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Le budget 1992-1993



André Blais
Université de Montréal

François Vaillancourt
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1991-1992

· Rubrique : Le budget



Dans nos examens antérieurs du budget du Québec nous avions présenté des comparaisons interprovinciales ponctuelles des dépenses et revenus des provinces. Cette année nous profitons de la parution en 1992 de données comparables pour la période 1965-1990 (Finances publiques, données historiques 1965/1966-1991/1992 Statistique Canada 68-512) pour examiner l'évolution de quelques indicateurs de la situation financière des provinces.



La situation financière du Québec: quelques indicateurs

Le premier indicateur que nous avons retenu est le ratio des dépenses consolidées des provinces et des municipalités par rapport à leurs recettes propres, soient les recettes des impôts et des taxes ce qui exclut les divers transferts du gouvernement fédéral. Plus le ratio se rapproche de 100%, plus les gouvernements réussissent à financer leurs dépenses à même leurs recettes propres. Plus le ratio est élevé et s'éloigne de 100% moins les gouvernements peuvent compter sur leurs propres revenus pour défrayer leurs interventions. Le Tableau 1 (p. 57) permet de constater que le degré d'autonomie financière varie de façon importante d'une province à l'autre, qu'il tend à s'accroître d'est en ouest, à s'accroître légèrement avec le temps, mais que les provinces dans l'ensemble dépensent 1,21$ pour chaque $ de recettes propres en 1990. On comprend alors l'importance des prochaines (1993) négociations fédérales-provinciales sur les programmes de transferts.




Un deuxième indicateur retenu est l'importance des recettes propres par rapport au PIB. Les résultats du Tableau 2 (p.58) indiquent une variation relativement faible de ces ratios entre les provinces et une nette tendance à la croissance à travers le temps. Ce n'est donc pas la faiblesse de leur effort fiscal propre qui explique que la dépendance des provinces face aux transferts ait peu diminué à travers le temps. Comme l'indique le Tableau 3, la tendance la plus significative est la diminution relative des paiements de transfert dans les recettes consolidées des provinces et municipalités depuis 1975. Le Tableau 3 (p. 59) souligne également la place considérable des paiements de transfert dans la fiscalité des provinces de l'Atlantique.







Finalement étant donné l'intérêt porté au déficit budgétaire et à la dette du gouvernement fédéral nous nous sommes penchés sur l'importance du service de la dette pour les provinces canadiennes. Comme l'indiquent les résultats du Tableau 4 (p. 60), le ratio du service de la dette sur le PIB varie de façon importante entre les provinces et s'accroît à travers le temps, même s'il tend à plafonner. Le Québec a un ratio plus élevé que l'Ontario ou la moyenne canadienne jusqu'en 1990.




Le Québec a un taux d'autonomie financière (Tableau 1 et 3) et un ratio recettes propres/PlB nécessairement différents de ceux des autres provinces car il touche une partie de ses transferts sous forme de points d'impôts et donc de revenus autonomes (impôt personnel sur le revenu) plutôt que sous forme de transferts en argent. De fait, on projette que d'ici quelques années le Québec ne touchera plus de paiements en argent aux fins de l'enseignement post-secondaire et des programmes de santé (Financement des programmes établis). Ceci pourrait réduire la capacité du gouvernement fédéral d'imposer des normes nationales dans ces domaines.




Le budget 92


Les dépenses

Le gouvernement du Québec prévoit des dépenses totales de 40,7 milliards de dollars pour l'année fiscale 1992-1993, une augmentation de 5% par rapport à l'année précédente. Cette augmentation est supérieure au taux de croissance anticipé (3%) du PIB. Les dépenses du gouvernement devraient représenter 25% du PIB québécois.

Le tableau 5 (p. 61) indique la répartition des dépenses par ministères, annoncée lors du dépôt des crédits. Ce sont le ministère des Finances et celui de la Main-d'oeuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle qui reçoivent les plus fortes augmentations de crédits. La hausse du budget alloué au ministère des Finances est principalement imputable à l'augmentation des fonds de suppléance, qui permettent au gouvernement de pourvoir à certaines dépenses imprévues, et n'a donc pas grande portée.




La hausse des crédits affectés au ministère de la Main-d'oeuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle est, elle, plus significative. Le budget de l'aide sociale est majoré de 16%, suite à une hausse prévue des assistés sociaux. Il est à noter que le budget alloué à la sécurité du revenu a connu une augmentation de 45% au cours des deux dernières années. De plus, les fonds consacrés à la formation professionnelle sont augmentés de 24%. Cette hausse résulte non pas de la création de nouveaux programmes ou encore de la bonification de ceux existants, mais plutôt d'une forte augmentation de la demande des services de formation professionnelle.

À l'inverse, la part du budget consacrée aux ministères de l'Éducation et de la Santé et des Services sociaux décline. Le plafonnement des fonds alloués à l'éducation reflète la diminution de la clientèle étudiante. Les crédits pour l'éducation populaire sont également réduits de plus de 30%. Pour ce qui est de la santé et des services sociaux, les fonds ne sont augmentés que de 4% (comparativement à 5% pour le budget total). Cette diminution relative ne saurait être attribuée à une baisse de la demande, le vieillissement de la population devant plutôt entraîner une croissance des services de santé. Aucun programme en particulier ne semble avoir été coupé de façon substantielle. Le gouvernement se contente plutôt de ne pas vraiment augmenter (en termes réels) les fonds alloués.

Le discours du budget annonce un certain nombre de mesures additionnelles, dont l'impact financier total a été estimé à 91 millions de dollars pour l'année 1992-1993. Les deux mesures les plus importantes ont trait au réseau routier et au décrochage scolaire. Un montant de 35 millions de dollars sera injecté pour améliorer l'état du réseau routier local. Les municipalités n'ont guère raison de se réjouir cependant, puisqu'il ne s'agit que d'une mesure transitoire, le réseau routier local devenant la responsabilité des municipalités à partir d'avril 1993. Des crédits additionnels de 30 millions de dollars sont également conférés au ministère de l'Éducation pour s'attaquer au décrochage scolaire.

Deux autres mesures, plus importantes, visent à réduire les dépenses. Le ministre des Finances annonce d'abord des coupures supplémentaires de 135 millions de dollars dans le secteur de la santé. Ces compressions résultent principalement de la décision du gouvernement de ne plus défrayer les services dentaires pour les enfants de 10 ans et plus, d'exiger une contribution de 2$ de la part des personnes âgées chaque fois qu'elles se procurent des médicaments, et de faire payer un montant de 35$ pour les examens de la vue aux personnes de 18 à 40 ans. Le ministre indique également qu'il demandera à la grande majorité des ministères et organismes gouvernementaux (la principale exception étant les établissements des réseaux de la santé et de l'éducation) de réduire leur budget salarial et leur effectif de 2% et les autres dépenses de fonctionnement de 3,5%. Cette mesure devrait entraîner une épargne de 150 millions de dollars. Comme on avait déjà, annoncé lors du dépôt des crédits une diminution des effectifs de 2%, la réduction totale de l'emploi dans la plupart des organismes gouvernementaux se situera à 4% pour l'année 1992-1993.

Tout cela ne devrait pas nous faire perdre de vue le tableau d'ensemble. Au total, la part des dépenses du gouvernement du Québec dans le PIB augmente légèrement cette année, ce qui est compréhensible en période de récession. Quant à la ventilation des dépenses, elle demeure largement inchangée.


Les revenus

Le budget prévoit des recettes totales de 36,9 milliards de dollars, et donc un déficit de 3,8 milliards. Cela représente une légère réduction du déficit qui s'élevait l'an dernier à 4,2 milliards de dollars. Le déficit représentera 2,4% du PIB. Le ministre des Finances a annoncé son intention de voir ce pourcentage réduit à 1,5% en 1994-1995.

7,9 des 36,9 milliards de dollars proviendront des transferts du gouvernement fédéral. La part des transferts dans le total des recettes se situera à 21,7%, une augmentation substantielle de plus de 2 points de pourcentage par rapport à l'an dernier. Cette hausse est cependant ponctuelle et résulte en bonne partie de paiements effectués en 1992-1993 à l'égard d'années antérieures. Le ministre des Finances prévoit que la part des transferts va chuter à 18,2% d'ici 1994-1995. Il reste que le milliard additionnel que le gouvernement du Québec reçoit cette année du gouvernement fédéral lui a donné une certaine marge de manoeuvre, qui disparaîtra au cours des prochaines années.

Pour ce qui est des revenus autonomes, on note, par rapport à l'année précédente, une augmentation de la part des impôts des sociétés ainsi que des amendes, confiscations et recouvrements (Tableau 6, P. 62). Le taux d'imposition sur les profits des sociétés est haussé de 2 points de pourcentage, ce qui se traduira par des revenus additionnels de 150 millions pour le gouvernement. Cette mesure est venue compenser le manque à gagner résultant de la décision d'établir le taux de la taxe de vente sur les services et immeubles, entrée en vigueur le 1 juillet, à 4% plutôt qu'à 8%. En fait ce remplacement fait perdre plus d'une centaine de millions de dollars au total cette année, mais cette perte est appelée à disparaître au cours des prochaines années.




Pour ce qui est de l'item «amendes, confiscations et recouvrements», la hausse s'explique par la décision du gouvernement d'aller chercher, de façon exceptionnelle, 275 millions de dollars dans la réserve de stabilisation de la Société de l'assurance-automobile du Québec. Le ministre justifie cette décision en notant que la Société a pu générer, en plus de la réserve actuarielle nécessaire, une réserve de stabilisation de 1,4 milliards de dollars, qui était suffisante pour éviter des hausses de primes pour plusieurs années.

En contrepartie, la part de l'impôt sur le revenu des particuliers est appelée à diminuer de plus de deux points de pourcentage cette année. Une raison est que le ministre des Finances a annoncé quelques mesures destinées à alléger le fardeau fiscal des particuliers, mais ces mesures ont un impact financier bien limité. Une autre raison est que la hausse prévue des salaires est inférieure à celle des bénéfices des sociétés.

Notons tout de même brièvement quelques mesures ayant pour effet de réduire le fardeau fiscal des familles. L'allocation pour le troisième enfant est portée de 7 500$ à 8 000$. Les nouvelles prestations fédérales pour enfants ne seront pas imposées. À partir de l'année d'imposition 1993, la déduction maximale pour frais de garde sera portée de 4 600$ à 5 000$ par enfant et les conjoints de fait auront droit au crédit pour personne mariée, de façon à harmoniser les régimes fédéral et québécois. Voilà donc un train de petites mesures, ni spectaculaires ni bien coûteuses, mais qui signalent la volonté du gouvernement d'apporter une aide accrue aux familles.

Pour l'essentiel, cependant, le discours du budget ne modifie que très marginalement la fiscalité québécoise. La plus importante décision a consisté à établir le taux de la taxe sur les services et immeubles à 4% plutôt qu'à 8%, tel qu'annoncé auparavant, et, en contrepartie, à hausser de 2 points de pourcentage le taux de l'impôt sur les bénéfices des sociétés. Le gouvernement a sans doute jugé que la nouvelle taxe sur les services serait plus facilement acceptée si son taux n'était pas trop élevé et qu'il pouvait se permettre d'augmenter l'impôt sur les bénéfices des sociétés, un des rares impôts dont le taux est plus faible au Québec que dans le reste du Canada.


Les réactions

Le budget a suscité des réactions diverses. Cilles Lesage dans Le Devoir se fait critique. Qualifiant le budget de léthargique, il accuse le gouvernement d'être trop prudent et conservateur, de ne pas prendre tous les moyens pour activer la reprise. Cette critique est cependant tempérée. M. Lesage note que la rigueur dont fait preuve le gouvernement du Québec le place en meilleure posture que les autres gouvernements provinciaux et que cela constitue un avantage non négligeable.

Le ton de l'éditorial de Raymond Giroux dans Le Soleil est également plutôt négatif. M. Giroux se plaint de l'habileté avec laquelle le ministre des Finances «rend positives des nouvelles objectivement mauvaises». Il souligne également que M. Lévesque peut se compter chanceux d'avoir pu profiter de la hausse inespérée des transferts fédéraux. Mais ici aussi la critique est modérée. L'éditorialiste donne une note parfaite pour la politique fiscale en faveur des familles et reconnaît: que «M. Lévesque sauvera sa peau cette année encore malgré un contexte économique extrêmement difficile».

On retrouve un peu la même attitude dans l'éditorial de la Gazette. Le titre «Less Joy Than Meets The Eye» et le début de l'éditorial adoptent un ton critique. On en veut surtout au fait que le ministre des Finances pavoise à propos d'une réduction de la taxe sur les services de 8 à 4%, alors qu'il s'agit en fait d'une hausse de 0 à 4%. On souligne également que cette «réduction» est compensée par une augmentation des impôts aux entreprises. Mais même si on grogne, on admet par ailleurs que «this mess may well be a necessary evil» et que le budget contient «some sensible, even imaginative measures», en particulier les mesures destinées aux familles.

Dans La Presse, par contre, Alain Dubuc se fait carrément élogieux. Il note le caractère agaçant de la rhétorique du ministre des Finances. Il souligne également que les paramètres budgétaires du gouvernement n'ont guère changé depuis huit ans. Ces paramètres sont la réduction progressive du déficit, la non-augmentation des impôts, le déplacement de la fiscalité vers les taxes à la consommation et l'aide aux familles. Il conclut que cela nous donne des finances publiques foncièrement saines, que le gouvernement fait preuve d'une grande discipline et que les «contribuables québécois, s'ils tiennent compte de la conjoncture économique, pouvaient difficilement espérer mieux».

Au niveau des groupes, les critiques ont été plus féroces. Du côté syndical, Gérald Larose, le président de la CSN qualifie le budget «du plus écoeurant des sept budgets qu'a présentés Gérard D. Lévesque depuis sept ans» (La Presse, 15 mai 1992, page A5). M. Larose déplore en particulier la «désassurance» de certains soins de santé. Le patronat réagit également de façon beaucoup plus négative qu'au cours des années précédentes. Chislain Dufour le président du Conseil du patronat, soutient que les entreprises, en se faisant imposer des hausses d'impôt, font les frais du budget.

L'opposition péquiste, quant à elle, reproche au gouvernement de ne pas avoir d'idée, de ne pas savoir où il s'en va. De façon plus spécifique, M. Parizeau explique qu'en période de récession le gouvernement devrait accélérer les travaux publics et que le dossier de la formation professionnelle est une catastrophe au Québec (Le Devoir, 22 mai 1992, page A2).

Les budgets du ministre Lévesque ont toujours été marqués d'une très grande prudence. Celui de 1992 ne fait pas exception à la règle. En période de récession, on est bien obligé d'augmenter les dépenses mais la hausse demeure modeste. Le déficit est maintenu à un niveau «raisonnable», avec l'idée de le réduire dès que la reprise économique se manifestera. La plus importante décision a été celle de situer le taux de la nouvelle taxe sur les services à 4 plutôt qu'à 8%, et de compenser le manque à gagner par une hausse de l'impôt sur les bénéfices des sociétés. Cette décision va à l'encontre de la volonté exprimée par le gouvernement de taxer davantage la consommation que les revenus. Manifestement les pressions pour ne pas introduire la nouvelle taxe sur les services étaient très fortes. Le gouvernement semble avoir fait le calcul qu'il devait en partie céder à ses pressions tout en maintenant le principe d'une taxe sur les services et en allant chercher des revenus additionnels chez les entreprises. Le calcul ne semble pas avoir été trop mauvais, puisque le budget n'a pas fait trop de remous, à part peut-être dans les milieux patronaux, ce qui constitue probablement un franc succès dans le contexte économique actuel.