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INITIATIVES MINISTÉRIELLES

[Traduction]

LA LOI SUR LE MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

La Chambre reprend l'étude de la motion: Que le projet de loi C-11, Loi constituant le ministère du Développement des ressources


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humaines et modifiant ou abrogeant certaines lois, soit lu pour la troisième fois et adopté, ainsi que de l'amendement.

M. George Proud (secrétaire parlementaire du ministre du Travail, Lib.): Monsieur le Président, je suis fier de pouvoir intervenir au sujet du projet de loi C-11.

Comme les députés le savent, cette mesure législative traite essentiellement de questions administratives concernant la formation de Développement des ressources humaines Canada, ou DRHC.

Le gouvernement s'étonne que le Bloc Québécois décide tout à coup de s'en prendre à cette mesure. Elle n'a pourtant rien de menaçant. Elle ne prévoit aucun nouveau pouvoir et réitère simplement le mandat existant de DRHC.

Si je comprends bien, les gens d'en face s'inquiètent surtout des articles 6, 20 et 21 du projet de loi. Commençons par l'article 6.

Cette disposition porte strictement sur le mandat du ministère. Il semble y avoir une méprise voulant que l'article 6 permette au gouvernement du Canada d'empiéter dans des domaines de compétence provinciale. Ce n'est vraiment pas le cas.

Les députés qui forment la loyale opposition de Sa Majesté voient dans ce projet de loi des choses qui n'y sont pas. S'ils lisaient attentivement la mesure, ils verraient que la disposition limite les pouvoirs du ministre de la façon suivante, et je cite: «[. . .] à tous les domaines de compétence du Parlement. . .» Cela me semble clair. La disposition n'accorde pas au ministre des pouvoirs qui s'étendent à des domaines de compétence provinciale; elle fait tout le contraire.

Rien, dans l'article 6, ne concerne les programmes existants. Il regroupe simplement les mandats des quatre anciens ministères qui constituent maintenant DRHC. Il n'y a là aucun subterfuge pour saper les lois provinciales.

Le gouvernement ne juge pas nécessaire de faire perdre au Parlement son temps précieux en précisant dans le projet de loi tous les détails de tous les programmes qui relèvent du ministère. Même si nous l'avions fait, quelque chose me dit que les députés d'en face n'auraient tout de même pas été satisfaits.

L'article 6 du projet de loi énumère les objectifs fondamentaux du ministère: améliorer le marché de l'emploi et promouvoir l'égalité et la sécurité sociale. Ces objectifs relèvent clairement des compétences du gouvernement du Canada.

Les députés ont aussi des réserves au sujet de l'article 20. Celui-ci permet au ministre de conclure des accords avec les provinces, des institutions financières ou d'autres organismes. L'article 20 est une disposition qui a été adaptée à partir de l'article 7 de la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l'immigration, de l'article 6 de la Loi sur le patrimoine et l'article 5 de la Loi sur le ministère du Travail. L'article 20 du projet à l'étude ne permettra au ministre de conclure que des accords semblables à ceux conclus par le passé.

Ainsi, en 1991, le ministre de l'Emploi a signé un accord avec le gouvernement du Québec reconnaissant la Société québécoise du développement de la main-d'oeuvre et le rôle vital qu'elle joue dans la formation de la main-d'oeuvre au Québec.

Les députés d'en face n'en pensent pas moins, semble-t-il, que l'article 20 accorde des pouvoirs discrétionnaires trop vastes au ministre. Selon eux, ce sont des pouvoirs excessifs permettant de conclure des accords qui empiéteront sur tous les champs de compétence provinciale. Ce n'est assurément pas le cas.

Examinons de plus près le libellé de l'article 20, qui dit clairement que ces accords visent à faciliter l'élaboration de programmes «relatifs aux attributions énoncées à l'article 6». Cet article énonce le mandat du ministre. Il ne comporte rien de neuf et ne crée aucun nouveau pouvoir.

(1510)

Les députés de la loyale opposition de Sa Majesté peuvent sûrement comprendre que les pouvoirs discrétionnaires du ministre sont limités par la mission du ministère.

Le projet de loi stipule clairement que les attributions du ministre se limitent aux domaines de compétence du Parlement. Par conséquent, l'article 20 n'autorise absolument pas le ministre à empiéter sur les domaines de compétence provinciale.

L'article 20 autorise DRHC à signer des contrats avec d'autres organismes. Le ministère ne pourrait pas fonctionner sans ce pouvoir. Le ministère a signé des milliers de contrats et d'accords avec de nombreux organismes, dont l'exemple que j'ai déjà évoqué, et avec des organismes du Québec. Le ministère a même conclu des accords avec le gouvernement du Québec pour aider les chômeurs québécois à réintégrer le marché du travail.

Au cours de l'exercice 1994-1995, nous avons signé plus de 50 000 contrats concernant le marché du travail dans la province de Québec. En vertu de ces contrats, nous avons investi un total de 695 millions de dollars au titre du financement des programmes et du soutien du revenu. Cela s'est fait dans le cadre de la loi existante. Le projet de loi C-11 ne fait prolonger ces arrangements.

Comme je l'ai souligné, l'article 20 ne servira pas à passer outre à l'autorité des gouvernements provinciaux ou à empiéter sur leurs domaines de compétence.

Le troisième article qui empêche apparemment les députés d'en face de dormir la nuit est l'article 21. Je ne sais pas pourquoi, car cet article stipule simplement que le ministre peut déléguer ses attributions, notamment au ministre du Travail. Cet article autorise également le ministre à déléguer ses attributions afin de faciliter la prestation de services à guichet unique, un élément clé du réseau de prestation des services du ministère du développement des ressources humaines.

Il s'agit en fin de compte de fournir aux Canadiens un accès plus simple et plus rapide aux programmes et aux services de DRHC. La prestation des services à guichet unique est un moyen plus flexible et plus efficace d'atteindre cet objectif.


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Au moment où je parle, à Alma, la ville natale du premier ministre du Québec, DRHC, la SQDM, les municipalités locales et les clubs locaux travaillent en partenariat dans le cadre d'un système de prestation des services à guichet unique. C'est un projet parmi plusieurs autres de même nature que nous avons mis en oeuvre avec le gouvernement du Québec. Si le gouvernement du Québec est disposé à travailler avec nous, ce dont nous nous réjouissons, je ne comprends pas pourquoi les députés de la loyale opposition de Sa Majesté trouvent ces arrangements si choquants.

Autre sujet de préoccupation, la Partie II du projet de loi concernant la Commission de l'emploi et de l'assurance du Canada. Elle prévoit des mesures énergiques pour aider les chômeurs canadiens se trouvent rapidement du travail. Cela fait partie de notre programme global de lutte contre les causes profondes du chômage.

C'est ainsi que le ministre discute actuellement de nouvelles dispositions avec les provinces. Toutefois, ces ententes n'empiéteront pas sur les secteurs de compétence provinciale. Au contraire, le ministre a bien précisé que le gouvernement fédéral se retirera complètement du domaine de la formation de la main-d'oeuvre compte tenu de la responsabilité provinciale dans ce domaine. Cela se fera sur au plus trois ans, les détails devant être mis au point de concert avec chacune des provinces.

Le gouvernement fédéral contribuera au financement des programmes de perfectionnement, sous réserve de l'accord des provinces. En outre, le gouvernement fédéral mettra en place, en collaboration avec chacun des gouvernements provinciaux, de nouvelles ententes taillées sur mesure en fonction des besoins et de la situation du marché du travail dans chaque province.

Le gouvernement du Canada va évidemment assumer ses responsabilités constitutionnelles. Nous allons continuer à avoir compétence en ce qui concerne le régime national d'assurance-emploi et la dimension nationale de nos marchés du travail.

Si cela ne suffit pas à rassurer le parti d'en face, je rappellerai que, au cours du débat sur le discours du Trône, le premier ministre a déclaré que le gouvernement fédéral était en outre disposé à se retirer de secteurs comme la formation de la main-d'oeuvre, l'exploitation forestière, les mines et les loisirs qui, au XXIe siècle, devront plutôt relever des provinces, des municipalités ou du secteur privé.

(1515)

Bref, je dirai aux députés d'en face que le projet de loi C-11 ne prévoit nullement la centralisation des programmes nationaux par le gouvernement fédéral, mais traite strictement de leur administration. J'exhorte la Chambre à adopter ce projet de loi afin que nous puissions passer à des questions plus urgentes, comme le souhaitent, j'en suis sûr, tous les Canadiens, y compris ceux du Québec.

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga-Maisonneuve, BQ): Monsieur le Président, pourrais-je avoir l'appui gentil du député de Kingston et les Îles? Parce que cela va me motiver dans mon discours. J'aurais souhaité intervenir sur un projet de loi qui se serait davantage préoccupé de lutter contre la pauvreté.

Je me disais, en quittant mon bureau et en venant ici à la Chambre, que le ministre du Développement des ressources humaines, en lieu et place de nous proposer un projet de loi qui reprend un projet de loi qui avait été pour l'essentiel dénoncé par à peu près toutes les forces vives du Québec, l'ancien projet de loi C-96, combien ce ministre aurait été plus attachant, combien il aurait eu notre amitié, s'il avait déposé un projet de loi qui aurait eu deux objectifs.

Le premier objectif aurait été de prendre des mesures pour lutter contre la pauvreté et le deuxième aurait été de rétrocéder les quelque 25 programmes qui se posent en duplication avec les mesures qui existent déjà au Québec en matière de formation de la main-d'oeuvre et qui font en sorte que quelque 250 millions de dollars sont gaspillés et non utilisés à des fins optimales et efficientes.

Pourquoi parler de la pauvreté en 1996? Pourquoi parler de la pauvreté nous, parlementaires, à un moment où le ministre s'apprête à proposer un projet de loi centralisateur? Je voudrais vous rappeler qu'il y a quelques jours, un rapport est, à toutes fins pratiques, passé assez inaperçu du côté des ministériels. Il s'agit d'un rapport statutaire, annuel, déposé par le Conseil national du bien-être social et dans lequel, je crois que c'est important de le rappeler, on disait que, globalement, on n'est pas dans une société où il y a de moins en moins de pauvres.

On peut, du côté de la majorité, faire comme si la question ne se posait pas, mais dans la réalité des faits, pour tous ceux qui ont une conscience sociale, et Dieu sait que l'opposition n'en n'est pas dépourvu, il y a une réalité qui se pose, c'est qu'on est dans une société où même si les gens vivent de plus en plus longtemps, il reste qu'il y a de plus en plus de gens qui sont pauvres.

À l'instant où on se parle, quand on parle de la pauvreté-c'est-à-dire les gens qui doivent utiliser 56 p. 100 de leur revenu pour les besoins de base, tels l'alimentation, le vêtement et le loyer-dans la société canadienne, selon Statistique Canada, on est considéré comme pauvre lorsqu'on est un Canadien qui habite dans une grande ville et où on doit consacrer 56 p. 100 de son revenu à l'habillement, à l'alimentation et au logement.

Lorsqu'on regarde les taux de pauvreté, on constate par exemple que si dans les années 1980, il y avait 15 p. 100 de gens pauvres dans la société canadienne, il reste qu'on se retrouve, 14 ans après, avec 16,6 p. 100 de gens qui continuent à vivre avec des problèmes extrêmement importants et qui continuent à être assimilés à des normes de pauvreté.

Comment se fait-il que le ministre, que ce gouvernement ne soit pas préoccupé par cette question? Laissez-moi vous rappeler comment le Conseil national de bien-être social commençait son exposé en disant, et je sais que cela peut rejoindre la sensibilité de certains parlementaires, mais n'oublions pas comment commençait la conférence de presse et, par voie de conséquence, le communiqué du Conseil national de bien-être social, qui disait: «Les gouvernements devraient ajouter la lutte contre la pauvreté à leur liste de priorités économiques immédiates.»

C'était quand, la dernière fois que vous avez entendu, l'un ou l'autre des membres de ce Conseil des ministres suggérer, s'élever


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en faux contre le fait que l'on soit dans une société où malgré l'abondance des ressources, malgré les nouvelles technologies de production, malgré un produit national brut à hauteur de 750 milliards de dollars, comment se fait-il que l'on tolère cela, comment se fait-il que ce gouvernement libéral tolère cela? Cela veut dire quelque chose, en philosophie, d'être libéral. Qu'ont-ils fait, ces libéraux, lorsqu'ils nous appelaient, dans les années 1960, à vivre dans une société de plus en plus juste? Qu'est-ce que ça veut dire pour les gens qui forment ce gouvernement, en 1996, de vivre dans une société de plus en plus juste, si on tolère des taux de pauvreté à hauteur de 16 p. 100?

(1520)

Le Conseil national du bien-être social, que le gouvernement s'apprête à museler par le projet de loi C-11, comme on y fera allusion plus tard, nous rappelle que c'est 4,8 millions de gens qui vivent au seuil de la pauvreté. Ces statistiques doivent nous faire comprendre que la pauvreté, comme d'autres phénomènes dans la société, n'est pas également répartie.

Les gens qui sont le plus durement frappés par la pauvreté sont les chefs de famille monoparentale qui, dans trois cas sur quatre, sont des femmes qui ont la responsabilité de diriger seules, souventes fois dans des conditions difficiles, des familles. Lorsqu'on regarde la réalité, dans 67 p. 100 des cas, ce sont ces femmes qui sont durement frappées qui vivent les stigmates et les sévices de la pauvreté.

Monsieur le Président, vous allez me dire: Oui, mais quel est le lien avec le projet de loi C-11? Vous savez qu'en aucun moment, depuis que j'ai les pieds dans cette Chambre, je me serais permis d'être hors d'ordre. Eh bien, le lien est le suivant. Le lien, c'est que si le ministre avait fait une lecture un peu avisée de la réalité, il aurait compris qu'on ne peut pas se permettre d'avoir deux niveaux de gouvernement qui investissent pour des programmes qui, à bien des égards, sont similaires.

Je donnerai juste l'exemple du Québec. La ministre de l'Emploi du Québec, Mme Louise Harel, députée d'Hochelaga-Maisonneuve, en fait ma vis-à-vis, nous rappelait, lors de la dernière campagne référendaire, que le seul exemple du Québec, la seule province de Québec investit 10 milliards pour ses politiques de marché du travail. Alors 10 milliards, c'est supérieur à ce que l'ensemble des pays de l'OCDE investissent, toute comparaison gardée, lorsrqu'on prend, évidemment, le territoire du Québec comme comparaison.

On peut donc comprendre que ce n'est pas nécessairement une question de manque de ressources. On ne peut pas dire qu'il ne s'investit pas des ressources et qu'il ne s'investit pas des ressources considérables sur les questions de politique de marché du travail. Ce qui fait problème, c'est la duplication des ressources.

Comment ne pas se rappeler que le ministre nous invite à adopter un projet de loi qui, à toutes fins utiles, intervient ou suggère des interventions dans des domaines pour lesquels il n'a aucun mandat. Essayez un seul instant d'imaginer l'un ou l'autre des 33 pères de la Confédération qui revient ici, qui franchit la porte et qui cherche à comprendre où, dans le texte de loi constitutionnel, ce gouvernement tire une légitimité pour intervenir dans le domaine du marché du travail ou dans le domaine des politiques de main-d'oeuvre.

Pourtant, si on adoptait ce projet de loi, la direction des ressources humaines interviendrait, comme elle le fait malheureusement trop souvent, dans les programmes de la sécurité du revenu, dans les programmes de l'enseignement postsecondaire, dans la question du bien-être social, dans la question des prêts aux étudiants.

Dans le train, en début de semaine, j'ai lu-peut-être en avez-vous entendu parler parce que je sais que vous êtes un esprit alerte et que rien ne vous échappe en matière sociale-le rapport Fortin qui a été demandé par la ministre de la Sécurité du revenu à Québec. L'économiste Pierre Fortin n'est pas un agent de recherche du Bloc. Il n'est même pas quelqu'un qui, par le passé, s'est engagé en faveur de la souveraineté. Vous serez surpris, mais davantage déçu, de voir l'analyse qu'on fait dans le rapport Fortin. Je vais me permettre de le citer, avec l'accord des collègues.

On y dit: «Le gouvernement fédéral a déjà réagi de plusieurs manières à la crise de ses propres finances. Évidemment, on sait bien que le gouvernement fédéral est dans une situation de dette un peu astronomique et dans une situation de déficit incontrôlé.» On dit: «Trois mesures fédérales touchent directement la sécurité du revenu québécoise. La première: on a restreint l'accès des chômeurs aux prestations d'assurance-chômage en 1990, en 1993 et en 1994.» En fait, M. Fortin aurait dû ou aurait pu même remonter à 1988, parce que les premiers assauts contre le programme d'assurance-chômage remontent à 1988 avec les désormais célèbres conservateurs.

(1525)

On y lit aussi ceci: «On a annoncé, pour 1996-1997, une réduction cumulative de 15 p. 100 des sommes consenties aux provinces pour le nouveau Transfert social canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Troisièmement, on a annoncé pour 1996, l'abolition du Régime d'assistance publique du Canada», vous vous en rappellerez, en vertu duquel Ottawa partageait moitié-moitié avec les provinces les coûts de l'aide sociale. Ce qui est le plus intéressant de ce rapport, c'est qu'on évalue que le désengagement du gouvernement fédéral. Autrement dit, les politiques qui sont adoptées ici en matière d'assurance-chômage ont créé un fardeau tel pour la province de Québec, que c'est 70 000 ménages qui vont se retrouver à la sécurité du revenu, s'il n'y a pas d'amendements au projet de loi. Cela signifie, en frais directs et indirects, pas un déficit, mais des dépenses non anticipées pour la province de un milliard de dollars, parce que le gouvernement fédéral fait du délestage. C'est ça, le caractère pervers du régime dans lequel on est.

Cela devient extrêmement difficile, même pour le meilleur gouvernement du Québec, et je pense qu'on est, à Québec, en présence d'un excellent gouvernement. Cela devient extrêmement difficile pour les provinces dans un régime comme le nôtre d'avoir une planification efficace et de respecter leurs décisions budgétaires, puisqu'on est dans une situation où le gouvernement fédéral, sans préavis, sans crier gare et sans négociation peut-et ce n'est pas la première fois que ça se fait-déstabiliser les finances publiques du Québec. Cela s'est fait évidemment lors des trois dernières récessions.

Le projet de loi que nous invite à adopter la majorité ministérielle, on l'a dit à plusieurs reprises, la députée de Mercier l'a dit avec beaucoup d'éloquence, a fait à peu près, et continue de faire l'unanimité contre lui. On ne peut pas imaginer un projet de loi qui aura réuni dans un même concert d'indignation, à la fois le patronat, le mouvement syndical, le milieu associatif et le milieu coopératif.


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C'est tellement vrai ce que je vous dis, que lors de la première version de C-96, peut-être que le député de Kingston et les Îles, avocat de profession-ce n'est pas sa plus belle qualité, mais enfin, c'est son choix-peut-être que le député de Kingston et les Îles pourrait invoquer le Règlement, à la fin de mon discours, pour m'inviter à déposer le document. En pareil cas, il me ferait extrêmement plaisir de déposer une résolution qui a été adoptée par la Société québécoise de développement de la main-d'oeuvre dont le député de Kingston et les Îles suit peut-être les travaux.

Cette résolution invite à l'unanimité un conseil d'administration qui est tripartite. Le conseil d'administration de la Société québécoise de la main-d'oeuvre a en son sein des représentants du milieu syndical, des représentants des employeurs, des représentants du gouvernement du Québec, et, à l'unanimité, on invite le gouvernement fédéral à faire un geste qui le rendrait tellement digne dans nos esprits, celui de rétrocéder- et c'est ça le consensus québécois-les quelque 25 programmes qu'il administre, les rétrocéder à la province.

Ce n'est quand même pas rien qu'un organisme non politique, un organisme qui est la voix la plus autorisée, la voix mandatée par le gouvernement du Québec pour se préoccuper des politiques du marché du travail, ce n'est quand même pas quelque chose d'anodin que dans une résolution de son conseil d'administration, où le Bloc n'est évidemment pas représenté, on adopte à l'unanimité une résolution pour inviter le gouvernement fédéral à rétrocéder les champs de juridiction liés à la main-d'oeuvre.

En lieu et place, à quoi assiste-t-on? Comment peut-on être aussi insensible, aussi mal avisé, aussi confus que l'est le ministre du Développement des ressources humaines pour ne pas se rendre compte que si nous adoptions, si nous prêtions notre concours au projet de loi C-11, nous violerions de plain pied, non seulement les intérêts du Québec, mais quelque chose de sacré en démocratie qui s'appelle un consensus.

Si tout ça n'était qu'académique, on n'aurait pas raison de s'en soucier, parce qu'on dirait que ce sont des débats d'intellectuels, des débats rhétoriques, des débats qui n'ont rien à voir avec la résonnance, avec le vécu quotidien de nos concitoyens.

(1530)

Je vais vous donner un certain nombre de conséquences de ce qu'implique la duplication des ressources en matière de gestion des programmes de formation de la main-d'oeuvre. La première duplication, on le sait, c'est maintenant connu, c'est qu'il y a 25 programmes liés à la formation de la main-d'oeuvre à Ottawa et qu'il y en a 25 à Québec.

L'ancien ministre Bourbeau, qui était membre d'un gouvernement libéral, a évalué, au moment où son parti formait le gouvernement à Québec, que c'est 275 millions que nous perdons en ressources optimales qui pourraient être utilisées à des fins beaucoup plus productives qu'elles ne le sont, par les chevauchements des ressources humaines.

Ce qui est plus dramatique, c'est que cette espèce d'incohérence dans le système fait en sorte qu'à l'instant où on se parle, il y a des gens qui ont besoin d'aide, il y a des gens qui ont besoin de secours, de formation concrète. Vous savez bien que les prochains emplois qui vont être créés à l'aube de l'an 2000 vont être des emplois qui vont demander 13, 14, ou 15 ans de scolarité. C'est cela la réalité.

La réalité entre moi et mon père, c'est que mon père, qui a près de 60 ans, a passé toute sa vie au sein de la même entreprise. Il a bien gagné sa vie, il a élevé sa famille, il a fait des enfants heureux, mais toute sa vie professionnelle s'est effectuée dans une seule et même entreprise.

Moi, j'ai 33 ans, enfin j'aurai 33 ans le 13 mai, mais j'ai près de 33 ans et j'ai déjà trois carrières à mon actif. On dit que l'homme ou la femme de l'an 2000 aura cinq carrières. C'est pour cela que le concept de formation continue prend toute son importance. Ce n'est pas vrai qu'une fois qu'on a un diplôme universitaire ou un diplôme de niveau technique ou professionnel, on va avoir un emploi, qu'on va occuper cet emploi toute sa vie active et que notre carrière va se dérouler comme cela, de façon linéaire, sans qu'on ait à vivre des processus d'adaptation. Au contraire. Personne, parmi la génération montante, ne peut penser avoir un seul et même employeur dans la vie.

C'est un péché, c'est quelque chose de criminel que de ne pas se donner un système de formation de la main-d'oeuvre qui soit plus rationnel, qui soit plus cohérent et qui, finalement, est un guichet unique.

C'est tellement vrai ce que je vous dis, qu'à l'instant où on se parle, il y a des listes d'attente d'environ 25 000 personnes au Québec. Il y a 25 000 personnes au Québec qui ont besoin, à un niveau ou à un autre, de bonifier leur formation, qui ont besoin d'expérience, qui ont besoin d'être orientées, qui ont besoin de suivre des cours et qui sont privées de cette ressource, qui sont privées de l'aide à laquelle elles auraient droit, parce que le régime est inefficace.

Vous allez me dire: «Oui, mais est-ce que le ministre a compris la leçon?» Non, on est en présence d'un ministre têtu. On est en présence d'un homme qui regarde devant lui sans se préoccuper de ce qui se passe dans son environnement. Tous les libéraux ne sont pas comme ça, mais je dois dire qu'une majorité nous semble être de cette mouture-là.

Ce que l'on peut souhaiter très simplement, il me semble qu'il n'y a rien là qui ne puisse pas susciter l'adhésion d'un esprit averti, c'est que le ministre se rende compte que la meilleure chose qui puisse arriver pour le Québec, c'est qu'il fasse marche arrière, qu'il n'autorise pas, comme le prévoit le projet de loi C-11, différents corps intermédiaires qui ne sont pas le gouvernement du Québec, à obtenir directement des mandats du ministère du Développement des ressources humaines, qu'il respecte la juridiction du Québec et qu'il contribue.

Cela ferait de lui un ministre célèbre, s'il acceptait de mettre fin à la duplication et de travailler à l'établissement d'un guichet unique, comme le lui demande la ministre de l'Emploi et de la Concertation à Québec, Louise Harel. Cela ferait en sorte que les ressources qui sont disponibles dans le système, parce que c'est faux d'expliquer la réalité par un déficit de ressources, les ressources qui sont disponibles dans le système doivent être utilisées à des fins plus productives et c'est là tout le défi auquel doit s'employer un ministre qui n'a été que trop têtu jusqu'à maintenant.

M. Antoine Dubé (Lévis, BQ): Monsieur le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'attention mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve qui, une fois de plus, a démontré ses préoccupations sociales, et pas seulement pour les gens de son comté qui est très large.


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(1535)

J'appuie évidemment tous ses commentaires au sujet de l'attitude de ce gouvernement qui, malgré le message qui a été exprimé lors du référendum, une promesse de changement, une promesse d'écoute plus attentive, une sensibilité plus grande à l'égard du Québec, a fait un discours de langue de bois.

Malheureusement, on est obligés de constater que c'était un discours de langue de bois, que dans les faits, l'attitude centralisatrice du gouvernement se continue. Je sais qu'il a encore beaucoup d'exemples à nous donner pour qualifier cette attitude centralisatrice, cette volonté du gouvernement fédéral de continuer à s'ingérer encore plus dans les juridictions des provinces. Le projet de loi C-11, c'est la création du ministère du Développement des ressources humaines. À titre d'exemple, il y a là la formation, l'éducation. Malheureusement, on voit que ce n'est pas encore réglé.

J'aimerais poser la question suivante, parce qu'il faut faire un commentaire ou poser une question. Je sais que je ne l'embêterai pas du tout, mais j'aimerais qu'il me donne quand même son point de vue sur comment il peut qualifier la prétendue décentralisation du gouvernement, lorsqu'on voit dans le projet de loi en question que le ministre du Développement des ressources humaines s'attribue le pouvoir de passer directement par-dessus la tête des provinces et conclure des ententes précises avec des organismes, même avec des entreprises, en matière de formation ou autres domaines. J'aimerais connaître son point de vue là-dessus.

M. Ménard: Monsieur le Président, vous comprendrez que la question, pour être prévisible et répétée, n'en demeure pas moins pertinente. D'ailleurs, vous me permettrez de souligner l'excellence avec laquelle le député a travaillé au Comité du développement des ressources humaines, parce qu'il a vraiment été une voix extrêmement présente pour le Bloc québécois dans un dossier comme celui-là.

J'apprécie d'autant plus sa question qu'il y a des comparaisons à faire entre Lévis et Hochelaga-Maisonneuve. Nous avons tous les deux, dans nos comtés, des gens qui ont vécu un processus de déqualification professionnelle. C'est pour beaucoup l'histoire de mon comté. C'est l'histoire d'un comté prospère qui était une ville, autrefois. On n'imagine pas qu'Hochelaga-Maisonneuve, de 1883 à 1918, a été une ville dont on disait qu'elle était le Pittsburg du Canada, tant le secteur industriel qui la composait était dynamique. Je sais que dans son comté, et je pense entre autres aux travailleurs des chantiers maritimes, il y a eu également ce processus de déqualification.

Ce que nous invite à réaliser le député de Lévis, c'est que périodiquement, dans l'histoire du fédéralisme, périodiquement dans l'histoire du Parti libéral, il y a eu cette manoeuvre profondément détestable, pour ne pas dire indigne, et je pense inacceptable au total, où un gouvernement a refusé d'accepter la position d'un gouvernement légitimement élu, formé de ses homologues à Québec, et a voulu passer par des corps intermédiaires.

Cela s'est fait dans les années 1960 sur la question linguistique et cela avait donné lieu à une mobilisation telle que le gouvernement avait dû reculer. Je crois que ce qui est inacceptable dans le projet de loi à l'étude, c'est à la fois bien sûr, la volonté de centralisation, mais c'est à la fois la volonté de ne pas respecter les mandataires autorisés.

En matière de politiques de la main-d'oeuvre, il y a un mandataire autorisé, qui est le gouvernement du Québec, et de quel droit, en vertu de quelle rationalité un gouvernement, dusse-t-il être celui des libéraux, devrait-il penser qu'il peut passer par une CDEC, par une municipalité ou par n'importe quel organisme ou corps constitué pour ne pas respecter la volonté du Québec?

Tout cela ne doit jamais nous empêcher de constater, et je vais essayer d'être bref, parce que je serais très honoré si le député de Kingston et les Îles poussait le sens de l'aventure jusqu'à me poser une question, je serai bref en lui disant que pour l'essentiel, tant que la duplication des ressources perdurera, on se retrouvera dans une situation où il y a des gens qui seront privés de formation. Monsieur le Président, regardez en direction du député de Kingston et les Îles, je pense qu'il veut échanger avec moi.

(1540)

[Traduction]

Mme Georgette Sheridan (Saskatoon-Humboldt, Lib.): Monsieur le Président, j'espère que le député de Hochelaga-Maisonneuve ne sera pas déçu, mais je vais essayer de remplacer de mon mieux mon collègue, le député de Kingston et les Îles.

Je dois tout d'abord dire que, en tant que femme, je me suis souvent fait demander: «Que veulent les femmes?» Je pourrais à mon tour demander: «Que veut le Bloc québécois?»

J'ai écouté le député d'en face demander au ministre de mettre un terme aux chevauchements et au double emploi et de tenir compte du Québec. Je pourrais lui répondre que c'est exactement ce que propose le projet de loi.

[Français]

Monsieur le Président, lorsque le projet de loi qui est devant nous a été déposé en cette Chambre, le 7 juin de l'année dernière, et fut déposé, le 7 mars 1996, plusieurs d'entre nous avons été étonnés que le Bloc québécois s'oppose aussi ardemment à cette mesure législative. Beaucoup d'entre nous ont été étonnés de l'acharnement et des efforts qu'ils ont mis à retarder l'adoption d'un projet de loi qui n'a que pour seul effet de régulariser la restructuration administrative du gouvernement entreprise deux ans auparavant. Étonnés certes, mais pas du tout surpris.

On était en effet, à ce moment, à la veille de la campagne référendaire, et l'opposition ne perdait aucune occasion pour tenter de convaincre les Québécois et les Québécoises des sombres visées du gouvernement fédéral. Les députés de l'oppsition ne perdaient aucune occasion non plus pour entraver la bonne marche des affaires du gouvernement, pour monter en épingle les moindres gestes ou déclarations des membres du gouvernement pour créer des diversions. On peut bien comprendre l'intérêt immédiat qui les animait alors. Puis le référendum est arrivé, et le Canada est resté le Canada.

Lorsque ce projet de loi est revenu sur la table, l'opposition a repris son refrain et a continué de brandir les mêmes entraves, mais pour une raison différente. C'était là, en effet, une sorte d'exercice de conditionnement pour se préparer à remettre en cause le projet de loi sur l'assurance-emploi que le ministre allait bientôt déposer. Encore ici, on peut comprendre les motifs qui les font agir sur la scène fédérale dans le sens de l'immobilisme et à l'encontre de tout changement qui est proposé.


1672

[Traduction]

Récemment, soit le 12 mars, nous avons eu une preuve flagrante des motifs qui animent ce parti lorsque celui-ci a proposé le retrait pur et simple du projet de loi sur l'assurance-emploi, en dépit du fait que tout le monde s'entend pour dire qu'il faut réformer le régime d'assurance-chômage actuel.

Un changement important est toutefois survenu depuis la dernière fois où nous avons discuté du projet de loi constituant le ministère du Développement des ressources humaines.

[Français]

Entretemps, en effet, la ministre de l'Emploi du Québec, à la suite d'une rencontre tenue avec le ministre fédéral, acceptait d'entreprendre des discussions concernant notre proposition sur l'assurance-emploi. Et ces discussions avec le Québec se poursuivent, comme d'ailleurs avec toutes les autres provinces. Le Québec s'intéresse à cette proposition parce que la formule permettra de moderniser la gestion de l'adaptation des travailleurs. Le Québec s'intéresse à cette proposition parce qu'elle concorde avec ses propres objectifs en matière de décentralisation vers les régions. Et elle fait aussi l'affaire du Québec parce que le gouvernement fédéral a clairement indiqué son intention de se retirer complètement du champ de la formation professionnelle.

L'assurance-emploi renferme un vaste volet de décentralisation et de partenariat avec les provinces. Si l'article 20 autorise le ministre à conclure des accords au palier provincial ou avec des institutions financières ou d'autres organismes similaires, c'est simplement parce qu'on tient compte, en les adaptant, de l'article 7 de la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi, de l'article 6 de la Loi sur le Patrimoine, et de l'article 5 de l'actuelle Loi sur le ministère du Travail.

[Traduction]

Le projet de loi sur le ministère du Développement des ressources humaines ne confère pas au ministre des pouvoirs autres que ceux qu'il exerce déjà. Il ne confère aucun pouvoir qui n'était auparavant exercé par les ministres responsables. Ce dont il traite essentiellement, c'est de gestion interne. En d'autres termes, à supposer que le projet de loi ne soit jamais adopté, le ministre continuerait quand même de faire tout ce qu'il fait actuellement. Lorsque le projet de loi sera adopté, il ne fera rien de plus ni de moins que ce qu'il fait en ce moment.

(1545)

[Français]

Nous savons tous qu'il faut investir dans nos ressources humaines si nous voulons rester en tête du peloton pour la qualité de vie parmi les nations du monde.

Le projet de loi reconfirme la mission essentielle que le gouvernement du Canada a donnée à ce ministère en ramenant sous un même toit et en intégrant l'ensemble des initiatives et des programmes visant à aider les Canadiens et les Canadiennes à toutes les étapes de leur vie: apprentissage, travail, retraite. Et en effet, comme l'énonce le projet de loi, le mandat du ministre doit être exercé en vue de «stimuler l'emploi, encourager l'égalité et promouvoir la sécurité sociale.»

La loi créant le ministère du Développement des ressources humaines a notamment pour but de permettre à ce ministère de continuer d'aider les Canadiens et les Canadiennes à retourner au travail.

Pour ce faire, nous avons besoin d'une loi qui procure un mécanisme simple et intégré afin de préciser le rôle du ministère, ainsi que les responsabilités du ministre à l'égard de la population canadienne.

[Traduction]

Les députés ont eu amplement l'occasion d'examiner à fond le projet de loi qui mettra un terme à cette période de transition visant non seulement le ministère, mais toute la réorganisation gouvernementale, et ils ont eu amplement l'occasion d'en discuter.

[Français]

Aussi, je considère qu'il est temps d'y mettre un terme maintenant pour passer à l'étude de questions autrement plus vitales pour les Canadiens et les Canadiennes, et pour l'avenir du pays.

M. Jean H. Leroux (Shefford, BQ): Monsieur le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de ma collègue d'en face. J'aimerais commenter quelque peu et lui poser peut-être une question en terminant.

Comme vous le savez, je suis le député de Shefford. La ville principale de mon comté, c'est Granby. Granby est une ville industrielle qui compte quelque 45 000 habitants. Dans la région, on a une population d'environ 90 000 personnes.

Or, depuis que les deux ministres se sont succédé au ministère du Développement des ressources humaines, il y a eu des coupures. Cela me fait penser au démantèlement des chemins de fer au Canada.

Vous êtes un fédéraliste, monsieur le Président, et je pense que partout au Canada-et je n'en doute pas, monsieur le Président, que vous êtes fédéraliste-partout au Canada, les centres d'emploi sont un symbole du Canada. Actuellement, ce qu'on fait, on est en train de les fermer, on est en train de les couper, on est en train de les diminuer, à tel point que dans ma région, la ville de Granby reçoit présentement en compensation de taxes 36 000 $ du gouvernement fédéral. C'est à peu près comme s'il n'y avait pas de gouvernement fédéral chez nous.

Lorsqu'on a établi ce grand pays, le but du gouvernement fédéral, c'était de distribuer la richesse un peu partout sur le territoire de façon équitable. Or, ma région est durement coupée par ce gouvernement. D'un centre d'emploi qui pouvait avoir 50 ou 55 employés, on parle d'en faire un de 12 employés, peut-être 18, mais rien n'est déterminé au moment où on se parle.

C'est triste pour ma région. Elle écope beaucoup parce que le centre d'emploi, tel qu'il était organisé, développait, participait au développement de la région. C'est un réseau qu'on est actuellement en train de défaire. Ce réseau est important pour les régions. C'est un réseau qui est important pour le Québec, pour le développement. Habituellement, dans les chambres de commerce, on a des gens de toutes les formations politiques et majoritairement des fédéralistes.

(1550)

La Chambre de commerce de Granby a fait signer une pétition de 6 000 noms et plus pour dénoncer l'attitude du gouvernement et lui demander de considérer les régions. Comme je le disais tout à


1673

l'heure, les centres d'emploi sont un symbole du gouvernement du Canada. Ils sont un symbole qu'on est actuellement en train de détruire par la politique du ministère et du ministre.

Donc, ma question serait la suivante: Quand le gouvernement prend des décisions comme celle de la réforme, pourquoi ne tient-il pas compte des autres gouvernements et pourquoi le fait-il en passant par-dessus les gouvernements? J'aimerais que la députée commente là-dessus.

[Traduction]

Mme Sheridan: Monsieur le Président, ma réponse initiale à la question du député serait identique à l'introduction de mon discours: «Que veut le Bloc québécois?» D'une part, il nous dit de nous mêler de nos affaires et, d'autre part, il nous demande d'accorder plus d'avantages au Québec et de ne pas nous préoccuper des intérêts des autres Canadiens.

La tâche de gouverner le pays dans son ensemble exige que l'on tienne compte des intérêts de tous les Canadiens. Le ministre adopte une mesure positive en faisant cela. Il le fait au Québec de la même manière qu'il le fait dans toute autre région du pays. En tant que membres de la même famille, nous avons tous droit à la même part.

Tôt ou tard, mon vis-à-vis devra choisir.

[Français]

M. Leroux (Shefford): Monsieur le Président, que veut-on? Ça, c'est une belle question. Comme je le disais tout à l'heure, ce que l'on veut, c'est que le gouvernement fédéral agisse équitablement. La députée nous dit que ça se fait partout au pays. Ce n'est pas parce que ça se fait partout au pays que c'est une bonne chose.

On n'en a pas là-dessus. On sait que des structures ont été organisées, qu'il y a une collaboration entre nos centres d'emploi canadiens et les responsables de l'emploi du Québec. Il y a une tradition au Québec de collaboration localement. Mais ce qui se passe actuellement, c'est qu'on est en train de démanteler le réseau, ce qui va énormément nuire à la création d'emplois. C'est comme si le gouvernement fédéral se retirait, tout en voulant continuer à contrôler les programmes. Il veut les contrôler, mais il ne veut plus investir dans ce domaine, ce qui est inacceptable.

Je pense que le gouvernement a une responsabilité à cet égard et, sincèrement, vous admettrez avec moi que le gouvernement fédéral devrait donner toute la part de la formation au gouvernement le plus apte et le plus proche de la population des régions pour prendre des décisions.

Donc, ce que je demande, et j'aimerais que la députée commente là-dessus, c'est que le gouvernement fédéral, une fois pour toutes, cesse de s'ingérer inutilement et qu'il redonne aux régions ce qui leur revient.

[Traduction]

Mme Sheridan: Monsieur le Président, encore une fois, je crois que le député se perd dans ses arguments et comprend mal les faits.

Comme je l'ai dit dans mon discours, c'est le député et tous ses collègues d'en face qui voulaient que le gouvernement du Canada ne se mêle pas de leurs affaires durant la période qui a précédé le référendum au Québec.

En réponse aux préoccupations exprimées par la population au Québec et dans tout le pays, le premier ministre a pris un engagement à la fin de l'année dernière. Il a déclaré que le gouvernement du Canada se retirerait de la formation professionnelle, des programmes d'apprentissage, des programmes d'enseignement coopératif et ainsi de suite. Il me semble que c'est exactement ce que le député d'en face disait, soit que nous devrions laisser au gouvernement qui est le mieux placé pour comprendre les besoins locaux le soin de concevoir ces programmes. Nous avons tenu cet engagement.

Je sais que le député est très ennuyé cet après-midi, mais ce n'est certainement pas parce que notre gouvernement a manqué aux promesses qu'il a faites à cet égard.

(1555)

M. Dale Johnston (Wetaskiwin, Réf.): Monsieur le Président, depuis deux ans et demi, le ministère du Développement des ressources humaines agit sans mandat et certains diraient sans orientation ni programme.

En janvier 1994, parmi toutes les belles mesures annoncées dans le discours du Trône, le gouvernement avait promis la réforme des programmes sociaux. On se serait attendu à ce que le gouvernement confie rapidement son mandat au ministère pour qu'il commence aussitôt à mettre nos programmes sociaux démodés à l'heure du XXIe siècle.

Le fait qu'il ait fallu deux ans et deux ministres au gouvernement pour se rendre où il en est aujourd'hui constitue une preuve de plus qu'il n'y aura pas de réforme avant les prochaines élections. La réforme des programmes sociaux va certainement figurer dans la version de 1997 du livre rouge des promesses électorales non tenues.

Un des éléments les plus déconcertants du projet de loi concerne la nomination du ministre du Travail et de son sous-ministre. Lorsque l'ancien ministère du Travail a été réuni au ministère du Développement des ressources humaines, tout cet exercice reposait sur l'idée d'incorporation. Nous croyions que le rôle de l'ancien ministère serait enfin transféré aux provinces et au secteur privé. Cela représentait un progrès important pour les relations de travail au Canada. Puis il y a eu le référendum québécois, et il a subitement fallu avoir un ministre du Travail. Afin de satisfaire la députée de Saint-Henri-Westmount à la dernière minute, le gouvernement a intégré cette étrange structure hiérarchique dans ce qui était alors le projet de loi C-96.

Aux termes du projet de loi C-11, le ministre du Travail peut être nommé. Si aucun ministre n'est nommé, les attributions de ce dernier sont exercées par le ministre du Développement des ressources humaines. Avons-nous besoin d'un ministre du Travail à temps plein, d'un secrétaire d'État au travail ou simplement d'un secrétaire parlementaire? Peut-être le ministre a-t-il été placé pour éviter d'avoir à nommer un sous-ministre?

S'il faut un ministre du Travail à plein temps, ce poste ne devrait-il pas être prévu dans la loi au lieu d'être facultatif? Si le portefeuille du Travail exige un ministre en titre et non un ministre


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de second plan, ne va-t-il pas ultimement se séparer du ministère du Développement des ressources humaines pour devenir un ministère distinct? À mon avis, ce projet de loi soulève plus de questions qu'il n'en résout. Certains points n'ont pas été examinés en détail et mériteraient d'être revus par son auteur.

En plaçant le ministère du Travail sous la coupe du ministère du Développement des ressources humaines et de son superministre, le gouvernement espérait gagner la sympathie des syndicats et peut-être profiter de la baisse de popularité des Néo-démocrates.

Si le gouvernement se souciait vraiment des relations de travail, il n'aurait pas permis à la situation de se détériorer au point d'avoir dû en l'espace de deux ans voter à trois reprises une loi de retour au travail pour les manutentionnaires du grain et les travailleurs du rail. À trois reprises en deux ans, le système n'a pas fonctionné. Si le gouvernement se souciait vraiment des relations de travail patronales-syndicales au Canada, il aurait modifié le Code canadien du travail, ou aurait au moins examiné la possibilité de le modifier, afin d'inclure l'arbitrage des offres finales dans la procédure de règlement des conflits de travail.

Le gouvernement aurait proposé un plus grand nombre de mesures législatives comme le projet de loi C-3. Aux termes du projet de loi C-3, tous les travailleurs des installations nucléaires relève désormais de la compétence des provinces et c'est sans aucun doute un pas dans la bonne direction. Le portefeuille du Travail au ministère du Développement des ressources humaines cesserait d'exister et n'exigerait pas les services d'un ministre ou d'un sous-ministre.

Si le gouvernement avait permis que la motion no 2 présentée par ma collègue de Mission-Coquitlam soit adoptée, il n'y aurait pas eu le problème du recours aux tribunaux pour décider qui a compétence en matière de relations de travail dans les secteurs qui se chevauchent, comme dans le cas qui a conduit à la rédaction du projet de loi C-3.

(1600)

Il est temps que le fédéral cède la compétence en matière de travail aux provinces. De ce côté-ci de la Chambre, il n'y a pas de doute que cette idée rallie beaucoup de monde. J'encourage les députés d'en face à se rallier également à cette idée.

La partie I du Code canadien du travail est actuellement soumise à un examen. Ce pourrait être un point de départ pour le ministre, qui cherche désespérément à éliminer les recoupements dans les services.

Je veux rappeler aux députés que le Canada a une dette de 580 milliards de dollars. Le ministre ainsi que le ministre des Finances, sans aucun doute, en sont pleinement conscients et cherchent des moyens de la réduire.

Le ministre du Travail pourrait également contribuer à réduire la dette s'il trouve le moyen de couper dans une bureaucratie trop lourde et d'éliminer les recoupements en confiant aux provinces la compétence sur les questions de normes du travail, de relations de travail et d'hygiène et de sécurité au travail. Selon moi, il constaterait que le patronat aussi bien que les syndicats appuieraient cette mesure, parce que les deux parties veulent à juste titre obtenir des règles du jeu équitables pour tous.

Le patronat et les syndicats veulent ensemble un milieu de travail qui soit productif. En tant que législateurs, nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour leur permettre de progresser vers cet objectif. Nous pouvons leur faciliter la tâche en renonçant à notre pouvoir de réglementation bureaucratique qui nuit à l'harmonie des relations de travail.

Revenant au projet de loi C-3, je répète que c'est un pas dans la bonne direction. Il vaudrait la peine d'appuyer le projet de loi C-11 s'il suivait la même logique.

[Français]

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Madame la Présidente, je voudrais poser une question à mon collègue après avoir fait quelques remarques.

Le gouvernement du Québec et le Québec tout entier, de même que les centrales syndicales, seraient très certainement d'accord avec la récupération complète de tout le champ du travail. Cependant, on ne peut parler de cette question sans parler encore de Constitution, puisqu'en 1925, un jugement du Conseil privé a établi après, je crois, sept ans d'attente, c'était le Conseil privé de Londres, que la juridiction en matière de relations de travail appartenait aux provinces, avec la distinction que toutes les entreprises qui, d'une manière ou de l'autre, relevaient de plus d'une province, dépendraient de la juridiction fédérale. C'est ce qui a entraîné cette duplication qui cause beaucoup de problèmes aux travailleurs.

Je voudrais lui faire remarquer qu'au Québec, par exemple, il y a un régime dans le cadre de la Loi sur la santé et sécurité du travail qui prévoit que les travailleuses enceintes, quand elles découvrent qu'elles sont enceintes et que leur travail peut être nuisible pour elle ou l'enfant, ont le droit de demander à être changée de poste. Et si l'entreprise ne peut lui donner un changement de poste, la travailleuse a droit, avec 90 p. 100 de son salaire, de rester chez-elle. La même chose s'applique quand la mère allaite l'enfant.

Vous comprenez que lorsque des femmes dépendent d'entreprises qui sont sous juridiction fédérale et qu'elles ne peuvent pas avoir le même droit, elles crient à l'injustice et tout le mouvement syndical, depuis de nombreuses années, crie à l'injustice. C'est une preuve de ce que notre collègue avance, sauf qu'on ne peut pas traiter de cette matière sans passer par la Constitution.

Dans mon exposé de ce matin, j'ai démontré comment ce projet de loi C-11 est un projet de loi qui appelle un débat constitutionnel.

(1605)

La seule façon pour les provinces qui sont en désaccord avec les décisions prises par le gouvernement central, le ministère du Développement des ressources humaines en vertu de ce projet de loi, la seule façon d'avoir justice serait de pouvoir se sortir de cette décision et de pouvoir gérer elles-mêmes l'argent.


1675

Or, cela appelle un amendement du type d'un amendement constitutionnel. Ou alors, que le gouvernement accepte de reconnaître la pleine juridiction des provinces, ce qu'il ne fait pas, y compris même dans le discours du Trône.

Alors ma question s'adresse à mon collègue. Je lui demande si lui et son parti n'auraient pas dû endosser une critique plus large de ce projet de loi que sur le domaine des relations de travail?

[Traduction]

M. Johnston: Madame la Présidente, je remercie ma collègue de sa question.

Ma collègue du Parti réformiste a parlé du projet de loi ce matin. Même si elle a abordé certaines questions concernant la main-d'oeuvre, elle avait certes des critiques d'une plus grande portée à faire au sujet du projet de loi.

Je voudrais revenir sur un point que ma collègue a soulevé, soit les chevauchements des compétences fédérales et provinciales. Notre parti est d'avis que la compétence devrait être attribuée au palier de gouvernement le plus rapproché de la population. Selon nous, plus le gouvernement se fait petit, plus il est efficace. On rendrait service à tous les Canadiens en réduisant la bureaucratie. Elle serait alors plus près des gens qu'elle doit servir.

Il n'existerait plus d'entité sans visage et sans nom, comme c'est parfois le cas du gouvernement fédéral à l'heure actuelle. Le Canada est un immense pays et la capitale ne peut être partout à la fois. Pour la grande majorité des Canadiens, la capitale est bien éloignée de chez eux.

[Français]

M. Osvaldo Nunez (Bourassa, BQ): Madame la Présidente, mon collègue prétend qu'un ministère du Travail n'est pas nécessaire, qu'un ministre du Travail n'est pas nécessaire. Je suis en total désaccord avec lui. Vous savez qu'il y a plusieurs domaines qui sont encore sous la compétence du gouvernement fédéral où il y a des conflits de travail, où il faut qu'il y ait un ministre pour tenter de solutionner ces conflits.

Il y a un Code du travail qu'il faut réformer. Par exemple, nous avons besoin d'une législation antibriseurs de grève. Le mouvement syndical a besoin d'un vrai ministre du Travail à plein temps, et c'est pour cela que je lui demande pourquoi il est contre un ministre du Travail, qui a toujours existé au Canada.

[Traduction]

M. Johnston: Madame la Présidente, mon collègue du Bloc prétend qu'il faut un ministre du Travail parce qu'il rend des décisions ou solutionne les conflits qui surviennent entre le patronat et les syndicats. Je lui répondrai que je n'ai jamais vu un ministre provincial ou fédéral du Travail solutionner un conflit de travail.

J'aimerais évoquer à son intention les trois cas qui se sont produits au cours des deux années et demie que je siège dans cette enceinte, alors que la Chambre a voté des lois forçant le retour au travail d'employés en lock-out ou en grève, pour assurer le transport des grains. Il ne s'agit pas d'une intervention ministérielle. C'est toute la Chambre des communes qui intervient. Le ministre ne règle pas ce genre de problème. S'il voulait vraiment résoudre pareils conflits, il verrait à mettre en oeuvre un processus d'arbitrage des offres finales de façon que les parties, c'est-à-dire le patronat et les syndicats, disposent des outils leur permettant de régler leurs différends sans qu'il soit nécessaire que le ministre ou la Chambre des communes interviennent.

(1610)

Soit dit sans vouloir l'offenser, je ferai observer à mon collègue que le fait que nous ayons un ministre du Travail depuis toujours ne constitue pas pour nous une raison suffisante pour maintenir ce poste.

[Français]

M. Osvaldo Nunez (Bourassa, BQ): Monsieur le Président, il me fait plaisir d'intervenir dans le débat en troisième lecture du projet de loi C-11, l'ancien projet de loi C-96, Loi constituant le ministère du Développement des ressources humaines et modifiant ou abrogeant certaines lois. J'ai déjà eu l'occasion de participer, en novembre dernier, aux discussions en deuxième lecture du projet de loi C-96.

En comité, ce projet de loi n'a subi que quelques amendements mineurs, élargissant encore davantage les ministères et organismes qui pourront consulter les dossiers des prestataires. Cette atteinte à la confidentialité des dossiers constitue un élément supplémentaire pour que je vote contre.

J'appuie par contre la motion à l'effet que ce ministère, ainsi que celui du Travail, dépose à chaque année un rapport d'activités. Cette obligation existait avant. C'est très important pour le public et pour les parlementaires d'être informés des actions et décisions prises par le ministère, par la Commission de l'assurance-chômage et par le Conseil national du bien-être social.

Ce projet de loi prévoit fondamentalement la réorganisation administrative du ministère et réunit des sections et des services des anciens ministères d'Emploi et Immigration, de la Santé et du Bien-être social, du Travail ainsi que du Secrétariat d'État. En même temps, le texte accorde le pouvoir au premier ministre de nommer un ministre du Travail et un sous-ministre. Je suis totalement d'accord pour qu'il y ait un ministre du Travail. C'est nécessaire, particulièrement pour qu'il dépose dans les plus brefs délais une réforme intégrale du Code canadien du travail, et notamment une législation antibriseurs de grève.

Ce projet de loi accentue la présence fédérale et accorde au ministre de nouveaux pouvoirs l'autorisant, entre autres, à négocier directement avec des instances et organismes locaux en passant par-dessus la tête des provinces, particulièrement du Québec. L'article 20 permet au ministre de signer des contrats avec des agences et organisations autres que les provinces.

Selon l'article 6, les attributions du ministre s'étendent à tous les domaines liés au développement des ressources humaines au Canada. En particulier, il doit voir à l'amélioration du marché de l'emploi et à la promotion de l'égalité et de la sécurité sociale. Ce n'est pas du tout ce qui se passe depuis deux ans et demi au Canada.


1676

Malgré ces nobles objectifs, actuellement, au Canada, nous assistons à une détérioration de la situation dans ces domaines. Selon les renseignements de Statistique Canada, le taux de chômage a atteint, en mars 1996, 9,3 p. 100 au Canada, soit 1 407 000 chômeurs, et 10,9 p. 100 de chômeurs au Québec, soit 400 000 chômeurs.

Nous avons constaté, la semaine dernière, qu'une compagnie à Sainte-Thérèse, Kenworth, va fermer son usine de fabrication de camions lourds et ce gouvernement fédéral n'a rien fait pour sauver 900 emplois à Sainte-Thérèse. Je fais appel encore une fois au gouvernement fédéral pour qu'il fasse les efforts nécessaires pour que cette usine demeure ouverte et que ses employés puissent continuer à travailler.

(1615)

Il faut que le nouveau ministère du Développement des ressources humaines augmente l'efficacité et la productivité. Souvent, des gens viennent me voir et me disent que la durée du traitement des demandes est trop longue. Il faudra donc raccourcir les délais pour traiter les demandes de prestations d'assurance-chômage, les appels de décisions d'assurance-chômage pour les prestataires de la sécurité de la vieillesse, etc.

Une fois de plus, je m'oppose très vigoureusement à la fermeture du Centre d'emploi du Canada situé sur la rue Papineau à Montréal, qui dessert la population de mon comté de Bourassa, déjà durement touchée par le chômage. Cette fermeture sera complétée d'ici à 1997. Les gens de Montréal-Nord ont besoin d'aide, de services, de ressources et non pas que le gouvernement continue à couper à un moment où ils traversent des situations difficiles. Le taux de pauvreté dans mon comté est déjà très élevé.

Dans ce contexte, le gouvernement fédéral devrait également accorder plus de ressources au Programme d'aide aux travailleurs âgés, PATA.

D'autres centres d'emploi ont déjà été fermés ou seront fermés sur l'île de Montréal. Je dénonce, mais avec beaucoup de vigueur, cette fermeture parce que je pense qu'il s'agit d'une fermeture partisane et pour des motifs politiques.

J'ai profité de la période de relâche de la Chambre pour inviter les représentants des organismes communautaires de mon comté à discuter particulièrement des changements à l'assurance-chômage. Je tiens à remercier encore une fois de leur participation tous les organismes qui sont venus à cette rencontre, notamment le CLSC de Montréal-Nord, la CDEC de mon comté qui commence, heureusement, à obtenir les ressources nécessaires pour remplir sa mission très nécessaire dans mon comté. Étaient également présents la maison des jeunes l'Ouverture, Impulsion travail, Rond-point Jeunesse au travail,le centre multiculturel Claire, la Maison Saint-Laurent, la fondation de la Visite, le Centre d'activité pour le maintien de l'équilibre émotionnel de Montréal-Nord, l'Association des travailleurs haïtiens au Canada, Entre-Parents, le centre Louis-Fréchette, etc.

Presque toutes ces organisations ont, d'une part, des clientèles qui reçoivent des prestations d'assurance-chômage, et, d'autre part, ils ont souvent recours aux divers programmes offerts par le Centre d'emploi Papineau.

Les participants ont été choqués de constater qu'encore une fois les coupures se font au détriment des personnes touchées par le chômage. Ces nouvelles mesures viendront accentuer et aggraver le phénomène d'exclusion.

En mars dernier, j'ai dénoncé le refus du gouvernement fédéral d'inclure des clauses sociales dans l'Accord commercial bilatéral entre le Canada et le Chili. Et ce sont les fonctionnaires de ce ministère du Développement des ressources humaines qui négocient au nom du Canada dans le secteur du travail. Grâce à nos pressions et grâce à l'intervention très efficace du mouvement syndical canadien et chilien, le gouvernement s'est résigné à accepter cette demande très légitime. Il faut féliciter le gouvernement chilien qui a toujours reconnu la dimension sociale de l'ALENA et de cet accord commercial.

Cependant le gouvernement canadien ne veut pas aller plus loin que l'accord parallèle qui fait déjà partie de l'ALENA, qui est faible et insuffisant. Cet accord devrait prévoir des mécanismes plus efficaces de défense des droits des travailleurs et des meilleures normes de travail.

J'ai été bouleversé lorsque des travailleurs et des militants syndicaux du Chili, lors de mon voyage dans ce pays en janvier dernier, m'on dit que certaines entreprises canadiennes, notamment des compagnies minières, ne respectaient pas toujours des normes élémentaires de santé et de sécurité au travail. Ils m'ont mentionné, entre autres choses, l'utilisation de substances toxiques interdites au Canada.

Je suis heureux que les investissements canadiens et québécois au Chili atteignent les 7 milliards de dollars.

(1620)

Je profite de cette occasion et de cette tribune pour lancer un appel à la responsabilité sociale des entreprises canadiennes qui investissent en Amérique latine et dans d'autres continents.

Pour terminer, je voudrais aborder brièvement la question des pensions qui relèvent également de ce ministère du Développement des ressources humaines. J'ai été choqué qu'il y ait des gens qui envisagent la privatisation du Régime de pensions au Canada. Je reconnais que d'autres pays qui ont privatisé leur régime de pensions, mais les résultats sont désastreux.

Je m'oppose à toute réduction des prestations et l'accessibilité au régime doit être pleine et entière. L'universalité doit être préservée. Je serais par contre d'accord, par exemple, pour lever le plafond de 35 000 $ de revenu assurable pour trouver plus d'argent. Je m'oppose avec vigueur à l'idée de repousser l'âge de la retraite à 67 ans. Il faut laisser plus de place aux jeunes. Le Régime de pensions du Canada actuel devrait être amélioré et non diminué.

M. Antoine Dubé (Lévis, BQ): Madame la Présidente, le député de Bourassa a fait la démonstration, une fois de plus, de ses connaissances des problèmes des gens de son comté, les gens qu'il représente. Il a aussi démontré qu'il connaissait bien le ministère du Développement des ressources humaines et l'ampleur de ce ministère.

Il faut rappeler qu'une fois qu'on a enlevé du budget fédéral la partie concernant le remboursement de la dette et des intérêts, le ministère du Développement des ressources humaines est celui qui reçoit et occupe la plus grande part du budget fédéral, plus de 40 p.


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100. Il touche énormément de programmes et de services. Le député de Bourassa a rappelé à juste titre l'opération de fermeture de certains centres d'emploi, dont celui de Papineau, comme il a mentionné. Cela s'est fait ailleurs aussi.

Mais voici l'objet de ma question: aujourd'hui, on parle de la loi qui constituera, officialisera le ministère du Développement des ressources humaines. Il s'agit du projet de loi C-11, l'ancien projet de loi C-96, qui reprend sans aucun changement l'ancien projet de loi et on constate qu'on pourrait qualifier cette loi de loi du silence.

Je voudrais demander à mon collègue ce qu'il pense de cela. Cette loi renforcera les pouvoirs du ministre du Développement des ressources humaines. C'est une loi qui permettra d'aller encore s'ingérer davantage, passer par-dessus les juridictions des provinces, notamment en formation. Elle permettra au ministre de passer par-dessus la tête du gouvernement provincial et de rejoindre directement les organismes, les entreprises en matière de formation ou autre sujet, donc quelque chose de majeur, quelque chose qui touche l'aspect constitutionnel. Ce n'est pas le Bloc québécois qui le fait avec plaisir, c'est le gouvernement qui se donne encore plus de pouvoir en matière constitutionnelle pour aller jouer dans les champs de compétence des provinces.

Actuellement, je pose des questions à mon collègue, alors que les réponses devraient venir d'en face. On s'étonne que les gens d'en face, les gens du Québec en particulier, ne prononcent pas de discours, n'interviennent pas sur la loi qui officialisera le plus gros ministère du gouvernement fédéral, que le troisième parti, qui s'occupe habituellement des dépenses de façon très minutieuse, ne s'intéresse pas non plus à ce sujet. Où sommes-nous? J'aimerais que le député de Bourassa commente cette loi du silence qui s'exerce actuellement sur quelque chose, qui est une opération qui vise à mettre encore le Québec à sa place.

M. Nunez: Madame la Présidente, je remercie mon collègue de Lévis qui accomplit un travail extraordinaire en tant que député et en tant que membre du Comité du développement des ressources humaines.

(1625)

Naturellement, je suis d'accord avec lui et avec mon parti à l'effet que le projet de loi C-11 renforce les pouvoirs fédéraux vis-à-vis des provinces. Le ministre, comme je l'ai dit dans mon exposé, va pouvoir négocier directement avec des organisations en passant par-dessus les provinces, et ça, c'est inacceptable.

Dans mon comté, il y a beaucoup d'organismes communautaires. Ils seraient plus prêts à négocier avec le gouvernement du Québec, qui connaît mieux la réalité, qui connaît mieux le problème de Montréal et de Montréal-Nord en particulier, qu'avec Ottawa qui est très lointain. C'est pour ça que je suis totalement d'accord avec ce qu'il dit. Je tiens, encore une fois, à dire que ce projet de loi est de l'ingérence du gouvernement dans les affaires qui relèvent des provinces, particulièrement en matière de formation professionnelle.

M. Maurice Bernier (Mégantic-Compton-Stanstead, BQ): Madame la Présidente, je suis très heureux d'intervenir dans ce débat concernant le projet de loi C-11. Comme mon collègue de Lévis l'a fait remarquer, il y a quelques minutes à peine, il est fort étonnant de constater à quel point le parti ministériel et même le troisième parti en Chambre, le parti réformiste, sont muets à ce sujet.

Il convient de le souligner, il convient que ce soit consigné puisque, comme le député de Lévis l'a mentionné, il s'agit du ministère le plus important sur le plan budgétaire et même sur le plan, je dirais, des conséquences sur la vie de nos concitoyens et concitoyennes; 40 p. 100 du budget fédéral consacré aux dépenses gouvernementales sont administrés ou passent par ce ministère.

Il faut donc se poser la question à savoir pourquoi les députés ministériels sont muets à ce sujet. Comment se fait-il que seule l'opposition officielle, le Bloc québécois, veut intervenir afin d'informer et d'alerter la population concernant les dangers de l'adoption de cette loi et surtout, danger encore plus grand, les conséquences de mettre entre les mains du ministre du Travail autant de pouvoirs. Dans les quelques minutes qui sont mises à ma disposition, je tenterai, au meilleur de ma connaissance, de faire ressortir quels sont ces pouvoirs que le ministre s'accorde par ce projet de loi.

Je veux, pour le faire, me référer au texte même de la loi. Les articles 6 et 7 du projet de loi C-11 nous parlent des attributions du ministre.

L'article 6 stipule:

6. Les attributions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement liés au développement des ressources humaines au Canada ne ressortissant pas de droit à d'autres ministres, ministères ou organismes fédéraux et sont exercés en vue d'améliorer le marché de l'emploi et de promouvoir l'égalité et la sécurité sociale.
Que voilà de bons voeux, des voeux qui devraient recueillir l'assentiment de tout le monde puisqu'on lit, à l'article 6, que ce que le gouvernement fédéral veut faire par la création du ministère, c'est d'assurer l'amélioration du marché de l'emploi et de promouvoir l'égalité et la sécurité sociale. C'est vraiment de la tarte aux pommes; tout le monde est d'accord bien sûr, pour atteindre un objectif semblable.

Qui plus est, quand on lit cet article, on dit que le gouvernement fédéral, le ministre reconnaît qu'il devra le faire dans les champs de juridiction qui sont les siens. Il prend la peine de spécifier que les pouvoirs de son ministère ne devront pas se superposer aux pouvoirs d'autres ministères ou organismes du gouvernement fédéral. Donc, on pourrait dire: «Enfin, le gouvernement fédéral a l'intention de s'occuper de ses propres affaires, de jouer dans sa propre cour, de respecter, conséquemment, les pouvoirs des provinces.»

(1630)

Alors pour comprendre si telle est l'intention du gouvernement, il faut également lire l'article 7 et, par la suite, l'article 20 qui constituent un tout.

À l'article 7, on y dit:


1678

7. Dans le cadre des attributions que lui confère la présente loi ou toute autre loi, le ministre peut:
Il s'agit du ministre du Développement des ressources humaines.

a) sous réserve de la Loi sur la statistique, collecter, analyser [. . .]
Et caetera; ce sont toutes des formalités. À l'alinéa b), on dit:

b) le ministre peut collaborer avec les autorités provinciales en vue de coordonner les efforts visant à maintenir ou à améliorer le développement des ressources humaines.
C'est bien dit, et si les mots ont un sens, même dans cette enceinte, je dois lire: «le ministre peut collaborer»; il ne doit pas collaborer, il n'est pas obligé, il n'est pas tenu, il «peut» collaborer avec les autorités provinciales. Cela veut donc dire que le ministre a toute la marge de manoeuvre qu'il veut, qu'il peut souhaiter pour accepter ou refuser de collaborer avec le gouvernement provincial.

À l'article 6, on dit que le ministre ne doit pas jouer dans les juridictions des autres ministères ou organismes fédéraux, mais à l'article 7, à l'alinéa b), on dit qu'il «peut» collaborer avec les provinces. On connaît l'expérience du gouvernement fédéral depuis qu'il existe qui consiste à vouloir investir par tous les moyens acceptables ou inacceptables les champs de juridiction provinciale.

On l'a vu dans le passé, on l'a vu à maintes reprises, que l'on parle des pensions de vieillesse, que l'on parle des allocations familiales, que l'on parle de l'assurance-chômage, toutes ces matières étaient de juridiction provinciale. Et au cours des années, pour toutes sortes de raisons, tantôt c'était à cause de la crise économique des années 1920, plus tard, ce fut à cause de la guerre, le gouvernement fédéral s'est arrogé des pouvoirs, soit dit en passant de façon temporaire, qui, par la suite, sont devenus permanents. Ils ont même été constitutionnalisés avec le temps, comme c'est le cas avec l'assurance-chômage.

Donc, il n'y a pas lieu d'être rassuré quand on lit l'article 6 en lien avec l'article 7.

Si vous le permettez, faisons un petit saut et prenons maintenant connaissance de l'article 20. Que dit-on à l'article 20 du projet de loi C-11? On est toujours à l'étude du même projet de loi, il est donc pertinent de faire ce lien. À l'article 20, on y dit:

20. En vue de faciliter la formulation, la coordination et l'application des politiques et programmes relatifs aux attributions énoncées à l'article 6, le ministre peut conclure un accord avec une province,
-peut conclure un accord avec une province, on répète ce qu'on trouve à l'article 7-

un organisme public provincial, une institution financière ou toute personne ou organisme de son choix.
Alors là, la boucle est bouclée, comme on dit chez nous, puisqu'on vient de comprendre que le ministre peut décider de collaborer avec une province. C'est à l'alinéa 7b). Donc si, par hasard, le ministre ne veut pas collaborer avec une province, il peut s'en dispenser. Mais que va-t-il faire à ce moment-là, en vertu de l'article 20? Il va passer par-dessus la tête des provinces et aller directement négocier ou faire des ententes avec des organismes dans chacune des provinces.

(1635)

Ce n'est pas dit dans l'article 20, parce que le gouvernement fédéral veut tromper ou veut cacher la vérité. Ce n'est pas dit, à l'article 20, que le gouvernement fédéral ou un de ses organismes pourra faire affaire directement avec une municipalité, mais il faut comprendre qu'un organisme public provincial, c'est une municipalité. Une municipalité est un organisme, une créature du gouvernement des provinces. C'est donc dire, si je comprends bien la portée de cet article, que le gouvernement fédéral se donne, par l'adoption de ce projet de loi, toute la marge de manoeuvre, je le répète, toute latitude pour passer par-dessus la tête des gouvernements provinciaux et aller transiger directement avec les municipalités ou avec des organismes qui évoluent au palier provincial.

C'est ça l'intention du gouvernement, c'est ça l'intention du ministre, et on sait, surtout avec le ministre actuel, qu'il ne se gênera pas pour mettre de côté les provinces et surtout le Québec, bien sûr, et pour essayer de faire des ententes qui iront à l'encontre de la volonté, des objectifs, et des politiques poursuivis par le gouvernement du Québec.

Et, dans les minutes qui me restent, je voudrais parler justement de la volonté qui existe au Québec, la volonté commune et consensuelle, concernant les politiques de formation de la main-d'oeuvre. Ce n'est pas le seul domaine où le Québec sera unique, où nous sommes un foyer distinctif, et le ministre des Affaires intergouvernementales voudra peut-être adopter un autre terme puisque la «société distincte» comme le «foyer principal» ont disparu. Peut-être que le terme «foyer distinctif» pourrait faire l'affaire pour une couple de semaines, mais toujours est-il qu'il existe au Québec, depuis des années, je dis bien des années, un consensus entre tous les intervenants, toutes les parties. Cela veut dire le gouvernement du Québec, les centrales syndicales et également le patronat. Pour la première fois dans l'histoire politique du Québec, je dirais, un consensus s'est dégagé pour demander au gouvernement fédéral de se retirer du champ de la formation de la main-d'oeuvre, pour demander au gouvernement fédéral d'enlever ses gros sabots de cette juridiction provinciale et d'éviter la duplication et la multiplication des interventions dans un domaine névralgique, non seulement sur le plan économique mais dans la vie quotidienne de nos concitoyens et concitoyennes. On parle du monde, du vrai monde ordinaire, qui, au travail, ou à cause de la fermeture de leur entreprise, ont besoin de se recycler ou d'une formation supplémentaire.

Comme mes collègues l'ont fait ici et dans d'autres forums, combien de fois a-t-on répété qu'il fallait faire le ménage dans la formation de la main-d'oeuvre? Au Québec, tous les organismes patronaux, syndicaux ainsi que le gouvernement ont dit la même chose, non pas simplement le gouvernement séparatiste qui est au pouvoir actuellement, mais le gouvernement fédéraliste qui a précédé le gouvernement de M. Bouchard, c'est à dire le gouvernement de M. Johnson, le gouvernement de M. Bourassa, et M. Bourassa ne peut pas être accusé d'avoir quelque tendance séparatiste que ce soit.


1679

(1640)

S'il y a quelqu'un qui était prêt à faire tous les compromis, je dirais toutes les compromissions, pour faire en sorte que le Québec demeure au sein de la fédération canadienne, c'est bien l'ex-premier ministre du Québec, M. Bourassa. Eh bien, même son gouvernement et lui-même ont adhéré à ce consensus québécois pour faire en sorte que la formation de la main-d'oeuvre soit reconnue comme étant de compétence exclusive provinciale, ce qui est déjà le cas dans la Constitution, mais pour demander au gouvernement fédéral de s'en retirer complètement.

Or, on constate, à la lecture du projet de loi qu'on a devant nous, en lisant les articles 6, 7b) et 20, que non seulement le gouvernement fédéral n'a pas l'intention de respecter ce consensus, mais qu'il a plutôt l'intention de continuer à faire ce qu'il a toujours fait depuis nombre d'années, c'est-à-dire d'intervenir à peu près n'importe comment, n'importe quand, et auprès de n'importe qui.

Période de questions après période de questions, le premier ministre s'est levé en cette Chambre, la vice-première ministre, l'ex-ministre responsable du Développement des ressources humaines et l'actuel détenteur de ce portefeuille se sont levés, l'un après l'autre en Chambre, pour dire à quel point ils ont l'intention, la volonté de décentraliser, de permettre d'évacuer ce champ de compétence des provinces pour faire en sorte de respecter la Constitution.

Ils tiennent ce discours jour après jour, période de questions après période de questions, campagne électorale après campagne électorale, mais dans les faits, quand vient le temps de prendre une décision, la première chose qu'ils font, c'est d'écrire noir sur blanc qu'ils ont l'intention d'agir dans le sens contraire.

Après, on se surprendra du cynisme, pour ne pas dire davantage, qui existe au sein de la population face à la politique et aux politiciens. Cela s'appelle parler des deux côtés de la bouche en même temps. On ne peut pas dire une chose et son contraire et soutenir qu'il n'y a pas incohérence.

Le gouvernement fédéral répète qu'il est prêt et qu'il veut se retirer du champ de la main-d'oeuvre. Pourquoi ne pas avoir écrit dans son projet de loi qu'il abandonnait ce secteur aux provinces et que, pour ce qui concerne le Québec, il reconnaissait une fois pour toutes le consensus qui a place au Québec. Cela aurait été simple, cela aurait été facile. Je suis convaincu que pour une fois, on aurait eu l'unanimité en cette Chambre autour d'un projet de loi puisque c'est ce que réclament tous les intervenants du Québec.

Je pense que le ministre a encore quelques possibilités d'intervenir avant que le projet de loi ne soit adopté. Il faut donc que le ministre responsable du Développement des ressources humaines et son premier ministre se parlent dans les meilleurs délais, conviennent qu'il y a une lacune, c'est le moins qu'on puisse dire, dans ce projet de loi, et que vraiment, il ne rencontre pas les intentions du gouvernement fédéral qui parle d'abandonner le champ de la main-d'oeuvre. Alors, il pourrait procéder aux modifications nécessaires.

Il n'y a rien qui constituerait plus une preuve éloquente de la bonne volonté du gouvernement que s'il profitait de ce débat pour annoncer une fois pour toutes son intention de se retirer complètement du champ de la main-d'oeuvre. En cela, il recevrait l'appui total des intervenants du Québec, de l'opposition officielle et je pense que ce serait la meilleure façon de clore ce débat.

(1645)

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Madame la Présidente, je voudrais remercier mon collègue de son excellent exposé, qui a montré encore une fois l'importance de ce dossier de la main-d'oeuvre.

Je voudrais dire, avant de lui poser une question, combien ce projet de loi cependant a une portée plus large, parce que le développement des ressources humaines peut être plus que de la formation et de l'adaptation de la main-d'oeuvre. Ça peut toucher la formation directement, ça peut toucher les politiques familiales. Au fond, ça peut toucher tout ce qui a trait au développement humain.

Il a raison de souligner avec force que, en particulier, il est outrageant de voir que ce dossier de la formation de la main-d'oeuvre n'est pas encore réglé, alors que le consensus au Québec est si fort et depuis si longtemps. Je citais ce matin une lettre de 1991 du ministre Bourbeau, alors ministre de la Main-d'oeuvre, au ministre fédéral Valcourt. Il y rappelait exactement les mêmes demandes, c'est-à-dire qu'il s'opposait à toute intervention du fédéral qui passe par-dessus la province dans le champ de la main-d'oeuvre.

Il faisait état de cette correspondance qui avait lieu entre lui etM. Valcourt, mais il rappelait aussi qu'il avait discuté de cela avant avec Mme McDougall et convenu avec elle qu'elle ne passerait pas par-dessus la tête de la province. Il dit cependant ceci qui est intéressant sur le rapport avec les débats constitutionnels. Il dit: «Mme McDougall m'a fait savoir que le gouvernement fédéral associait les demandes du Québec au processus de révision constitutionnel. J'ai déploré cette orientation parce que même si la plus grande harmonie constitutionnelle régnait au pays-ce qui n'est pas le cas on le sait, surtout depuis le 30 octobre-le Québec formulerait les mêmes demandes dans le domaine de la main-d'oeuvre, tant est urgente pour le développement économique du Québec la nécessité de rendre les programmes de main-d'oeuvre efficaces et dessinés à partir des priorités du marché du travail propre au Québec.» C'est M. Bourbeau, ministre libéral fédéraliste.

Alors, inutile de dire que, cinq ans plus tard, quand on voit que le ministre reprend à son compte le projet de loi C-96, qui est devenu C-11, et qu'il prétend, dans tous les champs du développement de la main-d'oeuvre, pouvoir passer outre à la province, conclure des ententes avec n'importe qui sans pouvoir pour la province de se retirer d'une entente et de gérer elle-même les fonds afférents, on ne peut pas faire autrement qu'être scandalisés. Pourquoi? Parce que cette question n'en est pas une de chicane entre les deux paliers de gouvernement. C'est l'urgence absolue de faire en sorte que l'argent rare soit mis au service du monde et que c'est le gouvernement du Québec qui est le responsable du développement économique et social du Québec. C'est lui qui est proche des citoyens. C'est lui qui a le devoir et la responsabilité d'avoir les instruments nécessaires pour aider les citoyens.


1680

Ce n'est pas pour rien qu'il y a eu la Société québécoise de développement de la main-d'oeuvre avec le patronat, les syndicats et tout le monde. C'est parce qu'il y a un constat terriblement urgent.

J'aimerais demander à mon collègue comment, justement, chez lui, concrètement, dans son comté, le besoin de mettre toutes les ressources au service des citoyens se fait sentir.

M. Bernier (Mégantic-Compton-Stanstead): Madame la Présidente, je remercie ma collègue de Mercier qui, comme tout le monde le sait, est une spécialiste en cette matière et qui nous ramène toujours également sur le plancher des vaches.

(1650)

Je ne veux pas parler d'agriculture, même si cela ferait plaisir au député de Beauséjour. On adopte divers projets de loi, et il arrive qu'on adopte des projets de loi en Chambre qui sont un peu «flyés», si vous me permettez l'expression, ou qui touche de loin les gens dans leur vie quotidienne. Mais ce projet de loi, à sa première lecture ou du moins en référant au titre du projet de loi, Loi constituant le ministère du Développement des ressources humaines, nous incite à nous demander quelles conséquences ou quels liens il aura sur la vie de nos concitoyens et concitoyennes.

La députée de Mercier vient de rappeler que c'est au quotidien qu'on peut constater les effets pervers d'un tel projet de loi et, encore plus, bien sûr, des décisions qui sont prises par le ministre du Développement des ressources humaines. Effectivement, dans mon comté, comme dans tous les comtés du Québec, combien de fois avons-nous entendu des chômeurs, des chômeuses, des propriétaires de petites entreprises, de petits commerces, des propriétaire de moyennes entreprises, de grandes entreprises venir se plaindre du fait qu'ils devaient consacrer du temps-et en affaires, le temps, c'est de l'argent-pour s'occuper des fonctionnaires, pour répondre aux demandes des fonctionnaires de toutes sortes, de tous les ministères. En plus, il y a d'autres fonctionnaires qui viennent poser les mêmes questions dans le même domaine; un qui relève du gouvernement du Québec et un autre qui relève du gouvernement fédéral.

C'est pourquoi dans le domaine de la formation de la main-d'oeuvre, comme ma collègue l'a dit, le ministère du Développement des ressources humaines touche à une infinité de secteurs, et on pourrait faire le même constat dans d'autres secteurs qui relèvent de ce ministère. Cela a créé, avec le temps, une espèce de Tour de Babel où une chatte ne peut pas retrouver ses petits. On le sait, ça a été dit, ça a été démontré à je ne sais combien de reprises, et c'est pour cela, ce n'est pas par grandeur d'âme ou parce que les différentes organisations ont oublié leur mission ou leur clientèle, je pense au Conseil du patronat qui s'entend avec la CSN ou la FTQ, ce n'est pas par plaisir, ce n'est pas parce qu'ils ont l'intention de soutirer des avantages à la CSN, c'est parce qu'ils voient leur intérêt à tous dans le fait d'arriver à ce consensus.

C'est la même chose pour les syndicats. Je ne pense pas que Gérald Larose soit très friand de se retrouver à la même table que Ghislain Dufour du Conseil du patronat. Mais quand il s'agit de la formation de la main-d'oeuvre, quand il s'agit d'assurer aux Québécois et aux Québécoises une formation qui les rend compétitifs sur le marché du travail, qui les rend non seulement compétitifs mais meilleurs dans leur emploi, qui fait qu'on fait des produits de meilleure qualité, tout le monde y trouve son compte. C'est ça, le consensus au Québec.

Ce n'est pas compliqué. On est obligé d'en arriver à des résultats concrets. On doit s'entendre patronat, syndicats, gouvernement pour que nos travailleurs et travailleuses soient bien formés, pour que nos usines fonctionnent selon les attentes des consommateurs, et pour que tout le monde y trouve son compte. Il faut faire le ménage dans les différents programmes, éviter la duplication, arriver avec des programmes qui correspondent à la réalité, qui font que si on a besoin d'avoir des cuisiniers, que ce soient des cuisiniers ou des cuisinières qu'on forme et non pas des ingénieurs.

Comme ma collègue de Mercier l'a mentionné, ça touche les gens dans leur quotidien. Or, il est important, et je terminerai là-dessus, il est important que le gouvernement libéral, certains de ses représentants suivent ce débat actuellement, parlent à leur collègue, tentent de convaincre le ministre, si c'est possible, je leur souhaite bonne chance, on a de la difficulté quant à nous, tentent de convaincre leur collègue, le ministre du Développement des ressources humaines, d'améliorer son projet de loi et de tout de suite annoncer qu'il respectera les champs de juridiction provinciale.

(1655)

[Traduction]

M. Jim Silye (Calgary-Centre, Réf.): Madame la Présidente, je m'élève contre les propos du député. Dans son introduction, il s'est dit étonné et déçu de ce que le gouvernement et le tiers parti n'ont rien dit au sujet de ce projet de loi. Je m'inscris en faux contre cette observation.

Nous n'avons pas garder le silence sur cette mesure législative. J'aimerais qu'il reconnaisse ce fait. Nos deux critiques sont intervenus à la Chambre aujourd'hui pour exprimer le point de vue de notre parti. Ils l'ont exprimé on ne peut plus clairement et avec beaucoup d'éloquence. J'aimerais que le député le reconnaisse.

Ce n'est pas parce que son parti souhaite prolonger le débat en multipliant le nombre des intervenants que le député peut se permettre de s'en prendre aux députés du tiers parti, alors qu'ils se sont bel et bien prononcés sur ce projet de loi. Daignerait-il le reconnaître?

[Français]

M. Bernier (Mégantic-Compton-Stanstead): Madame la Présidente, je répondrai très brièvement.

Si j'ai pu, par ces remarques, stimuler nos amis du Parti réformiste à prendre conscience de l'importance de ce débat et à vouloir intervenir, c'était là effectivement mon intention et je ne dis pas qu'il n'y trouve aucun intérêt, mais il y trouve un intérêt pour le moins mitigé, puisqu'on a entendu très peu de porte-parole.

Quant à nous, notre intention n'est pas de prolonger indûment ce débat. L'intention du Bloc québécois est de faire comprendre l'importance et surtout les conséquences épouvantables de l'adoption de ce projet de loi.


1681

M. Nic Leblanc (Longueuil, BQ): Madame la Présidente, oui, je suis du comté de Longueuil, le plus beau comté du Québec d'ailleurs, près du fleuve Saint-Laurent, un comté assez historique, un comté où on reconnaît l'histoire des Canadiens français, l'histoire du Québec. Il y a d'anciennes maisons. Je suis même propriétaire d'une maison qui fut construite en 1854. Cette maison a été achetée par les Oblats quand ils sont arrivés au Canada. Ils se sont installés sur la rue Saint-Charles à Longueuil. Les Oblats, comme vous le savez, étaient des missionnaires, des découvreurs, des gens qui ont favorisé le développement du Québec et nous en sommes très fiers.

Pour revenir au projet de loi C-11, encore une fois, le gouvernement libéral se sert. Il crée un nouveau ministère, il change le nom du ministère pour permettre, en tant que gouvernement, de se donner plus de pouvoir, tellement de pouvoir que mes collègues du Bloc québécois qui m'ont précédé ont très bien expliqué, pour faire en sorte que le ministre ait des pouvoirs extraordinaires de s'ingérer à gauche et à droite, de s'ingérer dans l'entreprise privée, avec les provinces ou certaines provinces dans le but de créer une façon de fonctionner qui ira au détriment du ministère de l'Emploi du Québec.

Au Québec, nous avons créé, il y a quelques années, une société de développement de la main-d'oeuvre. Cette société représente une volonté unanime de tous les Québécois, qu'ils soient du milieu des affaires, du milieu syndical ou des deux principaux partis, c'est-à-dire le Parti québécois et le Parti libéral du Québec. Il y a une concertation bien établie. Il y a une volonté de tous les Québécois de tous les milieux pour se donner une façon de gérer nos chômeurs ou nos assistés sociaux, ceux qui ont eu le malheur de perdre leur emploi. Il y en a qui ont eu le malheur de perdre leur emploi à cause de la gestion fédérale.

(1700)

On sait que le fédéral, par ses politiques de vouloir prendre tous les pouvoirs ici à Ottawa, veut démontrer aux Québécois qu'il est le grand maître, le grand dirigeant de ce pays. Il veut démontrer que sans lui, on ne pourrait pas survivre au Québec. Toutes les mesures qu'il a prises ont fait en sorte de créer l'inflation dans certains cas, et après qu'il ait eu créé l'inflation, il a augmenté les taux d'intérêt, il a créé des récessions entre 1970 et 1980.

Entre 1984 et 1986, on a vécu le même problème, c'est-à-dire qu'on a créé les récessions, on a créé l'inflation. Alors, la vraie cause des problèmes sociaux que nous vivons au Québec est particulièrement liée aux mauvaises opérations du gouvernement fédéral. Aujourd'hui, le ministre veut se donner des pouvoirs pour pouvoir mieux gérer l'assurance-chômage. Il en est la cause, de l'assurance-chômage.

Je tiens à vous faire remarquer qu'on ne peut pas avoir beaucoup confiance en ce gouvernement libéral. Pas plus tard qu'il y a trois semaines, je questionnais le secrétaire d'État aux Finances qui nous disait qu'il voulait créer un fonds d'assurance-chômage et, en même temps, il disait qu'il voulait prendre ce fonds, cette somme d'argent recueillie à partir des cotisations des employés et des employeurs, une somme d'environ cinq milliards de dollars par année, afin de pouvoir percevoir plus pour la remettre ensuite par ses nouvelles façons de gérer l'assurance-chômage.

Il disait que ce fonds servirait à diminuer la dette canadienne et en même temps, il disait qu'il voulait créer un fonds pour permettre d'accumuler l'argent nécessaire pour faire face aux années maigres. Je devrais peut-être lui que nous sommes dans les années maigres.

S'il dit qu'il veut créer un fonds pendant les années maigres, comment le gouvernement fédéral va-t-il cueillir des sommes dans les années grasses? On dit qu'il cueillera cinq milliards de dollars en fonds pendant une année maigre comme on en vit à l'heure actuelle, ça veut dire que dans les années grasses, il cueillera combien? Dix milliards? Quinze milliards? Où ira cet argent? Dans le Fonds consolidé, c'est-à-dire pour servir à diminuer la dette canadienne.

On se sert des pauvres, c'est-à-dire principalement de nos petites et moyennes entreprises. On sait qu'on a diminué le niveau de salaire, et plus le niveau de salaire sera élevé, moins on va payer. Comme on le sait, chez nous au Québec, il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises. Nos salaires sont plus bas, donc ce sont nos petites et moyennes entreprises qui paieront davantage. Cela veut dire que les employés et les employeurs, encore une fois, vont, d'une certaine façon, être victimes d'une nouvelle taxe pour diminuer le déficit fédéral.

Comme on dit, c'est une façon assez particulière de régler les problèmes financiers en se servant des employés et des petites et moyennes entreprises du Québec pour diminuer le déficit fédéral. Vous voyez que nous avons très peu confiance en cette façon de faire. Le fait qu'on donne plus de pouvoir, dans ce projet de loi, au ministre, vous comprendrez encore une fois qu'on a peur et que nous sommes très inquiets pour l'avenir.

En ce qui concerne cette volonté pour le Québec de vouloir obtenir la formation de la main-d'oeuvre, mes collègues en ont parlé avant et je le répète encore, on le répète depuis des années, il y a des raisons pour cela. Le Québec est une société distincte. Qu'on le veuille ou non, nous sommes une société distincte. C'est un fait.

(1705)

C'est une réalité. Il faut une fois pour toutes que le Canada anglais comprenne que le Québec est une société distincte.

Nous sommes une société distincte, pas nécessairement par rapport à la langue française. En ce qui concerne la langue française, il est sûr que c'est une évidence même. Le fait est que les Québécois et les Québécoises parlent français et qu'un très bon pourcentage de Québécois francophones ne parlent pas anglais. Par exemple, le ministre pourrait, si un Québécois perd son emploi, est au chômage, lui demander d'aller travailler à Toronto ou à Vancouver. On appelle cela la mobilité du personnel.

On dit qu'une personne qui perd son emploi devra aller travailler à Vancouver, par exemple, ou à Toronto. Un Québécois francophone qui ne parle pas anglais pourrait refuser d'aller travailler à Toronto ou à Vancouver, et cela ferait en sorte qu'il perdrait son assurance-chômage, parce qu'on obligerait un francophone québécois d'aller travailler dans une région où il ne peut pas, en principe, aller


1682

travailler. Il n'est pas intéressé non plus à aller y travailler. C'est un changement trop important qu'on exige de cette personne-là.

Quand on parle de la société distincte du Québec, on ne peut pas faire des règlements de la même façon pour les Québécois que pour les autres Canadiens. C'est une des raisons pour lesquelles nous croyons que le Québec devrait prendre charge de l'assurance-chômage, prendre charge de la formation de la main-d'oeuvre. C'est une volonté unanime du Québec.

Le Québec n'est pas une société distincte strictement par rapport à sa langue. Le Québec n'est pas une société distincte strictement par rapport à son folklore. Ce n'est pas simplement la danse qui fait la différence. Nous dansons les sets carrés et les sets carrés viennent particulièrement de l'Écosse et des Irlandais. Ce n'est pas simplement à cause de la danse, à cause du folklore que nous sommes une société distincte. Nous avons une culture distincte.

Nous avons une société distincte particulièrement en ce qui concerne nos institutions financières. On en parle encore une fois en ce qui concerne les amendements qui touchent les institutions financières, mais au Québec nous avons des institutions financières distinctes. Cela a une très grande importance.

Juste le Mouvement Desjardins, par exemple, représente plus de 80 milliards de dollars d'actif. C'est très important. Pourquoi les Québécois ont-ils été obligés de mettre en place des institutions financières? C'est parce que le Canada anglais ne permettait pas de prêter de l'argent à nos bons Québécois francophones qui en avaient besoin. On ne leur en prêtait pas. On prêtait simplement aux anglophones, aux entreprises anglophones du Québec.

Alors on a été obligés de créer nos institutions financières avec des chartes québécoises, des règles québécoises. Et cela, c'est seulement Desjardins.

Nous avons des mutuelles d'assurance à charte québécoise qui ont été créées de toutes pièces pour les besoins du Québec. Nous avons aussi la Caisse de dépôt qui compte environ plus de 50 milliards de dollars que nous gérons. Cet argent sert à développer notre économie, à faire des prêts à nos entreprises, à s'associer à certaines entreprises. C'est cela une société distincte. Cela veut dire que nous avons créé des institutions financières. Nous avons créé des entreprises. Nous avons créé tout cela.

Aujourd'hui, vous comprendrez que nous n'avons pas l'intention de perdre tous ces acquis que nous avons gagnés à la sueur de notre front, et durement. Comment voulez-vous qu'aujourd'hui on accepte que ce soit le fédéral qui décide de quelle façon on devrait être formés, quelles règles le fédéral devrait établir lui-même sans notre consentement?

Par exemple, que l'on regarde ce qu'on vient de faire avec notre projet de fusion à Varennes. On a décidé unilatéralement que la priorité du fédéral n'était pas la fusion nucléaire.

(1710)

On retient unilatéralement. On ne parle pas au Québec. On ne parle pas aux autres investisseurs, il y a l'Hydro-Québec qui fait partie de cela. On décide unilatéralement de se retirer au niveau de la recherche.

Le grand maître fédéral décide par lui-même, tout à coup, de se retirer ou de changer les règles du jeu sans tenir compte des efforts que nous avons faits au Québec pour nous développer. Nous avons créé une foule de choses. Avec tous les efforts qu'on a faits, si on réussit à n'avoir pas plus de 10 ou 12 p. 100 de chômage, on est des vedettes, nous sommes des gens extraordinaires. Jamais le fédéral ne nous a tellement aidés au plan du développement économique. On a été obligés de le faire nous-mêmes en travaillant très fort.

Vous pensez qu'on peut avoir confiance au fédéral pour se développer? Quand on pense, par exemple, qu'en recherche et développement, j'ai eu l'occasion de faire une étude à ce sujet en 1989, les contrats que le fédéral octroie au Québec, à partir de nos impôts, en recherche et développement-ça fait un peu partie de la formation, ça fait partie des besoins d'une entreprise, une entreprise a besoin de se développer comme on a besoin de former des personnes, tout ça se tient-les contrats en recherche et développement que le gouvernement fédéral remet pour aider les entreprises ou autres institutions d'enseignement et autres représentaient 1,2 milliard de moins que ce qu'on donnait à l'Ontario.

Je ne me souviens pas exactement du montant, il y a un bout de temps que j'ai fait ça, mais je me souviens très bien du montant qui était 1,2 milliard de dollars de moins par année que le Québec recevait en recherche et développement des contrats venant du gouvernement fédéral. Quand on se demande pourquoi il y a plus de chômage au Québec qu'en Ontario, la réponse est là.

Ce matin, au Comité de l'industrie, j'ai demandé aux gens de Statistique Canada, qui étaient là comme témoins, comment sont répartis les employés de Statistique Canada? On m'a répondu qu'ils étaient bien répartis, relativement représentés par rapport à la population. J'ai aussi demandé qu'on me donne des détails. On m'a dit qu'ils avaient environ 4 600 employés à Statistique Canada, dont environ 3 500 à Ottawa. À ce que je sache, Ottawa est en Ontario, 346 millions de dollars dépensés pas Statistique Canada, mais si vous faites la relation entre 4 600 employés et 3 600 en Ontario, vous allez voir que les retombées pour l'Ontario sont nettement supérieures et cela fait la différence entre tout ça.

Tout ça pour vous dire qu'on ne peut pas faire confiance au gouvernement fédéral pour nous développer. Nous n'avons vraiment pas confiance. Quand on dit que le passé est garant de l'avenir, je peux vous dire que nous n'avons nettement pas confiance au gouvernement fédéral pour s'occuper de la formation de la main-d'oeuvre, pour s'occuper de nos gens en chômage.

On dit que le chômage est seulement de 10 p. 100, 11 p. 100 au Québec, il faut remarquer que le chômage est encore beaucoup trop élevé au Québec comparativement aux États-Unis où il est d'environ 5 p. 100, mais le pire c'est qu'il s'il y a un peu moins de chômage qu'il devrait y en avoir c'est parce que les chômeurs maintenant qu'ils ne reçoivent plus de chômage sont rendus sur le bien-être social.

Au Québec, le bien-être social est très élevé. Pourquoi? C'est parce que les gens perçoivent moins longtemps de chômage parce qu'ils travaillent moins. Pourquoi a-t-on plus de chômage au Québec? C'est pour les raisons que j'ai mentionnées tantôt. C'est parce que le gouvernement fédéral n'a jamais pris le Québec au sérieux et qu'on a été obligé de travailler toujours beaucoup plus fort, plus intensément pour arriver à faire en sorte que l'on puisse s'épanouir économiquement.


1683

(1715)

La société distincte, c'est ça. Jamais le Québec ne va accepter, à moins qu'il n'y ait des changements majeurs, de faire confiance au gouvernement fédéral pour gérer ses affaires.

Je conclus là-dessus, et je vous remercie beaucoup, madame la Présidente.

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): Madame la Présidente, pour mon premier discours à la Chambre, j'aimerais tout d'abord remercier les gens de mon comté qui ont su me faire confiance. Comme vous le savez, et comme vous pouvez le constater, je suis le plus jeune député de la Chambre des Communes. Il n'était pas évident, au début, lorsque je me suis présenté, que ma jeunesse serait un atout. Et d'ailleurs, je félicite également le Bloc québécois, qui est un parti ouvert, tourné vers l'avenir et qui est prêt à aller vers un futur avec les jeunes de toutes les palettes de la société. J'en suis très fier.

Je suis également heureux et c'est un grand honneur pour moi de représenter le comté de Lac-Saint-Jean. Un Tremblay qui représente le comté de Lac-Saint-Jean, un comté qui a su innover, un comté qui, en fin de compte, est un peu le coeur battant du Québec. Je ne veux pas offenser mes collègues ici, près de moi, mais le comté de Lac-Saint-Jean est le premier qui a dit oui au projet souverainiste, avec la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je parle du référendum de 1980, bien sûr. Il a amené le reste du Québec avec lui, comme on l'a vu lors du dernier référendum. C'est un comté qui a donné naissance, ou pratiquement naissance, au Bloc québécois avec notre prédécesseur, M. Lucien Bouchard, qui est maintenant le premier ministre du Québec.

Quand je dis que c'est le coeur battant du Québec, ce n'est pas seulement en politique. On peut aussi parler de Michel Gauthier qui vient de Roberval, le comté voisin du mien, qui fait aussi partie de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. C'est un comté qui en est vraiment le coeur battant. C'est aussi, pour moi, un comté regroupant des gens chaleureux, un comté accueillant, un comté où les gens sont de bons vivants, où les gens sont «d'adon». On a même inventé cette expression, madame la Présidente, elle est bien locale, et je ne crois pas que l'interprète puisse la traduire.

Malheureusement, c'est un comté qui fait face à certains problèmes et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de me lancer en politique. Comme bien des régions du Québec, et même du reste du Canada et du monde, des régions éloignées, c'est une région qui vit un grave problème, c'est-à-dire l'exode de ses jeunes et de bien d'autres personnes. Cela est dû au problème de l'emploi.

Une autre raison, c'est que mon comté est victime du passage de l'ère de l'industrialisation à l'ère de la PME. On aura probalement besoin, et je l'espère, de l'aide du gouvernement fédéral pour le soutien à l'entreprise.

C'est également un comté qui, pour moi, est bourré de potentiels, de ressources naturelles et de gens pleins de ressources. C'est un comté, et même une région, qui a su innover, au Québec. D'ailleurs, dernièrement, en septembre dernier, il s'est donné une planification stratégique régionale. Quand il s'est aperçu que cela allait mal, il a réuni tous ses intervenants pour se donner une ligne directrice. Et le principal élément qui en est ressorti, c'est la décentralisation.

Cela m'amène maintenant à parler de ce projet de loi qui, contrairement à ce que notre région et tout le Québec pensent, va à l'encontre de la philosophie de tous les Québécois, c'est-à-dire la décentralisation. En fin de compte, nous voulons être maîtres chez nous, nous voulons gérer nos affaires, et plus les choses seront près de la population, mieux ce sera.

(1720)

Lors du dernier référendum qu'on a perdu-dire qu'on l'a perdu, ce sont des bien grands mots. . .

M. Leroux (Shefford): On l'a presque gagné.

M. Tremblay (Lac-Saint-Jean): On l'a presque gagné, oui. J'avais un soupçon d'espoir. Je me disais: En fin de compte, le gouvernement de Jean Chrétien nous avait promis de décentraliser, il nous avait promis un nouveau pays. Mais malheureusement, avec ce projet de loi, on voit encore qu'on s'est fait avoir carrément. On peut voir encore qu'on ne peut pas croire en ce gouvernement et qu'on ne peut pas croire au système fédéraliste.

Ce projet de loi accentue la présence du fédéral dans beaucoup de domaines. En fin de compte, on doit se rappeler du domaine de l'assurance-chômage. On le sait très bien, une région comme la mienne a besoin de l'assurance-chômage, et le nouveau projet de loi aura des répercussions néfastes sur ma région.

Il y a également les programmes de sécurité du revenu pour les enfants et pour les aînés. Ce projet de loi touche aussi le soutien aux provinces dans le secteur de l'enseignement postsecondaire et du bien-être social, de l'adaptation au marché du travail, du développement social ainsi que des prêts aux étudiants. En fin de compte, c'est un projet de loi qui centralise beaucoup trop.

Vous savez, quand on se promène partout au Canada et qu'on se fait demander: «What does Québec want?» Je vais vous le dire, moi: on veut de la décentralisation, on veut être maîtres chez nous. Le fait de dire qu'on veut gêner nos affaires, qu'on veut décentraliser amène un large consensus. On n'a qu'à parler du développement de la main-d'oeuvre qui est un simple exemple. Ce large consensus, tout le monde le fait pratiquement: l'actuel gouvernement du Québec et l'ancien gouvernement. On n'a qu'à parler de M. Bourassa qui était dans la même voie, du Conseil du patronat; on n'a qu'à parler des centrales syndicales, des réseaux d'éducation, des forums emploi, on veut gérer nos affaires, c'est très simple.

Je conclurai mon premier discours en disant que j'espère que le ministre aura encore le courage d'apporter des amendements et d'écouter sa population qui, elle, la veut cette décentralisation. Je ne pourrai terminer sans remercier encore une fois le citoyens du comté de Lac-Saint-Jean qui ont su faire confiance en leur jeunesse. Je peux vous dire que je serai toujours là pour représenter mon comté qui est pour moi un des plus beaux comtés du Québec.

Une voix: Vive le Lac-Saint-Jean!

Des voix: Bravo!

M. Antoine Dubé (Lévis, BQ): Madame la Présidente, je tenais à faire un commentaire parce que l'arrivée du nouveau député du comté de Lac-Saint-Jean constitue pour moi le transfert d'une responsabilité, celle de critique de formation et jeunesse. J'étais moi-même d'accord pour ce que ce dossier lui soit confié puisqu'il est le plus jeune député du Bloc québécois, le plus jeune député de la


1684

Chambre des communes. J'ai déjà été jeune bien sûr, la jeunesse accompagne l'âge, mais je pense qu'il nous a démontré dans son premier discours, discours qu'il a fait avec éloquence, qu'il peut parler avec son coeur. Quand il parlait du «coeur battant», je sentais qu'il était un député qui nous démontrait déjà qu'il a beaucoup de coeur.

Il a étalé ses préoccupations et je pense que dans ses discours antérieurs je l'ai entendu parler de ses préoccupations pour la jeunesse.

Il a beaucoup parlé de son comté, mais il a aussi parlé de la jeunesse. J'aimerais lui poser la question suivante. . .

M. Silye: Question, question.

M. Discepola: Donnez-lui une chance de répondre à la question au moins.

M. Dubé: C'est intéressant, madame la Présidente. Mais je signale une chose: après un silence incroyable, un silence interminable cet après-midi lors de ce débat parce que c'est un important ministère, l'arrivée d'un nouveau député, un jeune qui a démontré de l'enthousiasme, enfin a réveillé cette Chambre et je suis très heureux de ce fait.

(1725)

Je voudrais lui demander quelles sont ses préoccupations concernant l'exode des jeunes. J'aimerais qu'il me dise s'il pense qu'il est important que ce soit confié au gouvernement du Québec dans un souci de cohérence et si on peut enfin mettre fin à un système où il y a un dédoublement de programmes. Est-il d'accord avec cela, que le Québec reprenne en main tous ses outils? Il l'a dit, mais j'aimerais l'entendre, pendant les quelques minutes qui lui restent, parler de ses préoccupations concernant les jeunes.

M. Tremblay (Lac-Saint-Jean): Madame la Présidente, avant de répondre, j'aimerais ajouter quelque chose. Effectivement, je suis jeune, oui, mais j'ai été élu par les gens de mon comté. Il y a une chose importante, c'est que bien souvent, en politique, on parle de la jeunesse pour se faire du capital politique. On s'entoure de jeunes. On connaît certains partis qui, voulant montrer qu'ils sont ouverts à toutes les parties de la population, s'entourent de jeunes pour montrer qu'ils sont tournés vers l'avenir, alors que le Bloc québécois et le comté de Lac-Saint-Jean, eux, ne vont pas avec des symboles.

Ils vont vraiment avec des exemples concrets en prenant peut-être, oui, le risque d'élire un jeune, mais j'ai pour mon dire que, quand on ne prend pas de risques dans la vie, on n'avance pas. Qui n'avance pas recule. C'était seulement pour ajouter un petit commentaire là-dessus.

Je répondrai à mon collègue qu'effectivement, quand on veut avoir son mot à dire, la jeunesse est un peu le symbole de la décentralisation, en fin de compte. Plus l'instance décisionnelle est près de la population et plus les gens de ce pays se sentent concernés. Oui, je crois à la décentralisation, et plus il y en aura, plus les gens se sentiront concernés ainsi que les jeunes qui, bien trop souvent d'ailleurs, se sentent complètement perdus dans le débat politique parce qu'ils ne se sentent pas concernés. Donc, il suffit de se rapprocher de la population pour que les gens se sentent concernés dans ce pays.

[Traduction]

M. Jim Silye (Calgary-Centre, Réf.): Madame la Présidente, je tiens à féliciter le député du Lac-Saint-Jean à l'occasion de sa première intervention et de son premier discours à la Chambre des communes.

J'aimerais formuler deux observations. Tout d'abord, j'espère que le nouveau député ne se sent pas trop coupable de ravir la couronne du plus jeune député de la Chambre des communes à son collègue du Témiscamingue, car c'est sur sa tête qu'elle reposait avant son arrivée. J'ai collaboré avec celui qui était jusqu'ici le jeune député de la Chambre au Comité permanent des finances. Je peux dire qu'il s'est efforcé de rendre le gouvernement responsable, comme c'était son devoir d'aillers, et qu'il a fait un excellent travail.

Cela étant dit, j'espère que le député prendra le temps de réagir à ma deuxième observation. Pendant son discours, j'ai décelé quelques ressemblances avec l'ancien chef du Bloc québécois. Le style du député s'y apparente beaucoup. J'espère seulement qu'il saura davantage joindre la parole à l'acte.

L'ancien chef est le Messie, aux yeux des Québécois. Tout lui est possible au Québec. Il peut marcher sur les eaux. Il peut sauvegarder les programmes sociaux, tout en sabrant à grands coups dedans. Il peut promouvoir la création d'emplois pour les jeunes. Il peut tout faire, mais l'argent n'est pas au rendez-vous.

Qu'est-ce que le député pourrait ajouter pour donner un peu de consistance à ses propos?

[Français]

M. Tremblay (Lac-Saint-Jean): Madame la Présidente, en réponse à cette question, je vous dirai que la première chose que j'ai déjà réalisée, c'est de m'être présenté à cette élection. C'est sans prétention, mais je peux vous dire que ça m'a pris beaucoup de courage, parce qu'une des choses que je voulais faire concrètement, pas juste en parole, c'était de montrer qu'il y avait encore des jeunes vivants, qui voulaient prendre part à ce pays.

Puis quand j'ai décidé de me lancer, je me suis dit: «Est-ce que les gens seront prêts à faire place à des jeunes de 22 ans?» Ce n'est pas tout de suite évident.

Je pense que la première action concrète, et je dis bien concrète, c'est que j'ai reçu beaucoup de témoignages d'étudiants, de jeunes qui m'ont dit que je leur avais donné un bon exemple et que cela leur avait donné le goût de foncer. Donc concrètement, au-delà des paroles, je pense que j'ai déjà fait quelque chose. Sans prétention et en toute modestie, je dis que le temps nous montrera ce que je pourrai faire dans le futur, mais au moins j'ai foncé, j'ai sauté par-dessus la barrière, et pour la suite, on verra. J'avais deux choix: on baisse les bras ou on se relève les manches. Eh bien, moi, je me relève les manches et je suis prêt à travailler pour construire le Québec de demain.


1685

La présidente suppléante (Mme Ringuette-Maltais): Comme il est 17 h 30, la Chambre abordera maintenant l'étude des affaires émanant des députés selon l'ordre indiqué au Feuilleton d'aujourd'hui.

______________________________________________

INITIATIVES PARLEMENTAIRES

[Traduction]

LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

M. Darrel Stinson (Okanagan-Shuswap, Réf.) propose:

Que, de l'avis de la Chambre, le gouvernement devrait envisager de modifier l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, selon la formule de modification énoncée à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour qu'il se lise ainsi: «Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales, sauf: a) s'il est enfermé dans un pénitencier, une prison ou un établissement psychiatrique ou b) s'il est en liberté, avec ou sans excuse légitime, après avoir été enfermé dans un des endroits mentionnés à l'alinéa a).»
-Madame la Présidente, il y a moins de 100 ans, une femme de Victoria, en Colombie-Britannique, a choqué les citoyens locaux en allant voter. En tant que veuve, elle avait hérité des biens de son mari et, en tant que nouvelle propriétaire foncière, elle avait donc le droit de voter selon la façon dont le droit de vote était limité durant cette période de notre histoire.

Les temps ont bien changé. Les citoyens adultes respectueux des lois ont vraiment voix au chapitre dans la façon dont les affaires du pays sont conduites et c'est maintenant considéré comme un symbole de la démocratie. À notre époque, des milliers de jeunes Canadiens ont combattu et sont morts en sol étranger pour défendre ce principe fondamental.

Plus récemment, une grande partie du monde a été choquée lorsque la Chine continentale a procédé à des manoeuvres militaires en utilisant des munitions pour décourager les citoyens de Taiwan de voter pour leur nouveau président. C'était la première fois que les gens pouvaient voter pour leur président dans les 5 000 ans d'histoire du pays le plus peuplé de notre planète. C'est avec un grand courage que plus de 76 p. 100 des électeurs admissibles ont voté et montré à quel point ces Chinois libres attachaient de l'importance à leur nouvelle démocratie.

Au sein de notre commonwealth des nations, la république d'Afrique du Sud a fondé le droit de vote sur des considérations raciales, ce qui donnait la possibilité à une minorité blanche de contrôler la majorité noire beaucoup plus importante, de se livrer à toute une série, apparemment sans limite, de violations des droits de la personne, jusqu'à ce qu'on mette récemment fin à l'apartheid.

Je donne ces exemples pour signaler à quel point c'est un privilège précieux que d'être en mesure de voter et de briguer les suffrages, plutôt que de voir nos vies contrôlées par des dictateurs totalitaires ou par des partis communistes ou fascistes, ou encore par des membres d'une race en particulier.

Les Canadiens attachent la plus grande importance à ce droit. Ainsi, de nombreux Canadiens ont été choqués d'apprendre que notre Charte canadienne des droits et libertés avait donné le droit de vote à des criminels. L'article 51 de la Loi électorale du Canada interdit à bien des citoyens de voter, et je cite:

Les individus suivants sont inhabiles à voter à une élection et ne peuvent voter à une élection:
e) toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire et y purgeant une peine pour avoir commis quelque infraction;
f) toute personne restreinte dans sa liberté de mouvement ou privée de la gestion de ses biens pour cause de maladie mentale.
(1735)

Ces dispositions de la Loi électorale traduisaient ce que veulent les Canadiens.

Il est aussi intéressant de souligner que, en vertu du 14e amendement de la Constitution des États-Unis d'Amérique, cette grande démocratie qui est aussi notre voisine, les prisonniers n'ont pas le droit de vote. La Constitution américaine date des années 1700, alors que la Charte canadienne des droits et libertés ne date que des années 1980. Il n'est donc pas étonnant que les Américains aient adopté de nombreux amendements constitutionnels.

Actuellement, l'article 748 du Code criminel du Canada prévoit qu'une personne déclarée coupable d'un acte criminel et condamnée en conséquence à un emprisonnement de plus de cinq ans ne peut avoir un emploi public ni exercer une fonction relevant de la Couronne. Elle ne peut non plus être élue, ni siéger, ni voter comme membre du Parlement ou d'une assemblée législative et ne peut exercer un droit de suffrage.

Des personnes trouvées coupables de meurtre ont toutefois contesté l'alinéa 51e) de la Loi électorale du Canada en s'appuyant sur l'article 3 de la Charte des droits et libertés ainsi libellé:

Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.
Différents tribunaux ont été saisis de la question à un certain nombre d'occasions. Ainsi, en 1992, le gouvernement fédéral a perdu un procès intenté par Richard Sauvé, qui purgeait une peine d'emprisonnement à perpétuité au pénitencier de Kingston et qui voulait ravoir son droit de vote.

La jurisprudence est divisée et les plus hautes juridictions ont été saisis d'appels relatifs aux élections provinciales et fédérales. Les tribunaux ont statué que la Loi électorale du Canada ne peut pas déroger à la Charte des droits et libertés.

J'ai parlé avec des Canadiens et je sais que la décision des tribunaux de supprimer les restrictions au droit de vote a choqué la


1686

majorité des Canadiens qui sont trop occupés à gagner leur vie pour pouvoir témoigner devant des commissions royales.

Voilà un exemple typique où les bonnes âmes sensibles se préoccupent davantage de défendre les droits des détenus que de démontrer que le crime est sévèrement puni.

Une des principales plaintes de beaucoup de mes électeurs, c'est que les délinquants ne reçoivent pratiquement qu'une réprimande, quel que soit leur crime. Les agents de police en activité me disent également que souvent ça ne vaut pas la peine de remplir toute la paperasse nécessaire pour faire condamner un délinquant et de l'envoyer en prison.

Ce n'est pas comme si nous envoyions les gens en prison pour un rien, même si le Canada a l'un des taux d'incarcération les plus élevés au monde, juste derrière les États-Unis. Ce n'est pas parce que la loi canadienne est si stricte que nous avons tant de personnes en prison. La vraie raison, c'est que les crimes de violence ont augmenté de 782 p. 100 de 1971 à 1994. Les crimes contre la propriété ont augmenté de 1 031 p. 100, bien que notre population n'ait augmenté que de 27 p. 100.

En 1994, presque trois millions de crimes ont été commis alors qu'en 1971, il n'y en avait à peine un quart de million. C'est plutôt renversant. Il est temps que le gouvernement se réveille. Les coeurs sensibles, dont le ministre de la Justice, ne se reportent qu'aux deux ou trois dernières années pour montrer que certaines catégories de crimes ont légèrement diminué.

Les Canadiens respectueux de la loi ne se sentent pas en sécurité et ils veulent voir les délinquants punis. Une de ces punitions devrait être le retrait du droit de vote à ceux qui sont condamnés à la prison. Un délinquant qui a payé sa dette pourrait recouvrer son droit de vote, mais seulement après que la dette a été payée.

Cette position a été clairement exposée par des témoins qui sont venus devant la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis qui a présenté son rapport en novembre 1991. Un témoin a déclaré à la Commission à Edmonton: «ils ont perdu ce privilège en étant exclus par leur faute de la société. Tant qu'ils n'accepteront pas de respecter nos lois après avoir réintégré la société, ils seront privés de certains privilèges, dont celui de prendre part à une élection.»

(1740)

À Thompson, Manitoba, un témoin a déclaré: «J'estime que le droit de vote est un privilège unique en ce pays. C'est pour dissuader les citoyens d'enfreindre la loique les détenus sont privés du droit de vote tant qu'ils sont incarcérés. À ce que je sache, la Charte n'autorise personne à enfreindre la loi.»

Les membres de la commission ont signalé que la plupart des témoins étaient en faveur du droit de vote pour les détenus, mais personne n'a appuyé l'idée que des détenus puissent être éligibles.

Le rapport mentionne également un mémoire présenté par la Société John Howard, qui signalait que les détenus ont le droit de vote en Italie, en Suède, en Norvège et au Danemark, mais non au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis.

Le nombre de détenus et les coûts de détention constituent deux autres arguments contre le droit de vote des détenus. Dans son témoignage devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, le 21 avril 1994, le directeur des opérations du Bureau du directeur général des élections, M. Jean-Claude Léger, a déclaré que 6 800 détenus étaient assujettis à des règles électorales spéciales.

Le directeur général des élections, M. Jean-Pierre Kingsley, a déclaré devant le même comité qu'on dénombrait 7 502 électeurs incarcérés. Le coût par électeur inscrit était de 23,81 $ pour ceux qui était incarcérés, comparativement à 9,38 $ pour les autres.

Vu le nombre de prisonniers qui votent dans les prisons, il est possible des prisonniers qui souhaitent voir des lois pénales moins sévères pourraient exercer une influence déterminante sur les résultats de nombreuses élections. Les bulletins de vote des détenus sont envoyés dans leurs circonscriptions d'origine pour y être comptés et de nombreuses élections sont gagnées ou perdues par de faibles marges.

L'actuelle ministre des Ressources naturelles a remporté l'élection dans Edmonton-Sud-Ouest par une majorité de 12 voix seulement contre le candidat réformiste. Je me demande combien de bulletins de vote provenaient des prisons.

Dans la circonscription d'Edmonton-Est, l'actuel député libéral a battu le candidat réformiste par seulement 115 voix. ll est donc évident que le vote des prisonniers pourrait facilement faire basculer le résultat d'une élection.

Est-ce juste pour les citoyens honnêtes qui doivent subvenir à grands frais aux besoins des détenus? Je ne trouve pas cela juste du tout. Certains députés de l'autre côté pensent probablement le contraire.

Je propose également dans ma motion, relativement à un autre article de la Loi électorale du Canada, que les personnes internées dans des établissements psychiatriques n'aient pas le droit de vote. Ce n'est peut-être pas la meilleure façon d'exprimer ma préoccupation, mais c'est une motion qui a pour but de pousser le gouvernement dans cette voie, et non une mesure législative définitive.

Il y a des centaines d'avocats au ministère de la Justice. Les simples députés ont accès à seulement trois avocats. Pour ce qui est des détenus placés dans un établissement psychiatrique qui ont voté en octobre 1988, le Conseil canadien des droits des personnes handicapées a contesté la formulation actuelle de l'alinéa 51f) de la Loi électorale. Dans sa décision, la cour a dit essentiellement que tout malade mental, âgé de 18 ans et plus, qui peut décliner son nom, son âge et son adresse, peut voir son nom figurer sur la liste des électeurs.

Beaucoup de Canadiens sont choqués qu'une telle norme soit appliquée pour déterminer qui a le droit de voter. N'oublions pas que toute personne qui peut voter peut aussi être éligible. Je suis tout à fait certain que les Canadiens ne veulent pas que des pensionnaires d'établissements psychiatriques se présentent à des élections provinciales ou fédérales.


1687

Depuis que je suis ici, j'ai entendu dire que la Chambre semble être dirigée depuis des années par des malades mentaux. Parfois, on se demande.

Les témoins qui ont comparu devant la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis étaient partagés sur la questions d'accorder le droit de vote aux malades ou déficients mentaux.

Un membre d'un comité de bénévoles d'un hôpital a déclaré: «Nous sommes rigoureusement opposés au vote par procuration dans le cas des malades mentaux. Nous estimons que le droit de vote est essentiellement personnel et ne peut être exercé que par son titulaire et non par un tiers. Les malades mentaux sont très vulnérables en ce sens que les risques d'abus sont plus élevés que dans le cas des personnes, entre guillemets, normales.»

(1745)

Beaucoup de gens ont fait remarquer qu'il serait difficile de mettre au point un test de compétence à moins que le même test ne soit appliqué à la population des électeurs en général. Une solution logique est tout simplement d'exiger que les électeurs soient capables de se rendre au bureau de scrutin de leur localité et de remplir correctement un bulletin de vote.

Le gouvernement conservateur a publié en 1986 un livre blanc sur la réforme de la Loi électorale dans lequel il était recommandé que les personnes souffrant d'un handicap mental aient le droit d'être recensées et de voter. Il était également recommandé qu'aucun bureau de scrutin ne soit placé dans les hôpitaux psychiatriques et que les personnes résidant dans de tels établissements n'aient pas le droit de voter par procuration. Cependant, le projet de loi est mort au Feuilleton.

Il y a une catégorie particulière de pensionnaires d'institutions psychiatriques que les Canadiens ne veulent pas voir obtenir le droit de vote, soit ceux qui sont internés parce qu'ils ne sont pas criminellement responsables en raison de leur aliénation mentale. On les appelle des NCR ou non criminellement responsables. Ce sont des aliénés mentaux qui ont été internés de force dans des institutions psychiatriques pour avoir commis des actes criminels.

Bien que les règlements et les détails puissent changer d'une province à l'autre, ces patients sont, dans l'ensemble, détenus en vertu de la loi fédérale, qui est administrée par les provinces. Une telle étiquette signifie qu'on juge qu'ils étaient malades au moment où ils ont commis l'infraction criminelle et qu'ils n'ont donc jamais été condamnés pour cette infraction. Certains des crimes les plus crapuleux de notre histoire ont été commis par des aliénés mentaux.

Actuellement, en Colombie-Britannique, on compte 130 NCR internés dans des institutions psychiatriques qui sont équipées pour recevoir, en tout, 174 de ces patients.

En Alberta, 36 NCR sont internés dans deux institutions psychiatriques. Dans l'ensemble de l'Alberta, ont compte 1 000 lits d'hôpital réservés aux malades mentaux, et environ 10 p. 100 d'entre eux sont réservés pour la médecine légale.

Les chiffres sont assez bas en Saskatchewan et au Manitoba. Seize NCR sont devant le conseil de révision en Saskatchewan, et 12 sont gardés au Saskatchewan Hospital. Le Manitoba fait état de 35 NRC internés, ce qui représente à peu près la moitié des places en soins psychiatriques dans cette province.

À Terre-Neuve, on rapporte de 6 à 8 NRC internés à l'unité de médecine légale de l'hôpital psychiatrique provincial. On en compte sept ou huit au Nouveau-Brunswick, et quatre ou cinq à l'Île-du-Prince-Édouard. En Nouvelle-Écosse, on semblait avoir d'énormes difficultés à m'obtenir cette information, parce que le système est en voie de restructuration.

Aucun des deux territoires n'a d'installations de médecine légale. Au Yukon, on envoie ces cas en Colombie-Britannique, et dans les Territoires du Nord-Ouest, on les envoie en Alberta.

Le Québec et l'Ontario sont les provinces les plus populeuses du Canada et on y trouve aussi le plus grand nombre de NCR. L'Ontario compte environ 550 NCR qui représentent quelque 20 p. 100 du nombre total de malades mentaux, soit de 2 400 à 2 600 lits.

Au Québec, il y a 750 NCR, mais d'autres cas ont été soumis au conseil de révision. En 1994-1995, le conseil a examiné 988 cas et six personnes ont été jugées inaptes à comparaître devant le conseil; c'est donc 994 patients qui ont reçu des soins psychiatriques pour des raisons criminelles.

J'espère que les députés savent déjà que de nombreux Canadiens souffrent de troubles mentaux de toutes sortes. Par exemple, une amie à moi est entrée de son propre chef au service psychiatrique de notre hôpital local lorsque son alcoolisme l'a amenée à faire une tentative de suicide. Elle a été internée brièvement à sa demande. Elle ne s'intéressait absolument pas à la politique à cette époque de sa vie.

L'alinéa 51 f) de la Loi électorale du Canada enlève le droit de vote à «toute personne restreinte dans sa liberté de mouvement ou privée de la gestion de ses biens pour cause de maladie mentale».

Les normes canadiennes évoluent et les déficients mentaux habitent maintenant dans des foyers collectifs, ils fréquentent des ateliers protégés et divers centres semblables où ils peuvent apporter une véritable contribution à leur famille immédiate et à leur collectivité.

Les déficients mentaux sont donc aimés et on reconnaît leur valeur, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'on doit leur accorder le droit de vote. Ils deviennent trop souvent des pions aux mains de leurs soignants. Ces déficients mentaux ne sont pas autonomes. Il est très facile de contrôler même leurs sources d'information. Par conséquent, pour leur propre protection et pour protéger le processus électoral, je pense qu'il tombe sous le sens qu'on ne devrait pas laisser la gestion du Canada entre les mains de personnes qui sont mentalement incapables de s'occuper de leurs propres affaires ou d'être traduites en justice pour des crimes qu'elles ont commis.

(1750)

Je rappellerais encore une fois que les gens qui ont le droit de vote ont également le droit de se présenter comme candidats. Ce rôle ne convient pas à une personne handicapée mentale.


1688

Pour terminer, j'aimerais soulever une dernière question concernant la recommandation visant à modifier l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés. On peut déroger à l'article 2 et aux articles 7 à 15 par déclaration expresse du Parlement conformément à la disposition dérogatoire stipulée à l'article 33. Aux termes de l'article 33 de la Charte, le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi où il est déclaré que cette dernière déroge à certaines dispositions de la Charte.

En outre, toute loi fédérale ou provinciale renfermant une telle disposition dérogatoire doit faire l'objet d'un examen au moins tous les cinq ans et une nouvelle déclaration doit être adoptée, faute de quoi la loi sera caduque.

En guise de conclusion, j'aimerais citer M. Chuck Cadman, président d'un organisme appelé CRY, pour «crime», «responsabilité» et «youth» (jeunes). Il a dit ceci:

J'appuie la motion de Darrel. Quiconque est reconnu coupable d'un crime contre la société canadienne perd automatiquement son droit de vote. À sa sortie de prison, c'est une autre affaire, mais tant qu'il purge sa peine, il ne devrait avoir son mot à dire ni sur les dirigeants ni sur les lois du pays.
Par ailleurs, M. Dave Langlois, de la Courtwatch Society de Vernon, a dit:

Les membres de la Citizens' Courtwatch Society appuient entièrement la motion d'initiative parlementaire no 143 visant à modifier la Charte des droits et libertés pour empêcher les criminels reconnus de voter.
Notre gouvernement, la Cour suprême et les citoyens doivent se rendre compte que la Charte reconnaît que tous les droits ne sont pas absolus et qu'ils doivent être exercés dans le respect des lois. Je puis vous assurer que la vaste majorité de nos concitoyens démocratiques souscrivent entièrement à cette motion.
J'aimerais donc demander le consentement unanime de la Chambre pour que cette motion fasse l'objet d'un vote.

La présidente suppléante (Mme Ringuette-Maltais): Y a-t-il consentement unanime?

Des voix: Non.

[Français]

M. Nick Discepola (secrétaire parlementaire du solliciteur général du Canada, Lib.): Madame la Présidente, j'aimerais participer au débat pour donner la réponse du gouvernement au député réformiste de Okanagan-Shuswap sur ce projet de loi émanant des députés.

[Traduction]

Cette motion soulève la question de savoir s'il faudrait restreindre l'exercice des droits démocratiques des personnes confinées dans des établissements pénitentiaires ou psychiatriques. On nous exhorte à examiner également l'opportunité de modifier l'article 3 de la Charte qui consacre le droit de tous les citoyens canadiens, sans exception, de voter aux élections législatives fédérales ou provinciales et d'y être éligibles.

Nous, de ce côté-ci de la Chambre, estimons qu'une modification constitutionnelle limitant l'application de cette garantie n'est pas souhaitable, et ce, pour plusieurs raisons importantes, qui concernent à la fois la nature des droits protégés par la Charte et les antécédents législatifs à cet égard.

La Charte reconnaît la nécessité d'établir un équilibre entre les droits de la personne et les intérêts de la société et prévoit un mécanisme permettant d'atteindre cet équilibre d'une manière fort équitable.

L'article 1 de la Charte stipule que les droits et les libertés qu'elle garantit ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'existence de cette disposition spéciale offre aux législateurs un niveau de souplesse considérable. Bien que des lois puissent aller à l'encontre d'articles de la Charte, comme l'article 3, le gouvernement peut démontrer que ces lois sont justifiées, je le répète, dans une société libre et démocratique.

La Charte a donc instauré un dialogue important entre les tribunaux et le gouvernement, car les lois sont examinées par le pouvoir judiciaire pour en vérifier la conformité avec les dispositions constitutionnelles. La Cour suprême du Canada a déclaré que les restrictions imposées par l'État sur les droits des citoyens sont justifiées aux termes de l'article 1 de la Charte, lorsqu'elles visent à atteindre un objectif pressant et important et que les moyens utilisés pour l'atteindre sont proportionnels. Les lois qui ne sont pas conformes à ces critères seront abrogées, mais cela n'empêche pas le Parlement de présenter des lois nouvelles, et souvent meilleures, sur le même sujet, en y ajoutant des réserves pour garantir l'entière protection des droits prévus dans la Charte.

(1755)

Ce dialogue entre le Parlement et les tribunaux, on en trouve une parfaite illustration dans la saga législative concernant le droit de vote des détenus. La mouture 1985 de la Loi électorale du Canada privait tous les détenus de vote, tandis qu'en 1993, dans l'affaire Richard Sauvé, la Cour suprême du Canada a invalidé cette interdiction parce qu'elle était inconstitutionnelle.

À en juger par la décision de la Cour suprême, il est évident que les restrictions touchant le droit de vote des détenus violera l'article 3 de la Charte. Or, comme je l'ai mentionné, ce n'est pas cela qui peut empêcher le gouvernement d'agir, car il lui est toujours loisible d'invoquer l'article 1.

Dans l'affaire Sauvé, la cour a jugé que le gouvernement n'avait pas réussi à démontrer qu'une interdiction absolue de voter pour les détenus était justifiable dans une société libre et démocratique, précisément en raison de l'applicabilité universelle de la mesure. Cela ouvrait la voie à l'introduction de certaines restrictions moins draconiennes au droit de vote des détenus, vu qu'il serait ainsi possible de les justifier.

Le défi pour le Parlement consiste à trouver une restriction raisonnable dont la portée puisse être considérée comme assurant un certain équilibre entre les droits des individus et l'intérêt public.


1689

En quête d'un compromis acceptable, après la décision rendue dans l'affaire Sauvé, le Parlement a examiné deux volumineux rapports sur la réforme électorale, tous deux défavorables à l'abolition du droit de vote pour l'ensemble des détenus et proposant des solutions concrètes.

En 1991, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, plus communément appelée la commission Lortie, recommandait que seules les personnes faisant l'objet d'une condamnation pour des crimes passibles de sentences maximales variant de l'emprisonnement de dix ans à la perpétuité soient privées du droit de vote.

En 1992, le Comité spécial de la Chambre des communes sur la réforme électorale recommandait, dans un rapport rédigé par des représentants de tous les partis, que les détenus condamnés à une peine d'emprisonnement à vie soient privés du droit de vote.

Tout en prenant bonne note de ces propositions, le Parlement a adopté une tout autre approche. En 1993, sous la forme du projet de loi C-114, la disposition controversée de la Loi électorale du Canada a été rétablie, si bien que tous les détenus condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus ont désormais été privés du droit de vote. On a jugé que le fait de considérer les personnes qui sont condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus comme des contrevenants dangereux aurait pour effet de transmettre un message clair: la perpétration des crimes graves va à l'encontre du concept du sens civique et du respect de la loi. L'interdiction de voter était également perçu comme un moyen de punir davantage le contrevenant. En somme, cette mesure répondait à l'objectif punitif de la loi.

Il n'est donc pas étonnant que les nouvelles propositions adoptées par le Parlement n'ont pas tardé à se retrouver devant les tribunaux. En effet, Sauvé et d'autres détenus ont intenté des poursuites en justice devant la Division de première instance de la Cour fédérale afin de contester la constitutionnalité de la nouvelle disposition de la Loi électorale en vertu de l'article 3 de la Charte, ainsi que de l'article 15 qui énonce les droits à l'égalité.

Le juge Wetston a entendu ces causes en même temps et, dans sa décision rendue en janvier de cette année, il a conclu que la restriction imposée au droit de vote des détenus n'était pas contraire à l'article 15. Cependant, elle violait le droit de vote des détenus aux termes de l'article 3.

Le juge Wetston a conclu que l'objectif de l'interdiction de voter était tout à fait valable, mais il a jugé que le libellé de la disposition était trop large et qu'il ne respectait donc pas l'article 1. Il a signalé aussi que le Parlement pouvait donner aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir de retirer leur droit de vote aux détenus au cas par cas, plutôt que de promulguer une interdiction touchant toutes les personnes purgeant une peine de deux ans ou plus.

Le gouvernement fédéral en a appelé de la décision du juge Wetston devant la Cour d'appel fédérale. Tant que la question n'aura pas été tranchée, il serait prématuré d'envisager toute autre mesure législative, que ce soit sur le plan constitutionnel ou autre, et de se pencher sur la question du droit de vote des détenus.

Il serait plus prudent pour le Parlement d'attendre que la Cour d'appel fédérale-et peut-être même la Cour suprême du Canada-lui dise si l'interdiction actuelle de voter touchant les détenus respecte la Charte. Dans la négative, les tribunaux pourraient nous préciser les autres types de solutions qui seraient acceptables pour restreindre le droit de vote de ces individus.

Toute étude de cette question par le Parlement, avant d'obtenir ces avis des tribunaux, serait non seulement prématurée, mais pourrait également nuire à la défense du gouvernement qui se fonderait sur la loi actuelle.

Les gouvernements ne devraient pas envisager de modifier la Charte à chaque fois que les tribunaux rendent une décision qui lui est défavorable. Comme nous le savons, la procédure de modification de la Constitution est longue et complexe, et ce n'est pas la bonne façon de s'attaquer à ces questions. On n'a jamais eu l'intention de faire en sorte qu'on puisse modifier ici et là des dispositions de la Charte en fonction de décisions des tribunaux. Ainsi, dans le cas des restrictions imposées au droit de vote des détenus, le défi consiste pour nous non pas à modifier la Charte, mais à trouver des dispositions législatives raisonnables qui créent un équilibre entre les intérêts des individus et ceux de la collectivité.

(1800)

La Commission Lortie et le comité spécial ont recommandé qu'on continue d'interdire à certains individus de voter en fonction de leur incapacité mentale, mais le gouvernement de l'époque a choisi de ne pas accepter ces recommandations. Plutôt, le projet de loi C-114 a abrogé les dispositions retirant le droit de vote aux personnes souffrant d'une maladie mentale.

Enfin, je devrais dire que la question de savoir qui a le droit d'être élu à la Chambre des communes, aux termes de l'article 3 de la Charte, est tout à fait distincte de celle qui consiste à déterminer qui devrait avoir le droit de vote. La Cour suprême du Canada n'a pas encore eu l'occasion de préciser dans quelle mesure il est possible que le gouvernement restreigne les conditions liées à l'élection possible d'une personne à la Chambre tout en respectant les limites de l'article 3 de la Charte, sans avoir à invoquer l'article 1. Il n'est pas clair que cela irait à l'encontre de l'article 3 de la Charte sous sa forme actuelle.

Ces raisons et d'autres donnent donc à penser que les restrictions imposées au droit des détenus et de personnes enfermées dans des établissements psychiatriques d'être éligibles à la Chambre des communes pourraient être justifiables aux termes de l'article 3. En bref, les personnes incarcérées pourraient ne pas. . .

La présidente suppléante (Mme Ringuette-Maltais): À l'ordre. Le temps de parole du député est expiré.

M. Randy White (Fraser Valley-Ouest, Réf.): Madame la Présidente, je suis heureux d'intervenir sur cette motion que mon collègue d'Okanagan-Shuswap a présentée à la Chambre. C'est


1690

une question très importante à notre époque. Devrait-on accorder le droit de vote aux détenus des établissements fédéraux?

Le député libéral vient de dire que le gouvernement en a appelé de la décision du juge Wetston voulant que les détenus devraient avoir le droit de vote. Je trouve cela très intéressant parce que, selon une décision rendue par un juge au Canada, il n'y a pas si longtemps, la consommation ou l'abus de cocaïne et d'alcool pouvait excuser un meurtre. Ces mêmes libéraux s'étaient alors précipités à la Chambre pour faire renverser cette décision. Voilà maintenant le député qui prend la parole pour dire qu'ils vont interjeter appel et voir s'il sera reçu. En fait, ils n'ont tout simplement pas le courage nécessaire pour modifier cette décision.

Il faudrait décider s'il convient d'accorder le droit de vote aux détenus. Il y a des questions qu'il faut trancher à la Chambre, et je vais tenter de le faire dans ce cas-ci. Comment en sommes-nous arrivés à poser cette question? Pourquoi en discutons-nous seulement, alors que la question pourrait donner lieu à un vote? Pourquoi cette question ne fait-elle pas l'objet d'un vote? Pourquoi discutons-nous de la motion no 143 sans qu'elle fasse l'objet d'un vote? Je voudrais m'arrêter là-dessus un moment. En ce qui concerne les détenus fédéraux, quand donc le gouvernement commencera-t-il à donner la priorité aux questions qui concernent les victimes canadiennes, au lieu de s'occuper des criminels?

Pourquoi cette motion ne fait-elle pas l'objet d'un vote? Le solliciteur général a déclaré, le jour où cette question a été soulevée, que le gouvernement jugeait raisonnable de suspendre le droit de vote. Si le solliciteur général croit qu'il est raisonnable de suspendre le droit de vote d'un criminel qui est dans un établissement fédéral, pourquoi serait-il déraisonnable de croire que cette motion n'aurait pu faire l'objet d'un vote affirmatif ce soir? Pourquoi? La réalité, c'est que le gouvernement fédéral s'y oppose.

Comment en sommes-nous arrivés à cette étape aujourd'hui? Pourquoi les juges au Canada semblent-ils rendre des décisions qui ne sont pas dans l'intérêt du Canada, ni dans celui des victimes canadiennes?

Un député libéral a laissé entendre que nous devrions discipliner les juges. On comprend qu'une telle solution vienne d'en face.

(1805)

Permettez-moi d'expliquer à nos amis d'en face certaines décisions que les juges rendent de nos jours. Je me demande si les juges prennent des décisions rationnelles de nos jours et si une décision, comme celle qu'a rendue le juge Wetston en accordant le droit de vote aux criminels, aux détenus dans des établissements fédéraux, est sensée.

Voyons ce qu'a dit le juge Sherman Hood, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, avant d'acquitter un homme accusé d'avoir agressé sexuellement une serveuse de North Vancouver. Il a dit ceci: «Non veut parfois dire peut-être ou attends un peu.» C'est une décision qu'un juge a rendue dans notre pays et qui fera jurisprudence. Cela a-t-il du sens? C'est supposé être une décision rationnelle qui découle du pouvoir judiciaire de notre pays.

Voici ce qu'a déclaré le juge Michael Bourassa à propos d'agressions sexuelles dans les Territoires du Nord-Ouest: «Les agressions sexuelles se produisent lorsque la femme est ivre morte et que l'homme qui se trouve là voit une paire de hanches et se sert.» Voilà une autre décision judiciaire qui a été rendue dans notre pays et qui fait entièrement abstraction de la protection des victimes. Le gouvernement ne fait rien à ce sujet, pas plus qu'il n'a réagi au droit de vote accordé aux détenus dans des établissements fédéraux. Les députés du parti ministériel font de beaux discours que nous sommes censés gober.

Je vais donner un autre exemple. Les députés d'en face demandent en quoi c'est pertinent. Ce l'est parce que les juges rendent de mauvaises décisions et que le juge Wetston en a rendu une qui est terrible. Les députés d'en face n'aiment pas entendre cela.

En février 1996, à Port Hardy, dans ma province, le juge Brian Saunderson, de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, a accordé une absolution inconditionnelle à un individu de 57 ans, Vernon Logan, même si ce dernier avait plaidé coupable à une accusation de possession de pornographie infantile. Le juge a dit que la loi interdisant ce type de pornographie violait la Charte des droits-il me semble avoir déjà entendu cela-parce qu'elle portait atteinte à la liberté de pensée, de croyance ou d'opinion et que l'accès absolu à des documents est nécessaire pour exercer ces libertés.

En rendant pareille décision fondée sur la Charte des droits, un juge libère quelqu'un qui fait le commerce de la pornographie ou qui en possède des accusations criminelles pesant contre lui, sous prétexte que cela porte atteinte à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Jusqu'où le gouvernement va-t-il laisser cela aller? C'est là la question.

À Vancouver, David Snow a été accusé d'avoir enlevé deux femmes et d'avoir tenté d'en étrangler une troisième. Le juge a dit: «Je ne puis conclure que le fait d'enrouler un fil autour du cou de la victime et de lui mettre un plastique sur la tête sont des preuves suffisantes pour établir l'intention de tuer.»

Voici ce que je demande à cette assemblée qui est un peu plus calme maintenant. Pareilles décisions rendues par les juges, y compris celle d'accorder le droit de vote aux détenus dans des établissements fédéraux, sont-elles dans l'intérêt des Canadiens respectueux des lois? La réponse est non.

Si le solliciteur général veut avoir une certaine crédibilité au Canada, s'il dit que, à son avis, la suspension du droit de vote est raisonnable, alors pourquoi le gouvernement ne fait-il pas ce qui s'impose? Qu'est-ce qui cloche? En réalité, le gouvernement et ceux qui prennent la parole de l'autre côté de la Chambre estiment que c'est juste.

(1810)

Occupons-nous de ce que font les criminels aujourd'hui. Est-ce que nous allons trop à gauche de ce que pensent les libéraux? À quoi ont droit les criminels? Nous savons qu'ils ont droit à des visites


1691

conjugales. Nous savons qu'ils ont droit au remboursement de la TPS. Nous savons tous qu'ils ont droit au Régime de pensions du Canada. . .

M. Milliken: Ils n'y ont pas droit.

M. White (Fraser Valley-Ouest): Le député dit qu'ils n'y ont pas droit, mais il fait erreur. Il n'est pas bien informé sur ces questions. Nous savons qu'ils ont droit à la sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti. Nous savons qu'ils ont accès à l'aide juridique, aux frais des contribuables. Si je ne m'abuse, clifford Olson en est à son 32e litige, aux frais des contribuables. Nous savons qu'ils ont le droit d'intenter des poursuites. Nous savons qu'ils ont le droit de refuser de travailler. Nous savons qu'ils ont droit au temps supplémentaire, etc.

Et voici la dernière insulte aux citoyens canadiens respectueux des lois. Les contrevenants ont maintenant le droit de vote. Le gouvernement refuse de remédier à la situation, mais il n'aura pas à le faire. Quand il sera remplacé aux prochaines élections, le prochain gouvernement le fera.

M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.): Madame la Présidente, je voudrais relever certaines inexactitudes dans les propos tenus par mes collègues d'en face.

Le secrétaire parlementaire du solliciteur général du Canada a fait un excellent discours, même s'il a oublié certains faits qui se sont produits au cours de la dernière législature concernant le projet de loi dont il parlait, à savoir le projet de loi C-114. La mesure législative a été adoptée à la fin de la dernière législature dans le but de modifier la Loi électorale du Canada.

S'il avait été membre du Comité sur la réforme électorale, un comité multipartite établi au sein de la Chambre et à qui nous devons pour l'essentiel la rédaction du projet de loi C-114, s'il avait su. . .

Une voix: Oh, oh!

M. Milliken: Le député d'en face ne veut pas en attendre parler. Je sais que les faits ne plaisent jamais aux députés du Parti réformiste.

Ce projet de loi était une mesure d'initiative ministérielle, mais ses objectifs fondamentaux ont été arrêtés par un comité. Quoi qu'en dise le député de Fraser Valley-Est, une décision judiciaire a déjà été rendue à ce sujet. La mesure législative qui a précédé le projet de loi C-114 avait été adoptée à la condition qu'aucun détenu n'ait le droit de vote. Une décision a déjà été rendue par la Cour suprême du Canada, si j'ai bonne mémoire, mais c'est sous toutes réserves, car je me suis occupé de ce dossier il y a belle lurette. Je n'avais pas l'intention d'en parler aujourd'hui, mais j'ai entendu tant d'inexactitudes que j'ai cru bon de rétablir certains faits.

Donc, une décision judiciaire a bel et bien déjà été rendue concernant la mesure législative précédente. Voilà pourquoi, quand le projet de loi C-114 s'est présenté, le comité s'est penché sur la question relative au droit de vote des détenus et a débouché sur une décision.

Un référendum a eu lieu au Canada avant l'adoption du projet de loi C-114. En raison de la décision judiciaire qui rejetait la disposition de la loi électorale en question, tous les détenus des établissements fédéraux ont pu voter lors de ce référendum. Certains ont exercé leur droit de vote dans le cadre de ce référendum. À en croire les députés réformistes, on pourrait croire que le ciel nous est tombé sur la tête, mais non. Le référendum a eu lieu et ces personnes ont exercé leur droit de vote.

Le comité a étudié toute la question et a décidé de recommander qu'on limite le droit de vote des personnes incarcérées. Je tiens à dire au député que ce dont je me rappelle du rapport du comité est exact à deux ans près. Je suis surpris qu'il n'ait pas examiné cette question. Cela aurait pu influencer son discours. Les réformistes ne s'embarrassent pas des faits. Le fait est que le comité a recommandé qu'on laisse voter tous les détenus qui purgeaient une peine de sept ans ou plus. À ma connaissance, il s'agissait d'une recommandation unanime du comité.

(1815)

Même s'il détenait la majorité au comité et si ses membres avaient souscrit à cette recommandation, le gouvernement conservateur a décidé que c'était trop généreux et il a choisi une période de deux ans. Ainsi, tous les individus purgeant une peine de deux ans ou plus n'auraient pas le droit de vote. Cela signifiait que tous les détenus fédéraux perdaient automatiquement leur droit de vote, car par définition, les gens qui purgent une peine d'emprisonnement dans une institution fédérale doivent avoir été condamnés à une peine de deux ans ou plus.

Quand la Chambre a été saisie de ce projet de loi, je me rappelle très bien le jour où on en a discuté, car j'étais le porte-parole du Parti libéral en matière de réforme électorale. J'ai proposé des amendements à cet article, car j'ai déclaré à l'époque, à la Chambre, comme en témoigne le compte rendu, que cet article serait rejeté par les tribunaux comme trop restrictif.

Le comité avait choisi le chiffre de sept ans en fonction des avis juridiques qu'il avait reçus à l'époque. Il fallait prévoir un délai raisonnable pour justifier cela aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Le comité a jugé à l'unanimité qu'une période de sept ans était raisonnable et qu'on pouvait la défendre devant les tribunaux. Cela constituait également une restriction raisonnable du droit de vote accordé dans la charte à tous les Canadiens.

Les réformistes veulent retirer ce droit aux citoyens qu'ils considèrent en être indignes. Lorsqu'on commence à décider petit à petit qui est indigne d'un droit, on peut également commencer à s'attaquer progressivement à d'autres droits.

Je sais qu'il y a certains députés à la Chambre qui souhaiteraient retirer le droit de vote aux députés bloquistes. Je sais que certains


1692

voudraient priver les réformistes de leur droit de vote. Je n'en suis pas. J'ai la ferme conviction que, conformément au principe énoncé dans la Charte canadienne des droits et libertés, tout citoyen devrait avoir le droit de voter.

J'ai proposé des amendements visant à supprimer toute restriction. J'ai proposé une période de sept ans, puis une période de cinq ans, dans un effort pour obtenir un compromis qui pourrait se défendre devant les tribunaux et qui aurait l'appui des députés. Le leader parlementaire du Parti conservateur à l'époque, l'hon. Harvie Andre, ne voulait rien savoir. Il tenait mordicus à la règle des deux ans. Comme le projet de loi prévoyait beaucoup d'autres modifications, nous l'avons adopté quand même.

Je me souviens du jour où c'est arrivé, car les partis avaient passé des ententes compliquées pour que le projet de loi soit adopté. Je crois que c'était un vendredi après-midi avant Pâques ou quelque chose comme cela. Ce qui est sûr, c'est que c'était à la veille d'un congé d'une semaine au moins.

Je me le rappelle bien. Cet article a vraiment posé un problème, car, à mon sens, il était anticonstitutionnel et il serait considéré comme tel par un tribunal. Ce qui est étonnant, c'est que le gouvernement se donne la peine d'interjeter appel, alors que cela m'apparaît comme un pur gaspillage. J'estime que cet article est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Stinson: Nous connaissons déjà votre point de vue.

M. Milliken: Point de vue que le député partage manifestement puisqu'il propose cette motion. Le député veut modifier la Charte. Il convient donc avec moi que cet article est inconstitutionnel. Le député s'organiser pour que cela soit conforme à la Constitution. Si je ne m'abuse, il veut retirer le droit de vote à tous ceux qui sont en prison.

Il est question de «pénitencier», et on sait ce que cela signifie. Le député dit que toute personne enfermée dans un établissement psychiatrique ne devrait pas avoir le droit de vote. Quelqu'un qui se serait fait admettre dans un tel établissement pour se faire traiter pour une dépression ne pourrait voter. C'est là l'effet de la motion présentée par le député. Lorsqu'il a examiné cette question, le comité a beaucoup hésité à s'aventurer sur ce terrain. Il est extrêmement difficile de déterminer qui devrait voter et qui ne devrait pas y être autorisé.

Le comité a jugé qu'il n'avait pas à se prononcer sur cette question et qu'il ne fallait pas légiférer là-dessus. Il a estimé qu'il valait mieux accorder le droit de vote d'une manière générale et permettre à tout le monde de voter au lieu d'essayer de déterminer qui a la capacité de raisonner et qui ne l'a pas. Quant à cette capacité de raisonner, je suis certain que des psychiatres pourraient venir ici vérifier si certains députés en sont dotés et s'ils sont aptes à voter.

M. Stinson: Oui, et vous seriez le premier sur la liste.

M. Milliken: Le député dit que je serais le premier sur la liste. Je pense qu'une majorité serait d'accord avec moi pour le placer plus haut que moi sur la liste. Il sera d'ailleurs heureux d'apprendre que, si jamais sa motion avait force de loi, je subirais volontairement un examen psychiatrique visant à déterminer si je devrais voter ou non.

Heureusement, le député n'a pas réussi à convaincre le Sous-comité de la procédure et des affaires de la Chambre de faire en sorte que cette motion puisse faire l'objet d'un vote. J'imagine qu'il s'est présenté devant les membres du sous-comité, qu'il leur a fait son boniment et qu'ils ont décidé que la motion ne devait pas faire l'objet d'un vote. Il y en avait d'autres qui étaient plus importantes, et je peux comprendre pourquoi. Le député est vraiment tatillon.

(1820)

Les opinions diffèrent beaucoup en ce qui concerne la question de savoir si les détenus doivent avoir le droit de vote ou non. Certains pensent qu'ils ne devraient pas l'avoir. Je le dis sans hésitation.

Enlever le droit de vote aux détenus ne fait pratiquement aucune différence. Il y a environ 12 000 détenus dans les pénitenciers fédéraux du pays. Lors du référendum, bien peu ont exercé leur droit de vote. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je dirais qu'il n'y en a certainement pas plus d'un tiers qui ont voté au référendum.

Les chiffres seraient certainement les mêmes pour les campagnes électorales. La plupart ne sont pas intéressés à voter et ne votent pas. S'ils avaient le droit de vote, en vertu des règles qui étaient en place lors du référendum et qui s'appliqueraient certainement pendant les élections, ils exerceraient leur droit dans leur région d'origine et non dans la région où ils sont incarcérés.

J'ai une population carcérale très importante dans ma circonscription et, franchement, ça ne me ferait rien que tous les détenus votent à Kingston. Mais ça n'arrivera pas. Ils voteront partout au pays. Si le député ne pense pas qu'il puisse persuader certains des détenus de voter pour lui, je peux comprendre qu'il s'oppose à ce qu'ils aient le droit de vote.

La plupart des députés constateraient que, dans leur façon de voter, les détenus ne diffèrent guère de la population générale. Ce n'est pas un groupe qui va voter en bloc sur une question donnée. À mon avis, les 12 000 votes des détenus sur les millions de votes qu'il y a au Canada lors d'une consultation électorale n'ont pratiquement aucun effet sur l'issue de la consultation.

Ce qui gêne les députés d'en face, c'est de penser que des gens qui ont été condamnés à la prison peuvent exercer leurs droits démocratiques. En quoi cela pourrait-il nous faire du tort, je ne vois pas.

M. Leon E. Benoit (Végréville, Réf.): Madame la Présidente, je suis très heureux de prendre la parole au sujet de la motion présentée par le député d'Okanagan-Shuswap. Je vais lire la motion pour que nous sachions bien sur quoi porte le débat.


1693

Cette motion jette les balises d'une loi à venir. Nous ne discutons pas ici d'un projet de loi. La motion stipule:

Que, de l'avis de la Chambre, le gouvernement devrait envisager de modifier l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, selon la formule de modification énoncée à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour qu'il se lise ainsi: «Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligibles aux élections législatives fédérales ou provinciales, sauf: a) s'il est enfermé dans un pénitencier, une prison ou un établissement psychiatrique ou b) s'il est en liberté, avec ou sans excuse légitime, après avoir été enfermé dans un des endroits mentionnés à l'alinéa a).
Je voudrais aborder trois questions qui y sont liées à cette motion. Je vais d'abord parler des raisons pour lesquelles la Chambre se trouve aujourd'hui à débattre de l'opportunité d'accorder ou non le droit de vote aux détenus. Il est inconcevable que nous ayons pu laisser aller les choses au point de devoir débattre de cette motion.

Deuxièmement, je parlerai de la réaction de mes électeurs lorsque le tribunal a décidé que les détenus devaient avoir le droit de vote.

Enfin, je traiterai brièvement de la question des personnes qui ont commis ce qu'on appelle des crimes moins graves et de l'opportunité de les autoriser à parler.

L'élément déclencheur du débat d'aujourd'hui est la décision rendue dans l'affaire Sauvé c. le Directeur général des élections du Canada. Cette affaire comporte de nombreux éléments sous-jacents et je dirai quelques mots au sujet de certains d'entre eux.

Avant cette décision judiciaire, les personnes détenues dans un établissement correctionnel pour une durée de deux ans ou plus n'avaient pas le droit de vote aux élections fédérales. Dans l'affaire Sauvé, la cour a invalidé cette loi parce qu'elle portait atteinte au droit de vote que la Charte garantit aux prisonniers et que rien ne justifiait vraiment que l'on enfreigne ce droit.

Je voudrais parler brièvement du but d'éliminer le droit de vote au départ. Les motifs invoqués pour ne pas accorder le droit de vote aux prisonniers au départ étaient, entre autres, le renforcement du sens des responsabilités civiques, le respect de la primauté du droit et l'imposition d'une sanction supplémentaire aux personnes qui commettent des crimes graves contre la société.

(1825)

Le député d'Okanagan-Shuswap a très bien passé en revue les raisons pour lesquelles on ne devrait pas accorder le droit de vote aux prisonniers. Je n'en dirai pas plus. La question que je veux poser est celle-ci: Les raisons invoquées pour ne pas accorder le droit de vote aux prisonniers ne sont-elles pas nettement plus importantes pour la société que les droits des prisonniers? Je reviendrai là-dessus.

Le juge Sauvé a conclu que priver les prisonniers du droit de voter serait leur donner l'impression d'être isolés de la communauté, faire obstacle à leur réintégration dans la société et les priver des effets positifs que peut avoir la participation politique sur leur réadaptation. Ce sont les principaux motifs qu'a donnés le juge Sauvé dans sa décision.

Encore une fois, le juge Sauvé considère qu'enlever le droit de vote aux prisonniers pourrait leur donner l'impresion d'être isolés de la communauté. Mais les prisonniers sont isolés de la communauté. Le but est de les isoler de la communauté. Cela fait partie du châtiment et vise à dissuader les gens de commettre des crimes. Les autres motifs que donne le juge Sauvé n'ont vraiment pas plus de sens.

Quand mes électeurs ont appris que la Cour suprême avait décidé que tous les prisonniers, y compris des gens comme Clifford Olson, devraient jouir du droit de vote, ils ont eu une réaction d'incrédulité. Peu de sujets suscité autant de réactions que celui-ci chez les habitants de ma circonscription. Les gens ne pouvaient pas le croire. Ils me demandaient comment on avait pu en arriver là. Ils voulaient savoir qui avait permis qu'on prenne une telle décision et sur quoi on s'était basé pour la prendre. Ils voulaient aussi savoir comment les tribunaux canadiens pouvaient faire les lois. Ils me demandaient si ce n'était pas à moi, en tant que député, et à la Chambre des communes de faire les lois.

Ce sont là quelques impressions, quelques questions et quelques réactions dont j'ai été témoin dans ma circonscription au sujet de ce jugement. Je me demandais si les électeurs des députés d'en face, qui font du chahut et qui dénoncent la motion présentée par mon collègue, avaient constaté des réactions différentes de la part de leurs électeurs. J'en doute fort. En fait, ils ont reconnu que leurs électeurs avaient réagi exactement de la même façon, ce qui ne me surprend pas.

Comment en sommes-nous arrivés là? Si l'on devait trouver un point tournant de notre histoire à cet égard, nous devrions revenir à 1972. Nous avions un gouvernement libéral, et le solliciteur général était un certain Goyer. J'ai vu la citation dans le hansard où le Solliciteur général Goyer a dit que le gouvernement du Canada devrait modifier l'objectif central et les priorités du système de justice pour que la protection des citoyens ne soit plus la chose la plus importante. Il a déclaré qu'il fallait plutôt faire des droits et de la réinsertion sociale des criminels notre principale priorité, et que le droit des citoyens d'être en sécurité et de se sentier en sécurité dans leur maison n'était que secondaires. C'est incroyable. Ce n'est pas une citation exacte, j'ai paraphrasé ses paroles, mais ce qu'il a dit en substance.

C'était un solliciteur général libéral et les libéraux actuels n'ont pas un point de vue différent de celui-là. Ils croient encore qu'on doit faire passer avant tout les droits et la réinsertion sociale des criminels. Eh bien, ils ont tort et les Canadiens le leur disent. Dans tous les cas, c'est la protection des citoyens qui importe avant tout.

Certains vont prétendre que les personnes coupables de crimes mineurs devraient avoir le droit de vote, mais qu'on devrait le retirer à ceux qui sont coupables de crimes plus graves.

Je veux simplement me reporter à une chose qui s'est produite à New York il y a quelques années. William J. Bratton était un ancien agent de police qui est devenu chef de la sécurité pour le métro de New York. M. Bratton était chargé de faire respecter la loi dans le métro. Il a déclaré qu'on devait traiter comme des criminels dangereux tous les criminels, y compris ceux qui font des graffitis sur les murs ou qui mendient. Il s'est attaqué à ce qu'on appelle les crimes mineurs.


1694

Ce faisant, M. Bratton a réduit également de façon marquée le nombre de crimes graves. Lorsqu'il est devenu plus tard le directeur de la police de New York, il a appliqué la même politique consistant à prendre au sérieux les crimes mineurs et ainsi, le taux de criminalité à New York a beaucoup baissé.

Au moment où nous étudions cette motion, il est important que les personnes qui commettent des crimes mineurs sachent que tous les crimes sont graves et que c'est une raison suffisante pour qu'elles perdent leur droit de vote.

La présidente suppléante (Mme Ringuette-Maltais): Comme il n'y a plus de députés voulant prendre la parole et que la motion n'a pas été choisie pour faire l'objet d'un vote, la période prévue pour l'étude des initiatives parlementaires est maintenant terminée et l'ordre est rayé du Feuilleton.

Comme il est 18 h 30, la Chambre s'ajourne jusqu'à demain, à 10 heures, conformément au paragraphe 24(1) du Règlement.

(La séance est levée à 18 h 31.)