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La vie des partis



Jean Crête
Université Laval


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : La vie des partis



Les élections générales ayant été tenues en septembre 1989, on pouvait s'attendre à ce que le parti gouvernemental soit peu actif, au moins jusqu'à la fin de 199 1, et que les partis d'opposition soient au contraire occupés à refaire leurs programmes en vue des prochaines élections. L'année 1991 sera presque le contraire de cela. Le parti gouvernemental revoie de fond en comble son programme constitutionnel, alors que le principal parti d'opposition retouche à la marge son programme. Tout cela conditionné, bien sûr, par les événements politiques canadiens de 1990 et par la probabilité qu'un référendum soit tenu en 1992. Si la révision du programme du Parti libéral a été de loin l'événement le plus marquant de la vie des partis en 1991, les préoccupations relatives au financement, à l'organisation et au positionnement dans l'électorat n'ont pas pour autant été absentes.



Les programmes

En décembre 1989, le PLQ avait mis sur pied un comité chargé d'explorer les positions constitutionnelles que pourrait prendre le parti dans la foulée des accords du lac Meech. En mars 1990, devant l'échec probable de ces accords, le mandat du comité fut élargi pour préparer l'après Meech, car le PLQ se retrouvait sans programme constitutionnel. La présidence de ce comité avait été confiée au président de la Commission juridique du parti, Jean Allaire. En janvier 1991, le comité a publié son rapport, Un Québec libre de ses choix, en vue de le soumettre au congrès du parti de mars 1991.

Le rapport propose des modifications aux institutions comme l'abolition du Sénat, un droit de veto en matières constitutionnelles, la fin de la compétence de la Cour suprême du Canada en matière de droit civil québécois, le droit des provinces de se retirer de la Confédération après préavis, une représentation régionale à la Banque du Canada. Les propositions les plus remarquées furent celles portant sur les juridictions. Le rapport proposait que seuls la défense, les douanes, la monnaie, la péréquation et la dette fédérale demeurent de juridiction fédérale exclusive. Ottawa perdrait aussi le pouvoir de dépenser dans les domaines qui ne sont pas de sa juridiction ainsi que le pouvoir résiduaire, c'est-à-dire le pouvoir dans les secteurs non spécifiquement énumérés dans la constitution. La province aurait 22 secteurs exclusifs. Un certain nombre de juridictions seraient partagées entre les deux paliers de gouvernement. Par ailleurs, le Parti libéral du Québec propose de renforcer l'union économique entre le Québec et le Canada. En 1992, l'entente entre le Québec et le Canada ou, à défaut d'entente, une proposition d'accession du Québec au statut d'État souverain sera soumise à un référendum.

La publication du rapport reçut une forte publicité à travers le Québec et le Canada. Le rapport fut l'objet des commentaires de nombreux politiciens et journalistes canadiens. À l'intérieur du Parti libéral du Québec, les factions fédéralistes et souverainistes entreprirent de mobiliser leurs forces pour le congrès d'orientation. Plusieurs ministres se sont dissociés du rapport ou ont indiqué qu'ils ne l'endossaient pas.

Le congrès lui-même fut un moment fort de la politique québécoise de l'année 1991. Trois événements allaient marquer ce congrès. D'abord, à la surprise de plusieurs, les membres du parti adoptèrent le rapport Allaire sans amendements significatifs. N'ayant pas réussi à faire amender le rapport Allaire, le ministre Claude Ryan, un des leaders de la faction fédéraliste, quitta la salle du congrès et laissa l'impression qu'il songeait très sérieusement à démissionner du cabinet. Les commentateurs s'attachèrent alors moins au contenu des propositions constitutionnelles du parti qu'au départ possible d'un groupe de militants de l'aile fédéraliste. Lors du discours de clôture du congrès, le chef du parti, et premier ministre, fit un plaidoyer pour le fédéralisme canadien en indiquant que le rapport Allaire serait un document parmi d'autres dont le gouvernement devrait tenir compte dans la suite des événements.

Le congrès de la Commission Jeunesse du Parti libéral, en août 1991, réitérait l'appui inconditionnel des jeunes au rapport Allaire. La faction fédéraliste fut à nouveau défaite dans sa tentative de faire adopter l'idée que le régime fédéral devait demeurer le premier choix du parti.

Le Parti québécois a tenu de son côté son onzième congrès national en janvier 1991. Une seule véritable controverse à ce congrès: la question de la guerre contre l'Irak; environ les deux tiers des militants au congrès ont approuvé l'usage de la force contre ce pays. La précision majeure à leur programme fut adoptée sans débats déchirants, car elle avait déjà été longuement débattue dans les instances locales et régionales. Le parti a en effet adopté une résolution prévoyant de tenir un référendum avant de réaliser la souveraineté. Le programme péquiste prévoit désormais que dès son élection le gouvernement fera adopter par l'Assemblée nationale une déclaration solennelle affirmant la volonté du Québec d'accéder à sa pleine souveraineté, établira, à la suite de discussions avec Ottawa, l'échéancier et les modalités de transfert des pouvoirs et des compétences, ainsi que les règles de partage de l'actif et des dettes, demandera, dans les meilleurs délais, à la population de se prononcer, par voie de référendum, sur la souveraineté du Québec, et proposera au gouvernement fédéral des modes d'association économique mutuellement avantageux.

Au total, 847 propositions avaient été acheminées aux participants touchant divers aspects du programme de 1988. Ces propositions s'articulaient autour de six grands axes: le développement régional, la lutte à la pauvreté, les Amérindiens, les aînés, l'immigration et l'environnement. Une des résolutions prévoit qu'un Québec souverain reconnaîtra aux nations autochtones le droit de se donner des gouvernements responsables qui exerceront leurs pouvoirs sur les réserves qu'elles occupent ou sur les terres qu'elles obtiendront par la négociation. Dans cette section de son programme, le PQ tente de proposer aux onze nations autochtones présentes sur le territoire québécois une nouveau contrat social.

Le PQ a aussi lancé une série d'initiatives visant à préciser son programme. Le chef du parti a annoncé qu'un Québec indépendant conserverait fort probablement la monnaie canadienne. Le parti a chargé un comité d'étudier la transition dans le domaine juridique d'un Québec, province canadienne, à celui d'État souverain. Il a tenu un colloque sur la place des anglophones dans un Québec souverain et a voulu entreprendre un dialogue plus large avec ceux-ci.

En avril 1991, le Conseil général du PQ a annoncé que le PQ appuierait le Bloc québécois lors des prochaines élections fédérales. Le chef du Bloc québécois a publiquement indiqué que son parti ne militerait pas pour le PQ aux élections provinciales, car le Bloc regroupe des militants du PLQ et du PQ qui luttent pour la souveraineté du Québec au parlement fédéral.

Le Parti Égalité a tenu, en mars 1991, un premier congrès depuis sa fondation en 1989. Le parti s'est doté d'une constitution plus étoffée, qui régira les règlements du parti, la composition de l'exécutif, la structure même du parti et de ses associations dans les circonscriptions. Le congrès réunissait entre cent et deux cents personnes. Un congrès du PQ réunissait entre mille et deux mille personnes, alors que le PLQ réunissait plus de deux mille personnes à son congrès de 1991.

Le Parti Égalité, qui avait été formé pour lutter contre la loi québécoise sur l'affichage, a réitéré son opposition à cette loi. Il propose plutôt une politique de bilinguisme et le libre choix de la langue d'enseignement. Sur le partage des pouvoirs entre l'État fédéral et l'État provincial, le Parti Égalité propose un certain nombre de modifications: que la formation de la main-d'oeuvre, le développement régional, les lois sur la famille et la sécurité du revenu soient de compétence provinciale exclusive. Que l'environnement soit de juridiction fédérale et que la culture soit de juridiction partagée. Le Parti Égalité reconnaît l'autonomie politique des autochtones au sein de la fédération canadienne.

La proposition qui a retenu davantage l'attention du public est celle où le Parti Égalité propose de partitionner le Québec si les Québécois optent pour la souveraineté politique.




Le financement

En 1991, trois questions majeures ont été posées sur le financement des partis politiques. D'abord, le Parti Égalité a demandé au Directeur général des élections de ne pas publier la liste des noms des contributeurs à ce parti. Le chef du Parti Égalité, Robert Libman, était d'avis que les personnes qui contribuaient à son parti pourraient être la cible d'une pression ou d'une discrimination quelconque. Le Directeur général des élections, Pierre F. Côté, a publié la liste des donateurs comme le stipule la loi. Le chef du Parti Égalité a annoncé qu'il tenterait de faire invalider la loi devant les tribunaux.

La deuxième question a été soulevée à l'occasion des discussions d'une Commission fédérale d'enquête sur le financement des partis fédéraux. Plusieurs personnes ont laissé entendre que des sociétés faisaient des dons aux partis par l'intermédiaire de leurs propriétaires ou de leurs cadres. Conformément à la loi, les dons aux partis seraient faits par des individus, mais les sociétés pour lesquelles les individus travaillent rembourseraient les montants des dons à titre de frais de représentation. Le Directeur général des élections a affirmé ne pas avoir d'informations qui lui auraient permis de poursuivre des sociétés ou des individus qui auraient contrevenu à la loi sur le financement des partis.

Une troisième question a été soulevée par le Directeur général des élections à la suite de la décision gouvernementale d'octroyer un budget annuel de 100 000 $ à chaque député pour des subventions discrétionnaires à des groupes communautaires. Le contrôle d'un budget discrétionnaire d'une telle ampleur constitue un avantage certain pour les députés qui se présenteront à nouveau lors des prochaines élections.

Les rapports financiers des partis politiques rendus publics en 1991 indiquent que le Parti libéral du Québec a recueilli deux fois plus de fonds que le Parti québécois. Les fluctuations dans le total des sommes recueillies par le Parti libéral sont liées aux méthodes utilisées par ce parti pour solliciter les citoyens. Avant l'année électorale 1989, le PLQ organisait des activités sociales où les participants pouvaient rencontrer des ministres ou autres décideurs gouvernementaux. Le prix d'entrée à ces activités, cocktails, dîners, tournois de golf, pouvait aller au-delà de 1000 $ par personne. Cette pratique avait cessé pour l'année des élections et les revenus du PLQ avaient nettement chuté. En 1990, la technique des activités sociales a été reprise avec succès bien que le budget en dollars courants n'ait pas rejoint celui de 1988 ou même celui de 1987.

De son côté le PQ a réussi en 1991 à effacer la dette accumulée. Lors de son élection à la direction du parti, Jacques Parizeau en avait fait une priorité. La levée de fonds est demeurée plus difficile pour le PQ que pour le PLQ, mais l'écart entre les deux formations s'est quelque peu rétréci. Alors que les revenus du PLQ étaient quatre fois supérieurs à ceux du PQ en 1988, ils ne sont plus maintenant que du double.

Les indicateurs financiers du tableau 1 montrent bien la différence persistant entre les deux principaux partis politiques. Le PLQ reçoit des contributions moins nombreuses mais plus élevées que le PQ. Le train de vie du PLQ est nettement supérieur à celui du PQ. Le tableau 2 présente le montant de l'allocation versée aux partis en vertu de la loi sur le financement des partis. Chaque parti accrédité reçoit, selon la proportion de votes valides qu'il a obtenus lors du dernier scrutin, 25 cents par électeur et électrice. En juxtaposant le revenu total d'un parti à l'allocation reçue de l'État, on peut se faire une bonne idée de l'importance de l'allocation pour ce parti.










L'organisation

Au Québec, une organisation doit être reconnue par le Directeur général des élections pour pouvoir jouir des avantages attribués aux partis politiques par la loi. En 1991, le Directeur général des élections a retiré l'accréditation du Parti progressiste conservateur du Québec. Les motifs du retrait sont essentiellement le non-acquittement des sommes dues aux créanciers et le non-remboursement annuel des intérêts sur les emprunts. Le Parti progressiste conservateur du Québec, qui n'est pas une filiale du parti fédéral, avait déjà dû comparaître devant le Directeur général des élections les deux années précédentes. Trois autres petits partis risquent de perdre leur accréditation faute de produire leurs rapports financiers.

Les organisations des deux grands partis ont été particulièrement actives en 199 1. Le PLQ a tenu des réunions à huis clos dans les circonscriptions pour préparer le grand congrès qui a adopté le rapport Allaire. Il a organisé des réunions régionales des militants, les conseils généraux du parti, le congrès de la Commission jeunesse et de plus, en août 199 1, le PLQ déménageait dans un édifice rénové dont il avait fait l'acquisition quelques mois plus tôt. Le secrétariat du PLQ compte environ soixante employés.

Le Parti québécois a aussi tenu de multiples assemblées en vue de son congrès: il a organisé congrès, colloques, conseils généraux et aussi plusieurs voyages du chef du parti aux Etats-unis, en Europe et dans l'ouest du Canada. En janvier 1991, le PQ comptait 138 000 membres dont 42,5 % de femmes. La structure d'âge était la suivante: 16 % entre 15 et 30 ans, 23 % entre 31 et 40 ans, 23 % entre 41 et 50 ans, 17 % entre 51 et 60 ans, 20 % entre 61 et 99 ans. Ce parti est composé de cols blancs, d'enseignants, d'administrateurs, de cadres syndiqués, de professionnels; ses militants sont plus scolarisés et ont un niveau de vie supérieur à la moyenne québécoise.




Personnel

Après la crise autochtone de l'été 1989, le chef du Parti libéral avait dû être hospitalisé pour l'ablation de lésions cancéreuses. Son avenir comme chef de parti et premier ministre sembla un moment incertain. Alors que sa convalescence se prolongeait, les regards des observateurs de la scène politique se tournèrent vers trois aspirants potentiels: Lise Bacon, Daniel Johnson et Gil Rémillard, tous trois ministres. Un sondage d'opinion publique réalisé au début de novembre 1990 révélait que Daniel Johnson était le préféré de l'électorat en général, des partisans libéraux et encore plus des partisans libéraux anglophones. Le retour de Robert Bourassa a mis fin aux spéculations sur sa succession.

Quant au chef du Parti québécois, Jacques Parizeau, il fut confirmé dans ses fonctions par un vote de confiance de 920 des délégués au congrès de janvier 1991. Selon les règles du PQ, le chef doit se soumettre à ce vote au congrès qui suit les élections générales. Le chef du Parti Égalité fut contesté par au moins un des députés de son caucus, mais ce député fut finalement évincé du parti.

En 1991, quelques personnalités se sont affichées ouvertement pour le Parti québécois. Le criminaliste montréalais Serge Ménard a annoncé qu'il souhaiterait être candidat péquiste aux prochaines élections générales. Un ex-député libéral à la Chambre des communes, Louis Duclos, a tenté sans succès de devenir le candidat du PQ à l'élection partielle dans la circonscription de Montmorency. C'est Jean Filion qui sera choisi et élu député le 12 août. Une nouvelle figure au Parti québécois, Rita Dionne-Marsolais, fut élue trésorière du PQ lors du congrès de janvier 1991. La moitié des militants qui participaient à ce congrès en étaient à leur première présence à ces importantes assises du PQ. Les moins de trente-cinq ans comptent pour environ le tiers des délégués et les cinquante-cinq ans et plus pour environ 20 pour cent. Au congrès du PLQ qui a adopté le rapport Allaire, les jeunes comptaient aussi pour environ un tiers des délégués.




La clientèle

Lors des élections générales de septembre 1989, le PLQ avait obtenu 50 % des votes valides et le PQ, 40 %. À partir de cette date le PLQ a peu à peu perdu du terrain, alors que le PQ voyait ses appuis augmenter légèrement. Au printemps 1990, le PQ commença à devancer le PLQ dans les sondages d'opinion. Depuis lors le PQ a constamment été en avance sur les libéraux, sauf au mois de janvier 1991 lorsque le premier ministre Bourassa est réapparu après une convalescence qui faisait suite à une opération chirurgicale.

Depuis 1987, le Parti québécois a augmenté ses appuis d'environ cinq points en moyenne par année. Alors qu'il obtenait moins de 30 % des intentions de vote en 1987, il en obtenait plus de 45 % à la fin de 1991 selon les chiffres de 11Q0P. Le PLQ pour sa part, tout en gardant un fort noyau d'appuis, semble être particulièrement affecté par les tiers partis. Aussi, il ne faut pas se surprendre de la déclaration du chef du Parti Égalité, qui déclarait que son parti pourrait ne pas présenter de candidats là où cela pourrait permettre au Parti québécois de l'emporter sur les libéraux.

À partir des divers sondages d'opinion publique diffusés dans les médias, on peut tracer un graphique des tendances de l'année écoulée. Certaines des fluctuations dans les courbes sont sans doute dues davantage aux différentes procédures utilisées par les maisons de sondage qu'à l'opinion publique, mais dans l'ensemble les résultats sont cohérents. Parce que les sondages ont habituellement sous-estimé l'appui au PLQ, on considère comme sage d'ajouter aux scores du PLQ jusqu'à trois ou même cinq points dans toute évaluation globale de la popularité des partis. Toutes les maisons de sondage ne traitent pas les petits partis de la même façon. Notons que la popularité du Parti Égalité a fluctué selon le mois de l'année et la maison de sondage de trois à huit pour cent alors que le NPD s'est maintenu autour de huit pour cent.



Figure 1





Conclusion

Après l'échec en 1990 de la proposition d'amendement à la Constitution canadienne, le Parti libéral du Québec a entrepris une grande manoeuvre pour se positionner sur l'axe fédéralisme-souveraineté. Le PLQ a tenté de se placer là où il peut rejoindre le plus d'électeurs. Le gouvernement issu du PLQ n'a pas fait sien le programme du parti en matière constitutionnelle. Le PQ pour sa part a, tant par son programme que par les discours de ses dirigeants, clarifié sa position sur les modalités d'accession à la souveraineté du Québec, tandis que le Parti Égalité faisait ressortir sa position nettement procanadienne. En 1992, les militants des partis politiques québécois devraient se retrouver dans des organisations défendant l'une ou l'autre option constitutionnelle présentée au référendum, si bien que les partis politiques eux-mêmes pourraient avoir de la difficulté à maintenir leurs activités et leur niveau de financement au cours de cette période.