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Les relations internationales



Paul-André Comeau


L'année politique au Québec 1989-1990

· Rubrique : Les relations extérieures



En quelques mois, l'Europe est redevenue le centre du monde. Au début de ce siècle, « douze mois ébranlèrent le monde », selon le mot d'un historien de la Révolution bolchévique. À l'automne 1989, il a suffi de quelques grandioses marches pacifiques dans les rues de certaines villes de la République démocratique allemande pour que le rempart des satellites de l'URSS s'écroule comme un château de sable au retour de la marée.

Les historiens auront beaucoup à faire pour expliquer l'ensemble de ces événements. À défaut de certitudes, force est de se rabattre sur les événements-charnière qui ont jalonné cet incroyable automne 1989. C'est vraisemblablement la décision du gouvernement tchécoslovaque d'ouvrir ses frontières et de laisser partir des milliers d'Allemands de l'Est, réfugiés dans diverses ambassades occidentales, qui a effectivement enclenché un processus, imprévisible quelques mois plus tôt. Le départ de ces réfugiés vers la RFA a en quelque sorte préfiguré le mouvement qui allait chasser les communistes du pouvoir dans la plupart des capitales des républiques populaires.

Au Québec, l'année écoulée aura également été marquée par un événement intérieur dont les ondes de choc, peut-être moins spectaculaires, auront tout de même été ressenties dans plusieurs capitales occidentales, à commencer par Washington. L'échec, à la vingt-troisième heure, des accords du lac Meech, a relancé, une seconde fois en moins de dix ans, tout le débat, toute la problématique du statut constitutionnel du Québec. Ce dernier est de nouveau propulsé à l'avant-scène de l'actualité. Toutes les télévisions du monde occidental ont diffusé, dans leurs bulletins d'information, les images spectaculaires et sereines du défilé de la Saint-Jean dans les rues de Montréal. Le Québec, assoupi depuis le référendum de 1980, est subitement redevenu objet d'intérêt, à tout le moins de curiosité.

Ces deux événements, ces deux chocs, le Québec a tenté, a été forcé de les intégrer dans le cours de sa quasi-diplomatie, selon une expression curieuse et pusillanime, tout à la fois. En fait, il serait plus exact de parler de « réactions » à ces deux événements qui partagent un poids analogue de surprise et d'émotion. On a tellement épilogué depuis quelques mois sur le caractère totalement imprévisible de la disparition du mur de Berlin qu'il paraît oiseux d'y revenir. De même, le sabordage de l'entente constitutionnelle intervenue au lac Meech au printemps 1987 a bouleversé tous les calculs, anéanti tous les espoirs encore entretenus, contre vents et marées, par le gouvernement du Québec.

Tâtonnements et improvisation ont, par voie de conséquences, été au rendez-vous des mouvements et décisions du Québec à l'intérieur de sa sphère d'action en milieu international plus ou moins délimitée, il y a maintenant un quart de siècle. C'est d'ailleurs l'hiver dernier qu'a été rappelée sobrement la conclusion du premier « accord » international signé par le Québec au tout début des retrouvailles avec l'ancienne mère-patrie.

Cette rétrospective emprunte de nécessité ces deux voies - réactions aux bouleversements européens et aux surprises internes. Elle vise aussi à cerner le cheminement de l'opinion publique au Québec en regard de ces événements et à en supputer les conséquences sur l'appareil gouvernemental, à commencer par le Ministère des Affaires internationales.



L'année de tous les changements

Les Québécois ont été les témoins médusés des événements qui se succédaient en cascade de l'autre côté de l'Atlantique. Ils ont même failli intervenir, de façon bien modeste il est vrai, dans ce gigantesque processus de remise en question d'un ordre hérité du lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais le Parti québécois n'a pas réussi à obtenir le consentement unanime de l'Assemblée nationale en vue de l'adoption d'une motion « pour exprimer sa solidarité et ses voeux aux peuples de l'Europe de l'Est » (5 décembre 1989). A défaut d'une telle démarche symbolique, le regard du Québec vers le monde a été captivé par l'audace de ces populations.

La diplomatie québécoise ne laisse pas de surprendre les observateurs. Jeune au point de chercher encore des précédents à la moindre initiative, elle est pourtant et curieusement riche de déclarations d'intention, de remises à jour, de nouveaux cours. L'arrivée d'un nouveau titulaire à la tête du Ministère responsable - au titre aussi volage que les modes du siècle - amène presque inévitablement la préparation de pareil document. Volonté de laisser sa griffe ou nécessité de corriger un tir erroné ou trop ambitieux, la démarche emprunte souvent à l'un et l'autre objectifs.

Le nouveau patron du « Ministère des Affaires internationales », M. John Ciaccia n'a pas échappé à cette constante. Peu de temps après sa nomination à ce poste, il annonce l'élaboration d'une nouvelle politique basée sur une approche des intérêts et objectifs du Québec (24 novembre 1989). De façon très précise, il justifie cette démarche par l'ampleur et la rapidité des changements à l'Est. Il réitère de cet arrangement à la faveur d'une longue interview accordée au Devoir, le 28 décembre et le reprend de façon presque solennelle lors de l'examen des crédits de son ministère, le 23 mai 1990.

Dans l'attente de ce document en voie d'élaboration au Ministère, il est impossible d'imaginer comment s'articulera la démarche internationale du Québec d'après le lac Meech en regard du mouvement d'affirmation nationale des anciennes démocraties populaires, encore moins de l'URSS. Néanmoins, on peut dégager certaines lignes de forces des démarches empiriques poursuivies ces derniers mois dans ces pays situés, il y a peu de temps encore, « derrière le rideau de fer ».

Placés sous le signe de la nouveauté, ces premiers contacts avec certains pays de l'Est vont, dès le coup d'envoi, bien au-delà des échanges techniques et traditionnels déjà établis, notamment avec l'URSS. Inscrites à l'enseigne des relations entre Moscou et Ottawa, ces manifestations se limitent habituellement au domaine culturel (visites d'artistes et d'écrivains) ou universitaire (colloques et stages d'enseignement), sans pour autant négliger certain type de transactions commerciales. Sous l'effet du vent nouveau qui souffle à l'Est, on innove carrément. À preuve :

Ces entretiens dépassent heureusement le stade des simples démarches de politesse, ou, pis encore, de la banale curiosité. Le Québec et ses nouveaux partenaires jettent immédiatement les bases de certaines formes de coopération. C'est le cas notamment avec la Hongrie. On établit même des groupes de travail conjoints entre Québec et Prague, qui donneront un sens concret à une démarche encore exploratoire.

Peu à peu, on voit s'esquisser une série de pistes qui devraient normalement orienter le développement d'une forme intéressante, peut-être même importante de coopération. Avec la Hongrie, on vise immédiatement la mise en place d'un dialogue entre entreprises du Québec et les premières émanations de l'entrepreneurship magyar. En Tchécoslovaquie, une mission d'une trentaine d'hommes d'affaires, d'universitaires et de chercheurs accompagne le ministre Ciaccia. On identifie rapidement des centres d'intérêt communs : secteur des pâtes et papier, énergie, biotechnique, télécommunication et agroalimentaire. Le groupe mixte y articule son mandat de travail.

D'un même souffle, le gouvernement du Québec s'interroge presque à voix haute sur la forme de cette coopération naissante, sur les modalités à mettre en oeuvre. Faut-il se contenter d'assurer ces nouveaux liens en confiant des responsabilités accrues à la Délégation de Dusseldorf, voire même à celle de Stockholm, quitte à y dépêcher de nouveaux fonctionnaires ? C'est la suggestion que fait carrément le ministre Gérard Tremblay durant son séjour à Moscou -à la stupéfaction d'ailleurs de l'ambassadeur canadien en URSS.

Le ministre Ciaccia innove, à son retour de Prague, en préconisant l'ouverture de « vitrines » du Québec. Concept un peu vague, ces vitrines devraient faciliter aux industriels et entrepreneurs des pays de l'Est la découverte des possibilités de coopération ou d'exportation. C'est ce à quoi M. Ciaccia destinerait la « maison du Québec » envisagée à Prague, mais sans plus.

Innovation plus surprenante, le Québec et la France conviennent, dès janvier 1990, de créer un comité doté du seul mandat d'examiner le rôle de la « francophonie » dans le cheminement de certains pays de l'Est - Roumanie, Pologne, Tchécoslovaquie notamment. Au-delà des coups de coeur, visibles et perceptibles au moment du renversement du régime de Ceaucescu, il y a donc volonté de miser sur les liens tissés par la langue et la culture françaises.

Toutes ces pistes, tous ces projets de chancellerie s'inscrivent à l'évidence dans le mouvement de sympathie qui a ému l'Occident. Le projet de politique globale du ministre Ciaccia parviendra-t-il à intégrer ce foisonnement de projets et d'idées dans un ensemble cohérent ? A ce moment-ci, on n'a pas encore franchi l'étape des intentions généreuses.




L'échec des accords du lac Meech

À l'égard de l'échec des accords du lac Meech, l'imprécision demeure encore la norme. Le choc ne paraît pas avoir été enregistré dans toute son amplitude pour qu'on songe à en dégager certaines conséquences, encore moins certain infléchissement du message résolument procanadien, pro-fédéraliste véhiculé officiellement par Québec et ses émissaires à l'étranger.

À l'extérieur du pays cette affaire n'est pas passée inaperçue. Le Québec, on le disait en catimini, avait cessé d'être intéressant dès le lendemain du référendum de mai 1980. Et puis subitement, tout est remis en question d'une façon imprévue. Il suffit de signaler qu'aux environs de la Saint-Jean-Baptiste, on a vu débarquer ici plus de correspondants de presse qu'au cours des cinq ou six dernières années prises ensemble. Des événements, moins intéressants, plus dramatiques les ramèneront ici pour rendre compte de la crise d'Oka.

Même regain d'intérêt chez les diplomates en poste à Montréal, Québec et Ottawa. Ces derniers multiplient les rencontres auprès des acteurs politiques, sollicitent l'avis des journalistes, se font plus présents auprès des leaders du monde des affaires.

Leur curiosité avait d'ailleurs été avivée par la petite phrase tombée de la bouche du Premier ministre du Québec durant son périple européen au début de l'année. Devant des hommes d'affaires d'Allemagne de l'Ouest inquiets de l'évolution du Québec, M. Bourassa ne s'est pas contenté de réaffirmer l'objectif prioritaire de la stabilité économique. Il a évoqué la possibilité de doter le Canada et le Québec d'une « superstructure » inspirée du modèle européen. Cette allusion aux institutions de la CEE a intrigué non seulement les observateurs étrangers, mais la plupart des Québécois eux-mêmes.

Mais c'est surtout du côté des États-Unis que se manifeste le plus visiblement cette préoccupation nouvelle à l'endroit d'un Québec qu'on croyait assoupi après deux décennies d'une exceptionnelle turbulence. Coïncidence significative, le journaliste Jean-François Lisée publie, le printemps dernier, un ouvrage important qui constitue, à la limite, une grille d'interprétation de la diplomatie américaine à l'égard du Québec. Dans l'oeil de l'aigle retrace l'histoire des relations imprécises entre Québec et Washington. Cet ouvrage historique est immédiatement sollicité dans l'espoir de décoder les signaux en provenance de l'autre côté de la frontière.

Cette fois-ci, c'est le monde de la grande finance, des affaires qui a d'abord prêté oreille au débat déclenché par la lente agonie de l'entente qui aurait dû permettre au Québec d'adhérer à la Loi constitutionnelle de 1982. La société Merryl Lynch devait tenter le premier de ces coups de sonde. À l'opposé de ce qui avait tissé la chronique des années 1976-1980, de nombreux analystes américains, relayés par leurs collègues canadiens, n'écartent plus la possibilité de voir le Québec accéder, sans catastrophe économique, sans crise fondamentale, à une forme ou l'autre de quasi-souveraineté.

Surprise de taille, le New York Times publie une interview de l'économiste John Kenneth Galbraith qui reprend et explicite cette thèse. L'interview paraît, à la une, le dimanche 24 juin, quelques heures à peine après la consommation de l'échec de la tentative de révision constitutionnelle. Le revirement est révélateur. De l'hostilité franche envers les projets d'émancipation du Québec, le grand quotidien américain se résigne à une forme de neutralité. Et le messager de cette nouvelle n'est pas seulement l'un des économistes les plus cotés aux États-Unis, il est aussi Canadien anglais d'origine...

Le Premier ministre du Québec songe, lui aussi, aux voisins du sud lorsqu'il prononce son allocution, le 23 juin, pour dégager les premières conclusions de l'échec de cette démarche engagée dès mai 1986. Il tente de rassurer les investisseurs étrangers - entendons par là : les Américains. Il répète trois fois plutôt que deux que sa résolution est de ne rien entreprendre qui compromettrait la sécurité économique des Québécois.

Et, pour mieux graver son message, il dépêche illico son ministre des Affaires internationales qui rencontre dans la métropole des États-Unis les grands noms de la finance et de l'économie. Il y a à cet égard convergence objective des démarches également lancées par Ottawa en direction de ces mêmes milieux. Le message est apparemment bien reçu : le dollar canadien ne fléchit aucunement, alors que la simple menace de la non-ratification du traité de libre-échange entre les États-Unis et le Canada avait entraîné une chute significative, quelques années plus tôt.

Ailleurs, les représentants du Québec profitent de la traditionnelle réception du 24 juin pour relayer les propos du Premier ministre. Ils ont mission d'apaiser certaines craintes perçues depuis quelque temps. C'est le cas notamment en Allemagne fédérale d'où avaient été émises des appréciations très négatives quant aux chances de l'économie québécoise, c'est le cas, à un moindre degré, aux Pays-Bas. Partout ailleurs, les diplomates vont au renseignement. Mais les signaux émis des États-Unis ont semblé être captés un peu partout.

Au-delà de ces réactions immédiates, le cours de la diplomatie québécoise ne parait pas avoir été infléchi d'une façon ou de l'autre. En cette fin d'été 90, on attend avec une certaine impatience, ici comme à l'étranger, le nouvel énoncé de politique québécoise en matière de relations internationales. Le défi est ambitieux et lourd tout à la fois, qui vise à dégager les conséquences des grands bouleversements des douze mois écoulés.




Les axes traditionnels

Pas de flonflon, pas de cérémonie particulière pour souligner le quart de siècle de l'irruption du Québec sur la scène internationale. Le 27 février 1965, les Ministres de l'Éducation de France et du Québec, MM. Christian Fouchet et Paul Gérin-Lajoie, signaient un accord pudiquement baptisé « entente ». Après l'ouverture de la Délégation générale du Québec à Paris, le rapprochement franco-québécois progressait ainsi d'un autre cran, au grand dam d'Ottawa.

Si le Québec dispose aujourd'hui d'une certaine marge de manoeuvre sur le plan international, on doit en imputer un certain crédit à cet accord historique. On l'oublie facilement, c'est dans le sillage de cette entreprise conjointe, audacieuse à l'époque, qu'a été formulée la « doctrine » québécoise où asseoir juridiquement les agirs dans le domaine international. Énoncée et explicitée à l'époque par le ministre Paul Gérin-Lajoie, lui-même brillant constitutionnaliste, la théorie du prolongement extérieur des compétences exclusives du Québec tient toujours lieu de justification juridique aux initiatives québécoises à l'étranger. Cette théorie, elle aussi, a franchi le cap des 25 ans d'existence.

Officiellement, c'était à la faveur de la visite, début septembre 90, du Premier ministre de France, M. Michel Rocard, que devaient être soulignés ces 25 ans d'une coopération originale et, à bien des égards, foncièrement utile. Mais cette visite a été annulée en raison des événements d'Oka à la demande, semble-t-il, des autorités québécoises.

Bon an, mal an, c'est toujours vers la France que s'oriente la majeure partie des activités du Québec au chapitre des activités internationales. L'été 89 s'était d'ailleurs achevé sur une note plus ou moins discordante. La publication d'un rapport sur la télévision, sous l'autorité du Ministre de la Francophonie, M. Alain Decaux, avait laissé plané des doutes quant à l'avenir de TV-5, le réseau international de langue française, selon le slogan publicitaire. Devant les pressions orchestrées aussi bien au Québec qu'en Belgique, le gouvernement français s'est efforcé de rassurer ses partenaires au sein de cette entreprise issue des Sommets de Québec et de Paris : l'expérience TV-5 ne serait pas sabordée. Même aboutissement heureux en ce qui concerne la mise au point d'un accord qui préserve aux coproductions cinématographiques franco-québécoises un statut privilégié. Accord important et prévision des dispositions décrétées par la Communauté économique européenne à l'aube de 1992.

Un incident, lourd de signification, a pourtant alimenté la chronique et nourri bien des interprétations pessimistes, à tout le moins inquiètes au sujet des relations franco-québécoises. En mars 1990, le quotidien La Presse publiait de grandes lignes d'un mémoire rédigé par un fonctionnaire du Quai d'Orsay, en détachement auprès de l'Agence de coopération culturelle et technique des pays francophones (ACCT). Rapport de fin de mandat, ce document contient des passages accablants pour le Québec et le Canada. L'auteur, M. Jean-Louis Corbel, y dénonce le jeu peu glorieux que pratiqueraient les diplomates de Québec et d'Ottawa à l'intérieur de la francophonie, dans leurs relations avec la France.

« Coulé » au Québec, ce document interne a soulevé une certaine émotion dans les milieux intéressés. Aussi, s'empresse-t-on de minimiser la portée d'un rapport rédigé, précise-t-on, par un simple fonctionnaire qui ne refléterait aucunement la pensée du Quai d'Orsay. Certains diplomates français en poste au Canada se joignent eux aussi à cette entreprise pour minimiser les dégâts.

Il serait enfantin de croire au caractère accidentel de l'arrivée de ce rapport au Québec. Cet incident traduit en fait la mauvaise humeur des milieux français devant l'attitude adoptée et par Ottawa et par Québec lors de l'élection du secrétaire-général de l'ACCT. M. Jean-Louis Roy, ancien directeur du Devoir et ex-délégué général du Québec à Paris, a été porté à ce poste à la faveur d'une campagne vigoureuse menée par les émissaires du gouvernement fédéral canadien. Campagne qui ne s'est jamais démentie et qui s'est même poursuivie, de façon surprenante, lors du scrutin lui-même, à Ottawa, en décembre 1989.

Le tandem Québec-Canada, où Ottawa a tôt pris le leadership, a présenté, soutenu et défendu la candidature de M. Roy contre celle de M. Roger-Dehaybe, commissaire aux relations internationales de la Communauté française de Belgique (l'équivalent québécois du sous-ministre aux Affaires internationales). Cette dernière candidature, soutenue officiellement par le gouvernement français, respectait le principe de l'alternance géographique déjà accepté au sein de l'Agence. Malgré les signaux de moins en moins discrets émis aussi bien de Paris que de Bruxelles, Ottawa et Québec ont fait la sourde oreille.

Officiellement, le gouvernement français ne tient pas rigueur ni à Ottawa, ni à Québec pour le zèle témoigné lors de ce scrutin décidément hors les pratiques diplomatiques. C'est du moins ce que laissait clairement entendre en janvier dernier, deux mois avant l'incident Corbel, le ministre Ciaccia, à sa sortie du Quai D'Orsay.

Même son de cloche, tout aussi officiel du côté de Bruxelles où l'incident a laissé un goût amer chez certains fonctionnaires particulièrement sympathiques aux thèses québécoises. En tout cas, telle a été, semble-t-il, la consigne lors de la visite au Québec, en mars 1990, du Ministre-Président de la région de Bruxelles-Capitale -dernière entité politique qui achève la mise en place d'un fédéralisme très complexe dans l'ancien État unitaire belge. On pourra mieux évaluer l'impact de cet incident lors de la visite, début septembre 1990, du Premier ministre de Belgique, M. Wilfried Martens, et de son Ministre des Affaires étrangères, M. Marc Eyskens...

Le Premier ministre du Québec, lui, n'a pas dérogé au rituel de son périple européen annuel. Fin janvier 1990, il s'est rendu à Londres, en Allemagne fédérale, y compris à Berlin, en Suisse et en Hongrie. Au menu de ce voyage : des entretiens avec les autorités politiques (à divers niveau selon les pays), mais aussi séances d'information et de travail en compagnie de représentants des milieux économiques et financiers. C'est d'ailleurs ce dernier aspect qui a été mis de l'avant par le Premier ministre lui-même et repris à satiété par la presse d'ici. Mais cette priorité accordée à la recherche d'investissements n'a pas suffi pour réduire la portée de l'allusion à la « superstructure ».

Toujours en Europe occidentale, l'Italie s'est imposée au rang d'interlocuteur actif au cours de l'année achevée. Un premier accord Québec-Rome a été signé en novembre 89 à Montréal par un membre du gouvernement de Rome au terme d'une « semaine italienne ». Par la suite, le ministre John Ciaccia s'est rendu en Italie prolonger un dialogue qui semble s'être hissé d'un cran.

Ce volet européen des activités internationales du Québec ne se dément guère d'année en année. Et ce, à l'encontre des souhaits périodiquement formulés, depuis 7 ou 8 ans, par les différents titulaires du ministère de tutelle. C'est vers Washington, suggèrent-ils avec insistance, que devrait d'abord lorgner le Québec de cette fin de siècle. Les États-Unis se sont peut-être un peu plus intéressés au « cas québécois » à la faveur de la saga des accords du lac Meech, mais rien n'est fondamentalement changé au chapitre des relations tranquilles et souvent anonymes entre le Québec et le voisin du sud.

Que signaler sur ce front ? Rien de très nouveau, sauf, au début de l'été, un développement intéressant en vue de la vente massive d'hydroélectricité aux États de la Nouvelle-Angleterre : deux projets de loi sont disparus à la fin de la session des législatures du Vermont et de New-York, inscrits à l'insistance des écologistes et des alliés des autochtones québécois.

La signature, en novembre 89, d'un accord culturel entre le Québec et le New Hampshire ne changera sans doute pas le cours de l'histoire. L'événement mérite d'être rapporté en raison de l'importante présence de Franco-Américains dans cet État de la Nouvelle-Angleterre. Les hasards de l'édition ont d'ailleurs permis la publication presque simultanée à Paris et à Québec de deux intéressants ouvrages consacrés à l'épopée de ces mêmes Franco-Américains, ces Québécois exilés en Nouvelle-Angleterre entre 1860 et 1930.

Toujours en Nouvelle-Angleterre, la session annuelle de la Conférence des Gouverneurs des États de la Nouvelle-Angleterre et des Premiers ministres de l'Est du Canada a constitué, en juin dernier, un événement médiatique surprenant : la rencontre a coïncidé avec la mort des accords Meech. L'actualité constitutionnelle du Canada a coloré différemment ces délibérations canado-américaines.

La mise en perspective de ces relations bilatérales laisse deviner l'étroitesse de l'autre dimension de l'activité québécoise sur la scène internationale. C'est évidemment à l'intérieur de la francophonie que cette activité se déploie de façon constante et intéressante, même si elle n'est pas toujours spectaculaire.

Dans l'attente de la prochaine rencontre des chefs d'État ou de gouvernement « des pays ayant en commun l'usage du français » à Kinshasa, au Zaïre, fonctionnaires et autres intervenants tentent de traduire dans les faits la kyrielle de projets adoptés à Dakar en mai 1989. C'est d'ailleurs en prévision de ce prochain sommet que le premier ministre du Québec a désigné comme « sherpa » M. Ronald Poupart, l'un de ses plus fidèles collaborateurs.

Aucune percée significative auprès des autres institutions internationales vers lesquelles pourrait lorgner le Québec, si ce n'est la nomination au poste de directrice-générale adjointe à l'UNESCO (responsable du secteur des sciences sociales) de Mme Francine Fournier, ancienne présidente de la Commission des droits de la personne du Québec.

Au moment où les négociations de « l'Uruguay round » entrent dans leur phase finale, le Québec a essuyé un demi-échec dans sa tentative d'être associé aux travaux du GATT. Avec superbe, le Ministre du Commerce extérieur du Canada, M. John Crosbie, a défini le type de relations entre Québec et Ottawa en marge des travaux du GATT : « Leur rôle (i.e. les provinces), a-t-il déclaré le 11 mai 1989, c'est d'être conseillées et d'être prévenues, tout comme, nous a-t-on dit, la reine Victoria et la monarchie avaient le droit d'être consultées, d'être conseillées et d'être prévenues ». Rien de moins.

Bref, n'eût été de l'incident Corbel, l'année aurait été plutôt calme, pour ne pas dire terne...




Diplomatie et opinion publique

Cette rétrospective ne doit pas faire illusion, ni masquer la réalité : cette dimension de l'activité gouvernementale ne fait pas recette. Exception faite de certains temps forts, comme les tournées à l'étranger du Premier ministre, les « affaires internationales » du Québec font rarement la manchette.

Ainsi, durant la campagne électorale de l'été 89, ce volet a été complètement écarté des discours, interventions ou débats. Ce n'est pas tout à fait exact, puisqu'il faut signaler un aspect de l'invraisemblable débat sur le sort des BPC de Saint-Basile-le-Grand. Mérites et inconvénients des pays d'accueil de ces produits contaminés ont été abordés timidement par certains candidats, discutés ad infinitum par des écologistes, par des activistes. Mais rien de plus !

Durant la session de l'Assemblée nationale, les députés ont maintenu la barre au plus bas niveau possible. Si l'on oublie le projet de motion qui aurait salué la libération des pays d'Europe de l'Est, ils ont conservé le silence absolu sur les activités internationales du Québec. Pas la moindre question, aucune demande d'éclaircissement.

À l'occasion de l'examen annuel des crédits du Ministère des Affaires internationales par la Commission des institutions de l'Assemblée, le rituel n'a guère été modifié. Le discours liminaire du ministre John Ciaccia a été suivi d'une riposte bien peu énergique du critique de l'opposition en la matière, le député Jacques Brassard, Et la presse, captivée par les péripéties de Meech, a consacré quelques lignes à peine à cette séance annuelle qui devrait théoriquement permettre non seulement de prendre le pouls du Québec international, mais de proposer de nouvelles pistes, d'indiquer des explorations à tenter.

Les Québécois eux ont suivi avec curiosité et intérêt le grand mouvement de libération des pays de l'Est. On a relevé un mouvement de sympathie accrue au moment des événements de Timisoara et de Bucarest. Il n'est pas exagéré d'en imputer un certain crédit à la chaîne TV-5 qui relayait à cette occasion les émissions spéciales produites en France, alors que les réseaux américains n'avaient d'yeux que pour l'intervention à Panama des troupes américaines.

Intérêt également pour le fait international mais cette fois-ci concentré dans le milieu des affaires dans son acception la plus large. Au coeur de ces préoccupations : la mise en place du Marché unique en Europe, à la veille de 1993. Prolifération de colloques sur le sujet, séminaires de haut niveau, missions en Europe témoignent de cette préoccupation nouvelle qui prend en quelque sorte le relais de l'engouement manifesté en faveur du libre-échange canado-américain.

La petite fonction diplomatique du Québec n'a pas été placée sous le feu des projecteurs de l'actualité. Sous la responsabilité de son nouveau titulaire, le ministère des Affaires internationales a achevé la digestion de la fusion des Relations internationales et du Commerce extérieur. Le transfert à Montréal d'un certain nombre de directions est maintenant achevé. Le personnel supérieur du Ministère a été renouvelé, en grande partie, en commençant par la désignation d'un nouveau sous-ministre en titre, M. Renaud Caron.

Quant au réseau des Délégations à l'étranger, il n'a pas encore fait l'objet des réaménagements appréciables que proposait le rapport Bergeron, commandé par l'ancien patron du Ministère, M. Paul Gobeil. Etape sans doute liée à la publication du nouvel énoncé de politique...

Le principal poste à l'étranger de la diplomatie québécoise demeure encore sans titulaire depuis le départ de M. Jean-Louis Roy qui avait été nommé Délégué général du Québec à l'hiver 1986. L'ancien sous-ministre, M. Marcel Bergeron, remplit l'intérim dans la capitale française depuis janvier 1990. De mauvaises langues prêtent maintenant l'intention au Premier ministre du Québec de renoncer au projet de déléguer à Paris une personnalité du monde des affaires. Les critiques formulées au lendemain des nominations partisanes à la tête de certaines délégations - l'ancien Président de l'Assemblée nationale, M. Pierre Laurin à Bruxelles; l'ancien député Gérard Latulippe à Mexico - expliquent sans doute cette prudence retrouvée.

En un mot, du début de la campagne électorale de l'été 89 à l'affrontement à Oka entre autochtones et agents de la Sûreté du Québec, la participation québécoise au fait international s'est inscrite à l'enseigne de la réaction (au sens physique du terme). Les bouleversements à l'Est, l'échec des accords de Meech ont imposé rythmes et domaines à la classe politique, aux artisans de la quasi-diplomatie québécoise. Peut-être le nouvel énoncé de politique, attendu cet automne, donnera-t-il forme, au chapitre de l'activité internationale, à une vision plus globale, mieux arrimée à l'effort de redéfinition par le Québec.