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L'administration publique



Jacques Bourgault
Université du Québec à Montréal

Stéphane Dion
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1989-1990

· Rubrique : L'administration publique



Une première année de décennie invite au bilan. Aussi avons-nous saisi l'occasion pour dresser le portrait statistique du fonctionnaire québécois, aperçu morphologique que l'on trouvera en première partie de chapitre. Nous enchaînons sur un dossier ouvert dans cette rubrique il y a deux ans : le nombre d'organismes autonomes. On se souvient que le gouvernement libéral avait réduit ce nombre lors des premières années de son mandat, suivant en cela la recommandation du rapport Gobeil pour un allégement de l'appareil administratif. Nous verrons si le gouvernement libéral a persévéré dans la même direction. Par après, différents dossiers qui ont marqué l'année 1989-1990 seront traités : le statut de la fonction publique, modifié et mis en cause de différentes façons ; les conflits d'intérêt, question qui a resurgi sous différentes formes ; la tarification des services publics (de nouveaux principes se mettent en place) ; la relation ministre-haut fonctionnaire, qu'un conflit au ministère de l'Environnement a mis à la une ; le droit administratif, dont les développements les plus importants sont soulignés ici. Enfin, l'année 1989-1990 a été perturbée par de graves conflits de travail dans le secteur publie, affectant surtout les hôpitaux et Hydro-Québec, sur lesquels il faudra clore le chapitre.



I. Portrait statistique de l'effectif régulier de la fonction publique québécoise de 1990

Selon une appréciation du Conseil du trésor (Bédard 1987), la juridiction du gouvernement du Québec s'étend à environ 345 000 travailleurs, dont 160 000 oeuvrent dans le réseau des établissements de santé et de services sociaux, 110 000 dans celui de l'éducation primaire, secondaire et collégiale. Le gouvernement du Québec emploie directement environ 75 000 personnes, dont 13 000 dans les organismes gouvernementaux et 62 000 dans les ministères. Parmi cet effectif directement assujetti à la loi de la fonction publique, 20 % est formé d'employés occasionnels et 80 % d'employés permanents. Le portrait statistique qui suit ne porte que sur ces employés permanents, les seuls à propos desquels des données précises peuvent être rassemblées1 ] . Nous allons examiner successivement leur nombre, leur âge et leur ancienneté, leur répartition géographique, leur traitement, la proportion de femmes et la proportion de membres des minorités culturelles.


1.1 Le nombre de fonctionnaires

En 19852 ] , l'effectif régulier de la fonction publique était de 53 927 fonctionnaires. Le gouvernement libéral a entrepris de réduire ce nombre - au moyen notamment d'un programme d'indemnisation des départs volontaires - qui est descendu à un plancher de 52 164 fonctionnaires en 1988. Mais l'effort de réduction semble avoir pris fin, avec deux hausses successives portant l'effectif à 52 284 en 1989 et à 52 835 en 1990. Cette tendance à la hausse est surtout manifeste chez la catégorie des professionnels : ceux-ci représentaient 21,7 % de l'effectif régulier en 1985, 25,1 % en 1990. On se souviendra peut-être que le fameux rapport Gobeil recommandait de réduire du quart le nombre de titulaires de cette catégorie d'emploi et de diminuer dans la même proportion le nombre de cadres3 ] . En fait, la proportion de cadres supérieurs est demeurée stable: 4,7 % en 1985, 4,6 % en 1990.


1.2 Âge et ancienneté

En 1986 - première année pour laquelle les données sont disponibles -, le fonctionnaire type avait tout juste 40 ans et 12 années de service. En 1990, il a 42 ans et 14,4 années de service. La tendance est donc au vieillissement. Comme il se doit dans un système de séniorité, la haute direction et l'encadrement supérieur affichent une moyenne d'âge plus élevée que les autres catégories d'emploi, soit respectivement 49,2 et 47,6 ans. L'encadrement supérieur a cependant accumulé plus d'années d'ancienneté que la haute direction : 17,2 comparativement à 13,2. Cela s'explique par le fait que les sous-ministres en titre, adjoints et associés sont nommés de façon discrétionnaire par le pouvoir politique, lequel recrute parfois des candidats qui viennent de l'extérieur de la fonction publique.


1.3 La répartition géographique

La moitié (49,9 %) de l'effectif régulier de la fonction publique québécoise travaille dans la capitale en 1990, le cinquième (20,4 %) à Montréal. Les proportions étaient les mêmes en 1989 (49,9 % et 20,3 %). Un rapport du Secrétariat à l'aménagement et au développement régional déposé en mars 1989 confirme cette tendance à la stabilité : la capitale maintient sa part de fonctionnaires.


1.4 Le traitement

Le fonctionnaire québécois de 1990 touche en moyenne un traitement de 35 357 $. La fourchette s'étend entre une moyenne de 83 444 $ pour les hauts dirigeants et de 25 127 $ pour le personnel de bureau. Le traitement moyen d'un cadre supérieur est de 64 390 $, celui d'un professionnel de 45109$.

Comment ces traitements se comparent-ils avec ceux dispensés dans les autres secteurs de l'économie québécoise ? Le plus récent rapport de l'Institut québécois de recherche et d'information sur la rémunération (IRIR) date de novembre 1989 et présente des données recueillies en mars 19884 ] . La comparaison est faite entre les salariés du secteur public québécois (incluant le secteur parapublic) et les salariés des entreprises québécoises de 200 employés et plus travaillant soit dans le secteur privé soit dans les administrations, municipales et fédérales. Sur les 330 emplois qui existent dans le secteur public, seuls 74, représentant le tiers des effectifs, sont pris en compte, les analystes de l'IRIR ayant jugé que les autres - dont les enseignants et les infirmières - n'ont pas d'équivalent dans le secteur privé. La comparaison porte sur la rémunération globale, incluant toutes les conditions de travail, salaires et avantages sociaux - à l'exception de la sécurité d'emploi dont on ne sait comment chiffrer la valeur. Les résultats sont que le secteur public québécois : 1) bénéficie d'une avance de dix points de pourcentage pour la rémunération globale - et est à parité pour le seul salaire - en comparaison du secteur privé ; 2) est à parité pour la rémunération globale et accuse un retard de six points de pourcentage du point de vue du salaire quand la comparaison est faite avec le secteur privé syndiqué; 3) devance les « autres secteurs publics » de cinq points de pourcentage tant pour les salaires que pour la rémunération globale.


1.5 La proportion de femmes

La proportion de femmes augmente d'année en année. De 33,4 % en 1980, elle est passée à 37 % en 1985, 39,8 % en 1989 avant de franchir la barre des 40 % lors de la dernière année (40,6 % exactement). Cette proportion a surtout augmenté dans les catégories supérieures d'emploi là où elle est traditionnellement plus faible. On note cependant que l'apparition des femmes se fait toujours attendre à l'échelon supérieur, celui de sous-ministre en titre : on comptait 1 femme sur 25 sous-ministres en titre en 1980, on en trouve 2 sur 25 en 1990. On observe aussi que la progression en général est plus lente que ce que prévoyait le gouvernement en 1987 en émettant un nouveau programme d'accès à l'égalité. Il annonçait alors, pour 1990, 12 % de femmes parmi les cadres supérieurs - on en trouve 9,4 % -, 27,5 % parmi les professionnels et les enseignants - il y en a 26 % et 3 % parmi les ouvriers - au lieu de 1,4 Le seul résultat satisfaisant a été obtenu dans la catégorie des agents de la paix, où la proportion de femmes est passée de 5,3 % en 1987 à 7,4 % en 1990, tout près de l'objectif qui était de 7,5 %.


1.6 La proportion de membres de communautés culturelles

Contrairement aux femmes, la représentation des membres des communautés culturelles dans l'effectif régulier n'augmente pas. Ils représentaient 41 % de cet effectif en 1987, 4,4 % en 1989 et 3,7 % en 1990. Pourtant, dès 1982, une politique d'égalité en emploi a visé à augmenter cette proportion à 9,5 % de l'effectif régulier. Le gouvernement libéral a annoncé un nouveau programme en 1990 (voir plus loin).

En somme, la fonction publique québécoise de 1990 ne vit plus à l'heure des réductions d'effectif, vieillit, ne déserte pas la capitale, touche des traitements comparables aux autres secteurs syndiqués de l'économie, se féminise plus lentement qu'annoncé et n'a pas établi le pont avec les membres des communautés culturelles.




2. Le nombre d'organismes

La réélection du gouvernement libéral n'a pas été suivie d'un redécoupage entre les ministères. Certes, Robert Bourassa a retouché la répartition des ministres délégués, changements qui affectent davantage les personnels politiques que les structures administratives. Une seule modification attire l'attention : le ministre délégué aux Finances et à la Privatisation n'est plus maintenant que le ministre délégué aux Finances, marquant ainsi le retrait dans l'ordre des priorités d'un processus de privatisation largement mis en veilleuse lors de la dernière année du premier mandat et qui n'a pas été un enjeu de la campagne électorale. De ce point de vue, il est intéressant de vérifier le sort fait à un autre volet de la politique « néo-libérale » en vogue en 1985, soit la réduction du nombre d'organismes autonomes. On en comptait 202 le 2 décembre 1985, les rapports Gobeil et Fortier ne voulaient en maintenir que 116. En pratique, le gouvernement libéral avait abaissé le nombre de ces organismes à 184 lors du recensement du 29 février 1988, inversant une tendance qui était à la hausse sous le Parti québécois (Dion et Gow, 1989, pp. 63-65). Que s'est-il produit lors des deux dernières années ?

Le dernier recensement du Secrétariat à la réforme administrative et aux emplois supérieurs est daté du 20 avril 1990. On y dénombre 204 organismes. On est ainsi revenu à la case départ de décembre 1985. Lors de ces deux dernières années, le gouvernement a aboli sept organismes, mais il en a créé 27 autres. On remarque en particulier la création de cinq organismes agricoles et de six organismes spécialisés dans les questions policières et placés sous la tutelle du nouveau ministre de la Sécurité publique. Le gouvernement libéral n'a visiblement pas résisté à la tentation d'ajouter de nouvelles structures dans certains secteurs jugés prioritaires et semble avoir fait le tour des organismes dont il voulait se défaire.




3. Le statut de la fonction publique


3.1 L'accès des minorités culturelles à la fonction publique

En mars 1990, le ministre délégué à l'administration, Daniel Johnson, annonce un programme de recrutement accéléré des membres des communautés culturelles pour faire passer d'ici 1994 de 2 à 4 % le nombre des fonctionnaires provinciaux issus de ces communautés. Ainsi, pendant cette période, 12 % des 1800 fonctionnaires recrutés annuellement proviendront de ces groupes ethniques.

Un critère de discrimination positive sera utilisé lors des recrutements pour atteindre cet objectif : à un niveau de compétence comparable, un candidat provenant d'une communauté culturelle ou d'une minorité visible aura priorité. Ce programme ne touche cependant pas le cas de la communauté anglophone dont les représentants ont demandé à être exclus, ni les organismes gouvernementaux qui ne sont pas soumis à la loi de la fonction publique.

L'obstacle majeur à la réalisation de ce programme vient de la concentration à Montréal des communautés culturelles et de la localisation à Québec de la vaste majorité des postes de la fonction publique; d'ailleurs le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec a manifesté beaucoup d'incrédulité quant au réalisme du programme qui, dit-il, aurait pour effet de ne rendre aucun poste disponible dans la région de Montréal pour un Québécois francophone de souche.


3.2 Fonction publique révisions du statut

3.2.1 Le régime de la fonction publique : entre la bureaucratie et l'efficience

La Commission parlementaire de l'Administration a entrepris un processus d'audiences publiques sur la loi de la fonction publique. La commission s'intéresse entre autres aux questions suivantes : la qualité et l'efficacité des services rendus aux citoyens, l'imputabilité de la fonction publique, le rôle du Conseil du trésor en matière d'application de la loi.

La Commission cherchera à établir si le statut de 1984 sert toujours les fins du service public et si sa gestion est compatible avec les principes de qualité et service au bénéficiaire et d'efficience; d'autre part elle examinera la gestion qu'en ont fait les principaux mandataires tels le Conseil du trésor, l'Office des ressources humaines et les sous-ministres. Cet examen constitue peut-être à ces égards une réponse aux demandes maintes fois formulées par la Commission de la fonction publique dans ses rapports annuels.

3.2.2 Le nouveau classement des professionnels est maintenant en place

Le classement des professionnels hérité des années 60 fut remplacé en 1987 (C.T.164565) : les trois classes d'alors sont aujourd'hui remplacées par une seule échelle à dix-huit échelons.

La transition entre les deux systèmes fut terminée en 1990 de sorte qu'aujourd'hui un seul classement est en vigueur.

Deux corps d'emploi de professionnels furent ajoutés en 1990, les conseillers en affaires internationales et les spécialistes en évaluation foncière portant à 28 le nombre des corps d'emploi de professionnels.


3.3 La Commission de la fonction publique craint pour le système du mérite et sa transparence

Dans son rapport annuel de mars 1990 la Commission de la fonction publique du Québec attire à de nombreuses reprises l'attention des membres de l'Assemblée nationale sur des manquements à certains des principes, devant présider à la gestion de la fonction publique tels l'égalité d'accès aux postes et l'impartialité dans l'attribution des postes et promotions.

Elle note que ses rappels précédents à ces égards furent en général ignorés par les gestionnaires et les organismes centraux qu'elle dit plus préoccupés d'objectifs « de rentabilité et d'efficience à courte vue », se comportant plus comme des propriétaires du système que comme des fiduciaires diligents. En conséquence, note-t-elle, le respect formaliste des normes ne permet pas au système de la fonction publique d'atteindre son objectif plus global de crédibilité et de transparence. Ainsi par exemple en 1987 et 1988, 40 % des promotions eurent lieu sans concours tandis que beaucoup des concours culminaient par le choix de la personne occupant le poste de façon intérimaire : cette situation pose le problème de l'impartialité du système et décourage certains de se porter candidats.

La Commission se dit aussi fort préoccupée des milliers de personnels occasionnels occupant leur poste pour des périodes allant de quelques semaines à quelques mois et malgré tout sans statut juridique autre que celui produit par la négociation collective dont les « caveat » laissent trop de marge d'arbitraire aux gestionnaires, qui choisissent souvent à partir de critères qui ont peu à voir avec la compétence des candidats.

Au sujet des occasionnels, la Commission souhaite que les organismes de gestion entament une réflexion de fond pour rendre compatible le principe de leur embauche prioritaire avec celui énoncé en l'article 53 de la loi demandant que le choix des candidats se fasse parmi les personnes d'un même niveau.

La Commission note que 30 % des intérimaires sont promus aux concours et que ce taux passe à 44 % si on tient compte de toutes les formes d'intérimats. Ces intérims qui ont duré en moyenne neuf mois, ont pu donner un avantage inéquitable à certains concurrents.

Elle plaide aussi pour plus de transparence dans les concours de recrutement puisque 58 % des concours de recrutement ont permis de choisir des occasionnels occupant déjà le poste faisant l'objet du concours.

La Commission note l'inefficacité des listes interministérielles pour les promotions puisque les listes ministérielles leur sont systématiquement préférées.

En somme la Commission note un dérapage au système du mérite dû à la cooptation bureaucratique et à la souplesse du cadre de gestion des employés occasionnels et elle demande aux gestionnaires des actions pour centrer à nouveau la gestion des ressources humaines sur les principes de mérite édictés par le législateur.




4. Les conflits d'intérêt hantent l'administration

En 1990, à plusieurs reprises, ont resurgi les accusations de conflit d'intérêt contre des ministres du gouvernement ou leurs hauts fonctionnaires.

Cette situation met en cause la souveraineté de l'action gouvernementale, l'équité sociale et le « due process » qui fondent la légitimation de l'action administrative.

Ces conflits d'intérêt présumés ont porté sur trois aspects de l'activité gouvernementale : le conflit avec l'intérêt personnel d'un fonctionnaire, le conflit impliquant le favoritisme politique et le conflit mettant en cause la souveraineté du Conseil des ministres.


4.1 À l'environnement

Un haut fonctionnaire du ministère de l'Environnement fut relevé de ses fonctions puis congédié suite à la mise à jour d'une transaction dont il a fait partie : en 1985, la mine d'or Poirier appartenant à la Rio Algom fut vendue pour un dollar à une firme appartenant au beau-frère du directeur régional du Ministère.

Cette vente évitait ainsi à Rio Algom de devoir traiter 1 * es résidus d'exploitation hautement toxiques ; un an plus tard, le fonctionnaire est devenu actionnaire à 30 % de la compagnie acheteuse. La mine pourrait rapporter des dividendes valant 1 million de dollars. Malgré les dénégations énergiques du fonctionnaire, des mesures disciplinaires prises à son endroit entraînèrent son congédiement; pourtant Le Devoir fait état de la connaissance et de l'acceptation de la transaction par plusieurs autres hauts fonctionnaires du Ministère.

Le fonctionnaire congédié prétend que La Gazette qui a révélé le scandale se venge ainsi d'une dénonciation faite par ce même fonctionnaire en 1987 contre l'imprimerie du journal qui ne respectait pas les normes de traitement des déchets dangereux.


4.2 Au ministère des Transports

Un directeur du ministère des Transports jouant un rôle de premier plan dans l'approbation des dépassements de coûts des contrats accordés aux entrepreneurs et ingénieurs travaillait aussi comme leveur de fonds auprès des entreprises pour le Parti libéral du Québec de 1985 à 1989. Or le sous-ministre qui aurait pu rappeler le fonctionnaire à l'ordre s'est occupé des souscriptions pour le P.L.Q. jusqu'en 1985 ! De plus, le trésorier du Parti est d'ailleurs vainement intervenu auprès du Cabinet du premier ministre pour faire obtenir à ce directeur une promotion.

Alors que pour 1989, les dépassements de coûts du plan de transport de Montréal coûteront 16 millions de dollars de plus que prévu au Trésor québécois, et que ceux de la Voirie représentent 33 % des budgets d'origine, l'implication politique du fonctionnaire gêne même le ministre qui suggère une révision éventuelle de la loi de la fonction publique : plusieurs se demandent si le système actuel d'autorisation des dépassements de coûts ne sert pas à contourner le principe d'attribution des contrats au plus bas soumissionnaire.

Par ailleurs un autre fonctionnaire de ce même Ministère, membre du comité de sélection attribuant les contrats, avait été accusé par l'opposition péquiste d'avoir maintenu des liens étroits avec le trésorier du P.L.Q. et d'avoir transmis au ministre Côté la liste des contrats alloués au ministère de la Santé.


4.3 Le comité sur la révision de l'adjudication des contrats gouvernementaux

Avant même la mise à jour du scandale et suite aux critiques persistantes de l'opposition à l'effet que le système d'attribution des contrats gouvernementaux manquait de transparence, engendrait des coûts inadmissibles et favorisait le patronage politique, le gouvernement avait créé un comité pour revoir le mode d'adjudication des contrats gouvernementaux.

Présidé par l'ex-secrétaire général du Conseil exécutif devenu vice-président d'une grande banque, ce comité recommande en juin 1990 de rendre plus transparent le processus d'adjudication, de resserrer les contrôles sur les comités de sélection des contrats attribués aux entrepreneurs et ingénieurs et d'augmenter l'imputabilité parlementaire des fonctionnaires jouant un rôle clé dans l'attribution des contrats. Le premier ministre a confié à ses ministres le soin d'étudier la faisabilité de la mise en application du rapport.


4.4 Le cas de la cité écologique de Ham-Nord

Il fut révélé que la famille du ministre Robert Dutil faisait partie d'une petite communauté d'environ 150 personnes vivant en circuit fermé et ayant pris en charge elle-même l'éducation des enfants s'y trouvant.

Comme les dirigeants de la communauté se sont faits accuser par des anciens membres de fonctionner comme une secte et de faire du « lavage de cerveau », plusieurs se sont inquiétés des séjours qu'y faisait le ministre Dutil et de la compatibilité de cette activité avec sa fonction de ministre qui lui fait participer aux réunions du Conseil des ministres lesquelles se tiennent à huis clos. L'Association projet-culte a même demandé la démission du ministre.

Par ailleurs, en février 1989, le ministre Ryan a demandé à la Commission scolaire des Bois-Francs d'évaluer la formation reçue par les jeunes de la Cité écologique ; cette évaluation publiée à l'été 1989 révèle une connaissance à peine suffisante des matières et insuffisante de' mathématiques. En mai 1990, le ministre de l'Education demande un nouvel avis à la Commission scolaire suite à des allégations venant des parents d'un élève à l'effet que des professeurs de la commune tromperaient la Commission scolaire chargée de superviser le déroulement du projet éducatif en faisant donner les enseignements par d'autres professeurs que ceux déclarés à la Commission scolaire.




5. Nouveau critère de gestion des biens publics : transparence des coûts et répercussion sur les bénéficiaires

L'année 1990 marque un tournant décisif dans l'approche du gouvernement pour financer les services directs aux citoyens : d'une part on puisera de moins en moins dans le budget du gouvernement quitte à hausser les tarifs de ces services et d'autre part, on alimentera le budget gouvernemental à même des prélèvements faits à partir des surplus générés par les nouveaux tarifs.

Cette philosophie déjà annoncée en 1986 dans le rapport du Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales, dit « comité des sages », s'inspire directement de l'école dite du Public Choice ; ainsi les Tullock, Minford et Tindeman dénonçaient l'absence de transparence des coûts réels des biens publics, le fait que les bénéficiaires de ces biens n'en payaient pas le prix réel et le fait que la situation de monopoleur de l'offreur de biens publics pouvait générer une offre non limitée par la demande, elle-même à l'abri des effets du coût réel des biens.

En plus d'alléger le budget de certains coûts, cette approche, prétend-on, tend à limiter la part injustifiée de la demande, tout en faisant payer aux bénéficiaires des biens publics les coûts réels de ces biens.

On observe cette philosophie de gestion dans six secteurs : en éducation, en transport urbain, en services municipaux, en transport routier, dans la tarification de l'hydro-électricité, et dans certains services de santé.


5.1 Éducation

Le budget de 1990 annonce le désengagement du gouvernement en matière de frais d'entretien et immobilisations pour les Commissions scolaires, le tout représentant une somme de 320 millions de dollars ; depuis l'adoption du projet de loi 69 en juin 1990, les Commissions scolaires peuvent utiliser le champ d'impôt foncier pour compenser cette réduction de subvention. Ainsi chaque commission, selon le niveau de services qu'elle veut offrir pourra décider d'utiliser son pouvoir de taxation comme un « tarif » qu'elle charge à la population assujettie.

Les frais de scolarité des étudiants à l'université, gelés à 540 $ en moyenne depuis 1968 seront haussés entre 1990 et 1992 de 130 % pour passer à 1240 $ ; de plus, chaque institution a le pouvoir de dépasser de 10 % cette hausse de base ; à compter de 1992-1993 les frais de scolarité seront indexés à la hausse du coût de la vie. Simultanément le gouvernement prélèvera 20 % des revenus de cette hausse pour financer la bonification du système d'aide financière aux étudiants prévue au projet de loi 25 sur le régime des prêts et bourses.

Une telle politique réduit la propension du budget central à financer les universités tout en instaurant un mécanisme assuranciel à l'intérieur des frais de scolarité : 20 % de la hausse des frais supporte l'aide aux étudiants. Est-ce là une réponse ponctuelle au problème financier des universités ou le premier jalon d'un nouveau mode de relations entre les universités et l'État ?


5.2 En transports urbains

À l'occasion de la présentation du budget de 1990, le gouvernement du Québec fixe à 276,9 millions sa contribution aux dépenses d'opération des sociétés de transport et annonce qu'un jour les municipalités devront financer ellesmêmes l'entièreté de ces coûts défrayés aujourd'hui à 40 % par le budget central.

Les municipalités devront alors recourir soit à la taxation pour compenser la perte de subvention soit à la majoration de la tarification ; ainsi les maires des municipalités de la banlieue sud de Québec prévoient que le tarif des passages sera quintuplé si le gouvernement met son projet à exécution après la période de consultations avec les municipalités qui a débuté cet été.

Lorsque le ministre des Finances déclare que « le niveau de service, les conditions de travail et la tarification sont déjà déterminés localement et qu'il apparaît normal et logique que le secteur local assume une plus grande responsabilité à leur égard et qu'il en devienne redevable auprès de ses électeurs et de ceux qui en bénéficient », il applique terme pour terme la philosophie de l'école du Public Choice qui vient alors au secours de ses contraintes budgétaires.


5.3 Les services municipaux

Lors de l'étape préparatoire du budget, les municipalités avaient accepté de transférer 75 millions supplémentaires d'impôt foncier aux commissions scolaires; le budget d'avril leur en réclame 100 millions de plus et le ministre des Transports annonce en outre qu'il songe à transférer aux municipalités la responsabilité de l'entretien de 40 000 kilomètres du réseau routier ; malgré la promesse du ministre de transférer aussi l'enveloppe budgétaire afférente, les représentants municipaux disent devoir absorber des

coûts supplémentaires de 80 millions de plus à ce chapitre et notent que rien n'est garanti quant à l'absorption de l'indexation de ces coûts pour les années a venir.

Ainsi les municipalités devront aménager leur budget pour défrayer ces coûts supplémentaires selon le niveau et le type de services qu'elles choisiront d'offrir aux contribuables ; il s'agit encore ici d'une approche de tarification indirecte en fonction du service consommé.


5.4 Le coût de l'hydro-électricité

Le gouvernement du Québec, afin de stabiliser ses revenus pris a même les surplus d'Hydro et de permettre à celle-ci de financer ses programmes de construction et de rénovation du réseau, a autorisé une majoration des tarifs de 23 % sur deux ans, incluant les effets de la T.P.S.

Cette décision augmente la tarification du service au-delà de la hausse du coût de la vie et tend à rapprocher le tarif facturé aux consommateurs des tarifs des autres modes de production d'énergie. Cette approche « de marché » qui justifie de plus amples revenus autonomes dans le budget gouvernemental, se réclame de la pensée de Minford qui plaide la concurrence par les prix des biens produits par les secteurs publics et privés.


5.5 En transport routier

Le ministre des transports, arguant que l'entretien du réseau routier évite des accidents et ainsi des coûts à la Régie d'assurance automobile du Québec (R.A.A.Q.), a puisé dans le budget de la R.A.A.Q. pour financer les travaux de réfection du réseau routier.

D'abord au budget 1990, puis dans la loi qui modifie en Société d'assurance automobile du Québec la R.A.A.Q., il est prévu que 625 millions de revenus de la S.A.A.Q. seront versés au budget du gouvernement sur cinq ans pour financer une partie du 1,7 milliard de travaux ; de 87 à 89, 200 millions avaient été ainsi ponctionnés dont 75 millions pour la seule année 1989.

La même logique est invoquée par le ministre pour hausser de 25 % le coût des permis de conduire et droits d'immatriculation afin d'obtenir 97 millions supplémentaires des chauffeurs et propriétaires non commerciaux.

Ce raisonnement qui permet une plus grande transparence des coûts des biens publics ébranle néanmoins le principe de complémentarité des services gouvernementaux. La S.A.A.Q. va-t-elle facturer à son tour les services rendus aux autres ministères ?

Enfin en 1990, la Société d'assurance Automobile du Québec amorce une réflexion pour faire sien le nouveau système des assureurs privés qui établit une tarification des primes à partir du dossier du conducteur : le degré de responsabilité et le nombre de sinistres affectent ainsi la prime à être payée ; bien que l'indemnité continuera d'être payée de la même manière aux victimes, les primes d'assurance payées par les chauffeurs seraient modulées en fonction de leur performance au volant.

Ici encore les régimes universels cèdent peu à peu la place à des systèmes permettant la transparence des coûts et la répercussion de ceux-ci sur leurs bénéficiaires ou sur leurs auteurs.


5.6 Les services de santé

À la suite du président du Conseil du trésor, le ministre de la santé et des services sociaux a énoncé parmi ses orientations la fin de la gratuité générale des services de santé au Québec tout en écartant la possibilité d'instaurer un ticket modérateur ; il remet plutôt en question la gratuité des médicaments pour toutes les personnes âgées. On envisage donc un rétrécissement de l'assiette des services universellement couverts.




6. Atmosphère dégradée à l'Environnement: affrontements entre ministre et fonctionnaires

Le nouveau ministre de l'Environnement, Pierre Paradis, a publiquement blâmé ses hauts fonctionnaires en décembre 1989, les accusant de se traîner les pieds et de vivre dans une culture organisationnelle incapable de générer l'action : le ministre déplorait alors les longs délais requis par les fonctionnaires pour préparer la dernière version du projet de loi sur l'environnement.

L'Association des cadres supérieurs du gouvernement du Québec a dénoncé le comportement du ministre qui s'attaque à des fonctionnaires à qui le devoir de réserve interdit de faire toute déclaration publique pour se défendre.

Le même ministre avait créé une commotion en novembre 89 en dénonçant publiquement le fait que le nouveau sous-ministre André Trudeau lui fut imposé par le premier ministre ; en janvier 1990 l'entourage du premier ministre faisait savoir que le ministre pourrait avoir à quitter ses fonctions s'il persistait à vouloir travailler avec quelqu'un d'autre. Quelques semaines plus tôt, le ministre Paradis avait publiquement critiqué une sous-ministre adjointe du Ministère, pourtant nommée après 1985, c'est-à-dire par le gouvernement libéral.

Le ministre Paradis a un style de travail bien particulier : il est un des très rares ministres à utiliser son Cabinet non pas comme un service d'aide-conseil mais plutôt comme un état-major faisant écran entre lui et son équipe sous-ministérielle. Cette méthode produit des dysfonctions administratives et génère des situations compromettantes.

Ainsi, en février 1990, La Presse révélait qu'un membre du Cabinet ministériel du ministre Paradis est intervenu auprès de la ville de Granby pour aider un entrepreneur à garder un important contrat, ceci contre l'avis formel des experts du Ministère.

Le ministre finit par désavouer son attaché politique mais saisit l'occasion pour blâmer les fonctionnaires trop « zélés » du Ministère... ce qui lui valut une autre algarade publique avec une association de fonctionnaires, le Syndicat des professionnels !




7. Droit administratif : quelques développements récents

Chaque année des centaines de décisions judiciaires affectent l'état du droit administratif québécois : trois d'entre elles nous ont semblé particulièrement importantes pour l'administration publique québécoise.


7.1 Notion de décret

La Cour d'appel a récemment rendu un jugement unanime confirmant la décision du juge Dufour de la Cour supérieure dans l'affaire Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de l'Hôpital de Chicoutimi c. Hôpital de Chicoutimi; le juge Dufour y avait défini la notion de décret gouvernemental pour déterminer si l'obligation d'adopter la législation dans les deux langues officielles s'applique aux décrets gouvernementaux pris en application de la Loi assurant e maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux (1474- et 1475-89).

Le juge Dufour distingue la notion de décret de celle de règlement qui, en tant que partie de la législation, comporte l'obligation d'être adopté dans les deux langues officielles. Pour le juge Dufour cependant tous les textes réglementaires n'ont pas l'appellation officielle de règlement et un décret pourrait avoir un caractère réglementaire. Il cite donc Garant pour définir le règlement en tant qu'acte normatif, fondé sur une loi habilitante et opérant par voie générale et impersonnelle ; ainsi le règlement a la même force contraignante que la loi.

La Cour s'inspire aussi de Borgeat et Dussault pour distinguer deux types de décrets : l'un qui s'applique au monde du travail et qui rend applicable certaines conditions de travail peut avoir une portée réglementaire tandis que l'autre constitue l'instrument décisionnel, le mode d'expression du gouvernement ou le support décisionnel pour l'adoption d'un règlement.

Ce second type de décret aurait une essence exécutive et non pas législative puisqu'il permet l'application des lois et règlements ; ainsi il ne serait pas soumis à l'obligation de l'adoption dans les deux langues.


7.2 Les obligations de la Loi sur la santé et les services sociaux et l'autonomie des établissements

En avril 1989, la direction du Centre hospitalier Cité de la santé de Laval décide de limiter l'accessibilité de ses services réservant notamment le service de l'obstétrique aux seules femmes de Laval et de quelques municipalités périphériques.

Cette décision veut solutionner le problème des effets de débordement dans les autres services de la très forte demande d'accouchements à son Centre hospitalier; il limite aussi à 3 500 le nombre d'accouchements pouvant y être faits chaque année. Déjà le Ministère et le Conseil régional avaient engagé le Centre hospitalier à agir en ce sens malgré la popularité dont jouit ce service due à sa bonne réputation et à la qualité de ses services.

Cette décision serait lourde d'impacts si elle instaurait une nouvelle approche de contingents sectoriels et régionaux à l'offre de services d'un centre hospitalier.

Le juge Jacques Vaillancourt de la Cour supérieure a décidé dans l'affaire Yvon Jasmin et autres c. Cité de la santé de Laval que l'état actuel de la législation accorde au patient le droit de fréquenter l'établissement de son choix et estime que les règlements adoptés à cet égard par le conseil d'administration sont discriminatoires créant, sans autorisation législative, deux catégories d'administrés dont l'une se voit refuser l'accès aux soins.

Reste maintenant aux gestionnaires à obtenir la modification de la loi.


7.3 Rôle du vérificateur général et privilèges de l'exécutif et du législatif

Le vérificateur général du Canada a voulu vérifier si le crédit de 1,7 milliard utilisé pour l'acquisition de Pétrofina en 1981 avait constitué une utilisation optimale des fonds publics ; demandant certains documents au ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources et à Pétro-Canada, il se les vit refuser au motif que ces documents faisaient partie des délibérations du Cabinet.

S'adressant aux tribunaux pour obtenir ce droit de consultation, le vérificateur général se fit répondre par la Cour suprême, dans l'affaire Le vérificateur général c. Le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources et al., que son seul recours résidait dans une demande à la Chambre des communes et non pas dans une demande judiciaire.

Tout différend entre le vérificateur général, mandataire du Parlement, et la Couronne est un différend entre les pouvoirs législatif et exécutif, que la loi constitutive a déjà prévu de faire arbitrer exclusivement par la Chambre des communes dans le contexte de la souveraineté du Parlement.

Cette décision situe et limite les pouvoirs du vérificateur général à l'intérieur de la volonté d'agir de la Chambre des communes; selon la Cour, c'est elle qui aurait pu prendre les moyens appropriés soit pour forcer le gouvernement à divulguer les informations soit pour engager la responsabilité des ministres concernés.

Dans la mesure où le vérificateur général du Québec se trouve dans la même position face à l'Assemblée nationale (a. 41 et ss. L.R.Q. c. V-5.01 ; et a. 7 et ss. L.R.C. c. A-17) d'une part et au gouvernement d'autre part, les principes énoncés dans la décision de la Cour suprême pourraient s'appliquer au cas québécois.




8. Les conflits de travail : l'enjeu des services essentiels

L'année 1989-1990 a été marquée par le règlement du conflit dans le réseau de la santé et des affaires sociales et par le plus dur conflit de travail de l'histoire d'Hydro-Québec, le plus long en fait depuis 1972. Ces événements, l'application de la loi 160 ainsi que la nature des ententes finales, étant relatés dans un autre chapitre de ce livre, nous nous concentrerons plutôt, comme dans la rubrique de l'an dernier, sur le rôle joué par une institution clé du cadre des négociations : le Conseil des services essentiels. En effet, une conclusion qui se dégage clairement de cette série de conflits est la profonde mésentente qui sépare les parties à propos de la définition de ce qu'est un service essentiel.

Jugeant qu'il ne pouvait laisser aux syndicats le soin de définir eux-mêmes les services qui doivent être maintenus en cas de grève, le gouvernement du Québec a créé en 1982 le Conseil des services essentiels et l'a doté depuis 1985 de pouvoirs considérables d'ordonnance et de redressement. Ces dispositions s'appliquent au premier chef aux employés des secteurs publics et parapublics - et en particulier à ceux des hôpitaux - qui accomplissent un travail d'utilité collective généralement dans le cadre d'un monopole légal.

La définition de ce qu'est un service essentiel est certainement l'un des enjeux les plus déterminants lors du déclenchement d'une grève dans le secteur public. Une définition trop étroite met en danger la protection et la sécurité du public, tandis qu'une définition très large enlève toute portée réelle à l'exercice du droit de grève par les travailleurs. Par le passé, les syndicats ont reproché aux lois (72 et 37) ainsi qu'au Conseil d'élargir de façon abusive l'étendue des services essentiels et ont contesté en Cour les pouvoirs dévolus à cet organisme, la CSN allant même jusqu'à exiger son abolition. Ce scénario connu s'est répété lors des débrayages provinciaux de l'automne 1989 dans le réseau de la santé et des services sociaux : le Conseil a jugé trop bas le seuil des services essentiels maintenu par les syndiqués en grève. Par contre, lors du conflit à Hydro-Québec, c'est plutôt au syndicat que le Conseil a donné raison.


8.1 Santé et services essentiels

Les événements se sont déroulés de façon similaire lors de chacun des quatre débrayages qui ont eu lieu à l'automne 1989. À l'annonce de la grève générale, le Conseil convoque les parties patronales et syndicales à une audition publique et constate que les règles d'acquisition du droit de grève n'ont pas toujours été respectées, et surtout que les services essentiels ne sont pas suffisamment garantis. Malgré les ordonnances émises immédiatement par le Conseil, les grèves sont maintenues dans l'illégalité pendant un certain temps. Elles se prolongent suffisamment longtemps lors des deux principaux débrayages, ceux impliquant la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ) - qui regroupe environ 40 000 membres - et la Fédération des affaires sociales (FAS-CSN) - 98 000 membres -, pour que le procureur général présente à la Cour supérieure une requête en outrage au tribunal et que la Cour supérieure condamne la FIIQ à une amende de 5 000 $, la FAS-CSN à une amende de 14500$.

Il était impossible pour ces syndicats de demeurer dans la légalité dès lors qu'ils entendaient ne pas se conformer à une définition légale des services essentiels qu'ils jugeaient abusive. Dans le cas de la FIIQ, bien que les syndicats se soient engagés auprès des employeurs à maintenir 100 % des effectifs aux urgences et aux soins intensifs, le Conseil a conclu à l'illégalité de la grève en raison du trop faible pourcentage d'effectifs (entre 0 et 40 %) maintenus dans les autres unités, au bloc opératoire et sur les étages. La FAS-CSN, elle, a voulu suivre le code d'éthique de la CSN dont les seuils ne respectent pas ceux de la loi.

C'est la première fois que les syndicats du réseau de la santé et des services sociaux défient de façon aussi systématique les ordonnances du Conseil. En 1986, les syndicats affiliés à la FTQ et à la CSN avaient maintenu leur mot d'ordre de grève, mais les infirmières avaient obtempéré à l'ordonnance du Conseil la journée même.

Pour l'année à venir, il sera intéressant de surveiller si le Conseil émettra des ordonnances prévoyant des mesures de réparation au bénéfice des utilisateurs affectés par les grèves illégales. Il n'a guère utilisé ce pouvoir par le passé : sur les 584 syndicats impliqués dans les débrayages massifs survenus au cours de l'année 19861987 dans le réseau de la santé et des services sociaux, un seul a été l'objet d'une ordonnance en réparation (Rapport annuel 1987-1988 du Conseil des services essentiels, pp. 14-15) ; totalisant 2 000 $, la réparation fut remise à une association de bénévoles.

Que les ordonnances en réparation soient si rares tient sans doute à deux facteurs. Premièrement, il semble difficile de déterminer, après coup, dans un établissement donné, le préjudice qu'une grève illégale a éventuellement causé. Deuxièmement, la quête de la paix sociale incite les dirigeants des établissements à renoncer à demander des réparations ; ils espèrent ainsi améliorer un climat de travail perturbé par les séquelles du conflit. Le Conseil s'est lui-même déclaré sensible à l'argument de la paix sociale, admettant renoncer à émettre une ordonnance en réparation lorsqu'il estime qu'elle « n'ajouterait rien à la qualité des relations de travail dans les établissements en cause » (Rapport annuel 1987-1988 du Conseil des services essentiels, p. 15).


8.2 Électricité et services essentiels

Le conflit qui a durement perturbé la grande société d'État québécoise a impliqué ses 15 000 techniciens, employés de bureau et gens de métier. Il s'est prolongé pendant dix-huit mois, marqué par différentes grèves régionales entre juin et octobre 1989, et maintenu presque sans interruption du 6 novembre au 4 mai. C'est l'adoption par l'Assemblée nationale de la Loi assurant la continuité des services d'électricité d'Hydro-Québec qui a mis fin au conflit. Elle accorde moins aux travailleurs que l'offre finale du conciliateur, offre que le syndicat avait acceptée à la onzième heure. Bien que le conflit ait donné lieu à des saccages de bureaux, des escarmouches entre grévistes et policiers et des refus illégaux de travailler, la grève est demeurée légale, et ce justement parce que les syndicats ont pu maintenir l'entente ave le Conseil des services essentiels, au grand dam de la partie patronale. Plusieurs problèmes d'interprétation et d'application des services essentiels n'ont cessé de se poser tout au long du conflit, de sorte que l'intervention quotidienne et constante du médiateur du Conseil a été requise, et qu'il a fallu procéder à pas moins de huit auditions publiques entre octobre et mai.

C'était la première fois depuis sa création en 1982 que le Conseil devait se pencher sur la notion de services essentiels en matière de fourniture électrique.

Le conflit dans les services de santé mettait en cause l'urgence quotidienne d'un service : qu'est-ce qui n'est pas essentiel dans le fonctionnement quotidien d'un hôpital ? Le conflit d'Hydro-Québec a surtout posé le problème de la continuité du service : les arrêts de travail, tolérables aujourd'hui, mettront-ils demain en danger la sécurité du public ? La direction d'Hydro-Québec n'a cessé de porter le débat sur ce terrain, faisant valoir devant le Conseil que les millions d'heures d'ouvrage perdues par ses ouvriers d'entretien allaient entraîner de réelles difficultés d'alimentation dès l'hiver prochain. C'est surtout en s'alarmant de cet avenir incertain que la direction d'Hydro-Québec a demandé au moins une quinzaine de fois au Conseil d'émettre des ordonnances exigeant la suppression des moyens de pression.

À une occasion en particulier, en octobre, le Conseil a effectivement recommandé à la partie syndicale de surseoir à la grève projetée et d'élever le seuil des services maintenus. Les syndicats se sont immédiatement conformés à la décision, avant de revenir quelques semaines plus tard avec une liste de services acceptable pour le Conseil, mais toujours irrecevable selon la direction. La liste acceptée prévoyait des seuils de services « minimums » et « maximums » offerts à tour de rôle selon les jours et les régions.

En somme, la comparaison entre les deux grands conflits de l'année, celui du réseau de la santé et celui d'Hydro-Québec, laisse penser que la partie patronale est sur un terrain solide quand les préjudices subis par le public ont un caractère immédiat facilement démontrable. Le Conseil des services essentiels hésitera à engager son autorité quand les craintes patronales sont exprimées au nom d'un avenir imprévisible. Il est clair, en tout cas, que la définition de ce qu'est un service essentiel demeurera, dans l'esprit de chaque intervenant, un enjeu central du rapport de force lors du prochain renouvellement des conventions collectives.




Conclusion

L'année 1989-1990 marque la fin d'un mandat pour Robert Bourassa et le début d'un nouveau. Elle fait bien ressortir l'orientation gestionnaire d'un gouvernement parvenu à sa maturité, auquel on avait accolé à ses débuts une étiquette néo-libérale. On anticipait alors, à la suite des rapports Gobeil, Fortier et Scowen, différentes mesures visant à alléger la bureaucratie. Certaines parmi les plus importantes ont fait long feu. La cause est entendue, il n'y aura pas de démantèlement de l'État : tant les privatisations que les coupes dans les effectifs et les organismes ne sont plus à l'ordre du jour. Par contre, une politique de tarification mettant en cause la gratuité de plusieurs services parait se mettre en place. Enfin, en tant qu'employeur, le gouvernement parait résolu à ne pas sortir de son cadre budgétaire, à faire face à la pression syndicale et à maintenir l'exercice du droit de grève dans le cadre légal.




Bibliographie

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DION, Stéphane et GOW, James lain, « L'administration québécoise à l'heure des libéraux », in MONIÈRE, Denis, L'année politique 1987-1988 au Québec, Montréal, Le Devoir-Québec/Amérique, 1989.

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TULLOCK, G., Le marché politique : analyse économique des processus politiques, Paris, Économica, 1978.



Jurisprudences citées :

- Syndicat des infirmières et infirmiers de l'hôpital de Chicoutimi c. hôpital de Chicoutimi, 150-05.000566-895, Cour supérieure, Chicoutimi, J.J. Dufour, 25 pages.

- Yvon Jasmin et autres c. Cité de la santé de Laval [1990] RJ.Q. 502-511, Cour supérieure, J. Vaillancourt.

- Le vérificateur général c. le Ministre de l'Energie, des Mines et des Ressources [19891 2 R.C.S., 49-111.




Note(s)

1.  Ce tableau a été constitué à partir des sources suivantes : Évolution de l'effectif de la fonction publique du Québec de 1985 à 1988, Office des ressources humaines, octobre 1989 ; La gestion des ressources humaines dans la fonction publique. Rapport synthèse, Secrétariat du Conseil du trésor, novembre 1989 ; Le personnel d'encadrement des ministères et des organismes assujettis à la loi de la fonction publique, Office des ressources humaines, 1986; Présence des femmes et des hommes dans la fonction publique du Québec, vol. 1 (1980) à 9 (1987), ministère de la Fonction publique et Office des ressources humaines ; Portrait statistique de l'effectif régulier de la fonction publique du Québec, Office des ressources humaines, vol. 1 (1988) et 2 (1989).

2.  Les années sont à jour le 31 mars.

3.  Rapport du Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales, gouvernement du Québec, mai 1986, p. 40.

4.  Cinquième rapport sur les constatations de l'IRIR, Institut de recherche et d'information sur la rémunération, novembre 1989.