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Les relations fédérales provinciales l'année des paradoxes feutrés



Paul-André Comeau
Le Devoir


L'année politique au Québec 1987-1988

· Rubrique : Les affaires constitutionnelles et les relations fédérales-provinciales



Entre juin 1987 et septembre 1988, les relations entre Québec et Ottawa se sont inscrites dans un parcours curieux. Aux affrontements classiques et habituels qui tissent la chronique politique de ce pays, ont succédé des échanges feutrés dont on devinait l'inévitabilité dès l'arrivée au pouvoir du parti libéral. En dressant la chronologie de ces quinze mois, on songe davantage à l'escrime qu'au marchandage théoriquement associé à une pratique virile du fédéralisme. Quinze mois de paradoxes qui traduisent partiellement les conséquences inachevées de la conclusion des accords Meech-Langevin et que module une stratégie en faveur du traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Impossible de s'y retrouver dans cette période sans intégrer dans tout schème d'explication cette double référence.

Après les célébrations qui ont marqué la signature, aux aurores du 3 juin 1987, de l'accord entre Ottawa et les dix gouvernements de la fédération, l'apaisement et la satisfaction ont dominé les rapports entre Québec et le fédéral. Le ton a immédiatement été donné, qui allait -imprégner tous les échanges entre les deux capitales. Et le Québec a lentement fait la découverte d'un nouveau paradoxe qui caractérise, en un certain sens, le style mis en place à Québec par Robert Bourassa, deuxième manière.

D'un côté, le premier ministre du Québec, porté par les sondages favorables, délesté d'une opposition qui se cherche, s'est placé dans une situation unique dans l'histoire politique des 50 dernières années. Il a vu son prestige et sa crédibilité s'accroître auprès des dirigeants fédéraux comme personne n'aurait osé l'imaginer, il y a quelques années seulement. À tour de rôle, et le premier ministre et le leader du Parti libéral fédéral ont sollicité des entretiens auprès de celui qui, anglais oblige, n'est qu'un « premier » dans ce pays.

On a parlé avec humour de « mamours », de flirts. L'heure n'est plus aux « machines » qui obéiraient au doigt et à l'oeil: aucun premier ministre ne peut promettre de livrer des blocs de vote au client de son choix. Aussi a-t-il affiché courtoisie, mais fermeté dans le volet public de chacune de ces « audiences ». C'est comme si le chef du gouvernement québécois avait adopté le mot d'ordre de Valéry Giscard d'Estaing aux premiers moments du mandat du Parti québécois: « Non-ingérence, mais non-indifférence. » L'appui évident des leaders des trois formations fédérales aux accords Meech Langevin garantit au Québec une zone de certitude. Reste à parer l'éventualité d'un dérapage au sujet du libre-échange: M. Bourassa se réserve alors le droit d'intervenir sur la place publique si les intérêts du Québec paraissent menacés. La démarche a de quoi faire sursauter: on relève peu de menace « d'infidélité » aussi caractérisée dans l'histoire récente des relations entre les deux partis libéraux, même si l'aile québécoise a rompu le cordon ombilical depuis un quart de siècle déjà. Elle surprend aussi dans le contexte mouvant de la fortune des partis fédéraux telle que traduite par les sondages d'opinion. Seule l'histoire nous renseignera sur le contenu réel des propos échangés entre M. Bourassa et ses visiteurs d'un jour. L'impression s'est gravée, qui accrédite le rôle d'interlocuteur privilégié, d'intermédiaire presque obligé des dirigeants fédéraux.

Pouvoir ou simple prestige, la situation du premier ministre du Québec commande un style inédit au chapitre des transactions avec le gouvernement fédéral. Dans la plupart des dossiers, il est à peu près impossible d'obtenir l'heure juste, de faire le partage entre la parade et la démarche bien raisonnée. Aboutit-on à une impasse, les fonctionnaires lèvent-ils les bras au ciel? Certain ministre ose alors une prise de position dont la fermeté s'évanouit aussitôt. Une nouvelle déclaration laisse croire qu'une lecture plus -approfondie a permis de mieux saisir la nature du problème. Hésitation calculée ou repli forcé ? C'est encore ici manifestation concrète de ces échanges feutrés qui sous-tendent, et structurent tout à la fois, le dialogue entre Ottawa et Québec.



Esprit, où es-tu?

Rarement a-t-on invoqué dans ce négoce politique avec autant de constance, presque sous forme incantatoire, une même référence. L'esprit du lac Meech n'est pas l'une de ces inventions journalistiques qui camouflent une difficulté à saisir la complexité d'un problème. C'est, dans les faits, le mot magique utilisé à Ottawa comme à Québec pour éviter la simple possibilité ou la moindre menace de déraillement de l'accord. S'oriente-t-on vers la banalisation d'un autre de ces concepts qui ont fleuri l'expérience fédérale au Canada depuis la fin de la Seconde Guerre? L'esprit du lac Meech va-t-il s'ajouter à ces mots fétiches avec lesquels les dirigeants politiques ont tenté de symboliser un style, parfois de camoufler des velléités ? De coopératif à fonctionnel à renouvelé, le fédéralisme canadien évoluerait vers quelque chose d'encore plus mystérieux ?

Peut-on au contraire imaginer tactique mûrement réfléchie dans cette période d'attente où l'accord du lac Meech n'a encore aucune valeur en droit? Une tactique qui s'imposerait avec plus de prégnance en raison de l'autre objectif poursuivi avec autant de patience et même d'obstination: le traité de libre-échange avec les États-Unis ? C'est comme s'il y avait un jeu analogue au principe des vases communicants. C'est du moins ce que laisse croire le style adopté et maintenu par Québec dans les échanges aussi bien avec Ottawa qu'avec les autres provinces.

Ainsi, lorsque, le 24 mai 1988, le gouvernement fédéral publie le texte de loi qui intègre les dispositions de l'accord canado-américain, Québec articule ses réactions en deux temps. Certaines dispositions de ce texte autoriseraient le pouvoir fédéral à empiéter sur les domaines de compétence exclusive des provinces? Attitude immédiate de fermeté affichée à Québec par le premier ministre, mais aussitôt la résolution cède la place à un acte de foi et d'espérance confondues à l'égard du traité lui-même. Et de ses bienfaits anticipés pour l'économie du Québec ! Vigilance, certes, mais pas d'opposition qui pourrait remettre en cause le traité lui-même, précise-t-il le 28 mai.

Rien de nouveau à cet égard: c'est la ligne suivie depuis le lancement de cette initiative du gouvernement conservateur. Après avoir évoqué, à l'automne 85, la possibilité pour le Québec de recourir à une forme de veto, le premier ministre Bourassa a retraité rapidement pour limiter là portée de ses revendications.

À la faveur des rencontres fédérales-provinciales convoquées depuis 1986, le chef du gouvernement québécois réaffirme son appui sans faille à la mise en place d'une zone de libre-échange sur ce continent. Les uns qualifieront d'ambiguë cette démarche qui devait trouver un aboutissement presque rituel à la faveur d'une commission parlementaire (juin 1988) où se sont opposés partisans et adversaires de ce traité. D'autres imputeront à une forme d'électoralisme latent ce refus de l'affrontement, cette volonté de minimiser problèmes et divergences. La vérité se situe sans doute quelque part entre ces deux interprétations, là où les paradoxes soutiennent le discours.

De même, les relations du Québec avec les autres gouvernements provinciaux se sont ressenties des contraintes imposées par la volonté de préserver à tout prix l'acquis du lac Meech. Encore ici, cette politique s'est parfois muée en acte de voltige. Ainsi le premier ministre s'est-il bien gardé d'insister sur les divergences fondamentales entre le Québec et l'Ontario au sujet du libre-échange. Fort de l'appui de M. David Peterson en ce qui concerne l'accord constitutionnel de juin 1987, M. Bourassa a réussi à éviter toute controverse avec son homologue ontarien. On pourrait arriver à pareille constatation en examinant en détail l'ensemble des relations entre Québec et les autres capitales provinciales.

Cette prudence consentie comporte toutefois un revers négatif. La méfiance, pour ne pas dire plus, de M. Peterson envers le traité de libre-échange n'incite sûrement pas le Québec à presser ce dernier de jouer les émissaires officieux auprès des opposants à l'accord constitutionnel: le premier ministre du Nouveau-Brunswick et la nouvelle tête d'affiche des libéraux du Manitoba, Mme Carstairs.

En bout de piste, on en arrive à s'interroger sur le poids respectif des deux options fondamentales du Québec depuis décembre 1985, l'accord constitutionnel et le traité de libre-échange. L'un et l'autre projets n'ont pas encore franchi l'étape du non-retour. Un rien - entendons par là un revers électoral à Ottawa, le refus de M. McKenna de respecter la parole donnée par son prédécesseur -pourrait faire chavirer cette patiente construction. A l'examen des dossiers, on en arrive pourtant à attribuer à l'entente constitutionnelle un coefficient déterminant.

À vrai dire, un seul cas patent de décision politique appuyée sur l'accord du lac Meech se dégage de la chronique: il s'agit de la nomination, le 26 septembre 1988, de quatre nouveaux sénateurs qui occuperont, à la Chambre haute, des sièges réservés au Québec en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Nomination effectuée par le premier ministre fédéral à partir d'une liste élaborée par le chef du gouvernement du Québec: c'est la mise en oeuvre impeccable de l'entente intérimaire arrêtée lors des négociations constitutionnelles du printemps 1987.

D'autres ont voulu imputer à ce même esprit du lac Meech une partie du succès du second Sommet de la francophonie tenu à Québec, en septembre 1987. Cette rencontre des dirigeants de la nouvelle communauté francophone a accessoirement signifié au monde entier la normalisation des rapports entre Québec, Ottawa et Paris. Cette étape avait été franchie dès avant la première réunion dans la capitale française des « chefs d'État ou gouvernement des pays ayant en commun l'usage du français », selon la merveilleuse périphrase diplomatique maintenant consacrée. A Québec, la réconciliation s'affichait sans crainte, ni excès. Aux diplomates des 42 pays du « club francophone », le message était on ne peut plus clair: elle est révolue l'époque des affrontements entre Québec et Ottawa qui répercutaient leurs échos aussi bien sur les rives de la Seine qu'au centre de l'Afrique.

Cette harmonie retrouvée et célébrée n'a pas été conquise sans difficulté. Les rapports entre « fédéraux » et Québécois se sont ressentis d'une décennie de combats, à tout le moins de chocs diplomatiques. Du choix de l'Assemblée nationale comme lieu des sessions plénières du Sommet jusqu'à l'allocation des suites dans les hôtels de la Vieille Capitale aux visiteurs étrangers, diplomatie et politique ont dû se conjuguer à des moments de tension évidente. Les difficultés réelles, éprouvées lors des sessions de travail du « comité d'organisation », ont été levées au moment même où se forgeait le marché constitutionnel au lac Meech. Il y a là plus que coïncidence. Ce synchronisme résulte de la ferme volonté d'éliminer tous les obstacles sur la route de ce que le premier ministre avait appelé la « réintégration du Québec dans le giron fédéral dans l'honneur et la dignité ».

Cette harmonie retrouvée et célébrée a tissé la toile de fond des échanges entre Québec et Ottawa durant la période en observation. Le décor était pourtant campé depuis un certain temps. De l'héritage du gouvernement Trudeau, les relations Québec-Ottawa portent toujours l'empreinte. De façon plus précise, c'est la Charte des droits et libertés, insérée dans la loi constitutionnelle de 1982, qui, en dernière étape, jauge les initiatives québécoises prises au titre du caractère distinct reconnu par l'accord Meech-Langevin. Et c'est particulièrement vrai au sujet de la loi 101, de la Charte de la langue française. Depuis le jugement de la cour d'appel du Québec le 23 décembre 1986, l'affaire de la langue d'affichage porte ombrage à toute démarche, encore plus à toute initiative du gouvernement québécois. Déjà prudent à l'extrême, M. Bourassa s'est bien gardé de laisser filtrer ses intentions réelles. Encore ici, pas question de menacer le moindrement ce qu'il considère comme les acquis de l'entente du printemps 1987. Cette attitude explique un certain nombre de comportements.

Les minorités francophones des autres provinces ont paradoxalement été victimes de cette prudence sans compromis. Déjà inquiets par la restriction au seul gouvernement du Québec de l'obligation de promouvoir le fait français - alors que les autres gouvernements ont seulement mission de préserver cette réalité -, les leaders des communautés francophones hors Québec n'ont guère apprécié cette tiédeur officielle. Et, première peu stimulante, les dirigeants de l'Association canadienne-française de l'Alberta ont même refusé de rencontrer le premier ministre du Québec en visite officielle à Edmonton, le 12 avril 1988.

Cette porte fermée se voulait une riposte cinglante au refus de M. Bourassa de dénoncer une loi votée un peu plus tôt par le gouvernement de la Saskatchewan qui aboutit à renoncer à la mise en oeuvre des droits historiques des francophones dans cette province de l'Ouest. L'Alberta devait, il faut le signaler, reculer encore davantage en oubliant tout à fait le fait francophone.

En invoquant une volonté de non-ingérence dans les affaires internes de ces provinces, le chef du gouvernement du Québec cherchait visiblement à indiquer à ses collègues de l'Ouest la frontière du tolérable. Il y a toujours ce jugement de la Cour suprême qui va tomber, un jour ou l'autre... M. Bourassa espère sans doute que ses homologues lui rendront alors la pareille et se garderont bien de lui servir sermons et remontrances.

Ces relations tendues avec la diaspora francophone se rangent à la colonne « passif » des accords du lac Meech. La Fédération des francophones hors Québec, un moment hésitante, s'est finalement opposée à l'accord constitutionnel. Québec n'a pas réussi à renouer vraiment le dialogue avec ces rameaux de la famille francophone. C'est peut-être ici que la prudence excessive, que cette politique feutrée a donné ses fruits les plus amers.

Toujours au chapitre linguistique, la petite histoire ne pourra pas ne pas retenir le beau tollé qu'a réussi à soulever le Commissaire aux langues officielles du Canada. Dans son rapport annuel à la Chambre des communes, M. d'Iberville Fortier a épinglé la « situation humiliante » faite aux anglophones du Québec précisément par la loi 101. De Québec, la riposte a été vive: unanime - malgré des tiraillements évidents -, l'Assemblée nationale a voté le 23 mars 1988 une résolution de blâme à l'endroit du haut fonctionnaire fédéral. Dans le reste du pays, on a entendu une tout autre chanson, comme il fallait bien s'y attendre.

La révision de la Loi sur les langues officielles, votée aux premiers moments du règne Trudeau, allait pourtant fournir l'occasion d'un premier test de la compatibilité de la mission du Québec - promouvoir la langue française - et des objectifs du bilinguisme officiel pancanadien., C'était soumettre « l'esprit » du lac Meech à rude épreuve. Le problème se comprend relativement aisément: comment, sur un même territoire - le Québec -, promouvoir le bilinguisme et assurer les progrès du français ? Énoncer cette question, c'est juxtaposer les termes d'une équation complexe.

Dès avril 1988, le Conseil de la langue française sonne l'alarme: le projet de loi fédéral irait à l'encontre des objectifs fondamentaux de la Charte de la langue française. Réaction rapide du ministre des Affaires canadiennes, M. Gil Rémillard, qui s'en tient à un principe fondamental: il s'agit du respect de l'exclusivité de la juridiction du Québec sur la langue, précise-t-il... Et puis, selon le scénario de l'heure, silence officiel à Québec. Il faudra la montée des attaques du Parti québécois pour forcer le nouveau secrétaire d'État, M. Lucien Bouchard, à proposer la signature d'un accord-cadre en vue de cerner les zones d'intervention du fédéral sous l'emprise de cette loi.

Cette affaire doit faire l'objet d'une lecture plus attentive. Elle lance le débat, de façon anecdotique, sur l'évolution asymétrique que pourraient vraisemblablement connaître le Québec et le Canada au chapitre des langues - une société québécoise de plus en plus francophone, un Canada de plus en plus orienté vers une forme de bilinguisme. Ce fédéralisme asymétrique - le mot est maintenant utilisé avec parcimonie par certains leaders -prend racine dans l'histoire récente du Québec et trouve appui dans certaine dimension de l'accord Meech-Langevin.

Dans le domaine de l'immigration - autre secteur spécifiquement visé par des accords -, la négociation administrative a donné lieu à des accrochages, à des difficultés majeures. Ces problèmes n'ont toutefois pas accaparé l'attention du grand public. À peine y a-t-on fait de sibyllines allusions. Rien n'est encore réglé, qui permettra au Québec d'accueillir au moins 25 % des immigrants acceptés en vertu des contingents fédéraux. Transferts de crédits, modalités concrètes de sélection des. candidats-immigrants, tous ces aspects font l'objet de lentes et complexes négociations entre fonctionnaires. Le ressentiment de certaines autres provinces renforce la prédisposition de Québec à ne pas aller sur la place publique pour dénoncer impasses ou lenteurs.

Au-delà de ces négociations, l'affaire imprévue des pseudo-réfugiés turcs, à la fin de 1987, a soumis à rude épreuve les accords déjà en vigueur - essentiellement l'entente Cullen-Couture de 1977. L'intervention spectaculaire de divers organismes québécois a rapidement dramatisé la cause de ces ressortissants turcs attirés au Québec par des promesses d'emploi agitées par des intermédiaires douteux. Devant une campagne de presse qui a sérieusement ému une partie de la population, la ministre québécoise des Communautés culturelles et de l'Immigration, Mme Louise Robic, s'est empêtrée en voulant « régler » des cas réservés à la seule compétence des autorités fédérales. Encore ici, Québec a rapidement fait marche arrière. Depuis, les Turcs en situation irrégulière sont régulièrement refoulés vers leur, pays d'origine. Le calme est revenu sur ce front, mais toute l'entreprise aura tout de même entraîné l'éviction en douceur du sous-ministre à l'Immigration, M. Régis Vignault.

De même, la mise sur pied d'un service « national » de garderies par le gouvernement conservateur fait directement référence aux dispositions des accords Meech-Langevin au sujet des programmes à frais partagés. Deux problèmes découlent directement de la mise en oeuvre éventuelle de ce programme: comment s'exercera, dans les faits, le retrait avec compensation financière des provinces qui le souhaiteraient ? Comment arrivera-t-on à une entente au sujet des « objectifs nationaux » que fixerait Ottawa avant de reconnaître les programmes de l'une ou de l'autre province?

À Québec, le même scénario s'est répété. Le ministre des Affaires canadiennes, Me Gil Rémillard, et la responsable du dossier de la condition féminine au sein du gouvernement, Mme Monique Gagnon-Tremblay, ont clairement pointé, dès le 25 juillet, les problèmes, les difficultés que soulève pour le Québec le projet de loi déposé aux Communes. Encore une fois, la crainte de voir Ottawa s'immiscer dans les zones de compétence provinciale - la politique sociale, dans ce cas-ci, - explique et justifie une attitude de prudente réserve. Cette mise au point faite, nouvelle retraite diplomatique au profit des fonctionnaires qui. devront, eux, négocier la conclusion d'un éventuel accord. Et le silence redevient la norme dans cet autre dossier. Même s'il s'agit là d'un véritable test imposé à l'une des dispositions majeures de l'accord Meech-Langevin, la démarche ne doit pas mettre en question ce qui a été obtenu à l'arraché après deux rondes de négociations entre les onze chefs de gouvernement du pays.

Le projet de loi du gouvernement Mulroney franchira-t-il un jour toutes les étapes législatives ? Les arrangements que le Québec négociera avec Ottawa pour sa mise en oeuvre - ou même son rejet pur et simple - devraient normalement contenir des précieuses indications sur l'évolution probable du fédéralisme des prochaines années. Celui qui refléterait l'esprit du lac Meech...

Dans l'attente de cette « nouvelle manière », les tractations habituelles entre Ottawa et Québec se sont poursuivies au rythme bien particulier des fonctionnaires et des technocrates. Les dirigeants politiques sont intervenus publiquement à certaines occasions pour forcer des embâcles ou, plus souvent, pour annoncer quelque nouvelle entente. Malgré la dimension routinière de ce négoce fédéral-provincial, l'ombre des accords Meech-Langevin s'est profilée, qui a incité, encore une fois, à des excès de prudence de la part des deux gouvernements et de leurs ministres.

À titre d'exemple, la mise sur pied d'un fonds de développement pour le Québec. Inséré dans la version conservatrice de la politique de développement régional - après le démantèlement du ministère du même titre -, ce fonds doit s'inspirer des modèles déjà établis dans la région atlantique et dans l'Ouest du pays. Encore une fois, les négociations ont achoppé sur des difficultés majeures.

Dans un premier temps, Ottawa songeait à établir des « bureaux de consultation» dans le but de traiter directement, sur le terrain, les dossiers soumis par des responsables de projet de développement. C'était renouer avec le rêve tenace de la « visibilité immédiate » du gouvernement fédéral. C'était aussi tenter de se dégager du carcan habituel des programmes habituels de frais partagés où l'administration québécoise sert de relais obligé avec Ottawa. Tous les artifices du langage administratif ont été mis à contribution durant cette phase difficile: tentative de décentralisation, simple déconcentration, rapprochement et humanisation des rapports avec le pouvoir...

La réaction québécoise s'est heureusement inscrite dans une continuité qui n'a guère varié depuis l'invention de ces programmes à frais partagés. intervention publique du ministre des Affaires canadiennes, lettre du premier ministre Bourassa à M. Mulroney, le 29 juin 1987. L'affaire a traîné en longueur. Le ministre fédéral de l'Expansion régionale, M. Robert de Cotret, s'est alors saisi du dossier. C'est seulement le 9 juin 1988 que l'entente a finalement été signée à Québec, à la faveur d'une cérémonie à saveur préélectorale. Québec et Ottawa se sont engagés à garnir conjointement un fonds de 970 millions de dollars qui sera utilisé, au cours des quatre prochaines années, pour relancer l'économie des régions périphériques.

De même, de fortes pressions politiques et une vaste campagne de sensibilisation de l'opinion publique, orchestrée par les milieux économiques de Montréal, n'ont pas réussi à débloquer le projet de doter le Canada d'un véritable centre aérospatial. Entre l'Ontario et le Québec, le fédéral n'ose pas trancher. Les rappels discrets du premier ministre Bourassa et de certains de ses collègues se sont, eux aussi, avérés vains. Lac Meech ou non, le projet languit dans les tiroirs des fonctionnaires fédéraux.

C'est la même vieille prudence qui sous-tend certaine pusillanimité outaouaise. Après les cris désespérés de Winnipeg au moment de l'octroi à Montréal du contrat de l'entretien des appareils CF-18 de l'aviation canadienne, le gouvernement fédéral a visiblement préféré laisser le temps faire son oeuvre. Le contrat des frégates de la marine est allé aux chantiers maritimes du Nouveau-Brunswick, même si le ministre Daniel Johnson avait eu l'imprudence de croire et de laisser croire que l'affaire allait être réglée à l'avantage du Québec.

On pourrait examiner ainsi une foule de dossiers concrets. L'entreprise soulève pourtant des difficultés impressionnantes en raison de l'absence de documentation. Plus que jamais, la discrétion est de rigueur dans le réseau des relations fédéralesprovinciales. Le style préconisé par le premier ministre du Québec, l'objectif tenace de la ratification par les gouvernements des provinces de l'accord Meech-Langevin: il y a prime supplémentaire pour ne pas attirer l'attention sur les frictions, sur les désaccords. Les prises de position politiques répondent à des impératifs tactiques, vite tempérées par un retour à la quiétude officielle.

En somme, au cours des douze derniers mois, les fonctionnaires et les technocrates ont pris le relais des politiciens après la négociation de l'accord constitutionnel de juin 1987. D'où, en partie, l'absence d'éclat des relations entre Québec et Ottawa.

Numéro d'équilibriste, le style adopté par Québec répond visiblement à un double objectif: la conclusion de cet accord constitutionnel et la mise en oeuvre du traité de libre-échange. Cette forme de voltige suscite un mince intérêt de la part du grand public: on a l'impression que les acrobates évoluent sans filet... à un mètre du sol!