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La vie municipale et régionale



Caroline Andrew
Université d'Ottawa


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : La vie municipale et régionale



La période de septembre 1988 à septembre 1989 peut être interprétée de différentes façons. Nous pouvons voir la vie municipale et régionale toujours en réaction aux grandes réformes des années 1970. L'adoption des lois sur la protection du territoire agricole (Loi 90) et sur l'aménagement et l'urbanisme (Loi 125) ont profondément bouleversé le monde municipal et régional au Québec et les réajustements, les adaptations, les réaménagements face à ces législations continuent. Dix ans se sont écoulés depuis l'adoption de ces lois mais, malgré cela, les plus grands débats politiques de la période 198889 ont touché aux questions du zonage agricole et des schémas d'aménagements.

En même temps cette période a vue l'adoption des lois concernant l'administration du monde municipal. Les deux lois les plus importantes ont été la Loi sur le régime de retraite des élus municipaux et, un peu plus tôt, la Loi sur le traitement des élus municipaux. Cette législation touche d'une façon très immédiate les préoccupations des élus municipaux et le fonctionnement quotidien du monde municipal. En adoptant ces législations le ministère des Affaires municipales agit en harmonie et en rapport étroit avec les représentants du monde municipal.

Finalement nous pouvons également voir apparaître certains indices des nouvelles préoccupations des citoyens pour leurs institutions municipales et régionales. Les questions de l'environnement et également celles des affaires sociales émergent timidement dans les débats de l'année et laissent présager des mutations à venir. Ces questions émergent plus clairement dans les grandes villes, particulièrement à Montréal. Cette année la scène politique de Montréal a aussi été animée par les dissensions au sein du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) ainsi que par des dossiers intergouvernementaux. Nous avons cherché tout particulièrement à voir les dossiers qui ont été mis de l'avant par le monde municipal. Pour faire ceci, nous avons analysé avec attention Municipalité, la revue du ministère des Affaires municipales, Urba, la revue de l'Union des municipalités du Québec, ainsi que les principaux journaux.

Pour mieux situer les faits marquants de l'année, nous allons reprendre nos trois catégories pour y voir les principaux événements de l'année.



1. Aménagement et développement

En septembre 1988 le ministère de l'Agriculture a décidé que le gouvernement reverrait les décisions de la Commission de protection du territoire agricole qui permettaient le « dézonage » des terres agricoles. Les représentants du monde municipal, notamment l'Union des municipalités régionales de comté du Québec, ont protesté vivement.

En octobre, le gouvernement a publié son plan d'action en matière de développement régional; À l'heure de l'entreprise régionale. Le plan est basé sur cinq thèmes: l'importance de l'initiative individuelle et de l'entrepreneurship -, le développement technologique; la formulation des ententes-cadres de développement entre le gouvernement du Québec et les régions; l'adaptation des politiques gouvernementales aux spécificités des régions et, finalement, la conclusion des contrats de relance pour les régions en difficulté.

Pendant l'automne le ministre des Affaires municipales, M. Pierre Paradis, s'est donné comme priorité l'adoption des schémas d'aménagement des municipalités régionales de comté suivant les exigences de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme. En novembre le ministre a déclaré: « Sans vouloir être le ministre qui servira de "bulldozer" tout au cours du processus visant l'adoption des schémas, j'entends cependant agir avec célérité et diligence afin d'arriver à un rythme plus satisfaisant pour toutes les personnes concernées. » (Municipalité, novembre 1988, p. 4). Une controverse éclate en décembre sur l'acceptation des schémas par rapport aux normes de la politique québécoise de l'environnement. Ce conflit entre le ministère des Affaires municipales et le ministère de l'Environnement ressort au mois d'avril quand le ministre des Affaires municipales déclare que la vocation du ministère de l'Environnement doit être revue (La Presse, le 5 avril, 1989). Selon le ministre, l'éparpillement actuel des responsabilités dans le domaine de l'environnement engendre des conflits entre le monde municipal et le ministère de l'Environnement.

Le zonage agricole revient, comme dossier « chaud », avec l'étude du projet de loi 100 sur la protection du territoire agricole. L'Union des municipalités du Québec l'a considéré comme un de ses dossiers le plus important de l'année. « La Loi 100 sur la protection des terres agricoles aura été un des plus importants dossiers d'intervention et de représentation de votre Union au cours des 12 derniers mois. En réalité, il faudrait dire que c'est tout le monde municipal québécois qui s'est soulevé contre cette législation. » (Urba, 10-4, juin 1989, p. 5.) Malgré certaines concessions faites aux représentations municipales, l'UMQ s'est opposée fortement à la législation. L'éditorial du président de l'UMQ sur cette question conclut en disant: « Nous pensons qu'il est trop tôt pour dégager un bilan final de ce dossier. L'UMQ le tient encore très haut sur sa liste de priorités car il nous apparaît évident que l'application des règles devra être assouplie. » (Urba, 10-4, juin 1989, p. 5.)

En juin le ministre de l'Agriculture, M. Michel Pagé, impose un moratoire à l'adoption des décrets sur les zones agricoles et déclare que le gouvernement va réévaluer le processus de révision du territoire consacré à l'agriculture. La période se termine donc avec le conflit ouvert entre la volonté des dirigeants municipaux d'étendre le développement de leurs municipalités et les intérêts de protection des terres agricoles.




2. Les dossiers municipaux

Les litiges qui s'expriment entre le ministère des Affaires municipales et d'autres ministères - l'Environnement, l'Agriculture - illustrent, entre autres, le rôle d'ombudsman municipal que joue-le ministre actuel, M. Pierre Paradis. Comme le ministre l'a indiqué dans une entrevue publiée dans Municipalité, « je me dois, dans mes interventions au Conseil des ministres, dans mes fonctions et dans les décisions que je prendrai à titre de ministre des Affaires municipales, de défendre les intérêts de l'ensemble des municipalités du Québec» (Municipalité, novembre 1988, p. 3). Cette conception de la relation très étroite entre les élus municipaux et provinciaux, que le ministre a qualifiée même de complice se voit aussi dans certaines des législations majeures présentées par le ministre pendant la période 1988-1989. Un certain nombre des revendications ou des dossiers chers aux élus municipaux ont été présentés et adoptés. Le deuxième volet de la révision du Code municipal est entré en vigueur le ler janvier 1989 - la Loi sur l'organisation territoriale municipale. Un peu plus tôt, la Loi sur le traitement des élus municipaux a également été adoptée. À la toute fin de l'année 1988, la Loi sur le régime de retraite des élus municipaux répondait aux revendications municipales. Selon le président de l'UMQ, huit ans de négociations avec le gouvernement ont abouti à l'adoption de la législation, qui crée un régime de retraite semblable à celui des députés de l'Assemblée nationale.

Et un dernier exemple de législation particulièrement intéressante pour les élus municipaux -c'est la Loi modifiant la loi sur les immeubles industriels municipaux. Cette législation vise à accroître les pouvoirs des municipalités en matière de participation au développement industriel sur leur territoire en leur donnant trois types de pouvoirs additionnels (celui de construire, de transformer ou d'exploiter un bâtiment comme bâtiment industriel locatif, celui d'accorder des subventions à un organisme à but non lucratif qui exploite un bâtiment industriel locatif et celui d'aliéner, y compris par bail emphytéotique, et de louer un immeuble industriel à des fins industrielles, para-industrielles et de recherche).




3. L'émergence des questions sociales

Un troisième thème de l'année municipale et régionale est l'émergence des nouveaux enjeux sociaux de la part des municipalités. Ces enjeux n'émergent que lentement et très partiellement et leur traduction en forme de législation ou de pratique répandue est loin d'être claire. Mais ces enjeux sont néanmoins présents, dans le discours municipal et au niveau des expériences dans certaines municipalités. Ces thèmes sont bien résumés dans le choix du colloque de l'UMQ de l'année, tenu à Montréal du 6 au 8 avril 1989. Sous le thème général de la qualité de vie, le congrès a abordé deux dimensions principales, l'environnement et les nouvelles réalité sociales. La dénatalité est au centre de cette préoccupation démographique mais elle inclut également « l'éclatement de la -famille, l'effritement des valeurs morales, l'avenir des jeunes, l'arrivée des femmes sur le marché du travail, l'intégration des immigrants. » (Urba, 10-2, avril 1989.)

En septembre 1988 la Fédération des femmes du Québec publie deux cahiers sur la politique municipale, visant à inciter un nombre plus élevé de femmes à se présenter au niveau municipal. Le pouvoir municipal: un outil à notre portée a comme but de démystifier la politique municipale.

En octobre 1988, l'UMQ, l'UMRCQ et le ministre délégué à la Famille, à la Santé et aux Services sociaux ont publié un document, Agir pour les familles dans les municipalités. Il suggérait une action municipale en faveur des familles, notamment par la mise sur pied des commissions d'orientation familiale.

En novembre 1988 un projet de politique sur les services de garde à l'enfance a été déposé par la ministre déléguée à la Condition féminine. Selon la description donnée à la revue Municipalité on reconnaît de plus en plus le rôle des municipalités dans le dossier des services de garde à l'enfance. « Depuis quelques années, les municipalités ont été reconnues comme partenaires privilégiés... Le monde municipal est invité de façon privilégiée à participer à la planification régionale, au développement et à l'organisation de l'ensemble des services de garde. » (Municipalité, mars-avril 1989, pp. 13-14).

D'autres projets ou expériences ont été soulignés où certaines municipalités innovent dans des nouveaux domaines sociaux. Par exemple, en octobre 1988 la ville de Beauport se dote d'une politique d'intervention sociale, visant à offrir aux organismes sociaux une aide complémentaire à celle offerte par les gouvernements québécois et canadien et à assurer une meilleure concertation des organismes sociaux. (Municipalité, juin 1989, p. 29.)

Un autre exemple, qui unit le domaine social et environnemental, est le réseau québécois de villes et villages en santé. Au printemps de 1989 il y avait environ une quinzaine de municipalités québécoises engagées dans les projets de villes et villages en santé. Cette activité couvre une variété très grande de projets touchant la santé et la qualité de vie des citoyens. Mettant ensemble des projets qui visent les jeunes en difficulté, l'habitat des personnes âgées, la promotion de la forêt urbaine et les espaces sans fumée, c'est une façon concrète de définir de nouveaux modèles de développement. Tout en étant fragmentaires et peu nombreuses, ces expériences démontrent l'articulation de nouvelles demandes de la population auprès de leurs institutions municipales.

Ces nouvelles demandes se voient le plus clairement dans les grandes villes et tout particulièrement à Montréal. Les changements socio-démographiques y sont plus dramatiques et amènent des réponses, même timides, de la part des autorités municipales. Deux exemples de ces changements -. le nombre des familles monoparentales à Montréal a augmenté de 15 pour cent entre 1981 et 1986, et le pourcentage des élèves de la CECM qui sont d'origine ethnique est maintenant d'environ 40 pour cent, comparé à 2,6 pour cent il y a vingt ans. (Urba, décembre-janvier, pp. 14-15.) Au mois de mai 1989 la ville de Montréal annonce le début d'un programme d'accès à l'égalité dans l'emploi pour les membres des communautés culturelles -soulignant que la Ville a environ 4,5 pour cent de ses employés issus des minorités culturelles, alors qu'environ un tiers de la population montréalaise en est issu.




4. L'année montréalaise

À la fin du mois d'octobre, un conseiller du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) a décidé de siéger comme indépendant. Trois autres conseillers suivent au mois de décembre, « en reprochant à l'administration Doré de s'éloigner de plus en plus du programme du parti et de ne pas tolérer les divergences d'opinion » (La Presse, 15 juin, 1989). Au mois de juin, deux de ces quatre conseillers quittent le RCM et évoquent la possibilité de créer un nouveau parti politique municipal.

Deux dossiers ont été particulièrement importants à l'automne ; le transport et l'aménagement. Au mois de novembre le ministre des Transports a dévoilé un projet de transport pour la grande région de Montréal. Les autorités montréalaises ont vivement critiqué le projet, estimant qu'il aura comme effet d'encourager le développement en banlieue. Un peu plus tôt la ville de Montréal avait sorti sa politique sur le vélo, préconisant une augmentation importante du réseau cyclable de Montréal.

Dans le domaine de l'aménagement, le rapport du comité consultatif sur l'Énoncé d'orientation sur l'aménagement de l'arrondissement centre a été rendu public le 17 novembre 1988. Le comité avait étudié 153 mémoires portant sur l'arrondissement centre, pour en conclure que « le coeur de Montréal est relativement en bon état. » Le dossier de l'arrondissement centre a été analysé dans le premier numéro de Trames, revue publiée par la Faculté d'aménagement de l'Université de Montréal.

Au début de décembre la carte des arrondissements était dévoilée, préconisant le découpage de la ville en neuf arrondissements et établissant des comités-conseils d'arrondissements, définis comme des lieux « d'information et d'écoute du public sur des questions qui intéressent les résidants du quartier ». (La Presse, 14 décembre, 1988.) Ces mesures ont soulevé des débats animés, liés à des dissensions au sein du RCM.

Le printemps à Montréal a été marqué par des questions de développement économique et surtout par le dossier de l'agence spatiale. Le premier mars le ministre fédéral de l'Expansion industrielle régionale a annoncé que l'agence spatiale sera localisée dans la région de Montréal. L'annonce mettait fin à plus de deux ans de questionnement et d'attente. Mais deux mois plus tard, la déception montréalaise a été grande quand la décision a été annoncée de choisir Saint-Hubert comme site pour l'agence spatiale. Le maire Doré a déclaré que cette décision sape les efforts de développement de Montréal et qu'elle témoigne d'une absence de « réflexes montréalais » à Ottawa. (La Presse, 3 mai, 1989.)

Au mois d'avril, un organisme a été créé pour s'occuper du développement économique de l'est de Montréal. Pro-Est se donne comme mandat de suivre les activités des trois niveaux de gouvernement vis-à-vis l'est de Montréal.

L'année qui se termine n'a pas été une année particulièrement décisive pour la scène municipale et régionale mais son analyse nous renseigne sur un aspect important de l'évolution de la société québécoise. Comme nous l'avons constaté, les ajustements par rapport aux grandes réformes des années 1970 continuent, ainsi que les débats sur les façons d'harmoniser le développement et la protection de l'environnement. En même temps la question de l'appareil municipal et régional occupe une partie importante des énergies du monde municipal. Et, finalement, de nouvelles demandes sociales et environnementales ont été posées par la population à leurs institutions municipales. Jusqu'à maintenant, les réponses de ces dernières ont été lentes à venir et fragmentaires mais, en même temps, suffisamment présentes pour pouvoir y lire les traces d'une société en évolution.