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La vie municipale et régionale



Caroline Andrew
Université d'Ottawa


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : La vie municipale et régionale



La période de septembre 1990 à décembre 1991 a été particulièrement mouvementée dans le domaine des rapports entre le gouvernement du Québec et les municipalités québécoises. Le réaménagement des responsabilités fiscales, déjà annoncé à l'automne 1989 et combattu âprement par les associations municipales, a été consacré par l'adoption du projet de loi 145 le 20 juin 199 1. Malgré l'opposition du monde municipal et également de plusieurs groupes importants de la société québécoise, le gouvernement du Québec a réussi à mettre en place des mesures visant à transférer des responsabilités fiscales du palier québécois au palier municipal. C'est ce dossier qui domine l'actualité municipale 1990-1991 - les différentes étapes de l'adoption de la mesure législative et, par la suite, le positionnement par rapport au débat à venir sur une véritable décentralisation de l'Etat québécois. Sur le plan des politiques régionales, cette période a également été marquée par la question de la décentralisation, quoique de façon différente. Les audiences de la Commission Bélanger-Campeau sur l'avenir constitutionnel du Québec ont permis l'expression, par la population, d'une volonté régionale de prise en main et, par conséquent, plusieurs intervenants ont demandé à l'État québécois de se décentraliser. Le processus de réponse a été amorcé dès l'automne 1991, mais les changements concrets dans les politiques de développement régional restent à venir.

Ces dossiers québécois ont dominé l'actualité dans la plupart des municipalités. Dans les villes, nous ne retiendrons que le cas de Montréal et celui du référendum sur la fusion dans les trois villes principales de l'Outaouais.



1. Le partage des responsabilités

Revenons au dossier central - la décision du gouvernement du Québec de changer les rapports fiscaux entre lui-même et les municipalités québécoises. Claude Ryan devient ministre des Affaires municipales en octobre 1990 et assume donc la direction du dossier. Le gouvernement dépose, le 14 décembre 1990, ses propositions touchant le partage des responsabilités. L'argument du gouvernement découle de sa position fiscale et, d'une façon importante, d'une comparaison entre le Québec et l'Ontario. Le document gouvernemental constate qu'au Québec, il y a eu «une sous-utilisation relative de l'impôt foncier comme source de financement des services publics. L'écart entre l'Ontario et le Québec était à cet égard considérable.» Il conclut:

Devant de telles données, il est normal que le gouvernement fasse appel à la solidarité et à la collaboration de ses partenaires. Il est normal et justifié qu'il les invite à assumer une part accrue du fardeau des dépenses publiques, surtout lorsque celles-ci sont faites dans des secteurs et autour d'objectifs qui relèvent en propre de la responsabilité des pouvoirs locaux. (Vers un nouvel équilibre, p. 8)

Trois mesures surtout retiennent l'attention: la tarification des services policiers dispensés par la Sûreté du Québec, la prise en charge par les municipalités de la responsabilité pour la voirie locale, et la fin des subventions du gouvernement québécois à l'exploitation des organismes publics de transport en commun. Selon les chiffres du gouvernement, ses propositions impliquent un transfert net aux municipalités de 477,5 millions de dollars et l'ouverture de nouveaux champs fiscaux de 545,7 millions de dollars (Vers un nouvel équilibre, p. 75-76). L'élément le plus coûteux est celui touchant le transport en commun, et pour les grandes villes, notamment Montréal, c'est l'aspect de la réforme qui soulève le plus de réactions négatives. Pour les petites municipalités, c'est la tarification des services policiers qui semble mécontenter le plus les élus municipaux.

L'opposition monte. Les associations municipales - l'Union des municipalités du Québec (UMQ) et l'Union des municipalités régionales de comtés du Québec (UMRCQ) - dénoncent le projet et poursuivent leur lutte contre le gouvernement et particulièrement contre le ministre Ryan. D'autres groupes et associations se joignent au mouvement de protestation - les maires de Montréal et de Québec (La Presse, 19 janvier 199 1, «Doré et l'Allier préparent l'offensive contre la réforme de la fiscalité municipale), la Conférence des maires de la banlieue de Montréal (La Presse, 19 février) qui parle de solution «bouche-trou», les syndicats de transport en commun de la région de Montréal ainsi que des sociétés de transport en commun (La Presse, 25 février). Au début du mois de mars, les associations municipales sont appuyées dans leur opposition par le Conseil du patronat du Québec (CPQ), l'Union des producteurs agricoles (UPA), la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et la Confédération des syndicats nationaux (CSN), et des pages de publicité contre le projet paraissent dans les journaux. Au début de mars également, le Parti québécois s'oppose officiellement au projet. En avril, le congrès annuel de l'UMQ se tient sans la présence du ministre des Affaires municipales «pour la première fois en soixante-dix ans d'existence» (La Presse, 25 avril, «Le ministre des Affaires municipales n'a pas été invité au congrès de l'UMQ»). Au mois de mai, la CSN et la FTQ présentent une pétition de 200 000 noms demandant au ministre de renoncer à son projet de réduire ses subventions au transport en commun.

Mais la réforme Ryan ne provoque pas seulement de l'opposition -elle recoit également des appuis. L'opinion éditoriale, au plus fort du conflit, est au moins partiellement favorable au gouvernement comme en témoignent les éditoriaux de Claude Masson (La Presse, 16 mars); «La réforme Ryan est choquante, blessante, imposée, Elle n'en est pas moins nécessaire» et d'Albert Juneau (Le Devoir, 13 mars),» Les maires font fausse route en se lançant dans une guerre d'usure contre le ministre Claude Ryan et la politique du gouvernement... dans l'environnement économique et budgétaire actuel, l'essentiel de son orientation paraît difficilement contestable».

Au début d'avril, le ministre Ryan annonce certains adoucissements à son projet, notamment avec l'imposition d'une hausse de 30 $ de l'immatriculation des véhicules qui irait aux sociétés de transport en commun. Mais le ministre refuse tout moratoire à son projet, et l'essentiel de ses propositions initiales est accepté le 20 juin 1991 avec l'adoption du projet de loi 145.

L'opposition du monde municipal ne s'arrête pas avec l'adoption du projet de loi, et FUMRCQ va de l'avant avec son intention d'entamer des procédures judiciaires visant à faire déclarer illégales et inconstitutionnelles les parties de la loi 145 touchant la Sûreté du Québec (Le Devoir, 3 octobre). Quant à FUMQ, elle décide d'engager un débat sur une véritable décentralisation instaurée par la base. Elle organise une série de 10 colloques sur la décentralisation (de septembre 1991 à mars 1992) menant au congrès de 1992 et l'adoption souhaitée d'une charte des collectivités locales. La définition donnée par l'UMQ à une telle charte permet de situer son importance dans les relations entre le gouvernement du Québec et les municipalités.

Un tel projet de charte vise essentiellement à structurer les relations et à définir les principes d'intervention entre d'une part les citoyens et leur gouvernement local et d'autre part, entre l'État et le gouvernement local. Il ne s'agit pas d'établir une loi absolue et contraignante mais plutôt d'insérer quelques principes aux lois municipales qui gouvernent les municipalités actuellement, afin d'obtenir du gouvernement une reconnaissance minimale du statut de la municipalité et des nécessaires relations de dignité qu'il convient d'établir avec un tel partenaire dans la gestion publique. (Urba, octobre 1991, p. 8)

La période 1990-1991 se termine avec la publication des résultats d'un sondage qui, selon MMQ, lui donne raison face au gouvernement - deux tiers des répondants s'opposent aux décisions gouvernementales dans ce dossier et trois-quarts des répondants disent que tout pouvoir de taxation municipale devrait être négocié entre les municipalités et le gouvernement du Québec (Urba, novembre 1991, p. 6- 8).

Le sondage touche également à des questions d'attitude à l'égard des différents paliers de gouvernement. L'appui à la position municipale est très fort. Deux questions illustrent cette vision «municipaliste».

Q: Diriez-vous que vous avez beaucoup, assez, peu, pas du tout confiance dans :



Beaucoup

Assez

Peu

Pas du tout

NSP

a) le gouvernement fédéral

4

22

42

29

3

b) le gouvernement provincial

5

35

39

18

3

c) le gouvernement municipal

11

47

27

11

4



Q : Selon vous, qui est généralement le mieux géré?

Est-ce:



a) les municipalités

45

b) le gouvernement du Québec

21

c) le gouvernement fédéral

8

d) NSP/refus

26



L'année 1991 se termine donc avec un tournant certain vers la décentralisation dans les rapports entre les municipalités et le gouvernement du Québec. Le gouvernement a réussi à imposer son projet d'un fardeau fiscal et des responsabilités accrus. Le monde municipal, tout en maintenant son opposition à la forme du projet gouvernemental, indique son intérêt pour un débat sur une véritable décentralisation.




2. Les politiques de développement régional

Les politiques de développement régional ont également été marquées par les mêmes courants d'opinion décentralisateurs. Un des thèmes forts des audiences publiques de la Commission Bélanger-Campeau a été les revendications régionalistes et l'expression de la volonté d'une véritable prise en main par les populations à une échelle locale ou régionale. Le gouvernement du Québec a réagi à l'expression de cette volonté en créant, en février, un groupe de travail interministériel. Le rapport Bernier, du nom du président de ce groupe de travail, a été rendu public en octobre 1991. Le rapport présente deux hypothèses sur la question de la composition des instances régionales, une instance régionale sous le leadership des élus municipaux et une structure régionale ouverte à l'ensemble des décideurs régionaux, et il laisse le choix au gouvernement. Le gouvernement étudie actuellement le rapport et réfléchit sur les modifications qu'il entend apporter aux politiques de développement régional. La direction de la décentralisation semble certaine, l'incertitude se situe davantage dans le degré de véritable pouvoir que le gouvernement est prêt à donner aux régions et on se demande à qui ce pouvoir sera donné. Un dossier à surveiller en 1992.




3. L'Outaouais - le référendum sur la fusion municipale

Notre thème principal - la fiscalité municipale - a dominé les débats municipaux dans la plupart des municipalités cette année. Même les débats sur l'avenir économique de Montréal ont été beaucoup liés à des questions relatives aux changements dans les rapports fiscaux. Mais, dans l'Outaouais, le dossier majeur de l'année a été le référendum sur la possibilité d'une fusion municipale des trois villes principales. Après vingt ans (1970-1990) d'existence de la Communauté régionale de l'Outaouais (et presque autant d'études, de recommandations et de propositions d'amendement), le gouvernement du Québec a décidé de diviser le territoire de la CRO entre le secteur urbain et le secteur rural. La partie rurale a été regroupée en MRC, et le secteur urbain, en Communauté urbaine de l'Outaouais (CUO). En créant la CUO, le ministre avait promis de permettre un référendum régional sur la question de la fusion des trois municipalités les plus urbaines (Hull, Gatineau, Aylmer). Le 5 mai 1991 le référendum a eu lieu et le résultat a démontré qu'il y avait une opposition majoritaire à la fusion. Pendant la campagne, la plupart des organismes et associations de l'Outaouais se sont prononcés pour la fusion, disant qu'une telle fusion accroîtrait le pouvoir de la région dans ses rapports avec le gouvernement du Québec ou le gouvernement fédéral. D'ailleurs on a soulevé la question du contexte constitutionnel, pour souligner l'importance d'un pouvoir régional accru. Par contre, les maires de Gatineau (Robert Labine) et d'Aylmer (Constance Prévost) ont été contre la fusion et, si l'on examine les résultats par municipalité, la position des maires semble être un facteur important. Michel Légère, maire de Hull, a été favorable à la fusion et Hull a été la seule des trois municipalités où la majorité a été favorable à la fusion.

Résultats du vote



Oui

Non

Hull

10051

5260

Gatineau

10271

20312

Aylmer

2932

7537

Total

23254

33 109



Le taux de participation a été plus bas à Hull (38,4 %) que dans les deux autres municipalités; Gatineau a eu un taux de 48,1 % et Aylmer, de 49,6 %.




4. La vie politique à Montréal

Dans son mémoire à la commission parlementaire sur le projet de loi 145 sur la fiscalité municipale, le maire de Montréal a parlé de la triple réalité de Montréal: ville industrielle en reconversion, ville-centre et métropole (Le Devoir, 6 juin, 1991). Les événements survenus de septembre 1990 à décembre 1991 illustrent ce triple rôle.

La réalité économique de Montréal témoigne des difficultés de reconversion industrielle vers des secteurs économiques plus adaptés aux années 2000. Dans une entrevue accordée au Devoir le 21 septembre 199 1, le maire Doré parlait de «trois grands projets» pour l'avenir industriel de Montréal: l'aéronautique, le train à grande vitesse (TGV) et la pétrochimie fine. À la toute fin de l'année (le 17 décembre 1991) le gouvernement du Québec a dévoilé un plan d'une valeur d'environ 415 millions de dollars pour le développement économique de la région de Montréal. La clé du projet en était la création d'un organisme autonome, Innovatech Grand Montréal, chargé d'améliorer la capacité d'innovation de l'économie régionale. Les axes prioritaires proposés par le plan sont semblables à ceux suggérés par le maire Doré: l'aéronautique, l'industrie pharmaceutique, le transport et le rôle international de Montréal.

La réalité de Montréal comme ville-centre ressort des dossiers tels que celui de Dernier Recours (le centre pour itinérants qui était fermé au mois d'août à la suite d'un conflit syndical), celui de la faim dans les écoles (en mai le ministre de l'Éducation annonce un programme pour venir en aide aux écoliers - au nombre d'environ 20 000 dans la région de Montréal - qui, à cause de leur pauvreté, ont faim). Ces dossiers sont les conséquences de l'évolution économique mais aussi du rôle de ville-centre qui consiste à attirer les populations les plus défavorisées de l'ensemble de la région.

La troisième réalité montréalaise est celle de métropole. Un des éléments majeurs touche à la capacité de la ville de gérer les rapports entre populations de races et d'ethnies différentes. Cette année encore, les rapports entre la police et la population noire, par suite de la mort de Marcelus François, ont été particulièrement tendus. Montréal comme métropole soulève également toute la question de l'internationalisation et le renforcement du rôle international de Montréal. Forces a consacré son numéro du printemps 1991 au thème de « Montréal, tous les atouts d'une ville internationale ». Les événements marquants de cette année, la tenue à Montréal, en octobre, du Troisième Congrès au sommet des grandes villes du monde, le développement du Centre du commerce mondial, l'installation à Montréal du Secrétariat du fonds multilatéral du protocole de Montréal (chargé de la protection de la couche d'ozone). Également comme métropole, Montréal se prépare pour les fêtes de son 350e anniversaire en 1992.

Les élections municipales ont eu lieu à Montréal en novembre 1990, donc dans la période qui nous intéresse ici. Dans l'article qui suit, Pierre Drouilly analyse le soutien électoral qu'ont obtenu les partis municipaux.