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Le mouvement syndical



Pierre Noreau


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : Le mouvement syndical



C'est sur fond de récession que s'est déroulé l'essentiel de la période 1990-1991. Sont associés au ralentissement économique un taux de chômage désaisonnalisé qui oscille, au Québec, autour de 12 % et la perte de milliers d'emplois, notamment dans le domaine manufacturier et dans la construction1 ] . On assiste aussi au renforcement d'un long processus de restructuration du marché du travail, avec la perte de 41000 emplois à plein temps et la création de 25 000 nouveaux emplois à temps partiel entre novembre 1990 et novembre 19912 ] . Aussi est-ce sur le thème Bâtir le Québec par l'emploi que les centrales syndicales québécoises ont fait consensus lors de la marche du premier mai 1991. Période de difficulté économique, l'année 1991 est cependant aussi un temps de mutation et de maturation pour le mouvement syndical québécois3 ] .



Affiliation et taux de présence syndicale

Au 25 septembre 1991, 1204 205 salariés québécois étaient protégés par une convention collective4 ] . Par rapport à l'année précédente, le taux de présence syndicale augmentait ainsi de 1,6 %, pour s'établir à 48,5 %5 ] . Cette augmentation est en partie due à la baisse du niveau d'emploi au Québec et au décalage des données du fichier d'analyse des conventions collectives du ministère du Travail, qui ne tient pas compte des mises à pied survenues en cours de convention. Toujours en 1991, 35,2 % des travailleurs du secteur privé étaient syndiqués, contre 77,1 % dans le secteur public6 ] . Pour la même période, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) demeurait toujours la centrale la plus importante avec ses 470 000 membres, suivie de la Confédération des syndicats nationaux (211 810), de la CEQ (103 141) et de la CSD (60 596). Les syndicats indépendants regroupaient 249 019 membres et représentaient 22,2 % des syndiqués7 ] .

Les affiliations syndicales sont restées à peu près les mêmes malgré la période de maraudage du secteur public où moins de 3 % des 400 000 salariés de l'État changeaient d'allégeance. Au début de l'été 1991, 2000 professeurs de Cégeps affiliés à la CEQ quittaient la centrale pour tenter un rapprochement avec la nouvelle Fédération autonome du Collégial ou avec la Fédération nationale des enseignants du Québec (CSN). La CEQ cherchait elle-même à étendre ses activités au-delà du domaine de l'éducation. Dans le secteur privé, la CSN aura tenté une percée dans les rangs des travailleurs du papier, surtout syndiqués à la FTQ, mais reconnaîtra la perte d'une partie de ses propre membres, touchés par la récession, notamment dans les secteurs de la machinerie, du bois et de la bonneterie8 ] . La CSD sera également touchée par la fermeture de nombreuses entreprises manufacturières. Si, de façon générale, le problème du maraudage semble aujourd'hui moins important qu'au début des années 80, les syndiqués de la FTQ, réunis en congrès, confiaient néanmoins à la direction de la centrale le mandat de proposer aux autres centrales un code d'éthique pour «civiliser le maraudage syndical»9 ] .

Parallèlement à ces démarches, de nouvelles formes de regroupements syndicaux ont fait leur apparition. C'est notamment le cas dans le secteur universitaire, où la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) favorise le regroupement libre de syndicats divers, sans égard à leur allégeance à l'une ou l'autre des grandes centrales. Des initiatives du même type ont été entreprises dans le secteur collégial.

Certains secteurs restent par ailleurs sous-syndiqués, comme c'est le cas dans le domaine du commerce de gros et de détail (13,7 % de travailleurs syndiqués) ou le domaine traditionnel du secrétariat (19 %)10 ] . D'autres secteurs, fermés jusque-là, semblent par ailleurs S'ouvrir lentement à l'action syndicale, comme c'est le cas dans les entreprises d'origine asiatique, avec la syndicalisation d'une première usine Hyundai en Ontario, qui pourrait avoir des répercussions sur l'usine de Bromont, au Québec. C'est également le cas dans le domaine du fastfood avec la syndicalisation d'un premier restaurant de la chaîne Mikes à Granby.

La période 1990-1991 est finalement l'occasion d'un renouvellement du leadership syndical, avec le départ de Louis Laberge, président de la FTQ, remplacé par Femand Daoust, qui occupait jusque-là la fonction de secrétaire général de la centrale et qui sera lui-même remplacé par Clément Godbout, ancien président du Syndicat des métallos11 ] . À la CSN, le départ de la vice-présidente Monique Simard aura conduit à l'élection de Claudette Charbonneau, secrétaire générale du Conseil central de Montréal depuis 198512 ] .




Négociations dans le secteur privé et péripublic

Du point de vue des relations de travail, la période 1990-1991 aura été une des plus calmes depuis 10 ans13 ] . À l'automne 1991, 8024 conventions collectives étaient en vigueur au Québec, dans les secteurs privé et péripublic14 ] . Parmi elles, 2473 ont été signées entre le 1er août 1990 et le 31 juillet 1991. Et dans seulement 5 % des cas, le recours à un arrêt de travail aura été nécessaire: une diminution de 30 % par rapport à 1986. Si 74 % de ces arrêts de travail ont été provoqués par la partie syndicale (grèves), 19,5 % l'ont été par la partie patronale (lock-out) et 6,5 % par les deux à la fois. Pour la seule année 1990, 1014 970 jours/personne ont ainsi été perdues, alors que les arrêts de travail tendent à se prolonger un peu plus longtemps que les années précédentes.

De façon générale, les conditions de travail n'ont subi que peu de modifications au cours de la période étudiée. Du point de vue salarial, les travailleurs syndiqués du secteur privé ont bénéficié en 1991 d'une augmentation de 5 % de leurs revenus; un avantage salarial qu'un taux d'inflation prévu de 7,3 % vient totalement hypothéquer15 ] . Du point de vue normatif, les conventions collectives auront été modifiées surtout au chapitre des primes de salaire, des congés, des conditions de travail des employés à temps partiel, des mouvements de personnel, des horaires de travail, des procédures de grief, des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail et des programmes de perfectionnement et de formation.

L'amélioration du climat des relations de travail est elle-même due -pour une part du moins - au mauvais état de santé de l'économie nord-américaine. Pour 1991, on enregistrait en effet, au Québec seulement, 4364 faillites16 ] . Le ralentissement économique aura notamment touché les travailleurs de l'industrie du papier et de la forêt (Domtar, Donohue, Produits forestiers C.P.), les transporteurs de marchandises (GTL), les salariés du secteur de la radiodiffusion (CFCF, CKVL, CKAC) et de la télévision (TQS, Télé-Métropole), les travailleurs de la métallurgie (Canam Manac, SIDBEC-Dosco, Forano), ceux du secteur ferroviaire (Canadien national, Ateliers Angus), les salariés de la chaussure et du meuble, dont la mise à pied a défrayé la manchette, etc. À la fin de 199 1, GM annonçait le renvoi de 74 000 de ses salariés et la fermeture de 21 de ses usines au Canada et aux États-Unis; une large opération de «rationalisation» qui laissera tout le monde sous le choc.

Ces difficultés économiques ont souvent forcé la négociation de conditions de travail différentes. Déjà en 1990, 35 000 salariés étaient contraints d'accepter l'instauration de programmes de travail à temps partagé pour s'assurer du maintien de leur emploi17 ] . Dans une foule de secteurs - la radiodiffusion, la métallurgie, la construction automobile notamment - la formule a dû être reprise tout au cours de 199118 ] . On aura souvent accepté la réouverture des conventions collectives et la négociation d'un gel ou d'une réduction des salaires. Quelquefois, on aura favorisé la préretraite ou la participation financière des travailleurs à l'entreprise. On aura parfois mis sur pied un «comité d'intérêt mutuel» patronal -syndical. Quelquefois, comme à la scierie Price-Péribonca de l'Ascension, les travailleurs proposeront carrément d'acheter leur usine.

Mais l'entente la plus spectaculaire aura été celle signée par les salariés des Aciers inoxydables Atlas de Tracy (CSN), qui prévoit un contrat de travail d'une durée de six ans. Au Québec, l'entente sera perçue comme un modèle pour l'établissement d'un nouveau type de relations de travail. On parlera beaucoup de «nouveau contrat social». Le ministre de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie, Gérald Tremblay, a lui-même voulu présider aux négociations de l'entente à laquelle se réfère de plus en plus la presse spécialisée19 ] . On aura tenté, avec un succès plus mitigé, d'établir le même type d'entente à la MIL Davis de Lévis20 ] . La formule est trop neuve pour qu'on puisse connaître actuellement son effet pour l'avenir de la pratique syndicale. Elle pourrait cependant ouvrir une nouvelle ère dans les relations de travail au Québec.

Du côté des entreprises péripubliques (les sociétés d'États pour l'essentiel), 1991 aura vu la fin du conflit des employés de la Société des alcools, qui débutait à l'automne de 1990, la renégociation de la convention des avocats de l'Aide juridique et la coupure d'un certain nombre de postes à Radio-Québec. Un assez long conflit - et la tenue de la première grève en 12 ans d'opération - aura opposé les employés de Gaz Métropolitain et les représentants de cette entreprise d'utilité publique, propriété majoritaire de la Caisse de dépôt et placement. Dans le secteur municipal - généralement associé au secteur péripublic - on assistera également à d'importants mouvements de grèves, que nous commenterons plus spécifiquement au chapitre des relations de travail dans le secteur public et parapublic.

Dans le domaine de la construction, la période 1990-1991 permet la concrétisation de certaines propositions du rapport de la Commission d'enquête Picard-Sexton sur la stabilisation du revenu et de l'emploi dans l'industrie du bâtiment. Déposé en juin 1990, le rapport recommandait notamment l'établissement d'un régime de prestations supplémentaires d'assurance-chômage, la création d'une commission visant à promouvoir l'étalement des travaux de construction des organismes publics, la tenue de sommets annuels de la construction réunissant les principaux employeurs de l'industrie et l'élimination du travail au noir dans le secteur de la construction21 ] . En juin 199 1, le ministre du Travail, Normand Cherry, proposait une série de mesures visant à donner suite au rapport déposé l'année précédente et promettait de s'attaquer au problème du travail au noir. L'annonce sera généralement bien accueillie par les principales organisations syndicales22 ] . Une semaine plus tard, les représentants patronaux et syndicaux touchés par ces recommandations en venaient eux-mêmes à une entente sur les questions de «formation par le perfectionnement et le recyclage». L'entente laisse cependant entre parenthèses l'idée d'un régime de prestations supplémentaires d'assurance-chômage. Le dépôt d'un projet de loi sur le travail au noir(P.L. 185), puis son retrait en décembre 1991 sera finalement considéré comme un recul du ministre du Travail devant les pressions des représentants patronaux23 ] .

À la toute fin de 1991, la Cour suprême autorisait finalement le Conseil du patronat du Québec (CPQ) à contester devant les tribunaux la constitutionnalité de la loi anti-briseur de grève du Québec. La loi, qui vise à empêcher l'embauche de personnel de remplacement lors d'une grève légale ou d'un lock-out, avait d'abord été adoptée en 1978. Amendée en 1983, cette disposition du Code du travail allait rapidement faire l'objet d'une contestation juridique, à cette époque où le climat des relations de travail favorisait, au Québec, la judiciarisation des rapports entre les représentants de l'entreprise et les organisations syndicales. L'intérêt juridique du CPQ avait alors été mis en doute, et c'est cette objection qui trouve son dénouement dans le dernier jugement de la Cour suprême. Huit ans plus tard, la question est cependant de savoir si la contestation du Conseil du patronat a toujours son sens, étant donné l'amélioration du climat des relations patronales-syndicales. Au cours des derniers jours de 1991, les représentants syndicaux demandaient au CPQ de surseoir à cette poursuite, qu'il peut dorénavant engager librement devant la Cour supérieure du Québec. Le CPQ attendait le début de l'année 1992 pour prendre sa décision et décidait finalement de suspendre ses procédures24 ] .




Les relations de travail dans le secteur public et parapublic

Le secteur public et parapublic québécois comprend pour l'essentiel les fonctionnaires du gouvernement du Québec et les travailleurs des secteurs de l'éducation et de la santé: plus de 400 000 salariés. Malgré le fait que les contrats de travail de ces salariés n'allaient prendre fin qu'en décembre 1991, la période 1990-1991 aura été riche en rebondissements divers. Elle aura notamment permis le règlement négocié de l'épineux dossier de la loi 160. Cette législation spéciale adoptée en 1989 pour forcer le retour au travail des salariés prévoyait la retenue des salaires, l'arrêt de la perception des cotisations syndicales et la perte d'une année d'ancienneté pour chaque jour de grève d'un salarié impliqué dans un arrêt de travail illégal. Dès 1989, les principales centrales syndicales engageaient des procédures judiciaires en vue de faire prononcer l'annulation de la loi, et près de 160 000 griefs étaient déposés relativement à son application. Syndicats et représentants gouvernementaux auront cherché, pendant les deux années qui suivirent, un règlement politique à l'impasse provoquée par l'application de la loi 160, tant du fait du blocage du processus de gestion des conventions, dû à la multiplication des griefs, que du fait du caractère injuste et difficilement applicable de certaines dispositions de la loi elle-même. Après plusieurs mois de tâtonnements, une entente interviendra finalement en juin 1991, prévoyant le rétablissement de l'ancienneté des syndiqués touchés par l'application de la loi spéciale25 ] . L'entente sera successivement ratifiée par le Conseil des ministres, puis par les différentes organisations syndicales concernées, alors que dans les semaines qui suivent, la Cour supérieure reconnaît le caractère démesuré et injustifié des dispositions de la loi prévoyant la perte de l'ancienneté des salariés touchés par son application. Le tribunal maintient cependant la validité des articles relatifs aux autres sanctions prévues à la loi. Le jugement sera soumis à la Cour d'appel à la suite de la décision du gouvernement de contester la décision de la Cour supérieure relativement aux dispositions touchant l'ancienneté des salariés du secteur public et parapublic26 ] . Histoire à suivre...

Les contrats de travail des employés du secteur public et parapublic prenaient fin le 31 décembre 1991, ce qui impliquait la tenue d'une nouvelle ronde de négociation dans ce secteur. Les orientations privilégiées par le dernier budget fédéral et les coupures de 732 millions de dollars qu'elles imposaient aux revenus du Québec pour les trois années à venir limitaient d'autant la capacité de payer de l'État québécois. Cette nouvelle réalité financière allait conduire le Conseil du trésor à proposer le plafonnement à 3 % des augmentations de salaires de ses employés pour 1992. Cette proposition relancera, dès le mois de mars 1991, l'idée d'un front commun intersyndical. Ses porte-parole dénonceront cette façon indirecte de limiter le droit de négocier des employés du secteur public et parapublic27 ] . Après l'adoption du principe du gel des salaires par le Conseil des ministres, la partie syndicale condamnera à nouveau ce qu'elle considère comme un «coup de force». La menace d'une nouvelle loi spéciale imposera cependant la tenue d'une ronde de négociations de dernière minute et la ratification d'une entente prévoyant finalement un gel des salaires de six mois, suivi d'une hausse de 3 % à partir de juin 1992. L'entente préservait du moins le principe du droit à la négociation, durement mis à l'épreuve depuis la loi 160.

Un problème reste cependant posé: celui du rapport de forces déclinant des employés gouvernementaux. Les chefs syndicaux ne manqueront d'ailleurs pas l'occasion de se questionner sur les raisons qui font que les employés du secteur public et parapublic doivent être les seuls à devoir contribuer au sauvetage financier de l'État28 ] . Les salariés de l'État ont en effet cessé de constituer le groupe le mieux payé sur le marché du travail, et leurs salaires rejoignent aujourd'hui le niveau de ceux que paie le secteur privé; ils sont même en retard de trois points sur les autres secteurs de travail syndiqués29 ] .

L'épisode pose surtout, une nouvelle fois, l'épineux problème du régime de négociation dans le secteur public et parapublic. Aussi, à la fin de 1991, le sujet fait-il l'objet d'un assez large débat. La question touche tant le problème de la structure des négociations que celui de la définition des services essentiels et des modalités d'établissement des salaires des employés de l'État. Actuellement régi par la loi 37, le régime ne prévoit en effet de négociations salariales que pour la première année d'application de la convention collective. Une coalition formée des six grandes organisations syndicales engagées dans le secteur public et parapublic proposait en novembre 1991 un projet de réforme du régime de négociation (CSN, FTQ, CEQ, FIIQ, SFPQ, SPGQ)30 ] . Un groupe de travail mis sur pied par le ministre du Travail et regroupant toutes les parties intéressées devait déposer, en mars 1992, une proposition de réforme qui pourrait venir modifier la dynamique des relations de travail du secteur public et parapublic31 ] .

Parallèlement, d'autres dossiers sont venus alimenter l'activité syndicale dans ces deux secteurs. C'est notamment le cas du problème de l'équité salariale, qui n'aura pas encore trouvé de solution en 1991 et qui risque même d'avoir fait les frais de la dernière entente sur le gel des salaires des salariés de l'État. La cause a cependant acquis de nouveaux appuis, notamment celui du syndicat des professionnels du gouvernement du Québec. À l'heure actuelle cependant, le dossier reste encore sans solution.

Du côté de la fonction publique fédérale, l'année 1991 aura été l'occasion d'importantes mobilisations, associées à la renégociation de la convention collective de quelque 180 000 employés de l'État. En février, le dépôt du budget Wilson et l'annonce du gel de 3 % des salaires des fonctionnaires pour trois ans allaient mettre le feu aux poudres32 ] . Les chefs syndicaux annonceront, dès le mois d'avril, d'importants mouvements de grève pour l'été. Au-delà de la question des salaires, les négociations porteront surtout sur les problèmes de l'équité salariale, de la sécurité d'emploi et des congés parentaux33 ] . Un front commun formé de 15 syndicats concernés par le conflit sera rapidement constitué. À Montréal, les premières manifestations ne réuniront qu'une poignée de fonctionnaires. Dans certains secteurs cependant, la grève du zèle prendra des dimensions spectaculaires, comme ce fut le cas au service des douanes et chez les contrôleurs aériens34 ] . La grève générale déclenchée le matin du 9 septembre prendra cependant des proportions beaucoup plus importantes et parviendra à bloquer, au Québec, l'ensemble des services fédéraux. Le dépôt aux Communes d'une loi spéciale - la 19e depuis 25 ans - mettra temporairement fin au mouvement, en imposant aux fonctionnaires une trêve d'une dizaine de jours. La reprise des débrayages conduira finalement à l'adoption du projet de loi, au tout début du mois d'octobre35 ] . La loi prévoit, entre autres choses, la reconduction de la convention collective pour deux ans mais permet aux parties de continuer de négocier les questions normatives au sein d'un conseil syndical-patronal mixte. À la fin du mois de novembre, les parties en viennent ainsi à une entente satisfaisante garantissant la sécurité d'emploi des fonctionnaires36 ] .

Dans la même période, la renégociation des contrats de travail des 46 000 salariés de la Société canadienne des postes conduit aussi à d'importants mouvements de grèves tournantes dès le 24 août. À la suite d'incidents violents survenus près des centres de tri de la région de Montréal, une injonction vient limiter le nombre des participants présents sur les lignes de piquetage37 ] . L'intervention du juge Gold comme médiateur dans le conflit ne conduira pas au rapprochement espéré par les parties, malgré les importantes concessions consenties de part et d'autre. La fin de la médiation conduira au retour des hostilités, qui prendront fin - après une grève éclair de deux heures - avec l'adoption d'une loi spéciale dans laquelle les postiers parviendront à faire inscrire certains amendements. Six semaines après que la loi aura reçu la sanction royale, un arbitre sera chargé d'établir les conditions de la convention collective des facteurs et postiers canadiens38 ] .

D'importants conflits auront finalement touché la fonction publique municipale, plutôt associée au secteur péripublic. C'est notamment le cas à Montréal, où la renégociation du contrat de travail liant la Ville et ses 5 200 cols bleus (membres du SCFP affilié à la FTQ) aura conduit à une longue série d'arrêts de travail, tout au cours de 1991. Le principal objectif poursuivi par les salariés concernait l'établissement de la semaine de quatre jours. L'intervention d'un conciliateur, puis son retrait - au début du mois de novembre 1991 - ne conduira pas au résultat souhaité par les parties, qui signeront finalement, à la fin de novembre, une entente de principe prévoyant la réduction de la semaine de travail de 40 à 37 heures et demie. Les cols bleus lieront cependant l'acceptation de l'entente au règlement du conflit opposant leurs collègues à la Communauté urbaine de Montréal39 ] .

D'importants conflits de travail opposeront finalement les sociétés de transport des villes de Montréal et Québec à leurs chauffeurs et employés d'entretien. Là encore, les difficultés financières importantes subies par les organismes chargés de la gestion des transports en commun auront conduit leurs administrations à proposer à leurs employés le gel de leurs salaires. À Montréal, la STCUM menacera de recourir à la mise à pied d'une partie de son personnel advenant le refus de ses salariés d'en venir à une entente. L'imposition d'un ultimatum n'aura certainement pas été de nature à favoriser la conclusion d'un règlement, alors que les syndiqués proposent le remplacement des mesures prévues par l'instauration de mécanismes de retraite anticipée. Ainsi, 120 employés d'entretien perdront leur emploi à la fin de 199140 ] . À Québec, les employés de garage de la CTCUQ arriveront plus facilement à une entente en évitant un gel partiel de leur salaire (pour les six derniers mois de l'entente) grâce à une promesse de renégociation ultérieure des salaires pour la troisième année de la convention collective41 ] . Le dégagement du gouvernement du Québec vis-à-vis du financement des transports en commun municipaux aura cependant relancé - en toute fin d'année - le problème de la contribution des salariés au règlement des problèmes budgétaires de la CTCUM, et certaines mesures pourraient être proposées aux employés de la Commission de transport au cours de 1992.




Mutations syndicales et concertation

Malgré les difficultés évidentes vécues dans certains secteurs du monde du travail, la période 1990-1991 restera profondément marquée par la mutation du syndicalisme, de plus en plus engagé dans la gestion des grands dossiers politiques et économiques. Cette mutation est cependant plus ancienne qu'il n'y paraît. Dès 1983, la FTQ s'engageait dans une voie nouvelle en créant le Fonds de solidarité. Dans le domaine du bâtiment, Corvée habitation avait, dès le début des années 80, permis l'exploration d'avenues nouvelles favorisant la paix industrielle et la relance de tout un secteur.

Cette tendance générale allait cependant prendre cette année une orientation inédite. Déjà, la négociation de conventions collectives de six ans aux Aciers inoxydables Atlas de Tracy, la signature d'ententes relatives à la mise en oeuvre d'une partie des recommandations de la Commission Picard-Sexton dans l'industrie de la construction et le règlement d'une entente sur le gel des salaires dans le secteur public et parapublic avaient été interprétés comme le début d'un nouveau cycle dans les relations de travail au Québec. Fernand Daoust (FTQ) se questionnera publiquement sur la façon d'éviter le corporatisme syndical42 ] ; Gérald Larose (CSN) s'interrogera quant à lui sur la nécessité de fonder les bases d'un véritable contrat social, dont l'entente de Tracy ne serait qu'une des expressions possibles43 ] . Aussi, l'appel à la concertation, lancée par le ministre de l'Industrie et du Commerce (Gérald Tremblay), est-il largement entendu dans les milieux syndicaux. Et il conduira, tout au cours de 1991, à une série d'ententes nouvelles combinant à la fois les préoccupations patronales pour le thème de la «qualité totale» et celles du mouvement syndical pour le «plein emploi».

En septembre 1991, les assises du Forum pour l'emploi allaient déboucher sur l'adoption d'une Charte de la formation professionnelle44 ] . Dans la même période, la tenue du «Rendez-vous économique 1991» organisé par le Conseil du patronat du Québec et réunissant à la fois les représentants de l'entreprise, les porte-parole syndicaux et les représentants gouvernementaux devaient déboucher sur l'adoption unanime de 48 projets de relance économique, répartis dans tous les secteurs45 ] . Quelques mois auparavant, c'est unanimement que la CSN, la FTQ et l'Association des manufacturiers canadiens dénonçaient la politique monétaire de la Banque du Canada. Les gens d'affaires et les représentants syndicaux parleront d'une même voix pour sauver le projet Soligaz46 ] . Une coalition syndicale-patronale sera même constituée pour la défense du projet Grande-Baleine47 ] . De son côté, la CEQ s'associera au CPQ pour valoriser la formation technique48 ] . Le Fonds de solidarité de la FTQ sera un des plus ardents défenseurs du projet Holding financier connu sous le nom de Québec inc.49 ] Un nouveau projet de fonds de solidarité sera même proposé par certains responsables de la CSN50 ] , alors que d'autres parlent de «syndicalisme rentable».

Cette nouvelle vague de concertation favorisera l'union sacrée au sein des secteurs industriels les plus menacés par la récession ou par la concurrence internationale. C'est notamment le cas dans l'industrie papetière et l'industrie forestière, où l'intervention du ministère de l'Industrie et du Commerce devait favoriser la participation des parties sydicale et patronale à l'établissement d'une véritable stratégie de redressement51 ] . Ces efforts de concertation seront cependant couronnés par une initiative de plus d'envergure encore, celle des grappes industrielles du ministre Tremblay. Prévoyant la création de 200 000 emplois nouveaux, le projet est essentiellement fondé sur la constitution de réseaux d'interaction industriels constitués autour de 13 «grappes» sectorielles différentes, pour chacune desquelles une stratégie de développement concertée sera établie. Présentée à la fin de l'année 1991, le concept des grappes industrielles allait susciter l'adhésion unanime des partenaires socio-économiques, patronaux et syndicaux et entretenir l'idée d'une nouvelle ère dans les relations de travail au Québec52 ] .

Dans un ordre d'idée différent, mais connexe, le ministre de la Main-d'oeuvre, André Bourbeau, déposait, au cours des derniers jours de la session parlementaire de l'automne 1991, un livre blanc et un projet de loi favorisant la création d'une Société québécoise de développement de la main-d'oeuvre, fondée sur le partenariat patronal, syndical et gouvernemental. La tenue d'une commission parlementaire sur le sujet devrait permettre à chaque acteur de faire connaître son point de vue sur cette nouvelle structure de concertation.

Certaines initiatives ont suscité moins d'enthousiasme, comme ce fut le cas du plan de relance de Montréal soumis à la fin de décembre également par le Comité ministériel permanent de développement du Grand Montréal, dont les syndicats, le patronat et les maires de la CUM attendaient davantage53 ] . L'opération devrait cependant déboucher également sur de nouvelles pratiques de concertations régionales.




Nouveaux thèmes, nouveaux enjeux

Alors que le climat des rapports entre les syndicats, le patronat et le gouvernement semble s'améliorer au Québec, d'autres défis s'imposent cependant au mouvement syndical. L'année aura en effet été hantée par une série de problèmes politiques nouveaux, qui forceront les organisations syndicales à élargir encore davantage leur champ d'action politique.

Pourtant, l'engagement public du mouvement syndical est longtemps resté une question contentieuse. Les organisations syndicales devaient-elles ou non s'engager dans le débat politique et utiliser les cotisations de leurs membres à des fins dépassant les problèmes relatifs à la négociation collective des conditions de travail des salariés, à savoir le soutien des activités d'un parti politique ou la défense d'une cause sociale ? La question a finalement été tranchée cette année par la Cour suprême du Canada qui, dans une cause opposant un salarié au Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, reconnaît clairement ce droit aux organisations syndicales54 ] .

Au Québec, la décision sera bien accueillie au moment où plusieurs centrales s'engagent de plain-pied dans le débat constitutionnel. Après l'échec du lac Meech (juin 1990), la participation des chefs syndicaux aux travaux de la Commission sur l'avenir constitutionnel du Québec (Commission Bélanger-Campeau) permettra aux représentants syndicaux de contribuer largement au débat entourant le devenir politique du Québec. Cette visibilité inespérée, associée au climat général de concertation, allait propulser le mouvement syndical à l'avant-garde du débat constitutionnel55 ] . La création de l'organisation souverainiste Mouvement Québec, en février 1991, favorisera largement la concertation intersyndicale sur la question et conduira les trois grandes centrales (FTQ, CSN, CEQ), le monde agricole (UPA) et les artistes (UDA) à prendre clairement position en faveur de l'indépendance56 ] . Celui-ci, d'abord favorable à la tenue d'un référendum en 1991, se ralliera finalement aux conclusions de la Commission exigeant la tenue d'un référendum en 1992, une proposition que l'Assemblée nationale endossera avec l'adoption de la loi 150, en juin 1991. Le refus des orientations fédérales annoncées par le gouvernement Mulroney, au début de l'automne, et la position unanime du mouvement syndical en faveur de la souveraineté pourrait modifier considérablement l'issue du débat constitutionnel en cours et celle d'une éventuelle consultation populaire sur la question.

D'autres thèmes auront également contribué au renouvellement des préoccupations syndicales. Il en est ainsi de la question du libre-échange avec le Mexique, qui sera l'occasion d'un nouveau front commun syndical57 ] . Ce sera en outre le cas du problème de l'alcoolisme et de la toxicomanie en milieu de travail, qui fera l'objet d'opérations précises à la FTQ comme à la CSN58 ] . D'autres thèmes auront en outre attiré l'attention des centrales. La CSN proposera ainsi une révision de la fiscalité comme solution à la récession59 ] et critiquera certains aspects de la réforme Côté sur les services de santé et les services sociaux. Le Syndicat canadien de la fonction publique (FTQ) et la CSN dénonceront les coupures imposées dans les subventions du Québec au transport en commun. La FTQ profitera de son congrès de novembre 91 pour aborder le dossier de la francisation des entreprises, celui de la santé-sécurité au travail, celui du développement durable et de la formation professionnelle60 ] . La CEQ se penchera sur les problèmes de motivation des professionnels de l'enseignement et sur la nécessité d'établir des programmes favorisant la préretraite graduelle des enseignants les plus âgés du système de l'éducation. Elle soulèvera l'important problème du décrochage scolaire d'une façon que d'aucuns jugeront courageuse61 ] . La nouvelle fédération autonome du collégial (FAC) dénoncera pour sa part les politiques annoncées par le ministre Pagé en matière de formation professionnelle collégiale. Le mouvement syndical cherchera finalement à s'ouvrir à une série de problèmes inédits touchant autant de groupes particuliers: les autochtones, les travailleurs immigrés62 ] , les chômeurs âgés, la présence des femmes dans le secteur de la construction, la pauvreté et l'analphabétisme, etc.

Toutes ces préoccupations conduisent le mouvement syndical à déborder les limites du domaine socio-économique, où il avait eu tendance à s'enfermer depuis la récession de 81-82. Temps de mutation et de maturité, 1990-1991 aura par conséquent été une importante période de renouvellement. Elle annonce pour l'avenir une redéfinition de la place du mouvement syndical dans la société québécoise et le rétablissement d'une légitimité ébranlée depuis quelques années.




Note(s)

1.  Ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle, L'emploi au Québec, Québec, novembre 1991, p. 20.

2.  Le Soleil, 9 décembre 1991.

3.  Le Devoir, 15 octobre 1991.

4.  Ministère du Travail, Le marché du travail, vol. 12, no 12, décembre 1991, supplément Les relations de travail en 1991, p. 21.

5.  Le taux de présence syndicale est établi sur la base du nombre de salariés visés par une convention collective et se distingue du taux de syndicalisation, établi à partir des renseignements fournis par les centrales sur le nombre de leurs membres. Le taux de syndicalisation se situe en général une dizaine de points au-dessous du taux de présence syndicale et s'établissait ainsi à 37,4 % pour 1989. Année politique 1989-1990.

6.  Le marché du travail, op. cit. p. 21-23.

7.  Chiffres tirés de B. Dionne, Le syndicalisme au Québec, Montréal, Boréal, 1991, p. 66.

8.  La Presse, 11 mars 1991.

9.  Le Journal de Québec, 19 novembre 1991.

10.  Le Soleil, 22 octobre 1991, La Presse, 22 avril 1991.

11.  FTQ, Le monde ouvrier, juin 1991 et septembre-octobre 1991.

12.  Nouvelles CSN, 20 septembre 1991, p. 23.

13.  Le Devoir, 15 mai 1991.

14.  On inclut dans le secteur péripublic les conventions collectives signées dans des organismes tenus de soumettre leur politique de rémunération au Conseil du trésor. C'est notamment le cas de l'Hydro-Québec, de la Société des alcools ou de la Régie des installations olympiques. Les données utilisées ici proviennent également du mensuel Le marché du travail, op. cit. p.25-31.

15.  Ibid., p. 45-51.

16.  Le Devoir, 19 décembre 1991.

17.  La Presse, 111 février 1991 et 8 février 1991.

18.  Le Soleil, 19 octobre 1991.

19.  Le Devoir, 9 avril 1991 et 14 avril 1991.

20.  Le Soleil, 28 juin 1991.

21.  Ministère du Travail, Le marché du travail, vol. 11, no 12, décembre 1990, supplément Les relations de travail en 1990, p. 12

22.  Le Devoir, 22 juin 1991.

23.  Le Devoir, 14 décembre 1991.

24.  Le Devoir, 7 décembre 1991, 16 décembre 1991.

25.  Le Devoir, 6 juin 1991.

26.  Le Devoir, 20 août 1991, 19 septembre 1991.

27.  Le Soleil, 13 mars 1991.

28.  Le Soleil, 25 et 26 avril 1991.

29.  L'I.R.I.R., État comparé de la rémunération globale des salariés du secteur public et parapublic et des autres salariés québécois, 71 rapport de l'I.R.I.R., Montréal, Institut de recherche et d'information sur la rémunération, mai 1991, p. XH.

30.  La Presse, 25 octobre 1991.

31.  Nouvelles CSN, 29 novembre, p. 8-9.

32.  La Presse, 27 février 1991.

33.  Le Devoir, 15 mai 1991.

34.  La Presse, 10 août 1991, Le Soleil, 9 septembre 1991.

35.  La Presse, 3 octobre 1991.

36.  Le Journal de Québec, 23 novembre 1991.

37.  Le Journal de Québec, 31 août 1991.

38.  Le Devoir, 19 décembre 1991.

39.  La Presse, 18 décembre 1991.

40.  Le Devoir, 22 octobre 1991.

41.  Le Soleil. 4 octobre 1991.

42.  La Presse, 14 juin 1991.

43.  Le Soleil, 18 juillet 1991.

44.  Le Devoir, 6 septembre 1991.

45.  Le Devoir, 20 septembre 1991.

46.  La Presse, 4 juin 1991.

47.  Le Devoir, 3 juillet 1991.

48.  Le Devoir, 16 mai 1991.

49.  Le Soleil, 26 septembre 1991.

50.  La Presse, 26 septembre 1991.

51.  Le Devoir, 18 octobre 1991.

52.  La Presse, 3 décembre 1991, Nouvelles CSN, 13 décembre 1991, p. 9.

53.  La Presse. 18 décembre 1991.

54.  Le Devoir, 28 juin 1991.

55.  Le Devoir, 13 décembre 1991.

56.  FTQ, Le monde ouvrier, mai-juin 1990, p. 5-6; CSN, L'indépendance du Québec: le choix de la CSN, Montréal 1991, 18 pages; Nouvelles CEQ, décembre 1990-janvier 1991 et novembre-décembre 1991.

57.  Le Devoir, 18 avril 1991.

58.  Nouvelles CSN, 15 novembre 1991.

59.  CSN, Offensive contre la récession, Montréal, mai 1991, 23 pages.

60.  FTQ, Pour un Québec des solidarités, Déclaration de politique, Montréal, 1991, 28 pages.

61.  Nouvelles CEQ, avril-mai 1991.

62.  FFQ, Au Québec pour bâtir, Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, Québec, 27 février 1991.