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2010

La Charte marocaine de l’Environnement et du Développement Durable sera-t-elle une loi fondamentale ?

Samira Idllalène

Abstracts

By his majesty's request, the king of Morocco has led an effort in introducing the bill of the national charter of environment and sustainable development (CNEDD). This bill was put together by an interdepartmental commission and intends to be a turning point in the country's environmental policy. The end result and summary of the text may lead you into wondering about its real value while the royal speech that initiated it seems to indorse the idea of adding it to the Constitution. However, the last throne speech (july 2010) gives the impression of giving up on this idea. Will CNEDD be a fundamental law, a framework law or a simple declaratory text with inciting value? This article means to record its true "added value" by mainly checking the feasibility of its constutional form.

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Editor's notes

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Full text

Introduction

  • 1 .Cf Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement, Rapport sur l’état de (...)
  • 2  Royaume du Maroc, Évaluation du coût de la dégradation de l’environnement, Rapport n°25992-MOR, 30 (...)
  • 3  Mis en place en 2002 dans le cadre du programme « capacité 21 » du PNUD qui vise à renforcer les c (...)

1Pays d’une grande richesse écologique, le Maroc, pays en développement, est menacé par différents types de pollutions et nuisances1. Déjà en 2000, le coût de la dégradation de l’environnement a été estimé à 3,7% du PIB2. C’est la raison pour laquelle l’État a élaboré une « stratégie nationale pour la protection de l’environnement et le développement durable »(1995) et un plan d’action national pour l’environnement (PANE)3.

  • 4  Les premiers textes relatifs à la protection des ressources naturels datent de la période du prote (...)
  • 5  Il s’agit, entre autre, de la loi n° 12-03 relative aux études d'impact sur l'environnement (Dahir (...)
  • 6  A titre d’exemple, l’absence de texte spécifique au littoral et l’absence de textes actualisés dan (...)
  • 7  Loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement n°11-03 promulguée par le D (...)

2Le volet juridique a connu une véritable avancée depuis les années 19904. Les textes adoptés couvrent presque tous les aspects relatifs à ce droit (aires protégées, études d’impact, air, eau, énergies renouvelables, etc.)5. Même si des lacunes persistent6, la loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement7 représente la référence en la matière. Par ailleurs, le dispositif environnemental est en cours de parachèvement.

  • 8  Le texte du discours royal du trône de juillet 2009 est disponible sur le site Internet : http://w (...)
  • 9  Le texte de la CNEDD est disponible sur le site Internet dédié à ce projet http://principal.charte (...)
  • 10  Souligné par l’auteure.  

3Annoncée par le discours royal du trône du 30 juillet 20098, la Charte de l’Environnement et du Développement Durable (CNEDD)9, viendra, une fois adoptée, s’ajouter à l’arsenal juridique environnemental existant. En vertu dudit discours, le Souverain marocain déclare : « Nous réaffirmons qu'il est nécessaire de poursuivre la politique de mise à niveau graduelle et globale, tant au niveau économique qu'au plan de la sensibilisation, et ce, avec le concours des partenaires régionaux et internationaux. A ce propos, Nous appelons le gouvernement à élaborer un projet de Charte nationale globale de l'environnement »10.

  • 11  Cf infra, p.4.

4Le projet de la CNEDD, publié quelques mois plus tard par une commission interministérielle, se veut un texte global en matière de protection de l’environnement. Il se démarque des textes existants par les concepts novateurs qu’il promeut (approche de précaution, droit à un environnement sain). Néanmoins, globalement il ne fait que reprendre les dispositions déjà existantes des textes environnementaux, notamment celles de la loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement précitée11. Dans ce sens, la CNEDD ne risquera-t-elle pas de faire double emploi avec ladite loi ? Nécessitera-elle sa révision ? Quelle est la véritable « valeur ajoutée » de ce nouveau texte ?

5De manière générale, il ressort du discours royal de juillet 2009 précité, une détermination de réaliser, grâce à la future CNEDD, un réel tournant dans le droit de l’environnement au Maroc. La lecture simultanée de ce discours et du texte du projet de la CNEDD laisse même penser que celui-ci aurait une portée supérieure aux lois existantes. La CNEDD est-elle vouée à devenir un texte constitutionnel ?

6Le discours du trône de juillet 2010 semble écarter cette hypothèse. En effet, il déclare :

  • 12 Le texte du discours royal du 30 juillet 2010 est disponible sur le site Internet : http://www.maro (...)

«[A]ussi, engageons-Nous le gouvernement à donner corps aux grandes orientations issues du dialogue élargi visant l’élaboration d’une Charte nationale pour la protection de l’environnement et le développement durable, dans un plan d’action intégré ayant des objectifs précis et réalisables dans tous les secteurs d’activité. Parallèlement, Nous exhortons le gouvernement à formaliser ce plan dans un projet de loi-cadre, dont nous voulons qu’il constitue une véritable référence pour les politiques publiques de notre pays en la matière. »12.

7Le projet de la CNEDD sera-t-il transformé en projet de loi-cadre ? Si c’est le cas, il risquerait de subir des changements majeurs. Que va-t-il donc rester du projet initial ? Surtout, le fait d’avoir opté pour la formule de loi-cadre écartera-t-il la piste constitutionnelle ?

8Force donc est de constater que le doute subsiste quant à la teneur juridique de la future CNEDD. C’est la raison pour laquelle il importe d’abord de tenter de rechercher sa véritable portée normative. Il conviendra ensuite de mesurer les retombées d’une éventuelle constitutionnalisation de ce texte sur le droit de l’environnement au Maroc tout en soulignant les raisons probables qui auraient conduit à s’écarter de la piste constitutionnelle sans pour autant l’éviter complètement.

A la recherche de la valeur normative de la CNEDD 

9Soulignons d’emblée que le discours royal annonçant le projet de la CNEDD n’indiquait nullement quelle en serait la valeur juridique, tout au moins en confiait-il l’élaboration au gouvernement. On pouvait ainsi croire que la charte allait devenir soit un texte législatif (projet de loi) ou réglementaire. Parallèlement, l’idée de la constitutionnalité de la charte semblait également sous-jacente dans ce discours.

10Rien ne permettait donc d’affirmer clairement si la Charte serait ou non un texte constitutionnel. En effet, ni la pratique, ni la procédure suivie, ni encore le contenu des textes (celui du discours initiateur et du projet de la CNEDD) et la terminologie utilisée ne fournissent de réponse claire en la matière.

  • 13  Le texte de la Constitution marocaine est disponible sur le site Internet : http://www.maroc.ma (...)
  • 14  Les discours du souverain marocain « se présentent comme des événements politiques de grande enver (...)

11Il est vrai que les révisions constitutionnelles au Maroc sont précédées par les discours du Roi, sachant que selon une interprétation extensive de l’article 19 de la Constitution marocaine13, la valeur juridique du discours royal est bien plus élevée que celle des autres lois et même du texte constitutionnel14. Or, rappelons que le discours royal du 30 juillet 2009 ayant inauguré le processus de la CNEDD relègue au gouvernement la tâche de la préparation de ce texte et ne précise pas quelle en sera la teneur normative.

12Pa ailleurs, il a été prévu que le texte soit adopté lors de la réunion du conseil national de l’environnement, à l’origine attendue en avril 2010, laquelle réunion n’a finalement pas eu lieu. Or les textes adoptés par le conseil de l’environnement n’ont pas de valeur normative.

  • 15 La comparaison de la CNEDD avec la Charte Nationale d’Aménagement du Territoire et du Développement (...)

13A titre de comparaison, en 1991 feu le Roi Hassan II avait également annoncé, lors d’un discours du trône, la nécessité d’élaborer une Charte relative à l’aménagement du territoire pour laquelle un large débat national fut établit, mais ladite Charte n’a pas été élevée au rang des textes constitutionnelles15. Néanmoins, un Conseil Supérieur de l’Aménagement du Territoire a été mis en place à l’issu de ce discours.

  • 16 La charte de l’environnement française avait soulevé un large débat juridique. Pour une analyse gén (...)

14Or le fait de soumettre le texte de la Charte à la concertation publique rappelle la procédure adoptée en France ayant abouti à l’adoption de la Charte de l’environnement (Jegouzo., 2003). Si le Maroc comptait emboîter le pas à la France dans le domaine du droit, comme il a l’habitude de le faire, la Charte aurait de fortes chances de devenir un texte constitutionnel16. Son contenu le confirme.

15En effet, dans le discours royal du trône prononcé en juillet 2009,  le Roi du Maroc, après avoir fait le constat des défis écologiques auxquels le pays est confronté, a déclaré que la CNEDD permettra « la sauvegarde des espaces, des réserves et des ressources naturelles, dans le cadre du processus de développement durable. La Charte devrait également prévoir la préservation des sites naturels, vestiges et autres monuments historiques qui font la richesse d'un environnement considéré comme un patrimoine commun de la nation, dont la protection est une responsabilité collective qui incombe aux générations présentes et à venir. En tout état de cause, il appartient aux pouvoirs publics de prévoir le volet protection de l'environnement, dans les cahiers de charges concernant les projets de développement».

16Or les objectifs précités figurent d’ores et déjà dans la loi. La loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement leur est explicitement consacrée. Par ailleurs, les textes relatifs à l’étude d’impact focalisent d’ores et déjà sur l’intégration de l’environnement dans les projets de développement.

  • 17  En témoigne la faiblesse, voire l’inexistence, d’un contentieux environnemental.

17Le projet de la CNEDD traduit-il donc un aveu d’échec du droit existant en matière de protection de l’environnement ? Tout porte à le croire car, en effet, l’adoption des textes n’a pas résolu le problème de l’ineffectivité du droit de l’environnement et ce en raison de plusieurs facteurs principalement d’ordre socio-économiques17. Ce rappel solennel du principe de développement durable sera-t-il donc en mesure d’apporter la solution à l’ineffectivité du droit de l’environnement ? Autrement dit, la voie constitutionnelle a-t-elle été le dessein poursuivi dès le départ ?

18Plusieurs indices vont dans ce sens. Ainsi, le préambule du projet de la CNEDD déclare que « [a]ttendu qu’il y a lieu de consacrer dans la présente Charte les droits et devoirs environnementaux, ainsi que les principes et valeurs de développement durable afin que ces droits et valeurs soient garantis et mieux protégés contre toute atteinte».

19C’est également ce qui ressort de la disposition suivante : « la présente Charte garantit les droits qui y sont énoncés ». Or seul un texte de forte valeur contraignante peut garantir les droits. On retrouve des formules similaires dans le texte de la Constitution notamment son article 9.

20Sur le plan terminologique le mot Charte signifie d’ailleurs tantôt un : « document définissant solennellement des droits et devoirs » (sens général), tantôt il est synonyme de Constitution (Cornu, 2007).

  • 18  Dans le même sens, on peut citer  la Charte nationale d’éducation et de formation (octobre, 1999). (...)

21Au Maroc, ce terme a été utilisé aussi bien pour désigner la Charte communale qui est un texte contraignant, que pour la Charte de l’Aménagement du Territoire qui n’est qu’un simple document d’orientation politique18.

22Or il ressort du texte du discours royal du trône de 2009 une réelle volonté de doter la CNEDD d’une forte portée normative. En 2010, il dévoile la procédure à suivre par le gouvernement pour mettre en œuvre les principes de la CNEDD, mais le doute subsiste quant au destin normatif de ce texte.

La CNEDD, texte constitutionnel ?

23Il convient d’envisager les retombées possibles de ce choix, avant de citer les éventuelles raisons susceptibles de le rendre prématuré.

Le choix apparent d’une charte constitutionnelle

24Reconnaître aux principes énoncés dans le projet de la CNEDD une valeur constitutionnelle les élèverait au sommet de la hiérarchie des normes, ce qui signifie que l’ensemble du dispositif juridique serait tenu de les respecter. Par ailleurs, le fait de les intégrer dans le préambule de la Constitution, selon la formule consacrée, permettrait certainement de relancer le débat relatif à la force normative du préambule de la Constitution, lequel débat rend encore incertaine la mise en œuvre du droit international au Maroc (Ouazzani Chahdi, 2003; Rbii., 2008).

  • 19  Formulé dans le texte du projet de la Charte comme suit : « [T]oute personne a le droit de vivre d (...)

25C’est au juge que reviendrait ainsi la tâche d’arbitrer la mise œuvre des différents droits énoncés dans la Constitution notamment le droit de propriété et le droit à un environnement sain même si ce dernier semble être limité dans le texte du projet de la CNEDD19.

  • 20 Le projet de la CNEDD se contente en effet de déclarer que « le développement durable doit être une (...)

26Le conseil constitutionnel pourrait ainsi par exemple intervenir pour annuler une loi qui ne respecterait pas le principe de développement durable. Or le libellé de ce principe dans le projet de la Charte, qui ne le définit pas20, est susceptible d’accorder un large pourvoir d’interprétation au juge constitutionnel. Encore faut-il qu’il puisse se saisir du contrôle du texte irrespectueux de l’environnement car il ne peut le faire automatiquement que lorsqu’il s’agit de lois organiques. Quant aux lois ordinaires, elles doivent lui être soumises pour contrôle par le Roi, le premier ministre, le président de la Chambre des représentants, le président de la Chambre des conseillers ou le quart des membres de l’une ou l’autre Chambre (article 81). De plus, seules les lois n’ayant pas encore été promulguées peuvent faire l’objet d’une saisine du conseil constitutionnel. Autant dire que l’accès à cette institution n’est pas aisé. Par ailleurs, l’expérience du conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité des lois demeure encore très timide (Benabdallah, 2004).

  • 21 Le projet de la station thermique de Safi avait soulevé un large débat relayé par la presse locale, (...)

27Il n’en reste pas moins que les autres juridictions, administratives notamment, pourraient intervenir pour mettre en œuvre les dispositions de la Charte. Ainsi, le juge aurait par exemple l’occasion de rendre effectif l’approche de précaution en l’imposant à l’administration et à l’entreprise lors des décisions qui pourraient entraver l’environnement. Cela pourrait par exemple être le cas d’une station thermique dont les risques pour le littoral ne sont pas encore établis de manière certaine21.

28La constitutionnalisation de la Charte nécessite donc une forte volonté des représentants du peuple, laquelle volonté est certainement en train de se forger avec le large débat national autour de ce texte.

29La constitutionnalité de la charte est-elle envisageable malgré tout ? La encore, le doute persiste.

Un choix prématuré ?

30Pour recevoir le texte de la CNEDD, il aurait fallu d’une part que la Constitution soit suffisamment mature pour intégrer les droits environnementaux et d’autre part qu’elle le permette techniquement parlant.

  • 22  A titre de comparaison, dès le début des années 70, toutes les nouvelles constitutions dans le mon (...)

31En effet, les droits environnementaux proclamés par le projet de la CNEDD font parties des droits dits de troisième génération. Suivant une logique chronologique, ces droits ne peuvent être intégrés que dans les constitutions qui sont prêtes à les accueillir. Ainsi, en principe, seules les constitutions ayant déjà inclut les droits civils, politiques (articles 6, 8 et 9), économiques, sociaux et culturels (articles 13, 14 et 15) peuvent s’adjoindre des droits de troisième génération (droit à l’environnement, droit au développement, etc.)22.

32Or au Maroc, les deux premières générations de droits de l’homme figurent d’ores et déjà dans le texte constitutionnel. Est-ce à dire que rien n’empêche l’intégration des droits de troisième génération dans ce texte ? La réponse à cette question ne peut être que mitigée car l’incorporation des droits dits de seconde génération ne s’est pas encore véritablement achevée. En effet, « [s]i les droits civils et politiques sont d’application immédiate, l’application des droits économiques, sociaux et culturels est par contre progressive. Elle dépend, en effet, des capacités économiques, sociales et culturelles des Etats » (Ihrai, 1992).

33Dans tous les cas, l’intégration de la Charte dans la Constitution marocaine nécessitera une révision de celle-ci. Or en vertu de l’article 103 de la Constitution l’initiative de révision du texte constitutionnel appartient au Roi ou à l’une des deux chambres du Parlement.

34Mais lorsque l’initiative de révision émane de l’une des chambres, elle ne peut être adoptée que par un vote à la majorité des deux tiers des membres la composant. Puis elle est ensuite soumise à l’autre chambre qui peut l’adopter également à la majorité des deux tiers de ses membres (article 104). Enfin, la proposition de révision est soumise par Dahir au Référendum.

35Lorsque c’est le Roi qui prend l’initiative de la révision de la Constitution, il peut en soumettre le projet directement au référendum comme cela s’est passé lors des révisions constitutionnelles précédentes. Le choix des concertations publiques autour du projet de la CNEDD est-il un prélude à la constitutionnalisation de celle-ci ?

  • 23  Cf http://saharadumaroc.net/ Il est aussi question d’instaurer une régionalisation avancée qui pou (...)
  • 24  Il s’agit notamment des revendications relatives à la reconnaissance constitutionnelle de la langu (...)

36Par ailleurs, sur un autre registre, la conjoncture politique est-elle propice à une telle révision ? En effet, à l’heure du projet de « la région autonome du Sahara » qui nécessitera une révision constitutionnelle, il est permit de douter de la pertinence du timing d’une « constitutionnalisation environnementale ». D’un autre côté,  il faut admettre que dans le projet de la régionalisation, la composante environnementale est primordiale23. Est-ce à dire que la réforme constitutionnelle sera double ? Si c’est le cas, ne risquera-t-elle pas de réanimer d’autres revendications de révisions plus antérieures et souvent jugées comme plus fondamentales24 ?

37De toute manière, même si l’hypothèse de constitutionnalité de la charte peut sembler peu plausible, le choix apparent d’une loi-cadre pourrait nécessiter la révision de la Constitution.

Conclusion : La piste constitutionnelle est-elle totalement abandonnée ?

38Le discours du trône du 30 juillet 2010 a levé le voile sur le sort réservé à la nouvelle CNEDD sans pour autant en révéler la valeur normative.

39Rappelons que selon ce discours, les débats régionaux autour du projet de la CNEDD donneront lieu à un plan d’action intégré dont les grandes lignes seront traduites dans un projet de loi-cadre. On ne sait pas, toutefois, si ce projet de loi-cadre sera le prolongement du projet de la CNEDD. Certes, on peut d’ores et déjà deviner son fondement philosophique (concepts de développement durable, droit à un environnement sain, approche de précaution, etc.), mais  sa teneur normative dépend du contenu du plan d’action intégré en cours de parachèvement.  Il est toutefois permit d’en discuter la forme dans le sens où il laisse profiler l’idée de constitutionnalité.  

  • 25  Sur la notion de loi-cadre environnementale voir Moutondo (2008).
  • 26  Dans le sens où il comporte toutes les composantes des lois-cadres environnementales « classiques  (...)
  • 27  Dans la lettre royale adressée au Conseil National de l’Environnement à l’occasion de sa première (...)
  • 28  Autrement dit, la loi précitée relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement (...)

40En effet, en vertu du second paragraphe de l’article 46 de la Constitution marocaine relatif au domaine de la loi : « [L]e Parlement est habilité à voter des lois-cadres concernant les objectifs fondamentaux de l'action économique, sociale et culturelle de l'État ». Or, c’est le libellé de cet article qui aurait empêché d’attribuer la forme « loi-cadre » à la loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement précitée bien qu’elle en ait la teneur25. En effet, ce texte considéré comme une véritable loi-cadre sur l’environnement26 au Maroc ne porte cependant pas le nom idoine et cela est probablement dû à la formule limitative de l’article 46§2 précité. Certes, l’action économique et sociale de l’Etat est intimement liée au développement durable, mais une interprétation restrictive de cet article aurait conduit à écarter la formule de « loi-cadre ». Sinon comment expliquer que le projet de « loi-cadre pour la protection et la gestion de l'environnement au Maroc »27  ait pu se contenter d’une forme de loi ordinaire classique lors de son adoption 28?

41Ce même sort sera-t-il réservé à la CNEDD ? On en doute fort. Rappelons que le discours royal du trône de juillet 2010 exhorte le gouvernement à formaliser le plan d’action intégré dans un projet de loi-cadre qui devrait constituer « une véritable référence pour les politiques publiques de notre pays en la matière ». Aussi peut-on affirmer, sous réserve des évolutions à venir, que si le discours du trône de 2009 semble frôler l’idée de constitutionnalité de la charte, sans la nommer, celui de juillet 2010 ne renonce pas complètement à ladite idée, mais lui prépare les fondements nécessaires. Ainsi, il est probable que la formule « loi-cadre » entraine une réflexion sur une révision de la Constitution qui tiendrai mieux compte de sa lettre.

42En effet, à moins de faire une lecture plus extensive du second paragraphe de l’article 46 précité, il est difficile d’envisager l’adoption d’une loi-cadre environnementale sans réviser le texte constitutionnel. Or quitte à réviser la Constitution, autant le faire de manière plus ambitieuse en élevant la question environnementale au rang qu’elle mérite d’occuper au sein du système juridique.

Remerciements

43Je tiens à remercier le professeur Eric Duchemin de m’avoir permis de contribuer à lancer le débat autour du projet de la Charte marocaine sur l’environnement et le développement durable. Je remercie également les lecteurs et réviseurs anonymes.

44Ce travail reprend les grandes lignes de la présentation faite aux deuxièmes journées internationales sur la dégradation des littoraux, organisées le 2 et 3 juillet 2010 par la faculté des sciences de l’Université Ibn Tofail à Kénitra – Maroc.

Pour réagir à ce texte

45visitez le carnet de recherche de [VertigO] en cliquant ici : http://vertigo.hypotheses.org/​927

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Bibliography

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Charte Nationale d’Aménagement du Territoire et du Développement Durable [En ligne] URL : http://www.territoires.gov.ma.

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Cornu, G., 2007, Vocabulaire juridique, éd. PUF, 8ème éd., 986 p.

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Discours royal du 30 juillet 2010, [En ligne] URL : http://www.maroc.ma

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Ouazzani-Chahdi, A., 2003, Les conventions internationales et le droit interne : le domaine des droits de l’homme, in REMALD numéro double 48-49, janvier-avril, pp.101-109. (article en arabe).

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Nouri, Z., 2008, Incertitude au sujet d’une centrale thermique à Safi, Libération (quotidien marocain) 6 mars.

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Notes

1 .Cf Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement, Rapport sur l’état de l’environnement au Maroc, octobre 2001, 292 p. Disponible sur le site Internet du département de l’environnement : http://www.minenv.gov.ma

2  Royaume du Maroc, Évaluation du coût de la dégradation de l’environnement, Rapport n°25992-MOR, 30 juin 2003, 41 p + annexes.

3  Mis en place en 2002 dans le cadre du programme « capacité 21 » du PNUD qui vise à renforcer les capacités institutionnelles des pays en développement.

4  Les premiers textes relatifs à la protection des ressources naturels datent de la période du protectorat. Citons à titre d’exemple, le Dahir du 11 septembre 1934 sur la création de Parcs nationaux, (BO du 25 Octobre 1934), le Dahir du 11 avril 1922 sur la pêche dans les eaux continentales, (BO du 2 mai 1922) et le Dahir du 10 octobre 1917 sur la conservation et l’exploitation des forêts (BO du 29 octobre 1917).

5  Il s’agit, entre autre, de la loi n° 12-03 relative aux études d'impact sur l'environnement (Dahir n°1.03.60 du 12 mai 2003, BO n°5118 du 19 juin 2003), de la loi n° 13 -03 relative à la lutte contre la pollution de l'air (Dahir n° 1-03-61 du 12 mai 2003, BO n° 5118 du 19 Juin 2003), de la loi n ° 28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination (Dahir n° 1-06-153, B.O. n ° 5480 du 7 décembre 2006) et de la loi n°22-07 relative aux aires protégées (Dahir n°1-10-123 du 16 juillet 2010, BO n°5866 du 19 aout 2010).   

6  A titre d’exemple, l’absence de texte spécifique au littoral et l’absence de textes actualisés dans le domaine de l’environnement marin.

7  Loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement n°11-03 promulguée par le Dahir n°1-03-59 du 12 mai 2003, BO n° 5118 du Juin 2003.

8  Le texte du discours royal du trône de juillet 2009 est disponible sur le site Internet : http://www.maroc.ma

9  Le texte de la CNEDD est disponible sur le site Internet dédié à ce projet http://principal.charteenvironnement.ma  Ce site sert de plateforme de dialogue autour de ce texte.  Parallèlement,  des concertations régionales sont organisées selon un programme publié sur ce même site.

10  Souligné par l’auteure.  

11  Cf infra, p.4.

12 Le texte du discours royal du 30 juillet 2010 est disponible sur le site Internet : http://www.maroc.ma

13  Le texte de la Constitution marocaine est disponible sur le site Internet : http://www.maroc.ma

14  Les discours du souverain marocain « se présentent comme des événements politiques de grande envergure, très attendus, très suivis car leurs retombées sur le fait politique sont certaines et considérables » (Brouksy, 2001).

15 La comparaison de la CNEDD avec la Charte Nationale d’Aménagement du Territoire et du Développement Durable peut s’avérer utilise dans le sens où celle-ci « constitue un cadre de référence permettant la mise en cohérence des différentes politiques sectorielles et l’accroissement de leurs synergies. En revanche, la démarche qui a présidé à son élaboration, fondée sur la concertation, confère à ce document la force d’un contrat collectif qui engage l’ensemble des composantes nationales à agir dans le cadre des principes, objectifs et orientations générales qui constituent les fondements de cette charte». Royaume du Maroc, Ministère de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’habitat et de l’environnement, Aménagement du Territoire et Urbanisme, Secrétariat général, Direction de l’aménagement du territoire, Charte nationale d’aménagement du territoire et du développement durable, 91 p. Cette charte est disponible sur le site Internet : http://www.territoires.gov.ma

16 La charte de l’environnement française avait soulevé un large débat juridique. Pour une analyse générale voir Prieur (2008).

17  En témoigne la faiblesse, voire l’inexistence, d’un contentieux environnemental.

18  Dans le même sens, on peut citer  la Charte nationale d’éducation et de formation (octobre, 1999).

19  Formulé dans le texte du projet de la Charte comme suit : « [T]oute personne a le droit de vivre dans un environnement sain, qui assure la sécurité, la santé, l’essor économique, le progrès social et où sont préservés le patrimoine naturel et culturel, et la qualité de vie ».

20 Le projet de la CNEDD se contente en effet de déclarer que « le développement durable doit être une valeur fondamentale de la société marocaine » en précisant, par ailleurs, que « Sont notamment assimilés au développement durable les valeurs et principes de la présente Charte ». Cette confirmation d’un principe juridique (définit dans la loi relative à protection et à la mise en valeur de l’environnement) laisse penser que ce principe est insuffisamment appliqué ou alors que son champ d’action doit être plus étendu.

21 Le projet de la station thermique de Safi avait soulevé un large débat relayé par la presse locale, mais à défaut d’informations fiables sur les impacts prévisibles d’un tel projet, celui-ci a été maintenu sur le littoral de la ville. Or les habitants auraient pu se prévaloir du droit à un environnement sain afin de réclamer d’être au moins mieux informés sur les retombées économiques et écologiques du projet. Cf à titre d’exemple Nouri Z. (2008).

22  A titre de comparaison, dès le début des années 70, toutes les nouvelles constitutions dans le monde ont intégré la dimension environnementale et jusqu’au début des années 90, environ 44 pays ont « constitutionnalisé » le droit à l’environnement sain. (Tupiassu-merlin, 2008).

23  Cf http://saharadumaroc.net/ Il est aussi question d’instaurer une régionalisation avancée qui pourrait également nécessiter de réviser la Constitution. Cf Régionalisation avancée : Une autre réponse au statu quo in L’Economiste Magazine, n°20, février 2010.

24  Il s’agit notamment des revendications relatives à la reconnaissance constitutionnelle de la langue Amazigh et à la révision de l’article 19 de la Constitution.

25  Sur la notion de loi-cadre environnementale voir Moutondo (2008).

26  Dans le sens où il comporte toutes les composantes des lois-cadres environnementales « classiques », à savoir A savoir, un rappel des principes fondamentaux (développement durable, prévention, pollueur-payeur, etc.), les règles de protection et de gestion par secteurs (sols, biodiversité, air, littoral, milieu marin, etc.), la gestion rationnelle des déchets, des installations classées, les études d’impact sur l’environnement, les nuisances, les plans d’urgence, la fiscalité environnementale, la responsabilité et l’indemnisation, la répression, etc.

27  Dans la lettre royale adressée au Conseil National de l’Environnement à l’occasion de sa première réunion en  juin 1995, feu le Roi Hassan II déclarait : « A ce titre, vous êtes appelés, dans le cadre des activités de votre Conseil, à élaborer des lois sectorielles et à actualiser certains textes qui ne correspondent plus au niveau atteint par notre pays dans les domaines économique et social. Il vous appartient, pour ce fait, de vous inspirer des principes généraux contenues dans le projet de la loi-cadre pour la protection et la gestion de l'environnement au Maroc, … qu'il convient de faire adopter au plus tôt. » (Souligné par l’auteure). Le texte de cette lettre est disponible sur le site Internet du département de l’environnement. http://www.minenv.gov.ma/

28  Autrement dit, la loi précitée relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement

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References

Electronic reference

Samira Idllalène, « La Charte marocaine de l’Environnement et du Développement Durable sera-t-elle une loi fondamentale ? Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Débats et Perspectives, Online since 15 September 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/9956 ; DOI : 10.4000/vertigo.9956

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About the author

Samira Idllalène

Enseignante-chercheur, Université Cadi Ayad, Département Droit et Economie, Faculté Polydisciplinaire, B.P. 4162, Route de sidi Bouzid, 46000, Safi, Maroc, Courriel : idllalenesamira@yahoo.fr

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