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Le mouvement syndical



Jacques Rouillard
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1988-1989

· Rubrique : Le mouvement syndical



Dans son bilan annuel des relations de travail, le Conseil du patronat du Québec notait que l'année 1988 avait été « bonne », qualificatif plus généreux que celui attribué aux deux années antérieures caractérisées comme « relativement bonnes ». L'organisme, qui se réjouissait particulièrement du faible nombre de grèves, le plus bas au cours des dix dernières années1 ] , aurait pu se montrer encore plus positif car le sentiment de satisfaction de ses membres corporatifs, mesuré par sondage, sur le climat des relations de travail n'avait jamais été aussi élevé (75 % ont répondu bon et très bon). Leur évaluation du contexte politique québécois et canadien s'avérait également extrêmement positive avec des taux de satisfaction records de 82 et 84%2 ] .

Les centrales syndicales ne sondent pas l'opinion des dirigeants des syndicats sur ces sujets, mais il y a fort à parier que leur niveau de satisfaction serait inversement proportionnel. Depuis la récession économique de 1982, on assiste à un affaiblissement de la capacité des syndicats de protéger les travailleurs et d'influencer l'orientation sociale. Le rapport de force qui leur était favorable dans les années 1960 et 1970 s'est renversé au profit du patronat. À certains égards, l'année 1988-1989 marque cependant une légère amélioration de la situation du syndicalisme quand on la compare aux cinq années antérieures.



Bilan des négociations

Pour juguler la forte inflation et le ralentissement économique de la fin des années 1970, les organismes monétaires américains et canadiens ont adopté en 1982 une politique de hausse marquée des taux d'intérêt. Il s'en est suivi une chute dramatique des investissements et de la consommation entraînant la fermeture d'usines et une vague sans précédent de mises à pied. Cette médecine a permis de faire chuter l'inflation mais sans pouvoir réduire de façon aussi significative le taux de chômage qui demeure à près de 10% en 1988-1989, un niveau deux fois plus élevé qu'en Ontario.

Ce haut niveau de chômage a pour effet d'affaiblir le pouvoir de négociation des syndicats et d'éroder les aspirations des syndiqués. En outre, ayant encore en mémo ire les effets de la récession de 1982 avec son cortège de mises à pied, ces derniers craignent de perdre leur emploi et demeurent modestes dans leurs attentes envers les entreprises.

En 1988, la croissance moyenne du salaire des syndiqués au Québec s'établissait à 4,8 % contre 4% pour l'année précédente. Pour l'ensemble des travailleurs salariés, la rémunération hebdomadaire moyenne accusait une hausse de 5 %, une croissance là aussi supérieure à celle de l'année précédente (2,4%)3 ] . Ces augmentations en soi ont peu de signification à moins qu'elles ne soient mises en relation avec la croissance des prix. Pour la première fois depuis quatre ans, la hausse des salaires dépasse l'indice des prix à la consommation permettant une légère augmentation du revenu réel des travailleurs syndiqués (0,8 %) et des travailleurs rémunérés en général (1,0 %). Mais cette augmentation est loin de compenser la perte de pouvoir d'achat survenue au cours des années antérieures. Pour 1989, le ministère du Travail prévoit une hausse des salaires de 4,3 % pour les syndiqués relevant du Code du travail du Québec, ce qui sera probablement inférieur au niveau de l'inflation4 ] . En dépit d'une croissance économique vigoureuse depuis quelques années, marquée par une hausse de la productivité et des profits des entreprises, les travailleurs québécois, comme ceux du reste du Canada d'ailleurs, ne profitent par de l'enrichissement de la société.

Ainsi, par exemple, en avril 1989, un groupe important de syndiqués reconnus pour son militantisme, les travailleurs de la construction, acceptait de reconduire le décret pour une année supplémentaire en échange d'une modeste augmentation de salaire se situant à peu près au niveau de l'inflation (5 %). C'était la première fois depuis dix ans que leurs conditions de travail n'étaient pas fixées unilatéralement par le gouvernement. En outre, l'accord abaissait l'âge normal de la retraite de 60 à 58 ans sans pénalité actuarielle et prévoyait la création d'une commission d'enquête pour établir un régime de stabilisation du revenu et de l'emploi. Cette dernière revendication était prioritaire à la FTQ Construction qui, pour la première fois, s'unissait à la CSN Construction plutôt qu'au Conseil provincial des métiers de la construction (unions internationales) pour négocier avec les entrepreneurs. L'entente créa des remous à l'intérieur de la FTQ Construction, particulièrement du coté du plus gros syndicat affilié, la Fraternité des charpentiers-menuisiers, qui n'appréciait pas que leur revendication principale débouche uniquement sur la formation d'une commission alors que « les travailleurs étaient prêts à se battre » pour la soutenir5 ] . La direction des centrales promettait d'en faire une priorité de négociation l'an prochain, une fois présenté le rapport de la commission d'enquête. On doit ajouter aussi que l'accord a été conclu par les directions syndicales sans consultation des membres pour ratification.

Au chapitre des conditions de travail négociées en 1987-1988 pour l'ensemble des syndiqués, on note une légère amélioration de leur position selon le bilan annuel dressé par le ministère du Travail6 ] . Les congés fériés ou sociaux sont étendus et les régimes d'avantages sociaux sont maintenus et améliorés avec, dans plusieurs secteurs d'activité, une réduction de l'âge de la retraite facultative avec pleine pension. Au plan normatif, les questions pour lesquelles les parties à la négociation ont manifesté le plus d'intérêt touchent des modifications aux clauses d'ancienneté et de mouvements de personnel. Cependant, il est difficile d'établir si ces changements sont faits en faveur de la partie patronale ou syndicale.

Comme le Conseil du patronat le notait avec satisfaction, les travailleurs recourent moins qu'auparavant à la grève pour défendre leurs conditions de travail. Le nombre de conflits de travail en 1988 n'a jamais été aussi bas depuis quinze ans (229) et le nombre de jours-personne perdus diminue depuis trois ans7 ] . La tendance à la baisse des arrêts de travail amorcée en 1982 se poursuit donc, l'indice du nombre de jours-personne perdus annuellement par 100 salariés ayant chuté de moitié par rapport à la décennie antérieure.

Le plus important conflit de travail pendant la période est imputable aux 8 000 employés de Bell Canada en grève pendant quatre mois du 27 juin au 24 octobre 1988. Déclenchée contre l'un des plus importants employeurs au Québec et au Canada, la grève qui touchait 20 000 syndiqués canadiens paraissait au départ devoir être réglée rapidement, les membres n'ayant rejeté qu'à 51 % l'entente de principe conclue entre le syndicat et l'employeur. Le litige portait principalement sur l'indexation des pensions et la limitation du nombre d'employés à temps partiel et de sous-traitants.

Dix semaines après le début de la grève, émaillée de centaines d'actes de sabotage, la compagnie fit une nouvelle offre pas tellement différente de celle rejetée au début. Elle comptait sans doute sur la lassitude des employés, d'autant plus qu'elle réussissait à assurer un assez bon service avec les cadres. Mais c'était s'illusionner: ils rejetèrent l'offre à plus de 52%. En octobre, la compagnie présenta de nouvelles propositions, cette fois beaucoup plus généreuses, que les syndiqués acceptèrent: indexation partielle du régime de retraite, hausse des salaires au-delà du taux d'inflation et ajout de 902 postes permanents. Pour le président du syndicat, la grève avait permis la signature d'une des meilleures conventions collectives au Canada.




Niveau de syndicalisation

Le taux de syndicalisation demeure un indice important de la vitalité du syndicalisme. Contrairement à d'autres pays-occidentaux, particulièrement la France et les États-Unis, il n'y a pas au Québec de chute marquée du taux de syndicalisation dans les années 1980. On assiste même à sa remontée en 1983 alors que 38,1 % des employés rémunérés sont membres d'un syndicat8 ] . Cette progression nous apparaît temporaire et être reliée à une baisse de l'emploi davantage sentie parmi les non syndiqués que les syndiqués. Les estimations de Statistique Canada (CALURA) pour 1986, dernière année où ces données sont disponibles, montrent un fléchissement du niveau de syndicalisation (37,8 %) qui devrait s'accentuer à mesure que de nouveaux emplois sont créés9 ] . On verra alors se manifester les effets de changements importants dans la composition de la main-d'oeuvre sur la syndicalisation.

Le ministère provincial du Travail compile depuis peu des données sur le taux de syndicalisation qui ont le mérite de porter sur les années plus récentes. Pour l'année 1988, on estime la présence syndicale à 4 1,0 %, en légère hausse par rapport à l'année précédente (40,7%), mais en régression comparativement à 1985 et 1986 (44,0 et 42,4 %)10 ] . Ces taux sont substantiellement plus élevés que les estimations de Statistique Canada car le gouvernement provincial tire d'une source différente la population de travailleurs rémunérés, dénominateur nécessaire à l'établissement du taux de syndicalisation11 ] . La source retenue en sous-évalue le nombre de deux à trois cent mille, ce qui a pour effet de gonfler artificiellement le taux de syndicalisation et laisse croire à une vitalité plus forte du syndicalisme au Québec.

Quoi qu'il en soit, que les données proviennent du gouvernement fédéral ou provincial, le nombre de syndiqués croît moins vite que le volume de travailleurs rémunérés au cours des cinq dernières années. L'emploi régresse ou demeure stable dans les secteurs à forte syndicalisation (manufactures, construction, services publics) alors qu'il s'accroît dans le tertiaire privé où les travailleurs sont peu syndiqués et difficiles à organiser. La petite taille des entreprises, leur dispersion et l'expansion du travail à temps partiel sont autant de facteurs qui gênent la pénétration du syndicalisme dans ce secteur. Il est possible aussi comme le révèle une analyse conduite aux États-Unis, qu'une portion importante de ces travailleurs et travailleuses ne voient pas en quoi la syndicalisation puisse améliorer leur situation12 ] . Aucun signe ne laisse croire à l'heure actuelle que la tendance à la désyndicalisation puisse être renversée, du moins à court terme.

La majorité des syndicats au Québec sont affiliés à une centrale qui leur offre son appui lors de la négociation de leurs conditions de travail et les représente dans leurs rapports avec les pouvoirs publics. La FTQ demeure toujours la plus importante centrale avec 450 000 membres formés surtout de syndiqués appartenant aux unions internationales et aux grandes fédérations pancanadiennes rattachées au Congrès du travail du Canada. Au début

de 1989, deux de ses importants syndicats affiliés, le Syndicat des postiers du Canada (23 000 membres) et l'Union des facteurs du Canada (21000) se sont fusionnés pour se conformer à une décision du Conseil canadien des relations de travail. L'employeur Postes Canada en avait fait la demande afin de réduire le nombre de contrats de travail à négocier et éviter la paralysie trop fréquente du service lors de débrayages. Le mariage ne s'est pas fait sans tiraillements, les facteurs acceptant mal de joindre une nouvelle unité de négociation où ils sont minoritaires.

La CSN a vu ses effectifs chuter de 16 000 membres en 1988 (204 600)13 ] avec notamment la perte de syndicats d'infirmières au profit de la nouvelle Fédération des infirmières et infirmiers et de syndicats d'enseignants de cégeps qui ont constitué la Fédération autonome du collégial. Avec près de 100 000 syndiqués, la CEQ a le vent dans les voiles réussissant à rejoindre un nombre de plus en plus important d'employés du secteur parapublic, à l'extérieur du domaine de l'enseignement. La CSD effectue aussi une remontée de ses effectifs (50 300) profitant probablement de la reprise de l'activité manufacturière.




Négociation du secteur public

Depuis la formation du premier front commun en 1972, les rondes de négociation du secteur public et parapublic ont été l'objet d'enjeux qui ont dépassé le strict point de vue de l'amélioration des intérêts économico-professionnels de ces syndiqués. Des revendications comme le salaire minimum de 100 $ en 1972, la réduction des écarts salariaux, la sécurité d'emploi et l'obtention du congé maternité de 17 semaines en 1979 rejoignent des objectifs plus larges d'égalité sociale. En 1988-1989, les centrales font de l'équité salariale pour les femmes leur cheval de bataille dans les négociations tout en essayant de mettre un frein à la précarisation des emplois et de participer à l'enrichissement collectif en obtenant des augmentations salariales qui dépassent la hausse du coût de la vie. Comme nous l'avons déjà remarqué, le pouvoir d'achat des syndiqués en général s'est érodé au cours des dernières années.

Ces négociations avec le gouvernement touchent directement environ 350 000 syndiqués, ce qui représente 12% des salariés du Québec. Leur issue aura également des répercussions importantes pour les employés du secteur péri-public (université, sociétés d'État), ceux des municipalités et même pour les travailleurs du secteur privé. C'est finalement une bonne portion de la main-d'oeuvre salariée qui verra ses conditions de travail déterminées ou influencées par le résultat de ces négociations.

À la fin des années 1960, les salariés du secteur public et parapublic ont obtenu que les femmes touchent un salaire égal à celui des hommes pour un même travail. Ce à quoi ils s'attaquent maintenant, c'est de corriger les discriminations salariales des catégories d'emploi à prédominance féminine. Pour les réseaux de l'éducation, la santé et les services sociaux, la CSN évalue ce rattrapage à une hausse de la masse salariale de 5,1 %, soit 356 millions de dollars14 ] . De son coté, le gouvernement prétend qu'il n'y a pas d'inéquité salariale bien qu'il soit prêt à participer à des comités paritaires pour le vérifier.

Si leurs objectifs généraux se recoupent à plusieurs égards dans cette négociation, la stratégie des syndicats pour les atteindre varie beaucoup. Les syndicats FTQ et CSD de même que 11 syndicats indépendants regroupant au total 48 000 salariés ont accepté l'offre du gouvernement de prolonger d'une année les conventions collectives échues à la fin de 1988. La proposition gouvernementale était assortie d'une augmentation de salaire de 4%, pouvant aller jusqu'à 5 % selon l'augmentation du taux d'inflation. La FTQ allègue qu'il était préférable de reporter d'une année la négociation pour mieux étayer le dossier de l'équité salariale pour les femmes. Un comité paritaire d'évaluation des emplois formé dans ce but est arrivé à une entente à l'été 1989 sur les critères d'évaluation des tâches.

À la CSN, qui représente environ 120 000 syndiqués du secteur public et parapublic, le dossier de l'équité salariale devait au départ être séparé de la négociation des conventions collectives. Puis à cause de retards accumulés, elle a décidé de l'intégrer à la négociation générale. Ayant refusé de prolonger les conventions collectives, elle réclame des hausses salariales de 8,7, 7,7 et 7,5 % de 1989 à 1991 en se basant sur l'inflation et la croissance de l'enrichissement collectif (PIB). À l'appui de ses demandes, elle fait valoir que les salariés de l'État ont vu leur pouvoir d'achat diminuer de 13,8 % depuis les coupures de 1982 et qu'il est légitime de vouloir profiter des bénéfices de la croissance économique soutenue du Québec. Une autre importante revendication touche l'augmentation du nombre d'emplois réguliers afin de réduire les emplois précaires (temporaires, à temps partiel) dont le nombre atteint, par exemple, la moitié des syndiqués de la Fédération des affaires sociales.

La CEQ fait aussi de la précarité de l'emploi une priorité des négociations. Selon une étude qu'elle a commandée, près de 22 000 enseignants à l'emploi des commissions scolaires n'ont pas de sécurité d'emploi, étant surtout embauchés sur appel ou pour donner certains cours précis. Elle demande que ces enseignants soient mieux rémunérés et jouissent des avantages sociaux prévus à la convention. Pour le personnel enseignant régulier, elle réclame un allégement de la tâche de travail et une réduction du nombre d'élèves par classe. Ses exigences salariales s'apparentent à celles de la CSN (26,5 % sur trois ans) avec cependant une hausse initiale plus élevée (11,9 %).

Les autres syndicats ont généralement acheminé des demandes salariales semblables: Syndicat des fonctionnaires provinciaux du québec (22,5 Centrale des professionnels de la santé (24,5 syndicats FTQ (16% pour 1990 et 1991). Une exception: la Fédération des infirmières et infirmiers (40 000 membres) qui réclament une hausse de l'ordre de 21,5% uniquement pour 1989, avec pour les trois années une clause d'indexation et un pourcentage d'enrichissement collectif.

Le mécontentement des infirmières est particulièrement vif car elles s'estiment sous-payées compte tenu des exigences de leur emploi, des responsabilités qu'elles doivent assumer et du fardeau de leur travail qui s'est accru considérablement avec les coupures de postes et la transformation de nombreux emplois à temps complet en postes à temps partiel. Les employés à statut précaire formant 60 % des effectifs infirmiers, la Fédération veut renverser la tendance en assurant 55 % des effectifs en postes à temps complet. Les fortes hausses salariales réclamées visent à rapprocher leur rémunération à 85 % de la catégorie supérieure des salariés du secteur public, celle des professionnels qui détiennent un diplôme universitaire. Traditionnellement, les infirmières ont toujours été tentées de se définir moins comme travailleuses salariées que comme professionnelles de la santé.

Au début de 1989, le gouvernement faisait le dépôt de ses offres à ses salariés proposant de modifier l'organisation du travail, particulièrement dans les secteurs de la santé et de l'éducation, pour mieux utiliser le personnel disponible. Cette réorganisation du travail permettra, à son avis, de diminuer le recours aux employés à statut précaire. Du côté salarial, il s'en tient au 4 % déjà accordé à quelques syndicats pour 1989 et laisse ouverte à la négociation les augmentations pour les deux années suivantes. Cette offre lui apparaît juste puisqu'elle protège le pouvoir d'achat des salariés de l'État et se compare aux augmentations consenties dans le secteur privé.

Depuis que le gouvernement s'est donné une politique salariale à la fin des années 1960, il a toujours voulu aligner la rémunération de ses salariés sur le secteur privé afin d'éviter un effet d'entraînement sur celui-ci. L'avance que les employés de l'État détenait dans la seconde moitié des années 1970 a été réduite à néant avec les coupures de 1982-1983 et les faibles hausses consenties par la suite (3,0 2,3 et 3,5 % de 1984 à 1986)15 ] . Formé pour comparer la rémunération entre les deux secteurs à partir d'emplois repères, l'Institut de recherche et d'information sur la rémunération établit en 1988 à 2% l'avantage des employés du secteur public, surtout à cause d'heures de travail moins nombreuses. Si on isole les employés syndiqués de la comparaison, l'écart de rémunération globale se renverse au profit des autres salariés (4%)16 ] . Le gouvernement juge probablement cette situation tout à fait conforme à ses objectifs. Pour la ronde de négociation de 1989, il espère répéter la stratégie qui lui avait réussi trois ans plus tôt: rester ferme sur des hausses très modestes la première année quitte à jeter du lest pour les deux années ultérieures, mais toujours en consentant des augmentations proches du secteur privé.

En 1986, pour la première fois, les centrales ne négocient pas en front commun quoiqu'on se soit concerté sur des objectifs minimaux. Dans la présente ronde de négociation, les syndicats FTQ, comme on l'a dit, ont fait bande à part en acceptant de prolonger la convention d'une année avec pour conséquence qu'il sera extrêmement difficile pour les autres syndicats d'obtenir davantage en début de convention. En 1989, des grands groupes syndicaux en négociation ne se sont pas donné d'objectifs communs quoiqu'ils se soient consultés. En juillet, les médiateurs ayant constaté leur échec à rapprocher les parties, la CSN, la CEQ et le Syndicat des fonctionnaires provinciaux préparaient en commun leurs moyens de pression pour l'automne.

La Fédération des infirmières et infirmiers décidait pour sa part d'accentuer sa pression sur le gouvernement dès le printemps, ses membres refusant le travail en temps supplémentaire. La mesure était particulièrement efficace car les administrations hospitalières y recourent abondamment pour éviter de créer des postes additionnels. Même si ce moyen de pression se traduit par la fermeture de lits dans les hôpitaux, l'opinion publique leur est largement favorable estimant qu'elles travaillent trop et sont mal payées. Pour plusieurs, c'est un bon exemple de l'inéquité salariale envers les emplois féminins.

Le gouvernement faisait trois nouvelles propositions en mai et juin, toutes rejetées par le comité de négociation. Fin juin, un règlement intervenait à la table des négociations, le gouvernement s'étant fait plus généreux. Il faut dire aussi que la décision du Conseil des services essentiels de considérer illégal le moyen de pression des infirmières (refus du temps supplémentaire) ajoutait une pression supplémentaire sur la partie syndicale. Mais contre toute attente, une majorité d'infirmières consultées par référendum (77,8 %) refusèrent, insatisfaites surtout des faibles augmentations de salaire consenties la première année. En août, elles reprenaient leur moyen de pression en refusant de faire du travail supplémentaire et donnaient à leur exécutif un mandat de déclencher une grève générale au moment opportun.

Dans cette ronde de négociation, il sera intéressant de voir si le gouvernement consentira des ressources à l'équité salariale pour les femmes, si les syndiqués obtiendront des augmentations salariales au delà du 4 % pour la première année et s'ils parviendront à participer à l'enrichissement collectif. Quoi qu'il en soit, ils auront fort à faire pour obtenir un relèvement salarial qui dépasse celui qu'on entrevoit pour le secteur privé en 1990 et 1991.




Politique fédérale

Dans ses rapports avec les gouvernements, le mouvement syndical a été retenu particulièrement par des événements survenus sur la scène politique fédérale. Les centrales (FTQ, CSN, CEQ) sont intervenues vigoureusement dans la campagne électorale à l'automne 1988 pour faire opposition à la mise en vigueur de l'Accord de libre-échange et ont protesté contre les mesures contenues dans le premier budget fédéral adopté quelques mois plus tard.

Depuis la récession de 1982, les orientations des gouvernements sont largement influencées par le courant idéologique néo-conservateur qui favorise un rétrécissement du rôle de l'État avec en contrepartie un retour à l'individualisme et aux forces du marché. Ces politiques, qui plaisent au monde patronal - le taux de satisfaction mentionné plus haut le démontre - sont décriées par les syndicats qui traditionnellement ont défendu un État interventionniste. L'Accord de libre-échange avec les États-Unis s'inscrit dans l'optique néo-conservatrice: il vise à éliminer les entraves protectionnistes dressées par les deux pays afin de laisser les forces du marché répartir les ressources plus efficacement de part et d'autre de la frontière.

Dès l'annonce du projet, les centrales syndicales canadiennes ont été la principale source d'opposition. Au Québec, la FTQ, la CSN et la CEQ ont formé avec l'Union des producteurs agricoles, en octobre 1986, la coalition québécoise d'opposition au libre-échange. Rattachée au réseau Pro-Canada, elle avait fort à faire au Québec où l'administration libérale y était favorable de même que le Parti québécois, les milieux d'affaires et les éditorialistes des principaux quotidiens francophones. Pour les syndicats, l'Accord, loin de se traduire par la création d'emplois, signifierait la perte de 76 000 emplois au Québec en dix ans, dont 40 000 dans le secteur du textile17 ] . D'autre part, on craint que les gouvernements, sous les pressions patronales, harmonisent graduellement les programmes sociaux, la fiscalité et la législation du travail avec le modèle américain. Comme ces programmes sont plus généreux au Canada, que le fardeau fiscal y est plus progressif et que les lois du travail protègent davantage le droit à la syndicalisation, les syndicats appréhendent une érosion progressive des mesures de protection sociale.

Double déception donc pour les syndicats: le Parti conservateur remportait les élections haut la main et l'Accord de libre-échange allait entrer en vigueur comme prévu. Le Québec était même une des provinces où le traité avait le plus large support selon le dernier sondage Gallup rendu public avant les élections: 41 % des Québécois le jugeaient favorablement et 27 % s'y opposaient, alors que pour l'ensemble du Canada, les proportions étaient inversées (41 % contre, 34% pour)18 ] .

Cinq mois après son élection, le gouvernement conservateur présentait un budget axé principalement sur la réduction du déficit, un thème que le Parti conservateur avait soigneusement évité d'aborder pendant la campagne, préférant plutôt faire miroiter un programme de création de 200 000 places additionnelles en garderie tout en promettant « de ne pas toucher aux programmes sociaux, sinon pour les améliorer »19 ] . En 1989, le déficit fédéral était en hausse bien au-delà de 30 milliards de dollars et le paiement de la dette à lui seul accaparait le tiers des dépenses du gouvernement. Selon l'analyse des syndicats, le déficit était la conséquence directe du haut taux de chômage découlant de l'absence de politique de plein emploi, du faible taux d'imposition des corporations et de dépenses fiscales coûteuses qui ont surtout bénéficié aux contribuables à revenus élevés.

Pour réduire ses dépenses, le gouvernement présentait le 26 avril un budget comprenant plusieurs compressions budgétaires et des hausses de taxes touchant surtout les individus. En plus d'une surtaxe sur le revenu des particuliers, il augmenta ses taxes indirectes avec l'intention d'instaurer en 1991 une nouvelle taxe de vente qui toucherait presque tous les biens et services. Repoussant à plus tard la mise en place de son programme de service de garde d'enfants, il se retira aussi du financement du programme d'assurance-chômage et réduisit ses transferts aux provinces au chapitre du développement régional et des programmes de santé et d'éducation.

Alors que les groupes patronaux s'inquiétaient de ce que le gouvernement n'ait pas assez coupé dans ses dépenses, les centrales syndicales lui reprochaient de créer davantage de chômage par ses coupures, de se désengager dans le domaine social et de poursuivre une politique d'inéquité fiscale en augmentant les impôts des particuliers et les taxes à la consommation.

Depuis que le gouvernement fédéral a adopté une nouvelle stratégie fiscale en 1984 poursuivie à travers le Livre blanc sur la réforme fiscale de 1987, les centrales s'élèvent contre l'injustice créée par la nouvelle répartition du fardeau des impôts. Dans le but de stimuler l'épargne et l'investissement, le gouvernement cherche à diminuer la contribution des sociétés (réduction des taux d'imposition) et des individus à hauts revenus (abris fiscaux, exemption des gains de capitaux, réduction de la progressivité des impôts, relèvement des plafonds des déductions pour les RÉER, etc.). Pour compenser ces pertes de revenus, il fait appel aux impôts directs et indirects qui dans ce dernier cas, frappent davantage les contribuables à faible et moyen revenu. Les centrales craignent particulièrement que la nouvelle taxe de vente nationale qui s'appliquera sur presque tous les produits et services à compter de 199 1, n'aggrave encore plus l'inéquité du régime fiscal. Même si certaines mesures gouvernementales peuvent aller dans le sens d'une plus grande progressivité, l'orientation générale des politiques fiscales, à leur avis, est plus avantageuse pour les contribuables à revenus élevés, ce qui accentue l'injustice sociale.

*    *    *

Dans les années 1980, le syndicalisme québécois a été acculé à la défensive réussissant mal à mobiliser ses membres. La récession de 1981 ayant redonné l'initiative au patronat, les choix politiques des gouvernements se font largement sous le signe d'un désengagement de l'État, du conservatisme social et d'un retour à l'individualisme et aux forces du marché. Comme nous l'avons fait observer plus tôt, cette évolution réjouit les associations patronales dont les membres montrent un haut niveau de satisfaction. En revanche, le monde syndical avec ses valeurs de solidarité et de justice sociale et sa volonté d'étendre le rôle de l'État apparaît comme une institution aux tendances dépassées. Sa voix n'ayant plus la crédibilité de la précédente décennie, il parvient mal à influencer l'orientation sociale. Signes révélateurs de sa perte de vitesse, le recrutement de nouveaux membres se fait à un rythme plus lent que la croissance de la main-d'oeuvre et les conventions collectives comportent des augmentations salariales en deçà du niveau de l'inflation.

Ces tendances commencent cependant à s'atténuer quelque peu à mesure que la situation économique s'améliore et que les travailleurs et travailleuses deviennent plus conscients qu'ils ne profitent pas des retombées de la prospérité. Certains signes le laissent penser: les hausses salariales en 1988 dépassent le taux d'inflation, les conventions collectives signées comportent des améliorations au plan des conditions de travail, les employés des secteurs public et parapublic manifestent un militantisme plus marqué qu'en 1986 et les gouvernements atténuent leur orientation néo-conservatrice. Mais, en général, le syndicalisme en 1988-1989 n'a pas retrouvé le dynamisme d'antan et vit encore une période de contraction.




Note(s)

1.  Conseil du patronat du Québec, Bulletin des relations de travail, vol. 20, 204 (janvier 1989), p. 5.

2.  CPQ, Une évaluation du climat socio-économique au Québec. Recherche effectuée auprès des membres corporatifs, le 1er janvier 1989, 9p.

3.  Les relations du travail en 1989, supplément de Le marché du travail, janvier 1989, P. 54-55 ; Institut de recherche et d'information sur la rémunération, État et évolution des salaires, avantages sociaux et conditions de travail des salariés des secteurs publie et parapublic par rapport à ceux des autres salariés québécois, mai 1989, p. 39.

4.  Les relations du travail en 1988, p. 59.

5.  Le Devoir, 5 mai 1989, p. 10.

6.  Les relations du travail en 1988, p. 35-50.

7.  Le marché du travail, mai 1989, p. 57.

8.  BFS, Loi sur les déclarations des corporations et des syndicats ouvriers (CALURA), catalogue 71-202,1983: BFS, La population active, catalogue 71-001, juin 1983.

9.  BFS, CALURA, 1986; BFS, La population active, juin 1986.

10.  Le marché du travail, décembre 1985, p. 88: Les relations du travail en 1987, supplément de Le marché du travail, janvier 1988, p. 20: Les relations du travail en 1988, supplément de Le marché du travail, janvier 1989, p. 17.

11.  Pour 1985 et 1986, années où la comparaison est possible entre les données fédérales et provinciales, l'évaluation des effectifs syndicaux varie peu selon ces sources même si la méthode de collecte des informations est différente: la déclaration des syndicats pour Statistique Canada et les salariés visés par une convention collective pour le ministère provincial du Travail. Le bât blesse lorsqu'on met en relation les effectifs syndicaux avec la population de travailleurs rémunérés. Le ministère fédéral du Travail tire ces dernières données du catalogue La population active de Statistique Canada, la source la plus précise à ce sujet. Par contre, celles du ministère provincial du Travail proviennent d'un autre catalogue de Statistique Canada, Emploi, gains et durée de travail où la collecte d'informations est faite uniquement auprès des entreprises ayant plus de 200 employés. Cette dernière source sous-estime de deux à trois cent mille le nombre de travailleurs rémunérés lorsqu'on compare ses estimations à celles du précédent catalogue. Avec pour résultat que les statistiques québécoises ajoutent artificiellement de quatre à six points aux taux de syndicalisation. Le responsable de la compilation de ces données au ministère du Travail a choisi cette source parce qu'elle lui permettait de désagréger des données par secteur industriel (voir Le marché du travail, décembre 1985, p. 78-89).

12.  Henry S. Farber, « Trends in Worker Demand for Union Representation », The American Economic Review, mai 1989, p. 166-171.

13.  Canada, Répertoire des organisations de travailleurs et travailleuses au Canada, 1988, p. 14.

14.  Le Devoir, 28 avril 1988, P. 2.

15.  La Presse, 21 septembre 1988, p. CI.

16.  Institut de recherche et d'information sur la rémunération, État et évolution des salaires..., mai 1989, p. 23.

17.  Le Devoir, 8 novembre 1988, p. 7.

18.  La Presse, 19 novembre 1988, p. A2.

19.  La Presse, 16 octobre 1988, p. B3.