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Richard Arès



Julien Harvey


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : Articles divers



Né à Marieville le 7 janvier 1910, Richard Arès a fait ses études secondaires et collégiales au Séminaire de Saint-Hyacinthe. Entré chez les Jésuites à Montréal en 1931, il a suivi le cours régulier des études, obtenant une licence en philosophie, une autre en théologie, puis un doctorat en sciences sociales de l'Institut catholique de Paris et un autre doctorat d'État en droit international de l'Université de Paris. Rattaché à l'École sociale populaire dès 1937, il s'y consacrera à plein temps à partir de 1949, après quelques années d'enseignement au niveau collégial. Il fait partie de l'équipe de rédaction de la revue Relations dès 1949 et il y demeurera jusqu'en 1980. Il sera directeur de la revue de 1956 à 1969. À partir de 1959, il est également président des Semaines sociales du Canada; il le sera jusqu'en 1973. En 1983, sa santé le forcera à la retraite ; il se retire à la maison des Jésuites de Saint-Jérôme, où il est décédé le 9 août 1989.

Richard Arès a été occasionnellement professeur (à l'Université de Montréal de 1951 à 1953), mais l'essentiel de sa carrière a été consacré à la recherche. Il publie Dossier sur le pacte fédératif de 1867 en 1941, puis commence la publication de Notre question nationale, qui sera en fait l'oeuvre de sa vie. Le tome 1: Les faits est de 1943; le tome II: Positions de principe est de 1945; le tome III: Positions patriotiques et nationales paraît en 1947; puis, après 25 ans d'intervalle, le tome IV: Nos grandes options politiques et constitutionnelles, en 1972 ;le tome V: L'Eglise et les projets d'avenir du peuple canadien-français paraît en 1974. À signaler parmi ses autres ouvrages, L'Église catholique et l'organisation de la société internationale contemporaine (1939-1949), publié en 1949; Vers la corporation agricole (195 1), Messages des évêques canadiens à l'occasion de la fête du travail (1956-1974), publié en 1974; Le Rapport Gendron. Sa position sur le français langue de travail, en 1973; Les positions ethniques, linguistiques et religieuses des Canadiens français à la suite du recensement de 1971 (1975); Le P. Joseph-Papin Archambault, S.J. (1880-1966). Sa vie, ses oeuvres (1983). À l'oeuvre écrite d'Arès il faut sans doute ajouter le Rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels (4 vol. 1956), sous la direction du juge Thomas Tremblay, mais dont Richard Arès fut, avec Esdras Minville, le principal rédacteur.

Rattaché à une revue mensuelle d'actualité politique, sociale et religieuse, Arès a fourni près de 200 articles à la revue Relations. Il a été également un collaborateur assidu de L'Action nationale.

L'oeuvre de Richard Arès se distingue par quelques traits omniprésents, en particulier le souci presque cartésien de définir, de distinguer, de clarifier. Et la volonté de restreindre toute passion, pour laisser au lecteur la responsabilité des conséquences qu'il tirera. Certains l'en ont félicité, d'autres blâmé. En particulier sur le point central de sa recherche: la solution à notre question nationale. Sommairement, sa démarche est la suivante: la nation est « un groupement social naturel qui, ayant conscience et volonté de former une communauté culturelle distincte, tend à maintenir et à développer ses valeurs culturelles afin d'assurer une formation spécifique à la personne humaine ».

Or, « il y a un peuple canadien, certes, mais ce peuple hétérogène dans sa composition, divisé dans ses affections et ses vouloirs, ayant moins d'un siècle de vie commune, ne semble pas avoir atteint à cette unité psychologique et morale que requiert la qualité de nation». Et par ailleurs, «pour les Canadiens français du Québec cette province constitue vraiment une patrie, et cela au triple point de vue géographique, national et politique ». Cela est écrit en 1947. Mais quand Arès reprendra sa réflexion sur ce propos en 1972, au tome IV de Notre question nationale, il ne trouve aucune raison de modifier son point de départ et il analyse quatre conséquences possibles de ses prémisses: un Canada indifférencié et en pratique anglais, un Canada bilingue, un Canada comprenant un Canada français, et enfin un Québec indépendant. Et il termine par un chapitre intitulé « De la difficulté de choisir à la responsabilité de vivre ». Tenté par la liberté, Arès n'a jamais été un indépendantiste à tout prix. Ce qui le rendait perplexe était ce qu'il appelait souvent la « fibre morale ». Il termine le tome IV de Notre question nationale en écrivant: « Le principal facteur déterminant du destin du Québec demeure la volonté du peuple québécois d'assumer courageusement la responsabilité de vivre, et de vivre, encore une fois, autant que possible par lui-même à tous les niveaux. Si cette volonté se manifeste avec force et dans l'unité, la vie qui en résultera fera craquer les régimes et s'épanouir tous les espoirs; si par contre elle demeure anémique et divisée, alors il sera vain de continuer à parler d'options, car d'autres se seront chargés de choisir à notre place. »

On comprendrait mal le père Richard Arès si on ne soulignait pas qu'il a été foncièrement un penseur chrétien. Prêtre et religieux, il a toujours rappelé que sa motivation dernière a été la certitude profonde qu'il avait que l'univers est un projet d'un Dieu créateur, qui a voulu partager dans la liberté l'aventure historique et communautaire des humains. Par conséquent, pour Arès, l'aventure politique, culturelle et sociale de communautés humaines a un sens et elle continue l'incarnation de Dieu en Jésus. Cela explique qu'Arès, même s'il a exercé quelques métiers sacerdotaux plus classiques, comme d'avoir été aumônier de la Société

St-Jean-Baptiste, a considéré son travail de politicologue comme une tâche de prêtre. On a parfois critiqué son idée de la fonction de l'Église dans la société québécoise. C'est en résumé celle-ci: « Je suis plutôt porté à conclure qu'il existe encore, pour l'une comme pour l'autre, de grands avantages à ce que se continue l'association séculaire entre l'Église catholique et la collectivité francophone. Conclusion que je formule en ces termes: entre les deux la communauté de destin est telle qu'elle commande la solidarité face à l'avenir et appelle la réciprocité des services. » C'est la conclusion du tome V de Notre question nationale, Arès était sévère sur le cléricalisme, se méfiait des trop grands rôles de suppléance de l'Église québécoise d'avant la Révolution tranquille. Mais son amour du Canada français et du Québec lui a toujours fait considérer le fait historique d'une unité de foi, d'espérance et de recherche du sens de la vie individuelle et collective comme un atout important.

Au moment où il recevait le prix Esdras-Minville, en 1979, un de ses vieux amis et collaborateurs, M. François-Albert Angers, écrivait: « Sans qu'il en paraisse beaucoup aujourd'hui, il faut se rendre compte qu'auprès d'un grand nombre de ceux d'aujourd'hui qui sont nationalistes, c'est sa pensée, avec celle de Groulx et de Minville, qui a cheminé pour transformer une toute petite poignée de nationalistes en une partie assez imposante de tout un peuple pour porter au pouvoir un gouvernement indépendantiste. » Cela dit beaucoup sur la place de Richard Arès dans l'aventure historique du Québec.



Bibliographie:

ANGERS, François-Albert, « Qui est le Père Arès? », dans L'Action nationale 69, 1 (1979), p. 38-47.

ARÈS, Richard, « Mission de l'Église et ordre temporel », dans Relations 13, no 146 (fév. 1953), p. 33-36.

LANDRY, Kenneth, « Notre question nationale » (recension et bibliographie), dans Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec sous la direction de Maurice Lemire, tome 3, Montréal, Fides, 1982, p. 678-680.

(art. de Jean-Pierre PROULX, dans Le Devoir, 11 août 1989; Marcel ADAM, dans La Presse, 17 août 1989; Julien HARVEY, dans Relations, no 553, sept. 1989).