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Dossier : Ethique et Environnement à l’aube du 21ème siècle : la crise écologique implique-t-elle une nouvelle éthique environnementale ?

Du bien-fondé de la participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions : efficacité économique et questionnements éthiques

Sylvie Ferrari, Mohamed Mehdi Mekni, Emmanuel Petit and Sébastien Rouillon

Abstracts

The idea of regulating pollutions by means of tradable emission permits on a competitive market was developed for the first time by Dales in 1968. The question of the citizens’ participation on these markets received little attention in the economic literature. However, people are allowed to buy emission permits and can therefore reduce the level of pollution by removing them from the market. From a practical viewpoint, the citizen’s preferences are not taken into account neither in the elaboration nor in the functioning of pollution permits markets. However, such a situation does not comply with both the democratic values and the prevailing economic principles. This article aims to discuss the legitimacy of a participation of the citizens to a pollution permits market by introducing both the economic efficiency and the ethical dimension. As the problem of free riding is fundamental when the citizen participation takes place, we show that it can be partly solved by funding the citizen demand. In addition, it seems that the free riding behaviour is overestimated by theoretical economics as experimental economics applied to the game of the public good shows. In addition, the ethical stakes associated to the opening of the pollution markets permits to the citizens are analyzed. An ethics based on the freedom and the sovereignty of the citizens commands us to authorize the participation of the citizens to these markets. This point is finally discussed towards the cumulative pollutions and towards the intergenerational dimension of the equity.

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Full text

Introduction

1L’idée de réguler les pollutions au moyen de permis d’émissions échangeables sur un marché concurrentiel a été développée pour la première fois par Dales (1968). La justification théorique est que le marché permettrait, sous des conditions de concurrence pure et parfaite, d’obtenir une répartition efficace des émissions entre les firmes. Cet instrument connaît depuis une vingtaine d’années un succès grandissant. Il est notamment appliqué aux États-Unis (SO2, NOx) et en Europe (CO2). Burtraw et al. (2005) proposent une évaluation des expériences américaines. Kuik et Oosterhuis (2008) proposent une évaluation de l’expérience européenne.

  • 1  La définition théorique d’un marché de permis d’émissions pose que : le choix du nombre de droits (...)
  • 2  Avec la généralisation de cet instrument (d’abord aux Etats Unis, puis en Europe), ce n’est donc p (...)

2Un aspect assez peu étudié du fonctionnement de ces marchés est que les citoyens ou les groupes de citoyens sont autorisés à y intervenir, pour acheter des permis d’émissions, dans le but de les retirer et de réduire la pollution (EPA, Clean Air Act, Title IV ; Directive 2003/87/CE). Ces dispositifs ne prévoient toutefois rien pour encourager ces comportements. Israel (2007), s’intéressant au marché du SO2 aux Etats-Unis, observe ainsi que de tels achats, s’ils se sont produits, restent très négligeables. En fin de compte, les préférences des citoyens interviennent peu ou pas dans l’élaboration, puis dans le fonctionnement des marchés de permis d’émissions1. On ne peut que s’étonner de cette situation, qui contredit à la fois les valeurs démocratiques et les principes économiques dominants2. A la suite de travaux récents (Rousse, 2008; Smith et Yates, 2003a et 2003b; Ahlheim et Schneider, 2002 ; Shrestha, 1998), cet article entend poursuivre le débat sur le bien fondé, ou non, d’une participation des citoyens à un marché de permis d’émissions, en se plaçant à la fois sous l’angle de l’efficacité économique et sous l’angle de l’éthique. Nous proposons une analyse économique de l'ouverture d'un marché de permis d'émissions en considérant que les pollués évaluent avec une précision suffisante le lien existant entre leur bien-être et l'état de l'environnement. Concrètement, il s'agit de pollutions géographiquement identifiées et non persistantes. Le volet éthique, quant à lui, est abordé dans ce contexte et révèle qu'il n'y a pas d'obstacle : l'intervention des citoyens sur un tel marché semble conforme aux principes démocratiques et économiques des sociétés contemporaines. Par contre, l'ouverture du marché aux citoyens pour la régulation de pollution de nature globale et persistante pose quelques difficultés (en particulier, dans le cas de l'effet de serre).

  • 3  Si les permis d’émissions sont alloués initialement aux pollueurs, chaque citoyen est poussé à ado (...)

3S’agissant de l’efficacité économique, les raisons théoriques qui poussent à déconseiller la participation des citoyens au fonctionnement des marchés de droits de polluer sont bien connues. L’environnement ayant la nature d’un bien public (non rival et sans exclusion d’usage), sous les hypothèses standards de la théorie économique (agents rationnels et égoïstes), l’intervention des citoyens sur un marché de permis d’émissions est inefficace, en raison de l’incitation à se comporter en passager clandestin3.

  • 4  Nous n’étudierons pas cette littérature ici. En effet, les mécanismes décrits sont souvent très co (...)

4Cependant, la théorie économique moderne remet en cause cette conclusion de deux manières. En premier lieu, quelques articles pionniers (Smith et Yates, 2003a et 2003b) prouvent que, malgré l’incitation à se comporter en passager clandestin, si le régulateur distribue des permis d’émissions en trop grand nombre, il peut arriver que des citoyens (ou groupes de citoyens) aient intérêt à racheter des droits de polluer sur le marché. Dans l’hypothèse où ils participeraient au marché, leur intervention rapprocherait (sans l’atteindre toutefois) de l’optimum économique. Elle serait en outre une source d’information pour le régulateur, qui pourrait conclure à une distribution initiale trop généreuse. D’autre part, une vaste littérature, initiée par Hurwicz (1979), Groves et Ledyard (1977), et Walker (1981), montre qu’il est possible, en théorie, de concevoir des mécanismes économiques capables d’éliminer le problème du passager clandestin. Appliqué à notre problème, ce résultat signifie qu’on peut, en complexifiant le fonctionnement des marchés de permis d’émissions, obtenir un système où les citoyens révèleraient leur préférence pour l’environnement et où la préservation de l’environnement serait en adéquation avec cette dernière4.

5En second lieu, la théorie économique récente suggère qu’on a peut-être exagéré l’ampleur du problème du passager clandestin. L’économie expérimentale prouve que les agents économiques se montrent plus coopératifs que ne le suggère la prédiction théorique (Eber et Willinger, 2005 ; Ledyard, 1995). Dans le cadre du jeu du bien public, les travaux expérimentaux suggèrent ainsi que les agents économiques ont tendance à contribuer au bien collectif bien au-delà de ce que leur dicte la recherche de leur intérêt personnel. De plus, les agents seraient guidés par d’autres motivations, sociales ou morales, qui rentreraient en ligne de compte lors de leur prise de décision. Les notions d’altruisme pur, de « goût de donner » (warm-glow), de réciprocité, de conformité à une norme sociale, etc., permettent ainsi d’expliquer dans quelle mesure les préférences sociales ou morales peuvent être intégrées dans leur fonction d’utilité et modifier la prise de décision collective. Ainsi, les objections habituelles à la participation des citoyens à un marché de permis d’émissions méritent d’être réévaluées.

6On s’interroge ensuite sur les raisons d’ordre éthique qui justifient, ou non, que les citoyens participent à l’élaboration d’un marché de permis d’émissions, puis à son fonctionnement (Ahlheim et Schneider, 2002). La justification de leur intervention à la première étape relève d’un principe démocratique (droits égaux, démocratie participative, etc.). La raison de leur intervention à la seconde étape relève du constat suivant. La théorie économique standard analyse l’économie de marché comme un outil permettant de coordonner les préférences exprimées par les agents économiques et la rareté des ressources disponibles. Les agents économiques peuvent demander ou offrir librement sur les marchés toute quantité qu’ils désirent. Le système de prix véhicule l’information nécessaire à cette coordination. Le fonctionnement d’un marché de droits de polluer, sans l’intervention des citoyens, contredit ce principe, puisque le prix ne reflète qu’un côté du marché. Dans ce cas, une éthique de la responsabilité tournée vers le futur conduit à s’interroger sur la légitimité des générations présentes pour décider ce qui sera bon pour les générations futures, via la mise à disposition d’une quantité de permis à laquelle les citoyens contemporains auront bien voulu renoncer.

7La suite de l’article est organisée comme suit. Dans la section 2, nous évaluons, en retenant l’hypothèse dominante de la théorie économique, selon laquelle les agents seraient égoïstes et rationnels, le fonctionnement d’un marché de permis d’émissions ouvert aux citoyens. Nous mettons en évidence les conséquences sur l’équilibre du marché de l’incitation des citoyens à se comporter en passager clandestin. Nous montrons alors qu’il peut être socialement bénéfique de subventionner la demande des citoyens, de façon à combattre ce comportement. Dans la section 3, nous revenons sur ces conclusions, en utilisant les résultats de l’économie expérimentale, appliquée au jeu du bien public. Nous observons que l’économie théorique surestime peut-être le problème de l’incitation à se comporter en passager clandestin. Nous discutons les raisons de cet écart entre les conclusions de l’économie théorique et de l’économie expérimentale. Nous revenons alors sur le postulat d’agents économiques égoïstes et en tirons les conséquences sur les résultats de la section 2. Enfin, dans la dernière section, nous discutons les enjeux éthiques associés à l’ouverture des marchés de permis d’émissions aux citoyens. A la suite de Ahlheim et Schneider (2002), il apparaît qu’une éthique basée sur un postulat de liberté et de souveraineté des citoyens commande d’autoriser la participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions. Nous montrons ensuite que cette recommandation peut poser problème si l’on prend en compte des pollutions cumulatives, du fait de l’impératif d’équité intergénérationnel.

La participation des citoyens à un marché de permis est-elle socialement bénéfique5 ?

  • 5  Le critère d’efficacité économique pris en compte dans l’article est le critère de Pareto. Une pol (...)

8On considère un modèle de pollution simple avec des firmes qui génèrent de la pollution et des citoyens qui subissent les dommages de la pollution. La relation entre les firmes et les citoyens est représentée sur la figure 1. L’abscisse mesure le niveau d’émissions. L’ordonnée mesure les coûts, en unités monétaires. Les bénéfices des émissions des firmes sont représentés par la courbe de bénéfice marginal (Bm), obtenue en additionnant vers la droite les courbes de bénéfice marginal de chaque firme. Elle est décroissante avec les émissions. Les dommages de la pollution supportés par les citoyens sont représentés par la courbe de dommage marginal (Dm), obtenue en additionnant les courbes de dommage marginal de chaque citoyen. Elle est croissante avec la pollution.

  • 6  Conformément au critère d’efficacité économique posé ci-dessus, nous considérons qu’un état économ (...)

9Connaissant les bénéfices des firmes et les dommages des citoyens, le niveau de pollution optimal s’obtient en égalisant le bénéfice marginal des émissions des firmes et le dommage marginal de la pollution des citoyens. Graphiquement, ceci correspond au point d’intersection des courbes Bm et Dm. On note q° les émissions optimales6.

Figure 1. Etat optimal et équilibre du marché de permis.

Figure 1. Etat optimal et équilibre du marché de permis.

10Admettons que le régulateur mette en place un marché de permis d’émissions et qu’il n’autorise l’accès à ce marché qu’aux seules firmes. Colander (2006) qualifie ce type de marché de permis de « one-sided market ». On peut décrire le fonctionnement d’un marché de permis d’émissions en utilisant la figure 1. Les firmes doivent posséder un permis d’émissions pour chaque unité de pollution générée. Le régulateur distribue aux firmes des permis d’émissions, en quantité q. Ce faisant, il introduit implicitement une contrainte environnementale : l'offre de permis, ainsi fixée, conduit le régulateur à obtenir le résultat environnemental qu'il souhaite. Ils sont échangeables à un prix p, déterminé librement par le marché. Un équilibre du marché est un prix et une quantité de permis demandée par les firmes tels que la demande de permis soit égale à la quantité de permis offerte par le régulateur. La courbe de demande de permis des firmes coïncide avec la fonction de bénéfice marginal. En effet, comme les firmes doivent posséder un permis d’émissions pour chaque unité de pollution générée, elles achètent des permis tant que le bénéfice marginal des émissions est supérieur au prix des permis. Donc, sur la figure 1, si le régulateur distribue q permis d’émissions, à l’équilibre du marché, le prix d’équilibre sera p et les firmes rejetteront dans l’environnement une quantité de pollution q.

  • 7  Le calcul de l’état optimal suppose de connaître la forme et la position des courbes Bm et Dm. En (...)
  • 8  Pour une synthèse de la littérature sur l’analyse positive des politiques d’environnement, voir Po (...)

11Le lecteur peut objecter ici que le choix du régulateur de distribuer q permis d’émissions est absurde. En effet, il s’ensuit inévitablement qu’à l’équilibre du marché, la pollution est trop importante, comparée à la situation optimale (i.e., q > q°). Pourtant, en distribuant q° permis, l’équilibre du marché se produirait pour un prix p° et une quantité q°, permettant donc d’atteindre la situation optimale. Le choix de distribuer q permis, plutôt que q°, induit donc un coût social, correspondant au triangle (abc) de la figure. Cette objection, quoique juste, néglige les deux faits suivants. D’une part, le régulateur ne possède jamais, dans la réalité, les informations nécessaires pour calculer l’état optimal q°7. D’autre part, l’action du régulateur peut dépendre, en pratique, de considérations autres que la recherche du niveau de pollution optimal, comme ses chances de réélection, l’influence des groupes de pression, etc.8. Il y a donc peu de chances que la dotation de permis décidée par le régulateur coïncide avec l’état optimal.

12Supposons maintenant que les citoyens aient la possibilité d’intervenir sur le marché des permis d’émissions. Colander (2006) qualifie ce type de marché de permis de « two-sided market ». Un équilibre du marché est alors un prix et une quantité de permis demandée par les firmes et les citoyens, tels que la somme des permis demandés est égale à la quantité de permis offerte par le régulateur.

  • 9  Les coûts de transaction sur le marché des permis d’émission sont un autre facteur à prendre en co (...)
  • 10  Nous admettons cette hypothèse dans cette section, avant de l’abandonner dans la section suivante. (...)

13Pour déterminer un équilibre du marché, il faut donc connaître la courbe de demande de permis d’émissions des citoyens9. Collectivement, le groupe des citoyens a intérêt à acheter des permis, tant le dommage marginal de la pollution est supérieur au prix des permis. Toutefois, on se gardera d’en conclure que la demande de permis des citoyens coïncide avec la courbe de dommage marginal. En effet, à l’échelle individuelle, les motivations sont plus complexes, pour deux raisons. En premier lieu, si les individus sont égoïstes, au sens où ils poursuivent seulement leur intérêt personnel (10), un citoyen lambda participera au marché seulement pour réduire les dommages de la pollution qu’il subit personnellement. Il s’ensuit que sa demande individuelle dépendra de sa courbe individuelle de dommage marginal, et non pas de la courbe de dommage marginal du groupe. En second lieu, le fait que la pollution ait les propriétés d’un bien public, rend délicate l’agrégation des courbes de demande individuelles en une courbe de demande sur le marché. En effet, même si un citoyen lambda a personnellement intérêt à acheter un nombre donné de permis d’émissions, il préfèrerait encore que les autres s’en chargent à sa place, profitant ainsi de la réduction des dommages correspondante, sans en supporter le coût. Autrement dit, il est tenté de se comporter en passager clandestin (free rider) sur le marché des permis d’émissions. Donc, si les individus sont égoïstes, la courbe de demande de permis d’émissions des citoyens dépend des courbes individuelles de dommage marginal et de l’attitude des citoyens face à la tentation du comportement de passager clandestin.

  • 11  Noter ici qu’il existe dans ce cas une infinité d’équilibres (de Nash). Tous les équilibres (de Na (...)

14La théorie des jeux fournit la réponse suivante à ce problème. Pour illustrer, considérons d’abord le cadre simplificateur suivant. Le groupe des citoyens comporte n individus identiques. Donc, le dommage marginal d’un individu est (1/n) Dm, Dm étant le dommage marginal du groupe. Modélisons le problème de l’action collective présenté ci-dessus comme un jeu, où les citoyens décident simultanément leur demande individuelle, connaissant le prix p des permis d’émissions. A l’équilibre (de Nash), on doit avoir (1/n) Dm = p. En effet, si (1/n) Dm < p (resp., (1/n) Dm > p), certains citoyens souhaitent diminuer (augmenter) leur demande de permis d’émissions. La courbe de demande de permis d’émissions des citoyens coïncide donc avec la courbe de dommage marginal individuel (1/n) Dm (11). Considérons maintenant l’hypothèse (plus réaliste) où les individus ont des courbes de dommage marginal individuelle différente. A l’équilibre de Nash, seul l’individu dont la courbe de dommage marginal est la plus haute achète des permis. La demande sur le marché coïncide alors avec la courbe de dommage marginal la plus élevée dans la population.

15Comme nous le verrons plus loin (section 3), les principaux résultats des expériences menées en laboratoire, ne confirment pas la solution proposée par la théorie des jeux. Cette solution négligerait en particulier les préférences sociales des joueurs ainsi que l’existence d’une norme sociale de réciprocité. En revanche, le constat d’un écart significatif entre la prédiction théorique et le comportement observé des joueurs devient moins évident lorsque l’on se situe dans le cadre d’un jeu répété sur un nombre fini de périodes. La structure du marché des permis d’émissions, ainsi que sa dynamique (nombre de joueurs et de périodes, nature des incitations individuelles, intervention de l’Etat, mécanismes de sanction ou de subvention, etc.) sont donc à prendre en compte pour prétendre évaluer l’ampleur du problème de l’action collective lors de l’ouverture aux citoyens de ce marché.

16En fin de compte, on doit admettre que la demande des citoyens sur le marché est plutôt imprévisible, en l’état actuel de nos connaissances. Smith et Yates (2003) contournent l’indétermination de la façon suivante. Ils admettent d’abord l’existence d’un paramètre R, compris entre 0 et 1, représentant la capacité du groupe des citoyens à résoudre le problème de l’action collective, décrit à l’instant. Ils posent ensuite que la courbe de demande des citoyens sur le marché des permis coïncide avec la fonction de demande révélée DR = R Dm. Ainsi, plus le paramètre R est proche de 0, plus la demande révélée (DR) est basse, comparée à la courbe de dommage marginal (Dm). Ceci traduit une situation où le groupe de citoyens échoue à résoudre le problème d’action collective. Inversement, plus le paramètre R est proche de 1, plus la demande révélée (DR) tend vers la courbe de dommage marginal (Dm), traduisant une situation où le groupe des citoyens parvient à surmonter le problème de l’action collective. Pour fixer les esprits, rappelons ici que la théorie des jeux prédit R = 1/n, tandis que les résultats expérimentaux nous poussent à croire que R > 1/n.

17La figure 2 ci-dessous décrit la détermination d’un équilibre du marché des permis d’émissions en reprenant la formalisation de Smith et Yates (2003). Le régulateur distribue q permis d’émissions aux firmes. Sur sa partie gauche, nous supposons que la courbe de demande révélée (DRL = RL Dm) est basse, soit que le paramètre R est petit (R = RL). Alors, à l’équilibre du marché, le prix d’équilibre est p et la pollution est q. Les firmes demandent q permis d’émissions, pour égaliser leur bénéfice marginal au prix p. Les citoyens ne demandent aucun permis d’émissions, puisqu’au niveau de pollution q, on a RL Dm < p. Sur la partie droite de la figure, nous supposons au contraire que la courbe de demande révélée (DRH = RH Dm) est haute, soit que le paramètre R est grand (R = RH > RL). Alors, le prix d’équilibre est p* et la pollution est q*. Les firmes demandent q* permis d’émissions, pour égaliser leur bénéfice marginal au prix p*. Les citoyens demandent q – q* permis d’émissions, car RH Dm > p*, pour toute les unités de pollution entre q* et q.

Figure 2. Le régulateur ouvre le marché aux citoyens.

Figure 2. Le régulateur ouvre le marché aux citoyens.

18Les résultats obtenus à l’aide de la figure 2 se généralisent aisément à toutes courbes Bm et Dm prises comme point de départ. On aboutit donc à la conclusion suivante (Smith et Yates, 2003) :

  • 12  Dans l’article, nous considérons que le bénéfice social correspond au fait de se rapprocher de l’é (...)

Le fait d’ouvrir un marché de permis d’émissions aux citoyens n’est jamais socialement dommageable (Cf. (i)) et est parfois socialement bénéfique (Cf. (ii)12). (i) Lorsque q ≤ q° et/ou R est suffisamment petit, cela n’a aucune incidence sur l’équilibre du marché. (ii) Lorsque q° < q et R est suffisamment grand, cela modifie l’équilibre du marché, la pollution d’équilibre q* devenant plus proche de la pollution optimale (i.e., on a q° ≤ q* < q).

  • 13  La mise en œuvre d’une politique d’environnement occasionne des coûts de transaction (administrati (...)

19Ce résultat plaide clairement en faveur d’une participation des citoyens. Il faut toutefois le relativiser. Pour des raisons évidentes, l’utilisation de marchés de permis d’émissions n’est justifié que pour réguler des pollutions occasionnant des dommages suffisamment importants (13). La plupart du temps, donc, le groupe des citoyens, composé des individus subissant les dommages de la pollution, sera de grande taille. Or, il paraît plausible que le paramètre R, indiquant la capacité du groupe de citoyens à résoudre le problème de l’action collective, soit d’autant plus petit que la taille du groupe des citoyens est grande. En effet, selon la prédiction théorique, on doit avoir R = 1/n. Il s’ensuit qu’on tombera, le plus souvent, dans le cas de figure (i) ci-dessus. Autrement dit, la plupart du temps, l’ouverture du marché aux citoyens ne servira à rien.

20On aboutit donc au résultat suivant :

Si le paramètre R décroît assez rapidement avec le nombre d’individus subissant les dommages de la pollution, alors, le plus souvent, l’ouverture d’un marché de permis d’émissions aux citoyens n’aura aucune incidence sur l’équilibre du marché.

21Nous montrons ci-dessous qu’il est possible de dépasser ce résultat négatif, à condition d’aménager le marché de permis d’émissions, pour aider le groupe des citoyens à résoudre le problème de l’action collective et, ainsi, faciliter leur participation au marché. Aucun article à ce jour n’a étudié cette possibilité. Supposons que le régulateur subventionne la demande des citoyens au taux S. Autrement dit, lorsqu’un citoyen achète un permis au prix p du marché, le régulateur prend à sa charge une part S du prix. Le citoyen paye seulement le prix subventionné P = (1 – S) p. Pour déterminer la demande de permis des citoyens qui en résulte, rappelons d’abord que les citoyens achètent des permis tant que la demande révélée (DR) est plus grande que le prix payé pour un permis (ici, le prix subventionné P = (1 – S) p). Donc, la demande de permis des citoyens vérifie DR = P. Par définition de DR et P, la demande des citoyens est donc caractérisée par la relation R Dm = (1 – S) p. On en déduit une courbe de demande subventionnée (DS), qui est la représentation graphique de la relation DS = R/(1 – S) Dm. Le citoyen profite du rachat des permis d'émissions via la diminution de la pollution qui en résulte et, in fine, via la réduction des dommages causés à l'environnement.

22Ceci étant, supposons (provisoirement) que le régulateur connaisse la valeur du paramètre R. Admettons alors qu’il décide de subventionner la demande des citoyens au taux S = 1 – R. Comme R/(1 – S) = 1, on a DS = Dm. Donc, la courbe de demande subventionnée coïncide avec la courbe de dommage marginal. Le résultat suivant est alors évident :

Supposons que le régulateur observe la valeur du paramètre R. Alors, quelle que soit cette valeur, si le régulateur alloue suffisamment de permis d’émissions, c’est-à-dire si q < q°, et s’il subventionne la demande des citoyens au taux S = 1 – R, alors, à l’équilibre du marché des permis, la quantité de pollution est optimale (i.e., on a q* = q°).

  • 14  Relevons que ce type de mesures est déjà utilisé en France, dans le domaine social. Ainsi, les con (...)

23Cette conclusion prouve que l’incapacité des citoyens à résoudre le problème de l’action collective n’est pas un obstacle en soi à l’efficacité d’un marché de permis d’émissions ouvert aux citoyens. Elle contredit donc le résultat négatif précédent que l’on tirait comme corollaire des conclusions de Smith et Yates (2003). Précisément, la difficulté peut, en principe, être surmontée par le régulateur, au moyen d’un mécanisme approprié de soutien de la demande de permis des citoyens (14). Les autres leviers de la politique sont abordés dans la troisième partie de l'article.

24Il convient cependant d’être prudent quant à l’utilisation d’un tel mécanisme. Pour comprendre le risque encouru, repartons des hypothèses de la figure 2. Admettons maintenant, ce qui est plus réaliste, que le régulateur ne connaisse pas la valeur du paramètre R. Plus précisément, supposons qu’il sait seulement qu’il prend soit la valeur RL, soit la valeur RH. Imaginons, par contre, que ses croyances le poussent à être plutôt pessimiste quant à la capacité des citoyens à surmonter le problème de l’action collective. Il considère donc la valeur RL comme beaucoup plus probable. Alors, vu le résultat précédent, il semble raisonnable de dire que le régulateur va vouloir subventionner la demande des citoyens au taux S = 1 – RL. Les conséquences de ce choix sont représentées sur la figure 3 ci-dessous. Si les croyances du régulateur se trouvent confirmées (i.e., R = RL), le résultat précédent s’applique. Ainsi, sur la partie gauche de la figure, la courbe de demande subventionnée coïncide avec la courbe de dommage marginale (car on a DS = RL/(1 – S) Dm = Dm). A l’équilibre du marché des permis, les émissions des firmes sont donc optimales, c’est-à-dire égale à q°. Par contre, dans l’hypothèse où ses croyances seraient infirmées, la courbe de demande subventionnée sera au-dessus de la courbe de demande marginale (car on a DS = RH/(1 – S) Dm = (RH/RL) Dm > Dm) et ce, d’autant plus que le ratio RH/RL est grand. A l’équilibre du marché, le prix d’équilibre sera p* et la pollution sera q*. La pollution sera donc plus petite que la pollution optimale, soit q* < q°. Le coût des croyances du régulateur, mesuré par l’aire du triangle (abc) sur la figure, est d’autant plus grand que le ratio RH/RL est grand.

Figure 3. Le régulateur subventionne au taux S = 1 – RL.

Figure 3. Le régulateur subventionne au taux S = 1 – RL.

25La figure 4 ci-dessous traite le cas symétrique où le régulateur considèrerait la valeur RH comme beaucoup plus probable et, donc, subventionnerait la demande des citoyens à hauteur de S = 1 – RH. Dans ce cas, sur la partie gauche de la figure, la courbe de demande subventionnée sera en dessous de la courbe de dommage marginale (car on a DS = RL/(1 – S) Dm = (RL/RH) Dm < Dm), et ce d’autant plus que le ratio RL/RH est petit. A l’équilibre du marché, les émissions q* seront alors trop petites, par rapport à q°. Plus précisément, elles seront soit égales à q, quand le ratio RL/RH est petit, soit inférieures à q, dans le cas contraire. (C’est la seconde hypothèse qui a été retenue pour construire la figure 4.) A nouveau, le coût des croyances erronées du régulateur est mesuré par l’aire du triangle (abc) sur la figure. Il croît quand le ratio RL/RH diminue, tant que q* ≤ q, après quoi il reste constant. Sur la partie droite de la figure, la courbe de demande subventionnée coïncide avec la courbe de dommage marginale (i.e., on a DS = RH/(1 – S) Dm = Dm). A l’équilibre du marché des permis, les émissions des firmes sont donc optimales, c’est-à-dire égale à q°.

Figure 4. Le régulateur subventionne au taux S = 1 – RH.

Figure 4. Le régulateur subventionne au taux S = 1 – RH.

26La comparaison des deux politiques décrites précédemment permet de tirer une conclusion importante. Commençons par remarquer que, si le régulateur subventionne la demande des citoyens au taux S = 1 – RL, il est possible que l’ouverture du marché aux citoyens soit socialement dommageable. Ceci se produira à deux conditions. Premièrement, il faut que la croyance R = RL du régulateur soit erronée avec une probabilité suffisamment forte. Dans ce cas, le coût des croyances du régulateur, mesuré par l’aire du triangle (abc) de la figure 3, sera probable. Deuxièmement, il faut que le ratio RH/RL soit suffisamment grand, pour que le l’aire du triangle (abc) de la figure 3 soit plus grande que l’aire du triangle (abc) de la figure 1. Par contraste, remarquons maintenant que, si le régulateur subventionne la demande des citoyens au taux S = 1 – RH, l’ouverture du marché aux citoyens ne peut qu’être socialement bénéfique. En effet, peu importe que les croyances du régulateur soient justes ou fausses, à l’équilibre du marché, les émissions q* des firmes sont soit égales à q (si R = RL et RL/RH est petit), soit comprises entre q et q° (si R = RL et RL/RH est grand), soit égales à q° (si R = RH).

27On tire alors l’enseignement suivant :

Supposons que le paramètre R soit compris entre RL et RH, avec RL < RH. Admettons d’autre part que le régulateur connaisse RH. S’il subventionne la demande de permis d’émissions de la part des citoyens à hauteur de S = 1 – RH, alors, le fait d’ouvrir un marché de permis d’émissions aux citoyens n’est jamais socialement dommageable et, si q est suffisamment grand et/ou si le ratio RL/RH est suffisamment proche de 1, est toujours socialement bénéfique.

L’importance du problème du passager clandestin : les enseignements de l’économie expérimentale.

  • 15  Voir Eber et Willinger (2005) pour une présentation complète de la méthode expérimentale.

28Dans notre cadre théorique, l’ouverture du marché de permis d’émissions aux citoyens est efficace dans la mesure où le phénomène de passager clandestin est soit limité, soit combattu par l’intervention des pouvoirs publics. Le problème du passager clandestin met en évidence une situation de dilemme social, dans laquelle l’intérêt individuel entre en conflit avec l’intérêt collectif. Ce problème a été identifié initialement dans le cadre du jeu du dilemme du prisonnier (coopérer ou ne pas coopérer) et, plus récemment, dans le jeu du bien public, qui correspond à une version continue de ce dilemme. L’économie expérimentale, en réalisant ce jeu en laboratoire (15), permet d’apprécier, voire de chiffrer, l’importance du problème du passager clandestin lors de la fourniture d’un bien public. Les résultats expérimentaux du jeu du bien public, quoique très généraux, nous permettent d’anticiper l’ampleur du problème si l’ouverture du marché de permis d’émissions devait être envisagée aux ménages.

Les principaux enseignements des études expérimentales

29Le jeu du bien public se joue avec n joueurs, n désignant ainsi la taille du groupe. Chaque joueur reçoit une dotation initiale de Y jetons et a la possibilité, soit de conserver tout ou partie de ses jetons dans une cagnotte « privée », soit de contribuer à une cagnotte « commune ». Le jeu est réalisé ainsi « hors contexte précis » et, en particulier, sans référence explicite au mécanisme de contribution à la fourniture d’un bien public, quel qu’il soit (construction d’un pont, redevance audiovisuelle, dépollution d’un lac, etc.). Chaque joueur, i = 1, …, n, doit décider du montant de sa contribution à la cagnotte commune, gi. Les gains du joueur i, noté πi, s’écrivent de la façon suivante :

30πi = Y – gi + (1/n) G(gi + ∑j≠i gj)

31où (1/n) G (.) représente le bénéfice total que l’individu retire du bien public. Dans notre cas, il s’agit du bénéfice individuel, associé à la dépollution induite par le rachat de permis d’émissions par les citoyens. Le plus souvent, la fonction G(.) est une fonction linéaire et s’écrit :

32G(gi + ∑j≠i gj)= n a (gi + ∑j≠i gj), avec a < 1 < n a.

33Le paramètre a, supposé constant, correspond ici au rendement individuel marginal du bien public (i.e., (1/n) G’(.) = a).

34Au moment de prendre sa décision, chaque joueur est informé des règles, sait que les autres joueurs le sont aussi, et ne possède (généralement) aucun moyen de communiquer avec les autres joueurs. Les décisions de chaque joueur (ainsi que ses gains) demeurent par ailleurs anonymes. Le jeu peut être joué une seule fois (jeu « à un coup ») mais, le plus souvent, le jeu est « répété » sur plusieurs périodes (par exemple, 10) de telle sorte que chaque joueur doit décider à chaque tour quel est le montant de sa contribution à la cagnotte commune. Dans ce cas, chaque joueur est informé, à chaque tour, de la contribution moyenne du groupe auquel il appartient, ainsi que du montant de ses gains individuels. La répétition du jeu permet notamment de saisir la dynamique de contribution au sein du groupe et donc, a contrario, celle du passager clandestin.

35Sur le plan théorique, la stratégie dominante de chaque joueur(i = 1, …, n) est de ne pas contribuer à la cagnotte commune, de sorte que gi = 0 (puisque πi/gi = – 1 + a < 0, πi décroît avec gi). L’équilibre (de Nash) du jeu du bien public implique donc une absence totale de contribution de la part de tous les joueurs. A contrario, on montre que les paiements agrégés sont maximisés lorsque chaque joueur contribue à la hauteur de l’intégralité de sa dotation, de sorte que gi = Y (puisque (∑iπi)/gi = – 1 + n a > 0, ∑iπi croît avec gi). L’optimum social n'est pas présenté aux joueurs. Les joueurs, informés sur leurs préférences via la fonction d'utilité dont ils sont dotés avant le jeu, peuvent “calculer” l'optimum social. Ce dernier est donc obtenu lorsque toute la richesse est consacrée à la production du bien public. La théorie standard prédit ainsi que les individus cherchent à profiter du bien public (la dépollution) tout en évitant, dans la mesure du possible de participer à son financement : ils se comportent ainsi comme des passagers clandestins.

  • 16  Voir Ledyard, 1995, pour une revue des résultats expérimentaux du jeu du bien public.

36Sur le plan expérimental, cependant, de nombreux travaux ont montré que l’issue pouvait être bien différente (16). On observe, en particulier, que les sujets contribuent volontairement à la cagnotte commune entre 40 et 60 % de leur dotation initiale lors du premier tour de jeu. La capacité du groupe à régler le problème de l’action collective est donc, au départ, relativement forte. Le jeu est réalisé sans référence explicite au mécanisme de contribution à la fourniture du bien public, quel qu'il soit (construction d'un pont, redevance audiovisuelle, dépollution d'un lac...). La rémunération réelle des joueurs (en euros) dépend du niveau de leurs gains et s'effectue de façon anonyme. Lorsque, ensuite, le jeu est répété, le niveau de contribution, initialement proche des 50 %, décroît en revanche progressivement. Si le jeu est répété un nombre fini de fois (le nombre de périodes, de 10 à 25 selon les études, étant connu des joueurs), on observe enfin un comportement dit de « fin de jeu » qui implique qu’à l’approche de la dernière période du jeu, le taux de contribution chute nettement et se situe in fine autour des 10 %. Dans le jeu du bien public, un joueur qui coopère alors que d'autres ne le font pas, réalise qu'il est dans son intérêt personnel de ne pas coopérer. Certains joueurs coopèrent cependant pour inciter les autres joueurs à coopérer. A la fin du jeu, cependant, cette incitation devient caduque puisque tous les joueurs savent que le jeu se termine (le taux de coopération devient alors très faible).

  • 17  Mathématiquement, il revient au même de subventionner la contribution individuelle et d’augmenter (...)

37Pour le régulateur qui envisagerait l’ouverture du marché de droits à polluer, se caler sur cette hypothèse basse de contribution à la dernière période semble raisonnable. En ce cas, nous l’avons vu, la participation des citoyens n’a aucune incidence sur l’équilibre du marché. Le régulateur peut cependant envisager de subventionner la demande des citoyens (S). Dans le jeu, une subvention revient à modifier la valeur du rendement individuel marginal du bien public (a) (17). Isaac et Walker (1988) ont bien montré expérimentalement que la contribution moyenne au bien public en fin de jeu augmentait sensiblement (de 4 % à 27 %) lorsque le paramètre a varie de 0,3 à 0,7. Le problème de l’action collective peut donc, en principe, être contourné et l’intervention des citoyens potentiellement bénéfique.

Altruisme, taille du groupe et efficacité de la sanction

38Les résultats précédents indiquent que la participation des citoyens au marché des permis d’émissions peut être socialement bénéfique sous certaines conditions. L’utilisation de marchés de permis d’émissions n’est recommandable que pour réguler des pollutions occasionnant des dommages suffisamment importants. Par conséquent, le plus souvent, le groupe des citoyens, composé des individus subissant les dommages de la pollution, sera de grande taille. Dans ce cas, un individu qui annoncerait une demande de permis d’émission très faible ne participerait que très peu à la dépollution, mais n’en souffrirait guère puisque le niveau de dépollution est pratiquement indépendant de son annonce. On peut ainsi s’attendre à ce que le problème du passager clandestin soit plus important quand le nombre d’agents concernés par le bien public est plus élevé.

39Considérons, à titre d’illustration, une communauté de citoyens composée d’un nombre très élevé (n = 10 000) de personnes susceptibles de participer au marché de droits à polluer. Chaque citoyen a la possibilité de participer au marché ou de ne pas participer. S’il participe au marché, on supposera, pour simplifier, qu’il achète un unique permis d’émission au prix de 5 centimes d’euros l’unité. Si tous les citoyens achètent un permis, le bénéfice retiré de la réduction de la pollution (q – q*) est évaluée à 1000 euros. Le bénéfice individuel associé à l’intervention des citoyens se monte ainsi à 1000/10000 = 10 centimes d’euros. Si un citoyen estime que les autres citoyens participeront au marché de manière satisfaisante, il peut espérer gagner en ne participant pas. En termes probabilistes, on peut représenter cette situation dans la matrice des gains suivante en supposant que chaque citoyen fait face aux « autres » membres de la communauté :

Gains (en cents)

Les autres participent

Les autres ne participent pas

Espérance de gains

Le citoyen participe

+5 (0.5)

-5 (0.5)

0

Le citoyen ne participe pas

10 (0.5)

0 (0.5)

5

40Considérant un grand nombre d’individus, le citoyen ne pense pas que son comportement puisse influencer d’autres membres du groupe. Supposons donc qu’il assigne la même probabilité de survenance à la participation et à la non participation des autres citoyens (d’où une probabilité égale à 0.5 pour chaque événement, représentée par les nombres entre parenthèses dans le tableau ci-dessus). Ses anticipations ne dépendent donc pas du fait de savoir s’il participe ou non au marché des droits de polluer. Il choisira donc d’adopter le comportement du passager clandestin, et comme tout le monde tendra à agir de même, le niveau de dépollution sera régulé en l’absence des citoyens.

41On peut maintenant opposer cette situation concernant le cas de grands nombres à celle relative au cas de petits nombres en supposant qu’il existe un nombre restreint de citoyens. Supposons, par exemple, que les citoyens sont regroupés au sein d’associations écologistes et que ces associations forment les 10 joueurs de la communauté (soit 10 associations de 1000 individus). Chaque association va maintenant payer 5 dollars pour dépolluer et retire un bénéfice de 10 dollars pour la dépollution qui en résulterait. Qu’est-ce qui change ? Dans cette situation, l’interdépendance personnelle peut exister. Chaque groupe de joueurs peut ainsi penser que sa décision influencera d’une manière ou d’une autre le comportement des autres joueurs. On suppose ici que la participation de l'un peut influencer la participation d'un autre. La réciprocité, l'effet leadership, etc..., sont autant d'arguments qu'il est possible d'invoquer pour appuyer cette hypothèse. Par exemple, s’il ne participe pas, il peut supposer que la probabilité pour que les autres ne participent pas est plus forte que s’il participait (0,8 contre 0,2) :

Gains (en $)

Les autres participent

Les autres ne participent pas

Espérance de gains

Le citoyen participe

+5 (0.8)

-5 (0.2)

3

Le citoyen ne participe pas

10 (0.2)

0 (0.8)

2

42Ceci peut donc conduire le joueur à changer son attitude. En termes probabilistes, l’individu (ou l’association) prévoyant que son comportement influencera (de façon positive) celui des autres, son espérance de gain devient plus forte (3 contre 2) dans le cas où il participe au marché. Ce qui semble être le cas expérimentalement puisque l’on observe que la coopération au sein des groupes qui rejouent ensemble à chaque période du jeu du bien public est significativement supérieure à celle des groupes mélangés – qui savent donc qu’ils ne rejoueront pas ensemble (Keser et van Winden., 2000). Inversement, le joueur pourrait considérer que sa participation au marché diminuera plus qu’elle n’élèvera la probabilité que les autres participent au marché :

Gains (en $)

Les autres participent

Les autres ne participent pas

Espérance de gains

Le citoyen participe

+5 (0.8)

-5 (0.2)

3

Le citoyen ne participe pas

10 (0.9)

0 (0.1)

9

43Le joueur se comporterait ici donc exactement comme un passager clandestin « pur », en anticipant de la part des autres une action permettant de compenser son comportement anti-social. Comme l’attestent certains résultats expérimentaux, l’issue coopérative pourrait alors dépendre du pouvoir de sanction que le groupe est capable d’exercer sur le citoyen, notamment parce que le nombre restreint de participants rend plus aisé la détection des passagers clandestins.

  • 18  Ce principe a été souligné récemment dans le paradoxe du vote: lors d’un vote, l’influence individ (...)
  • 19  Toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire, en particulier, en supposant que le rendement mar (...)

44Comme notre présentation l’indique, la notion même de passager clandestin implique que le problème de l’action collective croît avec le nombre de participants : plus nous serions nombreux à pouvoir acheter des permis d’émission sur le marché, plus nous pouvons escompter tirer notre épingle du jeu en bénéficiant de la réduction de la pollution sans avoir pour autant à y contribuer nous-mêmes. En psychologie sociale, le problème du passager clandestin est ainsi à rapprocher du phénomène de « dilution de la responsabilité » (Darley et Latané, 1968), par lequel chacun pensant que l’autre va intervenir pour aider une personne en difficulté n’intervient finalement pas. Ce problème de dilution peut ainsi se poser si l’on envisage un mécanisme de sanction dans lequel les participants au marché auraient les moyens de punir ceux dont la participation est jugée insuffisante (Carpenter, 2007) : dans ce cas, tous les bons contributeurs jugent qu’il faut sanctionner les opportunistes mais anticipent dans le même temps que d’autres l’ont déjà fait ou vont le faire. L’effet taille augmenterait donc la dilution de responsabilité et réduirait en conséquence l’efficacité d’un système de sanction intra groupe. La taille du groupe et la présence de l’anonymat peuvent cependant exercer un mouvement contraire lorsque chaque participant prend conscience du fait que, même si sa participation n’a pas d’influence sur celle du groupe, s’il ne participe pas, et que chacun raisonne de la même manière, l’ouverture du marché aux citoyens n’aura pas d’effet (18). Au total, on peut penser que le phénomène du passager clandestin s’accroît au fur et à mesure que la taille du groupe augmente. Pourtant, sur le plan expérimental, les premiers travaux de Isaac et Walker (1984), puis ceux de Isaac, Walker et Williams (1994), ont observé explicitement le contraire. Des groupes de 4 ou 10 sujets contribueraient ainsi en moyenne nettement moins que des groupes constitués par 40 ou même 100 individus (19). Ce résultat surprenant n’est cependant valable que lorsque le bénéfice marginal individuel du bien public est faible (a = 0,3) et non élevé (a = 0,7), auquel cas aucun écart significatif n’est constaté lorsque la taille du groupe se modifie. Au mieux, donc, l’augmentation du nombre de participants au marché (à niveau d’incitation constant) jouerait en faveur de la participation des citoyens contrairement à ce que l’on pouvait supposer initialement.

45Une explication centrale de la présence de contributions positives importantes (dans le cas notamment d’un nombre de joueurs élevé) est proposée par Isaac et al. (1988). Des contributions non nulles impliqueraient l’existence de préférences individuelles non égoïstes qui se traduiraient par des comportements sociaux ou moraux. L’altruisme des joueurs a ainsi été souligné. L’altruisme peut cependant prendre en particulier deux formes différentes qui ont une incidence cruciale sur l’équilibre du marché des droits à polluer en présence des citoyens. En particulier, on peut supposer que le citoyen altruiste non paternaliste (Ballet, 2000) accorde, dans sa fonction d’utilité, un poids égal à 1 à son propre gain et un poids égal à A > 0 aux gains des autres. En achetant des permis d’émission et en réduisant ainsi le niveau de pollution, le citoyen altruiste non paternaliste augmente son utilité notamment parce qu’il prend en compte l’utilité du groupe. Une autre façon de représenter l’altruisme du citoyen consiste à supposer, avec Andreoni (1995), que l’individu prend en compte le supplément de satisfaction individuelle issue de l’actede contribution lui-même. Le « goût de donner » (« warm-glow ») serait donc une mesure chiffrée du plaisir ou de diminution de la culpabilité que l’individu retire lorsqu’il décide de participer au marché des droits à polluer. Ces deux formulations de l’altruisme modifient l’équilibre du marché de façon différenciée.

Effets de l’altruisme sur l’équilibre du marché des permis

46Reprenons le modèle vu précédemment et supposons, pour simplifier, que le groupe des citoyens comporte n individus identiques (n > 1). Dans ce cas, le dommage marginal d’un individu est (1/n) Dm, Dm étant le dommage marginal du groupe. On admet désormais que les individus sont altruistes, ce qui signifie formellement qu’ils retirent une satisfaction de l’achat d’un permis d’émissions sur le marché, qui va au-delà de leur strict intérêt personnel, représenté par (1/n) Dm.

47- Altruisme non paternaliste. Lorsqu’un individu achète un permis d’émissions, il réduit le dommage de chaque citoyen de (1/n) Dm (lui y compris). On dit qu’il est un altruiste non paternaliste s’il accorde un poids égal à 1 à son propre gain et un poids égal à A > 0 aux gains des autres. Si tous les individus ont le même paramètre d’altruisme A, à l’équilibre de Nash, on peut montrer que la courbe de demande de permis d’émissions des citoyens coïncide avec la courbe de dommage marginal altruiste [(1/n) + A (1 – 1/n)] Dm. Le paramètre R est donc égal à [(1/n) + A (1 – 1/n)] dans ce cas.

48On en tire assez directement les enseignements suivants :

Supposons que les n citoyens aient la même courbe de dommage marginal individuelle (1/n) Dm et valorisent la réduction des dommages des autres citoyens à hauteur de A > 0. Alors, on montre que R = [(1/n) + A (1 – 1/n)]. (i) Si A < 1, R est supérieur à 1/n, inférieur à 1 et décroît avec n. (ii) Si A = 1, alors R est égal à 1, pour tout n. (iii) Si A > 1, R est supérieur à 1 et croît avec n.

49Il est utile ici de faire le pont avec la section précédente. Passons rapidement sur le cas où A ≥ 1, du fait qu’il paraît plutôt improbable. (Ce cas ne sera plus considéré dans les développements ci-dessous.) Le paramètre R étant au moins égal à 1, la demande révélée passe au-dessus de la courbe de dommage marginal. Par conséquent, il ne faut pas subventionner la demande de permis des citoyens. (Si A > 1 et R > 1, il faudrait même taxer la demande des citoyens). Envisageons maintenant le cas où 0 < A < 1. Par comparaison avec la situation où les individus ne sont pas altruistes (A = 0), qui était notre hypothèse à la section précédente, le paramètre R augmente, toutes choses égales par ailleurs (il passe de R = 1/n à R = 1/n + A (1 – 1/n)). La courbe de demande révélée se rapproche de la courbe de dommage marginal, en restant toutefois strictement en dessous. La prescription de la section précédente reste donc valable. Le fait de subventionner la demande de permis des citoyens peut améliorer le bien-être social. Cependant, il convient d’apporter la précision suivante. La présence d’altruisme doit inciter à diminuer le montant de la subvention.

50- Warm-Glow. Sous l’hypothèse d’Andreoni (1995), en achetant un permis d’émissions sur le marché, l’individu ressent, au-delà de la diminution de son dommage individuel de la pollution, mesurée par (1/n) Dm, une satisfaction liée directement au fait de donner. Plusieurs interprétations de ce phénomène sont plausibles. Cela peut renvoyer à une attitude morale, correspondant simplement au sentiment d’agir bien, comme le souligne Levitt et List (2007). Lorsque le nombre de permis achetés par chacun est public et que chaque acheteur peut être identifié, cela peut aussi traduire le désir de l’individu d’être perçu par les autres comme un altruiste (Andreoni et Petrie, 2005). On peut formaliser l’hypothèse de Warm-Glow, en supposant que l’individu retire, pour chaque permis acheté par les autres, un bénéfice (1/n) Dm, et, pour chaque permis acheté par lui-même, un bénéfice (1/n) Dm + W, où W est un paramètre positif. Si tous les individus ont le même paramètre W, à l’équilibre de Nash, on montre que la courbe de demande de permis d’émissions des citoyens coïncide avec la courbe de dommage marginal altruiste [(1/n) Dm + W]. On voit ici que la courbe de demande de permis d’émissions des citoyens n’est pas nécessairement proportionnelle à Dm, si bien qu’il n’est plus possible de définir le paramètre R.

51- Equilibre du marché. Pour voir en quoi l’altruisme (en considérant à la fois un altruisme non paternaliste et Warm-Glow) modifie les conclusions de la section précédente, supposons que la demande révélée soit DR = R Dm + W. On suppose ici que 1/n < R < 1 et W > 0, pour traduire la présence d’un altruisme non paternaliste et de Warm-Glow. Sur la figure suivante, on détermine l’équilibre du marché, en séparant le cas où W est petit (partie gauche de la figure) et celui où W est grand (partie droite de la figure). A chaque fois, l’équilibre du marché se produit pour un prix p* et une quantité q*. Sur la partie gauche, on voit que la participation des citoyens est socialement avantageuse, puisque q° ≤ q* < q. Sur la partie droite, on voit que la participation des citoyens aboutit à un équilibre de marché tel que q* < q°. Autrement dit, la pollution est trop faible par rapport à l’état optimal. Ceci induit un coût social égal à l’aire du triangle (abc) sur la figure. La question de savoir si cette situation est meilleure que celle où les citoyens n’auraient pas accès au marché des permis d’émissions dépend des surfaces des triangles (abc), respectivement dans la figure 1 et dans la figure ci-dessous. Plus précisément, si W est trop grands, alors mieux vaut fermer le marché aux citoyens.

52On a donc la conclusion suivante (Cf. Figure 5) :

Si les citoyens sont altruistes, de sorte que la courbe de demande révélée des citoyens est donnée par R Dm + W, avec 1/n < R < 1 et W > 0, la participation des ménages est socialement bénéfique si, et seulement si, le paramètre W (reflétant, par hypothèse, la présence de Warm-Glow) n’est pas trop grand.

Figure 5. Altruisme et équilibre du marché.

Figure 5. Altruisme et équilibre du marché.

La participation des citoyens à un marché de permis est-elle légitime ?

53Les sections précédentes montrent qu’ils existent des arguments en faveur d’une participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions, si l’on retient comme critère l’efficacité économique.

54Dans cette section, nous discutons le bien-fondé de la participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions, en retenant comme critères la justice et l’éthique dans leurs dimensions économique, environnementale et intergénérationnelle. De manière générale, la justice s’intéresse au rapport d’ordre qui gouvernent les relations sociales (organisation de la société, hiérarchie politique et sociale) tandis que l’éthique concerne le vouloir vivre ensemble et les conceptions du bien et du mal qui orientent les rapports entre les individus. Nous traitons le bien-fondé de l'ouverture du marché des permis sous l'angle de la capacité de la politique à respecter des normes de justice et d'éthique spécifiques, que ce soit d'un point de vue procédural (i.e. la démarche en elle-même), ou d'un point de vue conséquentialiste (les effets de cette démarche en prenant en compte les comportements induits). Le lien entre l'échelle individuelle et l'échelle sociale (valeurs, lois...) n'est cependant pas abordé ici. L'introduction de l'éthique dans notre analyse nous conduit à étudier l'ouverture d'un marché de permis aux citoyens selon la nature (locale, globale) et l'impact temporel (non persistant, persistant ou cumulatif) de la pollution.

Liberté et souveraineté des citoyens : les bases d’une éthique économique

  • 20  Ce point de l’analyse exclut implicitement la possibilité de vouloir protéger l’environnement pour (...)

55Plusieurs arguments en faveur d’une ouverture des marchés de permis aux citoyens peuvent être avancés. Un premier argument repose sur le principe d’égalité : l’ensemble des citoyens doit participer au banquet des droits à polluer et revendiquer le droit d’accéder à un bien collectif pur. Selon Ahlheim et Schneider (2002), la prise en compte d'une éthique économique conduit à poser comme principes de départ, la liberté et la souveraineté des citoyens. En vertu de ces postulats, le pouvoir de décider de l’utilisation des ressources rares et non dégradées doit leur revenir, en dernier ressort. Une politique économique se justifie si et seulement si elle est conforme aux préférences des individus20. Or, ces auteurs constatent que la procédure pour organiser les marchés de permis d’émissions, décrite par la théorie économique comme utilisée en pratique, exclut largement les préférences des ménages. Le droit de propriété sur l’environnement revient au gouvernement. En fixant le plafond d’émissions, il détermine quel usage en sera fait. Il transmet ce droit de propriété sur l’environnement aux firmes, soit en allouant les permis d’émissions gratuitement (en fonction des émissions passées des firmes installées, suivant le principe du grandfathering), soit en les mettant aux enchères. Les citoyens, n’étant pas acteurs de cette procédure, ils n’ont pas de moyens directs pour orienter les objectifs de la politique publique. Leur action doit, dans ce cas, prendre la forme d’opérations de militantisme écologique ou de lobbying. On doit rejeter ici comme irréaliste l’argument selon lequel le gouvernement étant élu démocratiquement, le plafond d’émissions qu’il décide représente de facto les préférences environnementales des ménages. En effet, au moment de l’élection, l’électeur fait son choix sur la base d’un programme global, dans lequel la dimension environnementale se trouve diluée parmi de très nombreux autres objectifs. Il est alors bien clair qu’on ne peut en aucun cas prétendre qu’un gouvernement est élu en fonction de sa position (ou son programme) sur telle ou telle question environnementale.

56Ahlheim et Schneider (2002) relèvent de plus une contradiction étonnante : la législation sur l’environnement des Etats-Unis et de l’Europe fait couramment référence aux préférences des individus. Ainsi, la réalisation de grands projets d’infrastructure nécessite-t-elle au préalable une étude d’impacts environnementaux. Les tribunaux recourent à des évaluations économiques des dommages environnementaux pour déterminer le montant du dédommagement après un accident écologique. Si la fixation du plafond d’émissions par le gouvernement est quant à elle largement indépendante des préférences des ménages, on met ici en évidence une différence de traitement difficilement justifiable. Si l'on admet comme postulats de départ, la liberté et la souveraineté des citoyens, l’ouverture des marchés de permis d’émissions à tous les citoyens est justifiée sans équivoque.

57Par ailleurs, en considérant les moyens donnés aux citoyens pour exprimer leurs préférences et les effets qu'ils exercent sur les objectifs des politiques d’environnement, Ahlheim et Schneider (2002) évaluent aussi les marchés de permis d’émissions sous l’angle de la justice économique. Sur ce point, tous les agents économiques ne sont pas traités de la même manière. C'est notamment le cas des firmes. En effet, dans les premières étapes de la mise en place d’un marché de permis d’émissions, pour des raisons d’acceptabilité politique évidentes (Oates and Portney, 2001), les permis sont le plus souvent distribués gratuitement aux firmes en place, suivant le principe du grandfathering. Le recours à un mécanisme d’enchères ne concerne au mieux qu’une faible proportion des permis alloués. Ceci est critiquable pour deux raisons. En premier lieu, cela confère un avantage concurrentiel aux firmes installées, au détriment des firmes entrantes. Les firmes entrantes, soumises au principe du grandfathering et donc non dotées en permis, doivent acheter les permis nécessaires aux firmes déjà installées. On peut donc craindre une diminution de la concurrence sur les marchés et, par conséquent, une hausse des prix des biens régulés pour les consommateurs. En second lieu, cette méthode de distribution des permis d’émissions reconnaît implicitement aux firmes le droit d’utiliser l’environnement à leur avantage, sans verser de compensation pour les dommages occasionnés.

58Pour pallier ces inconvénients, Ahlheim et Schneider (2002) suggèrent non seulement que le régulateur ouvre les marchés de permis d’émissions aux citoyens, mais également qu’il leur alloue directement et gratuitement la dotation de permis d’émissions. Dans ce cas, non seulement les citoyens pourraient agir sur l’objectif de la politique d’environnement, dans la limite des permis d’émissions distribués par le régulateur, mais ils seraient aussi compensés pour les dommages subis en recevant le produit de la vente des permis d’émissions.

L’environnement, un bien premier non marchand : la nécessité d’une justice environnementale

59Une lecture de la théorie de la justice de Rawls (1971) peut apporter quelques éclairages sur l'intervention des citoyens à un marché de permis négociables.

60D'une manière générale, les problèmes environnementaux peuvent se traduire en termes de justice distributive lorsque les populations défavorisées reçoivent plus que leur part des effets des activités polluantes, des politiques industrielles ou, plus largement, du marché. En reprenant les trois principes de la théorie de la justice de Rawls (1971), on peut soutenir qu’une distribution inéquitable des externalités négatives (pollution…) est injuste si elle compromet : a) le principe d’égale liberté ; b) le principe de la juste égalité des chances et c) le principe de différence, c’est à dire la démonstration doit être faite que cette distribution est à l’avantage des plus défavorisés. La théorie de la justice ne stipule pas les taux acceptables de pollution ni le choix des politiques environnementales, mais elle permet d’avancer une certaine idée de la justice environnementale. La concentration des activités polluantes dans certains espaces où se concentrent les difficultés socioéconomiques doit répondre aux trois principes mentionnés ci-dessus, dont celui du maximin (principe c). Dans ce contexte, le principe du maximin conduit à déterminer une distribution équitable des ressources dans une société juste en considérant que les inégalités économiques ne sont acceptables qu’à la condition qu’elles autorisent une situation meilleure pour les plus défavorisés. Or, rien ne garantit qu’un marché de permis d’émissions ouvert aux citoyens vérifie cette condition. Créé ex nihilo, sur la base d’une répartition initiale donnée, il est peu probable qu’un tel marché produise une répartition juste des permis à polluer entre les citoyens. L’Etat devra donc intervenir pour corriger cette situation ex post.

  • 21  Ainsi, la théorie de la justice peut servir de justification à des politiques de réparation ou déd (...)

61La théorie de Rawls offre ainsi des restrictions importantes aux choix économiques qui consisteraient à transposer les effets négatifs des politiques industrielles sur les quartiers d’habitation des populations défavorisées21 (Wenz, 1988). Si on se place dans la perspective de l’ouverture d’un marché des permis, et si on fait l’hypothèse qu’il existe deux groupes d’individus, des riches et des pauvres, on peut s’attendre à ce que les riches achètent des permis en plus grand nombre par rapport aux pauvres, ce qui contribuera à réduire les inégalités entre les deux groupes sur l’espace considéré. Ce résultat est valide si la population et la pollution (de nature globale) sont réparties uniformément dans l’espace. Mais, dans le cas où cette répartition n’est plus uniforme (exemple de pollutions de nature locale), on peut identifier deux espaces dotés d’une qualité environnementale distincte et de marchés de permis différents : dans la région dotée d’une bonne qualité environnementale, les riches achètent beaucoup de permis et préserve un environnement sain tandis que dans la région pauvre, les citoyens pauvres en achètent peu et sont confrontés à un environnement dégradé. La portée éthique de l’exemple prend une dimension éclairante lorsqu’on confronte les situations des pays industrialisés et des pays en développement face au changement climatique (O’Brien et Leichenko, 2005).

  • 22  Les biens premiers chez Rawls sont des libertés fondamentales : il s’agit notamment des libertés p (...)

62Ainsi, cette théorie offre des prises possibles pour une justice environnementale comprise comme une distribution équitable des ressources environnementales (Ferrari et al, 2006). Non seulement le respect du principe du maximin doit contenir les actions industrielles, mais le respect de soi, un bien premier22 dans la théorie rawlsienne, doit être l’objet d’une distribution égale entre tous les membres de la société. En ce sens, un environnement naturel dégradé peut être un facteur d’injustice qui, lorsqu’il compromet le respect de soi, ne peut être compensée par aucun bienfait économique ou d’une autre nature. Dès lors, c’est le principe de l’existence des marchés de permis qui peut être remis en question. Ainsi, la théorie ne tolère pas que les enjeux environnementaux soient l’objet d’un marchandage lorsqu’il s’agit des droits et des libertés. Néanmoins, la théorie de la justice peut paraître insuffisante dans ses réponses aux enjeux environnementaux qui ne concernent pas uniquement les questions du respect des droits et libertés ou de la justice distributive, mais plus largement les questions de la survie de l’humanité englobant les liens entre les différentes espèces. Comme le souligne Barry (1999), il n’est pas évident qu’une théorie de la justice dont l’objet est la distribution des droits, des libertés et des ressources entre les individus, ait comme mandat la protection du monde non humain.

63Ce dernier point renvoie au fait que la justice environnementale dans l’approche rawlsienne est fortement portée par une dimension intergénérationnelle peu étendue. En effet, dans la théorie de la justice, les individus n’ont d’autres horizons que celui de leurs enfants et petits-enfants, et cela uniquement parce qu’ils peuvent entrer dans les intérêts propres du contractant, c’est à dire non pour le bien propre de ces générations, mais parce que le fait de vouloir des enfants peut entrer dans une conception d’une vie bonne. Dès lors, le maximin ne vaut que pour les générations existantes et se préoccupe des plus défavorisés qui ne sont pas hors d’atteinte sur un horizon temporel déterminé (Gosseries, 2002).

64Le fondement d’un tel comportement peut s’expliquer par un facteur particulier appelé la distance morale. Cette distance exprime le fait que nous sommes moins intéressés à l’état futur des joies et des peines des personnes que nous ne connaissons pas et qui nous sont lointaines (Birnbacher, 1994). Tous les individus composant les générations futures ne sont pas également proches de nous (hétérogénéité). Cela étant, on peut s’interroger sur la possibilité d’étendre le principe du maximin à toutes les générations présentes et futures : la correction proposée consiste à ajouter parmi les contraintes de la position originelle l’ignorance quant à la génération à laquelle les individus appartiendront (Singer, 1988). Dans ce cadre, les contractants ne sont pas des contemporains mais des individus issus de diverses générations plus ou moins éloignées les unes des autres. Non seulement cette correction va à l’encontre de Rawls (horizon temporel supérieur à celui de quelques générations) mais elle conduit aussi à l’adoption d’un principe du maximin tout à fait désincarné par rapport aux conditions sociales et économiques dans lesquelles se situent les contractants (De-Shalit, 1995). De plus, sur le plan de la justice intergénérationnelle, les inégalités économiques et sociales devraient être à l’avantage des générations les moins favorisées. Or, cette solution n’est pas envisageable pour deux raisons : d’une part, parce qu’elle s’appuie davantage sur une justice commutative (portée par le contrat qui lie les générations entre elles) que sur une logique distributive dès qu'il y a impossibilité de compenser des injustices associées à des contractants défavorisés et pour lesquels la position dans l'horizon temporel n'est pas connue et, d’autre part, parce que le maximin n’a aucune portée rétroactive, ce qui limite la capacité d’agir pour améliorer le sort des générations disparues. Les contractants rationnels de Rawls, recherchant leur propre intérêt et réfractaires au risque ne verront peut-être pas de grands avantages dans ce contexte à adopter le maximin comme principe de justice (Ferrari et al. 2006).

Pollutions cumulatives et générations futures : l’obligation d’une éthique du futur

65L’ancrage temporel des pollutions de nature cumulative telles que les gaz à effet de serre questionne directement la dimension intergénérationnelle de l’équité sur un temps long. Plus précisément, il s’agit de se demander s’il est légitime de laisser les générations présentes décider de ce qui sera bon pour les générations futures, via la mise à disposition d’une quantité de permis à laquelle les citoyens contemporains auront bien voulu renoncer. Fondamentalement, est ce que le marché des permis constitue un outil de régulation équitable dès que les générations futures entrent en scène ?

66Au sein de l’approche de Rawls, le passage à l’échelle intergénérationnelle s’appuie sur un autre principe de justice que celui du maximin. En effet, il conduit à la définition d’un principe de justice doté d’une logique distributive avec le principe de la juste épargne. Dans Political Liberalism (1995), Rawls fait mention d’une « épargne juste » qui permettrait d’élargir la question de la distribution aux enjeux intergénérationnels. Si les problèmes de justice se posent entre contemporains – ce qui limite l’ouverture de la distribution aux générations très lointaines –, il avance l’idée d’un principe, effectif au moment du contrat, adopté par toutes les générations. La contrainte de la contemporanéité de la position originelle fait que la théorie ne considère que les générations existantes dans un temps donné (cinq ou six générations : petits-enfants, enfants, parents, grands-parents,…).

67Un juste principe d’épargne autorise chaque génération à recevoir de ses prédécesseurs et à donner à sa descendance. Or, il n’est pas possible pour les générations futures de donner aux générations les plus défavorisées. Dans ces conditions, Rawls propose de régler autrement que par le principe de différence la question de l’épargne. Celle-ci trouve un règlement dans la position originelle qui permet à tous les contractants de décider sans connaître leur position réelle dans la société : le processus d’accumulation est déterminé par un compromis équitable décidé par toutes les générations virtuellement représentées. Dès lors la question éthique vise à « se mettre d’accord durablement sur un sentier d’évolution qui traite de manière juste toutes les générations dans l’ensemble de l’histoire de la société. » (p.331). Finalement, le principe d’épargne est défini du point de vue des individus les moins favorisés dans chaque génération et ce sont ces individus qui déterminent le taux d’accumulation dans la société.

68Cependant, le principe d’épargne n’apporte pas de réponse à la question du plafond « juste » d’émission : pour un niveau donné d’émission, il est seulement possible d’allouer des droits d’usage de manière égale entre toutes les générations après avoir identifié la ressource commune -ici, le climat- sur laquelle portent ces droits (Gosseries, 2008). Considérant que les générations présentes peuvent par leurs actions dégrader la qualité de l’environnement et contribuer au réchauffement climatique, elles doivent être en mesure de pouvoir seulement assurer des transferts au profit des générations futures qui autoriseront ces dernières d’accéder à un niveau de bien-être au moins égal à celui des générations présentes. Dans un contexte d’incertitudes sur l’évolution du changement climatique, se placer sur un horizon de très long terme dans la définition du marché de droits à polluer permet aux générations futures d’être prises en compte, mais, dans le même temps, les choix décidés aujourd’hui en matière de fixation du plafond d’émission conditionnent les choix que les générations futures pourront réaliser demain : une solidarité non réciproque lie les générations successives via l’outil de régulation climatique, sans que les générations futures n’aient eu à s’exprimer et à revendiquer des droits ou obligations à notre égard.

69Partant de ce constat, il est possible de traiter de la justice à l’égard des générations futures en raisonnant non pas à partir d’un cadre contractualiste, mais à partir de la prise en compte d’un impératif catégorique compris comme fondement de l’engagement de chaque citoyen. L’idée repose sur la reconnaissance, par les citoyens des générations actuelles, de leur capacité à exercer une responsabilité à l’égard du futur et du bien-être des générations à venir. Cette perspective implique de définir les générations futures sur un temps long, sans possibilité de compensation, et en considérant l’asymétrie des droits et devoirs entre générations présentes et futures : les générations futures n’ont aucun droit moral sur les générations présentes (puisqu’elles n’existent pas encore) tandis que ces dernières ont des devoirs à l’égard des générations qui les suivent (leur action doit être limitée afin de ne pas dégrader la qualité de l’environnement naturel entendu comme un bien public).

70Nous formulons l’hypothèse selon laquelle une éthique du futur soutenue par le principe Responsabilité de Hans Jonas (1979) peut conduire à étendre la justice environnementale sur un horizon temporel long. Cette responsabilité à l’égard des générations futures est infinie dans le temps. Elle est portée par une éthique du juste qui, chez Jonas, répond à un impératif catégorique kantien : les générations actuelles ont le « devoir » d’exercer une responsabilité à l’égard de leur descendance.

71« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre » (Jonas, 1993, p. 30).

72Selon le principe Responsabilité, l'individu a le pouvoir de faire courir un risque à l'humanité, mais il n'en a pas le droit (d'un point de vue éthique). L'intervention de l'éthique est alors légitime car elle régule le pouvoir d'agir de l'individu, être conscient et responsable de ses actes. La définition du principe s’appuie sur une relation de causalité vérifiée ex ante : c’est parce que l’on est responsable que l’on doit préserver sur un temps long l’espèce humaine. Il s’agit donc d’une obligation qui est dépourvue de réciprocité dans la mesure où elle n’engendre pas d’obligation correspondante chez l’individu qui en fait l’objet, à savoir celui à naître. Cette absence de réciprocité dans l’éthique s’accompagne d’une équité intergénérationnelle asymétrique : les générations présentes ont des droits et des obligations envers les générations futures parce qu'elles ont conscience de l'effet de leurs actions dans le futur, mais les générations futures ne peuvent ni exercer de droit ni d'obligation envers les générations présentes car, n'existant pas encore, elles ne peuvent exercer ni action ni effet.

73Dans ces conditions, la justice intergénérationnelle ne peut pas être envisagée sur la base d’une justice redistributive entre les générations : toute ressource environnementale irréversiblement dégradée ou détruite du fait des actions humaines présentes ne pourra pas faire l’objet d’un échange intergénérationnel. D’où la nécessité de recourir à l’impératif kantien afin que de telles actions n’entravent pas les possibilités futures de la vie humaine sur terre : l’éthique permet alors de limiter ex ante les dégradations majeures de nature irréversible (Ballet, Mahieu, 2003).

74Ainsi, dès lors que les pollutions sont de nature globale et cumulative, les apports de Rawls et de Jonas nous enseignent qu'il est difficile de laisser les générations présentes décider du sort des générations futures sur le plan de l'éthique. D'un côté, le cadre contractualiste de Rawls semble difficile à marier avec la distance morale qui sépare les générations présentes des générations très lointaines dans le temps (incluant des générations défavorisées). D'un autre côté, l'application d'un impératif catégorique aux générations présentes conduirait à orienter les choix des générations futures en se référant à un niveau d'émission de référence qui devrait être compatible avec “une vie authentiquement humaine sur terre”.

75Si ce droit s'exerce sans difficulté morale pour des pollutions locales et non persistantes (liberté et souveraineté des citoyens), son exercice en présence de pollutions globales devrait probablement être limité. Dans ces conditions, si l’outil de régulation climatique que sont les marchés de droits à polluer peut être le vecteur de l’action des citoyens présents pour limiter l’impact des GES sur un horizon temporel court (identifié par quelques générations), alors cette action peut intervenir à deux niveaux : en élevant la contrainte environnementale (via le niveau du plafond) et en limitant les choix effectivement réalisés aux seuls choix acceptables conformément au principe Responsabilité (indépendamment du niveau d'émission).

76Par ailleurs, la responsabilité chez le philosophe s’applique non seulement à l’humanité mais aussi à la nature. En effet, les éléments de la nature font l’objet d’une obligation indirecte de la part des sociétés humaines : il convient de préserver les conditions d’existence de l’humanité (Larrère et Larrère, 1997). À la différence de Rawls, Jonas n’offre pas une lecture anthropocentrique de l'éthique : c'est à cause du danger que l'espèce humaine fait peser sur la nature, qu'elle exerce du même coup une menace sur sa propre survie. Le vecteur technologique, moteur de la puissance de l'acte humain, constitue le moyen par lequel s'exerce la menace sur l'humanité : l'homme contrôle la nature à l'aide de techniques qu'il ne contrôle pas. Considérant l’insuffisance des connaissances scientifiques actuelles sur les effets futurs de nos actes, Jonas propose alors l’intervention d’un jugement éthique s’appuyant sur l’heuristique de la peur, c'est-à-dire qu’il n’y a pas de peur sans responsabilité : « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir » (Jonas, 1993, p. 300). Tandis que la responsabilité envers le futur (ou éthique du futur) se traduit dans les actions des individus selon Birnbacher (1994) si trois facteurs sont réunis, à savoir leur capacité à influencer le futur, la ressemblance des personnes concernées envers eux-mêmes et leur proximité dans le temps, Jonas met en avant l’heuristique de la peur comme moteur de l’action individuelle. La peur, dont l’origine est altruiste car elle s’exprime pour les générations futures, s’accompagne d’une anticipation des menaces qui découlent des actes des générations présentes : l’obligation provient de l’avenir.

77Enfin, l’éthique de la responsabilité a un fondement ontologique. L’homme est responsable des conséquences de ses actions dans la mesure où elles affectent autrui. Le sens éthique naît dès lors qu’autrui a une valeur, ce qui implique une exigence à l’égard de l’homme en tant qu’espèce. Un prolongement de la portée éthique de la responsabilité est cependant possible si on considère les interdépendances qui existent entre l’espèce humaine et les systèmes naturels. Dès lors, bien que la nature ne soit pas un sujet de droit, et qu’à ce titre elle n’a ni obligation ni devoir (droit) à l’égard de l’humanité, elle ne peut être exclue de la portée des enseignements jonassiens. Dans un contexte de changement climatique, la mise en œuvre de l’éthique du futur à travers le principe Responsabilité doit conduire à l’évitement d’une catastrophe potentielle dans un univers d’incertitudes. Son application peut conduire d’une part à une redistribution (transferts) entre les générations proches sur un horizon de quelques décennies et, d’autre part, au legs d’une nature préservée sur un horizon de long terme, legs résultant d’une autolimitation des actions des générations présentes (forme d'expression d'une attitude “sacrificielle”).

Conclusion

78Si sur le plan de l’efficacité économique, la nécessité de l’intervention d’un régulateur pour lutter contre le passager clandestin et inciter les citoyens à participer activement au marché des permis semble acquise, on peut s’interroger sur le rôle d’une instance de régulation pour prendre en compte les préférences des générations actuelles et des générations futures, en lieu et place des citoyens. Sur ce point, l’action publique peut se révéler indispensable pour accompagner les comportements des citoyens et notamment parce que ces derniers ne perçoivent pas l’urgence des actions responsables au sens de Jonas.

79La mise en œuvre d'une éthique du futur en présence de biens publics est nécessairement portée par la voie publique et non privée. À ce propos, Jonas écrit : « Si la sphère de la production a investi l'espace de l'agir essentiel, alors la moralité doit investir la sphère du produire dont elle s'est tenue éloignée autrefois, et elle doit le faire sous la forme de la politique publique. » (p.28). Le contenu éthique des choix repose sur la légitimité des obligations, ce qui implique l’acceptation de normes et de règles par l’ensemble de la collectivité. La rationalité du choix du décideur devient une rationalité « collective » en ce sens que le respect par la collectivité du principe responsabilité dépend avant tout de sa reconnaissance sociale. « Le savoir, le vouloir et la puissance sont collectifs, leur contrôle doit donc l’être également : seuls les pouvoirs publics peuvent l’exercer, et cela nécessite finalement un large accord à la base. » (Jonas, 1998, p. 105).

80Du point de vue de notre problématique, en nous recentrant ici sur le problème du réchauffement climatique, l’ouverture du marché des droits à polluer aux citoyens peut contribuer à la préservation de la qualité du climat tant que ce type de régulation garantit le maintien de l’humanité à long terme. Si on suppose que la détermination du plafond d’émission (choix de q) est effectuée par un régulateur public « éclairé », cela n’exclut pas la possibilité d’influer sur ce niveau global de pollution de la part des citoyens en dehors de toute action de militantisme écologique, de lobbying ou de désobéissance civile. A priori, en supposant que l’action directe sur le marché soit une méthode moins coûteuse pour parvenir au même résultat (ou à un résultat encore meilleur), ceci donne un autre argument pour ouvrir le marché des permis aux citoyens. Cette intuition est clairement formalisée par Malueg et Yates (2006) qui montrent que, dans l’hypothèse où les citoyens peuvent participer au marché des permis, l’effort de lobbying pour influencer la dotation en permis choisie par le régulateur est moindre et l’équilibre du marché est plus efficace. Leur participation dépend néanmoins fortement des incitations indirectes proposées par l’acteur public. Ainsi, les politiques publiques doivent-elles inciter des changements dans les habitudes de consommation avec une contraction possible de la consommation pour les pays du monde occidental. Jonas est explicite sur ce point : « Cela reviendrait à consentir à de sévères mesures de restriction par rapport à nos habitudes de consommation débridées – afin d’abaisser le niveau de vie « occidental » de la période récente […] dont la voracité, avec les déjections qu’elle entraîne, apparaît particulièrement coupable des menaces globales qui pèsent sur l’environnement. […] en raison de la vérité toute simple selon laquelle une terre dont la surface est limitée n’est pas compatible avec une croissance illimitée, et ce qui veut que la terre ait le dernier mot. » (Jonas, 1998, p. 107).

81Cela étant, si on se place au niveau des citoyens, des comportements d’auto-limitation peuvent conduire à thésauriser des permis et transférer ainsi un ensemble de permis aux générations suivantes dans un horizon proche. Ici, ce sont des motivations directes qui conduisent le citoyen à agir sur le marché des permis au nom des générations futures qu’il souhaite représenter. Finalement, toute la question est de savoir si le régulateur est ou n’est pas bienveillant à l’égard des citoyens. Si la mise en place du marché européen du carbone avec une distribution avantageuse des permis qui a été faite aux industries permet d’en douter (Godard, 2005), il n’en demeure pas moins que d’un point de vue économique et éthique, les citoyens ont le droit et l’obligation (à l’égard des générations futures) de participer à cet outil de régulation climatique.

Remerciement

82Cette recherche a bénéficié du soutien financier de la région Aquitaine dans le cadre du contrat de recherche numéro 2007-1204002 sur la “Durabilité du système de production forêt-bois d'Aquitaine dans un environnement changeant”.

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Notes

1  La définition théorique d’un marché de permis d’émissions pose que : le choix du nombre de droits alloués et leur répartition entre les pollueurs relèvent d’une décision du régulateur ; les agents économiques non pollueurs/pollués ne reçoivent aucun droit de polluer ; ils ne sont pas censés participer aux échanges sur le marché.

2  Avec la généralisation de cet instrument (d’abord aux Etats Unis, puis en Europe), ce n’est donc pas une surprise de voir cet état de fait contesté, aussi bien par la théorie économique (Shrestha, 1998) que par les faits (Israel, 2007).

3  Si les permis d’émissions sont alloués initialement aux pollueurs, chaque citoyen est poussé à adopter un comportement de passager clandestin, en n’achetant pas ou trop peu de permis d’émissions, s’en remettant aux autres pour lutter contre la pollution. Si les permis d’émissions sont alloués initialement aux citoyens, chacun est incité à vendre la plus grande part des permis obtenus (voire tous), s’en remettant aux autres pour lutter contre la pollution. Les préférences des consommateurs ne seront donc pas révélées correctement.

4  Nous n’étudierons pas cette littérature ici. En effet, les mécanismes décrits sont souvent très complexes, au point qu’on peut douter qu’en pratique, les agents économiques sachent les utiliser comme la théorie le prédit (et, donc, qu’ils produisent les résultats escomptés). Néanmoins, cette littérature laisse augurer de la possibilité de construire des institutions plus efficaces, en simplifiant les mécanismes proposés de façon à les rendre plus naturels, quitte à amoindrir leur qualité théorique. Ci-dessous, nous n’étudierons que des aménagements simples des marchés de permis d’émissions, prenant la forme de subventions de la demande des citoyens.

5  Le critère d’efficacité économique pris en compte dans l’article est le critère de Pareto. Une politique est socialement bénéfique lorsqu’elle améliore le bien-être de tous les agents simultanément (éventuellement, à condition d’y adjoindre des transferts pour redistribuer les avantages; cette condition reste le plus souvent ignorée ou implicite dans l’analyse économique).

6  Conformément au critère d’efficacité économique posé ci-dessus, nous considérons qu’un état économique est socialement optimal lorsque toute modification de cet état induit nécessairement une diminution de l’utilité d’un agent économique. Graphiquement, un état économique optimal s’obtient à l’intersection de la courbe de bénéfice marginal Bm et de dommage marginal Dm. On dira aussi qu’une politique (en particulier, l’ouverture du marché des permis aux citoyens) est socialement bénéfique (respectivement dommageable) si elle se rapproche (respectivement s’éloigne) d’un état optimal. L’optimalité renvoie donc à la situation économique et environnementale des agents.

7  Le calcul de l’état optimal suppose de connaître la forme et la position des courbes Bm et Dm. En pratique, le régulateur dispose d’estimations plus ou moins fiables de ces deux courbes. Notons-les Bm et Dm. Pour maximiser le bien-être social, la quantité de permis d’émissions q mise sur le marché devrait égaliser Bm et Dm.

8  Pour une synthèse de la littérature sur l’analyse positive des politiques d’environnement, voir Portney et Oates (2001).

9  Les coûts de transaction sur le marché des permis d’émission sont un autre facteur à prendre en compte dans la construction de la courbe de demande de permis d’émissions des citoyens. Ces coûts désignent toutes les dépenses qu’il faut consentir pour intervenir sur le marché (enregistrement sur le registre des participants, paiement d’organismes financiers intermédiaires et autres courtiers, etc...). Ils seraient à l’évidence non négligeables. Néanmoins, nous préférons ici ne pas insister sur ce point et approfondir la question plus fondamentale des motivations des citoyens à participer au marché.

10  Nous admettons cette hypothèse dans cette section, avant de l’abandonner dans la section suivante.

11  Noter ici qu’il existe dans ce cas une infinité d’équilibres (de Nash). Tous les équilibres (de Nash) induisent une même demande de permis du groupe des citoyens, mais une répartition différente entre les individus.

12  Dans l’article, nous considérons que le bénéfice social correspond au fait de se rapprocher de l’état optimal. Concrètement, cela implique une perte de production de l’ensemble des entreprises de l’économie (car elles polluent moins), perte qui est compensée par l’amélioration de la qualité de l’environnement pour les citoyens (du fait de leurs préférences relatives pour la consommation et l’environnement).

13  La mise en œuvre d’une politique d’environnement occasionne des coûts de transaction (administration, collecte d’information, mesures, surveillance, sanctions). Si les dommages de la pollution sont faibles, le bénéfice social de la politique ne couvrira pas ces coûts de transaction. Il est alors préférable de ne rien faire.

14  Relevons que ce type de mesures est déjà utilisé en France, dans le domaine social. Ainsi, les contribuables reçoivent des crédits d’impôts proportionnels aux dons qu’ils accordent aux associations caritatives.

15  Voir Eber et Willinger (2005) pour une présentation complète de la méthode expérimentale.

16  Voir Ledyard, 1995, pour une revue des résultats expérimentaux du jeu du bien public.

17  Mathématiquement, il revient au même de subventionner la contribution individuelle et d’augmenter le rendement individuel marginal du bien public. En effet, si la contribution individuelle est subventionnée au taux S, le gain de i devient i= Y – (1 – S) gi + a (gi + G-i). Le rendement marginal de la contribution privée est alors égal à di/dgi= S + a – 1. Donc, du point de vue de l’impact sur l’incitation à contribuer au bien public, il revient exactement au même d’augmenter la subvention S ou le rendement du bien public a.

18  Ce principe a été souligné récemment dans le paradoxe du vote: lors d’un vote, l’influence individuelle est non significative de telle façon que chaque individu n’est pas incité à se déplacer. Pour autant, le citoyen a conscience que si tous les votants raisonnent comme lui, le candidat qu’il soutient n’a aucune chance de passer.

19  Toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire, en particulier, en supposant que le rendement marginal individuel du bien public (a) demeure constant lorsque le nombre de participants (n) varie.

20  Ce point de l’analyse exclut implicitement la possibilité de vouloir protéger l’environnement pour lui-même, indépendamment de tout rapport avec le bien-être des individus.

21  Ainsi, la théorie de la justice peut servir de justification à des politiques de réparation ou dédommagement à l’endroit où les populations subissent plus fortement qu’ailleurs les contrecoups de la pollution.

22  Les biens premiers chez Rawls sont des libertés fondamentales : il s’agit notamment des libertés politiques, des libertés d’expression, ou encore du respect de soi.

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Title Figure 1. Etat optimal et équilibre du marché de permis.
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Title Figure 2. Le régulateur ouvre le marché aux citoyens.
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Title Figure 3. Le régulateur subventionne au taux S = 1 – RL.
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Title Figure 4. Le régulateur subventionne au taux S = 1 – RH.
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Title Figure 5. Altruisme et équilibre du marché.
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References

Electronic reference

Sylvie Ferrari, Mohamed Mehdi Mekni, Emmanuel Petit and Sébastien Rouillon, « Du bien-fondé de la participation des citoyens aux marchés de permis d’émissions : efficacité économique et questionnements éthiques », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 10 Numéro 1 | avril 2010, Online since 30 April 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/9552 ; DOI : 10.4000/vertigo.9552

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About the authors

Sylvie Ferrari

Maître de Conférences, Economie, GREThA UMR CNRS 5113, Université de Bordeaux IV, F-33608 Pessac, France. Courriel : sylvie.ferrari@u-bordeaux4.fr

By this author

Mohamed Mehdi Mekni

Doctorant, Economie, GREThA UMR CNRS 5113, Université de Bordeaux IV. Courriel : : mohamed-mehdi.mekni@u-bordeaux4.fr

Emmanuel Petit

Professeur, Economie, GREThA UMR CNRS 5113, Université de Bordeaux IV. Courriel : epetit@u-bordeaux4.fr

Sébastien Rouillon

Maître de Conférences, Economie, GREThA UMR CNRS 5113, Université de Bordeaux IV. Courriel : rouillon@u-bordeaux4.fr

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