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La vie parlementaire



Réjean Pelletier
Université Laval


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : La vie parlementaire



Les activités de l'Assemblée nationale sont concentrées sur une période de cinq mois environ qui constituent les temps forts de la vie parlementaire. Depuis la réforme instaurée par le précédent gouvernement péquiste établissant un calendrier fixe pour les sessions parlementaires, la Chambre siège durant quelque quatre-vingts jours par année, à l'exception normalement des années où sont tenues des élections générales. Depuis 1986, le gouvernement Bourassa a maintenu une moyenne de quatre-vingts jours de séance, ce qui contraste fortement avec les 120 jours de séance de 1964 ou les 115 jours de 1971 et surtout avec les 138 jours de 1977 au moment où le Parti québécois amorçait les grandes réformes de son premier mandat: ce nombre constitue d'ailleurs un record qui n'a jamais été dépassé depuis la Confédération.

Outre de s'adonner à des activités partisanes ou à du travail au sein de leurs circonscriptions, les député-e-s sont également appelé-e-s à siéger à des commissions parlementaires avant la rentrée de la mi-octobre. La plupart des commissions en profitent pour procéder à la vérification des engagements financiers durant une séance ou deux en septembre et octobre. D'autres se consacrent à l'étude de certains projets ou avant-projets de loi en procédant à des consultations auprès d'organismes et de personnes de l'extérieur. C'est ainsi que la Commission du budget et de l'administration a invité une douzaine d'organismes à se prononcer sur l'avant-projet de loi sur les caisses d'épargne et de crédit. La Commission de l'éducation, poursuivant la consultation entreprise en mai 1988, s'est penchée à nouveau, durant les derniers jours d'août, sur deux projets de loi assez controversés, l'un portant sur les élections scolaires (Projet de loi 106) et l'autre sur l'instruction publique (PL 107).

Ce fut cependant la Commission des institutions qui fut la plus active durant cette période puisqu'elle s'est réunie en août et septembre pour examiner différentes propositions de révision de la Loi électorale et en octobre pour étudier le document « Les droits économiques des conjoints ». La nouvelle législation électorale (PL 104) résultant de ces consultations et comportant 607 articles devait être présentée à l'Assemblée nationale le 9 décembre 1988, adoptée le 15 mars 1989 et entrée en vigueur un mois plus tard. Cette nouvelle loi apporte des modifications à la grande réforme initiée par le Parti québécois onze ans plus tôt, mais ces modifications, selon l'analyste Gilles Lesage, tiennent davantage de la « cosmétique électorale » que d'une chirurgie qui serait allée à l'essentiel comme la réforme du mode de scrutin et les restrictions à la liberté d'expression. Cependant, libéraux et péquistes ont réussi à s'entendre sur un certain nombre de dispositions qui viennent clarifier et bonifier la loi antérieure. Ainsi,

Certaines commissions profitent donc des périodes intersessionnelles pour solliciter et entendre les avis des groupes et individus concernés par d'éventuelles législations. Mais ceci ne semble pas suffisant pour combler les attentes de l'ancien secrétaire général du Conseil exécutif, M. Louis Bernard, qui souhaitait que les commissions parlementaires effectuent un travail plus considérable durant ces périodes.



Une session agitée

L'Assemblée nationale, pour sa part, a repris ses travaux le 18 octobre pour les terminer le 23 décembre 1988. Durant ces deux mois, une soixantaine de projets de loi d'intérêt public ont été déposés devant la Chambre, dont vingt-neuf dans la seule journée du 15 novembre qui constituait la date ultime pour le dépôt des projets que le gouvernement désirait voir adopter avant l'ajournement des Fêtes. Tous ces projets ne sont pas d'égale importance, certains présentant un intérêt mineur, plusieurs venant souvent modifier des lois existantes. Seuls quelques-uns d'entre eux méritent vraiment d'être soulignés.

C'est le cas, entre autres, de la nouvelle Loi électorale dont il a été fait état précédemment, du projet de loi 86 sur l'organisation policière, du projet de loi 100 venant modifier la Loi sur la protection du territoire agricole. Ce dernier projet, présenté par le ministre Pagé, a suscité des controverses. Il vient réduire sensiblement le territoire déjà affecté à l'agriculture selon les dispositions de la loi adoptée dix ans plus tôt sous le gouvernement du Parti québécois. Désormais, le Québec comptera deux types de zones agricoles, un secteur consacré exclusivement à l'agriculture et ne comprenant que les sols à bon potentiel (environ 30 % de l'actuelle zone verte) et un secteur moins protégé qui pourra éventuellement être affecté à d'autres usages. Promis depuis 1986, ce projet vient assouplir la loi adoptée en 1978 et souvent critiquée par le ministre Pagé lorsqu'il se trouvait dans l'opposition. Généralement bien accepté par l'Union des producteurs agricoles, le projet a suscité certaines réserves de la part du Parti québécois et du monde municipal, en particulier des municipalités régionales de comté.

Il convient également de mentionner le projet de loi 99, présenté par le ministre Clifford Lincoln et venant modifier la Loi sur la qualité de l'environnement. À la suite du désastre écologique de Saint-Basile-le-Grand et des attaques menées à la fois par l'opposition dénonçant l'incurie gouvernementale, par les médias réclamant une enquête publique et par les groupes écologistes ridiculisant le « soi-disant virage vert » du gouvernement libéral, le ministre décidait de donner des dents à la loi sur l'environnement. Désormais, les infractions au contrôle des rejets polluants dans l'environnement seront sanctionnées par de fortes amendes, la prison au besoin, et la réparation des dommages causés. Ce projet, comme le souhaitait le ministre, fut adopté dès le mois de décembre 1988. Mais il était prévu que la mise en place des nouveaux mécanismes et règlements devait prendre environ une année.

Trois autres projets d'envergure méritent d'être mentionnés. Mais ce sont tous des projets qui avaient été présentés en Chambre dans les mois précédents. Le projet de loi 106 sur les élections scolaires et le projet de loi 107 sur l'instruction publique, tous deux parrainés par le ministre Claude Ryan, ont été soumis en décembre 1987, puis largement discutés par la suite. Mais les oppositions sont demeurées encore vives à ce dernier projet: le Parti québécois demandait que le ministre Ryan refasse ses devoirs, alors que les protestants exigeaient qu'il n'implante pas les commissions scolaires linguistiques avant un jugement final de la Cour suprême. Quant à la Commission des droits de la personne, elle dénonçait la clause « nonobstant » présente dans le projet afin de protéger les droits et privilèges historiques des catholiques et des protestants en matière d'éducation. Ce projet, estimait la Commission, compte encore « de sérieux accrocs au respect des droits et libertés de la personne ».

En lançant le débat à l'Assemblée nationale sur son projet corrigé, le ministre Ryan rendait publics, en octobre 1988, de nombreux amendements qui améliorent selon lui son projet initial, répondent aux craintes de trop forte centralisation et de concentration de pouvoirs entre les mains du ministre, et tiennent compte des représentations qui ont été faites au gouvernement lors des audiences tenues en commission parlementaire. Ce à quoi rétorquait l'éditorialiste Jean-Claude Leclerc (Le Devoir, 3 novembre 1988) que le ministre n'a guère modifié son projet et que « si l'Assemblée nationale adopte le projet de loi 107, ce sera parce que la réforme n'en est pas une ». Le projet fut adopté le 23 décembre et sanctionné le même jour. L'entrée en vigueur de la nouvelle loi, sauf certaines exceptions, était fixée au ler juillet 1989. En particulier, on ne prévoyait pas que les commissions scolaires linguistiques pourraient voir le jour avant trois ans. Quant au projet de loi 106 sur les élections scolaires, son étude était reportée aux premiers mois de 1989.

Le projet de loi 37 sur la sécurité du revenu, présenté en mai 1988, devait susciter de plus fortes oppositions. Invité à remplacer M. Pierre Paradis nommé aux Affaires municipales, le nouveau ministre de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, M. André Bourbeau, annonçait à la rentrée de septembre qu'il ordonnait aux inspecteurs de l'aide sociale (les « boubou-macoutes » de reprendre leurs visites au même rythme qu'auparavant. Du même souffle, il n'entendait pas apporter de changements majeurs à la réforme de l'aide sociale, tout en se disant ouvert à des modifications. Ces déclarations allaient irriter à la fois la Commission jeunesse du Parti libéral et les groupes d'assistés sociaux, ces derniers proclamant qu'ils n'avaient pas l'intention d'abandonner la lutte contre ce projet. Au même moment, le Parti québécois exigeait le retrait immédiat de la réforme de l'aide sociale et promettait un « automne chaud » au ministre Bourbeau s'il tenait à faire adopter sa réforme.

Se refusant à tenir une commission parlementaire où seraient entendus les commentaires et réactions du public à son projet, le ministre était à nouveau pris à parti par les divers groupes d'opposants à son projet de réforme de l'aide sociale, y compris par la présidente de la Commission jeunesse du PLQ. C'est dans ce contexte tumultueux que le premier ministre Bourassa se décidait à intervenir pour s'opposer au retrait du projet de loi mais consentir à des amendements significatifs. Si bien que les modifications, annoncées en Chambre le 22 novembre, allaient se révéler suffisamment importantes pour que des éditorialistes comme M. Raymond Giroux (Le Soleil, 23 novembre 1988) et M. Jean Francoeur (Le Devoir, même date) parlent d'une aide sociale humanisée et bonifiée. Mais telle ne fut par la réaction de Mme Louise Harel, critique péquiste de ce projet, ni des différents groupes d'assistés sociaux, ni du Conseil permanent de la jeunesse, ni même du Barreau du Québec qui estimait que ce projet risquait de brimer les droits des assistés sociaux.

C'est dans un climat tendu et en présence d'une cinquantaine d'assistés sociaux que s'ouvrit la Commission parlementaire chargée de procéder à une étude détaillée du projet de loi. Après que le gouvernement eût imposé la clôture aux travaux de la Commission, c'est l'ensemble de la Chambre qui a dû voter en bloc la centaine d'amendements présentés à la dernière minute par le ministre Bourbeau. Il fallut sept votes de l'Assemblée nationale et l'expulsion d'une cinquantaine de manifestants pour que la réforme de l'aide sociale soit adoptée le 14 décembre.

Mais cette réforme que le gouvernement trouvait urgent de faire adopter au point d'imposer le bâillon aux parlementaires ne devait entrer en vigueur que le le" août 1989,. Et encore, au moment de son adoption en décembre, les règlements pertinents qui donnaient un sens à la moitié des 134 articles de la loi n'avaient pas été publiés. Bien plus, le 15 mai 1989, le ministre Bourbeau présentait un autre projet de loi (PL 144) venant amender le nouveau régime d'aide sociale avant même son entrée en vigueur. Devant l'opposition acharnée du Parti québécois et de divers organismes, le ministre renonçait à faire adopter son nouveau projet avant les vacances parlementaires et les élections.




Le psychodrame linguistique

Le projet de loi le plus controversé, celui qui a mobilisé Québécois francophones et anglophones mais pour des raisons opposées, fut sans aucun doute le projet portant sur la langue d'affichage (PL 178). Il faut dire que la psychose linguistique fut largement entretenue par les médias qui, déjà au cours de l'automne, s'interrogeaient sur les intentions du gouvernement, lequel n'avait pas de position bien arrêtée et lançait des ballons d'essai afin de tester les réactions de la population. C'est surtout la solution Dion (du nom du politicologue de l'Université Laval qui avait lancé cette idée) préconisant l'affichage unilingue français des commerces à l'extérieur et le bilinguisme à l'intérieur avec préséance du français, que semblait privilégier le gouvernement. Même la clause dérogatoire inscrite dans la Constitution canadienne est devenue un enjeu de la campagne électorale fédérale de l'automne 1988 alors que chaque parti en lice se prononçait en faveur de son abolition.

Fidèle à ses habitudes et à son image, le premier ministre Bourassa a opté pour le compromis politique: affichage bilingue à l'intérieur des commerces mais un bilinguisme contrôlé dans les grands magasins, et uniliguisme français dans l'affichage extérieur en utilisant alors la clause « nonobstant« pour se soustraire aux dispositions de la Charte des droits et libertés. Cette position devait recevoir l'appui général du Conseil des ministres et du caucus des députés libéraux, à l'exception des députés et ministres anglophones qui ne pouvaient accepter le recours à la clause dérogatoire. Fidèles au programme libéral de 1985 qui préconisait l'affichage bilingue et ne pouvant rompre la solidarité ministérielle, trois ministres anglophones - Clifford Lincoln, Richard French et Herbert Marx - annonçaient leur démission du cabinet, ayant décidé de voter contre le projet de loi 178.

La session de l'automne 1988 fut également troublée par d'autres événements: les élections fédérales du 21 novembre largement dominées par le thème du libre-échange auquel adhéraient les dirigeants du Parti libéral du Québec et du Parti québécois; l'insatisfaction des garderies face à l'énoncé de politique de la ministre Monique Gagnon-Tremblay sur les services de garde à l'enfance; la controverse entourant les heures d'ouverture des commerces le dimanche; le mouvement de grèves des étudiants et étudiantes qui a touché au moins 50 000 d'entre eux dans les collèges et universités; les accusations de nominations partisanes illustrant, selon le Parti québécois, la mainmise du Parti libéral sur l'appareil administratif. Bref, un automne marqué par plusieurs événements d'importance aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du Parlement.

Si la session de l'automne 1987 avait été plutôt terne, celle de l'automne 1988 fut nettement plus agitée. Faisant le bilan de cette session, le Parti québécois dénonçait à la fois l'improvisation du gouvernement qui n'avait pas su planifier les travaux parlementaires et son mépris du parlementarisme en imposant la guillotine à trois reprises pour faire adopter ses projets de loi 34 sur le système ambulancier, 37 sur la réforme de l'aide sociale et 178 sur la langue d'affichage. L'opposition a également dénoncé le travail bâclé du gouvernement qui a dû apporter un grand nombre d'amendements à certains projets: quelque 1000 amendements portant sur 579 articles proposés par le ministre Claude Ryan pour son projet de loi sur l'instruction publique et une centaine d'amendements du ministre Bourbeau dans le cas de la réforme de l'aide sociale. En somme, la « gestion tranquille » qui avait dominé les travaux de la Chambre l'année précédente a fait place à plus de passion et d'émotivité durant cette session beaucoup plus agitée.




À l'enseigne du social

Un certain nombre de commissions se sont réunies entre la fin de janvier et le début de mars pour s'acquitter de divers mandats confiés par la Chambre. La plupart ne se sont réunies que pour quelques jours, soit pour procéder à la vérification des engagements financiers, soit pour examiner le rapport annuel d'un organisme, soit pour entendre le vérificateur général. Même la Commission des affaires sociales n'a consacré que deux jours pour étudier la réglementation découlant de la nouvelle Loi sur la sécurité du revenu, soit 124 clauses et quatre annexes. Par contre, cette même Commission a consacré dix jours à l'audition de 74 organismes invités à se prononcer sur l'énoncé de politique sur les services de garde à l'enfance. De même, la Commission de l'aménagement et des équipements a entendu durant une trentaine d'heures 36 organismes différents qui se sont prononcés sur le développement du réseau autoroutier et du transport collectif dans la région de Montréal.

La session printanière est toujours largement dominée par l'étude des crédits budgétaires et par le discours du budget. Déposées le 21 mars, les prévisions de dépenses pour l'année 1989-90 se révélaient plutôt conservatrices. D'une année à l'autre, la portion des dépenses consacrées aux divers secteurs d'activité de l'État québécois ne se modifie guère: le secteur social et en particulier les services de santé grugent la part la plus considérable (40%), le secteur éducatif et culturel reçoit 30% des crédits, le secteur administratif un peu moins de 20%, et le secteur économique un peu plus de 10 %. Même l'enveloppe de chaque ministère évolue assez peu. Seul fait à noter: les compressions des dépenses ont permis au gouvernement de dégager plus de 500 millions de dollars pour des besoins nouveaux et des activités prioritaires.

Durant cette session du printemps, le menu législatif était plutôt abondant quant au nombre de projets de loi, mais assez décevant quant à l'importance de ces projets, sauf dans le domaine social. Les plus importants d'entre eux étaient déjà en marche depuis la session précédente même s'ils n'ont été adoptés qu'en 1989: tel est le cas des lois portant sur le Code de procédure civile, sur l'Université du Québec, sur les élections scolaires, sur la protection du territoire agricole, sur les services de santé et les services sociaux ou sur les élections provinciales.

Comme ce fut le cas l'année précédente, cette session fut plutôt dominée par les questions sociales. Dès le mois de janvier, la ministre Thérèse Lavoie-Roux déposait un document intitulé « Politique de santé mentale » dans lequel elle confiait aux conseils régionaux le soin d'élaborer des plans d'organisation visant à mettre sur pied une gamme complète de services sur leur territoire. En avril, la même ministre déposait un autre document d'orientation intitulé « Pour améliorer la santé et le bien-être au Québec » qui fut dans l'ensemble bien accueilli par les principaux intéressés. On déplorait cependant qu'il n'y ait pas de ressources additionnelles accompagnant cet énoncé de politique, bien que le document ait proposé différentes mesures nouvelles pour financer les services de santé.

Avant de quitter la vie politique, la ministre devait laisser un testament sous forme d'un avant-projet de loi reprenant les grandes orientations déjà définies dans son document du mois d'avril et venant remplacer La loi sur la santé et les services sociaux: régionalisation, décloisonnement de la gestion des institutions, approche prudente de la participation, tels sont les traits dominants de cette pièce législative. Second élément de ce testament politique, la ministre déposait, le 21 juin, le projet de loi 156 sur la pratique des sages-femmes dans le cadre de projets-pilotes. Passant outre aux objections des médecins, la ministre voulait ainsi autoriser la pratique des sages-femmes sur la base de projets-pilotes mis sur pied dans huit centres hospitaliers.

Dans cette même foulée, le ministre André Bourbeau déposait un avant-projet de loi proposant aux futurs parents un congé sans solde pouvant atteindre 34 semaines à l'occasion de la naissance ou de l'adoption d'un enfant, et ce en plus du congé de maternité de 18 semaines déjà reconnu par la loi. Le même ministre déposait le 23 mars un projet de loi (PL 116) sur les régimes complémentaires de retraite visant à mieux protéger les droits des participants aux régimes de retraite offerts par les employeurs du secteur privé. Après modifications et réimpression, le projet allait être adopté le 20 juin à la majorité des voix.

C'est probablement le projet de loi modifiant le Code civil du Québec et d'autres dispositions législatives afin de favoriser l'égalité économique des époux (PL 146) qui a le plus retenu l'attention dans ce secteur. Présenté le 15 mai par la ministre déléguée à la condition féminine, Mme Monique Gagnon-Tremblay, le projet vise à favoriser l'égalité économique des époux - après l'octroi de l'égalité juridique - en instituant un patrimoine familial qui serait partagé équitablement entre les conjoints lors d'un divorce. Ce projet, comme le soulignaient certains analystes, privilégie le mariage et laisse de côté le phénomène croissant des conjoints de fait. A la suite de quelques assouplissements venant atténuer le caractère obligatoire du nouveau régime matrimonial, le projet était adopté aux dernières heures de la session.




Des signes d'essoufflement

Malgré l'importance de certaines lois, on ne peut tout de même pas réduire l'ensemble des activités de l'Assemblée nationale à la seule législation. Trois événements majeurs vont marquer la scène politique québécoise au cours du printemps 1989 et influencer la vie parlementaire. Tout d'abord, le débat linguistique a continué de hanter la vie politique aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du Parlement, de même qu'à l'extérieur du Québec. Du côté ministériel, secondé par quelques éditorialistes et analystes, on s'est acharné à défendre l'utilisation de la clause dérogatoire, faisant remarquer que l'on utilisait là un pouvoir légal et légitime. Comme le signalait l'ancien secrétaire général du Conseil exécutif, « il n'y a rien d'immoral ou d'irrégulier à recourir explicitement à la clause « nonobstant » pour faire prévaloir une solution législative sur une solution judiciaire ».

Du côté de l'opposition péquiste, on s'est montré insatisfait du compromis gouvernemental en réclamant le retour à la Loi 101 : cette position, selon les sondages, était d'ailleurs partagée par une majorité de Québécois qui préféraient revenir à cette loi. Du côté des anglophones du Québec, la Loi 178 a continué de susciter une grande aversion et d'empêcher tout retour éventuel des ministres démissionnaires au sein du bercail libéral. L'opposition des anglophones était aussi forte à l'extérieur du Québec, mobilisant la presse et les acteurs politiques qui s'opposaient vivement à l'utilisation de la clause dérogatoire par le Québec - alors que certaines provinces anglophones utilisent une telle clause sur leur territoire - et menaçaient de ne pas accepter l'entente du lac Meech. Ce qui devait provoquer une cinglante mise en garde du premier ministre du Québec à l'endroit du Canada anglais à l'effet que ce dernier sera le grand perdant si l'Accord du lac Meech n'est pas ratifié et que le Québec peut s'arranger seul.

Au chapitre des rendez-vous sociaux, il faut souligner le plus important d'entre eux, soit les négociations dans le secteur public et parapublic. Ce sont les infirmières qui ont ouvert le bal des négociations avec le gouvernement. Bénéficiant de la sympathie du public et d'un appui assez général des médias, les infirmières ont négocié ferme avec le gouvernement et réussi à obtenir des concessions aux chapitres des horaires de travail (primes de soirée et de nuit) et de l'augmentation des postes réguliers à temps complet, alors que le gouvernement bougeait très peu sur la question des salaires, voulant à tout prix maintenir son taux de 4 % pour l'année en cours. L'entente intervenue entre le gouvernement et la Fédération des infirmières et infirmiers allait être rejetée par la majorité des membres si bien qu'il fallait recommencer à négocier, alors que le gouvernement voulait maintenir intacte sa norme de 4 % et que surtout il s'apprêtait à déclencher des élections pour le début de l'automne.

Le troisième événement majeur de cette session printanière a trait au favoritisme qui semble avoir marqué cette dernière année du régime libéral. Le 26 mai, le journal Le Devoir titrait que six entrepreneurs ont obtenu en 1988 le tiers des contrats de voirie et que ces six entreprises avaient un trait commun: l'un ou plusieurs de leurs administrateurs avaient contribué à la caisse du Parti libéral. Autre révélation stupéfiante: alors que le gouvernement s'apprêtait à adopter un décret pour soustraire des milliers d'hectares de la zone agricole de ville de Laval, l'opposition péquiste et Le Devoir révélaient qu'une part importante de ces terrains appartenait à trois amis du Parti libéral, dont la famille de M. Tommy D'Errico, président de la Commission des finances de ce parti. Ces proches du PLQ auraient ainsi réalisé des profits faramineux en vendant leurs terrains à des fins autres qu'agricoles. Ces révélations allaient occuper régulièrement la période de questions en Chambre en cette fin de session et jeter des doutes sérieux sur l'intégrité du gouvernement Bourassa à un point tel que certains établissaient des comparaisons avec les années 1970 et les relents de scandales qui avaient marqué les dernières années du régime libéral.

Sur cette toile de fond d'un débat linguistique toujours présent, d'une négociation à mener dans le secteur public et de relents de scandales qui pouvaient miner l'intégrité du gouvernement, le premier ministre continuait d'entretenir des rumeurs d'élections dès la fin de juin, rumeurs reprises et amplifiées par les médias. Malgré les problèmes évoqués précédemment, le gouvernement libéral menait toujours dans les sondages et apparaissait fort de la faiblesse péquiste.

À l'approche des élections, trois députés du Parti québécois décidaient de prendre une nouvelle orientation et de ne pas être candidats aux prochaines élections. Mais c'est surtout du côté libéral que la liste des départs s'est allongée: de nombreux députés et ministres décidaient de quitter la vie politique. Aux trois ministres démissionnaires anglophones (French, Marx et Lincoln) s'ajoutaient les noms de Thérèse Lavoie-Roux, Pierre Fortier, Michel Gratton, Paul Gobeil et Pierre MacDonald, alors que le ministre Gilles Rocheleau avait déjà opté pour la politique fédérale à l'automne 1988. Ce qui faisait dire au journaliste Gilles Lesage (Le Devoir, 20 juin 1989) que le départ de nombreux ministres et députés indique un malaise au sein du Parti libéral.

Faisant le bilan de la session, l'opposition péquiste estimait que le gouvernement était désabusé et dépassé par les événements et qu'il s'était contenté d'un mince menu législatif où le nombre de projets ne devait pas faire oublier que plusieurs d'entre eux ne contiennent que quelques articles et ont peu d'importance. Gilles Lesage, pour sa part, qualifiait d'étrange cette dernière session. « Sur un fond de scène électoral, ajoutait-il, le gouvernement reste fidèle à lui-même, tel un caméléon discret s'adaptant à la mouvante conjoncture et ne tentant pas de faire miroiter quelque ambitieux projet de société, hormis la Baie James et la prospérité économique. Quant à l'opposition, elle sort des limbes parlementaires, non pas avec son projet de société à elle, mais par la ténacité d'une poignée de députés sur des affaires sonnantes et trébuchantes. » (Le Devoir, 23 juin 1989)

Tout était prêt pour le rendez-vous électoral du 25 septembre et la formation d'une nouvelle Assemblée nationale.




Où en est la réforme parlementaire ?

La réforme de 1984 se proposait d'accorder aux commissions une plus grande autonomie et un certain pouvoir d'initiative afin qu'elles puissent remplir pleinement leurs mandats. Il s'agissait alors de donner aux commissions parlementaires la possibilité de conduire leurs affaires indépendamment du gouvernement qui contrôle, à toutes fins utiles, les mandats émanant de l'Assemblée nationale lorsqu'il s'agit, par exemple, de procéder à une étude détaillée des projets de loi ou de scruter les crédits budgétaires.

Selon le Règlement, un mandat de l'Assemblée nationale est impératif et son exécution est prioritaire. La marge de manoeuvre d'une commission se résume alors à fixer les modalités d'exécution de ce mandat auquel elle doit de toute façon se plier. C'est cette forme très limitée d'autonomie qui a prévalu en 1988-89 puisque 90% des mandats attribués aux commissions parlementaires provenaient de l'Assemblée nationale (soit 100 mandats sur 111). Ce chiffre, loin de s'atténuer, a augmenté depuis l'année dernière. C'est donc dire que l'un des objectifs fondamentaux de la réforme de 1984 a été complètement renié du fait que le gouvernement, par les mandats de l'Assemblée, a de plus en plus tendance à exercer un contrôle sur le travail des commissions, comme il le faisait avant la réforme. On est donc revenu à la case de départ.

Ce retour à la charge traditionnelle de travail des commissions se vérifie encore davantage à la lecture du tableau 1. Plus de la moitié des heures de séance a été consacrée à l'étude des projets de loi publics. Si l'on y ajoute l'étude des projets de loi d'intérêt privé, l'examen des crédits budgétaires et les autres mandats de l'Assemblée, on constate que l'ensemble de ces activités accapare 87 % du temps des commissions. Il reste alors bien peu d'heures aux député-e-s pour exercer leur fonction de surveillance et de contrôle ou pour examiner, de leur propre initiative, une question d'intérêt général. Bref, le travail des commissions parlementaires ressemble étrangement à celui qui prévalait avant la réforme. Pis encore, il ne semble pas que dans l'équipe gouvernementale en place de 1985 à 1989, quelqu'un ait montré quelque intérêt à l'égard de la réforme de 1984. Et encore moins le premier ministre qui préfère se comporter en « président » tout en conservant un régime parlementaire. Comme l'écrivait le journaliste Laurent Laplante (Le Soleil, 29 août 1989), M. Bourassa nous a habitués à un régime beaucoup plus centralisé et il s'est entouré de « secrétaires » ou de sousministres, se passant assez allègrement de véritables ministres. M. Bourassa, concluait-il, « n'est pas le premier parmi les ministres; il est le président. »




Dans ces circonstances, un « président » n'est pas intéressé à voir se dresser devant lui des commissions parlementaires qui exerceraient leur pouvoir d'initiative et se montreraient plus autonomes - ni d'ailleurs les ministres qui préfèrent se définir comme des gestionnaires. On ne peut non plus compter sur les député-e-s, les uns attendant de devenir ministres ou se contentant d'appuyer le gouvernement, les autres voulant plutôt jouer leur rôle d'opposition à ce même gouvernement. C'est bien le gouvernement et surtout le premier ministre qui sont devenus le pivot central et essentiel de notre régime dit parlementaire, alors que le Parlement en est pratiquement devenu un appendice dont on aimerait bien se passer éventuellement.