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La vie parlementaire



Réjean Pelletier
Université Laval


L'année politique au Québec 1987-1988

· Rubrique : La vie parlementaire



La vie parlementaire s'ordonne autour de deux grandes périodes. Au cours de l'automne, l'Assemblée nationale se réunit en séances ordinaires du troisième mardi d'octobre jusqu'au 21 décembre au plus tard ; au printemps, elle se réunit du deuxième mardi de mars jusqu'au 23 juin au plus tard, cette dernière période étant entrecoupée des vacances pascales. C'est donc dire que la Chambre siège habituellement durant quatre-vingts jours par année si l'on tient compte du fait qu'elle tient séance du mardi au jeudi seulement, sauf en juin et en décembre où elle peut siéger du lundi au vendredi dans ce qu'il est convenu d'appeler le « sprint » de fin de session.

Si les activités de l'Assemblée sont concentrées sur cinq mois environ, les députés ne sont pas pour autant inactifs durant le reste de l'année. Une bonne partie de leur travail se déroule dans leurs circonscriptions ou consiste en des activités partisanes. De même quelques commissions parlementaires se réunissent à partir de la mi-août et durant le mois de septembre, d'autres le font après le 15 janvier jusqu'à la rentrée de mars. C'est alors l'occasion de mener quelques consultations publiques sur des questions d'intérêt général ou sur des projets de loi ou des avant-projets de grande envergure.

C'est ainsi que la Commission de la culture a siégé les 11, 12 et 13 août 1987 durant près de dix-neuf heures pour entendre une quinzaine de témoins donner leur avis sur le niveau d'immigration pour les années 1988-1989. La Commission de l'aménagement et des équipements s'est également réunie en août 1987: elle a entendu 48 témoins se prononcer sur la proposition de levée du moratoire sur la conversion des immeubles locatifs en copropriétés divises, puis 23 témoins sur les infrastructures de transport en commun de la région périphérique de Montréal. Ce fut enfin le cas de la Commission de l'économie et du travail qui s'est réunie à deux occasions en septembre 1987: elle a beaucoup retenu l'attention des médias lorsqu'elle s'est penchée, durant une soixantaine d'heures et en présence de cinquante-quatre témoins, sur la position québécoise concernant la libéralisation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. En somme, lorsque des commissions parlementaires se réunissent en août et septembre, c'est habituellement pour procéder à des consultations publiques qui vont retenir l'attention des médias : elles reçoivent alors le maximum de publicité à un moment où l'activité parlementaire est réduite au minimum. Au total, durant cette période, les commissions ont siégé à trente-huit reprises pour s'acquitter de divers mandats confiés par la Chambre.



Une session terne

L'Assemblée nationale, pour sa part, a repris ses travaux le 20 octobre pour les terminer le 18 décembre 1987. Durant ces deux mois, une cinquantaine de projets de loi d'intérêt public ont été déposés devant la Chambre, dont trente et un durant la semaine du 10 novembre qui constituait la date ultime pour le dépôt des projets que le gouvernement désirait voir adopter avant l'ajournement des Fêtes. Ces chiffres peuvent sembler considérables à un moment où l'on parle de plus en plus d'une moindre intervention gouvernementale dans les sociétés modernes1 ] , mais il faut souligner que plusieurs projets sont d'intérêt mineur et viennent le plus souvent modifier des lois existantes. Seuls quelques-uns d'entre eux vont vraiment retenir l'attention des députés, du public et des médias. Ce fut le cas notamment du projet de loi 90, présenté par la ministre Lise Bacon, portant sur le statut professionnel et les conditions d'engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma. On peut également mentionner le projet de loi 97, présenté par la ministre Thérèse Lavoie-Roux, venant modifier la Loi sur les services de santé et les services sociaux: ce projet prévoit de nouvelles règles et des sanctions applicables aux directeurs généraux des conseils régionaux et des établissements publics en matière de conflits d'intérêts et d'exclusivité de fonctions. Il faisait suite à des révélations accablantes rapportées par les médias depuis plusieurs mois concernant les suppléments de salaire accordés aux administrateurs d'hôpitaux par des fondations privées et faisant état de pratiques administratives douteuses.

Deux autres projets de grande envergure méritent d'être signalés. Le ministre Claude Ryan a soumis à la Chambre le projet de loi 107 sur l'instruction publique qui comporte des changements majeurs par rapport à la situation existante. Après avoir énoncé les droits des élèves et des parents ainsi que les droits et obligations des enseignants, le projet définit les rôles du directeur d'école et du conseil d'orientation, détermine les pouvoirs de réglementation du gouvernement et, surtout, prévoit la création de commissions scolaires sur une base linguistique, tout en assurant l'existence des commissions scolaires confessionnelles. Présenté le 15 décembre 1987, ce projet n'en était qu'au stade de la consultation publique en août 1988. D'ailleurs, le ministre Ryan ne prévoyait pas son adoption avant la fin de l'année 1988. Bien plus, le nouveau régime proposé ne pourra entrer en vigueur tant que la cour d'appel n'en aura pas confirmé la validité. Ce jugement, à son tour, sera probablement porté devant la Cour suprême. Si celle-ci devait accepter la thèse gouvernementale, il resterait encore au gouvernement à adopter les décrets découpant le territoire du Québec en commissions scolaires linguistiques, ce qui reporte à 1992 au moins la réforme gouvernementale.

Entre-temps, le comité catholique du Conseil supérieur de l'éducation a présenté son nouveau règlement concernant la reconnaissance comme catholiques des écoles du système scolaire public et précisant les qualifications requises des maîtres chargés de l'enseignement moral et religieux. Bien plus, le personnel de l'école dans son ensemble est visé par ce projet de règlement puisque tous ses membres devront « être respectueux du caractère catholique de l'école ». Ce qui faisait dire à l'analyste Jean-Pierre Proulx du journal Le Devoir qu'avec l'adoption de ce nouveau règlement, l'école catholique sera encore plus catholique.

Il convient enfin de signaler l'avant-projet de loi, soumis par le ministre Herbert Marx, portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations. Cet avant-projet de 1466 articles a pour objet de modifier le droit des obligations et d'introduire au Code civil du Québec un nouveau livre sur ce sujet. Présenté peu de temps avant l'ajournement des Fêtes, il devrait être soumis à une consultation publique en octobre 1988 seulement.

Au total, une session automnale où les projets de loi importants sont peu nombreux et où la vie parlementaire demeure largement dominée par une gestion tranquille des affaires courantes. Les grandes réformes sont repoussées à plus tard. Tout au plus peut-on signaler l'adoption du projet de loi sur le statut professionnel des artistes et celui, fort controversé, créant la Commission des relations de travail. Pour le reste, il faut se contenter de projets de réforme dans les domaines de l'aide sociale, de l'a politique familiale, de l'instruction publique et du Code civil. Sur le plan linguistique, le gouvernement se retranche derrière le jugement à venir de la Cour suprême. C'est pourquoi Gilles Lesage a pu parler de gestion tranquille et sans risque, sans grands éclats ni grosses bavures (Le Devoir, 2 décembre 1987) et que Jean-Jacques Samson a pu qualifier la session, inaugurée le 16 décembre 1985, de session la plus terne de l'histoire québécoise (Le Soleil, 19 décembre 1987). D'ailleurs la plupart des commentateurs avaient signalé, au moment de la reprise des travaux le 20 octobre, que les parlementaires avaient devant eux un menu législatif qui n'avait rien pour aiguiser les appétits.

Même si l'Assemblée nationale incarne le pouvoir législatif, on ne peut réduire l'ensemble de ses activités à la seule législation. Trois événements majeurs vont dominer la scène politique québécoise au cours de l'automne et influencer fortement la vie parlementaire. Mais aucun de ces événements n'implique des pièces législatives de la part du gouvernement. Le premier, portant sur le libre-échange, a donné lieu à des prises de position des deux partis représentés en Chambre et de différents intervenants de l'extérieur, surtout lors des deux semaines d'audiences publiques tenues par la Commission de l'économie et du travail en septembre 1987. Le débat qui s'est engagé alors a suscité une forte polarisation entre ceux qui entretiennent une méfiance totale à l'égard de ce projet (les syndicats en tête) et ceux qui lui accordent une confiance absolue (les grandes associations patronales et le gouvernement lui-même). Le Parti québécois, alors dirigé par Pierre-Marc Johnson, s'est montré plutôt méfiant et même disposé à conclure des « alliances objectives » pour faire échec à l'accord de libre-échange. Le premier ministre Bourassa, pour sa part, s'est déclaré prêt à partir en croisade et « à se battre au Québec et partout au pays » pour défendre cet accord. À la suite d'un changement de chef à la direction du PQ, les deux principaux partis politiques québécois se présentent désormais comme des défenseurs du libre-échange avec les États-Unis.

Le débat linguistique, et plus particulièrement la question de l'affichage bilingue, a également retenu l'attention des parlementaires québécois au cours de l'automne 1987. En l'absence de politiques gouvernementales sur ce sujet, les députés péquistes ont dû se contenter de poser des questions en Chambre pour tenter de faire clarifier la position du gouvernement québécois à cet égard. La ministre responsable de l'application de la loi 101, Mme Lise Bacon, promettait en septembre 1987 de procéder à un ménage complet de cette loi, annonçant même que le comité ministériel sur le dossier linguistique présenterait des recommandations au caucus des députés libéraux sur l'affichage, l'immigration, le tourisme et la francisation des entreprises. Fortement divisés sur la question de l'affichage bilingue et incapables de trouver un compromis acceptable, les députés libéraux, réunis en caucus à Sainte-Adèle au début d'octobre 1987, devaient renvoyer le comité ministériel à sa table de travail. Depuis lors, le premier ministre répète inlassablement que le débat sur l'affichage bilingue est reporté de plusieurs mois: le gouvernement ne prendra position qu'à la suite du jugement de la Cour suprême sur les dispcisitions de la loi 101 relatives à cette question. Le chef libéral avait pourtant promis, au cours de la campagne électorale de l'automne 1985, d'instaurer l'affichage bilingue tout en accordant priorité au français, comme le stipule le programme de son parti.

Un troisième événement important va agiter la scène politique à l'automne 1987 et secouer fortement le Parti québécois. La population québécoise devait apprendre avec stupeur la mort subite du président-fondateur du PQ, M. René Lévesque, le 1er novembre 1987. Durant cette première semaine de novembre, l'Assemblée nationale décidait de suspendre ses travaux en signe de deuil, après avoir rendu un vibrant hommage à l'ancien premier ministre du Québec. Dix jours plus tard, PierreMarc Johnson remettait sa démission comme député d'Anjou, chef de l'opposition officielle et président du Parti québécois. Pourtant, à l'issue d'une réunion de deux jours de l'aile parlementaire péquiste en octobre, il s'était engagé à repartir en tournée au cours de l'automne, tout en promettant que le PQ saurait jouer véritablement son rôle d'opposition. Il faut dire que, depuis deux ans, le parti ne s'était pas remis de sa défaite et qu'il n'avait pas encore réussi à s'ajuster à son nouveau rôle. Cette situation difficile se reflétait régulièrement dans les sondages où il plafonnait autour de 30% des voix contre plus de 50% pour son adversaire libéral.

C'est sur cette toile de fond d'une mauvaise santé politique que le député Gérald Godin devait accuser son chef de mener le parti à une impasse, réclamant alors sa démission et la tenue d'un congrès au leadership, et invitant l'ex-ministre Jacques Parizeau à prendre la succession (Le Devoir, 31 octobre 1987). Cette dénonciation allait être reprise par deux autres députés, Mme Louise Harel et M. Christian Claveau, et appuyée par d'anciens ministres qui avaient quitté le parti lors du « virage fédéraliste » pris par René Lévesque en 1984. Le chef du Parti québécois a alors décidé de quitter la politique afin d'éviter l'éclatement des forces nationalistes. « Ce qui est en cause, c'est la bonne foi et les attitudes des personnes ainsi que le respect des processus démocratiques dans une coalition dont tous les éléments sont importants », devait-il ajouter dans un émouvant discours d'adieu prononcé en Chambre le 10 novembre. Le député Guy Chevrette allait être appelé à assumer les fonctions de chef de l'opposition en Chambre. C'est l'ancien ministre Jacques Parizeau qui devait être élu président du parti, après avoir promis de réhabiliter la souveraineté.

Force du gouvernement malgré un menu législatif fort mince, faiblesse et déchirements de l'opposition, tels sont les traits dominants de cette session, au demeurant fort terne et sans histoire, qui s'est terminée en décembre 1987.




A l'enseigne du social

Avant l'ouverture de la session en mars 1988, les députés ne sont pas demeurés totalement inactifs sur le plan parlementaire. Un certain nombre de commissions se sont réunies entre le 15 janvier et le début de mars pour s'acquitter de divers mandats confiés par la Chambre. Tel fut le cas, en particulier, de la Commission des affaires sociales qui a retenu l'attention des médias durant plusieurs semaines. Cette commission devait entreprendre le 22 février l'étude du document Pour une politique de sécurité du revenu portant sur la réforme de l'aide sociale au Québec. Promise* au cours de la campagne électorale de l'automne 1985 sous l'assurance alléchante de la « parité » de l'aide sociale pour les moins de trente ans, cette réforme allait être repoussée jusqu'au dépôt du document précité en décembre 1987.

Après avoir réagi aux craintes d'un « chaos administratif » exprimées par le premier ministre lui-même à l'été 1986, après avoir répondu aux inquiétudes du Conseil du Trésor et de son président quant aux coûts de la réforme envisagée, après avoir tenté de résoudre les problèmes soulevés au ministère des Finances par l'arrimage de son projet à la nouvelle politique fiscale, le ministre Pierre Paradis allait enfin obtenir l'aval du Conseil des ministres pour déposer son livre vert et procéder à une consultation publique.

La réforme de l'aide sociale promise par le ministre Paradis repose sur un certain nombre de principes qu'il estime immuables: distinction entre les personnes aptes et inaptes au travail, parité des prestations pour les jeunes, meilleur traitement pour les plus démunis, incitation au retour sur le marché du travail, obligation des parents selon la formule d'une contribution alimentaire. Le ministre s'est montré ouvert à des modifications pourvu qu'elles n'affectent pas les grands principes de sa réforme, alors que plusieurs intervenants en commission parlementaire remettaient en cause les fondements du document d'orientation, certains comme le Conseil canadien du développement social accusant même le ministre de vouloir gérer les pauvres plutôt que de combattre la pauvreté.

Deux mois plus tard, après 110 heures de réunion et l'audition de pas moins de 112 témoins, le ministre Paradis promettait d'apporter quelques changements aux modalités d'une réforme qui continuait de soulever beaucoup d'inquiétude dans les milieux concernés.

Selon les intentions du gouvernement, la nouvelle session qui allait s'ouvrir le 8 mars 1988 devait être dominée par la question sociale. Après avoir parlé de privatisation, de relance de l'économie, de création d'emplois, de réduction du déficit, il était temps de se préoccuper davantage du domaine social. Déjà, en décembre 1987, le document d'orientation du ministre Paradis venait préciser les orientations gouvernementales quant à la réforme de l'aide sociale. Le même mois, on y ajoutait une politique de la famille sans contenu véritable (une « coquille vide », selon le journaliste Gilles Lesage), politique qui allait être précisée un peu plus dans le discours du budget du 2 mai. De même, le discours d'ouverture prononcé le 8 mars par le lieutenant-gouverneur annonçait de nouvelles orientations du système de santé, dans la foulée du rapport Harnois sur la santé mentale rendu public le 30 septembre 1987 et du rapport Rochon sur les services de santé rendu public en février 1988.

Un décret du Conseil exécutif en date du 2 mars venait mettre fin à la première session de la 33e Législature en marche depuis le 16 décembre 1985. Depuis cette date, la Chambre a tenu 160 séances et les commissions parlementaires, près de 600 réunions publiques. L'Assemblée nationale a étudié 345 projets de loi d'intérêt public ou privé et 309 d'entre eux (soit 81 %) ont reçu la sanction royale. Tel est, présenté sommairement, le bilan de cette première session du gouvernement Bourassa.

Le 8 mars 1988, le lieutenant-gouverneur inaugurait une nouvelle session. Alors qu'on avait Phabitude au début des années 70 et surtout après l'élection du Parti québécois en 1976 d'accorder un rôle plus effacé au représentant de la reine, le gouvernement Bourassa a décidé de lui donner une place plus importante à l'ouverture de la nouvelle session. Depuis près de vingt ans, le lieutenant-gouverneur prononçait une courte allocution pour annoncer l'ouverture de la session; cette allocution était suivie du discours inaugural, plus long et plus substantiel, prononcé par le premier ministre.

Ce que le Règlement de la Chambre appelle désormais le discours d'ouverture a été prononcé entièrement en 1988 par le lieutenant-gouverneur qui a ainsi dévoilé le programme législatif du gouvernement. Par la suite, le premier ministre a fait état des priorités politiques gouvernementales. Le lendemain, le débat s'est engagé sur ce programme par la réplique du chef de l'opposition et les traditionnels discours qui ont mobilisé les travaux de la Chambre jusqu'au dépôt du budget des dépenses gouvernementales (les crédits budgétaires) le 24 mars. L'étude des crédits, d'une durée de 200 heures, a débuté à la mi-avril (après un congé pascal d'une douzaine de jours) pour se poursuivre jusqu'au début de mai. Elle a largement dominé les travaux parlementaires durant cette période, surtout au niveau des commissions puisque le Règlement de la Chambre permet alors que cinq commissions puissent se réunir en même temps.

Le 12 mai, le ministre des Finances présentait son discours du budget2 ] suivi d'un débat louangeant ou critiquant les politiques budgétaires et ponctué de motions de censure présentées par l'opposition. C'est le 24 mai que fut adoptée la motion du ministre Gérard D. Lévesque approuvant la politique budgétaire du gouvernement. Entre-temps, les députés avaient pu consacrer quelques heures à l'étude de la législation, surtout que le gouvernement venait de déposer vingt-trois projets de loi dans la semaine du 10 mai (avant la date limite du 12 mai). Mais c'est du 31 mai au 22 juin que les députés vont se consacrer entièrement à l'étude des projets de loi, alors que la Chambre est appelée à siéger plus souvent dans le traditionnel « sprint » de fin de session.

Le discours d'ouverture de la nouvelle session allait décevoir un grand nombre d'analystes politiques. Plusieurs déploraient le peu de mesures concrètes présentes dans ce discours, d'autres parlaient de « vagues banalités », alors que l'éditorialiste Raymond Giroux reprenait l'idée de la « gestion tranquille du Québec » (Le Soleil, 9 mars 1988). Le discours lu par le lieutenant-gouverneur promettait beaucoup de « grandes orientations », des « énoncés de politique » et de « vigoureux plans de redressement », mais très peu de mesures concrètes et aucune véritable orientation d'ensemble guidée. par un fil conducteur.

C'est ainsi que le « catalogue législatif » du gouvernement parle d'une nouvelle politique énergétique pour le Québec, d'un plan d'action majeur en faveur des régions, d'une nouvelle politique de conservation des sols, d'un plan d'action d'envergure dans le domaine du développement technologique, des grandes orientations d'une politique d'habitation, d'une nouvelle politique des activités de plein air, d'un important plan de développement en matière de culture scientifique, d'une nouvelle politique d'adaptation de la main-d'oeuvre, d'un vigoureux plan de redressement et de consolidation du français, ou encore d'un important énoncé de politique en matière d'immigration. Ce qui faisait dire à l'analyste Gilles Lesage: « Tout y est, mais de façon si vague et imprécise que, si le gouvernement modifie l'orientation prévue, personne ne saurait lui en tenir rigueur. Les engagements laissent la porte ouverte à toutes les interprétations... » (Le Devoir, 12 mars 1988).

À la suite du « message » du lieutenant-gouverneur, le premier ministre a annoncé les grandes priorités politiques de son gouvernement centrées sur la relance des travaux de la Baie James et sur la ratification de l'entente du lac Meech par toutes les provinces. C'est avant tout la relance des travaux hydro-électriques de la Baie James qui a retenu l'attention des médias et permis au premier ministre de voler la vedette à un point tel qu'on en a souvent oublié le programme législatif du gouvernement. C'était peut-être là la véritable intention du premier ministre: annoncer un projet grandiose en faisant miroiter les milliers d'emplois et les milliards de dollars en investissement afin de reléguer dans l'ombre un discours d'ouverture farci de « grandes orientations » et de « vigoureux plans de redressement », mais sans véritables mesures capables de frapper l'imagination.

Après l'étude des crédits budgétaires qui allaient occuper les travaux des parlementaires jusqu'au début de mai et à la suite du traditionnel débat sur le discours du budget, les députés ont pu passer un mois à scruter plus attentivement les projets de loi présentés par le gouvernement. Déjà dans la semaine du 10 mai, le gouvernement libéral avait soumis à la Chambre vingt-trois projets de loi dont celui venant modifier la loi sur les tribunaux judiciaires en vue d'instituer une Cour unifiée (projet no 10), celui portant sur l'aide aux victimes d'actes criminels (projet no 8), celui sur la sécurité du revenu (projet no 37) et le controversé projet sur le transport ambulancier (projet no 34).

On peut signaler deux autres projets qui vont soulever une certaine controverse. Un projet de loi d'urgence a été présenté par le ministre Gratton à l'effet d'annuler le recensement des électeurs prévu pour l'automne 1988, ce à quoi s'est objecté fortement le Parti québécois qui tenait à ce recensement des électeurs par suite des modifications apportées à la carte électorale. Une telle façon d'agir mettait fin d'une façon brutale à la pratique du consensus des. partis pour effectuer des réformes électorales.

Le projet de loi 42 créant le ministère des Affaires internationales par fusion du ministère des Relations internationales et de celui du Commerce extérieur a également soulevé une vive polémique à Québec par suite de l'intention manifestée par le nouveau ministre, Paul Gobeil, de transférer à Montréal tout le champ des affaires bilatérales, sauf les affaires françaises. Ayant dû retraiter sous la pression d'un certain nombre d'intervenants, le ministre Gobeil a décidé de « couper la poire en deux » et de transférer à Montréal une partie seulement des affaires bilatérales.

De nouveau, on allait assister au traditionnel « sprint » de fin de session. Le vendredi 17 juin, l'Assemblée nationale adoptait 23 projets de loi alors qu'en fin de journée, 41 lois recevaient la sanction royale. Encore là, les analystes politiques allaient conclure que le bilan législatif du gouvernement depuis l'ouverture de la nouvelle session était très mince. Ce qui faisait dire au chroniqueur Jean-Jacques Samson que « des vacances, ça se mérite » et que plusieurs députés devraient éprouver un peu de gêne à cet égard (Le Soleil, 13 juin 1988).

Ouverte sous le signe du social, la session inaugurée en mars 1988 devait se révéler décevante à cet égard. Mais cette déception, selon les analystes politiques, s'appliquait également à l'ensemble de l'activité législative du gouvernement au cours du printemps. « Après 49 jours de session, le bilan de l'Assemblée nationale est si mince que le gouvernement ne s'est même pas donné la peine d'en dresser un [ ... ] au moment de l'ajournement estival... » (Le Devoir, 28 juin 1988). Même constatation du journaliste Jean-Jacques Samson du Soleil: « Le bilan législatif du gouvernement libéral pour la portion printanière de la session est si gênant pour le premier ministre Robert Bourassa qu'il a eu recours à une technique éprouvée en communications, créer une diversion. »

Cette technique avait été utilisée avec profit au moment du discours d'ouverture de la session en annonçant la relance des travaux de la Baie James. Elle le sera à nouveau à la fin des travaux de la Chambre avec l'annonce d'un important remaniement ministériel. Se refusant à dépasser le chiffre fatidique de 29 ministres (puisqu'il avait reproché au gouvernement précédent sa trentaine de minis.tres), le premier ministre s'est contenté de jouer à la chaise musicale avec les 29 ministres déjà en place, si bien que 10 d'entre eux seront touchés par le remaniement et qu'aucun nouveau venu ne pourra prendre place sur les banquettes ministérielles. Peu de promotions, sinon celles du ministre Gil Rémillard à la Justice et du ministre Yves Séguin au Travail, une démotion remarquée, celle du ministre Herbert Marx qui conservera le seul poste de Solliciteur général. Pour les autres, il s'agit de s'échanger les ministères. En cette fin de session printanière, les médias ont surtout retenu le remaniement ministériel et très peu parlé du bilan législatif fort mince du gouvernement, comme le souhaitaient le premier ministre et ses principaux conseillers.




Un gouvernement qui légifère moins ?

La remise en question actuelle du rôle de l'État, s'inspirant des théories néo-libérales, embrasse aussi bien la réduction des dépenses publiques et la déréglementation que l'idée de privatisation et la vision de l'État comme une vaste entreprise privée. S'attaquant au rôle et à la taille de l'État, les néo-libéraux ont réclamé une diminution radicale de la réglementation et de la législation en postulant que moins d'État signifiait plus de liberté individuelle.

Ce courant a également frappé le Québec. Dès son entrée en fonction en décembre 1985, le nouveau gouvernement libéral, dirigé par M. Robert Bourassa, commandait des études sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales (rapport Gobeil), sur la privatisation (rapport Fortier) et sur la déréglementation (rapport Scowen). Si ces trois études ont entraîné de nombreuses discussions et soulevé parfois certaines appréhensions, elles n'ont pas bouleversé fondamentalement le rôle et la taille de l'État.

Une autre façon d'analyser la réduction des interventions étatiques, c'est d'étudier l'étendue de la législation puisque c'est là un moyen privilégié pour l'État de s'imposer auprès de la société civile. Comment le gouvernement libéral s'inscrit-il dans ce courant? Dans son programme électoral de 1985, le Parti libéral dénonçait le gouvernement qui ne cesse « de légiférer et de réglementer par le menu détail trop, de secteurs de nos activités » et soutenait que « l'État ne doit plus s'imposer comme le principal agent de changement ». Élu en décembre 1985, le nouveau gouvernement libéral s'est-il montré fidèle à cette orientation ? Plus particulièrement, a-t-il moins légiféré depuis qu'il est au pouvoir, comme le promettait la vice-première ministre, Mme Lise Bacon, chargée de lire le discours d'ouverture à la place du premier ministre non encore élu ? L'Assemblée nationale, disait-elle, « sera beaucoup plus rigoureuse et innovatrice dans l'exercice de ses fonctions. Il y aura moins de lois. [ ... ] Le gouvernement veut que l'Assemblée nationale accroisse son autorité et sa productivité. Qu'elle légifère moins et mieux, qu'elle participe davantage aux décisions de l'État. »

Le gouvernement libéral en place depuis décembre 1985 a-t-il légiféré mieux? Il est difficile de l'établir clairement puisque la réponse repose le plus souvent sur des mesures d'évaluation ou d'appréciation personnelle colorée par de multiples facteurs. A-t-il légiféré moins? On peut utiliser ici le critère du nombre de projets de loi afin de répondre à cette question. Mais ce critère ne nous renseigne nullement sur l'ampleur de chaque projet (certains se résument à quelques articles, d'autres en comptent des centaines), ni sur son importance quant aux changements qu'il pourrait entraîner au sein de la société. On ne peut certes pas établir une équation entre quantité et qualité, même si les gouvernements aiment faire croire qu'il en est souvent ainsi. Bref, l'actuel gouvernement libéral a-t-il moins légiféré depuis qu'il est au pouvoir, comme il promettait de le faire?

Comme on peut le constater à la lecture du tableau 1, le gouvernement libéral légifère beaucoup plus que son prédécesseur péquiste si l'on s'en tient au critère du nombre de lois adoptées par l'Assemblée nationale: celle-ci a voté en moyenne deux fois plus de lois que dans les années antérieures. Cette constatation s'inscrit résolument à contre-courant d'une vision largement répandue à l'effet que l'actuel gouvernement libéral légifère moins que son prédécesseur péquiste.




D'où vient alors l'impression à l'heure actuelle d'une moindre intervention gouvernementale dans la société québécoise? On peut dégager quatre grands types d'explication. La vision néo-libérale d'une moindre intervention gouvernementale dans la société civile a cherché à s'imposer au Québec et dans d'autres pays à la faveur de la crise économique des années 80 imputée selon certains à l'ampleur des déficits gouvernementaux. Dès lorsqu'un gouvernement cherchait à imposer des contraintes budgétaires et à réduire le déficit de l'État, on en concluait qu'il interviendrait moins par ses programmes et qu'en conséquence il serait appelé à moins légiférer. C'était oublier que l'État ne sert pas seulement à distribuer ou redistribuer les biens et services, ni à créer des structures ou des instruments d'action, mais qu'il cherche aussi à régulariser et à ordonner les choses et les personnes, ce qui n'implique pas toujours des dépenses importantes. Certaines de ses actions peuvent n'avoir qu'une portée symbolique comme l'imposition d'un drapeau ou d'un hymne national. De même, pour ce qui est des dépenses gouvernementales, on ne peut mettre sur un même pied la loi sur l'assurance-maladie et la Charte de la langue française. Et pourtant, les deux ont des conséquences importantes pour la société québécoise. En somme, on ne peut établir une équation parfaite entre la réduction du déficit gouvernemental et la réduction de la législation. En ce domaine, la perception de la réalité devient souvent plus importante que la réalité ellemême: la compilation effectuée montre que le gouvernement péquiste a moins légiféré que le gouvernement libéral au cours des années 80.

Un second type d'explication peut se rattacher aux intentions du gouvernement lui-même. Dans son programme, le Parti libéral faisait part d'une volonté de moindre intervention gouvernementale et soutenait que « l'État ne doit plus s'imposer comme le principal agent de changement ». De même, dès son arrivée au pouvoir, il a créé des groupes de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales, sur la privatisation et la déréglementation. Si l'on excepte le domaine de la privatisation où le gouvernement libéral a agi rapidement, et parfois d'une façon précipitée, pour privatiser certaines sociétés d'État, dans les autres secteurs les rapports produits ont soulevé bien des passions et de nombreuses interrogations, mais ont produit peu de résultats concrets. Mais ici encore, le gouvernement donnait constamment l'impression qu'il allait réduire la taille de l'État, privatiser plusieurs sociétés publiques et déréglementer abondamment. Là aussi, on en tirait immédiatement la conclusion que le gouvernement, ce faisant, légiférerait moins. Or, tel ne fut pas le cas, contrairement à ce qui avait été annoncé.

Troisième explication possible: le gouvernement libéral faisait suite au gouvernement péquiste qui, lui, estimait-on, avait toujours préconisé une plus grande intervention de l'État et avait, de ce fait, beaucoup légiféré lorsqu'il était au pouvoir. Les données portant sur le second mandat du gouvernement du Parti québécois montrent au contraire que celui-ci a fait voter par l'Assemblée nationale moins de lois que l'actuel gouvernement libéral. Il est vrai cependant que ce second mandat fut marqué par une importante crise économique, par un accroissement du déficit budgétaire couplé à une volonté de réduire les dépenses gouvernementales, par une vision moins nette des grandes orientations du gouvernement et un essoufflement face aux réformes à effectuer, par des tiraillements importants au sein du parti, bref par un ensemble de facteurs qui ont pu concourir au ralentissement, sinon à la diminution, du programme législatif gouvernemental.

Il est vrai également que l'on retient davantage les grandes législations adoptées durant le premier mandat du gouvernement péquiste que celles, plutôt ternes, du second mandat. La Charte de la langue française, la Loi sur l'assurance-automobile, la Loi sur le zonage agricole, la Loi sur le financement des partis politiques, pour ne citer que ces exemples, ont été adoptées durant le premier mandat. L'actuel gouvernement libéral semble procéder à l'inverse: repousser durant le second mandat la mise en application de projets discutés actuellement (par exemple, la Loi sur l'instruction publique) ou retarder le plus possible les conséquences prévisibles découlant de certains projets (par exemple, la parité de l'aide sociale couplée à une contribution parentale). C'est pourquoi on a l'impression que le gouvernement libéral actuel légifère peu puisqu'on ne retient aucune loi importante susceptible de traduire un changement profond ou de marquer la société québécoise pour l'avenir. En somme, il présente beaucoup de projets, mais la très grande majorité d'entre eux ont peu d'importance et présentent un faible intérêt pour la population.

On pourrait enfin ajouter une dernière explication. Le gouvernement libéral avait promis, en décembre 1985, de légiférer moins que le gouvernement précédent, mais mieux que lui. Par la suite, les journalistes ont lancé l'idée de menus législatifs fort minces, de sessions très ternes, si bien que l'on avait l'impression que l'Assemblée nationale légiférait moins qu'auparavant, d'autant plus que le premier ministre lui-même ne prenait même plus la peine de tracer un bilan législatif - positif il va sans dire - à la fin des travaux parlementaires. Il s5agissait alors de laisser les journalistes reprendre l'idée d'un gouvernement qui légifère moins pour se convaincre mutuellement et convaincre éventuellement les lecteurs et lectrices que tel était effectivement le cas. Même un journaliste aussi chevronné que Gilles Lesage a pu écrire qu'à mimandat, « force est de constater que les libéraux légifèrent moins que leurs prédécesseurs », ajoutant que « personne ne saurait blâmer le gouvernement de moins légiférer que ceux qui l'on précédé » (Le Devoir, 28 juin 1988). Ce discours officiel, entonné par le gouvernement et repris en. choeur par les courriéristes parlementaires, ne semble pas correspondre à la pratique, du moins si l'on se fie au nombre de lois adoptées par l'Assemblée nationale depuis sept ans.




Une autorité accrue de l'Assemblée nationale ?

Dans son discours d'ouverture du 16 décembre 1985, le nouveau gouvernement libéral promettait d'augmenter le rôle de surveillance et de contrôle de l'Assemblée nationale, surtout à l'égard de l'administration publique, et de laisser aux parlementaires « l'initiative de formuler des propositions de changements et de réforme ». En d'autres termes, le gouvernement voulait que « l'Assemblée nationale accroisse son autorité et sa productivité ».

Trois ans plus tard, quel bilan peut-on tracer de la fonction de contrôle des parlementaires québécois et des mandats d'initiative qu'ils auraient pu se donner sans attendre l'impulsion gouvernementale? L'Assemblée nationale a-t-elle effectivement accru son autorité comme le souhaitait (?) le gouvernement ?

Pour répondre à ces questions, je vais analyser essentiellement le travail des commissions parlementaires. Certes, les parlementaires, surtout de l'opposition, ont l'occasion d'exercer une forme de contrôle sur les ministres - et non pas sur les hauts fonctionnaires - au moment de la période des questions en Chambre et lors de la vérification des engagements financiers. Mais, en vertu de la réforme amorcée en 1984, les députés ont désormais la possibilité d'exercer un contrôle plus étroit sur les dirigeants d'organismes publics et éventuellement sur la haute administration par l'entremise des commissions parlementaires. Ils peuvent également se donner le mandat, au sein de ces mêmes commissions, d'étudier certaines questions importantes et de mener des enquêtes sur certains sujets. L'ont-ils fait véritablement? Ont-ils cherché à accroître leur autorité en ces domaines de telle sorte que l'Assemblée nationale, comme le souhaitait autrefois le rapport Vaugeois3 ] , puisse retrouver un minimum d'indépendance face à la toute-puissance du gouvernement ?

Les données contenues dans la figure 1 sont fort révélatrices à cet égard. Comme on peut le constater, la grande majorité des mandats exécutés par les commissions parlementaires le sont en vertu d'un ordre de l'Assemblée. Mais qui dit « Assemblée » dit, à toutes fins utiles, « gouvernement » puisque c'est le leader du gouvernement qui convoque de vive voix, en Chambre, les commissions. Durant l'intersession, ce sont les présidents qui, à la demande du leader du gouvernement, vont convoquer leurs commissions respectives. Les mandats reçus de l'Assemblée peuvent concerner aussi bien l'étude détaillée d'un projet de loi ou l'étude des crédits budgétaires que « toute autre affaire ». Dans tous ces cas, le mandat de l'Assemblée est impératif et son exécution est prioritaire. La seule marge d'autonomie dont peut disposer la commission, c'est de fixer les modalités d'exécution du mandat reçu de l'Assemblée, c'est-à-dire pratiquement du gouvernement. Et encore, selon certains, il y aurait de plus en plus tendance à préciser davantage les mandats de l'Assemblée, allant jusqu'à indiquer, par exemple, quel organisme sera convoqué par la commission. En somme, dans plus de huit cas sur dix, la marge d'autonomie des commissions est fort réduite, ce qui n'est pas de nature à accroître l'autorité de l'Assemblée et des parlementaires.



Figure 1

Travaux des commissions selon l'origine du mandat (du 1er août 1987 au 31 juillet 1988)


D'autre part, si l'on ajoute à cette première catégorie les mandats exécutés en vertu du Règlement ou d'une loi spécifique (12% des cas en 19871988), c'est la quasi-totalité des mandats qui sont ainsi touchés. D'une façon plus précise, les commissions sont tenues par le Règlement ou par des lois de remplir certaines obligations comme la vérification trimestrielle des engagements financiers, la surveillance d'au moins un organisme public à chaque année, le contrôle de la législation déléguée. Dans ces cas, chaque commission décide du moment et de la façon dont elle va remplir ses obligations, ce qui lui permet alors de planifier elle-même une partie de ses travaux. Mais encore faut-il ajouter que ces mandats déjà prévus ne sont pas tous respectés. Ainsi, les commissions ne se sont pas encore donné les moyens d'exercer un contrôle efficace sur la législation déléguée. De même, toutes les commissions ne procèdent pas, en dépit du Règlement, à la surveillance d'au moins un organisme public chaque année: seules trois d'entre elles l'ont fait en 1987-1988. On est donc loin d'une Assemblée qui, par l'intermédiaire de ses commissions, exercerait une surveillance accrue sur les organismes publics. À peine 2,3 % des heures de séances sont consacrées à ce mandat, comme l'indique le tableau 2.




Après avoir étudié les projets de loi publics et les projets de loi d'intérêt privé, après s'être acquittées des autres mandats reçus de l'Assemblée, après avoir scruté les crédits budgétaires et les ,engagements financiers, les commissions ont bien peu de temps pour exercer une surveillance sur les organismes publics et encore moins pour procéder à certaines études ou à des enquêtes de leur propre initiative (1,3 % des mandats et 0,6 % des heures de séances). Il reste donc bien peu de place à la véritable autonomie des commissions, là où elles peuvent elles-mêmes élaborer, organiser et mener à terme leurs projets en toute liberté.

Force nous est de conclure que', contrairement à ce qui était annoncé en décembre 1985, le gouvernement n'a pas vraiment laissé aux parlementaires « l'initiative de formuler des propositions de changements et de réforme » qui auraient pu venir des commissions elles-mêmes. À moins -que les parlementaires eux-mêmes ne se préoccupent pas véritablement de cette question et qu'ils préfèrent attendre l'impulsion gouvernementale plutôt que de prendre des initiatives. Il est vrai cependant que de tels mandats doivent être adoptés à la majorité des membres de chaque groupe parlementaire au sein de la commission si bien que, pour obtenir cette double majorité, il faut que le sujet retenu soit non controversé et que chaque parti n'ait pas encore pris de positions bien arrêtées sur la question. Dans le cas contraire, les divisions partisanes l'emportent habituellement sur la volonté des parlementaires d'agir de leur propre chef.

Au total, on peut conclure que l'Assemblée nationale n'a pas accru son autorité, même si elle a pu accroître sa productivité quant au nombre de lois adoptées. Un gouvernement qui légifère davantage si l'on utilise le seul critère quantitatif, une Assemblée qui n'a guère accru son autorité lorsqu'on analyse surtout le travail des commissions parlementaires. Cette double tendance semble bien convenir à un gouvernement soucieux d'une gérance tranquille, sans vagues politiques qui pourraient briser la monotonie de la gestion du quotidien.




Note(s)

1.  Voir la section intitulée « Un gouvernement qui légifère moins? » pour une analyse plus détaillée de cette question.

2.  Ce budget est analysé en profondeur dans un autre chapitre de cet ouvrage.

3.  Vaugeois, Denis, L'Assemblée nationale en devenir. Pour un meilleur équilibre de nos institutions, Québec, 1982, 202 p.