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Demandes sociales et action collective



Pierre Hamel
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : Les mouvements sociaux



De la deuxième moitié de 1990 à la fin de 1991, le Québec a vécu une période de morosité économique et sociale dont nous ne voyons pas encore l'issue. On peut dire que cette dernière année et demie a été particulièrement difficile pour les ménages, les travailleurs, les contribuables, de même que pour tous ceux et celles qui ont perdu leur emploi ou qui ont dû, pour survivre, faire appel aux programmes d'aide sociale. Pourtant, les signes extérieurs d'insatisfaction, de mécontentement, voire de révolte, sont demeurés, toute proportion gardée, relativement discrets. Même si un certain nombre de manifestations populaires ont été organisées pour réclamer des mesures sociales face à la montée du chômage et de la pauvreté, elles n'ont pas donné lieu à l'émergence d'un véritable mouvement social.

En y regardant de plus près toutefois, on peut dire que s'ajoutent aux manifestations précédentes des actions collectives reliées indirectement au problème de la pauvreté et de la précarité sociale. Pensons aux démarches entreprises par les organismes communautaires dans certains quartiers montréalais pour contrer la drogue et la prostitution. Mentionnons aussi les mobilisations populaires pour réclamer des logements sociaux, ou l'action communautaire orientée vers la formation de la main-d'oeuvre ou la création d'emplois. Il reste que ces dernières démarches sont loin d'avoir eu l'ampleur qu'a connue, par exemple, la mobilisation des Cris et des écologistes à l'encontre du projet Grande-Baleine ou encore celle des médecins à l'égard de la réforme de la santé et des services sociaux présentée par le ministre Côté.

L'action collective portée par les acteurs sociaux sur la scène publique peut s'articuler autour de trois grands thèmes qui se chevauchent parfois: 1) les revendications émises par diverses catégories sociales, qu'elles soient ethniques ou professionnelles; 2) les actions qui mettent en cause le système d'insertion et d'aide sociale en vigueur; 3) les revendications autour des enjeux urbains et de l'environnement.



1. La défense des droits ethniques et professionnels

Les luttes pour la défense des droits territoriaux des autochtones sont remontées à la surface depuis deux ans avec une acuité qui en étonne plusieurs. La «crise d'Oka», qui est partie d'un incident mineur - l'aménagement d'un terrain de golf par la municipalité d'Oka sur un espace que les Mohawks de Kanesatake considèrent comme faisant partie de leur territoire historique -, a pris des proportions démesurées au cours de l'été 1990. Les péripéties qui ont marqué l'affrontement entre les Amérindiens de cette région, d'une part, et le gouvernement québécois et l'armée, d'autre part, ont connu leur dénouement le 26 septembre par la reddition à l'armée des Warriors et de leurs sympathisants. Toutefois, comme l'ont souligné la plupart des observateurs, ce geste ultime était loin de constituer le dernier acte d'un malaise plus profond entre les nations amérindiennes et la société québécoise. Nous sommes bel et bien ici en présence d'un contentieux historique qui n'a jamais été réglé. Ayant donné lieu à des compromis circonstanciels et à diverses concessions de la part des gouvernements québécois et canadien, les revendications territoriales amérindiennes font appel à des droits ancestraux et à une identité nationalitaire exigeant une reconnaissance qui est loin d'être acquise sur le plan politique.

Par ailleurs, ce que nous a fait comprendre une fois de plus la «crise d'Oka», si besoin était, c'est que les conflits locaux peuvent très rapidement prendre des proportions internationales qui ajoutent aux difficultés d'y trouver des solutions et des compromis satisfaisants pour les principaux intéressés. Cette internationalisation des conflits, qui peut paraître avantageuse à certains protagonistes dans un premier temps, conduit parfois à déplacer les enjeux, sinon à leur donner des proportions démesurées par rapport à ce qui était revendiqué initialement par les populations concernées.

Dès le début de l'automne 1990, mais surtout pendant toute l'année 1991, nous avons vécu à certains égards, avec le projet Grande-Baleine, un scénario similaire à celui de Kanesatake et de Kanawake, l'été précédent. Malgré le fait qu'il n'y a pas de comparaison possible si l'on considère l'ampleur des aménagements proposés dans les deux cas, il reste qu'à l'instar de la crise de l'été 1990, la lutte des Cris et des environnementalistes contre Hydro-Québec et son intention d'aménager trois nouvelles rivières dans le nord du Québec est rapidement devenue un affrontement avec des résonances internationales fortes, à cause des effets écologiques et sociaux rattachés à ce mégaprojet. On peut souligner que les Cris ont été habiles à sensibiliser l'opinion internationale en ayant recours à des moyens d'action spectaculaires, comme la descente en canot d'un groupe de Cris et d'Inuit de Grande-Baleine jusqu'à New York, où ils sont arrivés au mois d'avril et où ils ont été reçus chaleureusement à la fois par des environnementalistes et par des groupes qui se portent à la défense des autochtones.

Le dossier de Grande-Baleine est complexe et riche en péripéties diverses. Il met en cause non seulement Hydro-Québec et les Cris et Inuit directement affectés par le projet mais aussi une foule d'autres acteurs: le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, des groupes d'environnementalistes, une coalition patronale- syndicale, l'Assemblée des Premières Nations, l'ensemble de la population du Québec, etc.

En fait, l'opposition amérindienne à ce projet a forcé le débat non seulement sur la place et l'importance de l'hydro-électricité dans le développement du Québec, mais aussi sur une foule d'autres enjeux qui lui sont reliés, comme le modèle de développement que doit préconiser le gouvernement du Québec, la pertinence de faire appel à des mégaprojets pour relancer l'économie à une époque où la protection de l'environnement est devenue une priorité sociale, l'intégration économique et politique des nations amérindiennes et inuit à la société québécoise. Bien entendu, tous ces problèmes ne sont pas nouveaux. Grande-Baleine a cependant fourni l'occasion de les replacer dans un contexte politique concret.

Sans retracer en détail toutes les péripéties qui ont marqué l'événement, rappelons quelques faits. D'abord, disons que l'opposition des Amérindiens s'est manifestée d'une manière plus claire à partir du moment où Hydro-Québec a annoncé son intention de scinder les études d'impact en séparant les études portant sur les infrastructures requises pour l'accès et la réalisation du projet, d'une part, et les études relatives aux barrages et aux réservoirs, d'autre part - soit au printemps de 1990. C'est que la nation crie voyait dans cette approche une stratégie pour rendre le projet «irréversible»: «Une fois la route construite, en effet, ne faudrait-il pas compléter le projet pour justifier ce premier investissement de 500 millions?»1 ] La nation crie s'est donc opposée d'une manière farouche à Grande-Baleine. À cette fin, elle a mis en branle une démarche de sensibilisation de l'opinion publique nationale et internationale en faisant appel à des groupes de pression très prestigieux comme la société nationale Audubon aux États-Unis et Greenpeace, qui n'ont pas hésité à leur fournir des appuis importants.

Par ailleurs, les Cris ont pu bénéficier du contentieux fédéral provincial en matière d'environnement. Ottawa et Québec se sont en effet lancés dans une véritable bagarre judiciaire à ce sujet, parce que le fédéral soutenait que ce type de projet devait être soumis à une évaluation environnementale fédérale. De leur côté, les Cris ont intenté une poursuite à l'endroit de l'Administrateur fédéral de la Convention de la Baie James dans le but de le forcer à intervenir dans l'évaluation environnementale du projet et ils ont obtenu gain de cause. Finalement, le gouvernement du Québec a pris prétexte de la demande réduite d'électricité dans l'État de New York pour reporter d'un an le début des travaux et permettre, par le fait même, comme le réclamaient les autochtones, une évaluation globale du projet Grande-Baleine.

Si la société québécoise éprouve de la difficulté à s'entendre avec les Premières Nations, elle connaît également beaucoup de problèmes - qui vont parfois jusqu'à revêtir la forme de violence raciale - avec les nouveaux immigrants et en particulier avec la communauté noire. Bien que les problèmes surviennent principalement dans la région montréalaise, où ils se trouvent reliés de près à la montée de la pauvreté, du chômage et de la criminalité urbaine, il reste que leur répercussion s'étend à l'ensemble de la société québécoise puisque leurs solutions exigent certains choix de société qui engagent l'ensemble de la communauté.

C'est la tragédie survenue en juillet 1991 - un policier de la CUM abat Marcellus François alors qu'il croyait «tirer sur un suspect de tentative de meurtre»2 ] - qui a donné lieu à l'une des manifestations antiraciales les plus importantes de l'année 1991. En effet, le vendredi soir 26 juillet, plus de 500 manifestants ont bloqué la rue Sainte-Catherine entre les rues Peel et Université pour dénoncer la violence policière à l'endroit des Noirs.

Cette mobilisation s'inscrit dans un contexte de violence latente, alors que des frictions et des affrontements entre la communauté noire et les autres membres de la population surviennent d'une manière épisodique dans certains quartiers montréalais. C'est ce qui se passe dans Côte-des-Neiges depuis quelques années; mais c'est également ce qui est survenu dans Hochelaga-Maisonneuve au début du mois de juillet lorsqu'un groupe de résidents noirs a été pris à parti par «une vingtaine de jeunes Blancs»3 ] . Quelques semaines plus tard, cette échauffourée a justifié une rencontre des citoyens du quartier, qui ont procédé à un bilan du racisme dans leur milieu de vie, en essayant de dégager quelques moyens concrets d'intervention pour en contrer les méfaits.

Sur un autre plan, l'année 1991 a été difficile pour le mouvement étudiant' Incapable, l'année précédente, d'infléchir la décision du ministre de l'Éducation de hausser les frais de scolarité dans les universités, le mouvement étudiant a dû procéder à un bilan de son échec. Les militants du mouvement étudiant ont également dû s'interroger sur les divisions idéologiques et organisationnelles qui continuent d'affecter l'ensemble du mouvement: «Contestation versus collaboration, révolte ou dialogue, l'histoire du mouvement étudiant des vingt dernières années est toute teintée de la scission entre ces deux conceptions du militantisme»4 ] . Ne pouvant échapper aux luttes de pouvoir inhérentes à toute organisation, les associations étudiantes font face à un problème de taille lorsque de tels affrontements en viennent à paralyser complètement leurs possibilités d'action. Pourtant, à la lumière de la conjoncture et de l'ampleur des problèmes auxquels se trouve confronté le milieu de l'éducation, l'urgence d'une action concertée semble devoir s'imposer à plus ou moins brève échéance, même si l'on ne choisit pas à cette fin les modèles traditionnels de l'action collective.

Si les étudiants ont éprouvé beaucoup de difficultés à s'organiser et à se mobiliser pour mieux faire valoir leurs intérêts, cela n'a pas été le cas des médecins et de leurs associations, qui sont partis en guerre contre la réforme du ministre Marc-Yvan Côté relativement aux services de santé - projet de loi 120 - dès janvier 1991, c'est-à-dire peu après que le projet eut été déposé par le ministre. Faut-il voir dans cette grande capacité de mobilisation des médecins et de leurs associations, en comparaison du mouvement étudiant, traditionnellement politisé et dynamique mais qui n'arrive pas à s'organiser de manière efficace depuis quelques années, un signe des temps qui coïnciderait avec le renforcement des corporatismes ? Serait-ce, par ailleurs, que les médecins sentent qu'ils perdent du terrain sur le plan socio-professionnel, de sorte qu'ils se voient obligés de recourir à l'action collective pour préserver leurs acquis ?

Les réponses à ces questions ne se trouvent sans doute pas dans les principaux moyens d'action et les péripéties qui ont caractérisé cette lutte des médecins contre la réforme du ministre Côté. Il reste qu'un rappel de ces éléments peut nous aider à y voir plus clair.

Le projet de réforme poursuit deux objectifs majeurs à savoir, d'une part, un contrôle accru des actes médicaux et de leurs coûts et, d'autre part, un accroissement de l'accessibilité aux soins de santé pour l'ensemble de la population, y inclus pour celles et ceux qui vivent dans les régions périphériques. La réforme vise ainsi à répondre à la double pénurie qui caractérise notre système de santé, «le manque de spécialistes en région, et le manque de médecins intéressés à pratiquer en établissement»5 ] . Pour ce faire, le ministre crée des régies régionales qui ont la responsabilité de contrôler et de coordonner l'activité médicale. Cette instance accroît manifestement le pouvoir des fonctionnaires au détriment de celui des professionnels, du moins dans la lecture qui en est faite par le milieu médical ainsi que par les administrateurs des établissements de santé:

«Omniprésente, (la régie) planifie et gère. Elle évalue et intervient. Elle fait intervenir aussi. Bref elle contrôle les établissements. La marge de manoeuvre que le ministère annonçait pour ses établissements, c'est la régie qui en hérite. À l'étage inférieur, celui des établissements, on exécute.»6 ]

Afin de préserver ce qu'ils considèrent comme leur autonomie professionnelle, les médecins - résidents, internes, omnipraticiens, spécialistes - et leurs associations se sont mobilisés comme peu de professionnels l'ont fait avant eux au Québec. À ce sujet, ils ont fait appel à tout l'arsenal des moyens de pression qu'utilisent habituellement les acteurs sociaux qui font confiance à l'action collective: pétitions en leur faveur pour dénoncer les intentions du ministre, placards publicitaires dans les journaux pour faire connaître leurs points de vue, journées de grève dans les hôpitaux, les cabinets et les cliniques de santé, manifestation publique devant l'Assemblée nationale, etc. Sans compter que ces gestes s'inscrivaient à l'intérieur d'une stratégie qui mettait l'accent sur une amplification des moyens de pression au fur et à mesure que se rapprochait l'échéance pour le dépôt du projet de loi en Chambre.

Grâce à leur lobby, à leur position de force, à leur détermination, les médecins sont parvenus, en juin, à obtenir un délai supplémentaire de deux mois avant l'adoption de la réforme de la santé; ce qui leur a permis de poursuivre leurs négociations avec le ministre et d'obtenir de nouvelles concessions de la part du gouvernement. Au terme de cet affrontement et des nombreuses tergiversations qui ont caractérisé les échanges entre le ministre et le milieu médical, que faut-il conclure ?

Alors que de leur côté les médecins estiment «avoir sauvegardé leurs pouvoirs dans le système de santé»7 ] , le ministre, pour sa part, soutient que les objectifs fondamentaux de sa réforme sont maintenus au-delà des amendements et des réaménagements qui ont été consentis aux médecins:

«S'il convient que des changements significatifs ont été acceptés par lui pour satisfaire les médecins, il assure que l'objectif fondamental d'une distribution équitable dans toutes les régions et dans tous les établissements où l'on a besoin d'eux est maintenu. Il doit s'en suivre une négociation d'au plus 18 mois avec les fédérations médicales à ce sujet. À défaut d'une entente, le gouvernement se réserve un pouvoir de décréter les mesures à prendre.»8 ]

L'urgence d'apporter des correctifs administratifs et institutionnels au secteur des services sociaux et de la santé avait été reconnue dans les conclusions du rapport Rochon en 1988. En suggérant de centrer l'action du système sur les bénéficiaires, le rapport Rochon faisait une large place aux personnes et aux organismes communautaires tout en reconnaissant que le système a tendance à être balkanisé par une multitude d'intérêts professionnels, corporatistes, institutionnels qui paralysent son fonctionnement. Du même coup, la Commission Rochon définissait deux conditions préalables à l'amélioration de la santé et du bien-être: «la recherche d'une plus grande équité sociale et le développement de l'équilibre social»9 ] . Que les médecins sentent le besoin de négocier leur place dans la réforme préconisée par la loi 120 est de bonne guerre. Toutefois, comme l'ont judicieusement souligné Guy Gélineau et Marc Renaud, «Il serait naïf de croire que l'opposition des leaders médicaux relève d'un désintéressement et d'une notion du bien commun dont seule cette profession aurait le monopole.»10 ] En ce sens, le conflit avec le ministre de la Santé et des Services sociaux va au-delà du litige concernant les intérêts d'un groupe de professionnels face à des principes d'équité et d'efficacité que doit garantir l'administration publique. Dans les négociations qui restent à conclure pour compléter la réforme, ne faudrait-il pas accorder plus de place aux autres groupes concernés, c'est-à-dire les bénéficiaires, les autres groupes professionnels, les organismes communautaires, les administrateurs, etc. ? Sans quoi cette réforme risque de tout concéder à l'hégémonie médicale.




2. La lutte à la pauvreté

Si la récession nous fournit des raisons supplémentaires de repenser la gestion des services publics, elle a aussi un effet très direct sur certains groupes sociaux, en particulier les jeunes de moins de 25 ans qui font face à un marché de l'emploi saturé et précaire, les femmes de familles monoparentales qui manquent de ressources pour faire face à leurs obligations et les nouveaux immigrants dont l'intégration économique est devenue très difficile. Et, plusieurs reconnaissent que la pauvreté revêt des aspects que nous ne connaissions pas encore il y a dix ou quinze ans11 ] .

Pour s'attaquer à la pauvreté dans ses visages multiples, il n'y a pas de solution unique. Ainsi, les moyens d'action auxquels les comités de citoyens avaient recours dans les années 1960, et qui débouchaient souvent sur une demande d'étendre le filet de la sécurité sociale, ne suffisent plus. Compte tenu des ressources limitées, mais étant donné aussi la diversité des visages de la nouvelle pauvreté, il faut maintenant faire appel à des initiatives communautaires et à des actions concertées qui ont plus de chances d'atteindre les individus auxquels on veut venir en aide.

Prenons l'exemple des itinérants; nous pourrions également retenir le cas des groupes qui interviennent auprès des femmes ou des jeunes et qui remplissent aussi des fonctions importante de support et d'aide. Il ne fait plus de doute maintenant que ce sont les organismes communautaires qui sont les mieux placés pour rejoindre les itinérants. Ils possèdent une expertise et une connaissance du milieu qu'il est souvent difficile aux fonctionnaires d'acquérir. Ce rôle de premier plan que jouent les organismes communautaires auprès des itinérants est d'ailleurs largement reconnu par Centraide qui, en 1990, a accordé «un million de dollars de son budget total à une vingtaine d'organismes venant en aide aux sans-abri et aux ex-psychiatrisés de Montréal»12 ] . Il reste, toutefois, que ces ressources sont insuffisantes et qu'en plus la majorité des groupes communautaires continuent de craindre de nouvelles réductions de leur financement.

Il ne faut pas oublier que la lutte à la pauvreté doit aussi passer par des programmes d'aide gouvernementale plus directe comme le programme de bien-être social. Poursuivant les actions entreprises en 1990 contre la réforme de l'aide sociale, le Front commun des personnes assistées sociales du Québec a encore une fois dénoncé en 1991 les nouvelles mesures qui réduisent l'aide financière de l'État aux assistés sociaux. Ainsi, «Québec retranche 93 $ par mois au maigre chèque des prestataires de l'aide sociale qui partagent le coût de leur logement avec d'autres occupants.»13 ] Selon le porte-parole du Front commun, de telles mesures n'encouragent ni l'autonomie ni l'initiative des bénéficiaires. Une manifestation publique pour demander des correctifs à la réforme avait déjà mobilisé 250 bénéficiaires de l'aide sociale qui s'étaient rassemblés devant le bureau de comté du ministre du Travail et de la Sécurité du revenu:

«Ces personnes revendiquaient le retrait de la réforme, des programmes de création d'emplois "décents, socialement utiles, et adaptés aux besoins de la population locale", des programmes de réintégration au marché du travail et une politique d'habitation [ ... ].»14 ]




3. Une ville et un environnement plus conviviaux

La lutte à la pauvreté et l'action pour de meilleures conditions de vie se poursuivent également sur le terrain des enjeux urbains et sur celui de l'environnement. À Montréal, l'an passé, dans plusieurs quartiers populaires, des citoyens se sont organisés avec le soutien de groupes communautaires pour contrer le développement du marché de la drogue et de la prostitution. Ainsi, dans le Centre-Sud, le Comité de citoyens contre la drogue et la prostitution a eu recours à divers moyens d'action pour enrayer le phénomène, dont l'organisation de pique-niques dans différents parcs du quartier. L'objectif poursuivi était de «marquer la "réappropriation" du quartier par ses résidants [ ... ]»15 ] . C'est d'ailleurs cette volonté de se réapproprier leur espace de vie quotidienne que plusieurs citoyens ont affirmée lors d'une assemblée publique en avril dernier en créant des comités de rue à cette fin:

«Si les citoyens du quartier centre-sud veulent se débarrasser des prostituées et des pushers qui "salissent" leurs rues, leurs parcs et leurs cours d'écoles, ils doivent s'emparer de leur territoire et le défendre.»16 ]

Les problèmes urbains varient en fonction de l'histoire, de la géographie et de la conjoncture économique des quartiers. Il n'est donc pas surprenant, compte tenu de la forme de plus en plus éclatée des mouvements sociaux, de constater que les mobilisations s'effectuent d'une manière ponctuelle, autour d'enjeux très locaux, même si ces enjeux peuvent avoir parfois des répercussions pour l'ensemble de l'agglomération. Il en va ainsi du projet de déménager l'Hôtel-Dieu à Rivière-des-Prairies. Dès l'annonce de ce projet, une coalition réunissant des commerçants, des députés, des conseillers municipaux et des dirigeants de diverses associations a été mise sur pied pour forcer le ministre de la Santé à réévaluer la situation. En décembre dernier, la coalition a invité la population à manifester son opposition en signant une pétition.

Dans d'autres quartiers, les mobilisations populaires continuent de jouer un rôle catalyseur sur la scène locale. Que ce soit pour réclamer des logements sociaux, demander de nouveaux équipements collectifs, modifier l'aménagement ou les politiques urbaines, ces actions se poursuivent avec plus ou moins d'ampleur dans une majorité de quartiers urbains. Pour donner quelques exemples montréalais, on peut mentionner d'abord les demandes effectuées par la Table de concertation logement-aménagement du quartier Petite-Patrie-Rosemont pour obtenir des logements collectifs sur le site du Centre Paul-Sauvé voué à la démolition. Par ailleurs, dans les quartiers du sud-ouest de Montréal, le Regroupement pour la relance économique et sociale du sud-ouest ainsi que d'autres comités de citoyens ont poursuivi leur action pour attirer de nouvelles entreprises et créer des emplois, en demandant d'effectuer des aménagements appropriés à cette fin le long du canal Lachine plutôt que de continuer à permettre la reconversion des anciennes usines en condominiums.

Enfin, sur le plan de l'environnement, même si l'opposition au projet Grande-Baleine a fortement sollicité les acteurs du mouvement écologiste, ceux-ci ont néanmoins poursuivi leurs actions sur plusieurs autres fronts. Toutefois, à l'instar des autres mouvements sociaux, le mouvement écologiste s'avère éclaté et il est parfois difficile de départager ce qui est primordial de ce qui est secondaire. C'est en partie ce que souligne Jean-Guy Vaillancourt lorsqu'il écrit: «Une des caractéristiques actuelles du mouvement vert, c'est qu'il s'organise en diverses coalitions et réseaux qui s'intéressent aux différentes composantes importantes de l'environnement.»17 ]

À cet égard, il n'est pas surprenant de constater que les actions menées par les environnementalistes se diversifient au fur et à mesure que la conscience sociale au sujet de l'environnement s'éveille. Cela favorise un renouvellement de l'action et des représentations sociales qui l'accompagnent tout en fournissant à la société québécoise l'occasion de réfléchir d'une manière plus pragmatique à ses choix de société en matière d'environnement.




Note(s)

1.  Denis Lessard, «La Baie James 11, un débat de première importance pour tous», La Presse, 29 septembre 1990.

2.  Presse canadienne, «Les Noirs descendent dans les rues de la ville», La Presse, 27 juillet 1991.

3.  Éric Trottier, «Les citoyens d'Hochelaga-Maisonneuve s'unissent pour faire obstacle au racisme», La Presse, 25 juillet 1991.

4.  Josée Boileau, «Les antipodes du mouvement étudiant», Le Devoir, 5 avril 1991.

5.  Agnès Gruda, «Réforme de la santé: la grogne des médecins», La Presse, 11 mai 1991.

6.  Normand Giroux, «Vers des établissements d'État», Le Devoir, 27 février 1991.

7.  Isabelle Paré, «Les médecins croient avoir sauvegardé leurs pouvoirs dans le système de santé», Le Devoir, 20 août 1991.

8.  Michel Venne, «Marc-Yvan Côté assure avoir sauvegardé les objectifs de sa réforme», Le Devoir, 20 août 1991.

9.  Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux, Rapport de la commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux, Québec, Publications du Québec, 1988, p. 685.

10.  Guy Gélineau et Marc Renaud, «Le chantage des médecins», Le Devoir, 7 juin 1991.

11.  Voir, entre autres, Alain Dubuc, «La lutte contre les pauvretés», La Presse, 6 janvier 1991.

12.  Caroline Montpetit, «Centraide insiste sur l'importance des organismes communautaires et des maisons d'hébergement», Le Devoir, 16 août 1991.

13.  Frédéric Tremblay, «...mais le Front commun des bénéficiaires qualifie la réforme de "fiasco total"«, La Presse, 5 août 1991.

14.  Gilles Saint-Jean, «Manif contre la réforme de l'aide sociale devant le bureau d'André Bourbeau», La Presse, 9 mai 1991

15.  Martin Pelchat, «Le Centre-sud déclare la guerre à la drogue et à la prostitution», La Presse, 9 septembre 1991.

16.  Éric Trottier, «Les résidants du centre-sud s'organisent», La Presse, 12 avril 1991.

17.  Jean-Guy Vaillancourt, «Deux nouveaux mouvements sociaux québécois: le mouvement pour la paix et le mouvement vert», dans G. Daigle (sous la direction de) Perspectives sur le Québec. Tensions, enjeux, défis, à paraître. Et dans ce même texte, Jean-Guy Vaillancourt ajoute les précisions suivantes: «La forêt est l'objet des préoccupations du Regroupement pour un Québec vert, l'énergie est le champ d'action d'Hydro-Glasnot, de la Coalition pour un débat publie sur l'énergie et du Comité Baie James, les pluies acides sont surveillées par l'Association québécoise de lutte contre les pluies acides, les lacs et les rivières sont sous la garde de la SVP et de la FAPEL, les sols sont l'objet des préoccupations du Mouvement pour l'agriculture biologique, les déchets sont le champ d'action de la coalition de 35 groupes mis sur pied par le groupe Action pour la défense de la nature (ADN) de Valleyfield, des GRIP (Groupes de recherche d'intérêt public), de la Coalition Action-Rebuts et du nouveau Front commun pour la gestion écologique des déchets, et les transports sont le champ d'action du Monde à bicyclette, de Transport 2000 et de Vélo-Québec.»