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La vie municipale et régionale



Caroline Andrew
Université d'Ottawa


L'année politique au Québec 1991-1992

· Rubrique : La vie municipale et régionale



Il y a des années qu'on peut qualifier, politiquement, des années de tempête - des conflits ouverts, des déclarations fracassantes, etc. Ensuite il y a d'autres années qui ressemblent plus à des courants d'eau avec des mouvements de fond mais qui sont peu visibles. L'année 1991 était une année de tempête dans le monde municipal, avec la réforme Ryan et la Loi 145 sur le financement des municipalités. L'année 1992 est plus du second type avec le débat sur la mise en place de la réforme Ryan et une refonte importante des politiques et des structures de développement régional. Voyons les faits saillants



L'An 1 de la Réforme Ryan

Le dossier central pour le monde municipal cette année a été l'application de la Loi 145. L'année a été marquée par la concertation autour de la Table Québec-Municipalités (TQM) où le gouvernement du Québec a travaillé avec les associations municipales, l'Union des municipalités du Québec (UMQ) et l'Union des municipalités régionales de comté et des municipalités locales du Québec (UMRCQ), sur des questions techniques touchant la mise en place de la réforme Ryan. Le ton était plus à la coopération qu'à la confrontation comme ce fut le cas en 1991. Le ministre Ryan a commenté ce changement dans son discours au congrès annuel de UMRCQ en octobre 1992:

En toute hypothèse, je retiens de nos rapports des deux dernières années une constatation capitale. Le monde municipal sait être franc et dur au besoin et il l'a abondamment démontré. Mais il a aussi le souci de l'ordre et le sens des institutions qui doivent présider à la bonne marche de la société politique. Il est également imbu d'un sain réalisme qui lui vient de son contact quotidien avec la réalité concrète. C'est dans cet esprit que le monde municipal a entrepris d'assumer les lourdes responsabilités qu'avait décidé de lui transférer le gouvernement. Autant il S'opposa avec vigueur au projet soumis par le gouvernement, autant le monde municipal a su ajuster sa conduite concrète aux décisions légitimement prises par l'Assemblée nationale. Il a ainsi donné un exemple de civisme et d'attachement au bien public dont je tiens à souligner l'importance.

Les dispositions de la Loi 145 concernant la protection policière ont été mises en vigueur pendant l'année 1992. Cette dimension avait été contestée devant les tribunaux par FUMRCQ et six municipalités et, le 23 décembre 1992, la décision du juge André Desmeules de la Cour Supérieure a donné raison au gouvernement, reconnaissant son droit de facturer les municipalités pour les services fournis sur leur territoire par la Sûreté du Québec.

L'élément central de ce dossier pendant l'année 1992 était la question de la responsabilité pour l'entretien de la voirie locale que la réforme Ryan prévoyait remettre aux municipalités à partir du 1 avril 1993. Cet échéancier a été maintenu, mais les municipalités ont enregistré certains gains lors des négociations avec le gouvernement du Québec. Entre autres, le gouvernement du Québec conservera pour un certain temps la responsabilité pour l'entretien des ponts. L'estimation originale du coût moyen par kilomètre pour l'entretien a été modifiée à la hausse et la répartition de l'enveloppe annuelle pour l'amélioration du réseau local impliquera une consultation auprès des municipalités et non pas seulement une décision par les députés. Toutes ces questions ont été discutées dans un comité regroupant des représentants du ministère des Affaires municipales, du ministère des Transports, de VUMQ et de VUMRCQ.

L'année 1992, en marquant le début de la mise en oeuvre de la réforme Ryan, était donc un année de transition vers un nouveau partage des responsabilités entre le palier municipal et le gouvernement du Québec.




Développer les régions du Québec

L'année 1992 a vu la mise en vigueur d'une nouvelle politique de développement régional au Québec. La nouvelle politique laisse une place plus grande -aux élus municipaux et donc représente une certaine volonté de décentralisation vers le monde municipal. Les nouvelles structures ont commencé à être mises sur pied pendant l'année 1992 et nous ne saurons que dans quelques années si ce courant représente vraiment un mouvement de fond ou une restructuration sans effet important.

Le Conseil des ministres a adopté les grandes lignes de la nouvelle politique le 15 décembre 1991 et au printemps de 1992, une loi a été adoptée, la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les affaires régionales. Les objectifs de la nouvelle politique sont les suivants:

Pour mettre en place cette nouvelle politique, la loi prévoit la création d'un Conseil régional dans chacune des seize régions du Québec. Chaque région peut décider de la composition précise de son Conseil, à l'intérieur des lignes générales émises par le gouvernement. Le Conseil doit avoir un tiers de ses membres qui sont des élus municipaux et, en plus, il doit être composé des représentants des agents de développement socio-économique et des organismes dispensateurs de services publics. Tous les députés de l'Assemblée nationale sont membres d'office du Conseil régional de leur région. En décembre 1992 douze Conseils régionaux (sur les 16 régions) existaient.

Au niveau du gouvernement du Québec, cette nouvelle politique impliquerait la disparition de l'Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) et son remplacement par un Secrétariat aux affaires régionales (SAR). Ce Secrétariat sera représenté dans chaque région par un délégué aux affaires régionales. En décembre 1992, onze délégués régionaux avaient été nommés.

Les Conseils auront comme responsabilité, la définition d'un plan stratégique régional «qui vise à définir les forces, les faiblesses, les enjeux, les priorités et les axes de développement dans chacune des régions du Québec» (Secrétariat aux affaires régionales, Bulletin d'information, décembre 1992, p. 3). De plus, les Conseils, conjointement avec le gouvernement, auront la responsabilité de gérer un fonds régional de développement attribué à chacune des régions.

Selon les documents du gouvernement du Québec, cette nouvelle politique de développement régional reflète une évolution dans le rôle du gouvernement québécois et aussi une certaine maturité du leadership régional.

L'évolution du rôle de l'État s'est faite progressivement au cours des dernières décennies. À une certaine période, le rôle de l'État l'amenait à une certaine prise en charge des besoins de la population. Ceci passait par une définition centralisée et normalisatrice des besoins et des niveaux de service que l'État se devait d'assurer à l'ensemble des citoyens. Plus récemment, l'évolution s'est caractérisée par le passage de l'État-providence à l'État-partenaire.

(Développer les régions du Québec, 1992, p. 18).

La dernière époque fut marquée par la montée de l'idée d'un développement «endogène» et par l'émergence en région d'institutions et de leaders régionaux (autorités locales, universités, CÉCEP, entrepreneurs, etc.). Dans ce modèle, le rôle de l'État devient celui d'un partenaire technique et financier. (Ibid. p. 29).

Tout comme la réforme Ryan, cette politique suggère un rôle accru pour les municipalités. Mais pour savoir comment ce rôle sera joué, il faudra attendre encore quelques années.




L'aménagement

Le Gouvernement du Québec a aussi procédé en 1992 à des changements à la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme. Ces amendements ont été proposés en vue d'améliorer le contenu des schémas, le processus de révision et la procédure relative aux interventions gouvernementales. La loi actuelle prévoit la révision des schémas d'aménagement à tous les cinq ans et 1992 marque le début de la période des révisions. Seize municipalités régionales de comté (MRC) et la Communauté urbaine de Montréal (CUM) devraient effectuer la révision de leurs schémas en 1992, avec 63 autres MRC, la Communauté urbaine de Québec et la Communauté urbaine de l'Outaouais prévues pour 1993. Ce processus de révision a incité le gouvernement à amender la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme.




Groupe de travail sur Montréal et sa région

En avril 1992, le ministre des Affaires municipales, M. Claude Ryan, a créé un Groupe de travail sur Montréal et sa région. Présidé par M. Claude Pichette, le Groupe de travail est composé de 13 personnes. Son mandat est de «proposer une réflexion publique sur les institutions politiques et sur les conditions devant présider à l'exercice des fonctions municipales sur le territoire de Montréal et de sa région» (Groupe de travail sur Montréal et sa région, Document d'information et guide d'intervention, p. 1). Les premiers documents du groupe de travail identifient «l'absence d'une vision commune et propre au Grand Montréal», «les tendances actuelles du développement du territoire de Montréal», ainsi que «les difficultés inhérentes à la mise en oeuvre d'une concertation efficace et permanente entre les intervenants de tous les milieux» parmi les obstacles majeurs au développement de la région de Montréal. Le Groupe de travail a passé l'automne 1992 à rencontrer des groupes intéressés et à entendre les mémoires et son rapport préliminaire est attendu pour le mois de janvier 1993., Le rapport final du Groupe de travail, prévu pour le mois de juillet 1993, visera «à dégager une vision d'avenir et des voies d'action à la mesure des défis des années 2000, quant au développement de Montréal et de sa région» (Ibid. p. 1).

Rappelons certaines données démographiques : la grande région de Montréal (le territoire délimité par le Comité ministériel permanent du développement du Grand Montréal) compte, en 1991, une population de 3 202 843 personnes. La ville de Montréal a une population de 1 030 900 (32,2% de la population de la grande région) et la Communauté urbaine de Montréal (CUM), 1 783 653 (55,7% de l'ensemble de la population régionale). Il y a dans cette grande région urbaine, 12 MRC plus la CUM pour un total de 137 municipalités. Douze de ces municipalités ont moins de 1000 de population (la plus petite étant l'Ile-Dorval avec 3 personnes) et trois ont une population de plus que 100 000 (Montréal, Laval avec 313 500 personnes et Longueuil avec 131 800).




Prochaine bataille: le nombre des municipalités?

Dans son discours au congrès annuel de FUMRCQ le ministre des Affaires municipales, M. Claude Ryan, est revenu sur un des thèmes principaux du gouvernement du Québec dans ses politiques municipales pendant les trente dernières années, le trop grand nombre des municipalités au Québec. Il existe 1451 municipalités locales et, selon le ministre, «si l'on examine la situation sous l'angle des services attendus des municipalités, il apparaît de plus en plus difficile pour des municipalités trop petites d'être à la hauteur de la tâche». Dans ce discours, le ministre visait particulièrement les 322 cas où municipalités de village et municipalités de paroisse continuent d'exister séparément. M. Ryan annonçait une série de mesures volontaires pour encourager les fusions municipales, tout en brandissant la menace qu'«à long terme, on ne saurait exclure qu'il faille un jour envisager des politiques plus contraignantes en matière de fusion. À court terme, cependant, et par là j'entends à tout le moins la période qui doit s'écouler d'ici les prochaines élections générales, le gouvernement entend s'en tenir à une politique reposant sur la libre décision des municipalités elles-mêmes.»

Si ce discours et les mesures préconisées par le gouvernement, constituent le positionnement du gouvernement par rapport au monde municipal face à la question du nombre et de l'efficacité des municipalités actuelles, l'utilisation des résultats du sondage effectué en 1992 auprès du public par le monde municipal constitue, elle aussi, un positionnement. Le monde municipal répète que «la municipalité est le gouvernement le plus près des citoyens. Ainsi, plus le palier de gouvernement se rapproche des contribuables, plus la confiance qu'on lui porte est grande». (Urba, novembre 1992, p. 1).

Le sondage indique que 59% des répondants ont confiance dans le palier municipal (comparé à 40% pour le palier provincial et 31% pour le palier fédéral) et que 49% considère que le palier municipal est le palier de gouvernement le mieux géré (comparé à 15% pour le palier provincial et 12% pour le palier fédéral).

L'UMRCQ lie ces résultats directement à la question des fusions :

Récemment, un sondage Multi-Réso affirmait que le niveau de gouvernement qui reçoit le plus la confiance des citoyens est celui des municipalités. Il y a lieu d'être fiers de notre gestion. Plusieurs Québécois se disent cependant d'avis que des regroupements de services entre les municipalités, voire même des fusions, seraient souhaitables dans certains milieux et contribueraient à une gestion encore meilleure. Là comme ailleurs, il y a tout lieu de croire que les municipalités feront preuve de discernement. (Quorum, décembre 1992, p. 4).

Nous verrons en 1993 si ces tendances profondes réussiront à transformer le paysage municipal.