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Demandes sociales et action collective



Pierre Hamel
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1989-1990

· Rubrique : Les mouvements sociaux



Au cours de l'année politique 1989-1990, l'action collective portée par les organismes communautaires, certains groupes de pression, les communautés culturelles et divers mouvements sociaux a revêtu une grande diversité et, à certains moments, s'est exprimée avec beaucoup d'intensité. Pour certains groupes, l'action collective n'est plus un moyen exceptionnel d'affirmation de leur identité ou de défense de leurs acquis. Ces remarques suscitent, par ailleurs, un commentaire supplémentaire au sujet de la crise du politique et de la difficulté des gouvernements à effectuer des médiations et des régulations sociales satisfaisantes. À ce sujet, les acteurs ont compris que s'il est nécessaire d'effectuer des représentations auprès des instances politiques, celles-ci ne sont pas suffisantes. Le recours à des moyens d'action qui misent sur la mobilisation populaire comporte des avantages qu'il demeure toutefois difficile d'évaluer ou de prévoir.

Ce qui a caractérisé l'action collective au cours de l'année écoulée fait appel à la fois au pluralisme sur le plan culturel et idéologique, au pragmatisme sur le plan organisationnel et à la diversité quant à la nature des moyens d'intervention. L'action collective devient un recours spontané pour une multitude d'individus et de groupes qui veulent défendre leurs acquis, leurs droits, leur territoire ou encore qui décident d'améliorer leur situation. De moins en moins prévisible en tant que forme d'expression sociale et politique, l'action collective semble devenue à la portée de tous. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elle soit payante d'une manière équivalente dans tous les cas, mais elle semble avoir définitivement perdu le caractère exceptionnel qu'elle semblait encore revêtir dans les années 70.

Il est impensable ici de rendre compte d'une manière exhaustive de l'ensemble des revendications mises de l'avant par le mouvement communautaire et par les autres mouvements sociaux. J'ai dû effectuer des choix, nécessairement subjectifs, qui laissent de côté certains groupes ou certaines mobilisations pour en privilégier d'autres, mon principal critère étant l'importance des enjeux autour desquels l'action a pris place dans la conjoncture. Compte tenu de l'intérêt et du poids des événements qui ont marqué la scène politique au cours de l'année, j'ai organisé mon compte rendu autour des trois blocs suivants : 1) conditions de vie et de survie relatives à l'environnement et intégrité physique des femmes ; 2) communautés culturelles, mouvement national et revendications territoriales ; 3) mouvement étudiant et démocratisation de l'éducation.



1. Conditions de vie et de survie relatives à l'environnement et intégrité physique des femmes

Dans son Rapport sur le développement social et démographique au Québec, le Conseil des affaires sociales soulignait que, depuis 1971, les inégalités sociales n'avaient cessé de croître, affectant aussi bien les communautés locales que les quartiers urbains, contribuant à la détérioration des conditions de vie des populations qui y vivent.1 ] À Montréal, par exemple, il y aurait maintenant 31,5 pour cent de la population qui vivrait sous le seuil de la pauvreté. Dénonçant cette situation et les mesures administratives susceptibles de l'aggraver, plusieurs groupes ont protesté cette année contre la réforme de l'aide sociale et ses conséquences négatives pour plusieurs bénéficiaires de ce programme. Le Front commun des personnes assistées sociales du Québec a ainsi dénoncé officiellement au début d'avril le fait que les bénéficiaires qui ne peuvent se prévaloir des programmes de réinsertion au travail voient leur prestation diminuer : « Contrairement à ce que le ministre a affirmé, a soutenu le porte-parole du front commun, les personnes qui n'ont pas accès aux programmes de réinsertion gouvernementaux récemment mis en vigueur, sont fréquemment classées dans une catégorie dite de "non-participation" au lieu d'une autre, dite de "non-disponibilité", ce qui peut réduire leurs prestations d'une centaine de dollars par mois ».2 ]

C'est également pour dénoncer l'« appauvrissement général » d'une partie de plus en plus importante de la population du Québec et les compressions budgétaires effectuées dans les programmes sociaux gérés par l'État, qui aggravent cette situation, que le Comité intersyndical de Montréal a organisé le défilé traditionnel du premier mai, cette année, dans les rues du quartier Pointe Saint-Charles. Plus récemment, les assistés sociaux du sud-ouest de Montréal sont revenus à la charge pour rappeler que les mesures d'employabilité prévues dans la nouvelle loi d'aide sociale ne correspondent pas à la réalité des assistés sociaux. En outre, il existe une véritable pénurie de ressources sur le plan de la formation : « On parle de 100 000 assistés sociaux désirant s'inscrire à des cours pour 15 000 places disponibles au Québec actuellement ».3 ]

Un autre terrain où les conditions de vie demeurent difficiles voire, dans certains cas, en détérioration, c'est celui du logement. Depuis quelques années, la Société d'habitation du Québec (SHQ) réduit le nombre annuel de mises en chantier des logements sociaux et, de ce fait, tente de restreindre l'accessibilité à ces logements. En février dernier, 20 000 locataires de logements sociaux subissaient ainsi une hausse de leurs loyers mensuels. Au mois de mars, dans la Gazette officielle, le gouvernement annonçait un projet de règlement modifiant les conditions d'accès aux HLM. Ce règlement a été dénoncé vigoureusement par le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) qui a mis en lumière le fait que la nouvelle réglementation sera particulièrement sévère pour les couples et les familles monoparentales avec de jeunes enfants. Sur ce point, l'opposition du FRAPRU rejoignait les critiques énoncées tant par l'Office municipal d'habitation de Montréal que par le regroupement des offices municipaux d'habitation : « On juge trop bas les seuils retenus par Québec qui ramènent, par exemple, de 26 844 $ à 18 216 $ pour un couple le revenu maximal pour avoir accès à un HLM ».4 ]

La pauvreté se répercute sur tous les aspects de la vie quotidienne. L'un des moyens fréquemment utilisé par les acteurs communautaires, depuis le début des années 60, pour amorcer des transformations à cet égard, passe par l'éducation populaire au sens large du terme. Toutefois, les ressources dont ils disposent, demeurent encore nettement insuffisantes. A nouveau, cette année, le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MEPACQ) a dû rappeler au gouvernement la précarité des groupes autonomes d'éducation populaire de même que la pénurie des ressources mises à leur disposition : l'an passé, l'enveloppe budgétaire du ministère de l'Education n'était, à cette fin, que de 9,1 millions de dollars alors que les demandes des groupes dépassaient les 30 millions. Pourtant, le ministre de l'éducation s'était engagé auparavant à accroître les fonds disponibles en vue de répondre aux besoins des groupes autonomes.5 ]

L'éducation populaire demeure un domaine d'activité très vaste où se côtoient les groupes autonomes, le mouvement syndical et les institutions publiques. Trois réseaux qui revêtent parfois l'allure de véritables chasses gardées tant pour les usagers que pour les professionnels qui y interviennent. Un premier effort a cependant été réalisé cette année pour briser l'étanchéité de ces réseaux en explorant diverses avenues de concertation. Lors d'une rencontre organisée par l'Institut canadien d'éducation des adultes, quelque 400 participants reliés à ces trois réseaux ont en effet suggéré une série de mesures concrètes visant à favoriser un rapprochement des intervenants en vue d'élaborer « une stratégie d'ensemble du développement de l'éducation populaire.6 ]

Ajoutons que l'éducation populaire s'effectue également d'une manière indirecte par le biais d'une participation aux affaires publiques. De ce point de vue, en particulier sur la scène locale, il existe depuis quelque temps une attitude différente de la part des administrateurs publics. Ces derniers vont jusqu'à soutenir très concrètement la participation populaire. C'est ainsi que le comité exécutif de la ville de Montréal a décidé de subventionner les groupes communautaires dans le cadre des démarches de consultation orchestrées par les comités conseils d'arrondissement à l'occasion de la préparation du plan d'urbanisme. À cette occasion, les groupes communautaires ont reçu 240 000 $ de subvention leur permettant de mettre sur pied des projets d'animation sur l'aménagement de leur quartier et de participer de la sorte d'une manière directe à l'orientation du plan d'urbanisme.

Dans un esprit similaire, le conseil municipal de Montréal, suite à une recommandation du comité exécutif, a également adopté un règlement qui permet de soustraire les organismes à but non lucratif de la taxe d'amusement, lorsqu'ils organisent des événements ayant pour but de les aider dans leur financement : « on prévoit qu'au moins 375 organismes bénéficieront de cette nouvelle exemption qui leur permettra de récupérer environ 2 637 millions $ pour financer leurs activités auprès de la population montréalaise ».7 ] Enfin, en ce qui concerne le rapprochement qui s'est opéré sur la scène locale entre l'administration municipale et le milieu communautaire, mentionnons l'aide financière fournie aux Corporations de développement économique et communautaire. En février dernier, la Ville de Montréal a finalement décidé d'investir 6 millions pour aider les corporations de développement communautaire à créer des emplois et à dispenser de la formation. Comparativement aux 150 000 $ que la Ville a versés l'année précédente pour soutenir les corporations, nous pouvons parler cette fois d'un virage significatif de la part de l'administration municipale. Cette décision peut être interprétée comme une résultante de l'alliance plus ou moins formelle qui a toujours existé entre le RCM et le milieu communautaire, même si cette décision, dans la conjoncture, n'en soulève pas moins une série d'interrogations, notamment sur le plan du contrôle politico-administratif de ce programme et, conséquemment, de l'autonomie des organismes communautaires.

Alors que les conditions de vie difficiles des jeunes, des femmes, des assistés sociaux et (le la majorité des citoyens qui habitent les quartiers pauvres des grandes et des moyennes agglomérations du Québec continuent d'être un thème mobilisateur pour l'action collective, d'autres aspects qui relèvent plutôt de questions reliées à la détérioration de l'environnement ou à l'autonomie reproductive des femmes prennent également de l'importance. Que ce soit par rappori à la défense d'une qualité écosystémique ou à l'égard du libre choix en matière d'avortement, plusieurs groupes n'ont pas hésité à recourir à l'action collective.

Autour des enjeux environnementaux, les démarches entreprises par les groupes écologistes ont visé en premier lieu à restaurer ou à conserver des cours d'eau ou à maintenir les équilibres écologiques menacés par des projets de développement. C'est ainsi que plusieurs groupes - entre autres, le Regroupement des usagers de la rivière Saint-Maurice et la Fédération québécoise (le la faune - sont intervenus l'hiver dernier pour réclamer un véritable plan de restauration (le la rivière Saint-Maurice qui devrait, au surplus, être accompagné de mesures de prévention, afin d'éviter les fuites accidentelles d'huile contaminée par les BPC comme cela s'est produit cette année et l'année précédente.

Au sud-ouest de Montréal, autour de Ville Mercier, avec l'appui de sept municipalités de la région, quatre groupes ont créé une coalition pour exiger, l'automne dernier, que le gouvernement procède à une décontamination de la nappe phréatique. Celle-ci est tellement polluée, que « le gouvernement a dû recourir exceptionnellement à un règlement interdisant à la population d'y puiser son eau potable ».8 ] Dans le but de préserver l'écosystème « fragile » du nord du Québec, le groupe Greenpeace ainsi que l'organisation américaine Audubon, en accord avec les revendications des amérindiens, ont réclamé qu'Hydro-Québec interrompe ses projets de développement hydroélectrique : « Audubon reproche à Hydro-Québec de faire des études d'impact incomplètes et de ne pas tenir compte « des options à la fois moins chères et moins préjudiciables pour l'environnement... ».9 ]

Par ailleurs, certains groupes comme la Société pour vaincre la pollution sont intervenus pour sensibiliser l'opinion publique au sujet du contrôle des pesticides. Contrairement à l'Ontario qui s'est donné l'objectif de réduire l'utilisation des pesticides de 50 pour cent d'ici l'an 2005, le Québec n'a pas adopté de politique semblable. Enfin, mentionnons que l'Union québécoise pour la conservation de la nature a mis en doute le sérieux du gouvernement Bourassa qui dit considérer l'environnement comme une priorité mais n'y accorde que 0,2 % de son budget.10 ]

Sur un autre plan, même si nous avons pu assister à un rassemblement impressionnant des femmes pour commémorer le 50e anniversaire de leur droit de vote, qui a été organisé par « Femmes en tête » - mandaté par 350 groupes de femmes à cette fin - au mois d'avril dernier, c'est, encore une fois, autour de la question de l'avortement que les mobilisations et l'action collective des femmes se sont exprimées le plus intensément cette année. À l'été 89, les mouvements d'appui à Chantal Daigle avaient à nouveau contribué à repolitiser le problème. Plus de 10 000 personnes ont marché dans les rues de Montréal le soir du 27 juillet pour défendre le droit à l'avortement libre et gratuit suite à la décision de la cour d'appel du Québec qui confirmait la validité de l'injonction émise précédemment empêchant madame Daigle de recourir à l'avortement. Ces événements laissaient présager des affrontements difficiles entre partisans prochoix et partisans pro-vie autour du projet de loi C-43 sur l'avortement, débattu l'automne et l'hiver suivants sur la scène fédérale.

Lui-même divisé entre ces deux tendances, le gouvernement fédéral a effectivement eu beaucoup de mal à trancher la question. Tout au cours de l'automne et de l'hiver, les débats en chambre ont été l'occasion, pour les deux groupes opposés, d'exprimer leurs craintes soit à l'égard d'une trop grande permissivité, soit au sujet d'une recriminalisation de l'avortement. La Coalition québécoise pour l'avortement libre et gratuit, par exemple, a organisé plusieurs manifestations publiques pour demander au gouvernement Mulroney de ne pas légiférer en matière d'avortement. Dans le même sens, une coalition nationale, sous la direction du Comité canadien d'action sur le statut de la femme, a « exhorté le gouvernement fédéral à revenir sur sa décision de légiférer en matière d'avortement et à réglementer cette question en vertu de la loi canadienne sur la santé, pour ainsi garantir "l'accessibilité et la qualité des services" ».11 ]

Ce débat social sur l'avortement au pays remonte au début des années 70 et a été porté par la montée des mouvements de femmes. La législation adoptée par le gouvernement fédéral semble avoir insatisfait autant les opposants que les défenseurs de l'avortement libre et gratuit. Le compromis imaginé par le législateur, loin de résoudre le dilemme, a consisté à retourner le problème aux communautés. Comme le mentionnait Jean-Claude Leclerc suite à l'adoption de la loi, « En pratique, et malgré les apparences, ce sera l'avortement sur demande, dans les milieux socialement ouverts à l'arrêt de la grossesse. Et dans les régions encore rigoristes, la sanction sociale continuera d'intimider femmes et médecins. Tous les sondages confirment, en effet, que les esprits restent plus divisés que jamais sur le sujet ».12 ]




2. Communautés culturelles, mouvement national et revendications territoriales

Le pluralisme culturel et la diversité ethnique qui se sont accrus au Québec depuis quelques années, suite en partie à l'ouverture faite aux réfugiés depuis une dizaine d'années, se concentrent surtout dans la région de Montréal. Même si les communautés ethniques et culturelles sont demeurées relativement discrètes dans leur mode d'expression sur la scène politique, quelques signes nous indiquent qu'elles cherchent progressivement à s'affirmer.

Plusieurs groupes ont déploré la faible intégration et l'insuffisance de leur présence dans les institutions publiques et dans les structures de décision. Comme le mentionnait madame Sophia Florakas-Petsalis, vice-présidente de la Commission des droits de la personne, le pluralisme de la société québécoise ne se traduit pas encore par une intégration suffisante des néo-Québécois :

« Il suffit de prendre l'autobus 80 de l'avenue du Parc pour réaliser la diversité culturelle qui caractérise Montréal et qu'on ne doit ni renier, ni ignorer. Mais les visages qu'on voit dans cet autobus, on ne les trouve pas particulièrement dans les médias. On ne les rencontre pas dans le personnel des banques et des organismes gouvernementaux. Ils ne font pas encore partie de la fonction publique. Ils ne partagent pas le pouvoir. Ils ne sont pas là où les décisions sont prises. Ils luttent, c'est vrai, pour survivre, mais en grande majorité ils restent à l'écart, marginalisés, ne participant pas à part entière ».13 ]

Comme l'avait fait la Ligue des Noirs du Québec à l'été 89, en décidant de faire des pressions auprès des instances gouvernementales pour que celles-ci accroissent la présence de ses membres dans les systèmes scolaire et judiciaire, les Vietnamiens de Montréal ont demandé l'automne dernier, lors d'une rencontre organisée à l'hôtel de ville avec les communautés culturelles, que les portes de la fonction publique municipale leur soient davantage ouvertes. Dans le prolongement de ces revendications, il faut également souligner les luttes pour l'équité raciale qui ont été menées principalement par les femmes immigrantes. Celles-ci, par exemple, ont « boycotté les festivités du 50e anniversaire du droit de vote aux femmes présidées par l'ex-ministre » parce qu'elles considéraient que l'émission télévisuelle « Disparaître », à laquelle Lise Payette avait participé, constituait une « provocation sociale au détriment des immigrants ».14 ] En outre, les femmes africaines immigrantes de Montréal , qui avaient mis sur pied, il y a environ un an, un organisme de défense et d'expression de leurs intérêts, « Afrique au féminin », ont organise un colloque pour s'opposer entre autres à la discrimination raciale et mettre en place un réseau de soutien pour les familles africaines. Mentionnons enfin le mouvement de solidarité contre l'expulsion d'une cinquantaine de ressortissants haïtiens. Une coalition formée de groupes haïtiens, d'associations multi-ethniques et de deux centrales syndicales ont, en effet, organisé une manifestation devant les locaux d'Immigration Canada pour demander à la ministre fédérale de reconsidérer, pour des raisons humanitaire, sa décision de lever le moratoire sur l'expulsion de ces ressortissants.

Du côté du mouvement national, ce qui étonne dans un premier temps, compte tenu de l'allure des négociations autour de l'entente constitutionnelle du lac Meech et du refus de la part de certaines provinces de reconnaître, le caractère distinct du Québec, c'est, à toute fin pratique, la discrétion ou l'absence de mobilisations populaires. De fait, nous avons pu observer nombre de manifestations spontanées d'affirmation nationale à l'occasion des fêtes de la Saint-Jean, mais celles-ci n'avaient nullement un caractère revendicateur. Il s'agissait au contraire d'exprimer une certitude ou de communiquer un enthousiasme qui semblait ne plus devoir être remis en cause, celui d'accéder à une autonomie indispensable sur plan culturel et politique.

Toutefois, les événements survenus au cours de l'été à l'occasion de la « crise autochtone » sont venus rapidement dissiper l'euphorie du 24 juin.

Sans reprendre toute l'histoire des revendications territoriales amérindiennes, rappelons que la crise de l'été 90 qui, au moment d'écrire ces lignes n'est toujours pas résolue, soulève des questions fondamentales tant en ce qui à trait aux droits ancestraux des Amérindiens et à leur autodétermination qu'en ce qui concerne la capacité de nos gouvernements à gérer des crises complexes et à résoudre un conflit qui perdure depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. L'escalade dans le recours à la violence au cours de ce conflit constitue un phénomène auquel la société québécoise est peu habituée. L'affrontement des Amérindiens avec les autorités gouvernementales et policières s'est intensifié à partir du moment où le conseil municipal d'Oka a décidé de faire respecter une injonction qui lui permettait de procéder à l'aménagement d'un terrain de golf empiétant sur une forêt de pins que les Mohawks considèrent comme faisant partie du « territoire historique de la kanienkehaka (Nation mohawk) ». Pour défendre leur territoire et leurs droits ancestraux, ces derniers avaient déjà dressé, au mois de mars, des barricades à l'entrée du chemin de terre menant au terrain de golf. Lorsque la Sûreté du Québec est intervenue le 11 juillet pour les démanteler, une violente fusillade est survenue et la police a été repoussée. Pendant ce temps, pour appuyer la lutte qui se déroulait à Oka, des Warriors ont décidé de bloquer la route 132 menant au pont Mercier.

Cette crise a donné lieu à plusieurs affrontements durs et inquiétants, en particulier entre les Mohawks et des citoyens affectés par la levée des barricades, ainsi qu'à des négociations multiples entre plusieurs centres de décision, et ce, tant du côté des Amérindiens que du côté des autorités gouvernementales qui, après avoir eu recours à la police, ont fait appel à l'année.

Compte tenu de tous ces aspects, de la complexité des enjeux, de la multitude des intervenants - y inclus le rôle important des médias - mais aussi de la nature des revendications -allant du droit aux ressources naturelles à l'application exclusive de la loi amérindienne sur le territoire kanienkehaka en passant par le contrôle amérindien exclusif du territoire et de son développement - , de la complexité de l'action collective - recours à la médiation publique, à l'action directe, voire au terrorisme -, il est difficile, pour l'instant, de faire un bilan de ce qui est survenu à cette occasion. Chose certaine, l'ampleur des demandes amérindiennes aussi bien que l'improvisation dont les gouvernements ont fait preuve à plusieurs occasions au cours de la crise soulèvent des questions sociales et politiques qu'il est nécessaire de mieux circonscrire avant de porter un jugement définitif sur ce qui est arrivé et sur les voies de solutions possibles.




3. Mouvement étudiant et démocratisation de l'éducation

Les actions menées par le mouvement étudiant au cours de cette année concernaient essentiellement la hausse des frais de scolarité décrétée par le ministre Ryan. Depuis 1968, les frais de scolarité dans les universités du Québec sont gelés, selon les départements et les facultés, autour de 540 $ par année. Le projet du ministre est de les hausser à 890 $ pour septembre de cette année et à 1240 $ pour septembre 91. Cela signifie une hausse de 130 % pour les étudiants. L'objectif visé est, bien sûr, de résoudre, du moins en partie, le sous-financement des universités québécoises.

L'action du mouvement étudiant s'est organisée dès l'automne, bien que les manifestations les plus importantes n'ont eu lieu qu'au semestre d'hiver. Une première chose qu'il importe de souligner à ce sujet, c'est sans doute l'ampleur et la diversité des moyens d'action que le mouvement étudiant est parvenu à déployer : débrayage dans plusieurs CEGEP et universités, organisation de marches publiques à plusieurs occasions dont l'une a regroupé environ 7 000 étudiants dans les rues de Montréal, recours aussi à plusieurs actions ponctuelles pour sensibiliser l'opinion publique aux revendications étudiantes -occupation des bureaux du Conseil du patronat par des étudiants de l'Université de Montréal, irruption de quelques dizaines d'étudiants sur le parquet de la Bourse de Montréal alors qu'environ 200 étudiants étaient parvenus à envahir le troisième étage de la Tour de la Bourse, « sit-in » sur la rue Sainte-Catherine, près du boulevard Saint-Laurent pendant près de trois quarts d'heure, etc.

Toutes ces mesures ont largement contribué à informer et à sensibiliser la population à la cause étudiante. Elles n'ont pas permis, cependant, que les moyens d'action mis de l'avant et, notamment, le recours à la grève, soient suffisamment bien orchestrés pour parvenir à établir un rapport de forces suffisant significatif, capable de forcer le ministre Ryan et le gouvernement à négocier. Les nombreuses actions spontanées qui ont eu lieu tout au cours du semestre d'hiver, d'une part, et les oppositions de certaines assemblées générales, en particulier au sujet de la grève générale, d'autre part, ont reflété une remise en question de l'hégémonie exercée par l'Association nationale des étudiants et étudiantes du Québec (ANEEQ) à cette occasion. D'une manière sans doute plus fondamentale, c'est la direction de l'ensemble du mouvement qui s'est trouvée remise en cause.

Toutes les actions menées par le mouvement étudiant ont néanmoins permis d'ouvrir le débat sur les enjeux de la démocratisation scolaire, le financement des universités et les priorités de la société québécoise - et du gouvernement - à ce sujet. En réclamant le gel des frais de scolarité, le mouvement étudiant reprenait à son compte des objectifs modernisateurs qui conservaient, pour plusieurs, la saveur d'une époque révolue. Il n'en soulevait pas moins des questions fondamentales sur nos priorités et nos choix de société. S'il est indéniable que les universités québécoises ont besoin davantage de ressources, quels sont les efforts que les autres « partenaires » - notamment l'État et les entreprises - sont prêts à consentir? De plus, comment les universités utiliseront-elles les ressources financières supplémentaires obtenues grâce à la hausse des frais de scolarité ?15 ] Les responsables politiques n'ont jamais répondu très clairement à ces questions jusqu'à maintenant.

Si la lutte pour le gel des frais de scolarité a été une occasion indirecte, de soulever des questions fondamentales sur le rôle social de l'«Université, elle n'a pas moins révélé la fragilité du mouvement étudiant. Cela dit, cette lutte a également permis que s'exprime plusieurs tendances, certains acteurs optant pour une approche plus pragmatique. Ce sont des éléments qui s'inscrivent à l'intérieur de ce type d'approche qui. ont décidé dernièrement de créer une nouvelle association étudiante, la Fédération des étudiants et étudiantes du Québec (FEEQ) qui entend regrouper avant tout les étudiants universitaires. Les représentants de cette nouvelle association ont mis sur pied une organisation qui reconnaît, dans ses structures, l'existence de diverses catégories d'étudiants en fonction des cycles d'étude : « Sous le parapluie de la FEEQ, selon les statuts et règlements qui devaient être adoptés avant la fin de l'été, chacune des catégories d'étudiant-e-s sera donc réunie dans un conseil jouissant d'une large autonomie sur les questions qui touchent plus particulièrement ses membres ; pour assurer la cohésion, les trois président-e-s de ces conseils seront ipso facto vice-président-e-s de la Fédération ».16 ]

La création de cette nouvelle association et les déboires de l'ANEEQ au cours de l'an dernier ne signifient pas pour autant que les étudiants entendent accepter le dégel des frais de scolarité. Comme c'est le cas avec plusieurs autres mouvements, ils pourraient choisir de poursuivre leur action. À suivre...




Note(s)

1.  Conseil des affaires sociales, Deux Québec dans un, Gaetan Morin Éditeur, Boucherville, 1989.

2.  Jean-Pierre Bonhomme, « Le front des assistés sociaux prédit un été "dur et chaud" », La Presse, 10 avril 1990.

3.  Patrick Grandjean, « Les assistés sociaux du sud-ouest de Montréal manifestent à Pointe Saint-Charles, La Presse, 29 août 1990.

4.  Isabelle Paré, « Le projet de Québec sur l'accès au logement social pourrait gonfler l'attente pour un HLM à Montréal », Le Devoir, 26 avril 1990.

5.  Presse Canadienne, « Les groupes d'éducation populaire crient famine », La Presse, 23 février 1990.

6.  Jean-Pierre Proulx, « Les groupes d'éducation populaire à la recherche de concertation », Le Devoir, 22 janvier 1990.

7.  Isabelle Paré, « Cadeau aux organismes sans but lucratif » Le Devoir, 30 novembre 1989.

8.  Pierre Bellemare, « Les écologistes exigent la décontamination de l'eau de Mercier », La Presse, 7 novembre 1989.

9.  Maurice Girard, « Un groupe écologique américain menace Hydro d'une guérilla judiciaire », La Presse, 25 juillet 1989.

10.  Rollande Parent, « Des écologistes pointent le mince 0,2 % du budget québécois consacré à l'environnement » Le Devoir, 11 août 1989.

11.  Huguette Young, « Les groupes pro-choix se mobilisent contre Ottawa », Le Devoir, 3 octobre 1989.

12.  Jean-Claude Leclerc, « La loi sur l'avortement », Le Devoir, 31 mai 1990.

13.  Sophia Floraka Petsalis, « Une place au soleil pour les communautés culturelles », La Presse, 19 septembre 1989.

14.  Paul Cochon, « Les femmes immigrantes refusent Lise Payette », Le Devoir, 7 décembre 1989.

15.  Voir Clément Lemelin, « La hausse des frais de scolarité », Le Devoir, 30 janvier 1990.

16.  Claude Garon, « Le mouvement étudiant se restructure autour de la FEEQ », Cité éducative. septembre 1990. p. 32.