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Maurice Bellemare



Pierre Godin


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : Articles divers



S'il est vrai que le style, c'est l'homme, c'est sans doute à ce niveau qu'il faut d'abord apprécier la contribution de Maurice Bellemare à la vie politique du Québec. Décédé du diabète, le 15 juin 1989, à l'âge de 77 ans, ce politicien coloré à la verve truculente, que la presse avait baptisé le « vieux lion » à cause de sa longévité politique, a en effet laissé à la postérité peu de réalisations grandioses si ce n'est une façon bien particulière de faire de la politique.

Il faut dire que Maurice Bellemare dut ronger son frein durant plus de 22 ans avant de pouvoir diriger un ministère. Sous Maurice Duplessis, n'entrait pas qui voulait au Conseil des ministres. Né le 8 juin 1912 à Grand-Mère, deuxième enfant d'une famille de 14, et élu pour la première fois à l'Assemblée législative le 8 août 1944, à l'âge de 32 ans, ce grognard d'origine ouvrière ne prit du galon qu'en 1953 quand son « maître Duplessis » le nomma whip en chef de l'Union nationale.

Il dut toutefois attendre la mort du Chef pour commencer à goûter vraiment, ne serait-ce que quelques mois, aux délices du saint des saints, Paul Sauvé le faisant entrer dans son cabinet, le 11 septembre 1959, mais comme ministre sans portefeuille. La mort brutale de Sauvé, trois mois et demi plus tard, et l'élection du libéral Jean Lesage, le 22 juin 1960, bloqua durant six ans l'ascension politique de cet autodidacte qui, avant de se lancer en politique, comme député de Champlain, avait été mesureur de bois à la Consolidated Paper, commis voyageur de la maison Mozart, de Trois-Rivières, et serre-frein au Canadien Pacifique.

Après le retour des unionistes au pouvoir, le 5 juin 1966, Daniel Johnson lui confia ses premiers grands défis en le désignant à la tête de deux ministères: Travail et Industrie et Commerce. Sous le premier ministre Jean-Jacques Bertrand, qui succéda en octobre 1968 à Daniel Johnson, décédé prématurément le 26 septembre précédent, Maurice Bellemare conserva le Travail mais échangea le ministère de l'Industrie et du Commerce contre celui de la Main-d'oeuvre.

Si nous devons à ce politicien travailleur d'importantes améliorations au Code du travail québécois adopté en 1964, une loi levant l'interdiction qui pesait encore sur le travail de nuit des femmes en usine et la loi du Conseil consultatif du travail, c'est surtout à cause de ses méthodes peu orthodoxes de régler les conflits syndicaux que nous nous souvenons de lui.

« Moi, j'aime la guerre, je la cherche et je la veux... », clamait-il, à l'été 1966, aussitôt ministre du Travail dans un Québec aux prises avec une série de conflits ouvriers. Pour régler la longue grève des tisserands, ce ministre bourru et direct enferma dans une pièce Marcel Pépin, président de la CSN, et le pdg de la Dominion Textile, en les avertissant: « Vous sortirez d'ici quand ça sera réglé! » Et ce le fut après quelques heures de négociations à deux.

Parfois roublard - on disait de lui qu'il était rusé comme un renard et intelligent comme un singe - parfois tendre, Maurice Bellemare se fit également remarquer par sa maîtrise de la procédure parlementaire et son sens redoutable de la répartie.

Durant les années d'opposition, entre 1960 et 1966, il constituait à lui seul la moitié de la force de frappe des unionistes devant « l'équipe du tonnerre » du gouvernement Lesage.

Bluffeur né, il neutralisa un jour les attaques de l'opposition contre l'un de ses projets de loi en faisant surchauffer les radiateurs de l'Assemblée nationale. Comme on était en juin, les députés en transpiration perdirent rapidement le goût des longues péroraisons ... Pour se sortir du guêpier, Maurice Bellemare n'hésitait pas non plus à inventer des maladies à sa femme, Marie Blanche Martel, épousée le 28 mai 1939, ou encore à simuler lui-même la maladie de telle sorte que ses collègues disaient de lui qu'il était le seul politicien toujours vivant à avoir vaincu trois cancers.

Mais il aura peut-être manqué à ce politicien d'un autre âge d'avoir étudié pour être classé au rang des grands du panthéon politique québécois. C'était d'ailleurs le drame de sa vie d'avoir été contraint de quitter l'école pour gagner sa vie. Il aimait dire qu'il aurait pu devenir premier ministre s'il avait été avocat et n'hésitait pas, pour désarmer l'adversaire, à jouer la carte de la pitié.

«On sait bien, le premier ministre a eu la chance de faire des études. J'aurais voulu moi aussi mais mes parents n'avaient pas d'argent », lança-t-il un jour en pleine Assemblée après que Jean Lesage l'eût traité d'acabit.

Le 12 mars 1970, le jour même où son chef Jean-Jacques Bertrand déclenchait les élections du 29 avril, sentant venir la débâcle à la suite de l'adoption par le gouvernement de la Loi 63, législation controversée sur la langue d'enseignement qui allait provoquer le transfert massif du vote nationaliste en faveur du nouveau Parti québécois, le « vieux lion » Bellemare se retira dans sa tanière de Saint-Jean-des-Piles, en Mauricie.

Il ne réapparut qu'en 1974, à l'âge de 62 ans, pour prendre brièvement la direction d'une Union nationale en voie de se marginaliser. Ni sa ténacité ni sa popularité ne parvinrent à faire prendre la mer à la galère trouée qu'était devenu le Parti fondé, en 1935, par Maurice Duplessis. À l'automne 1975, il céda la barre à Rodrigue Biron se satisfaisant, jusqu'au 19 décembre 1979, date de sa démission ultime après 30 ans de vie politique, de son siège de Johnson conquis à l'élection partielle du 28 août 1974.

Ce duplessiste d'une autre époque, qui avait répété toute sa vie que l'enfer était rouge et le ciel bleu, ne sortit de sa retraite politique qu'aux élections de 1985 pour commettre une véritable hérésie en accordant publiquement son appui à un « rouge »: à Robert Bourassa qui l'avait nommé en 1970 président de la Commission des accidents du travail et qui allait arracher le divin pouvoir au « péquiou » comme le pittoresque Maurice Bellemare avait l'habitude de dire du parti de René Lévesque.