accueilsommairerubriques

La vie parlementaire



Réjean Pelletier
Université Laval


L'année politique au Québec 1989-1990

· Rubrique : La vie parlementaire



La vie parlementaire est dominée par les travaux de l'Assemblée nationale et de ses commissions. Depuis l'établissement d'un calendrier fixe pour l'ouverture et la clôture des sessions, les député-e-s siègent durant quelque quatre-vingts jours par année. Mais encore faut-il que la Chambre puisse se réunir, ce qui n'est évidemment pas le cas lorsque le premier ministre ordonne la tenue d'élections générales comme il le fit à l'été 1989. L'élection du 25 septembre allait donc retarder l'ouverture de la session fixée, selon le Règlement de la Chambre, au troisième mardi d'octobre.

L'automne parlementaire ne s'est donc pas vraiment déroulé dans l'enceinte du Parlement. Il a plutôt été marqué par deux événements extérieurs : d'un côté, par la grisaille d'une campagne électorale terne à un moment où le soleil et le temps chaud continuaient de prévaloir sur le territoire québécois ; de l'autre, par la chaleur des débats passionnés sur l'entente du lac Meech à un moment où le Québec voyait tomber les records de froide température pour cette période de l'année. Ce n'est pas là le moindre paradoxe d'une « vie parlementaire »... plutôt morte au cours de l'automne 1989.

En l'absence de travaux parlementaires, il convient de s'arrêter aux parlementaires eux-mêmes, à ceux et à celles que le peuple québécois a élu-e-s en ce 25 septembre afin d'en dégager les principaux traits socio-économiques. Il ne s'agit pas de postuler ici que ce type de configuration socio-économique a une influence profonde et directe sur le type de législation adoptée en Chambre et que la connaissance du premier nous permet de mieux comprendre le second et même de le prévoir à certains égards. Mais, à l'inverse, il ne s'agit pas non plus d'affirmer une séparation totale entre les deux et de considérer la législation comme entièrement indépendante des législateurs eux-mêmes. Ce sont tout de même des hommes et des femmes élu-e-s par la population québécoise qui vont accepter, refuser ou retarder les projets de loi présentés par le gouvernement, même s'ils n'en sont pas toujours les véritables initiateurs. Les caractéristiques socio-économiques et l'affiliation partisane sont alors des facteurs, parmi d'autres, dont il faut tenir compte dans l'analyse de la vie parlementaire et de sa production législative.



Qui sont « nos » parlementaires ?

Au soir du 25 septembre 1989, la population québécoise élisait 125 député-e-s dans autant de circonscriptions électorales, dont 92 sous la bannière du Parti libéral, 29 pour le Parti québécois et 4 du Parti égalité, nouveau venu sur la scène politique du Québec.

Comment se présente cette nouvelle cuvée de parlementaires québécois par rapport à celles qui l'ont précédée ? Avant d'en dégager les principaux traits, il convient de signaler que les parlementaires ne sont pas représentatifs, en termes socio-économiques, de l'ensemble de la population québécoise. En d'autres mots, la compétition politique engendre une forme de sélection sociale, ce qui permet de conclure, selon certains, au caractère élitiste des dirigeants politiques. Cependant, ce groupe ne constitue pas nécessairement un bloc monolithique : on peut distinguer des différences entre parlementaires selon leur affiliation partisane. C'est cette double caractéristique de non-représentativité et de non-homogénéïté que je voudrais mettre en évidence ici.

Tout d'abord, il convient de souligner que, dans une société caractérisée de plus en plus par le vieillissement de la population, un seul député a dépassé les 65 ans et il est membre du Parti égalité. Dans les deux autres partis, aucun député n'atteint cet âge (en septembre 1989) et ceci se vérifie également depuis 1976. Par contre, si les moins de 45 ans ont constitué la majorité (habituellement autour de 56 %) au sein de l'Assemblée nationale depuis le réalignement de 1970, ce n'est plus le cas en 1989 : ils ne sont plus que 46 % dans cette catégorie à la suite de la dernière élection (voir le tableau 1).




On peut également signaler que le Parti québécois a contribué dans le passé au rajeunissement de la Chambre, mais que cette tendance s'est inversée ces dernières années. À l'élection de 1985, le Parti libéral et le Parti québécois se comparaient parfaitement lorsqu'on établissait une ligne de démarcation à 45 ans. En 1989, le renversement observé antérieurement se poursuit si bien que le P.Q. présente un profil légèrement plus âgé que celui du P.L.Q. comme le montre le tableau 1. La différence la plus marquée entre les deux partis se retrouve dans le groupe des moins de 35 ans qui est mieux représenté au P.L.Q. qu'au P.Q.

Absence de jeunes, absence de représentants du « troisième âge » si bien que les trois quarts des député-e-s se concentrent dans la catégorie des 35-54 ans, ce qui se vérifie autant au Parti libéral qu'au Parti québécois. On peut donc en conclure qu'il existe un décalage important en termes d'âge entre la population québécoise et ses élu-e-s.

Si le profil d'âge entre les deux principaux partis présente quelques différences, celles-ci sont beaucoup plus marquées lorsqu'on s'arrête à l'occupation et au champ d'activités. Mais il convient, avant de tracer ces différences, de répondre à une question plus globale : le cas québécois se conforme-t-il au modèle général de sélection de l'élite dirigeante parmi les occupations de niveau élevé ?

Les milieux d'affaires de tous genres (industriels, financiers, petits propriétaires, marchands, commerçants) sont bien représentés, soit à peu près un député sur quatre. On retrouve cette même proportion chez les parlementaires classifiés comme cadres administratifs intermédiaires ou inférieurs. Ce sont toutefois les professionnels qui dominent ce tableau d'ensemble puisqu'ils occupent presque la moitié de la Chambre. Mais le droit ne constitue plus la norme générale et son emprise a nettement diminué depuis deux décennies au profit d'une diversification des professions. C'est surtout le champ culturel (professeur, journaliste, écrivain) qui s'est imposé avec l'arrivée du Parti québécois au pouvoir en 1976. Et cette tendance s'est maintenue jusqu'à l'élection de 1989 où un député sur cinq peut être considéré comme un professionnel de la culture.

Mais ce tableau d'ensemble cache des différences importantes entre le Parti libéral et le Parti québécois. Chez le premier, on valorise davantage les champs économique et administratif, bien que le champ social soit tout de même représenté par un parlementaire libéral sur cinq (voir le tableau 2). Chez les seconds, on peut noter la présence importante du champ culturel, suivi de près du champ social: ces deux champs regroupent à peu près les deux tiers des député-e-s péquistes.




Ces différences entre les deux partis s'affirment depuis vingt ans. Elles étaient encore plus marquées au sein du P.Q. en 1976 au profit du champ culturel qui a eu tendance à décroître peu à peu, alors que se manifestent davantage les champs social et économique en 1989. On peut donc souligner ici la possession différenciée d'un capital culturel et d'un capital économique selon une ligne de clivage partisan.

La montée des intellectuels avec le Parti québécois ou celle des entrepreneurs avec le Parti libéral apparaissent comme la manifestation de l'importance ou de la valorisation accordée à chacun de ces groupes par la société québécoise à un moment donné. Il ne faut donc pas se surprendre que les champs économique et administratif l'emportent sur les champs culturel et social à un moment où l'entrepreneurship est valorisé, où les modèles proposés sont économiques et où l'on appelle encore au désengagement de l'État au profit du secteur privé.

Ainsi, l'intellectuel a dû faire place à l'entrepreneur. Pour gérer le quotidien politique, on fait appel à des administrateurs ou à des gestionnaires plutôt qu'à des intellectuels plus aptes à concevoir des projets de société. On doit cependant ajouter que la marque de l'entrepreneur était plus nettement visible en 1985 qu'elle ne peut l'être en 1989 où déjà la « solution libérale » commence à battre de l'aile et apparaît moins comme la grande panacée aux problèmes économiques contemporains.

Pour compléter ce rapide portrait de « nos » parlementaires, il convient de mettre en évidence le niveau de scolarité des élu-e-s de 1989. Dans un article publié en 1984, je soulignais que la formation universitaire était pratiquement devenue une condition nécessaire pour être élu député à l'Assemblée nationale du Québec. Si, à l'aube de la Révolution tranquille en 1960, 43 % des députés n'avaient pas fréquenté l'université (peu importe qu'ils y aient décroché ou non un diplôme), ce nombre est réduit à 25 % en 1970 pour se stabiliser par la suite autour de 20-25 %. Cette situation se vérifie à nouveau en 1989 où les trois quarts des député-e-s ont déjà fréquenté l'université (voir le tableau 3). Les partis recrutent donc leurs candidats et candidates au sein d'une élite intellectuelle nullement représentative de l'ensemble de la population.




À cet égard, le Parti libéral et le Parti québécois se ressemblent étrangement: les deux recrutent massivement parmi les personnes qui ont fréquenté l'université si bien que les études universitaires apparaissent désormais comme la barrière d'accès à l'élite politique. Cependant, en 1989, le P.L.Q. attire nettement plus que le P.Q. les universitaires qui ont reçu une formation en droit, même si ce type de formation a perdu son importance première au sein de la Chambre au profit d'une diversification plus marquée des professions. Pour compléter ce tableau, il faut ajouter que plusieurs prolongent maintenant leurs études jusqu'à la maîtrise et même au doctorat.

L'Assemblée nationale de 1989 est donc composée majoritairement de parlementaires très scolarisés, qui se retrouvent dans le groupe d'âge des 35-54 ans. Mais cette Chambre est partagée entre les parlementaires péquistes issus surtout des champs culturel et social et les parlementaires libéraux provenant surtout des champs économique et administratif.

On peut aussi noter que, des 558 candidats et candidates qui se sont présentés devant l'électorat québécois, 21 % étaient des femmes. Mais ce chiffre est trompeur en ce sens que, si l'on s'arrête aux deux grandes formations politiques seulement et non aux 16 partis officiellement reconnus au moment de l'élection, on constate que le Parti québécois comptait 33 candidates (26,4 %) alors que le Parti libéral n'a présenté que 21 candidates (16,8 %). Au soir du 25 septembre, 23 femmes étaient élues, ce qui représente un peu moins d'une députée sur cinq à l'Assemblée nationale : elles étaient 18 en 1985, huit en 1981 et cinq seulement en 1976. Le progrès accompli est donc modeste et la marche vers le pouvoir encore longue et souvent pénible.




Le « nouveau » conseil des ministres

À la suite d'une campagne électorale largement dominée par la crise écologique des BPC, par les négociations dans le secteur public et la grève des infirmières, et par la grogne des anglophones à l'endroit du Parti libéral, il ne restait que très peu de place pour engager d'autres débats de fond d'autant plus que les médias ne retenaient habituellement que les aspects les plus spectaculaires de ces trois événements. En somme, une campagne électorale plutôt terne, à l'image de la gestion tranquille des années précédentes. Satisfait de cette situation, l'électorat québécois devait reporter au pouvoir le Parti libéral.

Le 1l octobre, le premier ministre Bourassa présentait son nouveau conseil des ministres composé de 30 membres (y compris le premier ministre). Il faut tout d'abord noter que presque le tiers des membres de l'ancien cabinet ne s'était pas représenté aux élections. Déjà Gilles Rocheleau avait quitté à l'automne 1988 pour se joindre aux libéraux fédéraux : il fut suivi peu après de trois ministres anglophones (Herbert Marx, Clifford Lincoln et Richard French) insatisfaits de la politique du gouvernement Bourassa sur la langue d'affichage. À la veille des élections, trois ministres « économiques » (Paul Gobeil, Pierre Fortier et Pierre MacDonald) bien connus pour leurs idées « néo-libérales » décidaient de quitter la politique, estimant sans doute que leur travail était accompli et qu'ils ne pourraient imposer davantage leur vision à l'ensemble du cabinet. À ce groupe s'ajoutent une ministre « sociale », Thérèse Lavoie-Roux, et un autre ministre de la région de l'Outaouais, Michel Gratton, sans oublier le président de l'Assemblée nationale, Pierre Lorrain.

De toute évidence, le premier ministre devait faire appel à de nouvelles recrues. C'est ainsi que huit nouveaux venus vont accéder au cabinet, dont trois seulement en provenance des banquettes arrière et encore chacun d'eux devra se contenter du titre de ministre délégué. D'ailleurs neuf ministres (30 % du cabinet) ne sont responsables d'aucun ministère et doivent se contenter du titre de ministre délégué, ce qui en fait pratiquement des adjoints parlementaires de haut niveau. Treize anciens ministres sont chargés de nouvelles fonctions, mais ce sont les mêmes personnes, à une exception près (Sam Elkas), qui continuent d'occuper les postes stratégiques au sein du cabinet. Trois nominations en particulier devaient causer quelques surprises et susciter la controverse, soit Marc-Yvan Côté à la Santé et Services sociaux, Pierre Paradis à l'Environnement et Sam Elkas aux Transports et à la Sécurité publique. Au total, les éditorialistes se montraient partagés face à ce « nouveau » cabinet. « Imprudence et sagesse! » commentait Raymond Giroux dans Le Soleil. « Du sang neuf au cabinet, mais encore trop de bois mort » ajoutait Jean-Claude Leclerc dans Le Devoir.

C'est un conseil des ministres dominé par les juristes (neuf ont déjà reçu une formation d'avocat et trois de notaire), alors que sept personnes proviennent du milieu des affaires et quatre autres de l'enseignement. Pour la première fois, six femmes (20 %) sont nommées au cabinet, ce qui constitue un record en ce qui a trait à la participation féminine.

À ce groupe restreint et privilégié de 30 personnes siégeant au cabinet s'ajoutent, comme primes de consolation avec honoraires additionnels, de nombreuses autres fonctions telles que président et vice-présidents de l'Assemblée nationale, leaders en Chambre ou leurs adjoints, whips ou leurs adjoints, présidents et vice-présidents de commissions parlementaires, adjoints parlementaires, présidents de séance. À un point tel que « être simple député, sans grade ni prime, faisait remarquer Gilles Lesage, est devenu fort rare à Québec ». « De fait, ajoutait-il, seulement 29 des 125 élus de septembre dernier, soit moins de un sur cinq, n'ont que le titre de membres de l'Assemblée nationale, fonction qui est censée être leur première et principale attribution » (Le Devoir, 7 décembre 1989).




De la stabilité à la récréation

Pour la première fois depuis l'élection de 1976, un tiers parti est représenté à l'Assemblée nationale. Avec quatre députés élus le 25 septembre et 4 % des suffrages, le Parti égalité ne pouvait tout de même avoir le statut de « parti reconnu » ou, plus exactement, de « groupe parlementaire » qui exige, selon le Règlement, d'avoir fait élire 12 députés ou obtenu 20 % des suffrages. Cependant, ce parti a tenté de se faire accorder le tiers des droits qui accompagnent un tel statut, en particulier au chapitre du budget de recherche, ce qui ne pose habituellement pas de problèmes insurmontables, et du droit de poser un certain nombre de questions en Chambre, ce qui est plus délicat puisqu'alors l'opposition officielle doit partager cette période de grande visibilité médiatique avec un autre parti. Selon le P.Q., ce parti devrait avoir droit à un budget minimal de recherche, mais il ne devrait pouvoir poser une question au gouvernement qu'une seule fois durant la semaine (en pratique, sur trois jours, soit du mardi au jeudi).

Convoquée pour le 28 novembre seulement, la nouvelle assemblée n'a pu se réunir que pour une quinzaine de jours puisque la Chambre a ajourné ses travaux le 21 décembre pour ne les reprendre qu'à la mi-mars. Comme il se doit au début d'une nouvelle législature (la 34e depuis 1867), la session s'est ouverte par la présentation du discours inaugural qui définit les grandes priorités gouvernementales. Renouant avec une tradition mise en place après l'élection de décembre 1985, le gouvernement libéral a laissé le soin au lieutenant-gouverneur de présenter les intentions législatives de l'équipe ministérielle, alors que le premier ministre Bourassa a prononcé par la suite son discours d'ouverture en se concentrant sur les thèmes de l'avenir politique du Québec en référence à l'accord du lac Meech et de son avenir économique en insistant sur la gestion des finances publiques et sur la position concurrentielle du Québec.

On peut résumer en deux formules les préoccupations essentielles du gouvernement Bourassa et sa vision d'avenir pour le Québec : d'une part, stabilité économique en évitant une hausse des impôts et du déficit par l'accroissement des compressions budgétaires ; de l'autre, stabilité politique par la ratification de l'accord du lac Meech en insistant sur les « conséquences imprévisibles » d'un rejet de cette entente.

Le chef de l'opposition officielle, Jacques Parizeau, devait rétorquer qu'il jugeait floues les politiques économiques du gouvernement Bourassa et que celui-ci n'aura probablement pas d'autre choix que d'augmenter les impôts en pleine période de ralentissement économique. Pour sa part, le chef du Parti égalité, Robert Libman, estimait que la ratification de l'accord du lac Meech constituerait plutôt une erreur historique grave. Dans les milieux d'affaires, on s'est réjoui de la réduction du déficit, tandis que les syndicats se déclaraient choqués par la parcimonie des dépenses sociales.

Quant aux priorités législatives du gouvernement, tout y passe ou presque, en mettant toutefois l'accent sur le secteur de l'environnement qui avait accaparé la vedette au cours de la campagne électorale. Cependant, les « engagements » sont souvent vagues et imprécis : on se promet d'améliorer, de réviser, de poursuivre, d'élargir ou de relever un nouveau défi. Il s'agit en somme d'un survol ou, mieux, d'un catalogue où sont énumérées les intentions législatives du gouvernement où tout est important et rien ne l'est...

Alors qu'en octobre, le chef du Parti québécois avait promis que la reprise des travaux parlementaires pourrait se transformer en véritable « feu d'artifice » si la conjoncture constitutionnelle lui était favorable, le premier ministre Bourassa cherchait plutôt à continuer sa gestion tranquille du Québec sans soulever de vagues, sans devoir faire face à une opposition plus aguerrie qu'autrefois, évitant ainsi de répondre à des questions en Chambre sur l'entente du lac Meech ou sur la moralité publique.

Ce n'est qu'au début de décembre, à la suite du débat sur le discours inaugural, que la Chambre a pu s'attaquer au menu législatif fort mince présenté par le gouvernement. Pour un certain nombre, les projets de loi déposés en ce début de session étaient des projets « morts au feuilleton » avec la dissolution de l'Assemblée nationale. C'était le cas, entre autres, du projet de loi sur la pratique des sages-femmes repris textuellement du projet déposé en juin 1989 par l'ancienne ministre de la Santé et des Services sociaux, Thérèse Lavoie-Roux. Au total, 26 projets de loi d'intérêt public furent déposés par des membres du gouvernement au cours de cette période et 14 d'entre eux furent adoptés par l'Assemblée: très peu étaient d'importance majeure (si ce n'est celui sur les accidents de travail et les maladies professionnelles), la plupart impliquant plutôt des ajustements ou des modifications mineures à des lois existantes.

Ce qui n'a pas empêché l'opposition de talonner le gouvernement sur d'autres questions, comme l'existence d'un système de faveurs dans le réseau des affaires sociales ou la mise en place d'un réseau d'enquêteurs de l'aide sociale venant remplacer les anciens « boubou-macoutes ». En outre, le gouvernement Bourassa s'est engagé à procéder à une nouvelle consultation publique sur les heures d'affaires, alors qu'il avait promis de trouver une solution à cet épineux problème pour l'automne 88, puis pour le printemps 89. La solution allait donc être reportée à 1990...

La session s'est déroulée sous le signe du mépris pour l'institution démocratique qu'est l'Assemblée nationale, soutenait Jacques Parizeau au terme des travaux parlementaires en décembre. Analysant cette « récréation gouvernementale », le journaliste Gilles Lesage concluait à un bout de session pour la forme et teintée d'arrogance. « L'exemple vient de haut, ajoutait-il. M. Bourassa considère la période de questions-réponses à l'Assemblée comme une récréation ou un jeu de cache-cache. Il a développé à l'extrême le don de l'esquive. À plusieurs reprises, ces dernières semaines, il a pratiqué cet art dangereux à propos du dézonage à Laval ou du favoritisme dans les contrats gouvernementaux, de façon plus générale concernant l'intégrité et la rigueur morale de son gouvernement » (Le Devoir, 23 décembre 1989).




La santé en tête

Si la mini-session de l'automne 1989 a été peu fructueuse, celle du printemps 1990 le fut beaucoup plus. Avant la reprise des travaux parlementaires à la mi-mars, un certain nombre de commissions se sont réunies à partir du 20 janvier pour s'acquitter de divers mandats relevant de leur compétence. Ainsi, quatre commissions ont procédé en janvier et février à la vérification des engagements financiers, la Commission de l'aménagement et des équipements y consacrant même huit séances et 47 heures de travail, et celle de l'économie et du travail six séances et 25 heures de travail.

C'est également une période durant laquelle les commissions vont se réunir pour procéder à des consultations publiques sur différents projets ou avant-projets de loi habituellement controversés ou nécessitant tout au moins une forme de consultation d'organismes extérieurs. Tel fut le cas de la Commission de l'éducation qui a tenu six séances de travail à la fin de février et au début de mars 1990 afin d'entendre les commentaires et propositions d'une quarantaine d'organismes sur l'aide financière aux étudiants. Tel fut également le cas de la Commission de l'économie et du travail qui, en février et mars, a reçu 91 mémoires et invité 68 organismes et 5 personnes à se présenter devant elle afin de se prononcer sur l'épineux problème de l'ouverture des établissements commerciaux le dimanche et, d'une façon plus globale, sur les heures d'affaires de ces établissements.

Mais c'est la Commission des affaires sociales qui fut la plus active à ce chapitre et qui a le plus retenu l'attention des médias durant cette période. Elle a reçu 266 mémoires et invité 91 organismes à se prononcer sur la réforme des services de santé proposée par l'ancienne ministre Thérèse Lavoie-Roux en avril 1989 et reprise par le ministre Marc-Yvan Côté qui lui a succédé à la tête de l'important ministère de la Santé et des Services sociaux. C'est donc à une évaluation complète de cette réforme qu'a voulu procéder le nouveau ministre.

Les interventions y furent nombreuses -175 personnes se présentèrent devant la commission - et souvent percutantes. Ainsi, la déclaration du ministre Côté ne pouvait passer inaperçue, estimant que le réseau de la santé était prisonnier des innombrables groupes d'intérêt qui s'y affrontent et que tout semblait « se jouer sur la base des rapports de force, des luttes de clocher et des coups d'éclat dans les médias. » Dans ces circonstances, ajoutait-il, il est inutile d'injecter plus d'argent dans le système de santé tant qu'on n'aura pas réglé ces problèmes de fond.

Et de l'ancien ministre des Affaires sociales et père du régime québécois de l'assurance-maladie, Claude Castonguay, une proposition percutante à l'effet de créer certains services privés de santé de façon à injecter une dose de concurrence au système public et relâcher ainsi le monopole qu'il détient. Cette émulation entre le privé et le public, soutenait-il, engendrerait une plus grande productivité et une meilleure efficacité.

Au terme de l'une des plus vastes consultations publiques dans l'histoire du parlementarisme québécois (du 23 janvier au 11 avril) et d'un débat amorcé il y a plus de cinq ans avec la création de la commission Rochon, le ministre estimait que ses consultations étaient désormais complétées. En concluant les travaux de la commission parlementaire, le ministre a fixé les grands paramètres de sa réforme : accorder une plus large place au secteur privé et établir une meilleure collaboration entre le privé et le public, régionaliser le système de santé, réallouer les ressources déjà disponibles, viser à la complémentarité des services. Le projet de loi qu'il entendait déposer à la fin de l'automne 1990 deviendrait ainsi la pierre d'assise du nouveau régime à mettre en place en 199 1.




A l'heure de l'austérité

La session du printemps est toujours largement dominée par l'étude des crédits budgétaires et par le discours du budget. Fallait-il mieux contrôler les dépenses publiques par des compressions budgétaires dans les différents ministères ou plutôt augmenter le déficit, les emprunts et donc la dette du Québec ? Tel est le dilemme auquel était confronté le gouvernement québécois.

En cette période de ralentissement de l'économie, le chef du Parti québécois préconisait la relance de ce secteur par des interventions accrues de l'État, quitte à augmenter momentanément le déficit. Le gouvernement libéral a plutôt opté pour un meilleur contrôle des dépenses, quitte à accentuer la récession. Dans cette conjoncture, il se devait donc, avec l'aide des médias, de conditionner les esprits à un budget d'austérité, d'autant plus que le budget du ministre Wilson à Ottawa, présenté en février 1990, venait d'annoncer un gel des programmes de transfert, en particulier au chapitre du financement des programmes établis. Une telle décision allait coûter 600 millions de dollars au Québec au cours des deux prochaines années, si bien que l'on claironnait que le ministre Wilson avait décidé de mener sa lutte au déficit fédéral sur le dos des provinces.

Un mois plus tard, soit le 27 mars, le président du Conseil du trésor, Daniel Johnson, déposait le budget des dépenses du Québec. Placé sous le signe de l'austérité, ce budget des dépenses (appelé autrefois les crédits budgétaires) comportait un certain nombre de mesures qui allaient se répercuter sur les contribuables : augmentation des impôts scolaires de telle façon que la taxe scolaire était appelée à doubler ; réduction de services de l'ordre de 220 millions de dollars ; remise en cause de la gratuité de certains services, comme dans le secteur de la santé.

Cependant, le ministère de la Santé et des Services sociaux a pu bénéficier de crédits supplémentaires, tout comme celui de l'Environnement qui a dû se contenter d'un maigre 15 millions supplémentaires, nettement en deçà des 50 millions promis durant la campagne électorale. De même, l'engagement du gouvernement de consacrer 1 % de son budget à la culture n'a pas été respecté.

Au total, les prévisions de dépenses du ministre Johnson n'avaient rien de bien réjouissant. « Le feu jaune des dépenses du Québec passe au rouge » annonçait l'analyste Gilles Lesage (Le Devoir, 28 mars 1990), alors que le journaliste Albert Juneau ajoutait que c'est l'impasse budgétaire (Le Devoir, 2 avril 1990).

Après un tel conditionnement des esprits, l'apocalypse appréhendée par tous ne s'est pas produite au moment du discours du budget présenté par le ministre des Finances le 26 avril. Fidèle à ses habitudes, le ministre Gérard D. Lévesque a su dorer la pilule en annonçant quelques bonnes nouvelles comme un réaménagement fiscal entraînant une diminution d'impôt pour certains contribuables, une augmentation de l'allocation de naissance pour le troisième enfant et une déduction pour les frais de garde, des crédits additionnels pour le développement régional et la formation professionnelle.

Mais ces bonnes nouvelles étaient nettement tempérées par les mauvaises où, comme c'est l'habitude depuis plusieurs années, les fumeurs et les buveurs sont mis lourdement à contribution afin de mener la lutte au déficit et à la récession. Depuis longtemps, les augmentations de taxes dans ces secteurs ne surprennent plus les contribuables.

C'est en refilant des taxes à d'autres paliers que le gouvernement libéral a pu camoufler ses mauvaises nouvelles. Ce qu'il accusait le gouvernement fédéral de faire en sabrant dans ses dépenses de transfert, le gouvernement provincial l'a pratiqué en refilant la facture aux municipalités, aux commissions scolaires et aux entreprises. Celles-ci pourront bénéficier de crédits d'impôt si elles investissent dans la formation des travailleurs. Surtout, les municipalités sont appelées à partager davantage le champ de l'impôt foncier avec les commissions scolaires qui pourront doubler leurs taxes. En outre, le gouvernement est prêt à refiler une facture de 277 millions de dollars aux municipalités pour les services de transport en commun, sans oublier la hausse du coût d'immatriculation des voitures et du permis de conduire afin de permettre à la Régie (RAAQ) de contribuer au financement des routes.

Ce qui a amené le Parti québécois à dénoncer les « hausses de taxes régressives » et le chef de l'opposition à conclure au « tripotage, camouflage et bricolage » dans ce budget. Surtout, une telle façon de procéder allait soulever la colère des municipalités qui accusaient le gouvernement libéral de briser unilatéralement le « pacte fiscal » conclu sous l'ancien gouvernement péquiste en 1979. De l'autre côté, les commissions scolaires se montraient satisfaites de pouvoir augmenter leur marge de manoeuvre et leur autonomie fiscale en puisant dans l'impôt foncier. Aussi bien les membres de l'opposition que les élus municipaux se sont ligués pour accuser le gouvernement d'avoir agi secrètement dans ce dossier et d'avoir mis les municipalités devant un fait accompli. C'est ainsi qu'a pris fin abruptement « une longue lune de miel » entre Québec et les municipalités, concluait le journaliste Gilles Boivin (Le Soleil, 14 avril 1990).




Et la grogne s'accroît ..

La grogne des maires est devenue si forte en ce printemps 90 que l'Union des municipalités du Québec a même posé cinq conditions à la reprise du dialogue avec le gouvernement, après avoir boycotté les travaux parlementaires en avril. Pour leur part, les commissions scolaires ont déchanté après avoir pris connaissance, au mois de juin, du projet de loi 69 sur leur nouveau pouvoir de taxation, considérant alors cette réforme comme un strict minimum.

La grogne s'est aussi installée chez d'autres groupes insatisfaits des politiques gouvernementales. Tel fut le cas des étudiant-e-s universitaires après que le ministre Ryan eut annoncé, en décembre 1989, un dégel des frais de scolarité et une hausse importante de ces frais sur deux ans. Rejetée par les diverses associations étudiantes et même par les jeunes libéraux, cette hausse allait entramer plusieurs manifestations étudiantes, dont l'une sur la colline parlementaire, et des grèves et débrayages dans quelques universités et plusieurs cégeps. Le 21 février, la Commission de l'éducation entreprenait une consultation sur le projet de loi 25 concernant l'aide financière aux étudiants. Dans l'esprit du ministre Ryan, en effet, la hausse des frais de scolarité devait s'accompagner d'une amélioration du système de prêts et bourses aux étudiants et étudiantes du milieu universitaire.

La grogne s'est aussi fait sentir chez les bénéficiaires de l'aide sociale à la suite de la réforme entreprise par le ministre Bourbeau. Si bien que le ministre a senti le besoin d'apporter des modifications à sa réforme afin d'en corriger les « effets pervers » et de mettre fin à des situations préjudiciables à certains bénéficiaires. Malgré tout, le Front commun des personnes assistées sociales a continué de réclamer le retrait de la loi 37 sur la sécurité du revenu, alors que la représentante de l'opposition officielle, Louise Harel, accusait le ministre de vouloir « sauver les apparences au détriment des véritables correctifs. »

La grogne vint aussi des camionneurs artisans qui sont venus faire le siège de la colline parlementaire durant plusieurs jours avec leurs lourds camions au cours du mois de juin. Insatisfaits de la déréglementation de l'industrie du transport au Canada, les camionneurs souhaitaient trouver un terrain d'entente avec l'Association des constructeurs de routes et grands-travaux qui détient les principaux contrats de transport en vrac du gouvernement du Québec. Après avoir accepté une offre du ministre Sam Elkas, les 2000 camionneurs artisans quittaient Québec dans l'ordre et sous la pluie le 21 juin seulement.

La grogne est aussi venue des victimes de la pollution. Ce n'est certes pas le projet de loi 65, présenté le 10 mai, venant modifier la Loi sur la qualité de l'environnement qui a attisé leur mécontentement. Au contraire, ce projet donnait au gouvernement québécois les moyens juridiques d'obliger les entreprises responsables de contamination à réparer leurs méfaits en vertu du principe du « pollueur-payeur ». C'est plutôt l'interminable saga des BPC de Saint-Basile, puis l'affaire de la contamination au plomb d'un quartier résidentiel de Saint-Jeansur-Richelieu, et enfin les désastres écologiques des dépotoirs à pneus de Sainte-Anne-desPlaines et surtout de Saint-Amable qui allaient faire naître un profond mécontentement chez les victimes de cette pollution.

On ne peut non plus passer sous silence toutes les tergiversations du gouvernement dans le dossier des heures d'ouverture des établissements commerciaux, en particulier le dimanche. Le projet de loi 75, présenté par le ministre Gérald Tremblay, prévoyait un élargissement important des heures d'ouverture des commerces (de 62 à 84 heures du lundi au samedi soir) et permettait aux établissements d'alimentation d'ouvrir le dimanche à la condition qu'ils ne comptent pas plus de quatre employés en poste. Ce projet a suscité l'opposition du Parti québécois et de la Coalition québécoise contre l'ouverture des commerces le dimanche et soulevé un profond mécontentement autant chez les commerçants que chez les syndiqués. Si bien que le gouvernement a cédé aux recommandations de plusieurs intervenants en ramenant de 84 à 75 les heures d'ouverture des commerces, puis à 70 quelques jours plus tard, tout en maintenant l'essentiel des dispositions sur l'ouverture des commerces le dimanche. Il a dû cependant « recourir au bâillon » en mettant fin aux travaux de la commission parlementaire qui étudiait ce projet de loi après 24 heures de débat seulement, estimant que l'opposition menait un filibuster en commission. Il s'agissait là de la deuxième motion de clôture en deux jours à l'Assemblée nationale puisque la veille, la même procédure avait été utilisée pour mettre fin à l'étude détaillée du projet de loi 69 sur l'instruction publique et l'enseignement privé.




A quoi sert le Parlement ?

Après avoir épuisé quelque 200 heures de discussion sur les crédits budgétaires et terminé le débat sur le discours du budget, les député-e-s ont continué leur étude des différents projets de loi soumis par le gouvernement. En cette session printanière, le menu semblait plus abondant que d'habitude et surtout plus substantiel, mais il fut souvent laissé dans l'ombre par les problèmes constitutionnels qui ont dominé le paysage politique. De la loi sur la pratique des sages-femmes (loi 4) à celle venant modifier la loi sur la sécurité du revenu ainsi que la loi sur la santé et la sécurité au travail (loi 76), en passant par la révision en profondeur de la loi sur la mise en marché des produits agricoles (loi 15), par la modification de la loi sur la protection du territoire agricole (loi 21), par la loi sur l'aide financière aux étudiants (loi 25), par la modification du Code civil concernant le partage du patrimoine familial (loi 47), par la loi modifiant la Régie de l'assurance automobile (loi 50), par la loi créant la Société québécoise de récupération et de recyclage (loi 60), par la loi sur la qualité de l'environnement instaurant le principe du pollueur-payeur (loi 65) ou par la loi relative à l'organisation policière (loi 68) jusqu'à la loi fort controversée modifiant le financement des commissions scolaires (loi 69) et à celle tout aussi controversée sur les heures et les jours d'admission dans les établissements commerciaux (loi 75), on peut dire que les parlementaires ont été très occupés en cette fin de session.

Précisément, c'est là que le problème se pose. Comme l'écrivait le journaliste Bemard Descôteaux, « l'Assemblée nationale se livre depuis lundi (le 18 juin) au traditionnel marathon de fin de session qui, cette année, prend cependant des allures olympiques alors que les députés sont appelés à siéger littéralement jour et nuit » (Le Devoir, 20 juin 1990). Qui plus est, alors que le Parti québécois avait voulu marquer sa forte opposition à trois projets de loi et proposer des amendements pour en atténuer « les aspects les plus odieux », le gouvernement est intervenu afin de limiter le débat, se plaignant de l'obstruction causée par le Parti québécois. En cinq jours, le gouvernement libéral a imposé trois fois la clôture sur autant de projets de loi dont deux concernaient des taxes « déguisées », l'un élargissant le champ de l'impôt foncier pour les commissions scolaires et l'autre autorisant le gouvernement à puiser 625 millions de dollars auprès de la Régie de l'assurance automobile pour la construction et l'entretien des routes.

« Quand tout a été dit, le gouvernement doit assumer ses choix », écrivait Gilles Lesage dans Le Devoir du 20 juin, entérinant par là la guillotine parlementaire. Et pourtant, le Parlement est censé être le lieu par excellence des débats publics, le lieu où les parlementaires ne sont pas brimés dans leurs interventions. Et pourtant depuis quinze ans, le Règlement de la Chambre est venu limiter le temps de parole des parlementaires afin de permettre au gouvernement tout-puissant de gouverner. Comment s'étonner, dans ces circonstances, que la population porte peu attention aux travaux du Parlement et que les télédiffuseurs souhaitent depuis longtemps remplacer les débats parlementaires par des émissions plus populaires.

Quoi qu'il en soit, c'est plutôt le débat sur l'entente du lac Meech qui a monopolisé l'attention du public. Le dégel des frais de scolarité, la hausse des tarifs d'électricité, l'augmentation des droits d'immatriculation et du coût des permis de conduire, la hausse de la taxe scolaire, la nomination d'un ex-collecteur de fonds du Parti libéral à la tête de la Caisse de dépôt et placement ou la bourde du ministre Yvon Vallières sur les employés occasionnels, tous ces événements n'ont pas vraiment plongé le gouvernement dans l'eau chaude. Ils ont été largement occultés par tous les rebondissements de la saga constitutionnelle sur l'entente du lac Meech qui allait mourir... au moment même où se terminait la session.