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L'élection fédérale du 21 novembre 1988 au Québec : une analyse des résultats



Pierre Drouilly
Université du Québec à Montréal


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : Les élections et les référendums



A bien des égards l'élection fédérale du 21 novembre 1988 apparaît, au Québec, comme une copie de celle du 4 septembre 1984: les différences entre les deux élections sont marginales (tableau 1), même si elles sont significatives, comme cette analyse se propose de le montrer.




L'élection de 1984 marquait, au Québec, une rupture dans le comportement des électeurs québécois aux élections fédérales depuis quinze ans: la domination électorale du Parti libéral du Canada sur le Québec fut presque totale depuis le début de la carrière de Pierre Trudeau à la tête du gouvernement fédéral en 1968. Cette domination, vieille de plus d'un siècle, prit l'allure d'un monopole électoral durant de longues décennies et ne fut brisée qu'à trois reprises depuis le début du siècle: en 1911, en 1930 et en 1958 au moment de l'élection triomphale du gouvernement Diefenbaker. Mais à chaque occasion le Québec retournait rapidement dans le giron libéral1 ] .

Aussi au lendemain des élections de 1984, après la victoire de Brian Mulroney, pouvait-on se dire qu'une fois de plus il s'agirait d'un accident de parcours, et que le Québec retrouverait rapidement sa fidélité séculaire envers le Parti libéral du Canada.

L'élection de 1988 montre qu'il n'en est rien: en rééditant son exploit de 1984, le Parti conservateur nous indique que peut-être nous nous trouvons à un moment charnière de l'histoire électorale du Québec, et que l'élection de 1984 marque le début d'un réalignement partisan à long terme de l'électorat québécois.

En effet, avec 22,3 % des électeurs inscrits en 1988 (tableau 2), le Parti libéral du Canada a atteint son plus bas niveau depuis 1867: le précédent record était son résultat aux élections de 1984 (26,6 % des électeurs inscrits), et il faut remonter à l'élection de 1891, soit avant le début du règne de Laurier en 1896, pour voir le Parti libéral sous la barre des 30% des électeurs inscrits (exception faite du vote pour le OUI au plébiscite de 1942, sous le gouvernement King). Le Parti conservateur, avec 38,9 % des électeurs inscrits, un accroissement de 1, 1 % par rapport à 1984 (37,8 %), égale en 1988 très précisément son maximum historique atteint lors de l'élection de 1958. Depuis le début du siècle le Parti conservateur n'avait atteint de tels résultats qu'en 1911 (35,3 %) et 1930 (33,7 %)2 ] .




Le N. P. D., quant à lui, avec 10,3 % des électeurs inscrits, a atteint lui aussi un sommet en 1988, son précédent étant l'élection de 1965 durant laquelle, sous la direction de Robert Cliche, il avait atteint au Québec, les 8,3 % des électeurs inscrits.



Les députés élus

À l'élection de 1984, le Parti conservateur faisait élire 58 députés au Québec, et le Parti libéral, 17. Mais si cette élection avait eu lieu sur la nouvelle carte électorale en vigueur en 1988, les résultats de 1984 auraient été de 60 conservateurs et 15 libéraux élus3 ] . Aux élections de 1988 les résultats furent 63 conservateurs et 12 libéraux élus au Québec. Ce résultat masque cependant es changements un peu plus prononcés, puisque le Parti libéral a vu sa majorité de 1984 renversée dans cinq circonscriptions (Ahuntsic, Bourassa et Outremont dans la région de Montréal, RichmondWolfe et Saint-Maurice à l'extérieur de Montréal), alors qu'il renverse la majorité conservatrice de 1984 dans deux circonscriptions (Gatineau-La Lièvre et Lasalle-Émard). Le Parti libéral a donc conservé ses majorités dans 10 circonscriptions (dont huit se situant sur l'île de Montréal) alors que le Parti conservateur conservait les siennes dans 60 circonscriptions.







Les cartes représentant les députés élus en 19884 ] (cartes 3 et 4), font ressortir le caractère montréalais des appuis libéraux puisque neuf des douze députés libéraux ont été élus sur l'île de Montréal, et plus précisément au centre de celle-ci.







Des 75 députés siégeant au moment de la dissolution des Communes, onze ne se sont pas représentés, trois libéraux et huit conservateurs. Chez les libéraux, Gaston Isabelle (Hull-Aylmer) laisse la place au député libéral provincial Gilles Rocheleau qui se fit élire, Thérèse Killens (députée de l'ancien Saint-Michel-Ahuntsic) se trouve coincée entre les candidatures de Raymond Garneau (Ahuritsic) et André Ouellet (Papineau-Saint-Michel) et se retire, tout comme Donald J. Johnston (SaintHenri-Westmount) qui était en profond désaccord avec son chef John Turner.

Chez les conservateurs, Charles Hamelin (Charlevoix) cède son siège à son chef Brian Mulroney qui choisit cette circonscription dans laquelle se trouve maintenant la ville de Baie-Comeau; Roch Lasalle (Joliette), Fernand Ladouceur (Labelle) et Anne Blouin (Montmorency-Orléans) se retirent de la politique pour des raisons diverses, tandis que quatre autres députés conservateurs, mêlés à divers scandales financiers et judiciaires, doivent se retirer, soit André Bissonnette (Saint-Jean), Michel Côté (Langelier), Édouard Desrosiers (Hochelaga-Maisonneuve) et Michel Gravel (Gamelin).

Des 64 députés qui se représentèrent, 54 ont été réélus (8 libéraux et 46 conservateurs), mais, depuis l'élection, l'un d'eux, Richard Grisé (Chambly) a démissionné suite à un plaidoyer de culpabilité pour fraude, ce qui provoquera une élection partielle à brève échéance.

Des dix députés battus, six étaient libéraux, deux conservateurs et deux indépendants. Les deux indépendants, Suzanne Blais-Grenier (Rosemont) et Bernard Toupin (Terrebonne) avaient été élus conservateurs en 1984, et leurs circonscriptions sont restées conservatrices. Les deux conservateurs battus sont Claude Lanthier (Lasalle-Émard) battu par Paul Martin (aujourd'hui candidat à la chefferie libérale) et Claudy Mailly (Gatineau-La Lièvre), battue par Mark Assad, autre député libéral provincial ayant fait le saut dans l'arène fédérale. Des six députés libéraux battus en 1988, deux représentaient des circonscriptions extérieures à Montréal, Alain Tardif (Richmond-Wolfe) et Yvon Milette (Saint-Maurice), ce dernier ayant été élu au cours d'une élection partielle en 1986 dans la circonscription détenue depuis 1963 par Jean Chrétien, tandis que les quatre autres représentaient des circonscriptions de l'île de Montréal: Jacques Guilbault (Rosemont) ancien député de Saint-Jacques aujourd'hui fusionné avec Sainte-Marie, Carlo Rossi (Bourassa) et deux candidats de prestige, Lucie Pépin (Outremont) et Raymond Garneau (Ahuntsic), bras droit de John Turner pour le Québec.




La participation électorale

Avec un taux de participation électorale de 75,2%, un pourcent de moins qu'à l'élection de 1984, l'élection de 1988 se situe à un niveau assez élevé de participation pour une élection fédérale au Québec, bien que ne constituant pas un maximum comme en 1958 (alors que la participation atteignait les 79,4%). Ce taux de participation, tout comme celui de 1984, rompt avec une tendance à la baisse très poussée depuis une vingtaine années, résultat de la démobilisation de l'électorat conservateur au Québec depuis l'arrivée de Pierre Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada, et de l'abstention plus prononcée de l'électorat nationaliste aux élections fédérales5 ] .

La structure de la participation électorale en 1988 à travers les 75 circonscriptions du Québec est très semblable à celle de 19846 ] (cartes 5 et 6): la corrélation entre la participation en 1984 et en 1988 est de 0,8507 ] . Le taux de participation a reculé en 1988 dans 59 circonscriptions par rapport à 1984, et progressé dans les seize autres. Mais ces variations sont faibles, dans la moitié des cas inférieures à deux pourcent, les variations extrêmes étant de l'ordre de 5 %. Le taux de participation varie en 1988 de 64,3% (Abitibi) et 82,5% (Chambly).







La répartition géographique des taux de participation confirme que les variations de ces taux sont déterminées par des variables sociologiques: les régions périphériques (Abitibi, Témiscamingue, Lac-Saint-Jean, Gaspésie, Estrie) sont plus abstentionnistes, tout comme les parties centrales des grandes agglomérations (Québec-Est, centre de Montréal). En fait, dans la région de Montréal, le taux de participation va en augmentant du centreville vers la périphérie, les circonscriptions les plus participationnistes se situant dans la grande banlieue ouest (Vaudreuil, Lachine-Lac-Saint-Louis) ou sud (Laprairie, Chambly), tout comme à Québec (LouisHébert). Dans le reste du Québec, c'est l'axe du Saint-Laurent, de Montréal à Québec, qui constitue la région la plus participationniste.

On retrouve ici les grandes tendances de l'abstentionnisme d'isolement sociologique (régions périphériques, centres-ville) qui oppose les zones à activité économique déclinante et à chômage élevé, aux zones à niveau de richesse plus élevé (banlieues et axe Montréal-Québec). On notera cependant dans la région de Montréal une légère tendance à l'abstentionnisme dans les banlieues est, plus francophones, bien que globalement l'abstentionnisme électoral ne se fasse pas en 1988 sur une base ethnique.




Le vote conservateur

En votes valides, le Parti conservateur est passé de 50,2% en 1984 à 52,7% en 1988: alors qu'il faisait élire 39 députés avec la majorité absolue des voix en 1984, il en fit élire 47 avec la majorité absolue des voix en 1988.

Le Parti conservateur se développe en 1988 sur une base semblable à celle de 1984, le coefficient de corrélation entre les deux élections étant de 0,793 pour le vote conservateur. Néanmoins alors que ce vote s'étalait entre 29,1 % (Outremont) et 71,3 % (Frontenac) en 1984, il s'étale entre 27,9 % (Notre-Dame-de-Grâce) et 80,0% (Charlevoix) en 1988.

Le vote conservateur a progressé dans 47 circonscriptions tandis qu'il reculait dans les 28 autres. Les reculs les plus prononcés du Parti conservateur se situent dans Joliette (départ de Roch Lasalle) et Berthier-Montcalm (dont une partie appartenait à l'ancien Joliette), dans l'ancienne circonscription de Brian Mulroney (Manicouagan), dans Terrebonne (où l'ancien député conservateur, Bernard Toupin, se présentait comme indépendant), et dans les circonscriptions montréalaises à forte composante anglophone (Lachine-Lac-Saint-Louis, Lasalle-Émard, Mont-Royal, Notre-Dame-deGrâce).

Les progrès les plus marqués du vote conservateur se situent au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et d'une manière générale sur la rive sud du Saint-Laurent (Beauce, Bois-Francs, Estrie), à quoi s'ajoute une progression notable dans les grandes banlieues francophones de Montréal et Québec (Blainville-Deux-Montagnes + 14,9 %, Charlesbourg + 7,9 %, Laprairie + 10,7 %, Lévis + 8,2 %, Longueuil + 5,9 %, Louis-Hébert + 14,5 %, Montmorency-Orléans + 13,40/c, Anjou-Rivière-desPrairies + 8,2%, Duvernay + 10,7%, Laval-desRapides + 7,6 %, Mercier + 6,1 %).

Cette évolution du vote conservateur accentue en 1988 son caractère francophone, rural et banlieusard8 ] . À l'extérieur de Montréal, le vote conservateur (carte 8) est dominant (plus de 50% des voix) à neuf exceptions près sur 50 circonscriptions, et tous les députés élus sont conservateurs, sauf trois. À Montréal (carte 7), le vote conservateur s'ordonne en couches concentriques du centre vers la banlieue, ses meilleurs résultats se situant en banlieue, et parmi ceux-ci les majorités absolues se situant dans la banlieue est (Laval-des-Rapides, Duvernay, Anjou-Rivière-des-Prairies, Mercier, Longueuil).







Le caractère francophone du vote conservateur est particulièrement visible à Montréal: toutes les circonscriptions ayant moins de deux tiers de leur population qui soit francophone9 ] , ont été perdues par le Parti conservateur, à deux exceptions près. Ces exceptions sont Lachine-Lac-Saint-Louis et Pierrefonds-Dollard qui englobent la banlieue ouest de l'île, bien qu'elles soient peu francophones.

Les coefficients de corrélation entre le vote aux partis et la composition linguistique des circonscriptions (tableau 4) confirme cette analyse: la corrélation entre le vote conservateur et le pourcentage de francophones est positive, et elle s'est accentuée entre 1984 et 1988, passant de 0,536 à 0,638. Par contre la corrélation entre le vote conservateur et le pourcentage d'anglophones ou d'allophones est négative, en 1984 comme en 1988: cette corrélation négative s'est renforcée pour les anglophones (passant de - 0,303 à - 0,459) alors qu'elle est restée stable pour les allophones (tout en demeurant plus forte que pour les anglophones).










Le vote libéral

En votes valides, le Parti libéral est passé de 35,4 % en 1984 à 30,2 % en 1988: mais alors qu'un seul de ses députés se faisait élire avec la majorité absolue des voix en 1984 (Jean Chrétien dans Saint-Maurice), en 1988 trois d'entre eux le sont, alors que le nombre de députés libéraux est passé de 17 à 12. Le vote libéral a reculé dans 54 circonscriptions et a progressé dans les 21 autres, son étalement s'accentuant notablement: alors que le vote libéral variait de 20,7 % (Joliette) à 56,1 % (Saint-Maurice) en 1984, il varie de 12,1 % (Roberval) à 59,9 % (Mont-Royal) en 1988. Le coefficient de corrélation entre les deux votes est de 0,625, bien inférieur à la corrélation entre le vote conservateur de 1984 et celui de 1988.

Les reculs du vote libéral en 1988 prennent parfois l'allure d'une vraie débandade, comme dans l'ancienne circonscription de Jean Chrétien (Saint-Maurice - 31,5 %), ou dans les huit autres circonscriptions où le recul est supérieur à 15 points (Beauce - 16,6%, Blainville-DeuxMontagnes - 17,5 %, Champlain - 15,8 %, Jonquière - 22,8 %, Lac-Saint-Jean - 17,2 %, Roberval -2 1,1 %, Témiscamingue - 19,6 %, Montmorency-Orléans - 16,9 %). Le recul du Parti libéral est généralisé sauf dans l'Outaouais et dans la partie ouest de l'île de Montréal.

En effet, le Parti libéral enregistre ses gains les plus significatifs dans Gatineau-La Lièvre (+ 8,9 %) et Hull (+ 9,3 %), ainsi que dans les circonscriptions les plus anglophones de l'ouest de l'île de Montréal (Lachine-Lac-Saint-Louis + 11,2 %), Lasalle-Émard + 6,4%, Mont-Royal + 12,0%, Notre-Dame-deGrâce + 9,6 %, Pierrefonds-Dollard + 8,8 %).

Ce double mouvement, recul dans l'ensemble du Québec et progrès dans l'ouest de Montréal, accentue en 1988 le caractère ethnique du vote libéral (cartes 9 et 10). À l'extérieur de Montréal, le Parti libéral est en passe de devenir un tiers-parti, avec des scores inférieurs à 20 % dans certaines régions (Abitibi, Témiscamingue, Saguenay, LacSaint-Jean), inférieurs à 30 % dans plus des deuxtiers des circonscriptions. Seule l'île de Montréal accorde un appui appréciable au Parti libéral, qui traduit le caractère anglophone et allophone de l'électorat libéral de 1988 : en effet la distribution géographique du vote libéral épouse assez précisément la répartition géographique des électeurs non francophones.







Les coefficients de corrélation entre le vote libéral et la composition linguistique des circonscriptions (tableau 4) confirme cette analyse: la corrélation entre le vote libéral et le pourcentage de francophones est négative, alors qu'elle est positive avec les pourcentages d'anglophones ou d'allophones. De 1984 à 1988 ces corrélations s'accentuent dans tous les cas, passant de - 0,390 à - 0,718 pour les francophones, de 0,226 à 0,586 pour les anglophones et de 0,455 à 0,632 pour les allophones.




Le vote néo-démocrate

L'appui au N.P.D. est passé, en votes valides, de 8,8 % en 1984 à 14,0 % en 1988: cette progression de 5,2 % est très inférieure à ce que laissaient présager les sondages depuis deux ans, et l'avenir électoral du N.P.D. au Québec est toujours loin d'être assuré. Si depuis vingt-cinq ans le N.P.D. n'avait connu tant de hauts et de bas, tant d'espoirs vite déçus, on serait malgré tout autorisé à trouver tout à fait remarquable la poussée du N.P.D. en 1988.

En effet ce Parti a progressé dans 64 circonscriptions et reculé dans les onze autres qui sont toutes, sauf trois (Hull-Aylmer, La Prairie et Lévis), situées dans le centre et l'ouest de Montréal (Ahuntsic, Lachine-Lac-Saint-Louis, Mont-Royal, NotreDame-de-Grâce, Pierrefonds-Dollard, Saint-HenriWestmount, Saint-Laurent et Saint-Léonard). Dans certains cas les progrès sont importants, parfois grâce à des candidats de prestige comme Phil Edmonston (Chambly + 20,2 %) ou Rémi Trudel (Témiscamingue + 32,4%), ce qui a permis au N.P.D. d'arriver en seconde position dans sept circonscriptions.

Cependant ces progrès ne sont pas seulement attribuables à des candidatures exceptionnelles, puisqu'ils se répartissent dans des régions bien définies : en Abitibi-Témiscamingue (Abitibi + 18,3 %, Témiscamingue + 32,4 %), au Saguenay-Lac-SaintJean (Jonquière + 15,7 %, Lac-Saint-Jean + 14,1 %), sur la côte nord (Manicouagan + 11,7 %), en Mauricie (Champlain + 12,4 %, Saint-Maurice + 26,8 %), auxquels s'ajoutent Chambly (+ 20,2 %), Lotbinière (+ 12,9 %) et Matapédia-Matane (+ 10,3 %).

Si l'on examine maintenant la répartition géographique du vote néo-démocrate en 1988 (cartes 11 et 12), on note que ses meilleurs résultats sont situés, entre autres, dans les régions périphériques où prédomine une activité économique centrée sur les industries primaires (mines, forêts, pâte, et papier, hydroélectricité) dont la population active, fortement syndiquée, constitue la base traditionnelle de l'électorat néo-démocrate. Outre ces circonscriptions, les meilleurs résultats du N.P.D. à Québec et à Montréal se retrouvent essentiellement dans les circonscriptions où se concentre une forte population ouvrière: Langelier (20,1 %) et Lévis (19,6%) en banlieue sud de Montréal, Mercier (18,2%), Rosemont (20,2%), Hochelaga-Maisonneuve (20,7 %), Laurier-Sainte-Marie (21,6 %) dans l'est de Montréal. Ces circonscriptions sont toutes fortement francophones.







En effet, l'autre caractéristique du vote N.P.D. en 1988 est clairement son assise francophone. Outre le fait que les reculs qu'il a enregistrés l'ont à peu près tous été dans les circonscriptions à forte composition anglophone ou allophone, on notera (tableau 4) qu'alors qu'en 1984 le vote du N.P.D. était négativement corrélé avec le pourcentage de francophones, en 1988 la situation s'est inversée: le vote du N.P.D. est maintenant positivement corrélé avec le pourcentage de francophones et négativement corrélé avec le pourcentage d'anglophones et d'allophones, bien que dans tous ces cas les coefficients de corrélation soient faibles.




Le vote linguistique à Montréal

Nous avons effectué une analyse spectrale du vote aux élections de 1984 et 1988 dans les 26 circonscriptions de l'île de Montréal, l'île Jésus et la Rive-Sud de Montréal: les résultats de cette analyse sont présentés au tableau 5. Pour chaque parti politique et chaque élection on peut y lire les valeurs estimées du vote de chaque groupe linguistique, avec les marges de confiance qui leur sont associées. Les résultats de ce tableau confirment les analyses précédentes.




Les francophones de Montréal ont appuyé majoritairement le Parti conservateur en 1984 tout comme en 1988, et cet appui est passé d'un peu moins de 50% en 1984 à un peu plus de 50% en 1988. Le Parti libéral a vu ses appuis diminuer chez les francophones, de 30% en 1984 à 20% environ en 1988, alors que le N.P.D. double presque ses appuis francophones. Alors que les anglophones de Montréal appuyaient solidement le Parti conservateur en 1984 (près de 55 %) et dans une moindre mesure le Parti libéral et le N.P.D., la situation s'inverse en 1988, le Parti libéral obtenant la majorité du vote anglophone, légèrement en avance sur le Parti conservateur, le N.P.D. se retrouvant pour sa part avec un vote anglophone négligeable en 1988. Enfin les allophones de Montréal ont appuyé massivement le Parti Libéral en 1984 (70%) tout comme en 1988 (85 %), le N.P.D. se retrouvant en position marginale dans ce cas-ci, tout comme le Parti conservateur d'ailleurs.

En somme, en 1988 le caractère francophone de l'électorat conservateur montréalais s'accentue, tout comme celui du N.P.D., alors que le Parti libéral obtient la majorité du vote anglophone et la presque totalité du vote allophone.

Le vote libéral francophone à Montréal (environ 20%) est d'ailleurs du même ordre de grandeur que le vote que ce Parti obtient dans les circonscriptions les plus francophones à l'extérieur de Montréal (carte 10); même remarque pour le vote francophone conservateur qui se situe largement au-dessus des 50 % dans ces mêmes circonscriptions (carte 8). On peut donc conclure que chez les francophones, dans l'ensemble du Québec, le vote conservateur se situe entre 55 et 60%, le vote libéral entre 20 et 25 %, et le vote du N.P.D. entre 15 et 20%.

La très grande majorité de l'électorat anglophone et la presque totalité du vote allophone étant concentrés à Montréal, les estimations pour Montréal sont représentatives des estimations que l'on pourrait faire pour l'ensemble du Québec.

En conclusion, l'électorat anglophone se partage à égalité entre libéraux et conservateurs, avec peut-être un léger avantage pour le Parti libéral, alors que le vote allophone est massivement orienté en faveur du Parti libéral.
















En guise de conclusion

Avec les résultats qu'il a obtenus aux élections de 1984 et de 1988, le Parti libéral du Canada est en passe de devenir un tiers-parti parmi les francophones du Québec, talonné de près par le N.P.D. Si cette tendance devait se maintenir, il s'agirait là d'une rupture historique par rapport aux cent dernières années de notre histoire, durant lesquelles un bloc libéral inébranlable a dominé les élections fédérales au Québec.

Nous ne sommes pas loin de penser que ceci est un effet direct de la conjoncture post-référendaire. En effet, tout indique que le Parti conservateur bénéficie aujourd'hui de l'appui massif de l'électorat nationaliste au Québec: cela se voit au plan programmatique (appui du Parti québécois au libre-échange), au niveau du personnel politique (le Parti conservateur a recruté de nombreux péquistes), au niveau organisationnel (dès 1984 l'appui tactique du Parti québécois aux conservateurs n'était plus un secret), et maintenant au niveau électoral (ce n'est pas l'effet du hasard si les régions les plus péquistes, comme l'Est de Montréal, l'Abitibi, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, sont aussi celles qui appuient le plus fortement le Parti conservateur).

Il s'agit là, sans nul doute, d'un désavoeu du fédéralisme centralisateur, tel que pratiqué par les libéraux depuis vingt-cinq ans. C'est pourquoi cette nouvelle conjoncture électorale risque de durer un certain temps, surtout si le Parti libéral du Canada durcit ses positions politiques et constitutionnelles, comme l'y invitent les partisans et anciens collaborateurs de Pierre Trudeau.




Note(s)

1.  On consultera notre ouvrage Le Paradoxe canadien. Le Québec et les élections fédérales, (Montréal, Éditions Parti Pris, 1979, 238 pages) pour une analyse des élections fédérales depuis 1867 au Québec.

2.  On trouvera les résultats complets et détaillés des élections fédérales au Québec depuis 1867 dans notre ouvrage Statistiques électorales fédérales du Québec 1867-1984 (Montréal, VLB Éditeur, 1986, 696 pages), et des données sur les députés dans le Répertoire du personnel politique québécois 1867-1985 (Bibliothèque de l'Assemblée nationale du Québec, Québec, 1986, 668 pages) en collaboration avec Richard Cousineau.

3.  Transposition, effectuée par Élections Canada, des résultats de l'élection de 1984 sur la nouvelle carte électorale en vigueur en 1988. Les résultats de l'élection de 1988 figurent dans le Rapport sur la 341 élection générale, 1988 (Information Canada, Ottawa, 1989, 1335 pages).

4.  Les cartes ici présentées ont été tracées par ordinateur avec le logiciel CARTES développé par Gontran Dumont au Service de l'informatique de l'UQAM.

5.  Cf. Pierre Drouilly, Le Paradoxe Canadien, op. cit.

6.  On trouvera des cartes d'abstentions depuis 1867 aux élections fédérales au Québec dans notre ouvrage Allas des élections fédérales au Québec 1867-1988 (Montréal, VLB Éditeur, 1989, 560 pages). Cet ouvrage contient en outre les cartes du vote accordé aux partis et des députés élus aux élections fédérales au Québec depuis 1867.

7.  Tous les calculs statistiques ont été faits par ordinateur à l'aide du logiciel SPSS et de programmes écrits en langage FORTRAN.

8.  Voir Pierre Drouilly, Les élections de 1984 dans la région de Montréal, Le Devoir, 5 novembre 1988.

9.  Les données du recensement de 1986 ont été tirées de la publication spéciale de Statistique Canada fournissant les profils du recensement de 1986 sur la base de la nouvelle carte électorales : Statistique Canada, Circonscriptions électorales fédérales - Ordonnance de représentation de 1987, Partie 1 et 2, Recensement du Canada de 1986, catalogue 94-133 et 94-134.