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Le budget 1988-1989



André Blais
Université de Montréal

François Vaillancourt
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1987-1988

· Rubrique : Le budget



« To tax and to please, no more than to love and beware, is not given to men. »
Edmund Burke

Le budget est l'opérationnalisation des priorités gouvernementales en termes financiers. Les ressources financières étant limitées, le budget est le mécanisme par lequel le choix entre différents objectifs sociaux, économiques et politiques est effectué (Webber et Wildavsky, 1986). Dans ce texte, nous examinerons donc les choix explicites et implicites du ministre des Finances et du gouvernement du Québec, tels que révélés par le budget 1988-1989.

Le budget est habituellement présenté en deux documents. Chronologiquement le premier est le budget des crédits qui prévoit la ventilation des dépenses gouvernementales pour l'année fiscale à venir. Le deuxième est le discours du budget qui porte principalement sur l'évolution économique générale du Québec et sur la ventilation des revenus du gouvernement, mais inclut également certaine modifications aux dépenses annoncées lors du dépôt des crédits. Cette année une déclaration ministérielle du 18 décembre 1987 doit également être considérée comme faisant partie du processus budgétaire de 1988-1989, car elle précise un ensemble de paramètres du système fiscal québécois qui seront en vigueur le 1er janvier 1988, à la suite de la réforme fiscale fédérale.

Pour mieux comprendre les choix budgétaires du gouvernement québécois, il est utile de les comparer avec les choix effectués par d'autres gouvernements. Une première section du texte sera consacrée à une analyse comparative indiquant les choix qui avaient été faits précédemment. Nous verrons à cet effet comment les recettes et les dépenses du gouvernement du Québec ont évolué de 1971 à 1986 (dernière année pour laquelle des données comparatives sont disponibles) et comment cette évolution se différencie de celle observée dans les autres provinces canadiennes. Une deuxième section portera sur le budget 1988-1989 proprement dit; nous y montrerons surtout les changements apportés par rapport au budget précédent. Dans la dernière section, les réactions au budget seront brièvement examinées.



1. Le budget québécois: évolution et comparaisons

Les analyses de la politique québécoise mettent l'accent sur le rôle important qu'a joué l'État dans la transformation socio-économique de la province au cours des trente dernières années. Les années 80 signalent peut-être un processus de « normalisation », mais l'image demeure d'un gouvernement plus interventionniste qu'ailleurs (voir en particulier McRoberts, 1988). Une étude comparative des dépenses publiques au Québec et en Ontario montrait peu de différences entre les deux provinces jusqu'en 1960, mais un écart grandissant par la suite, le ratio dépenses/ revenu personnel étant de 50 % plus élevé au Québec en 1980 (Mais et McRoberts, 1988). Mais qu'en est-il maintenant? Le contraste est-il aussi marqué lorsqu'on compare le Québec aux autres provinces canadiennes?

Avant de répondre, notons que les données présentées ci-après ont trait aux revenus et dépenses consolidés, c'est-à-dire les revenus et dépenses du gouvernement provincial et des gouvernements municipaux. Ce regroupement est nécessaire pour les fins de comparaisons interprovinciales puisque certaines fonctions, tels les services sociaux et l'enseignement primaire et secondaire, prises en charge pour l'essentiel par le gouvernement provincial au Québec, relèvent en plus grande part des autorités locales dans d'autres provinces. Pour les mêmes fins, les revenus et les dépenses liés au Régime de rentes du Québec sont exclues car elles apparaissent au budget du gouvernement fédéral ailleurs au Canada.

Le tableau 1 révèle que les dépenses totales du gouvernement provincial et des gouvernements municipaux au Québec s'élèvent à 37 milliards de dollars et représentent 31 % du PIB au Québec en 1986. En termes relatifs, les dépenses sont beaucoup plus élevées qu'en Ontario mais de même niveau que dans le reste du Canada. L'écart entre le Québec et l'Ontario se rétrécit quelque peu en ce qui a trait aux revenus propres. C'est que les transferts de l'administration fédérale sont plus substantiels au Québec qu'en Ontario. En 1986, ils totalisent 6,6 milliards au Québec contre 4,9 milliards en Ontario; ils comptent pour 18% des recettes publiques consolidées dans le premier cas et 12% dans le second. L'écart serait encore plus petit si le Québec ne touchait pas une partie des transferts fédéraux sous forme d'impôt sur les particuliers qu'il perçoit lui-même. En 1986-1987, le montant d'impôt sur le revenu des particuliers ainsi perçu était de 1431000 000 $ (The National Finances 1986-1987, Canadian Tax Foundation, tableau 16.3 ), soit près de 20 % de l'impôt sur le revenu des particuliers. Par contre, le Québec se démarque quelque peu des autres provinces quant aux revenus propres (les revenus propres excluent ceux provenant des autres gouvernements). La raison tient encore aux transferts fédéraux, qui sont un peu plus importants (ils représentent 20 % des recettes publiques consolidées) dans les autres provinces, tout particulièrement dans celles de l'Atlantique. Notons finalement qu'au Québec comme ailleurs, les dépenses sont supérieures aux revenus. L'écart s'établit en 1986 à 1,4 milliard de dollars, soit 4 % du total des recettes. Le déficit ontarien est du même ordre, soit 1,5 milliard. Il est plus élevé dans le reste du Canada (il représente 13 % du total des recettes) mais cela est dû entièrement au déficit exceptionnel de l'Alberta qui atteignait cette année-là 3 milliards (l'année précédente la même province enregistrait un surplus de 400 millions).

Ces données confirment que le budget de l'État (incluant les municipalités) est nettement plus élevé au Québec qu'en Ontario, en pourcentage du PIB. Elles indiquent également, ce qui est habituellement peu souligné, qu'il n'est qu'un peu plus élevé que dans les autres provinces canadiennes. Cette situation est-elle récente, ou s'est-elle modifiée dans le temps? Le tableau 1 révèle que la part de l'État dans le PIB au Québec s'est accrue substantiellement au cours des années 70 mais s'est stabilisée depuis. En Ontario, il n'y a guère eu de changement (sauf pour ce qui est des revenus propres à la fin des années 70), de sorte que l'écart s'est creusé au cours de la décennie 70 et est demeuré inchangé depuis. Dans les autres provinces, la croissance des dépenses s'est produite dans les années 80 plutôt que dans les années 70. Au cours de cette dernière décennie, le Québec s'est donc laissé rattraper par les autres provinces.

Où va tout cet argent? Les tableaux 2, 3 et 4 fournissent certains éléments de réponse. Les postes budgétaires les plus importants (tableau 2) sont l'éducation, les services sociaux et la santé, qui comptent à eux trois pour plus de la moitié des dépenses (tableau 4). Le Québec se distingue tout particulièrement des autres provinces dans le domaine des services sociaux, où il dépense beaucoup plus (1200 $ per capita, contre 600 $ dans les autres provinces) et dans celui de la santé, où il dépense beaucoup moins, ce qui s'explique en partie par une rémunération moindre des médecins. C'est donc dans le secteur des services sociaux que la croissance a été la plus forte depuis 1971, à la suite d'une augmentation importante du nombre de bénéficiaires de l'aide sociale et des prestations moyennes (Vaillancourt et Grignon, 1986). Par contre le secteur transport et communications a vu sa part diminuer considérablement. En 1971, le Québec consacrait 120 $ per capita à cette fonction, soit un peu plus qu'en Ontario et autant que dans les autres provinces; en 1986, le montant s'établit à 310 $, toujours un peu plus qu'en Ontario, mais beaucoup moins que dans les autres provinces (469 $) (tableau 3).

Pour ce qui est des recettes (tableaux 5 à 7), la principale source est évidemment l'impôt sur le revenu des particuliers (tableau 5) qui compte pour plus du quart des revenus propres (tableau 7). Cet impôt rapporte 1253 $ per capita au Québec, en 1986, contre 975 $ en Ontario et 727 $ dans le reste du Canada (tableau 6). Mais le Québec se distingue également par de plus fortes taxes spécifiques à la consommation ainsi que par des cotisations de sécurité sociale plus élevées. Dans ce dernier cas, la situation s'explique par le fait que le Québec est la seule province avec le Manitoba à prélever auprès des employeurs un impôt sur la masse salariale. Au Québec, les impôts sur le revenu des corporations sont par contre beaucoup plus bas; le gouvernement du Québec ne récolte que 0,5 milliard de dollars en 1986, comparativement à 2,2 milliards en Ontario. Cette année-là le taux d'imposition pour les grandes entreprises des secteurs primaires et secondaires s'établit à 5,9 % au Québec, alors qu'il est supérieur à 10 % dans toutes les autres provinces et atteint même 17 % au Manitoba et en Saskatchewan.

Les cotisations de sécurité sociale sont nettement la source de revenu le plus en croissance depuis 1971 et les impôts sur le revenu des corporations, la source qui diminue le plus fortement. Cette double évolution résulte essentiellement d'une mesure du budget 1981-1982 qui augmenta la contribution des employeurs aux services de santé de 1,5 % à 3 % du salaire versé tout en réduisant le taux d'imposition sur les bénéfices des sociétés de 13 % à 5,5 % (Mais et McRoberts, 1983).

On peut donc retenir qu'au moment où le gouvernement allait faire connaître ses choix budgétaires pour l'année 1988-1989,

  1. le budget du Québec était déjà plus élevé qu'ailleurs ;

  2. la part des dépenses gouvernementales dans le PIB était demeurée stable depuis le début des années 80;

  3. le Québec dépensait déjà plus pour les services sociaux et moins pour la santé que les autres provinces et que la part dévolue aux transports et communications diminuait depuis plusieurs années;

  4. le Québec se distinguait des autres provinces par le fait qu'on y taxe beaucoup moins les profits et beaucoup plus la masse salariale.




2. Le budget 1988-1989

Les orientations budgétaires d'un gouvernement ne changent pas du jour au lendemain. Comme le stipule le modèle gradualiste (Lindblom, 195,9), le budget des années précédentes sert de point de référence, le gouvernement se contentant d'apporter des modifications à la marge. Les modifications sont rarement très substantielles d'une année à l'autre, mais elles peuvent avoir une grande portée lorsqu'elles s'accumulent sur plusieurs années. De toute façon, ce sont ces modifications qui signalent les choix politiques du gouvernement. Nous allons donc examiner à travers deux documents, le budget-crédits et le discours du budget, comment les dépenses et revenus prévus pour l'année 1988-1989 se distinguent du budget précédent. Nous allons également comparer ce budget avec celui d'il y a cinq ans, pour mieux cerner les changements associés à l'arrivée au pouvoir du gouvernement libéral.

Dans son budget des crédits déposé le 24 mars, le ministre des Finances annonce des dépenses totales de l'ordre de 31,5 milliards pour l'année financière 1988-1989, soit une augmentation nominale de 4% par rapport à l'année précédente (tableau 8). Cette augmentation est inférieure à la hausse de 8 % prévue pour 1988 pour le PIB nominal, de sorte que le budget implique une légère diminution de la taille de l'Etat provincial dans l'économie. À noter que les chiffres du tableau 8 ne sont pas comparables à ceux des tableaux précédents, puisqu'ils ne concernent que le gouvernement provincial et n'incluent donc pas les dépenses des administrations locales. Les crédits accordés aux missions économique et gouvernementale augmentent, aux dépens des missions éducative et sociale. À l'intérieur de la mission économique, c'est le domaine des ressources humaines, et plus particulièrement le secteur main-d'oeuvre et emploi, qui voit son budget accru le plus fortement; 40 millions sont consacrés à la mise en oeuvre du programme APPORT, qui vise à inciter les familles à faible revenu à demeurer sur le marché du travail. Le seul domaine qui subit une réduction des crédits est celui de la sécurité du revenu, à la suite d'une diminution prévue de 400 millions pour les prestations d'aide sociale. Cette diminution est surtout imputable au fait que le gouvernement a payé en 1987-1988, par anticipation pour 1988-1989, 180 millions pour l'aide sociale, ce qui a eu pour effet de gonfler artificiellement les dépenses de 1987-1988 et de faire baisser celles de 1988-1989, créant une différence de 360 millions. De plus le président du Conseil du Trésor prévoit que l'assistance sociale coûtera 51 millions de moins en 1988-1989, à la suite d'une diminution de 8 % du nombre de ménages touchant des prestations.

Dans les ministères, c'est celui de l'Industrie et du Commerce qui obtient la plus forte augmentation (+83%) par rapport aux résultats préliminaires 1987-1988. Soulignons en particulier que 98 millions seront octroyés à Sidbec comparativement à 58 millions en 1987-1988. Il convient toutefois de noter que ce même ministère avait connu une diminution substantielle de ses crédits (-32 %) en 1987. La plus forte baisse (-35 %) touche le ministère des Communications: elle découle de la mise en oeuvre du fonds des services informatiques et du fonds 'des services des télécommunications (en remplacement des comptes ministériels) et du transfert vers les ministères et organismes-clients de crédits de 85 millions antérieurement prévus au budget des Communications (Le Devoir, 25 mars 1988). Le président du Conseil du Trésor prévoit finalement une réduction de 2 % des effectifs dans la fonction publique et de 1,5 % du personnel non enseignant dans le réseau de l'éducation aux niveaux primaire et secondaire (ibid).

Les crédits de cette année peuvent également être comparés aux dépenses effectuées cinq ans plus tôt sous l'administration péquiste. On constate alors que l'arrivée au pouvoir du gouvernement libéral a correspondu à une diminution du budget de l'État, une baisse relative assez considérable, de l'ordre de 20 % pour ce qui est de la part du PIB. La ventilation des dépenses a, quant à elle, assez peu bougé, à l'exception peut-être de la réduction des dépenses pour la mission éducative et culturelle, réduction surtout imputable à la baisse des effectifs étudiants aux niveaux primaire et secondaire.

Reste le discours du budget. Celui-ci porte prioritairement sur les revenus gouvernementaux mais prévoit à l'occasion des réaménagements aux crédits annoncés précédemment. Effectivement, le discours du budget annonce des mesures additionnelles entraînant des déboursés supplémentaires de 91 millions de dollars. De ce montant, 30 millions sont affectés à la construction et à l'amélioration du réseau routier et 12 millions à un plan d'action en matière de développement régional.

À ces montants, il faudrait ajouter des fonds additionnels de 95 millions de dollars en allocations pour enfants. Techniquement, il s'agit de mesurés fiscales puisqu'elles sont versées à titre de crédits d'impôt, comme l'indique le ministre des Finances, mais elles correspondent en fait à des dépenses comme toutes les autres couvertes par le budget-crédit. Le ministre des Finances a transformé l'allocation de disponibilité pour les enfants de moins de 6 ans qui est de 100 $ pour le premier enfant, de 200 $ pour le second et de 500 $ pour les suivants en allocation mensuelle, et il la bonifie en la faisant dépendre du nombre d'enfants de moins de 18 ans dans la famille (par exemple, une famille d'au moins trois enfants de moins de 18 ans dont l'un est âgé de moins de 6 ans bénéficiera d'une somme annuelle de 500 $ au lieu de 100 $ comme c'est le cas habituellement). Cette modification devrait entraîner des déboursés supplémentaires de 29 millions en 1988-1989 et de près de 50 millions par la suite. Le ministre crée également des allocations à la naissance de 500 $ pour les premier et deuxième enfants et de 3 000 $ pour les suivants. Ces allocations devraient coûter 66 millions de plus au Trésor provincial en 1988-1989. Ces mesures représentent une augmentation de l'ordre de 30 % des montants prévus pour ce type d'allocation. Dans la même veine, il faudrait également mentionner la création d'un programme d'accès à la propriété, dans le cadre duquel le gouvernement prendra en charge les intérêts pendant 7 ans sur une partie (le moindre de 7 000 $ ou de 10 % du montant de l'emprunt hypothécaire) de l'emprunt effectué pour l'achat d'une résidence principale. Le programme s'adresse aux familles ayant deux enfants ou plus et dont aucun des conjoints n'a déjà été propriétaire. Les coûts prévus du programme sont de 5 millions en 1988-1989 et de 13,5 millions à partir de la troisième année. Finalement, le ministre accorde un montant additionnel de 2,3 millions (en plus des 12 millions supplémentaires déjà prévus dans les crédits) aux services de garde.

Du côté des revenus, les principales modifications annoncées dans le discours du budget touchent l'impôt sur le revenu des particuliers. Les modifications vont dans le sens d'une diminution de cet impôt dont la part dans les revenus autonomes du gouvernement est réduite de près de 2 % (tableau 9). De loin, la mesure la plus importante est le remplacement de l'ancienne table d'imposition, composée de 16 paliers, par une nouvelle table constituée de 5 paliers. À cela s'ajoute la transformation d'un grand nombre d'exemptions et de déductions en crédits d'impôt. Ces deux mesures vont coûter au gouvernement québécois près de 200 millions de dollars en 1988-1989 et environ 1 milliard par la suite. Cela équivaut à une réduction relative de l'ordre de 10 %. Quant à la transformation des déductions en crédits, elle aura pour effet de rendre cet impôt plus progressif.

Comme le ministre des Finances le reconnaît, cette réforme de la fiscalité québécoise a été suscitée en grande partie par les réformes qu'ont effectuées le gouvernement américain en 1987 et le gouvernement canadien en 1988. Le gouvernement québécois est allé moins loin que le gouvernement canadien dans la simplification des tables d'impôt: ce dernier a réduit la table à 3 paliers, alors que le Québec en a retenu 5. L'écart est également plus prononcé au fédéral (le taux marginal va de 17 à 29%) qu'au Québec (où le taux varie entre 16 et 24%). La fiscalité fédérale apparaît donc maintenant plus progressive que la fiscalité québécoise.

Il n'en demeure pas moins que les changements apportés vont dans le sens d'une plus grande progressivité, comme l'indique le tableau 10. Les ménages les plus pauvres ne paient pratiquement pas d'impôt et ne peuvent donc pas profiter de ces mesures. Mais parmi ceux qui paient de l'impôt, ce sont les moins fortunés qui en bénéficient le plus.

Le budget contient deux autres mesures plus spécifiques. D'abord les allocations familiales cesseront d'être récupérées, ce qui signifie une perte de l'ordre de 120 millions de dollars par année pour le gouvernement (sur les 200 millions versés). De plus, le remboursement d'impôts fonciers est bonifié de façon substantielle, ce qui occasionnera des revenus moindres de l'ordre de 100 millions à partir de 1989.

La fiscalité des entreprises est beaucoup moins touchée. Signalons toutefois trois mesures qui contribueront à diminuer le fardeau fiscal. Premièrement, le ministre des Finances annonce l'octroi d'un amortissement accéléré de 100 % à la machinerie et à l'équipement utilisés à des fins de transformation; la mesure aura un impact financier de 40 millions en 1988-1989 et d'environ 80 millions par la suite. Deuxièmement, il indique que la taxe spéciale sur les corporations de raffinage sera graduellement abolie pour un coût de 9 millions en 1988-1989 et de près de 20 millions les autres années. Troisièmement, il bonifie des déductions et des crédits d'impôt pour les activités de recherche et développement pour un coût dépassant 10 millions à partir de 1989-1990, Ces modifications accentuent la différence dans le traitement fiscal des entreprises par rapport à celui en vigueur au niveau fédéral. En effet, la réforme sur ce plan va dans le sens d'une diminution de l'utilisation de mesures incitatives telles que l'amortissement accéléré et les crédits d'impôt.

Finalement, le discours du budget prévoit un déficit budgétaire de 1,6 milliard de dollars pour l'année 1988-1989, une diminution substantielle par rapport au déficit de 2,35 milliards l'année précédente.

On peut également comparer la ventilation des revenus à celle sous l'administration péquiste cinq ans plus tôt. On constate que la diminution relative de l'impôt sur le revenu des particuliers n'a vraiment été amorcée que cette année. Depuis cinq ans, par contre, les impôts sur les sociétés et la taxe de ventes au détail ont vu leur part dans le revenu augmenter, alors que celle de la taxe sur les carburants a été réduite. Cette dernière réduction découle en partie de la diminution du taux de la taxe sur les carburants dans les régions périphériques, décrétée dans le budget spécial de décembre 1985. La hausse des impôts aux entreprises correspond à la surtaxe de 7,25 % annoncée dans le discours du budget de mai 1986, et celle du revenu provenant de la taxe de vente fait suite à la décision dans le budget de 1986 d'élargir l'assiette de cette taxe, en éliminant l'exemption de certaines formes d'énergie (le gaz naturel, l'huile à chauffage, le kérosène et le charbon). Notons finalement que le déficit en 1988-1989 s'établira à 1,6 milliard de dollars soit 5 % du total des dépenses probables, contre 2,1 milliards de dollars, soit 9 % des dépenses en 1983-1984. Depuis cinq ans, le gouvernement québécois a donc diminué la part des dépenses dans le PIB d'environ 20 % et la part du déficit par rapport aux dépenses de plus de 40 %.




3. Les réactions

Comme d'habitude, le discours du budget a suscité beaucoup plus de réactions que le dépôt des crédits. Dans ce dernier cas, c'est la proportion dévolue aux arts qui a retenu le plus l'attention. Les crédits alloués à la culture représentent 0,7 % du total des dépenses, ce qui est en deçà de l'objectif de 1 % que se sont fixés les milieux culturels québécois, objectif auquel avait souscrit le programme du Parti libéral en 1985. La Coalition du monde des arts s'est donc dite extrêmement déçue des estimés budgétaires. Mme Lise Bacon, ministre des Affaires culturelles, s'est sentie obligée d'intervenir par voie de communiqué pour souligner le fait que l'augmentation des dépenses consacrées à ce secteur dépasse les 10 % (La Presse, 25 mars 1988).

Les choses se présentent très différemment dans le cas du discours du budget. Ce discours annonçait de bonnes nouvelles: une baisse du déficit, une diminution des taux d'imposition, aucune hausse de taxe et un certain nombre de mesures destinées en particulier aux familles. Un tel budget ne pouvait qu'être bien reçu. Et, effectivement, les réactions furent extrêmement positives. C'est l'un des très rares budgets qui ait réussi à satisfaire aussi bien les syndicats que les patrons. M. Ghyslain Dufour, président du Conseil du patronat, s'est dit heureux dans l'ensemble des mesures annoncées dans le budget, alors que le président de la CSN, M. Gérald Larose, le qualifiait de « budget substantiel qui comporte plusieurs points forts et quelques faiblesses » (La Presse, 13 mars 1988). La Presse conclut son éditorial en disant que « ce budget fait beaucoup pour améliorer les perspectives économiques et sociales au Québec en veillant à ne pas compromettre l'avenir » (ibid.). Le chroniqueur Alain Dubuc écrit que « sur le plan purement économique, ce budget est excellent » (ibid.).

D'une certaine façon, la partie était facile pour le ministre des Finances. Le Québec a connu une forte croissance économique en 1987, ce qui a apporté au gouvernement des fonds supplémentaires, qui seront utilisés cette année. De plus,, le ministre avait déjà pu élargir l'assiette fiscale des impôts sur le revenu par l'abolition d'abris fiscaux en décembre 1987, ce qui lui permettait de compter sur des revenus additionnels. Dans un tel contexte, il était bien aisé d'annoncer de bonnes nouvelles. Cela dit, les grandes orientations du budget nous semblent bien ajustées à l'état actuel de l'opinion publique. L'opinion majoritaire sur l'orientation d'ensemble de l'intervention gouvernementale peut être ainsi résumée:

« La volonté d'accroître ou de diminuer substantiellement l'État est peu marquée. Le statu quo est donc jugé satisfaisant. Par contre la résistance à des hausses d'impôt est très forte et ne saurait être ignorée... Le message... aux gouvernements est de procéder de façon modérée et prudente, de pourchasser le gaspillage et si cela s'avère absolument nécessaire, d'envisager une diminution des services de préférence à une augmentation des impôts. » (Blais et Dion, 1987, p. 69-70)

La décision du gouvernement de maintenir à peu près le statu quo au niveau des dépenses et des services, de ne pas hausser quelque taxe que ce soit et d'utiliser la petite marge de manoeuvre disponible pour réduire l'impôt personnel ne pouvait qu'être bien reçue. Seule la volonté de réduire substantiellement le déficit surprend quelque peu. Il est vrai que les milieux patronaux reviennent constamment sur le thème du déficit. La plupart des citoyens se montrent relativement peu préoccupés par cette question (Johnston, 1986). Sur ce plan, il sera intéressant de vérifier si le prochain budget, qui devrait être le dernier avant les prochaines élections, donnera lieu, comme c'est généralement le cas dans un budget préélectoral (Mais, McRoberts et Nadeau, 1988), à une hausse du déficit.

Le discours du budget a aussi été un discours « familial », comme le reflète bien un titre comme « La famille sort gagnante de la réforme fiscale » (Le Devoir, 13 mai 1988). L'élément le plus spectaculaire du budget fut évidemment l'allocation de 3 000 $ qui sera versée pour un troisième enfant. On peut s'interroger sur la pertinence de mettre l'accent sur le troisième enfant plutôt que sur le deuxième ou même le premier (notons d'ailleurs qu'une seule des mesures annoncées vise spécifiquement le troisième enfant). Ce qui est clair cependant, c'est qu'on s'entend sur l'opportunité d'aider davantage les familles. Comme le note Alain Dubuc (La Presse, 14 mai 1988): « Les cadeaux de M. Lévesque ont une valeur surtout symbolique, sont un signal signifiant que l'État se préoccupe des familles » ; et manifestement, le symbole familial est positif dans le contexte actuel. Comme le conclut Gilles Lesage: « Le gouvernement bouge enfin dans le bon sens » (Le Devoir, 14 mai 1988).

Il était bien difficile pour l'opposition de s'attaquer à un tel budget. Le Parti québécois a décidé de faire porter la critique sur deux points. D'abord M. Parizeau a reproché au gouvernement d'avoir changé les méthodes comptables (les revenus et les pertes des sociétés d'État sont maintenant comptabilisés), ce qui a eu pour effet de réduire « artificiellement » le déficit. Effectivement, si la convention comptable n'avait pas été modifiée, le déficit n'aurait pas diminué. Le ministre des Finances réplique que ce changement avait été recommandé par le vérificateur général. On comprend facilement que le gouvernement ait procédé à un changement qui l'arrangeait; le changement n'en est pas pour autant illégitime. De plus et surtout on comprend difficilement que M. Parizeau s'offusque de ce que le gouvernement procède à des tranferts de fonds similaires à ceux qu'il effectuait lui-même il y a quelques années (voir Alain Dubuc, « Le tripotage », La Presse, 18 mai 1988).

L'autre critique de l'opposition péquiste a porté sur la progressivité du budget: selon M. Parizeau, les largesses libérales profiteront aux riches. Le chef péquiste a fait valoir que la table d'impôt provinciale était maintenant moins progressive qu'elle ne l'était précédemment. Mais ce n'est là qu'un des aspects de la réforme de la fiscalité. La transformation des déductions en crédits d'impôt profitera davantage aux pauvres; il en est de même de l'abolition des abris fiscaux. En fait, tout indique que la fiscalité québécoise est plus progressive qu'elle ne l'était auparavant et que ne l'est la fiscalité canadienne (Mais, McRoberts et Gaboury, 1987). Il est bien possible toutefois - nous ne disposons pas des données sûres à cet égard -que l'écart de progressivité entre le Québec et le Canada se soit rétréci. Quoi qu'il en soit, il apparaît excessif de caractériser le budget comme profitant essentiellement aux riches. Comme le notait Alain Dubuc (La Presse, 19 mai 1988): « Les sociodémocrates peuvent dormir en paix. »
































ANNEXE 1




Bibliographie

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