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Les relations internationales du Québec



Jean-Philippe Thérien
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1990-1991

· Rubrique : Les relations extérieures



En 1991, la vie politique québécoise a été largement dominée par le débat constitutionnel. Les enjeux d'ordre international ont relativement peu retenu l'attention même si, pendant ce temps, le monde connaissait des bouleversements spectaculaires.

D'abord, l'éclatement de l'URSS a complètement chambardé les fondements de l'ordre international instauré en 1945. Dans la foulée du mouvement de révolution populaire qui avait balayé l'Europe de l'est quelques mois plus tôt, l'empire soviétique s'est effondré sous le poids de gigantesques conflits politiques, économiques et sociaux. Cette fin tout à fait inattendue de la guerre froide a modifié de fond en comble non seulement la dynamique Est-Ouest mais aussi toute la structure des rapports interétatiques. Pour l'heure, les États successeurs de l'URSS semblent vouloir s'orienter vers la mise en place de régimes politiques démocratiques et de systèmes économiques à économie de marché. Toutefois, le problème de la dissémination des armes nucléaires et le spectre de la guerre civile continuent de faire planer une atmosphère d'incertitude à laquelle tous les acteurs internationaux se trouvent confrontés.

La guerre du Golfe fut un autre événement d'importance historique. Pour la première fois, les dispositions de la Charte des Nations Unies relatives au maintien de la sécurité collective ont pu être mises en application. Une convergence sans précédent des positions de tous les membres permanents du Conseil de sécurité a permis d'établir un très large consensus au sein de la communauté internationale contre l'invasion du Koweït par l'Irak. S'il est vrai que la guerre du Golfe a été dirigée et gagnée par les Américains, il n'en reste pas moins qu'elle a mis en valeur comme jamais auparavant le rôle politique que l'ONU peut jouer dans la gestion des affaires mondiales.

Enfin, d'importants progrès ont été enregistrés dans la résolution de conflits régionaux, entre autres au Moyen-Orient. En octobre, à l'invitation des gouvernements américain et soviétique, une conférence à Madrid a ainsi réuni Israël, ses Etats voisins et des représentants palestiniens. Bien que la conclusion d'une paix durable paraisse toujours lointaine, l'amorce de ces pourparlers constitue par elle-même un tournant majeur.

Dans cet environnement international en totale ébullition, de nouveau centré sur les questions de high politics, le Québec ne pouvait faire autrement qu'être un spectateur. Pour la diplomatie québécoise, les principales conséquences de la guerre du Golfe se seront probablement limitées à la fermeture d'un bureau de recrutement d'immigrants à Damas et à l'annulation de missions commerciales en Égypte, en Israël, en Iran et... au Koweït. Se superposant au contexte mondial, la conjoncture politique interne explique aussi que le Québec ait accordé moins d'énergies à assurer son rayonnement international et davantage à réfléchir sur son devenir au sein de la fédération canadienne. Dans ses relations extérieures, le gouvernement québécois a donc adopté un profil bas. En certaines circonstances, notamment dans les affaires d'Oka-Kahnawake et de Grande-Baleine, il s'est même retrouvé dans une position défensive. Toutefois, il est vrai qu'en fin de compte, la réserve générale de l'action gouvernementale n'a pas pu empêcher l'inexorable mouvement d'internationalisation des activités sociales et économiques dans lequel le Québec se trouve engagé.



Constitution et relations internationales

Toujours omniprésent, le débat constitutionnel s'est lui-même imprégné d'un caractère international. Non pas que le gouvernement ait pris des initiatives pour trouver des appuis à l'extérieur en vue d'améliorer son rapport de forces avec le gouvernement fédéral. Cela n'aurait pas été conforme à son parti pris fédéraliste. Mais inspirés par l'actualité étrangère, divers commentateurs ont établi des parallèles entre la situation du Québec et celle des États naissants en Europe de l'est. On a ainsi suggéré que l'accession à la souveraineté de petits pays comme les républiques baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) contribuait à légitimer la faisabilité de l'indépendance politique du Québec. Le gouvernement québécois n'a jamais cherché à exploiter ce parallèle mais, pour sa part, le premier ministre fédéral, Brian Mulroney, s'est fait un devoir de récuser toute forme d'analogie. La sécession des républiques soviétiques constitue un phénomène qui contredit manifestement une thèse chère aux fédéralistes canadiens, selon laquelle les rapports internationaux contemporains seraient caractérisés par une tendance universelle vers l'union politique et économique. Pourtant, pour monsieur Mulroney, tout rapprochement entre la situation du Québec et celle des républiques soviétiques serait vide de sens parce que, a-t-il soutenu à quelques reprises, contrairement à ces territoires qui furent intégrés à l'URSS par la force, le Québec aurait accédé volontairement à la fédération canadienne. Le plus curieux de toute cette discussion, c'est que l'argumentation du premier ministre canadien ait porté sur les conditions d'entrée des territoires considérés dans un système fédéral donné alors que le débat en cours concerne plutôt les conditions de leur sortie. Or, de ce point de vue, l'analyse comparée ne peut manquer de stimuler la réflexion et, de là, les stratégies politiques.

Par ailleurs, les discussions constitutionnelles sur l'avenir du Québec se sont internationalisées par le biais de prises de position plus ou moins explicites de leaders politiques étrangers. Dans l'ensemble, en accord avec les principes canoniques du droit, la communauté internationale s'est efforcée de ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures canadiennes. En ce sens, les interventions étrangères dans le débat constitutionnel ont toutes été assez discrètes. Cela n'a pas empêché que des préférences soient exprimées. De façon peu surprenante, la communauté internationale semble clairement favoriser le maintien de l'intégrité du Canada comme État souverain.

C'est le président des États-Unis, George Bush, qui a le mieux fait valoir ce dernier point de vue. Lors d'une visite à Ottawa en mars, il a déclaré qu'il voyait dans un Canada uni un allié et un ami solide. Il a également laissé entendre que l'indépendance du Québec était un projet comportant plusieurs inconnues. Le président du Mexique, Carlos Salinas, a été un autre dirigeant politique de premier, plan à signaler ouvertement sa préférence pour le maintien de la fédération canadienne. De passage au Québec au mois d'avril, il a exprimé son parti pris en faisant une analogie entre l'histoire du Mexique et celle du Canada. Quand les Mexicains se sont divisés, a-t-il rappelé en substance, ils ont perdu une immense partie de leur territoire au profit des États-Unis. Sa conclusion était d'une grande limpidité: l'union fait la force, encore plus quand les Américains sont nos voisins.

Pour sa part, la France a poursuivi sa politique de «non-ingérence et de non-indifférence» à l'égard du Québec. La non-indifférence française s'est exprimée, par exemple, dans l'accueil réservé à Paris au chef du Parti québécois, Jacques Parizeau. Fait assez inusité pour un chef de parti d'opposition d'un État non souverain, celui-ci a eu droit à des entretiens avec le premier ministre et le président de la République. De tel égards témoignent bien du vif intérêt que les autorités françaises portent à l'évolution de la politique québécoise. Cependant, il est clair que, dans l'actuel débat constitutionnel, le gouvernement français ne voit aucun avantage à cautionner un camp plus qu'un autre. En langage diplomatique, il réaffirme régulièrement sa confiance de voir la question du statut du Québec se résoudre de façon démocratique.

Enfin, par son propre contenu, le débat constitutionnel a aussi soulevé des questions de droit international. Il existe de profondes controverses à propos des droits et des pouvoirs d'un éventuel Québec souverain. D'un côté, les indépendantistes qui voient avec optimisme la négociation d'une association avec le reste du Canada parlent d'une monnaie canadienne, voire d'un passeport canadien. De l'autre, les fédéralistes les plus radicaux soutiennent que l'accès du Québec à la souveraineté devrait être empêché par les moyens militaires et pourrait donc engendrer une guerre civile. Au-delà de ces scénarios rose et noir, le principal problème de droit international auquel un Québec souverain serait confronté concerne la nature de ses compétences territoriales. Les autochtones ont déjà fait savoir que, dans leur esprit, l'indépendance du Québec devrait conduire à un nouveau découpage des frontières. Cette vision des choses est évidemment contestée, et les batailles juridiques sur le sujet pourraient durer longtemps.




Les priorités économiques

Le renforcement de l'économie est la trame de fond sur laquelle se déploie le gros des relations extérieures du Québec. Et comme les États-Unis sont de loin le principal marché de la province, ce pays continue d'être le coeur de l'activité internationale québécoise. Les commentaires du président Bush qu'on a évoqués plus haut rappellent que les relations américano-québécoises sont loin d'être insensibles aux questions d'ordre politique. La rencontre du premier ministre Bourassa avec l'ambassadeur américain au Canada, peu après la présentation du rapport Allaire et les prises de position formulées aux États-Unis par le président d'Hydro-Québec, Richard Drouin, témoignent à cet égard du besoin ressenti par les autorités québécoises de rassurer les Américains sur l'avenir constitutionnel de la province. Toutefois, au-delà des considérations politiques, les liens entre le Québec et les États-Unis reposent depuis longtemps sur l'ampleur et la complémentarité de leurs échanges de biens et de services.

L'interdépendance économique du Québec et des États-Unis s'est accrue encore un peu plus avec l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange canado-américain. Cependant, le nouveau cadre commercial ainsi créé est loin d'avoir immunisé le Québec contre les attitudes protectionnistes des Américains. L'année a été marquée par bon nombre de différends commerciaux, ceux relatifs aux exportations québécoises de porc et de magnésium comptant parmi les plus importants. Depuis 1989, le gouvernement américain avait prélevé des droits compensateurs sur les exportations de porc frais et surgelé canadien, dont environ la moitié provient du Québec. Une décision rendue en juin à Washington a finalement donné gain de cause au Canada. Les exportateurs québécois ont donc pu récupérer quelque 15 millions de dollars à titre de remboursement. L'importance de cette affaire vient du fait qu'elle a donné lieu à une bataille juridique sans précédent et mis à jour le caractère agressif de la politique commerciale américaine. Le jugement est venu du tribunal extraordinaire prévu dans le cadre de l'accord de libre-échange après que les États-Unis eurent refusé de se plier aux recommandations du GATT et d'une commission bilatérale d'arbitrage.

Dans le dossier du magnésium, le Québec s'est vu visé d'une façon beaucoup plus directe. À la suite d'une plainte déposée par la firme Magnesium Corporation, le gouvernement américain a mené une enquête sur les exportations de magnésium canadien aux États-Unis. Selon les conclusions de l'enquête, l'usine de Norsk Hydro de Bécancour bénéficierait d'une subvention déguisée de 33 % en vertu d'un contrat de fourniture d'électricité à prix de faveur par Hydro-Québec. Les producteurs américains auraient donc été les victimes d'une concurrence déloyale. Le Département américain du commerce a dès lors exigé que la compagnie québécoise verse une caution équivalant à peu près au tiers de la valeur de ses exportations aux États-Unis. Le gouvernement du Québec conserve bon espoir de faire renverser la décision prise mais, pour le moment, ce conflit commercial laisse surtout penser que d'autres contrats d'Hydro-Québec, entre autres avec des alumineries, pourraient faire l'objet d'enquêtes et, le cas échéant, entraîner des représailles.

Ces conflits commerciaux avec les États-Unis n'ont pas du tout entamé la stratégie libre-échangiste du gouvernement québécois. Celui-ci s'avère toujours un des plus fidèles partisans du gouvernement fédéral dans ses efforts en vue de conclure une entente tripartite Canada-États-Unis-Mexique. En dépit de certaines craintes du milieu syndical concernant un nivellement par le bas des conditions de travail, le gouvernement du Québec reste convaincu qu'un accord de libre-échange nord-américain pourrait en même temps offrir aux entreprises québécoises un meilleur accès aux marchés extérieurs tout en garantissant une protection à certains secteurs mous de l'économie québécoise, comme les textiles.

Par des consultations suivies avec les représentants canadiens, le Québec a participé assez activement aux négociations multilatérales du GATT actuellement en cours. Dans ce dossier, Québec et Ottawa partagent des objectifs largement similaires. Cela est particulièrement vrai dans le secteur de l'agriculture, principale pomme de discorde de l'Uruguay Round. Alliés aux producteurs locaux, les gouvernements canadien et québécois ont ainsi fait front commun pour que soient maintenues et renforcées les règles relatives aux offices de commercialisation agricole. Cependant, dans cette âpre bataille dont l'issue reste incertaine, malgré tous les efforts déployés, le Canada et le Québec se trouvent passablement isolés étant donné que les États-Unis et les pays européens favorisent plutôt l'adoption de tarifs pour protéger leurs marchés intérieurs.

Plusieurs missions dirigées par le ministre des Affaires internationales et celui de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie ont finalement permis de promouvoir les intérêts économiques du Québec sur la scène internationale. Entre autres faits marquants, le Québec a tenté une percée en Europe de l'est. Un Centre commercial et culturel du Québec, par exemple, a été ouvert à Prague et des projets de coopération ont été mis sur pied avec des partenaires hongrois, polonais, roumains et tchèques dans les domaines de la foresterie, de l'agro-alimentaire et de la santé notamment. Plus que jamais persuadé de la nécessité d'adapter l'économie aux défis de la globalisation des marchés, le gouvernement a cherché sous toutes les latitudes à mettre en valeur la qualité des produits québécois et à attirer de nouveaux investissements.




Le monde francophone


a) les relations bilatérales

Les relations bilatérales du Québec avec la France ont subi le contrecoup de la focalisation du gouvernement Bourassa sur les enjeux d'ordre interne. Interrompant la coutume des visites annuelles en alternance des chefs de gouvernement, les premiers ministres Michel Rocard et Édith Cresson ont, chacun leur tour, reporté à plus tard leur séjour outre-Atlantique. Cependant, cette entorse à la tradition n'a pas empêché des discussions au sommet dans le cadre de la francophonie multilatérale dont il sera question plus loin. Puis, de fréquentes rencontres à un palier politique moins élevé ont régulièrement eu lieu. Entre autres, en novembre 1990, en compagnie d'une délégation de parlementaires, l'ancien premier ministre et actuel chef de l'Assemblée nationale française, Laurent Fabius, a effectué un séjour au Québec au cours duquel il a eu des entretiens avec monsieurs Bourassa et Parizeau de même qu'avec les deux coprésidents de la commission Bélanger-Campeau. Au fil des ans, les relations entre le Québec et la France ont perdu de leur éclat, mais les multiples réseaux d'échanges déjà en place font que ce pays demeure une zone nettement privilégiée dans la diplomatie québécoise.

Le premier ministre Bourassa a nommé André Dufour au poste de délégué général du Québec à Paris en janvier 199 1. Depuis janvier 1990, ce poste était occupé de façon intérimaire par Marcel Bergeron qui remplaçait Jean-Louis Roy, alors devenu secrétaire général de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Le long intérim assuré par monsieur Bergeron laisse supposer que le gouvernement a éprouvé des difficultés à faire un choix qui obtiendrait un large consensus. La nomination de monsieur Dufour a d'ailleurs un peu surpris car, par le passé, le poste de délégué général à Paris a traditionnellement été occupé par des personnalités bien en vue sur la scène publique québécoise. D'abord professeur, le nouveau délégué a pour sa part fait une carrière plutôt discrète dans la haute fonction publique, ayant été successivement sous-ministre adjoint au ministère des Relations internationales, vice-recteur de l'Université Laval et président de la Régie québécoise des télécommunications.

Par ailleurs, dans un effort de consolidation des liens du Québec avec des États d'Afrique francophone, la vice-premier ministre, Lise Bacon, a fait une tournée qui l'a conduite au Togo, en Côte-d'Ivoire et en Guinée. Madame Bacon était accompagnée de dirigeants d'une dizaine d'entreprises québécoises, et l'objectif de son séjour était essentiellement de nature commerciale. Cette visite a notamment permis de rencontrer des représentants de la Banque africaine de développement et de mousser la pénétration d'Hydro-Québec sur le marché africain.


b) les relations multilatérales

Sur le plan multilatéral, les relations du Québec avec ses partenaires francophones ont été soutenues en raison surtout de la tenue du quatrième Sommet des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant en commun l'usage du français qui s'est tenu à Paris, au palais de Chaillot, en novembre 1991. À l'origine, cette rencontre devait avoir lieu à Kinshasa, au Zaïre. Toutefois, la violation systématique des droits de la personne dans ce pays a incité le gouvernement canadien à exercer des pressions qui ont finalement fait modifier le lieu de la rencontre. Dans toutes ces discussions hautement politiques, le Québec n'a joué qu'un rôle consultatif, mais il semble avoir été favorable aux démarches entreprises par Ottawa.

Nombre d'observateurs ont souligné l'effacement de la participation du Québec au Sommet de Chaillot. Le premier ministre Bourassa s'y est tout de même vu confier la tâche de rapporteur officiel, comme en 1986. Il faut dire que le Sommet a fait une place prépondérante aux enjeux de politique internationale, la déclaration finale portant sur les droits de la personne et la démocratisation. Or, dans le volet des Sommets portant sur les questions politiques, le Québec ne dispose que d'un statut «d'observateur intéressé». Le gouvernement québécois a quand même marqué son intérêt pour la question des droits de la personne en faisant une contribution, il est vrai assez symbolique, de 150 000$ en vue d'aider le processus de démocratisation des Etats en développement. Bien qu'elle pèse peu dans tout ce débat sur la démocratisation, la position québécoise paraît un peu plus proche de celle de la France que de celle du Canada par son attachement à la nécessité de respecter le principe de non-intervention dans les affaires intérieures des autres États. Ajoutons finalement qu'en marge du Sommet, le premier ministre Bourassa a eu une série d'entretiens avec des chefs d'État africains, ce qui lui a permis de mettre en valeur les possibilités de coopération économique entre le Québec et ces pays, en particulier dans le domaine de l'énergie.

Outre l'ensemble des réunions préparatoires du Sommet, deux importantes rencontres ministérielles ont aussi marqué le développement récent du multilatéralisme francophone. En novembre 1990, à Liège, eut lieu une Conférence des ministres de la culture. Ce fut l'occasion pour le Québec de redire son parti pris pour le renforcement d'un marché des biens culturels francophones et pour la création de TV-5 Afrique. Puis, en avril, une Conférence des ministres de l'environnement s'est tenue à Tunis. La rencontre a d'abord permis la mise en place de programmes de prévention et de formation en matière d'environnement. Elle a aussi servi à établir une plus grande cohésion entre les positions des États francophones en vue de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement de juin 1992. Ce faisant, la réunion des ministres de l'environnement a démontré comment la francophonie pouvait engendrer des synergies susceptibles d'être exploitées dans d'autres forums internationaux.




L'internationalisation d'enjeux domestiques

Le Québec s'est retrouvé bien malgré lui au centre de controverses majeures à la suite de l'internationalisation de conflits intérieur. C'est ce qui s'est passé dans les deux affaires d'Oka-Kahnawake et de Grande-Baleine, au cours desquelles les autochtones ont réussi à attirer l'attention de l'opinion publique étrangère sur leurs revendications.

La confrontation d'Oka-Kahnawake a d'abord pris une envergure internationale en raison de l'importante couverture médiatique qu'elle a reçue aux États-Unis et en Europe. Puis, l'internationalisation du conflit s'est accrue lorsque divers observateurs étrangers de renom (dont Jesse Jackson et Desmond Tutu) ont commenté la situation et que le Parlement européen a adopté une résolution condamnant le comportement des gouvernements canadien et québécois. Cet affrontement entre les autochtones et le gouvernement du Québec fut un événement spectaculaire en soi, mais son effet à long terme pourrait être relativement faible par comparaison avec les conséquences éventuelles de la controverse entourant le projet de Grande-Baleine.

La différence de fond entre le conflit d'Oka-Kahnawake et celui de Grande-Baleine, c'est que, dans le second cas, des sommes d'argent colossales sont en jeu. Le contrat entre le Québec et le seul État de New York porte sur des exportations d'hydro-électricité d'une valeur de 17 milliards de dollars pour la période 1995-2016. Très tôt, ce mégaprojet a suscité outre-frontière un vaste débat public. En coordination avec le Grand Conseil des Cris du Québec, des groupes environnementalistes américains ont vigoureusement contesté la nécessité de la construction du barrage prévu. Mettant en relief les répercussions possibles d'une Baie James Il sur l'écologie et, surtout, sur le mode de vie des populations autochtones, ils ont réussi à gagner suffisamment d'appuis politiques pour faire retarder le début du projet. Lors du Sommet des grandes villes du monde tenu à Montréal en novembre 1991, le maire de New York, David Dinkins, a par exemple déclaré que sa ville pourrait ne pas avoir autant besoin de l'électricité québécoise que ce qui avait été initialement prévu. Dans toute cette controverse, le coup d'éclat de l'année fut sans contredit la parution d'une publicité couvrant une page entière du New York Times le 21 octobre dernier. Financée par le Grand Conseil des Cris et des groupes écologistes tels que Greenpeace, la Société Audubon et le Sierra Club, cette publicité comparait la situation de Grande-Baleine avec la catastrophe de la forêt amazonienne. Dans la foulée, de l'autre côté de l'Atlantique, les Verts du Parlement européen avançaient l'idée d'une résolution qui pourrait être débattue au début de 1992 en vue de condamner le projet de Grande-Baleine.

Très mal préparée, la classe politique québécoise et les dirigeants d'Hydro-Québec ont été surpris par une contestation aussi vigoureuse. En réponse à la publicité parue dans le New York Times, le gouvernement a fait paraître une mise au point dans tous les grands journaux new-yorkais. Toutefois, il est clair que la réplique gouvernementale n'a pu à elle seule reconquérir une opinion publique étrangère de plus en plus sensibilisée aux questions environnementales et sympathique à la cause des Amérindiens. Constamment sur la défensive, le gouvernement a convoqué à la fin du mois de novembre tous ses représentants à l'étranger pour une séance d'information sur le projet de Grande-Baleine. Cette décision illustre à quel point le dossier de la Baie James suscite de l'intérêt bien au-delà du nord-est des États-Unis et affecte la crédibilité du gouvernement du Québec à l'échelle mondiale. En fait, pour le mouvement écologiste, le projet de Grande-Baleine est devenu l'enjeu d'une bataille d'importance planétaire.

Les problèmes environnementaux que soulève Grande-Baleine n'ont obtenu un tel écho qu'à la suite des initiatives prises par les Indiens cris. Ceux-ci soutiennent qu'ils ont été forcés de s'adresser à l'opinion publique internationale à cause de l'indifférence que leurs revendications suscitaient auprès des autorités québécoises. Quoi qu'il advienne du développement énergétique de la Baie James, les autochtones ont marqué plusieurs points dans leur lutte contre Hydro-Québec. Cela devrait tout naturellement les inciter à maintenir dans le futur une stratégie aussi rentable. Les rapprochements croissants entre autochtones d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud et d'Océanie suggèrent par ailleurs que tous ces peuples cherchent de plus en plus à internationaliser les conflits dans lesquels ils se trouvent engagés. Compte tenu de ce contexte, les relations du Québec avec ses autochtones risquent à l'avenir de se jouer sans cesse davantage sur la scène extérieure.




Deux énoncés de politique

Le dernier élément marquant des derniers mois dans le développement des relations internationales du Québec concerne la parution de deux énoncés de politique dans les domaines des affaires internationales et de l'immigration.

En septembre 1991, le ministère des Affaires internationales a publié un document d'orientation intitulé Le Québec et l'interdépendance. Le monde pour horizon. Éléments d'une politique d'affaires internationales. Attendu depuis plusieurs mois, cet énoncé de politique constitue la première réflexion gouvernementale systématique dans le domaine des relations internationales depuis 1985. Sur le plan des concepts utilisés, le document fait abondamment référence aux notions d'interdépendance, d'internationalisation et de mondialisation pour justifier le besoin d'une plus grande ouverture du Québec sur le monde. Puis il préfère parler d'affaires internationales plutôt que de politique étrangère. Dans l'optique du gouvernement, le premier champ se différencie du second en ce qu'il serait le propre des acteurs non souverains et qu'il concernerait d'abord des enjeux de nature commerciale, financière et technique. Au-delà de ses relents d'ordre académique, cette précision terminologique est assez révélatrice de la vision qu'a l'actuel gouvernement du statut politique de la province.

Le thème central de la nouvelle stratégie gouvernementale est de loin le développement économique. Bien sûr, le document n'oublie pas de mettre en relief le caractère unique de la culture québécoise qui tient à son double héritage nord-américain et européen. Cela dit, l'ensemble des préoccupations gouvernementales reste guidé par le besoin d'adapter le Québec à l'accroissement de la concurrence internationale. Parmi tous les objectifs évoqués, l'augmentation de la compétitivité et le renforcement des avantages comparatifs de l'économie québécoise priment sur les autres. Dans cette perspective, le gouvernement se propose en particulier de favoriser les transferts de technologie et d'augmenter les investissements étrangers. La stratégie du Québec devrait à cet égard privilégier un certain nombre de grappes industrielles où figurent, à côté des industries primaires traditionnelles, des secteurs de pointe comme l'aéronautique, les télécommunications, la pharmacie et le génie-conseil. Le document gouvernemental a généralement été accueilli comme un exercice de relations publiques bien réussi. La grande question est de savoir comment les innombrables suggestions qu'il contient parviendront à se traduire dans la réalité.

Avant de rappeler les grandes lignes de l'énoncé de politique du gouvernement québécois en matière d'immigration intitulé Au Québec pour bâtir ensemble, il convient de rappeler que, depuis 1968, ce champ constitue l'un des plus importants dans les activités du Québec à l'étranger. Une entente administrative intervenue avec Ottawa à la toute fin de 1990 a d'ailleurs renforcé un peu plus le pouvoir du gouvernement québécois dans ce secteur. En conformité avec les dispositions prévues sur le sujet par l'Accord du lac Meech, cette entente a élargi le pouvoir de sélection du Québec aux immigrants sur place. Elle a aussi donné au Québec la possibilité de recevoir une part de l'immigration canadienne proportionnelle à sa population, avec droit de dépasser ce seuil de 5 %.

L'énoncé de politique formulé quelques semaines avant la conclusion de cette entente administrative entre Ottawa et Québec attestait d'abord et avant tout que l'immigration constitue un axe de plus en plus central dans l'ensemble de l'action gouvernementale. Le document insistait par ailleurs sur la nécessité d'améliorer les conditions de l'intégration des immigrants. En ce sens, le gouvernement a fait valoir sa volonté d'augmenter la proportion d'immigrants francophones, un objectif qui entre en contradiction avec la tendance lourde des dernières années vers l'accroissement de la proportion des allophones parmi les immigrants arrivant au Québec. Il a également établi comme priorité la maximisation des retombées économiques de la politique d'immigration. Entre autres mesures, il a ainsi été convenu d'intensifier les efforts en vue d'accueillir un plus grand nombre de gens d'affaires. Les deux objectifs d'augmenter à la fois le nombre d'immigrants francophones et le nombre d'immigrants-gens d'affaires ne sont évidemment pas facilement conciliables, étant donné que cette dernière clientèle parle beaucoup plus anglais que français. Cette controverse rappelle en définitive à quel point le débat entre les impératifs de prospérité économique et ceux de sécurité culturelle imprègne toutes les dimensions de la politique québécoise.




Conclusion

Au cours de l'année écoulée, les contextes extérieur et intérieur se prêtaient mal à des initiatives de politique étrangère d'envergure de la part du gouvernement du Québec. Toujours fortement tournées vers les États-Unis et la France, les relations internationales de la province se sont donc développées dans un esprit de grande continuité avec le passé. Dans le premier de ces deux pays, la stratégie du Québec répond surtout à des besoins de nature économique; dans le second, elle répond davantage à des préoccupations d'ordre politique, culturel et symbolique. Or, vu la priorité croissante accordée aux enjeux économiques sur la scène politique nationale et la montée des blocs économiques régionaux partout dans le monde, l'importance relative de l'Amérique du Nord -Mexique compris - dans les rapports du Québec avec l'étranger tend à augmenter aux dépens de celle de la France, des pays francophones et de l'Europe. Expression locale d'une dynamique mondiale, la continentalisation de l'économie québécoise offre certes de grandes possibilités. Toutefois, la période récente indique qu'il s'agit d'un chemin parsemé d'embûches. Face à un environnement global de plus en plus fondé sur la compétitivité des structures nationales de production, il reste à voir avec quelle volonté politique les nouveaux principes relativement avant-gardistes du discours gouvernemental en matière de relations extérieures seront mis en application. Mais de façon probablement encore plus immédiate, le principal défi auquel se verra confronté le Québec consistera à adapter son action internationale en fonction du résultat des négociations constitutionnelles en cours.