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La vie des partis



Jean Crête
Université Laval


L'année politique au Québec 1989-1990

· Rubrique : La vie des partis



En 1989-1990, l'événement majeur pour tous les partis politiques québécois fut la tenue des élections générales le 25 septembre 1989. Si pour certains partis les élections sont le seul moment où ils sont actifs, pour d'autres au contraire, les élections, tout en marquant le point fort de leurs activités, ne sont qu'un événement dans un processus qui se déroule à longueur d'année. Le processus tout autant que le choix électoral détermine la qualité de la vie démocratique.



L'organisation

Pour pouvoir poursuivre des activités propres aux partis politiques, comme par exemple présenter des candidats aux élections ou encourir des dépenses électorales, toute organisation doit être reconnue par le Directeur général des élections et accréditée comme parti politique autorisé. Au 31 décembre 1989, le Directeur général des élections reconnaissait en vertu de la loi électorale 16 partis politiques (la liste est produite dans le chapitre « Profil du Québec »). Au cours de l'automne, il avait retiré son autorisation à quatre organisations : Action-Québec, La belle province de Québec, le Parti humaniste du Québec et le Parti J'en arrache. Au printemps 1990 le Parti 51, parti prônant le rattachement du Québec aux États-Unis d'Amérique, annonçait qu'il demanderait au Directeur des élections de dissoudre légalement l'organisation qui n'avait plus assez de membres pour former un exécutif.

Si, au départ, ces 16 partis ont la même reconnaissance légale, ils n'en ont pas pour autant les mêmes caractéristiques organisationnelles et les mêmes ressources. On peut se faire une idée de la force de l'organisation des différents partis en notant combien de candidats chaque parti a été capable de présenter lors des élections générales. Bien sûr les deux grands partis, le Parti libéral et le Parti québécois, ont présenté des candidats dans les 125 circonscriptions que comptait la carte électorale de 1989. Le Nouveau parti démocratique a présenté des candidats dans moins de la moitié des cas (55), suivi du Parti vert dans 46 circonscriptions, du Parti marxisteléniniste dans 30 circonscriptions, du Parti des travailleurs du Québec et du Parti égalité dans 19 chacun, du Parti unité dans 16, du Parti indépendantiste et du Parti progressiste-conservateur dans 12 chacun, alors que tous les autres petits partis n'en présentaient que dans moins de dix pour cent des circonscriptions. Autant dire que les deux grands partis ne sont pas menacés par ces tiers partis.




Les programmes

En juin 1989, le Conseil général du PLQ réunissait 600 délégués pour adopter le programme devant servir à constituer la plate-forme électorale du parti. Les résolutions portaient sur l'économie (formation de la main-d'oeuvre), l'environnement (rappel du principe du pollueur-payeur) et la démographie (politique familiale et francisation des immigrants). Ces résolutions se retrouvent dans un manifeste intitulé Une richesse à renouveler.

Au cours de la campagne électorale, le PLQ a ajouté et précisé certains autres points à son programme. S'agissant de l'agriculture, le PLQ propose de mettre en place un système de certification des produits biologiques comme le poulet de grain de même qu'un programme d'appui technique pour les agriculteurs s'adonnant à ce type d'agriculture. Le parti propose aussi de créer pour les agriculteurs un régime de retraite privé adapté à leur situation particulière. En matière d'emploi dans la fonction publique, le PLQ se propose d'établir un quota d'au moins 12 % des nouvelles embauches réservé aux membres de groupes ethniques.

Pour stimuler les activités de recherche et développement, le PLQ propose la mise sur pied d'un programme par lequel les individus qui investiraient dans ces activités jouiraient d'avantages fiscaux. En matière de politique familiale, le parti propose d'améliorer le congé parental à la naissance d'un troisième enfant par une allocation de maternité plus généreuse. Par ailleurs, le PLQ abandonne l'idée d'un revenu garanti pour la mère au foyer, politique qu'il avait préparée lors des élections générales de 1985 et que le Parti québécois avait combattue comme irréalisable alors.

Du point de vue programmatique cependant, l'événement le plus important à survenir au cours de l'année au sein du Parti libéral fut sans contredit la création, en décembre, d'un comité chargé d'explorer les positions constitutionnelles que pourrait prendre le parti dans la foulée des accords du lac Meech. En mars 1990, devant la probabilité du rejet de l'accord du lac Meech, le mandat du comité fut élargi pour préparer l'après-lac Meech. Non seulement le comité devait-il préparer la prochaine ronde de négociations mais il devait également élaborer des scénarios alternatifs à être soumis aux instances du parti afin de parer à l'éventualité de l'échec de l'accord du lac Meech. Le Parti se donnait un an pour définir sa nouvelle position constitutionnelle. Le PLQ s'était défini une première position constitutionnelle explicite sous le leadership de monsieur Ryan à la fin des années 70 début 80, position connue sous le nom de « livre beige ». Après la réforme constitutionnelle de 1981-1982, réforme qui avait isolé le Québec et qui ignorait l'esprit et la lettre du « livre beige », le PLQ a défini, après 1985, une position minimale qui fut la base de l'Accord du lac Meech signé par les premiers ministres du Canada et des dix provinces canadiennes. Suite au rejet de cet accord par deux provinces, le PLQ se retrouve sans programme explicite sur un enjeu majeur où le principal parti d'opposition offre une option claire.

Du côté du Parti québécois deux points majeurs ont été retouchés : la souveraineté et l'environnement. La question de la souveraineté nationale étant inscrite au programme du parti dès sa création, il ne s'agit évidemment pas d'un nouveau thème pour le PQ. En 1989 cependant, on a publié une brochure d'une cinquantaine de pages, décrivant à grands traits le type de relations que le Québec entretiendrait avec son environnement international, le type de régime démocratique et électoral, la protection de la minorité de langue anglaise, des Indiens et des Inuit. Un peu avant la campagne électorale de 1989, le chef du PQ avait aussi déclaré qu'advenant l'élection de son parti, il y aurait une série de consultations populaires menant à la souveraineté politique. Ces consultations populaires porteraient sur différents éléments du programme du PQ, dont le gouvernement du Québec négocierait ensuite le retrait du champ de compétence fédérale, en commençant par la politique familiale, la culture, la main-d'oeuvre et le développement régional.

Sur la question de l'environnement, le PQ prévoit l'adoption d'une Charte de l'environnement qui reconnaîtrait le droit des individus à la qualité de la vie, et la création d'un tribunal de l'environnement qui pourrait imposer des peines allant jusqu'à l'emprisonnement des pollueurs. La Charte de l'environnement aurait un statut semblable à celle de la langue française. Elle prévoirait les obligations et devoirs des citoyens, des entreprises et des gouvernements face à l'environnement. Elle délimiterait aussi le cadre des poursuites devant les tribunaux. Des certificats d'environnement seraient décernés aux entreprises se conformant aux lois et règlements en matière d'environnement. La politique d'achat du gouvernement serait liée à la certification des entreprises. Les entreprises certifiées pourraient identifier leurs produits de sorte que les consommateurs puissent aussi tenir compte de cette information. Lors de la campagne électorale de 1989, les thèmes privilégiés du PQ furent la politique familiale, l'environnement et le développement régional.

Du côté des tiers partis, notons que le Parti Egalité a une position constitutionnelle très près de celle du Parti libéral fédéral de MM. Trudeau et Chrétien, tandis que le NPD-Québec semble adopter l'indépendance du Québec comme plate-forme constitutionnelle. À l'aube des années 90, les électrices et électeurs québécois se voient offrir un choix restreint d'options par les grandes formations politiques. D'une part, le Parti québécois s'est progressivement déplacé vers la droite au cours des années 80, alors que sur la question nationale c'est le Parti libéral qui s'est déplacé vers une position moins fédéraliste. En fait, en 1990, les jeunes libéraux, réunis en congrès, optaient à la quasi-unanimité pour l'autonomie complète du Québec. L'option « canadienne » et l'option de gauche ne sont désormais offertes que par des partis marginaux.




Le personnel

Le leader du Parti libéral, monsieur Robert Bourassa et celui du Parti québécois, monsieur Jacques Parizeau, ont, en 1989-1990, consolidé leur position à la tête de leur parti respectif. Malgré la démission de ministres anglophones, à la fin de l'année 1988, à l'occasion du débat sur le maintien ou non de l'obligation d'afficher en français seulement, et le départ de certains autres (Pierre Fortier, Thérèse Lavoie-Roux, Michel Gratton, Paul Gobeil) avant les élections de septembre 1989, le chef du Parti libéral ne semble aucunement menacé de l'intérieur de son parti. Le départ de tous ces ministres a permis à monsieur Bourassa, de renouveler son cabinet et ainsi promouvoir de nombreux députés à de nouvelles fonctions. Le chef du PQ, monsieur Parizeau, a réussi pour sa part, à ramener au Parti, les anciens ministres qui avaient quitté le cabinet Lévesque, suite au virage constitutionnel que ce dernier avait pris, avant d'être remplacé par monsieur Pierre-Marc Johnson. Sa position plus franchement souverainiste, a aussi permis de réintégrer, dans la famille péquiste, d'anciens militants indépendantistes. De plus, sa performance au cours de la campagne électorale l'a fait paraître sous un nouveau jour. Plus près des gens, souriant, le chef du PQ semble mieux passer la rampe auprès de l'électorat, ce qui a fait taire certaines critiques parmi les militants. À la fin de l'été 1990, il paraissait bien contrôler l'ensemble de son parti.. Du côté du NPD, les choses se sont à nouveau gâtées en 1989. Le jeune chef, monsieur Gaétan Nadeau, qui avait succédé à monsieur Roland Morin, a démissionné en cours de mandat. Le NPD-Québec, déchiré entre ses différentes factions, semblait voguer à la dérive à la fin de l'année.




Finance

L'année 1989 étant une année électorale, on ne s'étonne pas de constater que les dépenses des partis furent très nettement supérieures à ce qu'elles sont habituellement. Les dépenses du PLQ sont passées de sept millions à plus de douze millions, alors que celles du PQ passent d'un peu moins de deux millions à plus de six millions. En cette année électorale, le PLQ aura donc dépensé près du double du principal parti d'opposition. Le PLQ, il est vrai, avait déjà en caisse 7,7 millions à la fin de l'année 1988 alors que le PQ avait terminé l'année avec un déficit de 300 000 dollars.

Ce qui étonne le plus, c'est le rapport des revenus du PLQ. En 1987, le PLQ avait recueilli plus de huit millions de dollars. En 1988, il ramassait plus de 9,7 millions alors qu'en 1989, une année électorale, ses revenus totaux étaient de 6,7 millions dont 1,3 million de remboursement de dépenses électorales. En d'autres termes, en cette année électorale, le PLQ aurait ramassé quatre millions de moins que l'année précédente.

Au cours des années précédentes, le Parti libéral avait utilisé une technique de cueillette de fonds qui se rapprochait fort des façons de faire courantes avant l'adoption de la loi sur le financement des partis. Il s'agit de ramasser des fonds auprès de représentants d'entreprises et de commerces. Au cours de l'année 1989, le PLQ a mis en veilleuse ces activités de levée de fonds qui laissent peser des soupçons de patronage sur le Parti libéral. Plusieurs mois avant l'élection, le parti de monsieur Bourassa s'est efforcé d'estomper le plus possible cette caractéristique du parti, mais il serait surprenant que le parti abandonne cette source de financement.

En 1989, la contribution moyenne au PLQ était de 253 dollars alors qu'elle n'était que de 49 dollars au PQ, ce qui révèle sans doute un profil socio-économique différent des adhérents des deux partis. Les dépenses combinées du PLQ et du PQ représentent 97,4 % des dépenses de tous les partis politiques au Québec en 1989.




L'État contribue au financement des partis politiques non seulement par le biais du remboursement d'une partie des frais encourus lors des élections mais aussi par le truchement d'une subvention annuelle. Le montant de la subvention est établi à partir du nombre de votes obtenus par le parti aux dernières élections générales. En 19891990, conformément à la loi sur le financement des partis, le Directeur général des élections a divisé une somme de 1J million de dollars entre les formations politiques qui s'étaient qualifiées lors des élections générales de septembre 1989. Le Tableau 2 donne la répartition entre les partis.







La clientèle

À la fin de 1989, le Parti libéral demeurait le parti comptant le plus de militants au Québec soit environ 200 000. Un an plus tôt, le PLQ comptait 160 000 membres après le départ de nombreux anglophones mécontents de la nouvelle politique linguistique du gouvernement libéral. Les gains du PLQ se sont sans doute faits chez les francophones et les allophones. Le PQ, pour sa part, a aussi recruté plusieurs dizaines de milliers de membres. En mars 1988, au moment où Jacques Parizeau devenait le chef du Parti, le PQ comptait 58 000 membres. Un an plus tard, le nombre de membres était passé à 106 000 puis en novembre 1989, le total atteignait 120 000. Le parti avait pour objectif d'atteindre 137 000 membres au cours de l'année 1990. Le NPD est passé de 5 000 membres en juin 1989 à 2 000 membres en mai 1990, soit une perte relative très importante. L'ensemble des autres tiers partis rassemble très peu de membres, si bien qu'au grand total, on peut estimer que près de 325 000 personnes adhéraient à des organisations partisanes québécoises en 19891990.

La distribution de l'électorat, entre les partis, a fait l'objet de beaucoup moins de sondages publics entre septembre 1989 et septembre 1990 que l'année précédente. Lors des élections générales de septembre 1989, le PLQ a obtenu 50 % des votes valides et le PQ, 40 %. Les sondages postérieurs à l'élection indiquent que les électeurs se rangent un peu moins derrière le PLQ. Étant donné que les sondages sous-estiment, de façon chronique, l'appui au Parti libéral d'environ trois pour cent, il ne faudrait pas exagérer les pertes du PLQ entre septembre 1989 et l'été 1990.

Le Parti québécois a poursuivi sa lente remontée. En 1987-88, le PQ se maintenait sous la barre des 30 %, en 1988-89, il oscillait autour de 35 % alors que depuis les élections de septembre 1989, il se maintient presque toujours au-dessus du seuil psychologique des 40 %. L'écart entre le score du PLQ et celui du PQ rétrécit continuellement. En trois ans l'écart est passé de 26 % à 5 %. Il faut toutefois noter qu'une partie significative de cette réduction des écarts est due à la défection des électeurs anglophones qui ont boudé le PLQ pour donner leur appui au Parti Égalité. Par ailleurs, ni le Parti Égalité ni le Nouveau parti démocratique n'ont été capable de capitaliser sur leurs acquis à l'occasion des événements du lac Meech. Au contraire, ce sont les deux grands partis qui ont réussi à cristalliser, jusqu'à maintenant, l'opinion publique québécois et à canaliser le soutien populaire.



Figure 1





Conclusion

Après les élections générales de 1989, l'heure était venue pour plusieurs formations politiques de faire le bilan. Certaines organisations sont simplement disparues. D'autres, comme le NPD, sont entrées dans une phase de décomposition. Pour le Parti Égalité, créé pour protester contre une loi linguistique, il fallait se définir un programme ou tout au moins une ligne de conduite. Pour l'instant, le Parti Égalité semble être limité à une aile parlementaire. Les deux grands partis, quant à eux, ont poursuivi leurs activités habituelles pour maintenir leur organisation et, dans le cas du Parti libéral, pour se préparer à adopter éventuellement un programme constitutionnel renouvelé. Entre le fédéralisme traditionnel du Parti libéral du Québec et la souveraineté-association du Parti québécois, quelle position le parti de monsieur Bourassa saura-t-il définir ?