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Le budget



André Mais
Université de Montréal

François Vaillancourt
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : Le budget



Comme à chaque année, le gouvernement du Québec a présenté en 1989 un budget des crédits, qui prévoit la ventilation des dépenses à venir, et un discours du budget, apportant certaines modifications aux dépenses annoncées lors du dépot des crédits et indiquant la provenance des revenus du gouvernement. Les crédits budgétaires ont été déposés le 21 mars et le discours du budget a été prononcé le 16 mai. Après avoir d'abord situé le budget du Québec en le comparant à celui des autres provinces, nous dégagerons les principaux changements qui démarquent ce budget des précédents, côté dépenses puis côté revenus, et enfin nous passerons en revue les réactions qu'il a suscitées.



1. Quelques comparaisons

Le tableau 1 indique l'importance relative des dépenses et recettes des gouvernements dans les 10 provinces canadiennes pour 1988. Notons que les données portent sur les revenus et dépenses des gouvernements provinciaux et locaux. Ce regroupement est nécessaire pour les fins de comparaisons inter-provinciales puisque certaines fonctions, tels les services sociaux, prises en charge par le gouvernement provincial au Québec, relèvent en partie des autorités locales dans d'autres provinces. De même, les revenus et dépenses liés au Régime de rentes du Québec sont exclus puisqu'ils apparaissent au budget du gouvernement fédéral ailleurs au Canada.




Le tableau 1 révèle que les dépenses totales du gouvernement provincial et des gouvernements municipaux au Québec s'élèvent à plus de 40 milliards de dollars en 1988 et représentent 28 % du PIB. Les dépenses sont nettement plus élevées qu'en Ontario mais plus faibles que dans, les provinces de l'Atlantique ainsi qu'en Saskatchewan. L'écart entre le Québec et l'Ontario s'est rétréci au cours des années 80, la part des dépenses dans le PIB au Québec passant de 31 % en 1981 (Mais et Vaillancourt, 1989, 54, tableau 1) à 28 %, alors que la situation est demeurée inchangée en Ontario (21 %). Par ailleurs, le Québec enregistre un déficit de l'ordre de 3 milliards de dollars, ce qui correspond à 2% du PIB; ce déficit est considérablement plus élevé qu'en Ontario.

Les postes budgétaires les plus importants sont la santé, les services sociaux et l'éducation, qui accaparent chacun environ 20 % des dépenses totales (tableau 2). Le Québec est la province qui dépense le plus, et de loin, pour les services sociaux, et le moins (avec Terre-Neuve) pour la santé. C'est dans le domaine des services sociaux que les dépenses ont le plus augmenté depuis 1981 (voir Blais et Vaillancourt, 1989, 56, tableau 4). Pour ce qui est des revenus, la principale source est évidemment l'impôt sur le revenu des particuliers, suivie des cotisations de sécurité sociale, de la taxe générale de vente et des impôts fonciers (tableau 3). Le Québec se distingue de toutes les autres provinces par l'importance considérable de l'impôt sur le revenu des particuliers (ce qui s'explique en partie par l'utilisation de cet impôt comme véhicule de transferts fédéraux pour le Québec) et des cotisations de sécurité sociale ainsi que par la maigre part de l'impôt sur le revenu des corporations. Les cotisations de sécurité sociale constituent la source de revenus la plus en croissance depuis 1981 et ce sont les impôts sur le revenu des corporations qui diminuent le plus fortement, suite à une baisse notable des taux (voir Blais et Vaillancourt, 1989, 57, tableau 7).







En somme, le budget du Québec est moins élevé que celui des provinces de l'Atlantique mais nettement plus que celui de l'Ontario; l'écart avec celle-ci s'est cependant quelque peu rétréci depuis quelques années. C'est dans le secteur des services sociaux que le Québec dépense beaucoup plus que l'Ontario et c'est par le biais de l'impôt sur le revenu des particuliers et des cotisations sociales que le Québec taxe davantage.




2. Les dépenses

Pour l'année fiscale 1989-1990, le gouvernement du Québec prévoit des dépenses totales de 32,5 milliards de dollars, une augmentation de 3 % par rapport à l'année précédente; cependant, si l'on exclut les dépenses payées par anticipation en 1988-1989 et que l'on tient compte du fait que les allocations familiales sont maintenant comptabilisées comme des crédits d'impôt, l'augmentation est plutôt de 6%, un point de plus que le taux d'inflation anticipé mais deux points de moins que la croissance prévue du PIB. Les dépenses représentent 21,4% du PIB québécois, un léger déclin par rapport à l'an dernier (21,8 %). C'est la cinquième année consécutive où les dépenses augmentent moins que le PIB. Cette année cependant, la diminution relative des dépenses est plus faible que par le passé, peut-être en partie parce qu'il s'agit d'une année électorale.

Le tableau 4 indique la répartition des dépenses par ministère, annoncée lors du dépôt des crédits. Ce sont le Conseil exécutif, les Finances ainsi que les organismes associés à la condition féminine et à l'application de la Charte de la langue française qui obtiennent les plus fortes augmentations. Le Conseil exécutif est chargé de la gestion d'un nouveau programme, le Fonds de développement technologique. Dans le cas des Finances, les crédits sont du même ordre que ceux votés l'an dernier mais les résultats préliminaires révèlent que le ministère a dépensé 500 millions de dollars de moins que prévu en 1988-1989. Le budget de l'Office des services de garde à l'enfance, qui relève de la ministre déléguée à la Condition féminine, s'est accru de 42 millions de dollars. De même, les organismes responsables de l'application de la Charte de la langue française bénéficient de crédits additionnels de 13 millions de dollars. À l'inverse, le budget du ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu est réduit de 240 millions de dollars, suite à une diminution prévue des prestations d'aide sociale.




Le discours du budget contient un grand nombre de mesures additionnelles, dont l'impact financier total a été estimé à près de 200 millions de dollars. Presque tous les secteurs sont affectés par ces mesures: les universités, la technologie, les régions, les familles, l'environnement, la santé, la culture, l'immigration... Les deux mesures les plus importantes sur le plan financier sont des crédits additionnels pour les universités, de 38 millions de dollars cette année et de 46 millions par la suite, et l'indexation de 4,9% des barèmes du programme APTE (Actions positives pour le travail et l'emploi), qui coûtera 11 millions de dollars en 1989 et 57 millions en 1990. Ceci ne devrait cependant pas faire perdre de vue le fait que les crédits affectés aux régimes de sécurité du revenu diminuent en 1989.

Au total, la ventilation des dépenses ne change pratiquement pas cette année. Le gouvernement donne bien un peu plus pour les garderies et l'environnement mais les sommes impliquées sont minces. Aucune réorientation majeure ne se manifeste. La stratégie consiste à maintenir la rigueur budgétaire (les dépenses augmentent moins que le PIB) tout en accordant des petites augmentations à plusieurs programmes. Il est symptomatique à cet égard que l'impact total des dépenses additionnelles annoncées dans le discours du budget (193 millions de dollars) est deux fois plus élevé que l'an dernier. À quelques mois des élections, le gouvernement a voulu démontrer son intérêt pour des questions aussi diverses que le réseau routier, l'assainissement des eaux et l'aide aux artistes de la relève.

Depuis six ans la croissance des dépenses du gouvernement du Québec est à peine supérieure à l'inflation et bien inférieure à la croissance du PIB. Cette diminution relative du budget a été obtenue de plusieurs façons. Un facteur important a été la faible croissance en termes réels des salaires dans le secteur public. Le tableau 5 présente les taux d'augmentation des salaires dans les secteurs privé et public depuis 1980. On y remarque que les salaires, tant dans le privé que dans le public, ont augmenté moins rapidement que l'inflation et qu'ils ont donc diminué en termes réels. Les salaires ont également moins augmenté dans le public que dans le privé. Cette évolution constitue une économie substantielle pour le gouvernement. En fait, si les salaires avaient suivi le rythme de l'inflation, la masse salariale de l'ensemble du secteur public en 1987, qui était de l'ordre de 1 1J milliards de dollars (Bureau de la statistique du Québec, Emploi, rémunération et heures de travail au Québec, 1987, tableau 1), aurait été de 800 millions plus élevé, ce qui aurait entraîné une hausse de près de 3 % des dépenses totales. Ces économies sont loin d'expliquer entièrement la réduction des dépenses au cours des six dernières années (si le ratio dépenses/ PIB était le même qu'en 1983-1984, les dépenses totales en 1989-1990 seraient 20% plus élevées, soit environ 6,6 milliards de dollars de plus); elles n'en sont pas moins considérables. Un autre élément d'explication est la décroissance de la part de l'emploi de l'administration publique provinciale au sein de l'emploi au Québec. De décembre 1983 à décembre 1988 cette part est passée de 2,6% à 2,3 % (Bureau de la statistique du Québec, Données sur la population active). Il convient d'ailleurs de noter que selon le dernier rapport de l'IRIR (Institut de recherche et d'information sur la rémunération, Mise à jour du quatrième rapport sur les constatations de l'IRIR, mai 1989) la rémunération globale des salariés du secteur public, une fois normalisée pour les différences dans les heures de présence au travail, est à toutes fins pratiques égale à celle du secteur privé.







3. Les revenus

Le budget 1989-1990 prévoit des recettes totales de 31 milliards de dollars, ce qui implique un déficit de 1,5 milliard. Il s'agit là d'une très faible réduction (de 100 millions de dollars) par rapport au déficit de l'an dernier. C'est la sixième année consécutive au cours de laquelle le déficit diminue, de sorte que le rapport déficit/PIB ne devrait s'élever en 1989-1990 qu'à 1,0%, alors qu'il était supérieur à 3 % il y a six ans. Le gouvernement maintient donc le cap (le déficit est à la baisse) mais semble avoir conclu, contrairement à ce que prétendent les milieux patronaux, que le problème est plus ou moins jugulé: il suffit tout simplement de s'assurer que le déficit n'augmente pas. On peut aussi comprendre qu'en année électorale la préoccupation pour le déficit soit moins vive.

Des 31 milliards de dollars de revenus 6,6 proviendront des transferts du gouvernement du Canada. La part des transferts fédéraux dans les revenus budgétaires passe de 21,6% en 1988-1989 à 21,2 % en 1989-1990. Dans le discours du budget, le ministre des Finances se plaint des coupures annoncées par le gouvernement fédéral au financement des programmes établis. Si l'on compare les prévisions du budget de cette année à celles de l'année dernière au chapitre des transferts fédéraux cependant, l'écart n'est que d'environ 100 millions de dollars... Les attaques contre le gouvernement fédéral apparaissent donc peu fondées. Bien sûr il faudrait également tenir compte de l'impact indirect des différentes mesures fédérales mais à défaut de bilan systématique (effets positifs et négatifs) les chiffres lancés par le ministre des Finances n'ont guère de crédibilité.

Pour ce qui est des revenus autonomes du gouvernement, la principale source est évidemment l'impôt sur le revenu des particuliers, suivie de loin par la taxe de vente au détail (tableau 6). On note cependant une légère baisse de la part relative de l'impôt sur le revenu des particuliers dans les recettes du gouvernement. Cette baisse découle toutefois de la réforme de la fiscalité introduite en 1988. Le dernier budget n'apporte pas de modifications, si ce n'est l'indexation des crédits d'impôt pour la famille ainsi que la bonification des allocations à la naissance (une allocation supplémentaire de 500 dollars à l'occasion du premier anniversaire de naissance du second enfant et une hausse de l'allocation pour le troisième enfant, de 3 000 a 4 500 dollars); ces deux mesures auront un impact financier fort limité (45 millions de dollars) en 1989-1990.




Par ailleurs, on note une augmentation de la part relative des contributions des employeurs au Fonds des services de santé. L'augmentation découle de la hausse du taux des contributions, qui est porté de 3,22% à 3,36%. Cette hausse relative de 4% s'applique également à la taxe sur le capital et à l'impôt sur les profits des entreprises. Pour contrebalancer cette augmentation d'impôt le ministre des Finances annonce des mesures destinées à encourager l'investissement dans les nouvelles technologies: amortissement accéléré de 100% pour les actifs intangibles, déductions fiscales pour les actionnaires de société de capital de risque R & D, élargissement du crédit d'impôt de 40 % sur les salaires aux PME publiques, abolition de la taxe de vente sur le matériel roulant. À cela s'ajoutent des crédits additionnels pour différents programmes d'aide à la commercialisation et à la diffusion de nouvelles technologies. Ces mesures reflètent l'intérêt que porte le gouvernement pour la technologie dans le cadre de la mise en application de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis. Les sommes impliquées sont cependant minimes: 37 millions de dollars en 1989-1990 et 71 millions en 1990-1991.

En somme le discours du budget ne modifie que très marginalement la fiscalité québécoise. Le déficit est stationnaire et la part des différentes sources de revenus est largement inchangée. Le gouvernement veut encourager l'innovation chez les entreprises mais il se montre conservateur dans sa stratégie fiscale. Finalement, contrairement à l'an dernier, le gouvernement procède à une (légère) hausse d'impôt mais c'est une hausse qui s'applique aux entreprises (qui ne votent pas) et dont on accuse (avec peu de crédibilité) le gouvernement fédéral d'être responsable.




4. Les réactions

Les réactions au discours sur le budget furent variées. Les milieux patronaux se sont montrés dans l'ensemble satisfaits. M. Ghislain Dufour, président du Conseil du patronat du Québec, se réjouit particulièrement des mesures de soutien à la recherche et au développement. M Jean-Paul Létourneau, vice-président de la Chambre de commerce du Québec, qualifie le budget d'acceptable compte tenu des circonstances. A la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, on se dit cependant déçu; on rappelle que l'augmentation de la taxe salariale touche lourdement les petites entreprises (La Presse, 17 mai 1989).

Les syndicats trouvent le budget décevant. On reproche au gouvernement de procéder à du saupoudrage, on déplore l'absence de mesures de création d'emplois, et on fait valoir que le budget manque de vision et de perspective (Ibid.). Les syndicats s'étaient également montrés très critiques lors du dépôt des crédits. Ils s'en prenaient en particulier aux restrictions budgétaires et aux coupures de postes, qui selon eux mettent en péril l'accès à des services de qualité (Le Devoir, 23 mars 1989). Quant à l'opposition péquiste, elle juge que le budget est le reflet d'un gouvernement sans vision ni projet de société, incapable de faire des choix politiques (Le Devoir, 17 mai 1989).

Manifestement, le budget québécois manque d'éclat, surtout si on le compare au budget fédéral ou même au budget québécois de l'an dernier. C'est ce qui a amené certains analystes à parler d'un non-budget (Francine Pelletier, « Le budget? Quel budget? », La Presse, 20 mai 1989), qui fait bailler à en mourir (Daniel Latouche, «Bailler à en mourir », Le Devoir, 19 mai 1989). Le jugement est à la fois juste et faux. Juste parce que c'est la continuité, tant au niveau des dépenses qu'à celui des revenus, qui prime et aussi parce qu'on ne retrouve aucune mesure spectaculaire, le gouvernement se contentant de saupoudrage. Mais l'absence de nouvelles mesures ne signifie pas nécessairement absence de vision. Le gouvernement apparaît très clair et cohérent dans sa volonté de réduire progressivement les dépenses et le déficit. L'augmentation des allocations à la naissance traduit également fort bien la préoccupation pour le problème de la dénatalité. On sent toutefois que cette « vision » de la société manque de souffle. Au-delà de quelques paramètres, les priorités sont floues.

On a noté à quelques occasions la conjoncture politique de ce budget qui a été présenté quelques mois avant l'élection. Le déficit n'est pas vraiment réduit, des sommes additionelles sont consacrées à un très grand nombre de programmes et surtout on n'augmente pas les taxes sauf pour les entreprises. Il convient cependant de nuancer le caractère électoraliste du budget. Le déficit n'est pas augmenté et le gouvernement ne fait pas de gros cadeau à qui que ce soit. Cela suggère que la culture politique au Québec, comme ailleurs, a changé (ou tout au moins que c'est la perception du gouvernement). À un moment où les électeurs valorisent la rigueur budgétaire, il est peut-être plus rentable pour un, gouvernement de montrer qu'il maintient une gestion serrée des fonds publics. Dans cette perspective, « un bon budget n'est pas nécessairement un grand budget » (Alain Dubuc, « Après la tempête fédérale, le calme provincial » La Presse, 17 mai 1989).