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Le patronat



Jean-H. Guay
Université d'Ottawa


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : Le patronat



Ce fut une de nos pires années »1 ] voilà ce que lançait Ghislain Dufour, président du Conseil du patronat du Québec (C.P.Q.) en marge de la vingtième assemblée annuelle de l'organisme, tenue en juin 1989. Cet aveu, fait aux journalistes, n'est pas sans fondement. L'automne 1988 et le début de l'année 1989 ont été particulièrement éprouvants pour la plus importante organisation patronale. Des dossiers brûlants ont ébranlé la cohésion et la solidarité du C. P. Q. dont la mission initiale, fixée il y a vingt ans, était « ... d'élaborer une philosophie commune d'action et de réaliser une solidarité patronale authentique... »2 ] . Mais l'année qui vient de s'écouler n'a pas été pour autant qu'une suite de défaites pour le patronat québécois et les organisations3 ] qui le représentent. Les relations de travail ont été jugées « harmonieuses » par les dirigeants patronaux. Le climat général de l'économie a suscité chez-eux le même contentement. Un sondage commandé par le C.P.Q. et réalisé auprès de ses membres permettait de constater que leur degré de satisfaction à l'endroit du climat économique atteignait un sommet inégalé au cours des douze dernières années4 ] . En fait, les fissures, les hésitations, et les inquiétudes renvoient à des dossiers précis.



Le libre-échange: espoirs et inquiétudes

L'année a d'abord été marquée par la question du libre-échange, thème central de la campagne électorale fédérale de l'automne 1988. Les principaux organismes patronaux du Québec s'étaient depuis fort longtemps prononcés en faveur du principe; ils avaient réitéré leur appui à l'entente Mulroney-Reagan. Tout au long du débat électoral, il n'était pas question pour eux de rester silencieux. La Chambre de commerce du Québec, par la voix de son nouveau président, M. Louis Arsenault, signifiait à toutes les chambres locales la nécessité d'intervenir dans la campagne en faveur du libre-échange. Malgré son appui répété au libre-échange, le C.P.Q. a, quant à lui, prétendu demeurer « neutre »5 ] se refusant à appuyer officiellement un quelconque parti.

Mais, au-delà des apparences, le libre-échange fut un dossier délicat et complexe. Si le projet apparaît profitable à l'ensemble du patronat, les membres, entreprises ou associations oeuvrant dans des secteurs « mous », où les risques financiers sont plus élevés6 ] , ont exercé (non sans succès) des pressions à l'intérieur des organisations patronales pour que cet appui soit ou bien « prudent »7 ] ou bien conditionnel8 ] . On souhaite, par exemple, que les gouvernements créent des centres d'information, préparent la main-d'oeuvre aux changements qui s'imposent, et aident les entreprises appartenant à des secteurs fragiles. Dans un document soumis aux députés de l'Assemblée nationale en novembre 1988, le C.P.Q. réclamait fermement l'adoption d'une « politique de main-d'oeuvre qui permettra aux entreprises québécoises de mieux s'adapter aux réalités économiques de demain9 ] . »

Cette stratégie transparaît à travers deux dossiers très sectoriels. Le premier est sans aucun doute celui de la recherche, du développement et de l'implantation des nouvelles technologies. Conscients de la mondialisation de l'économie et de la catalysation de ce processus par l'Accord de libre-échange, tous les organismes du monde des affaires réclament la modernisation technologique des équipements industriels, projet jugé indispensable pour accroître la compétitivité des entreprises québécoises. Trois des six grands points proposés par la Chambre de commerce de Montréal en 1988 dans son programme intitulé « Montréal Oblige » et repris par son nouveau dirigeant, M. Jacques Ménard, mettent l'accent sur l'urgence de prendre le virage technologique. La campagne menée par les Chambres de commerce, conjointement avec les organismes syndicaux, pour que l'Agence spatiale fédérale soit localisée dans la région métropolitaine s'inscrit dans ce cadre. Et les « boulets rouges » lancés contre les ministères fédéraux qui distribuent d'une manière « inéquitable » les fonds prévus pour la recherche et le développement procèdent de la même logique. Au niveau du virage technologique, les dirigeants patronaux du Québec en réclament donc davantage et ils craignent qu'une fois de plus, l'Ontario ramasse la part du lion même si au cours de la dernière campagne fédérale les Ontariens n'ont montré qu'un profond scepticisme envers l'Accord de libre-échange. De son côté, le C.P.Q. se propose, à compter de 1989, de changer son tir et de multiplier ses interventions contre les politiques du gouvernement fédéral. Dénonçant l'allocation des crédits à la recherche et au développement, M. Ménard, qui sera à compter de septembre 1989 dirigeant de la Chambre de commerce de Montréal, résume ainsi l'impression qui circule dans les milieux d'affaires: « il y a plus de complicité entre Ottawa et Toronto qu'entre Montréal et Ottawa10 ] ». Au cours de l'année, la tension et l'animosité entre Montréal et Toronto se sont donc élevées d'un cran de plus.

Le second dossier sectoriel qui s'articule au libre-échange est celui du financement des universités. Selon les dirigeants patronaux, le virage technologique doit se réaliser en grande partie au niveau des ressources humaines. Unanimement et très fréquemment, les organismes patronaux sont intervenus sur la scène publique pour exiger du gouvernement provincial qu'il mette fin au sous-financement chronique des institutions universitaires. Déclarations, mémoires, conférences de presse, et réactions au budget du ministre Gérard D. Lévesque... les organismes patronaux ont exprimé leur inquiétude de toutes les manières au cours de la dernière année. Les dirigeants de la Chambre de commerce de Montréal ont été fort explicites sur l'enjeu que ce thème représente pour les milieux d'affaires: « Avec le libre-échange, il n'y a plus de farce à faire. Notre relève doit être bien formée, et notre capacité à introduire des innovations technologiques dans les entreprises améliorée11 ] . » Un document du C. P. Q. suggère d'augmenter les frais de scolarité et d'accorder aux institutions universitaires la liberté de fixer leurs tarifs en fonction « du degré d'excellence ». Cela pourrait forcer « ... à la limite les institutions les moins performantes à fermer certains départements12 ] . » Selon le patronat, la diffusion des connaissances ne peut échapper plus longtemps à la logique du marché.

Les récentes réussites de plusieurs entreprises québécoises amènent donc le patronat à envisager l'implantation du Traité de libre-échange avec espoir, un espoir qui n'oblitère cependant pas les craintes reliées à l'avenir des secteurs « mous ». Et ces craintes transforment les souhaits d'autrefois en « obsessions »13 ] selon l'expression d'un dirigeant patronal. Pour minimiser les dangers possibles le monde patronal travaille sur deux grands fronts: 1) il demande aux gouvernements une aide, du moins à court terme, pour les secteurs dont la capacité concurrentielle est moindre; et 2) il réclame des actions concrètes pour le virage technologique sur deux plans, au niveau des ressources matérielles mais surtout au niveau des ressources humaines. Dans le premier cas, l'intérêt porté aux entreprises en péril permet de maintenir une solidarité patronale tiraillée par des intérêts divergents. L'« obsession » du virage technologique, quant à elle, a un double impact: elle suscite un accroissement des tensions avec le gouvernement fédéral et l'Ontario et elle est créatrice de nouvelles solidarités, par exemple avec les milieux universitaires et les milieux syndicaux (F.T.Q). Le libre-échange semble donc porteur de nouvelles sensibilités au sein du patronat.




Le patronat et l'État québécois

Dans son discours annuel, fêtant les vingt ans du C.P.Q., Ghislain Dufour affirmait en juin 1989: « ... nous sommes de nouveau en mesure de dire que nous étions généralement présents dans les débats... et que nous avons de toute évidence influencé bon nombre des orientations qui ont été prises dans le sens des intérêts du patronat14 ] ». En effet, au cours de l'année, près d'une centaine d'interventions publiques ont été faites, plus de vingt mémoires et représentations écrites ont été déposés devant les différents gouvernements. Transport, famille, santé, éducation et main-d'oeuvre, tous les secteurs ont été l'objet de propositions et de revendications. Pour une certaine série de dossiers le patronat n'a cependant enregistré que des succès mitigés. La réforme de l'aide sociale, conçue par le gouvernement provincial et fortement appuyée par les organismes patronaux a été abandonnée. La situation financière des universités a peu changé. La politique de main-d'oeuvre n'a, à cette date, toujours pas vu le jour. Et les dossiers traditionnels comme la C.S.S.T., la loi anti-scabs, ou le problème de la sous-traitance, n'ont guère avancé dans le sens souhaité par les organismes patronaux. Par contre, les gens d'affaires se disent satisfaits du dernier budget provincial et les centres d'information sur le libre-échange sont devenus une réalité.

En ce qui concerne la réduction du déficit gouvernemental, le patronat a félicité le gouvernement provincial. Toutefois, ajoute-t-il, le « ... travail n'est pas complété... ». L'objectif patronal: un déficit-zéro dans un délai de cinq ans. Ici aussi, l'efficacité des pressions patronales reste modeste. Les déclarations de Robert Bourassa et de Jacques Parizeau, en début de campagne électorale, en août 1989, ne laissent pas présager que les demandes patronales seront pleinement satisfaites. Au contraire, le premier ministre a refusé de prendre un tel engagement, estimant qu'il faut tenir compte de la conjoncture et de la qualité des services avant d'envisager une nouvelle réduction du déficit même si l'objectif reste louable15 ] . Quant au chef du Parti québécois, il a évoqué un accroissement possible du déficit gouvernemental en cas de victoire de son Parti aux élections de septembre 1989.

Au plan idéologique, les milieux d'affaires ont affiché un discours prudent et quelque peu paradoxal au cours de la dernière année à l'endroit du rôle de l'État: en septembre 1988, le président de la Chambre de commerce de Montréal déclarait: « Si l'ère interventionniste des gouvernements est révolue, il n'en demeure pas moins que tous les paliers de gouvernement conservent un rôle de premier plan16 ] ». Lors d'une conférence prononcée devant les membres de la Chambre de commerce et de l'industrie du Québec métropolitain, M. Halde, de la direction de Culinar, a souhaité que la collectivité, via l'État, aide les géants d'ici comme elle l'a fait pour les P.M.E. dans le passé: « Je crois, dit-il, qu'il est maintenant grand temps de solliciter le même appui massif et solidaire pour les très grandes entreprises québécoises17 ] .» On souhaite donc un État présent dans les domaines nécessaires à la progression des entreprises, mais peu coercitif à l'endroit de ces dernières.

Le dossier de l'environnement est un bel exemple de ce double discours. Au cours de l'année, le patronat québécois prend conscience qu'il s'agit d'un dossier « chaud », ayant des incidences multiples. Lors de son 39e congrès annuel, la Chambre de commerce de Montréal y a consacré une journée entière de travail... La Chambre de commerce du Québec, lors de ses assises, a décidé de former des ateliers auxquels participaient des « écologistes »... rencontre « impensable il y a dix ans18 ] » selon les observateurs présents. Du même souffle, le C. P. Q. a soumis au gouvernement un « Énoncé de politique » visant une meilleure qualité de l'environnement19 ] . Le nouveau discours patronal est celui-ci: les entreprises doivent s'impliquer et admettre l'intervention de l'État20 ] ; mais cet interventionnisme doit être limité ou balisé. Le ministère de l'Environnement ne doit pas se comporter en « police ». Il doit « privilégier les mesures d'encouragement par rapport aux moyens coercitifs21 ] ». Et pour ces entrepreneurs, qui s'attribuent le titre de nouveaux « chefs de file en matière d'environnement », « les objectifs de qualité de l'environnement au Québec ne doivent pas compromettre la capacité concurrentielle des entreprises québécoises22 ] . » Le patronat souhaite donc être un intervenant de premier plan dans le dossier. Il quitte la position jusque-là attentiste, position qui l'avait desservi. Considéré comme « pollueur » jusqu'à présent23 ] , victime d'un « message médiatique parfois trop négatif24 ] », le patronat fait volte-face et emprunte, à son tour, les couleurs de l'écologie en souhaitant réorienter le discours environnementaliste dans un sens qui ne lui soit pas préjudiciable. Plus concrètement, il veut éviter surtout que les coûts du « laissez-faire » antérieur ne lui soient entièrement facturés25 ] . Au cours de l'année, le patronat québécois fait donc ses premiers pas sur une scène qu'il ne fréquentait pas jusque-là et, du même coup, il doit reconnaître une nécessaire intervention de l'État. On constate donc que l'État n'occupe pas une place univoque dans le discours patronal.




Le patronat et la langue française

Le dossier linguistique a été éprouvant pour le C.P.Q. Ghislain Dufour l'a qualifié d'« épouvantable ». Il souhaite d'ailleurs qu'on mette un terme à des discussions qu'il qualifie de stériles. Ce désir de fermer le dossier promptement n'est pas incompréhensible.

Au cours des dernières années, le patronat n'a jamais été favorable à la Charte de la langue française26 ] . Considérant que celle-ci «  entrave la liberté des minorités » ou projette une « mauvaise image du Québec à l'extérieur », le patronat a toujours réclamé des « assouplissements ». Lorsque la Cour suprême a invalidé les articles de la Loi 101 relativement à l'affichage commercial, le 15 décembre 1988, les gens d'affaires se sont presque unanimement réjouis. Le Bureau du commerce de Montréal (à majorité anglophone), la Chambre de commerce du Québec, et le C. P.Q. (30 % d'anglophones) ont fièrement salué le jugement. « Nous ne nous attendions pas à autre chose. Nous avons toujours dit que cette partie de la loi brimait la liberté d'expression27 ] » déclarait le président du C.P.Q. Du même coup on sommait le gouvernement de ne pas utiliser la clause nonobstant, ce que revendiquaient l'ensemble des groupes nationalistes28 ] . Telle était pour l'essentiel la position patronale au lendemain du jugement. En fait, seule la Chambre de commerce de Montréal (80 % de francophones) n'a pas montré un tel empressement à applaudir.

C'est au cours des jours suivants que l'unanimité patronale s'est fissurée. Les groupes à majorité anglophone ont évidemment maintenu leur position en faveur du jugement ; ils ont également condamné le compromis que constitue la Loi 178, adoptée à la fin de 1988. À l'opposé, la Chambre de commerce de Montréal, l'organisation patronale traditionnellement la plus nationaliste des milieux d'affaires, initiatrice des Hautes Études Commerciales, a appuyé le gouvernement québécois face à cette loi. Le C.P.Q., quant à lui, a sans aucun doute été l'organisation la plus tiraillée. D'abord opposé à l'utilisation de la clause nonobstant, le C.P.Q. a dû rapidement se raviser. À l'intérieur de ses propres rangs les membres se sont montrés favorables à l'utilisation de la clause dérogatoire. Puis, le 20 décembre, le C.P.Q. a décidé de « ne pas s'opposer » à la solution gouvernementale même si elle implique l'utilisation de la clause nonobstant, en soulignant néanmoins qu'il désapprouve la limitation aux droits des minorités que représente la Loi 178. Selon les observateurs, les risques d'une « saignée du membership » étaient réels si le C.P.Q. maintenait son opposition complète à la clause nonobstant. En juin 1989, Ghislain Dufour, en expliquant les revirements de l'organisation qu'il préside déclarait sans ambages: « J'ai découvert dans ce débat des francophones très nationalistes29 ] . »

La quasi-unanimité présente au départ dans les milieux patronaux sur la question linguistique s'est donc morcelée au cours de l'année. On peut voir dans les contradictions et les tergiversations du C.P.Q. un manque d'habileté ou de simples faux pas. On peut aussi y diagnostiquer un déplacement réel de l'opinion du patronat francophone au cours de l'année. Les sondages internes de l'organisation semblent l'attester puisqu'en mars 1989 un sondage CROP réalisé auprès des membres indiquait que 77 % d'entre eux étaient favorables à l'utilisation de la clause dérogatoire; chez les francophones 94% des membres appuyaient une telle utilisation30 ] . Le clivage entre les deux groupes est manifeste. En janvier 1989, le monde des affaires anglophone estimait ainsi que le climat politique était « bon » dans une proportion de 53 %; chez les francophones la satisfaction atteignait 92 %31 ] . Il s'agit d'un écart très prononcé et les deux groupes affichent un certain ressentiment l'un envers l'autre. À la limite, ce net morcellement du patronat sur la question linguistique est peut-être l'élément le plus significatif des premiers mois de 1989.




L'émergence de nouvelles préoccupations

En 1988-1989, le patronat québécois a changé de cap non seulement sur la question linguistique ou les problèmes environnementaux, mais également sur des questions plus générales. Par exemple, les organismes patronaux envisagent de plus en plus la mise en place de garderies en milieu de travail32 ] . Le soutien aux arts par le milieu des affaires s'accentue de façon marquée33 ] . Mais plus encore, les Chambres de commerce ont réfléchi sur les problèmes de pauvreté à Montréal et sur l'analphabétisme. En fait on assiste à une diversification et à un élargissement de leurs préoccupations. Même la Chambre de commerce du Québec souhaite promouvoir des idées plutôt que se limiter à l'organisation d'activités mondaines.

Le monde patronal cherche aussi à apaiser certains conflits. Il veut jouer un rôle d'arbitre dans les querelles entre Montréal et Québec. La Chambre de commerce de Montréal a, à cette fin, créé des comités conjoints entre la métropole et la capitale. On a aussi réuni autour d'une même table les sept Chambres de commerce de la région de Montréal. À la limite, on assiste à une redéfinition des rôles.

Cette redéfinition s'impose peut-être dans la mesure où le patronat voit sa cote de popularité au sein de l'opinion publique en perte de vitesse. Selon les sondages internes du C.P.Q., l'image des entrepreneurs suscite moins d'enthousiasme auprès de la population, par rapport à ce qu'on enregistrait au milieu des années 1980. Un nombre croissant de Québécois pensent que les entreprises ont trop de pouvoir; la méfiance envers les syndicats diminue quelque peu. Un pourcentage décroissant d'individus croient que les lois du travail devraient donner plus de pouvoir aux entreprises34 ] . Certes le patronat conserve, par rapport aux autres intervenants sociaux, une bonne image mais celle-ci est moins éclatante qu'autrefois.

L'année 1988-89 fut donc globalement paisible au niveau des relations de travail et de la conjoncture économique. Toutefois, les organisations patronales, responsables des actions collectives de ce groupe social, se sont retrouvées en eaux troubles. La mise en vigueur de l'Accord de libre-échange canado-américain suscite chez plusieurs des inquiétudes, oblige à de nouvelles actions et aiguise des rivalités qui avaient rarement poussé le patronat à quitter ses salons feutrés. Sur les questions environnementales, le patronat a décidé de sortir de l'ombre. Le dossier qui fut cependant le plus difficile est sans aucun doute celui de la langue; des fissures importantes sont apparues au sein du bloc patronal.

Les processus sous-jacents à l'activité patronale de la dernière année peuvent être résumés ainsi. plus solide économiquement, le capital francophone, épaulé par l'État au cours des dernières décennies35 ] , est arrivé à une maturité suffisante pour avoir confiance en lui. Ce groupe social, de plus en plus marqué par la montée dans l'échelle des affaires des générations qui se sont éveillées à la politique au cours des années soixante et soixante-dix, semble avoir décidé de prendre davantage la parole. L'implantation du libre-échange, bien visible à l'horizon, impose une nécessité structurelle d'affirmation; et les débats sur la langue drainent maintenant, même chez eux, les passions en faveur du fait français. Des dossiers particuliers, tel la politique des taux d'intérêts d'Ottawa planifiée en fonction de Toronto, pour ne citer qu'un seul cas, viennent conjoncturellement consolider de nouvelles attitudes. Claude Béland, du Mouvement Desjardins, faisait, en août 1989, une déclaration révélatrice du nouvel état d'esprit: « Il est temps de mettre au rancart ce vieux réflexe de colonisé, présent encore chez certaines entreprises pourtant issues d'ici, et qui consiste à tenir leurs réunions de leur conseil d'administration en anglais sous le simple prétexte que quelques représentants d'actionnaires étrangers ne comprennent pas le français, ou sous le prétexte que l'anglais est, de toutes façons, la langue des affaires36 ] . »

À travers ces différents dossiers une nouvelle chimie, dont les effets demeurent encore incertains, est peut-être en train d'opérer. L'avenir dira si les transformations et les réalignements observés, au cours de la dernière année, sont simplement accidentels ou s'ils sont appelés à perdurer.




Note(s)

1.  Le Devoir, 9 juin 1989.

2.  C.P.Q., Le Conseil du patronat du Québec: une structure unique en Amérique du Nord.

3.  Le patronat québécois peut compter sur plusieurs organisations. Dans chaque secteur, pour chacune des régions on retrouve ainsi une ou plusieurs organisations chargées de représenter ses membres, de diffuser de l'information, d'offrir des services et d'acheminer des demandes à l'appareil politique. Trois organisations patronales se démarquent cependant par leur poids et leur impact sur la scène publique. Premièrement, le Conseil du patronat du Québec, CP.Q., qui a 20 ans cette année. Il regroupe, à travers une structure fédérale, des associations, du secteur privé et du secteur public ainsi que des entreprises. Les employeurs représentés directement ou indirectement par le C.P.Q. engagent 70% de la main-d'oeuvre québécoise. Monsieur Ghislain Dufour est depuis longtemps le numéro 1 de cette organisation. La Chambre de commerce de Montréal, C.C.M., est quant à elle une organisation centenaire. Elle regroupe 7 à 8000membres, entreprises et individus. Monsieur Serge Godin en fut le président jusqu'en septembre 1989, date à laquelle il cède les rênes à M. Ménard. Monsieur Luc Lacharité exerce les fonctions de vice-président exécutif. La troisième organisation patronale qui possède une audience provinciale est la Chambre de commerce du Québec, C C. Q. Cette organisation a plus de 80 ans. Elle regroupe 230 chambres de commerce locales. Elle compte près de 7 300 membres. Monsieur Louis Arsenault en assume la direction et monsieur Jean-Paul Létourneau en est le vice-président exécutif depuis près de 30 ans. Il existe également d'autres associations d'une certaines importance, par exemple, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, F. C.E.L (section Québec) et l'Association des manufacturiers canadiens, l'A.M.C. (section Québec). Du côté anglophone, plusieurs associations existent également. La plus ancienne, en exercice depuis 167 ans, est le Montreal Board of Trade. Celle-ci est en fait la doyenne de toutes les associations patronales au Québec.

4.  C.P.Q., Éléments de discussion pour une rencontre avec les caucus du Parti libéral et du Parti québécois à l'Assemblée nationale du Québec, Des améliorations possibles dans un climat conjoncturel favorable, novembre 1988, p. 2.

5.  Le Devoir, 20 septembre 1988; Le Soleil, 10 novembre 1988.

6.  Finance, 15 mai 1989.

7.  Le Devoir, 12 juin 1987.

8.  Les clauses prévoyant des délais d'implantation de cinq à dix ans, selon les secteurs, précisés dans l'Accord de libre-échange, résultent de ces pressions exercées à l'échelle canadienne. Deux livraisons du journal Les Affaires (16 octobre 1988-15 mai 1989) synthétisent l'opinion du monde des affaires sur ces questions.

9.  C.P.Q., C.P. Q., Éléments de discussion pour une rencontre avec les caucus du Parti libéral et du Parti québécois à l'Assemblée nationale du Québec, Des améliorations possibles dans un climat conjoncturel favorable, novembre 1988, page 8.

10.  Le Devoir, 14 juin 1989.

11.  La Presse, 23 mars 1989.

12.  C.P.Q. Éléments de discussion, Op. cit., p. 17.

13.  Notes pour une allocution de monsieur Serge Godin, président de la Chambre de commerce de Montréal, 8 septembre 1988.

14.  C.P.Q., Assemblée générale annuelle, juin 1989.

15.  Le Devoir, 21 août 1989.

16.  C.C.M., Notes pour une allocution de monsieur Serge Godin, président de la Chambre de commerce de Montréal, jeudi 8 septembre 1988, p.12.

17.  Le Devoir, 24 mai 1989.

18.  La Presse, 13 novembre 1988.

19.  C.P.Q., Énoncé de politique au sujet de l'environnement, « Pour une gestion rationnelle de la qualité de l'environnement », janvier 1989.

20.  La nouvelle réglementation sur les matières dangereuses est un exemple de cela. Le Devoir, 20 octobre 1988.

21.  C.P.Q., Énoncé de politique au sujet de l'environnement, « Pour une gestion rationnelle de la qualité de l'environnement », janvier 1989, p.4.

22.  Ibid.

23.  La Presse, lundi 14 novembre 1988. « Au lieu d'être une partie du problème de la pollution, les gens d'affaires doivent devenir une partie de la solution », déclaration faite par la direction de la Chambre de commerce du Québec.

24.  Le Devoir, 21 mars 1989.

25.  Ce renversement brusque n'est pas que pur artifice visant un repositionnement dans l'opinion publique. Le patronat a réalisé que l'environnement peut également générer une industrie et que si rien n'est fait aujourd'hui les coûts seront supérieurs dans l'avenir, y compris pour l'industrie. Le patronat québécois a également pris conscience qu'à l'échelle continentale et mondiale, les entrepreneurs font face aux mêmes pressions ; les coûts additionnels exigés à cette étape-ci n'auront peut-être ainsi que peu d'incidence sur leur marge concurrentielle (La Presse, 11 juin 1989; Le Devoir, 14 juin 1989).

26.  La Chambre de commerce de Montréal s'y était ralliée mais pour maintenir la paix sociale ; elle a donné son appui aux articles relatifs à l'affichage « tant et aussi longtemps qu'ils auront force de loi ». (Le Devoir, 16 décembre 1988).

27.  Le Devoir, 16 décembre 1988.

28.  Le Devoir, 16 décembre 1988.

29.  La Presse, 9 juin 1989.

30.  La Presse, 30 mars 1989.

31.  Le Devoir, 10 janvier 1989.

32.  La Presse, 3 février 1989.

33.  La Presse, 20 juin 1989.

34.  C.P.Q., Bulletin sur les relations du travail, vol. 19, no 203, décembre 1988.

35.  Sur ce support de l'État: L'entreprise québécoise: développement historique et dynamique contemporaine, par Yves Bélanger et Pierre Fournier, Montréal, Hurtubise HMH, 1987. On peut également lire le portrait de Jean Campeau, président de la Caisse de dépôt du Québec; L'Actualité, juillet 1989.

36.  Le Devoir, 22 août 1989.