il vrai d’une esthétique subjective de la nature, d’une esthétique paysagère, mais qu’en est-il d’une esthétique objective pour laquelle la nature brillerait, non plus d’une lumière empruntée, mais de ses propres clartés ?

  • 10  Voir de cet auteur notamment Carlson, 2000 et Carlson, 2009.
  • 11  En ses multiples versions et variantes, l’esthétique cognitiviste a contracté une dette immense à (...)

35Telle est exactement la façon dont Allen Carlson entreprend de poser le problème dans le cadre de son esthétique cognitiviste10. Pour le dire en quelques mots, l’esthétique cognitiviste avance la thèse générale selon laquelle l’appréciation esthétique de la nature exige non seulement une expérience sensible ou sensorielle, c’est-à-dire la considération des qualités formelles des entités qui la composent, mais en plus une connaissance intellectuelle de la nature de ces entités et de l’histoire de leur production. L’idée clé d’une esthétique cognitiviste est que l’appréciation esthétique doit se laisser guider par la nature même de l’objet qui est offert à l’appréciation, impliquant de la part du spectateur qu’il réunisse un certain nombre d’informations sur ce qu’est cette entité, sur la façon dont elle est venue au monde, sur l’histoire évolutive dont elle résulte, sur les propriétés qui sont les siennes, etc.11

  • 12  Voir Nicolson, 1963. Une histoire analogue a été racontée en prenant pour objet la mer et ses riva (...)
  • 13  Sur l’importance du mythe du déluge universel dans la pensée européenne jusqu’à la fin du XVIIe si (...)

36L’idée n’est pas neuve, c’est sa systématisation dans le cadre d’une esthétique qui est nouvelle. Marjorie Hope Nicolson dans un livre bien connu12 a montré que les découvertes scientifiques effectuées au cours du XVIIe siècle, notamment en astronomie, ont eu pour effet de transformer en quelques décennies la façon dont les montagnes étaient perçues. Dans le contexte de la tradition judéo-chrétienne dominante, les irrégularités de la nature, ses excavations, ses cavernes, ses crevasses, ses saillies, ses protubérances, étaient interprétées, selon la formule de Thomas Burnet, comme « les ruines d’un monde brisé » – c’est-à-dire, comme ce qu’il reste du monde après la chute provoquée par le péché d’Adam et Eve. Avant le Déluge, la terre était polie, régulière, uniforme, sans montagnes, ni rochers, ni fonds marins, plane comme les champs Elysées. Pour punir Adam et Eve de leur désobéissance, Dieu inclina de quelques degrés l’axe du globe et modifia de ce fait le printemps éternel de leur première demeure. La différence des climats, les intempéries, les maladies, la formation du relief terrestre qui rendirent la seconde terre bien moins agréable que la première, ne seraient ainsi que le reflet physique de la décadence morale dans laquelle l’homme est tombé13.

  • 14  Descartes a également joué un rôle décisif dans la constitution d’une théorie géologique de la ter (...)
  • 15  L’élaboration d’une théorie scientifique géologique ne constitue toutefois que l’un des facteurs d (...)

37Or ce que l’on découvre grâce aux lunettes astronomiques de Galilée au début du XVIIe siècle, c’est qu’il existe aussi des montagnes sur la lune et qu’il en existe probablement aussi sur les autres planètes, ce qui contraint à comprendre en termes géologiques (et non plus théologiques) l’histoire de leur formation14. De la même manière, les savants de l’époque commencèrent à étudier le rôle considérable que la mer a joué dans le façonnage du globe, apprenant ainsi à leurs contemporains à déchiffrer d’une autre manière la morphologie du paysage, en prenant en compte les rythmes temporels et les lents processus géologiques à l’œuvre. Plutôt que de voir les couches superposées des épaisseurs rocheuses comme autant de débris du déluge, ils leur apprirent à y lire l’obscure autobiographie de la croûte terrestre. L’apparition d’un langage scientifique capable de dire les profondeurs et d’interpréter les archives de la terre (en l’occurrence la géologie et la minéralogie) a ainsi rendu possible une véritable révolution du regard conduisant à terme à rendre aux montagnes la beauté qui leur a longtemps été contestée15.

  • 16  Thèse évidemment très controversée : voir par exemple Klonk, 1996 ; Matthews, 2002 ; Parsons, 2002 (...)

38L’esthétique cognitiviste tire argument de cet état de fait pour avancer l’idée selon laquelle il existe un lien entre la connaissance des propriétés essentielles d’un objet naturel et son appréciation esthétique. Elle ne réduit donc pas l’appréciation esthétique de la nature à sa représentation scientifique. Elle défend l’idée selon laquelle les sciences naturelles et physiques (la géologie, la biologie, l’écologie, la physique, etc.) peuvent contribuer à libérer le regard et mener à une appréciation esthétique de la nature en livrant les informations objectives nécessaires se rapportant aux mécanismes et processus évolutifs qui œuvrent en silence dans la nature16.

39Cette appréciation esthétique de la nature est d’un genre tout différent de l’appréciation subjective et anthropocentrée dont il a été question précédemment, parce que ce que l’on est conduit à admirer n’est pas la manière dont la nature « fait tableau » ou la manière dont elle « fait miroir », mais plutôt la puissance créatrice de la nature, les forces objectives immenses qui participent à façonner le monde tel qu’il est réellement. En ce sens, l’esthétique cognitiviste est une nouvelle mouture de l’esthétique du sublime, à cette différence près que l’expérience d’effroi ou d’émerveillement vécu par le sujet est corrélée à la mise au jour dans la nature d’immenses facultés créatrices toujours à l’œuvre.

  • 17  Selon la belle formule de Leopold, 2000.

40Dans ce cadre de pensée, la valeur esthétique reconnue à la nature est une valeur qui lui appartient en propre puisque c’est ce dont elle est capable qui force l’admiration. Il n’est désormais plus possible de dire que la beauté réside dans l’œil de celui qui regarde, parce que l’œil qui regarde, en tant qu’il est le fruit d’une longue histoire évolutive, force lui aussi l’admiration. En outre, cette admiration n’a plus rien de narcissique, car l’œil ne se contemple pas lui-même dans le miroir que lui tend la nature, il contemple bien plutôt le processus évolutif qui l’a porté à l’existence tout au long de cette immense histoire de la vie sur terre, en liaison étroite avec l’ensemble des autres créatures et entités du monde naturel avec lesquels il a coévolué. Le sujet de l’expérience esthétique en vient à se saisir lui-même comme créature parmi d’autres créatures, « compagnon voyageur des autres espèces dans l’odyssée de l’évolution »17, qui ajoute quelque chose à la beauté du monde du seul fait d’exister, mais qui ne peut pas prétendre réduire la beauté du monde à sa seule existence et à ses opérations de conscience.

Rencontre entre une éthique et une esthétique environnementales

41C’est en ce sens que, aux yeux de Holmes Rolston, l’esthétique de la nature peut prétendre préparer le terrain sur lequel pourra s’édifier une éthique environnementale, en vertu de l’idée selon laquelle « nous formons toujours nos valeurs dans une large mesure en liaison avec la conception que nous nous faisons du type d’univers dans lequel nous vivons – l’une et l’autre influençant notre sens du devoir » (Rolston, 1998a). La façon dont le monde nous semble être (sur quoi nous instruisent les sciences naturelles et physiques) dessine toujours l’horizon sur le fond duquel se détachent les fins dernières déterminant ce qui doit être. Le rôle stratégique que peut jouer une esthétique de la nature tient à ce que, en nous apprenant à nous émerveiller de la puissance créatrice de la nature, elle réussit à nous inspirer un sentiment de crainte respectueuse mêlée d’admiration – ce sentiment paralysant d’être dépassé par une puissance créatrice supérieure, qui nous enveloppe en nous assignant une position au sein de la création, en tant que l’espèce humaine constitue simplement l’un des chapitres de l’odyssée de la vie sur terre. Il existe ainsi une ligne de pente très douce qui conduit de l’appréciation esthétique de la nature (stimulée par les sciences naturelles et physiques) au sentiment des devoirs qui sont les nôtres dans le rapport à l’environnement naturel.

42Certes, ces devoirs ne sont pas à proprement parler déduits de la considération de la beauté de la nature, mais aussi bien est-ce un contresens que d’exiger de la part d’une philosophie morale de justifier de cette manière ses prescriptions. Holmes Rolston n’entreprend pas de démontrer que la beauté naturelle constitue une valeur intrinsèque, puis de démontrer que l’existence de cette valeur intrinsèque commande un certain type de devoirs. En toute rigueur, il n’y a pas d’implication logique entre une éthique et une esthétique environnementales, mais cette absence de connexion logique ne constitue pas pour autant une faiblesse pour l’un ou l’autre discours.

43De la même manière, ce serait une erreur d’exiger de la part de la science naturelle de déduire les multiples formes de vie qui peuplent la terre comme si la « logique » du vivant pouvait se réduire au jeu de quelques lois naturelles auxquelles on adjoindrait des conditions initiales. Comme le dit Rolston, nul ne peut, en se donnant les microbes pour prémisse, déduire les trilobites au titre de conclusion :

44Je ne peux pas vous donner un argument expliquant le déroulement de toute cette histoire – vous dire en vertu de quelle logique il y a eu une Terre primitive, des protozoaires durant le Précambrien, des trilobites durant le Cambrien, des dinosaures durant le Triassique, des mammifères durant l’Eocène, des primates durant le Pliocène, débouchant sur l’Homo sapiens durant la Pléistocène. (…) La théorie de la sélection naturelle ne prédit pas ce qui va se produire, pas plus qu’elle n’est capable de dire, après coup, pourquoi ce sont ces événements là qui se sont produits plutôt que des centaines d’autres théoriquement tout aussi probables (Rolston, 1986).

45Tout ce que l’on peut faire, à ce niveau, c’est raconter une histoire – l’histoire de la vie sur terre – de telle sorte que le drame vivant suffise à rendre pleinement compte de chaque existence individuelle et de chaque lignée évolutive. Par conséquent, il n’y a aucun sens, pour Rolston, à vouloir justifier la valeur intrinsèque d’une être naturel, comme s’il pouvait exister une « logique » qui permettrait de défendre pour elle-même l’existence des hiboux tachetés ou celle des lémuriens. L’une et l’autre sont des formes de vie spécifique qui se sont maintenues au sein de leur environnement respectif à travers le temps, au cours d’une longue histoire venant enrichir l’histoire de la vie sur terre. Et cela seul doit suffire à justifier leur existence.

46Le stratagème adopté par Rolston dans son éthique environnementale consiste à déployer pour elle-même, avec un certain luxe de détails, l’histoire évolutive de la vie sur terre telle que le darwinisme l’a rendue intelligible, en faisant valoir la formidable créativité qui l’anime de telle sorte à forcer le respect et l’admiration. C’est à cette fin que Rolston invite ses lecteurs à examiner de plus près le règne du vivant (depuis la forme végétale la plus fruste jusqu’à l’organisme animal pluricellulaire), en leur apprenant à s’émerveiller des phénomènes d’organisation, des processus d’autorégulation et de suppléance fonctionnelle, lesquels attestent partout qu’il y a comme une intelligence de ce qui vit, une plasticité et une puissance de restauration des formes de l’organisme qui croît, qui cicatrise ses blessures, qui résiste à la mort et se reproduit. « Chaque dotation génétique », note Rolston, « est, en ce sens, une dotation normative bien que non morale ; au-delà de ce qui est, elle suggère ce qui doit être » (Rolston, 1988). De ce point de vue, dire d’un être naturel qu’il possède une valeur intrinsèque indépendamment de toute conscience humaine qui lui en conférerait une, revient simplement à lui reconnaître la capacité à afficher un projet propre, inscrit en lui par voie de programmation génétique, pouvant se déployer et se réaliser de façon autonome.

47Mais l’analyse, et l’émerveillement qui lui est corrélatif, ne peuvent en rester là, car un être naturel n’est ce qu’il est que comme partie d’un tout, au sens où il est membre d’une population spécifique adaptée par voie évolutive à la niche écologique qui l’abrite, elle-même en liaison étroite avec une communauté biotique plus large au sein d’un réseau d’écosystèmes hiérarchisés en niveaux d’intégration successifs. A ce titre, bien que les êtres naturels constituent individuellement le lieu de la valeur intrinsèque en tant que les intérêts vitaux qu’ils défendent sont toujours ceux de leur propre existence, cette valeur se transfère, pour ainsi dire, d’un niveau d’intégration à un autre, en passant successivement des êtres naturels individuels à l’espèce dont ils sont membres, puis de cette espèce à l’ensemble des espèces et des communautés biotiques qui, à un moment donné (dans une perspective synchronique) et à tous les moments de l’histoire de la vie sur terre (dans une perspective diachronique), sont en relation les unes avec les autres, et enfin de ces communautés biotiques transhistoriques aux multiples composantes abiotiques de l’environnement avec lesquelles elles sont en relation d’interdépendance, jusqu’à inclure l’ensemble de la nature.

48A terme, l’histoire naturelle, si elle est bien racontée, devra inspirer ce sentiment proche de la stupéfaction du croyant devant le mysterium tremendum fascinans et augustum – sentiment religieux, assurément, mais aussi sentiment esthétique, puisque l’objet d’admiration est donné dans la puissance de la nature, dans son exubérance et sa fécondité – bref, dans ce tout qui est « wild », par opposition à ce qui est domestiqué, anthropisé et mis en scène. Rolston nous invite à suivre le développement et l’enchevêtrement des lignes de vie dans le temps, à retrouver derrière les formes de vie actuelles la longue histoire dont elles sont les héritières, à saisir pour lui-même ce long et lent travail de la vie sur terre qui est un véritable miracle de créativité investissant les êtres qu’il appelle à l’existence d’une dignité qui force le respect. L’histoire de la vie révèle la nature en tant que nature « projective », laquelle forme des projets, trace des lignes de vie, édifie des équilibres écosystémiques, dans le cadre d’un système où rien n’est laissé au hasard, où tout joue un rôle, aussi discret soit-il, et où pourtant tout peut advenir. Pour peu que les hommes apprennent à admirer pareil spectacle dont ils sont partie intégrante, à s’étonner de la grandeur et de la durée de l’entreprise biotique, ils ne manqueront pas alors de se soucier du rôle qu’ils y tiennent en ayant soin de ne plus agir à la façon de vandales.

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Notes

1  La bibliographie est pléthorique. Merchant, 2007, dans la section de sa bibliographie consacrée aux relations entre l’environnementalisme et la représentation paysagère de la nature, cite plus de 150 études. Les études portant sur l’histoire de la représentation paysagère depuis la Renaissance sont plus nombreuses encore. Voir la synthèse proposée par Brunon, 2006. Enfin, on trouvera une intéressante histoire de la sensibilité écologique au cours des deux derniers siècles dans la thèse de doctorat de Bardes, 2007.  

2  Pour citer quelques noms, parmi les éthiciens de l’environnement qui articulent une éthique environnementale à une esthétique de la nature : Callicott, 1987 ; Callicott, 2003 ; Elliot, 1989 ; Hargrove, 1979 ; Hargrove, 1989 ; Hargrove, 2002 ; Hettinger, 2005 ; Hettinger, 2008 ; Leopold, 2000 ; Rolston, 1988 ; Rolston, 1995 ; Rolston, 1998b ; Rolston, 2000 ; Rolston, 2002 ; Sagoff, 1974 ; Thompson, 1995 et parmi les théoriciens de l’art qui s’interrogent sur la pertinence d’une esthétique environnementale aux fins d’élaboration d’une éthique de l’environnement : Berleant, 1990 ; Berleant, 1997 ; Berleant, 2005 ; Berleant et Carlson, 2007 ; Brady, 2002a ; Brady, 2002b ; Brady, 2003 ; Budd, 2002 ; Carlson, 1998 ; Carlson, 1998 ; Carlson, 2000 ; Carlson, 2006 ; Carlson, 2009 ; Carlson et Berleant, 2004 ; Carlson et Lintott, 2008 ; Carroll, 1993 ; Crawford, 2003 ; Eaton 1989 ; Hepburn, 1966 ; Godlovitch, 1994 ; Godlovitch, 1998a ; Godlovitch, 1998b ; Godlovitch, 1998c ; Godlovitch, 1998d ; Lintott, 2006 ; Parsons, 2008 ; Saito, 1998 ; Saito, 2007 ; Sepanmäa, 1997. Contrairement à ce que pourrait suggérer son titre, le livre récent de Blanc, 2008, ne traite pas de ces questions.

3  Sur ce dernier point, voir Naess, 2008, ainsi que la postface que nous avons rédigée pour cette édition dans Afeissa, 2008 c.

4  Sur le sens et l’histoire de cette distinction, nous nous permettons de renvoyer à Afeissa, 2008b.

5  L’expression de « patient moral » est de Warnock, 1971, et a été reprise et élaborée par Goodpaster, 1978.

6  Sur ce genre d’idées très courantes dans l’histoire de l’esthétique, voir le chapitre 4 du livre de Roger, 1978.

7  Monet est par excellence le peintre du fog londonien, qu’il a cherché à représenter d’innombrables fois. Quant à Dickens, ses lecteurs n’auront sans doute pas oublié les éblouissantes premières pages de Bleak House (1853) consacrées à une description de Londres et de ses abords envahis par les brumes, ni tel passage de Notre ami commun (1865) ou tel autre de ses Contes de Noël où le brouillard joue un rôle diégétique capital. Sur l’histoire de la représentation artistique des nuées et des brumes, voir le chapitre 3 de Stafford, 1984, et l’article suggestif de Perrot, 2002.   

8  O. Wilde avance clairement cette idée dans la suite du même texte où il évoque « le blanc frémissement du soleil, ces étranges taches mauves et ces inquiétantes ombres violettes qu’on observe maintenant en France », faisant allusion aux tableaux des impressionnistes – nommément : Monet, encore, et Pissaro. L’hypothèse puissante que contient ce passage ne nous semble pas avoir été évaluée à son juste prix : ce qui fait le génie de l’impressionnisme, ce n’est pas, comme on pu le dire, l’invention des couleurs (ou de nouvelles manières de mélanger les couleurs) ou la saisie de « l’éternité au coin de la rue », mais la découverte et l’exploration systématique des multiples milieux intermédiaires de perception.

9  Le concept de constitution est entendu en son sens phénoménologique, c’est-à-dire au sens de l’activité de conscience qui confère à un phénomène son sens d’apparition. Quant au concept d’« activité du sujet », il est au centre des élaborations kantiennes en matière d’esthétique depuis le début des années 1770 jusqu’à la troisième Critique parue en 1790. Voir sur ce point Dumouchel, 1999.  

10  Voir de cet auteur notamment Carlson, 2000 et Carlson, 2009.

11  En ses multiples versions et variantes, l’esthétique cognitiviste a contracté une dette immense à l’endroit de K. Walton, ainsi que Carlson le rappelle dans presque toutes ses publications. Voir Walton, 1970.

12  Voir Nicolson, 1963. Une histoire analogue a été racontée en prenant pour objet la mer et ses rivages par Corbin, 1988.

13  Sur l’importance du mythe du déluge universel dans la pensée européenne jusqu’à la fin du XVIIe siècle, voir Seguin, 2001.

14  Descartes a également joué un rôle décisif dans la constitution d’une théorie géologique de la terre dans ses Principia Philosophiae (1664), notamment dans les articles 37 à 44 de la quatrième partie où la formation des reliefs de la terre est expliquée par des raisons strictement mécaniques (différenciation progressive de la matière, rupture de la couche extérieure de la terre, etc.). Sur l’importance de l’invention et de l’usage scientifique des télescopes et des microscopes au XVIIe siècle dans la mutation intellectuelle qui affecta non seulement le contenu de certaines sciences observationnelles mais aussi les représentations de l’expérience visuelle, voir Hamou, 1999.   

15  L’élaboration d’une théorie scientifique géologique ne constitue toutefois que l’un des facteurs de cette révolution, comme y insiste Nicolson, 1963, qui cite également l’héritage littéraire, les récits de voyage, la poésie, la théorie philosophique du sublime, le développement du tourisme, etc. Voir sur ce point l’intéressante préface de Legros au Journal d’un voyage dans les Alpes bernoises de Hegel, 1988.   

16  Thèse évidemment très controversée : voir par exemple Klonk, 1996 ; Matthews, 2002 ; Parsons, 2002 ; Parsons, 2004 ; Parsons, 2006 ; Saito, 1984.

17  Selon la belle formule de Leopold, 2000.

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References

Electronic reference

Hicham-Stéphane Afeissa, « De mirabilibus mundi : vers une éthique et une esthétique environnementales Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 10 Numéro 1 | avril 2010, Online since 23 April 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/9447 ; DOI : 10.4000/vertigo.9447

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Hicham-Stéphane Afeissa

Professeur agrégé de philosophie, 81, Rue chabot-Charny, 21000 Dijon. Courriel : afeissa.hs@wanadoo.fr

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