accueilsommairerubriques

La vie parlementaire



Réjean Pelletier
Université Laval


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : La vie parlementaire



La vie parlementaire ne se confine pas aux seules discussions qui se déroulent à l'Assemblée nationale. Certes, c'est là la partie la plus visible de ce que font les parlementaires et les membres du gouvernement. C'est aussi à l'Assemblée que l'on adopte les lois - trop nombreuses selon certains - qui vont nous régir dans les prochaines années et que l'on en modifie d'autres. C'est là également où l'opposition va combattre un bon nombre de projets gouvernementaux et proposer des modifications qu'elle s'engage à mettre en oeuvre lorsqu'elle détiendra le pouvoir.

Cette double activité de législation et de contrôle ne peut se concevoir en vase clos. Les discussions qui animent les débats parlementaires tirent le plus souvent leur inspiration des événements ou des problèmes qui jalonnent notre vie quotidienne. Tel fut le cas à l'automne 90, où la rentrée parlementaire fut dominée par trois événements majeurs qui ont façonné l'agenda politique.



Sur un fond de crise à Oka

Au cours de l'été 90, le Québec vivait les péripéties - multiples et peu édifiantes - d'une crise amérindienne alimentée par deux groupes de combattants: d'un côté les Warriors, branche armée du peuple mohawk, qui voulaient en découdre avec les gouvernements en place, de l'autre les agents de la Sûreté du Québec et l'armée canadienne appelée à la rescousse, officiellement chargés de faire respecter l'ordre et de protéger l'intégrité du territoire, mais ne répugnant pas à utiliser la force à l'occasion. Amorcée au début de juillet, cette crise connaîtra son dénouement à la fin de septembre seulement, après 78 jours de siège. Et encore ce dénouement ne sera-t-il que provisoire, puisque rien n'aura été réglé.

Du Parti québécois affirmant que cette crise ne pouvait plus durer jusqu'au gouvernement qui cherchait une solution négociée, mais non pas avec un «peuple souverain», la crise mobilisa la population québécoise et ses dirigeants politiques. Elle aura des répercussions jusqu'à l'Assemblée nationale, qui dut siéger de façon exceptionnelle le 30 août afin d'adopter une loi spéciale permettant la mise en chantier, sans délai, du prolongement d'une autoroute jusqu'à la ville de Châteauguay de façon à contourner la réserve de Kahnawake. À la rentrée parlementaire d'octobre, l'opposition a mis sur la sellette le premier ministre et son ministre de la Sécurité publique, accusant le gouvernement de mentir dans le dossier autochtone et de faire porter le fardeau de son incompétence à des boucs émissaires.

Au total, comme l'écrivait l'éditorialiste Lise Bissonnette1 ] , la crise autochtone a conforté les pires préjugés contre le Québec, a démoralisé le Québec au moment où il retrouvait un peu d'allant et de cohésion, a également donné un précieux argument à ceux qui prétendent le Québec instable, imprévisible et difficile à gouverner.




La pénible naissance d'une commission parlementaire élargie

Cette crise a touché l'ensemble de la population québécoise; il en sera de même du deuxième événement majeur de l'été 90 - et qui va dominer le paysage politique automnal - même s'il a surtout marqué la gent politique et tous ces groupes passionnés par les débats constitutionnels et l'avenir du Québec. Les médias nous ont inondés de nouvelles sur les soubresauts qui ont agité la création de la commission parlementaire élargie sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec annoncée dans la foulée de l'échec de l'Accord du lac Meech. À la recherche d'un président neutre acceptable aussi bien au Parti libéral qu'au Parti québécois, les chefs de ces deux formations se sont finalement entendus sur la présence de deux coprésidents, incapables qu'ils étaient de s'entendre sur le nom d'un seul président. De Claude Béland qui aurait accepté d'assumer la présidence à Jeanne Sauvé qui aurait voulu être «un peu plus présidente», le choix s'est finalement arrêté sur Jean Campeau, jugé plutôt nationaliste, et sur Michel Bélanger, considéré plutôt fédéraliste. Ce choix devait être annoncé le 22 août seulement.

Déjà appelée à siéger d'une façon exceptionnelle à la fin d'août pour adopter une loi spéciale en relation avec la crise amérindienne, l'Assemblée nationale a prolongé ses travaux au début de septembre afin d'adopter la loi 90 créant une commission parlementaire élargie sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec. Cette loi définissait le mandat, la composition et l'échéancier de cette commission. Stipulant que les citoyens du Québec «sont libres d'assumer leur propre destin, de déterminer leur statut politique et d'assurer leur développement économique, social et culturel», le texte législatif demandait à la commission de 35 membres, dont 14 n'étaient pas des députés, de faire rapport à l'Assemblée nationale au plus tard le 28 mars 1991.

Durant l'étude de ce projet de loi, les chefs des deux principaux partis politiques québécois sont intervenus pour préciser leur vision de l'avenir du Québec et du rôle particulier de cette commission. Le chef libéral, Robert Bourassa, a tenu à souligner que les formules politiques doivent être subordonnées au progrès du Québec, plaidant que ce qui va guider le gouvernement, ce n'est pas une formule politique plutôt qu'une autre mais l'intérêt supérieur des Québécois. Quant au chef péquiste, Jacques Parizeau, il a rappelé que cette commission allait chercher à établir ce qu'on peut trouver de commun dénominateur entre nous, pour conclure que ce serait quand même énorme s'il fallait que nous puissions être unanimes sur la totalité du contenu du rapport.

En ce début d'automne, les critiques ont surtout porté sur la composition de la commission, dénonçant l'absence d'une représentation des femmes, des jeunes, des personnes âgées, des communautés culturelles, des Amérindiens, des Juifs, au profit des milieux d'affaires et syndicaux, sans oublier la trop forte présence de députés dans une commission appelée précisément «parlementaire». C'est plutôt la division de la commission en deux clans, les fédéralistes et les souverainistes, qui a davantage retenu l'attention des médias, obligeant même les deux coprésidents à récuser toute allégeance partisane. De critiques en manoeuvres de toutes sortes, le gouvernement sentit le besoin de présenter le 25 octobre le projet de loi 91 pour nommer le président de l'Union des artistes et celui de la Fédération des commissions scolaires comme membres de la commission, portant ainsi de 35 à 37 le nombre de ses membres puisque la loi originale prévoyait que l'un ou l'autre pourrait en faire partie. Ce qui faisait dire au journaliste Gilles Lesage que le consensus de l'après-lac Meech, qui avait suscité l'adoption à l'unanimité de la loi 90, n'avait pas résisté longtemps à la division partisane et aux obligations de mauvaise foi, de part et d'autre de la Chambre.2 ]

Compte tenu de l'importance des travaux de cette commission parlementaire élargie, des discussions qu'elle a suscitées, de l'attention que les médias lui ont accordée, les travaux de la Chambre ont marqué le pas au cours de l'automne. En plus de la ronde d'audiences publiques amorcée au cours de cette période et qui allait forcer plusieurs députés à s'absenter de l'Assemblée nationale, un autre événement majeur allait contribuer à cette léthargie parlementaire, soit la santé du premier ministre.




Faire du neuf avec du vieux

En désaccord avec ses propres collègues sur l'imposition d'une taxe sur les produits et services et encore plus sur l'harmonisation du système québécois avec le régime fédéral, le ministre du Revenu, Yves Séguin, sentit le besoin de remettre sa démission d'abord comme ministre, le 12 septembre, et plus tard comme député. Cette démission forçait le premier ministre à procéder à un remaniement ministériel, si ce n'était à court terme, du moins après la crise amérindienne. La rumeur laissait entendre que le ministre de la Sécurité publique et des Transports, Sam Elkas, en serait la principale victime et que John Ciaccia perdrait les Affaires autochtones tout en gardant le ministère des Affaires internationales. On visait ainsi les deux principaux protagonistes du gouvernement dans la crise amérindienne.

Comme il arrive souvent, la rumeur était fondée. Le premier ministre a effectué au début d'octobre un remaniement ministériel important qui a touché plus du tiers des membres de son Conseil des ministres. En confiant à Claude Ryan les lourdes responsabilités de la Sécurité publique et des Affaires municipales, le premier ministre a reconnu les faiblesses de son gouvernement durant la crise amérindienne ainsi que la profondeur du conflit déjà engagé avec le monde municipal. La venue d'un seul nouveau ministre, Lawrence Cannon, comme le soulignait l'éditorialiste Raymond Giroux3 ] , montre bien la faiblesse de l'arrière-ban libéral. Gilles Lesage, pour sa part, concluait que Robert Bourassa s'était contenté de brasser les mêmes cartes, tentant de faire du neuf avec du vieux, et que si ce n'était peut-être pas du rafistolage, c'était tout de même du replâtrage4 ] . Le vrai remaniement, ajoutait-il, reste à faire.

Ce remaniement du mois d'octobre avait été précédé d'une dizaine de jours de «vacances» du premier ministre quelque part aux États-Unis. En fait, comme on l'apprendra plus tard, monsieur Bourassa était gravement malade. À la suite d'une première intervention chirurgicale en septembre et d'une seconde en novembre pour un mélanome cancéreux, le premier ministre s'accordait deux semaines de convalescence en Floride de façon à reprendre le travail au début de janvier. Cette absence du chef libéral s'est fait sentir sur le gouvernement laissé sans orientation précise sur le plan constitutionnel et sur son propre parti où les jeunes libéraux - et d'autres un peu moins jeunes - ont jonglé avec l'idée d'une plus grande autonomie du Québec, sinon de la souveraineté elle-même. À telle enseigne qu'un sondage dévoilait la cote de popularité de cinq aspirants à la succession, obligeant la vice-premier ministre Lise Bacon à réclamer de la part des médias «un peu de respect pour M. Bourassa, sinon pour le politicien, du moins pour l'homme».




Un bilan législatif pour anorexiques

Traçant le bilan plutôt maigre de la session parlementaire de l'automne 1990, le leader du gouvernement en Chambre, Michel Pagé, a présenté fièrement la liste des 47 lois publiques et des 6 lois d'intérêt privé adoptées par l'Assemblée nationale depuis la reprise de ses travaux le 16 octobre. Peu d'entre elles sont vraiment importantes, bien que l'on puisse mentionner la loi qui faisait passer de 9 % à 8 % la taxe de vente qui s'appliquerait dorénavant aux meubles, vêtements et chaussures, la loi modifiant le code de la sécurité routière et qui prévoyait en particulier de fortes augmentations des amendes, la loi sur les normes du travail établissant un congé parental sans solde dont pourrait profiter aussi bien le père que la mère au moment de la naissance ou de l'adoption d'un enfant, la loi confirmant la direction bicéphale de la Caisse de dépôt et placement, ou la loi gelant le processus de révision de la carte électorale. L'absence du premier ministre, reconnaissait le ministre Pagé, a lourdement touché l'équipe ministérielle à Québec au cours de l'automne. En réalité, l'Assemblée nationale a assez peu attiré l'attention publique au cours de la session automnale face à la Commission Bélanger-Campeau, qui a accaparé presque tous les feux de la rampe. «Un bilan législatif d'une minceur à faire pâlir les anorexiques», concluait l'analyste Gilles Lesage.

À ce maigre bilan, s'ajoute tout de même le dépôt de projets de réforme très importants soumis à la discussion pour les mois ultérieurs.

On peut souligner en premier lieu la réforme des services de santé présentée par le ministre Marc-Yvan Côté, celle du Code civil déjà en marche depuis plusieurs années, la politique de l'immigration annoncée en décembre et devant faire l'objet d'une consultation publique en février, sans oublier le transfert, annoncé par le ministre Ryan, de responsabilités et de dépenses imputées désormais aux budgets des municipalités.




Un retour à la normale

Avant la reprise des travaux parlementaires en mars 1991, quelques commissions ont procédé à l'étude de certains dossiers et tenu des auditions publiques. Dès janvier 199 1, la Commission des institutions tenait une consultation générale sur le mandat, les orientations, la gestion et les activités du Protecteur du citoyen. Fin janvier également, la Commission des affaires sociales entreprenait l'étude détaillée du volumineux projet de loi 120 sur les services de santé et les services sociaux découlant de la réforme entreprise par le ministre Côté. À la mi-février débutaient la consultation générale et des auditions publiques sur l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration des immigrants à l'initiative de la Commission de la culture. En mars, quelques autres commissions devaient également s'activer.

Mais, à nouveau, d'autres événements majeurs extérieurs à la Chambre allaient dominer la vie parlementaire. À commencer par la Commission Bélanger-Campeau qui reprenait ses consultations dès la mi-janvier. Par delà le témoignage des experts et du public, la tenue d'un référendum - hâtif ou non - a capté l'attention des médias: le Parti québécois se montrait favorable à un référendum hâtif, alors que le chef libéral promettait simplement de faire appel au peuple sur l'avenir constitutionnel du Québec. Référendum dès 1991 ou à la fin de 1992, comme le proposait le rapport Allaire issu du comité constitutionnel du Parti libéral du Québec, ce choix divisa les membres de la Commission Bélanger-Campeau au cours de ses délibérations à huis clos.

Le compromis auquel les membres se rallièrent proposait l'adoption dès le printemps 1991 d'une loi établissant le processus de détermination de l'avenir politique et constitutionnel du Québec, reportant la tenue d'un référendum sur la souveraineté au plus tard en octobre 1992. Si ce référendum devait s'avérer positif, le Québec deviendrait un État souverain un an plus tard. Entre-temps, la loi devrait prévoir la mise en place de deux commissions parlementaires, l'une sur l'accès à la souveraineté, l'autre pour étudier d'éventuelles offres constitutionnelles en provenance du Canada anglais. Mais ce consensus auquel a abouti la commission est demeuré fragile, chacun cherchant à prendre ses distances par rapport aux recommandations de la commission. Comme l'écrivait l'éditorialiste Raymond Giroux5 ] , «la politique partisane reprend maintenant tous ses droits, à la suite du rapport Bélanger-Campeau. L'encre séchait à peine sur les signatures que le débat entre souverainistes et fédéralistes retrouvait sa place sur les tribunes.»

Si le Parti québécois avait failli faire éclater le consensus au sein de la Commission Bélanger-Campeau, c'est plutôt le Parti libéral qui sera tiraillé et divisé par le dépôt à l'Assemblée nationale du projet de loi créant deux commissions constitutionnelles - l'une sur l'accès à la souveraineté et l'autre sur les offres du Canada anglais - et prévoyant la tenue d'un référendum sur la souveraineté en 1992. Les députés fédéralistes, en particulier, voyaient mal pourquoi le gouvernement libéral, dont l'option avouée était le renouvellement du fédéralisme, ferait adopter une loi qui prévoyait un référendum sur la seule souveraineté.

Au moment du dépôt du projet de loi 150, le chef péquiste s'est emporté contre le gouvernement puisque, selon l'un des «considérants» inscrits dans le préambule, il voulait conserver «en tout temps sa pleine faculté d'initiative et d'appréciation des mesures favorisant le meilleur intérêt du Québec». À l'exception d'un député anglophone, plusieurs députés libéraux fédéralistes semblaient convaincus, par contre, que le référendum de 1992 sur la souveraineté n'aurait jamais lieu. En juin 1991, à la veille du vote sur le projet de loi 150, le PQ annonçait qu'il allait voter contre ce projet puisqu'il laissait trop de latitude au premier ministre, y compris la marge de manoeuvre pour ne pas tenir le référendum promis.

Face à cette prise de position, le gouvernement libéral décidait de suspendre l'étude de la loi sur le référendum, indiquant qu'un vote divisé sur le principe du projet de loi affaiblirait le Québec. Revenant sur sa décision un peu plus tard, il soumettait aux voix l'adoption du principe du projet de loi appuyé par 62 voix libérales contre 25 voix péquistes, auxquelles s'ajoutait celle du chef du Parti Égalité. Au terme de l'étude du projet, la Chambre demeurait toujours divisée, les péquistes s'y opposant et 65 voix libérales l'appuyant. Mais on a également remarqué de nombreuses absences dans les rangs libéraux, en particulier celles de sept ministres assez nettement identifiés au camp fédéraliste et de deux députés qualifiés d'ultra-fédéralistes.

Par une curieuse ironie du sort ou en vertu des luttes partisanes qui dominent notre régime parlementaire, les libéraux pourtant fédéralistes ont fait adopter une loi prévoyant la tenue d'un référendum sur la souveraineté, alors que les péquistes souverainistes s'y sont opposés faute d'avoir pleinement confiance au premier ministre Bourassa sur cette question. L'unanimité un peu factice et passagère de la Commission Bélanger-Campeau s'est effritée rapidement au profit des stratégies constitutionnelles et des stratagèmes politiques de chacun. C'était là un retour à la normale pour le jeu politique du parlementarisme.




La puissance des médecins

Sur la scène parlementaire, un autre événement majeur allait retenir l'attention au cours du printemps 1991. En décembre 1990, le ministre Marc-Yvan Côté a présenté, lors d'un grand spectacle médiatique, une réforme en profondeur des services de santé, mettant l'accent sur le citoyen et, d'une façon plus particulière, sur les besoins des personnes les plus âgées et des plus jeunes.

Le projet de loi 120, déposé le 17 décembre, a suscité d'abord une certaine colère plus ou moins contenue chez les médecins et les futurs médecins, puis a provoqué un affrontement ouvert entre le gouvernement et l'ensemble de la profession médicale. Le ministre a dû d'abord céder aux pressions de l'opposition qui réclamait de nouvelles consultations publiques avant d'aller plus loin dans l'étude des 494 articles du projet de loi sur la réforme de la santé. Mais le ministre n'avait pas chômé depuis la présentation de son projet en décembre, Ses tournées dans les différentes régions du Québec s'étaient soldées par la rédaction de 309 amendements déposés à la fin de mars (mais 60 % d'entre eux étaient d'ordre technique et 20 % de pure forme, les autres affectant davantage le «comment» que la nature même du projet).

Devant la menace des médecins de tenir des journées d'étude susceptibles de perturber les hôpitaux, le ministre s'était montré fermé en déclarant qu'il n'entendait pas céder aux pressions des médecins ni discuter du retrait de son projet de loi. Même après la première journée de débrayage, le ministre répétait qu'il tenait toujours à ce que son projet soit adopté avant la fin de la session. Face à cette détermination du ministre, les médecins décidaient d'entamer une «journée d'étude» dans l'ensemble du Québec afin de venir manifester devant l'Assemblée nationale. Avouant que «[sa] patience a des limites», le ministre se disait prêt tout de même à des concessions pour satisfaire les médecins, en acceptant en particulier de suspendre de son projet de réforme les dispositions touchant la répartition des médecins en région. Cherchant à manier habilement la carotte et le bâton, le ministre brandissait quelques jours plus tard la menace d'une loi spéciale si les médecins déclaraient une grève générale.

À la suite de multiples rencontres avec les représentants des médecins, l'impasse persistait toujours. À la mi-juin, coup de théâtre: Québec décidait de reporter de deux mois l'adoption de la réforme de la santé et de reprendre les négociations avec les fédérations de médecins. Dès leur première rencontre, les deux groupes en arrivaient à un accord de principe sur la création d'une commission médicale consultative permanente. Dans le réseau de la santé et des services sociaux où l'on avait accueilli plutôt favorablement la réforme, l'inquiétude se manifestait de plus en plus à la suite du report de l'adoption du projet de loi.

Traçant le bilan de la session du printemps 199 1, l'analyste Gilles Lesage6 ] concluait à une «dégelée» du ministre Côté. Le premier ministre Bourassa, ajoutait-il, qui porte encore des cicatrices de la bataille d'arrière-garde des médecins spécialistes en pleine crise d'octobre 1970, tient trop à la «paix sociale» pour la laisser perturber par les médecins, d'autant plus que le ministre pourrait encaisser le coup sans rechigner, «en bon libéral mur à mur».




La déconfiture des élus municipaux

Durant ce temps, celui que l'on a appelé le ministre-orchestre du gouvernement (en référence à ses différentes nominations à des postes difficiles pour régler des problèmes importants) maintenait ses positions contre vents et marées. Dans le projet de loi 145 visant une «réforme des paramètres de la fiscalité municipale», le ministre Ryan s'est montré fortement intraitable. Seul adoucissement en cours de route: réduire le fardeau financier transféré aux municipalités de 477 millions de dollars annoncés en décembre 1990 à 334 millions annoncés à la mi-mai, tout en ajoutant en revanche de nouvelles hausses dans d'autres secteurs. Ce transfert de responsabilités et de dépenses aux municipalités québécoises, visant avant tout à réduire le déficit du gouvernement, a soulevé les protestations les plus vives des élus municipaux. L'un d'eux accusait même le gouvernement de les traiter non pas en partenaires mais en mercenaires.

Même la vive opposition des parlementaires péquistes n'a pas réussi à ébranler le ministre que l'éditorialiste Gilles Lesage appelait à rétablir le dialogue avec ses «créatures» municipales. Excluant tout moratoire sur la réforme de la fiscalité municipale, le ministre a réussi également à briser l'obstruction de l'opposition péquiste qui avait endossé la bataille des municipalités contre les «dispositions scélérates» de Claude Ryan.

Même les menaces des municipalités de tout mettre en oeuvre - campagnes de publicité, pétitions, désobéissance civile - pour faire reculer le ministre n'ont pas réussi à l'ébranler. Au contraire, il a menacé de couper les vivres aux municipalités récalcitrantes et fait adopter une motion de clôture visant à mettre fin à l'étude détaillée des 322 articles du projet, alors que le quart d'entre eux seulement avait été adopté et que le ministre venait de déposer 99 nouveaux amendements.

«Qu'est-ce que les médecins ont que les municipalités ou les contribuables n'ont pas ?» demandait le chef de l'opposition au terme de la session, faisant référence au fait que les premiers ont réussi à faire reculer le gouvernement, alors que les seconds ont hérité d'une facture de près de 400 millions de dollars qu'ils devront de toute façon refiler à leurs contribuables. Dans son bilan de fin de session, Gilles Lesage concluait que le ministre-orchestre (Claude Ryan) avait plus d'emprise sur le chef du gouvernement que son organisateur en chef (Marc-Yvan Côté) et que monsieur Bourassa ne pouvait risquer de faire perdre la face à monsieur Ryan une autre fois après l'avoir récupéré de justesse au terme du congrès libéral de février, qui avait entériné le rapport Allaire aux accents nettement souverainistes. À celui qui avait été chargé de l'application des lois linguistiques était désormais confiée la lourde tâche de réduire le déficit gouvernemental sur le dos des municipalités, sous le couvert d'un transfert de responsabilités et de dépenses.




Les affres de la récession

Amorcée durant l'année 1990, la récession prenait de l'ampleur au cours de 1991. Si bien que le gouvernement, aux prises avec un sérieux déficit budgétaire, décidait d'offrir deux options - toutes deux basées sur un gel des salaires et une prolongation des conventions collectives - aux organisations syndicales dont les conventions collectives venaient à échéance le 31 décembre de cette année-là dans les secteurs public et parapublic.

Tirant les leçons de la crise économique de 1982, durant laquelle le gouvernement péquiste avait choisi sans succès la voie de la négociation avec les organisations syndicales pour finalement imposer une décision, le président du Conseil du trésor, Daniel Johnson, prit la décision d'agir rapidement en imposant, sans négociation, un gel des salaires aux 400 000 employés des secteurs public et parapublic durant une année complète à compter du 1er janvier 1992. «Le Québec est cassé», titrait le journal Le Soleil. «Désarroi des finances publiques», ajoutait Le Devoir.

Cependant, plusieurs députés libéraux, surtout de la région de Québec, préféraient nettement une modulation des salaires de façon à épargner les bas salariés à un gel uniforme qui frapperait tous les employés de la même façon. De même, les syndicats réclamaient une négociation avec le gouvernement. Ce à quoi consentit le ministre Johnson mais «dans un cadre très précis». Une entente négociée intervenait fin avril entre les deux parties, entente qui se situait à peu près à mi-chemin entre la proposition gouvernementale décrétée unilatéralement et la contre-proposition syndicale soumise par la suite et basée sur un gel des salaires de trois mois seulement. On s'entendit sur un gel de six mois. Ce qui faisait conclure à l'éditorialiste Jean Francoeur, que cette entente entre le gouvernement et les syndicats constituait «un virage presque inespéré, que l'histoire des relations de travail au Québec marquera peut-être d'une pierre blanche: feu le jusqu'au-boutisme».

Confirmant l'extrême prudence du gouvernement et la conjoncture économique difficile, le budget du ministre des Finances taxait à nouveau les consommateurs, en particulier les fumeurs, les buveurs et les automobilistes, et prévoyait hausser le déficit à 3,5 milliards de dollars.

Occupés avant tout à discuter des crédits des différents ministères et à se prononcer sur le budget du gouvernement, les parlementaires ont dû prendre les bouchées doubles - le leader parlementaire du gouvernement menaçant même de prolonger la session - afin d'adopter, parfois à la suite d'une motion de clôture, trois importants projets de loi auxquels le gouvernement tenait beaucoup: la réforme des services de santé (loi 120), la réforme de la fiscalité municipale (loi 145), et enfin le projet sur l'avenir politique du Québec (loi 150), qui sera finalement adopté en juin à la suite d'une bataille importante de l'opposition péquiste qui voulait rendre ce projet plus conforme à l'esprit de la Commission BélangerCampeau.

Ces trois projets majeurs, joints à l'étude des crédits et du budget, ont dominé entièrement la session du printemps à l'Assemblée nationale.




Le recul du ministre

À nouveau, l'Assemblée nationale était convoquée à une session spéciale à la fin du mois d'août 1991 afin d'adopter le «nouveau» projet de loi 120 portant sur la réforme de la santé et des services sociaux. Alors que le ministre Marc-Yvan Côté avait déjà affirmé en mai que les moyens de pression ne le feraient pas céder, il avait dû consentir à des concessions à l'égard des médecins. À la fin de l'été 1991, à la suite de longues négociations avec la profession médicale, le ministre a dû admettre qu'il avait «mis de l'eau dans son vin» afin d'en venir à une entente avec les médecins, mais que l'essentiel de sa réforme de santé avait été préservé. Dans leurs discussions sur le contenu de 75 articles litigieux, les médecins ont finalement obtenu des concessions du ministre sur plusieurs points majeurs, considérant pour leur part avoir sauvegardé leurs pouvoirs dans le système de santé. Malgré tout, on estimait que le ministre avait au moins réussi à embrigader les membres de la profession médicale dans sa réforme.

À la suite de ces négociations, le projet de loi subissait une transformation chirurgicale profonde alors que le ministre soumettait 585 amendements à un projet comptant 494 articles. À un point tel que les membres péquistes de la Commission des affaires sociales décidaient de s'opposer au «nouveau projet» qui n'atteignait plus, selon eux, les objectifs fixés au départ, notamment par la commission Rochon qui avait enquêté sur la réforme de la santé. Deux objectifs essentiels avaient été sacrifiés, selon le PQ, soit une réelle décentralisation des soins de santé au Québec et la garantie d'une répartition équitable des effectifs médicaux en région.

Adoptée sur division par un vote de 74 voix libérales contre 27, celles des députés péquistes et du Parti Égalité, la loi 120 n'a satisfait ni les péquistes ni même entièrement le ministre libéral, qui a immédiatement rabroué les médecins et appelé les citoyens à contrer les groupes d'intérêt. C'est sur cette note que s'est terminée cette longue saga qui a révélé la puissance des médecins.




Grogne et mécontentement

Alors que la guerre entre les élus municipaux et le ministre Ryan se poursuivait au cours de l'automne 91, le gouvernement dut affronter la grogne des milieux culturels durant les nombreuses séances de la Commission de la culture chargée d'étudier le rapport du groupe-conseil sur la politique culturelle du Québec (rapport Arpin). Au terme de 8 semaines d'auditions publiques, les membres de la commission avaient entendu 181 intervenants et reçu 264 mémoires, ce qui faisait dire à la journaliste Jocelyne Richer7 ] que, «mise à part la célèbre Commission Bélanger-Campeau, jamais dans l'histoire du parlementarisme québécois n'avait-on assisté à un tel engouement».

De ces multiples interventions où le mécontentement a souvent dominé, se dégageaient trois consensus majeurs: le gouvernement doit se donner une politique culturelle, la mission culturelle de l'État doit figurer au sommet des priorités, à côté des grands axes que sont l'économie et la mission sociale, et enfin l'État doit consacrer des ressources financières plus substantielles aux arts et à la culture.

Le mécontentement n'a pas cessé chez les élus municipaux à la suite de l'adoption de la loi 145. Au contraire, les relations entre les municipalités et le ministre Ryan sont demeurées tendues durant toute cette période. Mais les municipalités ont dû se résoudre à accepter les nouvelles responsabilités et surtout le nouveau compte de dépenses que le ministre leur a imposés.

Grogne et mécontentement également au sein de la population de plus en plus frappée durement par la récession qui n'en finit plus de finir.. À un point tel que le chef de l'opposition, à l'issue d'une réunion des députés du PQ au début d'octobre à Sherbrooke, promettait de mettre l'accent sur l'économie plutôt que sur le débat constitutionnel dans les mois à venir. Le PQ, ajoutait-il, va tenter de démontrer que le gouvernement actuel ne parvient pas à redresser la situation, en même temps qu'il assomme les contribuables avec de nouvelles taxes.

En dépit de ce qui était annoncé, les questions économiques n'ont pas toujours dominé les travaux de l'Assemblée nationale. Au contraire, ce sont plutôt les débats constitutionnels qui ont rapidement envahi le paysage politique.




Cacophonie et bisbille

À la fin d'août 1991, les deux commissions parlementaires créées par la loi 150 tenaient leurs premières séances de travail. La commission chargée d'étudier toute question afférente à l'accession du Québec à la souveraineté n'a pas soulevé de problèmes particuliers de fonctionnement. Il s'agissait tout simplement de commander des études et d'entendre des experts sur divers sujets reliés à cette question, dont l'épineux problème de l'intégrité du territoire et celui des coûts de la souveraineté.

C'est plutôt la commission d'étude sur toute offre d'un nouveau partenariat de nature constitutionnelle qui a soulevé une tempête politique. Dès la première séance de travail, le Parti québécois accusait le gouvernement d'agir dans l'illégalité en voulant se pencher sur des propositions fédérales qui n'auraient pas été approuvées par le reste du Canada, d'autant plus qu'à cette date, le gouvernement fédéral n'avait encore soumis aucune proposition: elles viendraient un mois plus tard seulement. Surtout, le PQ soutenait que, conformément à la loi 150, la commission devait attendre des offres qui lieraient formellement Ottawa et les provinces. Mais on n'arrivait pas à s'entendre sur le sens à donner aux mots «lier formellement».

Si une guérilla de procédures a marqué les premières heures de délibération de ces deux commissions, les escarmouches entre libéraux et péquistes se sont poursuivies au cours de l'automne quant au fonctionnement de la commission sur les offres et à l'établissement d'un plan de travail pour les mois à venir. Après quelques semaines d'auditions, le PQ estimait que la commission avait procédé à une analyse suffisante des propositions fédérales présentées le 24 septembre et qu'il fallait désormais attendre les offres véritables du fédéral et y revenir seulement lorsque de telles offres auraient été déposées.




Essoufflement et rythme d'escargot

Après trois semaines de travaux à l'Assemblée nationale, l'opposition se laignait de la minceur du menu législatif et de l'inaction du gouvernement. Ce qui se traduisait par des séances de travail de plus en plus courtes (l'Assemblée nationale ne siégeant que 13 ou 14 heures par semaine au lieu des 18 heures et demie prévues comme semaine régulière) et par l'absence de convocation de la Chambre pour siéger en soirée, comme le permet le règlement pour les mardis et les jeudis. Les libéraux sont essoufflés, concluait l'opposition.

L'éditorialiste Gilles Lesage en arrivait à la même conclusion quelques jours plus tard8 ] lorsqu'il soulignait que la Chambre évoluerait à un rythme d'escargot. «On ne peut pas dire, ajoutait-il, après quatre semaines de délibérations, que les députés ploient sous le fardeau parlementaire, encore moins que le bilan législatif soit glorieux ou époustouflant.» Et il concluait: «Comme le gouvernement, l'Assemblée tourne au ralenti, sinon en rond, comme dans l'attente d'on ne sait trop quoi.»

À la date limite pour le dépôt de projets de loi que le gouvernement tenait à faire adopter avant l'ajournement de décembre, seuls trois projets législatifs ont été déposés. Ce qui a soulevé l'indignation de l'opposition, qui a déploré à nouveau la minceur du menu législatif et le peu de contenu de la plupart des projets soumis. Le leader parlementaire de l'opposition s'est surtout inquiété de constater la «dégradation du Parlement» et la dépréciation du rôle du député.

Cette session automnale a été essentiellement marquée par les travaux des deux commissions parlementaires sur l'accession à la souveraineté et sur les offres fédérales, ainsi que par l'adoption de la loi 125, composée de 3144 articles, instituant le nouveau Code civil du Québec. Ce projet avait subi, au cours de son étude en commission parlementaire, pas moins de 930 amendements, dont plusieurs de nature plutôt cosmétique. Un an après son dépôt devant l'Assemblée nationale et après 35 ans de travaux menés par une multitude de spécialistes, la loi était sanctionnée en grande pompe par le lieutenant-gouverneur du Québec.

À ce mince bilan législatif s'ajoute heureusement pour le gouvernement le dépôt, au cours du mois de décembre, d'une série de documents et de projets appelés à être discutés plus profondément en commissions parlementaires et à se traduire en éventuels projets de loi. C'est d'abord le ministre Bourbeau qui a ouvert le bal avec son plan de formation professionnelle et son projet de création d'une Société de développement de la main-d'oeuvre. Puis ont suivi en cascade le document du ministre Gérald Tremblay sur la stratégie industrielle, mieux connue comme sous le nom de «grappes industrielles», le plan de développement de Montréal parrainé par le ministre Johnson, et enfin la politique de développement régional du ministre Picotte, qui souhaitait abolir l'OPDQ et décentraliser vers les régions.

En cette fin de session d'un ennui mortel, le gouvernement voulait donner l'impression qu'il bougeait. En réalité, certains documents seront bien accueillis, comme celui sur les grappes industrielles. On reconnaîtra que la plupart posaient des diagnostics valables, même si les solutions n'apparaissaient pas à la hauteur de la situation. Au total, était-ce suffisant pour justifier le dépôt, en fin de session, d'un projet de loi visant à bonifier le régime de retraite des députés de l'Assemblée nationale ? Si le contenu du projet pouvait se défendre, le moment où il a été déposé n'était certainement pas justifié. Comment se surprendre dès lors qu'un sondage CROP paru le 11 décembre nous ait révélé que les Québécois et Québécoises n'avaient plus confiance en leurs chefs politiques, sans distinction d'affiliation partisane, ni de niveau fédéral ou provincial ?




Note(s)

1.  Le Devoir, 1 septembre 1990.

2.  Le Devoir, 2 novembre 1990.

3.  Le Soleil, 6 octobre 1990.

4.  Le Devoir, 6 octobre 1990.

5.  Le Soleil, 28 mars 1991.

6.  Le Devoir, 22 juin 1991.

7.  Le Devoir. 22 novembre 1991.

8.  Le Devoir, 8 novembre 1991.