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L'élection municipale de 1990 à Montréal



Pierre Drouilly
Université du Québec à Montréal


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : La vie municipale et régionale



C'est le dimanche 4 novembre 1990 que se sont tenues les élections municipales à Montréal. Le maire Jean Doré, élu pour la première fois en 1986 à la tête du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), était maintenant le chef du parti au pouvoir à l'Hôtel de Ville, et devait subir les attaques de ses adversaires.

Ceux-ci étaient néanmoins fortement divisés. D'une part le Parti civique ne s'était pas relevé de sa défaite de 1986: comme tous les partis trop fortement identifiés à un homme politique, en l'occurrence Jean Drapeau, il fut incapable de se donner une vie démocratique réelle et les dissensions internes qu'il a connues entre 1986 et 1990 ressemblaient plus à des querelles de palais qu'à un vrai débat politique. Son candidat de 1986 écarté (Claude Dupras), son seul conseiller élu en 1986 siégeant maintenant comme indépendant (Germain Prégent), c'est finalement Nicole Gagnon-Larocque qui fut choisie pour porter le flambeau d'un parti anémique. D'autre part, à l'intérieur même du RCM, les dissensions furent nombreuses entre 1986 et 1990, et finalement un conseiller de ce parti, Pierre-Yves Melançon, fonda la Coalition démocratique pour laquelle il se présenta à la mairie. Enfin le Parti municipal, lui aussi formé d'anciens conseillers du RCM, auxquels se sont joints des conseillers indépendants et d'anciens candidats du Parti civique et du Parti de l'administration municipale, présente Alain André comme candidat à la mairie. À cette division tripartite de l'opposition, il faut ajouter des candidats indépendants et des candidats de formations marginales (Montréal écologique et Parti éléphant blanc de Montréal).



Les électeurs inscrits

Le recensement des électeurs s'est fait, en 1990, dans des conditions imparfaites1 ] , ce qui a amené, sur la place publique, de nombreuses protestations des partis d'opposition, protestations parfois teintées d'accusations de malversations électorales. En effet le nombre d'électeurs inscrits passe de 695 845 en 1986 à 619 550 en 1990, soit une baisse de 76 295, ou encore 11,0 % (voir le tableau 1). Néanmoins, si l'on compare ces chiffres avec ceux des électeurs inscrits aux élections provinciales de 1985 et de l9892 ] , soit respectivement 710 826 et 668 678 électeurs inscrits, on doit conclure qu'une part importante de cette baisse est due à l'exode d'une partie de la population montréalaise vers les villes de banlieue. Selon les chiffres provinciaux, la ville de Montréal a perdu 42 148 électeurs entre 1985 et 1989, soit 10 537 par an en moyenne. En appliquant ce chiffre au nombre d'électeurs municipaux, le sousdénombrement aurait été négligeable en 1986 (moins de 5000 électeurs) et de l'ordre de 40 000 en 1990, ou encore de 6 % environ. Mais une partie de ce sous-dénombrement peut être dû au manque d'intérêt des électeurs pour la consultation de 1990, comme l'indique le faible taux de participation à celle-ci.







La participation électorale

En effet, la participation électorale n'a été que de 36,1 %, soit 13,7 % de moins qu'en 1986 (voir le tableau 2). Cela fait de l'élection de 1990 une élection à faible participation, comme celles de 1974, 1966, 1962 ou 1960, contrairement à l'élection de 1986 qui correspondait à un taux de participation élevé pour une élection municipale (49,8 %), du même ordre de grandeur que celles de 1982, 1978 ou 19703 ] .




Comme le montre la carte 2, le taux de participation varie d'un district électoral à l'autre suivant les grands paramètres sociologiques de la participation électorale: les plus forts taux d'abstention se retrouvent dans les quartiers les plus défavorisés (le centre-sud par exemple), alors que les taux de participation les plus élevés se retrouvent en périphérie dans les quartiers de banlieue (Cartierville, Ahuntsic, Rivière-desPrairies, Pointe-aux-Trembles). Cette répartition des taux de participation ne fait que refléter le degré d'intégration des différentes couches sociales à l'univers politique.







Dans le cas d'une élection municipale, fût-elle celle de la métropole du Québec, cela se fait dans le cadre d'une abstention importante, qui a toujours révélé le faible intérêt des électeurs pour les enjeux politiques municipaux. Cependant les variations du taux de participation dans le temps sont significatives, et l'élection de 1990 se classe, à ce point de vue, comme une élection de faible intérêt, de la part des citoyens, pour les enjeux du scrutin.




Les conseillers élus

Après un quart de siècle de domination politique de Jean Drapeau à l'Hôtel de Ville, l'élection de 1986 est apparue comme celle du renouveau: le RCM balaie alors Montréal en faisant élire 55 de ses 58 candidats, avec 63,1 % du vote et grâce au mode de scrutin qui amplifie démesurément le nombre d'élus du parti victorieux. L'élection de 1990 apparaît comme une élection de continuité, même si le RCM ne fait élire que 42 conseillers sur un total de 50, et que son vote n'est que de 49,8 %: ici encore le mode de scrutin l'a favorisé, d'autant plus que l'opposition est divisée en plusieurs partis qui permettent aux candidats du RCM de se glisser dans plusieurs districts. L'opposition ne fait élire que 8 conseillers (voir la carte 3), soit trois pour le Parti municipal, trois pour la Coalition démocratique et un seul pour le Parti civique, le parti de l'ancien maire Drapeau, auxquels il faut ajouter un candidat indépendant (Germain Prégent dans Saint-Henri), lui-même seul conseiller du Parti civique élu en 1986.




La carte 4, qui représente la répartition du vote aux candidats du RCM, montre très bien les forces et faiblesses des appuis à ce parti. Il tient sa force principalement des districts à forte majorité francophone (voir la carte 10), soit une bande le long du fleuve qui va de Saint-Henri à Tétraultville, ainsi que la partie est de l'île (Rivière-des -Prairies et Pointe-aux -Trembles): seule le région francophone de Ahuntsic lui échappe quelque peu. Le vote du RCM est régulièrement faible dans les quartiers non-francophones (voir les cartes 11 et 12), qu'ils soient fortement anglophones (Notre-Dame-de-Grâce, Côte-des-Neiges) ou fortement allophones (axes des rues Saint-Laurent et Jean-Talon ou le quartier Saint-Michel). Dans le nord de la ville, c'est le Parti civique qui lui dispute le vote francophone (voir la carte 5) tout comme le Parti municipal (voir la carte 6) qui obtient aussi des appuis significatifs dans l'extrême est de la ville. Le vote anglophone, pour sa part, est fortement orienté vers la Coalition démocratique (voir la carte 7) et en partie vers le Parti municipal, alors que le vote allophone semble se partager plutôt entre le Parti civique et le Parti municipal.













Il s'agit là d'un renversement complet de la situation traditionnelle du RCM, renversement qui s'était déjà amorcé en 1986: en effet dans les années 70, le RCM tirait le plus clair de ses appuis de l'électorat anglophone de l'Ouest de la ville, alors que le Parti civique contrôlait complètement l'électorat francophone. En 1990, et déjà en 1986, le RCM est devenu le principal parti municipal francophone de Montréal, et se voit aujourd'hui boudé par l'électorat anglophone comme le fut dans la décennie précédente le Parti civique4 ] .




L'élection à la mairie

Comme il est habituel aux élections municipales de Montréal, le maire élu fait mieux que son parti: Jean Doré obtient, en 1990, 59,2 % du vote exprimé contre 49,8 % pour le RCM (les chiffres respectifs étant de 67,7 % et 63,1 % en 1986). Par contre les autres candidats à la mairie font moins bien que leurs partis respectifs, sauf peut-être Nicole Gagnon-Larocque, candidate du Parti civique qui obtient 20,7 % du vote contre 20,4 % pour son parti (alors qu'en 1986 le candidat du Parti civique, Claude Dupras, obtenait 29,3 % du vote, soit 3,7 % de moins que son parti).

La répartition du vote entre Jean Doré et Nicole Gagnon-Larocque (voir les cartes 8 et 9) illustre parfaitement, en le rendant encore plus contrasté, le renversement des appuis aux différents partis depuis 10 ans. Le vote pour Jean Doré ressemble maintenant, à s'y méprendre, au vote qu'obtenait Jean Drapeau à la fin des années 70 ou au début des années 805 ] .



















Conclusion

L'élection municipale de Montréal en 1990, sous des apparences de continuité (réélection du RCM avec une forte majorité des conseillers et réélection du maire Jean Doré), révèle en fait un changement majeur dans la structure des appuis aux partis politiques. Depuis sa fondation, le RCM était le produit d'une alliance de courants progressistes, francophone et anglophone. Dans le courant des années 70, il a perdu son aile radicale pour devenir un parti réformiste modéré, ce qui lui a permis d'accéder à la mairie de Montréal. Mais en même temps, il a perdu en grande partie l'appui de son électorat anglophone au moment même où il remplaçait le Parti civique comme parti de la majorité francophone6 ] . Ce phénomène était largement amorcé en 1986, et il s'est poursuivi en 1990. Le RCM est maintenant installé au pouvoir avec une large majorité chez les francophones, et à la faveur d'un faible taux de participation électorale.

Les résultats électoraux ne permettent pas d'expliquer pourquoi cette restructuration des appuis électoraux s'est produite, mais nous ne sommes pas loin de croire qu'il s'agit là d'un effet politique des débats constitutionnels qui éloignent la minorité anglophone des institutions de la majorité (le Parti égalité en étant un autre exemple). Le virage effectué en sourdine par le RCM sur la question linguistique ne passe sans doute pas inaperçu des électeurs anglophones, tout comme les gestes symboliques que ce parti a pu poser à l'occasion. Ainsi le changement de nom du boulevard Dorchester en boulevard René-Lévesque, au lendemain même du décès de l'ancien premier ministre, n'a pas été très apprécié des Montréalais anglophones (comme l'a montré la ville de Westmount qui a refusé d'effectuer pareil changement sur son territoire), pas plus que la récente intention de la ville de Montréal de ne publier qu'en français ses avis juridiques dans les quotidiens.




Note(s)

1.  Le rapport officiel des résultats de l'élection fait état des difficultés rencontrées dans le recensement électoral. Nous avons tirés les données concernant les élections municipales des rapports officiels, soit Élections municipales 9 novembre, Statistiques, Ville de Montréal, Service du greffe, 1986 et Élection 4 novembre 1990, Statistiques, Ville de Montréal, Service du greffe, 1991.

2.  On trouvera les résultats des élections provinciales pour l'ensemble de la ville de Montréal dans notre ouvrage : Pierre Drouilly, Statistiques électorales par municipalités et secteurs de recensement 1970-1989, deuxième édition, Bibliothèque de l'Assemblée nationale du Québec, Bibliographie et documentation n27, Québec, 1991, 2 volumes, 1422 pages.

3.  On trouvera des analyses des élections municipales à Montréal dans Ludger Beauregard, Les élections municipales de 1978 à Montréal, une étude de géographie de Montréal, Université de Montréal, Département de géographie, Notes et documents, 1980, 48 pages, ainsi que dans Ludger Beauregard, « Les élections municipales à Montréal en 1982: une étude de géographie politique », Cahiers de géographie du Québec, XXVIII, 75, 1984, p. 395-433. Pour l'élection municipale de 1974, voir aussi Pierre Drouilly, « L'électeur montréalais ne vote pas Trudeau à Ottawa, Lévesque à Québec et Drapeau à Montréal », Le Jour, 28 octobre 1974.

4.  Voir les textes de Ludger Beauregard précédemment cités.

5.  Voir les cartes produites par Ludger Beauregard dans les textes précédemment cités.

6.  L'élection partielle tenue dans le district de Notre-Dame-de-Grâce, pour remplacer Michel Fainstat démissionnaire, a confirmé la faiblesse des appuis du RCM auprès de l'électorat anglophone puisqu'il est arrivé, au cours de cette élection, en troisième position.