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Le projet de réforme constitutionnelle



Gérard Boismenu
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1991-1992

· Rubrique : Les affaires constitutionnelles et les relations fédérales-provinciales



C'est par un «non» retentissant que la classe politique canadienne essuie le refus de la population canadienne à sa proposition constitutionnelle le 26 octobre 1992. De toute son histoire, c'est la première fois que la population canadienne est appelée à se prononcer par référendum en matière constitutionnelle. Pour un gouvernement en panne d'appui électoral, comme c'est le cas du gouvernement fédéral conservateur, l'exercice peut s'avérer extrêmement difficile et fatal; en même temps, n'est-ce pas un instrument qui, gommant pour un temps les divergences partisanes dans chacun des camps, peut lui permettre de prendre l'initiative et d'enclencher un revirement de situation à son avantage?

De toute façon le gouvernement Mulroney est dans une impasse. Depuis l'échec de l'Accord du lac Meech qui, de 1987 à 1990, a secoué la vie politique canadienne avec des périodes plus ou moins spasmodiques, les gouvernements du Canada anglais doivent proposer une solution de rechange, à moins de considérer que le statu quo soit la seule situation valable. Cette dernière position aurait pour effet d'exacerber l'opinion publique québécoise déjà polarisée par la saga de Meech: la mise en route d'une nouvelle opération s'impose malgré un enthousiasme chancelant.

Particulièrement au Canada anglais, on avait souligné avec insistance, au cours du débat sur l'Accord du lac Meech, le caractère non démocratique du processus de révision constitutionnelle. Les délibérations dans des officines occultes sont pourtant un trait constant de l'histoire constitutionnelle canadienne, mais depuis l'avènement de la Charte de 1982 toute une série de groupes, d'associations, de porte-parole, d'intellectuels se posent comme tenants de sa défense ou de son développement; ces «enfants de la Charte» proclament haut et fort que la constitution n'est pas qu'affaire de gouvernement, mais un héritage qui appartient à l'ensemble de la population et qu'on ne saurait légitimement la modifier sans sa participation et son acceptation. Le gouvernement a tenté par la suite de se dédouaner sur ce flanc. D'abord, en créant en novembre 1990 la Commission Spicer, dite Forum des citoyens, qui devait témoigner de l'état d'esprit des Canadiens concernant la constitution. Puis, le Comité Beaudoin-Dobbie, qui devait recueillir les réactions aux propositions constitutionnelles fédérales déposées en septembre 1991, se voyait doté d'une mission de consultation de la population, mission qui finalement prendra forme dans des Conférences constitutionnelles thématiques d'orientation qui se sont tenues au début de l'année 1992 à travers l'ensemble du Canada.

D'un autre côté, le gouvernement du Québec a proclamé la souveraineté du peuple québécois dans le choix de son destin, mais ne peut se résoudre à la radicalisation des alternatives. Ce n'est pas faute d'envoyer des signaux contradictoires. Dans un premier temps, Robert Bourassa s'associe apparemment au fort ressentiment à l'égard du cadre constitutionnel actuel : foin de négociations constitutionnelles à onze, terminée la participation aux instances intergouvernementales qui ne mettent pas en jeu des intérêts immédiats, ouverture sur des alternatives constitutionnelles rappelant les «États associés». Ces signaux se brouillent et sont réfractés de telle manière qu'ils semblent indiquer autre chose. Déjà au moment de l'adoption du Rapport Allaire (Un Québec libre de ses choix, mars 1991), Robert Bourassa insistait devant le Congrès du parti que le Canada était et restait le premier choix du gouvernement québécois et, tout en souscrivant au Rapport de la commission Bélanger-Campeau (L'avenir politique et constitutionnel, mars 1991), il insiste sur la faculté d'initiative et d'appréciation du gouvernement dans la réalisation des propositions qui y sont contenues.

Fait original, au-delà du refus de négocier à onze, le gouvernement du Québec considère qu'il n'a pas à poser des conditions, à faire des demandes expresses: il se contente d'attendre des «offres» venant du Canada. Que veut réellement le Québec?

Certes, il y a la position constitutionnelle du Parti libéral, mais Robert Bourassa lui-même souligne qu'il ne s'agit pas d'un document gouvernemental. De toute façon, le Rapport Allaire n'est pas une base raisonnable de discussion constitutionnelle dans le cadre canadien. À la suite du dépôt du rapport de la commission Bélanger-Campeau, le gouvernement du Québec fixe une échéance, en faisant adopter une loi qui établit qu'un référendum sur la souveraineté devra être tenu avant le 27 octobre 1992. Le Canada peut en faire fi ou enclencher un processus de discussion qui, au moins, donnait l'impression que l'on tente de répondre aux aspirations des Québécois, ne serait-ce qu'en s'imposant cette échéance qui n'est pas de leur fait. Alors que l'année précédente avait été consacrée aux consultations, l'année 1992 sera celle des choix.



Un menu canadien

Il serait inutilement long de reprendre la cheminement des thématiques qui font l'objet de négociations constitutionnelles depuis l'échec de l'Accord du lac Meech. En passant par la Commission Spicer, le Comité Beaudoin-Edwards, les propositions constitutionnelles fédérales de septembre 1991, le Comité Beaudoin-Dobbie et ses conférences constitutionnelles, notamment, un fait ressort d'une façon très nette: le centre de gravité de la négociation s'est déplacé.

Dans les discussions préalables à l'Accord du lac Meech, il avait été conclu que les négociations ne devaient porter que sur les «conditions» posées pour que le Québec souscrive politiquement à la réforme constitutionnelle de 1982. En juin 1990, dans d'ultimes négociations, les provinces «récalcitrantes» avaient posé une série de conditions et de réserves. Il s'agissait, entre autres, de baliser la notion de société distincte et de surveiller son usage, de définir les objectifs de réforme d'un nouveau Sénat et de rendre compte des revendications des peuples autochtones. Toutes ces questions étaient posées comme sujets prioritaires pour de nouvelles négociations constitutionnelles. Après l'échec de Meech, l'expression Quebec round perd de sa pertinence au profit du Canada round. Toutes les questions ont désormais droit de cité au même titre que celles qui composaient le menu restreint des négociations précédentes.

C'est dire que ce menu canadien est nettement plus vaste et qu'il aborde des sujets composites. De plus, s'ajoutent une matière qui avait été quasiment mise à l'écart jusqu'à ce jour. La question du partage des compétences n'avait été abordée que sous les dimensions de l'encadrement du pouvoir de dépenser et du droit de retrait prévu dans la formule d'amendement. L'occasion est belle cependant pour le gouvernement fédéral de renouer avec le projet trudeauiste de 1980-1981 - laissé, pour une large part, en touche - d'affirmer sans détour l'autorité fédérale en matière d'union économique et de restreindre, voire de neutraliser, les actions provinciales qui entraveraient la liberté de circulation au sein de cet espace économique.

Du côté québécois, la question du partage des compétences se pose aussi avec acuité. On avait voulu éviter le débat sur la question en 1987, en suggérant que le principe d'interprétation de la société distincte suffisait pour faire reconnaître une compréhension extensive des compétences québécoises devant les tribunaux. C'était, voulait-on croire, la clé pour l'accroissement des pouvoirs; il y avait là, selon cette logique, une manoeuvre de contournement: le débat politique difficile et non satisfaisant était évité au profit du débat judiciaire duquel on feignait d'espérer des retombées positives. Les discussions constitutionnelles, qui ont accompagné le dénouement de la saga du lac Meech, et celles qui ont suivi montrent clairement que cette potentialité, même incertaine, sera neutralisée au cours des nouvelles négociations. La question du partage des compétences va donc devoir être abordée directement. À la suite des propositions fédérales de septembre 1991 concernant la formulation d'une clause Canada à la fois touffue et aux sujets disparates, l'attention s'est progressivement portée au moins autant, sinon plus, sur le partage des compétences que sur la question de la société distincte.

Gil Rémillard déclarait d'ailleurs (le 13 juin 1991), dans le cadre du débat parlementaire fixant un référendum au plus tard à la fin octobre 1992, que les cinq conditions posées en 1987 ne suffisaient plus et qu'il fallait procéder à des changements au partage des compétences. Par la suite, le gouvernement québécois donne une large place à la question du partage des compétences dans ses commentaires sur les propositions faites. Cela avait été le cas pour les propositions fédérales de septembre 1991, ce l'est encore (3 mars 1992) à la suite du dépôt du rapport du Comité Beaudoin-Dobbie.

La place qu'occupe cette thématique du partage des compétences amène, dans un premier temps, les participants aux Conférences constitutionnelles thématiques d'orientation, qui se tiennent sous l'égide du Comité Beaudoin-Dobbie, à flirter avec l'idée d'une asymétrie constitutionnelle qui permettrait de satisfaire les demandes du Québec sans imposer aux autres gouvernements provinciaux des responsabilités qu'ils ne désirent pas nécessairement assumer - le ministre fédéral responsable du dossier, Joe Clark, se disant (18 janvier 1992) même prêt à offrir un statut spécial au Québec. Cette idée à fait long feu et a été déclassée par les thèmes du gouvernement central fort, de l'autonomie gouvernementale des Autochtones et du Sénat «triple E».




Les gouvernements se mettent à table

À la suite du dépôt du rapport du Comité Beaudoin-Dobbie, les gouvernements provinciaux, qui sont des acteurs majeurs dans les révisions constitutionnelles, sont appelés à participer à un processus de négociation afin de définir une position qui ferait consensus et qui pourrait être proposée au gouvernement du Québec. Même si le ministre Clark veut faire vite, il consent, à la suite de la première réunion fédérale-provinciale sur la constitution (12 mars 1992), de revoir son échéancier et de reporter le dépôt de ses offres. Par la suite, on retrouvera autour de la table six nouveaux venus: il s'agit des représentants des peuples autochtones et des Territoires.

La négociation suit un déroulement sinueux, au cours duquel on peut remarquer notamment que les peuples autochtones imposent la notion de «droit inhérent à l'autonomie gouvernementale», que la réforme du Sénat constitue un point d'accrochage majeur, que l'on accepte finalement d'intégrer la «substance» de l'Accord du lac Meech, qu'il y a blocage sur la question du droit de veto pour le Québec, qu'il y a division sur l'intérêt d'une «charte sociale» inscrite dans la constitution, que l'on accepte l'idée de «renforcer» les pouvoirs des provinces. Les résultats concrets restent lents à venir, si bien que le Premier ministre Brian Mulroney prévient les négociateurs (le 24 juin 1992) que, s'il n'y a pas d'entente avant le 15 juillet, son gouvernement fera des offres unilatérales au Québec.

Le gouvernement Bourassa s'abstient de participer formellement à ces négociations, mais reste actif en coulisses. Ce refus de la négociation à onze et maintenant à dix-sept est aussi formellement appuyé à la quasi-unanimité par l'Assemblée nationale (18 mars 1992). Parallèlement, les rencontres fréquentes avec les ministres ou premiers ministres des autres gouvernements, les conversations téléphoniques, les échanges d'informations de toutes sortes donnent à la présence du Québec un caractère à la fois réel et fantomatique. De plus, la stratégie du «couteau sur la gorge» qui, de façon plus ou moins convaincante, avait été officiellement adoptée par Robert Bourassa, semble de plus en plus délaissée au fur et à mesure où les travaux avancent, mais surtout où le moment de vérité (date ultime du référendum) approche.

Les déclarations de Robert Bourassa viennent ponctuer la reculade. Lors d'un voyage en Europe, il déclare à Bruxelles (6 février 1992) que si les offres constitutionnelles du Canada anglais (ou du gouvernement fédéral) sont insatisfaisantes, il fera tenir le référendum sur la thèse d'une souveraineté partagée assortie d'une union économique. Un peu plus d'un mois après (19 mars 1992), tout en s'étant dit insatisfait des recommandations du rapport Beaudoin-Dobbie notamment sur le partage des compétences, Robert Bourassa saisit l'occasion du discours inaugural de la session parlementaire (19 mars 1992) pour faire une profession de foi en faveur du fédéralisme et pour supplier le Canada anglais de présenter des offres acceptables. La boucle est bouclée quelques semaines plus tard lorsque, dans une entrevue accordée au journal Le Monde, il déclare (18 avril 1992) avoir l'intention de faire porter le référendum sur les propositions fédérales et non sur la souveraineté - comme cela est stipulé dans la loi qu'il a fait voter par l'Assemblée nationale moins d'un an auparavant. Avec cette dernière déclaration, on peut comprendre que, l'hypothèse d'un référendum sur la souveraineté étant rejetée, les offres devront apparaître défendables auprès de la population par un gouvernement du Québec ou le référendum n'aura pas lieu avec des conséquences imprévisibles.

Les 6 et 7 juillet 1992 se tient une ultime rencontre de négociation à seize avant le délai fixé par le gouvernement fédéral. Au terme de cette rencontre, un document faisant état d'un accord est rendu public. Le Canada anglais a relevé le pari de s'entendre sur une révision constitutionnelle et de déposer une offre au Québec. Cette entente est reçue froidement par les commentateurs et analystes au Québec, et même Robert Bourassa émet des réserves significatives sur la présence de la substance de l'Accord du lac Meech, sur la proposition de Sénat et sur le partage des compétences. Le 25 juillet, ce dernier dit attendre des réponses aux inquiétudes qu'il a exprimées, mais, sans avoir obtenu satisfaction, il accepte de participer à une conférence des premiers ministres quelques jours après. Dans un premier temps (les 4 et 10 août 1992), on dira officiellement e l'on discute du processus de négociations constitutionnelles. la suite de ces deux journées, le gouvernement du Québec se joint formellement aux négociations constitutionnelles à dix-sept participants. Des séances ont lieu du 18 au 22 août à Ottawa et, pour aménager le texte final, les 27 et 28 août 1992 à Charlottetown.

Pour le Québec, cet épisode donne lieu à des négociations laborieuses. Le contenu de la négociation est défini par l'entente à laquelle en sont venus le Canada anglais et les Autochtones. Un retour sur les principes de cette entente est de fait exclu. Le gouvernement du Québec semble condamné à arracher des amendements à la marge à un document constitutionnel dont il n'est pas l'auteur, qu'il n'a pas négocié et qui n'a pas été élaboré d'abord en fonction de ses préoccupations. Les discussions qui sont menées au cours du mois d'août découlent directement de l'entente du 7 juillet.

On doit remarquer l'importance de la révision constitutionnelle qui est proposée, ne serait-ce que pour le nombre de sujets traités et l'importance des retombées sur le fonctionnement de la fédération canadienne. Pour l'ensemble de la fédération, on introduit une «clause Canada» qui servira à l'interprétation de la constitution, et une charte sociale et économique. Sur le plan des institutions', le Sénat est réformé en profondeur, la Cour suprême est constitutionnalisée (statut, composition, nomination), et on s'assure du caractère proportionnel de la représentation à la Chambre des communes. Le partage des compétences est abordé sous l'angle du pouvoir fédéral de dépenser et de l'attribution de juridictions. Pour les Autochtones, le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est reconnu, ce qui débouche sur la mise en place d'un troisième ordre de gouvernement. Enfin, la formule d'amendement est modifiée.

Évidemment, des changements ont été apportés aux compromis arrêtés au début juillet. Mais puisque substantiellement le document de Charlottetown reste fidèle à l'entente établie préalablement par le Canada anglais, nous allons considérer avec attention le contenu du document final qui supporte la question référendaire soumise à la population le 26 octobre.




Les «compromis honorables»

Cette entente1 ] frappe par son caractère extensif. À sa manière, c'est une réforme au moins aussi substantielle que celle menée par le gouvernement Trudeau en 1982 avec le Canada Bill. Le document, au moins pour les matières abordées, se situe dans le prolongement des priorités et des aspirations déposées par le gouvernement fédéral en 1968. Précisément, après l'établissement d'une charte des droits et libertés, on convenait qu'il fallait, en deuxième lieu, moderniser les institutions fédérales. Ce n'est que de manière accessoire qu'il semblait opportun de traiter du partage des compétences. Depuis (à l'été 1980 en particulier), on avait pu insister sur la rédaction d'un préambule qui poserait le cadre général de la définition de la réalité canadienne.

Or, sur le plan des principes qui définissent la réalité, les valeurs et les objectifs de la fédération, nous avons une «clause Canada» et une «Charte sociale et économique». Dans le domaine des institutions fédérales, le Sénat, la Chambre des communes, la Cour suprême, la formule d'amendement font l'objet de modifications; c'est sans parler de l'institution d'un troisième ordre de gouvernement destiné aux Autochtones. Enfin, il y a une série de dispositions touchant le partage des compétences. C'est dans cet ordre que nous passerons en revu le contenu de l'Entente de Charlottetown.


Une clause Canada copieuse

Cette clause (a. 1) avait été vue en 1990 comme un moyen efficace de contrer les quelques potentialités que pouvait posséder le critère d'interprétation sur la société distincte. Elle se présente comme un long article qui sert à l'interprétation de la constitution, dans son ensemble, et de la Charte des droits, en particulier. Outre l'attachement déclaré pour le régime parlementaire, le fédéralisme et la primauté du droit, la clause comprend deux catégories de spécifications: il y a celles qui s'intéressent à la composition socio-politique du peuple canadien et celles qui rappellent les principes d'égalité et de liberté.

Les Autochtones sont désignés par le terme de peuple, dont on s'entend pour dire qu'il y en a plusieurs. De là, ils se voient reconnaître le droit, d'une part, de promouvoir leurs langues, leurs cultures et leurs traditions et, d'autre part, de veiller à l'intégrité de leurs sociétés. Dans ce contexte, les notions de culture, de langue et de tradition sont des éléments partiels de la société, au sens où l'expression société déborde ces éléments et embrasse une réalité indéfinie et multidimensionnelle, mais nécessairement extensive. D'ailleurs, certains articles sur les gouvernements autochtones viendront souligner la chose. La notion d'intégrité des sociétés laisse entendre qu'elles doivent être comprises d'abord sur le plan ethnique et que le métissage (au sens large), par exemple, aurait une influence délétère. La Charte des droits ne semble pas devoir avoir la même incidence pour ces peuples, car on prévoit procéder de telle sorte que la Charte «ne porte pas atteinte aux droits... de ces peuples, en particulier aux libertés portant sur l'utilisation de leurs langues, de leurs cultures ou de leurs traditions» (a. 2). Il s'agirait, dans les faits, d'une clause dérogatoire à portée générale lorsqu'il est question des traits définissant l'existence de ces communautés.

Dans un deuxième temps, le Québec est compris comme société distincte à l'intérieur du Canada, une société qui réunit toute la population du territoire. Cette société distincte, qui n'est pas fondée par une caractéristique ethnique, et donc qui correspond à la communauté nationale de l'âge moderne, ne reçoit pourtant pas les qualités de nation ou de peuple. La société distincte se réduit plutôt à quelques traits dont l'énumération n'est pas exhaustive mais qui reste restrictive car les traits que pourrait ajouter l'interprétation judiciaire devront être de même nature que ceux énumérés: majorité de langue française, culture unique et tradition de droit civil. Alors que la notion de société pour les Autochtones, malgré son caractère essentiellement ethnique, est une notion ouverte, dans le cas du Québec cette notion est restreinte, voire finie.

Plus loin, au paragraphe 2 de cette clause, l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec se voient accorder un rôle de protection et de promotion de la société distincte. Ce rôle risque cependant d'entrer en conflit avec le principe qui suit immédiatement, à savoir l'attachement des Canadiens et des gouvernements (fédéral et provinciaux) à « l'épanouissement et au développement des communautés minoritaires de langue officielle dans tout le pays». Ce qui signifie que, pour le Québec, le gouvernement peut promouvoir la société distincte mais de façon compatible avec les droits et libertés des individus et tout en favorisant l'épanouissement et le développement de la population anglophone. Ce qui apparaît comme la quadrature du cercle révèle plutôt l'infime espace de manoeuvre que peut signifier la promotion de la société distincte. D'autant plus que nous devons ajouter le critère d'interprétation voulant qu'il faille valoriser le patrimoine multiculturel, et que l'on rappelle, dans la présente clause, la contribution des communautés multiculturelles à l'édification du Canada.

On souligne, comme autre groupe de matières, l'importance que l'on accorde aux droits et libertés individuels mais aussi collectifs, à l'égalité des sexes et à l'égalité des provinces. Ce dernier principe est, notons-le au passage, l'antithèse de la notion de statut particulier ou d'asymétrie constitutionnelle. Cette dernière notion, qui permettait d'envisager un aménagement possible des revendications traditionnelles du Québec et de la position des autres provinces, semble rejetée définitivement tout autant que les hypothèses de solution qui y étaient rattachées.

Au total, nous avons la reconnaissance de peuples autochtones avec un nouvel ordre de gouvernement, une société distincte québécoise définie de façon restrictive et dont la potentialité juridique et politique semble définitivement neutralisée et, enfin, le renoncement, par l'égalité juridique des provinces, à l'asymétrie constitutionnelle.


La charte sociale et économique

Le statut de cette charte (a. 4) est différent de la clause Canada en ce sens que la deuxième est une clause interprétative alors que la première ne peut faire l'objet de débat devant les tribunaux (la non justiciabilité). Ne devant pas être sanctionnée devant les tribunaux, cette charte doit amener la constitution d'un organisme de surveillance qui reste à définir lors de négociations ultérieures entre premiers ministres. Quelle que soit la nature de cet organisme, il serait appelé à juger de la régularité des actions gouvernementales eu égard à une série d'engagements pris solennellement par les gouvernements.

En effet, l'union sociale prend son sens dans les objectifs suivants: un système de soins de santé complet, universel et administré publiquement, un ensemble de services et avantages sociaux suffisants pour répondre aux nécessités fondamentales, un système d'éducation primaire et secondaire de haute qualité ainsi qu'un accès raisonnable à l'enseignement post-secondaire, la protection des droits d'association et de négociation collective, et la préservation de l'environnement. Ces objectifs qui participent à la charte sociale, se doublent de ceux qui alimentent la dimension économique de la charte. C'est ainsi que l'on s'engage à renforcer l'union économique, à assurer la libre circulation des personnes, services, biens et capitaux, à poursuivre l'objectif du plein emploi, à viser un niveau de vie raisonnable et à assurer un développement durable.

Dans la foulée, on traite de la péréquation et du développement régional, pour renouveler l'engagement en faveur de transferts intergouvernementaux aptes à assurer des services publics comparables, mais on ajoute la volonté de mettre en place des infrastructures économiques de nature nationale qui soient comparables à travers le Canada. Enfin, les gouvernements s'engagent à promouvoir le développement économique afin de lutter contre le développement inégal qui se confirme au Canada.

Il est remarquable ici que l'ensemble des gouvernements et assemblées parlementaires s'engagent également sur ces principes. Si cela coule de source à première vue, cela ne peut que faire ressortir la compétence équivalente des deux ordres de gouvernements pour les matières qui sont désignées. Par exemple, pour les matières liées à la santé et aux politiques sociales, traditionnellement identifiées par le gouvernement du Québec, notamment, de compétence provinciale, nous sommes ici à établir un engagement équivalent des provinces et du fédéral et à prévoir un organisme de surveillance qui serait la créature des deux ordres de gouvernement. Il en est de même aussi pour ce qui concerne la politique de développement régional. La charte sociale et économique transcende le partage des compétences et vient affirmer la position concurrente des gouvernements dans d'importantes sphères d'intervention publique.

La chose serait inévitable croirait-on lorsqu'il s'agit d'établir une charte générale qui fonde les grands objectifs politiques d'une fédération. On pourrait le penser, mais il faut remarquer que l'on a prévu dans ces mêmes articles «que l'union sociale et économique ne porte pas atteinte à la Charte canadienne des droits et liberté».Elle porterait atteinte cependant à l'exercice des compétences, mais on n'a pas pris la peine d'indiquer que cette charte est subordonnée au ou respecte le partage existant des compétences. Ce qui est certain, c'est que les gouvernements acceptent la compétence, d'une part, d'un organisme de surveillance de l'union économique et sociale dont le mandat et la composition restent à définir et, d'autre part, d'un organisme indépendant de règlement des différends concernant le fonctionnement du marché commun canadien. Là encore, le rôle, le mandat et la composition de cet organisme restent à déterminer, mais le principe de son existence est acquis.


Un Sénat égal

L'institution existante qui, sans conteste, subit les changements les plus considérables, c'est le Sénat. Ses membres seront élus, la représentation des provinces est égale et il dispose d'un poids réel dans le travail législatif. Les sénateurs sont élus (a. 7) au suffrage universel ou par l'assemblée législative d'une province; cette élection se déroule au même moment que les élections législatives fédérales. Chaque province a droit à une représentation de six sénateurs (a. 8), auxquels s'ajoutent un sénateur par territoire. Il est prévu que l'on devrait discuter ultérieurement de la représentation autochtone au Sénat (a. 9). D'ores et déjà, le principe de cette représentation est acquis. Certaines indiscrétions durant la campagne référendaire ont laissé entendre que dans les procès-verbaux secrets des délibérations, il était fait mention du nombre de six sénateurs autochtones.

La place du Sénat dans le processus législatif serait assez complexe. Certes, il doit entériner ou rejeter les projets de lois. Son pouvoir réel et les conséquences d'un rejet sont variables selon le type de projet de loi dont il s'agit (aa. 11 et 12). D'une façon générale, il est entendu que le Sénat ne peut censurer le gouvernement et provoquer sa démission (a. 10). Dans le cas d'un projet de loi portant sur les recettes et les dépenses, le Sénat ne possède qu'un veto suspensif de 30 jours qui peut être contourné par une nouvelle adoption de la part de la Chambre des communes (a. 13). L'adoption d'une loi touchant à la langue et à la culture française requiert une double majorité au Sénat: la majorité de tous les sénateurs confondus et la majorité des sénateurs se déclarant francophones (a. 14). La Chambre des communes ne pourrait passer outre à un rejet par une majorité ou l'autre. Les projets de loi apportant des changements à la fiscalité liée aux ressources naturelles seraient rejetés, sans appel, à défaut d'une majorité au Sénat. Enfin, le rejet ou la modification d'un projet de loi dit ordinaire c'est-à-dire autre que ceux mentionnés précédemment) entraînerait la tenue d'une séance mixte du Sénat et de la Chambre des communes qui déciderait à la majorité simple du sort réservé au projet de loi. D'un autre côté, le Sénat peut initier des projets de loi qui ne portent pas sur les crédits. Dans ce cas, la Chambre des communes devrait donner suite dans un délais raisonnable; un rejet provoquerait la tenue d'une séance mixte.

Dorénavant le Sénat jouerait un rôle de ratification de la nomination des dirigeants de grandes institutions canadiennes (a. 15). Déjà on identifie la fonction de gouverneur de la Banque du Canada, mais ce pouvoir sénatorial semble devoir viser plusieurs nominations importantes faites par le gouvernement fédéral, notamment pour les institutions culturelles nationales et les commissions et organismes de réglementation fédéraux. L'identification des organismes ou institutions reste à négocier par la suite, mais le principe est clairement posé.

Chose certaine, c'est que cet organisme où les Québécois n'occupent que 9,7% des sièges (et 8,8% si les Autochtones obtiennent, dans les faits, six sièges) est appelé à jouer un rôle singulièrement important dans le processus législatif et dans le processus de nomination des grands responsables des institutions majeures au Canada.


Une Chambre des communes proportionnelle

Tout autant que le principe égalitaire est établi pour le Sénat, celui de la proportionnalité est nettement valorisé pour la Chambre des communes (a. 21). Cette valorisation souffre cependant d'une entorse, surtout à court, mais éventuellement à long terme. En effet, pour compenser la perte radicale de sénateurs, la représentation de l'Ontario et du Québec aux Communes est augmentée de 18 sièges et, pour pallier provisoirement une sous-représentation, la Colombie-Britannique obtient quatre nouveaux sièges et l'Alberta deux.

Après le recensement de 1996, un remaniement systématique verrait à faire en sorte qu'«aucune province n'ait moins que 95 p. 100 des sièges qu'elle recevrait en vertu d'une stricte représentation proportionnelle à la population». Cet ajustement se fera par l'augmentation du nombre de députés. La représentation proportionnelle de la députation selon la population des provinces souffrira éventuellement d'un accroc en vertu d'un alinéa qui prévoit que le Québec ne saurait avoir moins de 25% des sièges. À court et moyen terme cela correspond environ au poids démographique du Québec. Ce n'est que dans quelques décennies que cette clause pourrait apporter une certaine distorsion.

Ajoutons que l'on s'entend pour étudier la question de la représentation autochtone à la Chambre des communes, sans pour autant déjà définir des paramètres à cette représentation (a. 99).


Statut et composition de la Cour suprême

Après avoir reconnu constitutionnellement que la Cour suprême est la cour générale d'appel pour le Canada (a. 17), on précise la composition. de cette cour. Des neuf juges qui la composent (a. 18), trois doivent «avoir été reçus au Barreau du Québec». Les nominations sont faites par le gouvernement fédéral à partir des listes soumises par les gouvernements provinciaux (a. 19). S'il y a impasse sur les listes, des juges intérimaires pourraient être nommés.

Ces mesures ne peuvent garantir qu'il y aura nécessairement trois juges du Québec, car de plus en plus d'avocats d'autres provinces sont inscrits au Barreau du Québec, notamment en raison de la diversité géographique de leur pratique, et il n'est pas dit que les trois juges inscrits au Barreau du Québec seront nommés à partir de la liste soumise par le gouvernement du Québec. L'un des juges représentant le Québec pourrait théoriquement être un ancien avocat anglophone pratiquant en Ontario, mais aussi au Québec, et proposé par le gouvernement de l'Ontario. Une éventuelle remise en cause de la garantie qui semble accordée au Québec dans la composition de la Cour suprême pourrait amener ce genre de situation.

On s'accorde pour dire que les gouvernements provinciaux et territoriaux devraient procéder à une consultation auprès des peuples autochtones lors de la confection de leurs listes de candidats (a. 20). De même, il est convenu que les groupes autochtones ont la liberté de faire leurs propres suggestions au gouvernement fédéral.


Une formule d'amendement ajustée

La liste courte des matières exigeant la règle de l'unanimité lors de modifications constitutionnelles avait été significativement allongée dans l'Accord du lac Meech. Ce qui avait été entendu ne vaut plus (a. 57). Certes l'on stipule que la règle de l'unanimité s'appliquera lors de modifications touchant la Chambre des communes et le Sénat, mais cette règle s'appliquera seulement après que les changements énoncés précédemment auront été effectués. Il en est de même pour la Cour suprême, sauf pour ce qui est du processus de nomination qui serait assujetti à la formule générale d'amendement (7 provinces représentant 50% de la population).

La règle de l'unanimité ne vaut pas, contrairement à l'Accord du lac Meech, pour la création de nouvelles provinces (a. 58). Cette création serait le fait d'une loi fédérale. Cependant, ces nouvelles provinces ne pourraient intervenir dans la formule d'amendement ou ne seraient représentées au Sénat qu'à la suite d'un accord unanime de toutes les provinces.


Un troisième ordre de gouvernement

Pour un régime politique, notamment fédératif, l'introduction d'un ordre de gouvernement est un élément capital. Cela est appelé à modifier en profondeur la répartition des lieux d'exercice du pouvoir politique et à bouleverser la dynamique des rapports entre eux. C'est ce à quoi on assiste, mais sous le mode de l'incertitude. À côté du gouvernement central et des gouvernements provinciaux, s'imposeraient des gouvernements autochtones dont on ne peut à ce jour apprécier les tenants et aboutissants, car le principe d'un tel niveau de gouvernement étant accepté, on est incapable d'en tracer encore la nature et les contours.

On part du principe que les peuples autochtones possèdent un «droit inhérent à l'autonomie gouvernementale» dont il reste à donner corps à la suite de négociations ou de décisions judiciaires (a. 41). Mais que ce soit par l'une ou l'autre voie, ce droit fait expressément référence à certains principes. D'abord, on doit comprendre ce droit inhérent à la lumière de la reconnaissance des gouvernements autochtones en tant que troisième ordre de gouvernement. Ensuite, l'autonomie gouvernementale comprend un pouvoir législatif dans une série de domaines qui sont réputés être de sa compétence. Ces domaines sont vastes bien que n'étant pas identifiés en termes de matières législatives telles qu'elles sont connues dans les textes constitutionnels actuels.

La sphère de compétence est désignée ainsi: le pouvoir «de préserver leurs langues, leurs cultures, leurs économies, leurs identités, leurs institutions et leurs traditions et de veiller à leur épanouissement, et de développer, de maintenir et de renforcer leurs liens avec leurs terres, leurs eaux et leur environnement afin de déterminer et de contrôler leur développement en tant que peuples selon leurs propres valeurs et priorités et d'assurer l'intégrité de leurs sociétés.» Le territoire où s'appliquerait ce pouvoir reste aussi à négocier. En effet, la période qui s'ouvrirait est bidirectionnelle.

D'un côté, il y a la négociation du statut, des compétences, du territoire et des ressources financières de ce troisième ordre de gouvernement qui recouperait d'une façon morcelée et éparpillée les divers peuples autochtones (a. 45). Cette négociation devrait se dérouler entre ces peuples autochtones et, en face, les gouvernements central et provinciaux. Cela signifie que les gouvernements provinciaux, qui risquent d'écoper le plus, devront négocier avec le concours du gouvernement fédéral. La négociation d'ailleurs vise essentiellement la «mise en oeuvre du droit à l'autonomie gouvernementale». D'un autre côté, si les négociations échouent, la question peut être portée devant les tribunaux pour trancher; ce recours n'est pas possible avant un délais de cinq ans et, lorsqu'il est engagé, le juge peut inviter les protagonistes à rouvrir les négociations, afin de favoriser un règlement négocié plutôt que judiciaire (aa. 41 et 42). On a, de plus, prévu que ces négociations devraient être balisées par un accord politique général sur la négociation et la mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale (a. 46). Il serait, en outre, possible de faire appel à la médiation et à l'arbitrage comme mécanismes supplémentaires de règlement des différends.

Plusieurs remarques peuvent être faites à l'égard de ces dispositions. La première a trait à l'ampleur des compétences qui sont sous-entendues par langue, culture, économie, institutions, développement du territoire, etc. Pour une large part, il y a superposition avec les compétences provinciales. S'ajoute à cela l'étendue du territoire concerné. Les positions de négociation des différents peuples autochtones visent une fraction colossale des territoires provinciaux actuels.

On indique, d'un autre côté, que les législations des gouvernements autochtones doivent être compatibles avec «les lois essentielles au maintien de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement au Canada» (a. 47). Or, compte tenu que cette expression «maintien de la paix... » est, dans la constitution actuelle, strictement rapportée à l'ordre fédéral de gouvernement, il est possible de se demander si les gouvernements autochtones sont aussi soumis aux lois provinciales touchant l'ordre public.

Enfin, les gouvernements autochtones ne semblent pas fondés d'abord sur les citoyens-sujets, mais surtout sur l'appartenance ethnique. La participation des non-Autochtones aux gouvernements autochtones ne coule pas de source. On sent le besoin de souligner que les «ententes sur l'autonomie» pourraient prévoir la «création d'institutions ouvertes à la participation de tous les habitants de la région visée par l'entente» (a. 46). Le caractère conditionnel de cette possibilité est évident, le statut de ces institutions est incertain et la participation de non-Autochtones au corps électoral de ces gouvernements est nettement hypothétique., Il y là de «grandes innovations» pour le régime de droit de l'État canadien qui s'est constitué sur le modèle de la citoyenneté et de l'État de droit moderne.


Le partage des compétences

Pour la population du Québec, cette question des compétences est le grand test de cette révision constitutionnelle. Non pas tant que les autres sujets sont sans intérêt, mais bien que, dans un contexte de négociations, voire de négociations «donnant-donnant», c'est en référence à cette grande question que l'on va plaider qu'il y a des raisons suffisantes pour accepter tout le reste. La perte du pouvoir attractif de la clause de la société distincte contribue d'ailleurs à mettre en évidence ce chapitre.

Au sujet du pouvoir de dépenser, on reprend le principe arrêté dans l'Accord du lac Meech (a. 25), à savoir que pour un nouveau programme cofinancé mis en oeuvre dans un champ de compétence provinciale exclusive, le gouvernement provincial possède un droit de retrait assorti d'une juste compensation financière dans la mesure où ce gouvernement met en place un programme «compatible avec les objectifs nationaux». On s'entend, de plus, pour élaborer ultérieurement un «cadre» pour guider les futures interventions fédérales dans les compétences provinciales exclusives. Déjà, certaines idées maîtresses sont posées: l'intervention fédérale doit contribuer à «la réalisation d'objectifs nationaux», elle doit veiller à réduire les chevauchements et elle ne doit pas fausser les priorités provinciales. Ce cadre servirait à évaluer régulièrement les résultats obtenus.

D'autre part, on donne un statut constitutionnel et une protection contre tout changement unilatéral à des ententes intergouvernementales pour une période déterminée. En faisant l'objet de mesures législatives de la part des gouvernements fédéral et provincial, les ententes intergouvernementales peuvent être protégées pour une période de cinq ans maximum, avec la possibilité cependant de les reconduire. ce mécanisme sera évoqué dans plusieurs domaines (a. 26).

D'abord, considérons la formation et le perfectionnement de la main-d'oeuvre (a. 28). On commence par établir de part et d'autre les responsabilités exclusives: au gouvernement fédéral, le régime d'assurance-chômage, au gouvernement provincial, la formation de la main-d'oeuvre. Les provinces peuvent limiter les dépenses fédérales dans ce dernier domaine en utilisant les ententes intergouvernementales. En ce cas, le gouvernement fédéral est tenu de négocier son retrait en tout ou en partie en accordant une compensation financière. On devrait aussi, par des ententes administratives, améliorer l'efficacité et assurer la coordination des activités gouvernementales en matière d'assurance-chômage et dans le domaine de l'emploi. Mais en même temps cela ne signifie pas l'abandon du secteur par le gouvernement fédéral: il est prévu qu'il a autorité pour établir des objectifs nationaux dans le domaine de la formation de la main-d'oeuvre. Ces objectifs pourraient faire l'objet de consultations mais, au bout du compte, ils s'imposent aux programmes provinciaux même lorsqu'il y a des ententes de retrait fédéral qui ont été négociées.

Ensuite, le domaine de la culture retient l'attention (a.29). Selon la démarche que l'on retrouve dans le domaine précédent, on commence par établir que les provinces ont compétence exclusive sur les questions culturelles de «leur propre territoire». Sur la même lancée, on mentionne que le gouvernement fédéral continue d'avoir des responsabilités pour les questions culturelles canadiennes. Notamment, il conserve la pleine autorité sur les institutions culturelles canadiennes (telles que l'Office national du film ou le Conseil des arts), de même que sur les subventions et les contributions que ces institutions accordent. Dans ce partage entre les questions culturelles provinciales et celles qui sont globalement canadiennes, on dit reconnaître la maîtrise d'oeuvre des provinces sur la culture de leur territoire, mais dans le cadre d'ententes qui verraient à l'harmonisation de leur action avec les responsabilités fédérales.

Six champs législatifs (forêts, mines, tourisme, logement, loisirs, affaires municipales et urbaines), qui étaient pourtant réputés être de compétence provinciale selon une interprétation courante de la constitution de 1867, sont déclarés de compétence provinciale exclusive (aa. 30 à 35). Cela signifie que les provinces auraient le pouvoir de limiter les dépenses fédérales dans ces domaines. Le mécanisme désigné pour ce faire, ce sont les ententes intergouvernementales valables pour un maximum de cinq ans mais reconductibles. Ces ententes pourraient aussi avoir pour objet d'exiger que le gouvernement fédéral poursuive ses dépenses dans l'une ou l'autre des provinces. Cet arrangement semble consister moins à exclure le gouvernement fédéral de ces champs législatifs que d'aménager sa présence de concert avec les gouvernements provinciaux. En effet, à partir du moment où le gouvernement fédéral est en situation de négocier ou renégocier la forme que prendra son intervention, c'est qu'il représente toujours un acteur de premier plan dans ces domaines.

Deux autres domaines sont désignés comme étant de compétence partagée, il s'agit des télécommunications (a. 37) et du développement régional (a. 36). Lorsque besoin est, des négociations entre les deux ordres de gouvernement devraient donner lieu à des ententes intergouvernementales protégées pour cinq ans. Par ailleurs, l'immigration (a. 27), qui. est déjà de compétence partagée, devrait aussi donner lieu à des ententes fédérales-provinciales.

Ce qui étonne de ces dispositions, c'est certainement que le langage constitutionnel ne correspond pas au sens commun donné aux mots. De prime abord, lorsque l'on désigne une compétence provinciale exclusive.. on pourrait croire que cette compétence est sous la seule autorité des institutions politiques provinciales. Il en est cependant autrement. De fait, il y a plutôt présence concurrente des deux ordres de gouvernements. Il s'agit donc d'une forme particulière de compétence (finalement) partagée.

L'exclusivité provinciale de ces compétences donne droit aux gouvernements provinciaux d'entamer des négociations devant déboucher sur des ententes intergouvernementales, de nature administrative, qui ont pour particularités de pouvoir être renégociées à tous les cinq ans et, dans les faits, de définir la place que le gouvernement fédéral va y occuper. D'ailleurs, il ne faut pas oublier que les négociations peuvent se conclure sur un désaccord: le gouvernement fédéral reste en ce sens un acteur majeur, voire incontournable.

D'un autre côté, une certaine tutelle fédérale s'exerce dans les champs de compétence déclarés provinciaux; par exemple, pour la formation de la main-d'oeuvre et la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, le gouvernement fédéral établit des normes nationales, pour la culture, les grandes institutions restent sous contrôle fédéral et, pour tous les secteurs de compétence «exclusive» ou partagée, le gouvernement fédéral définit les conditions auxquelles il consent à des ententes intergouvernementales. Cela fait en sorte que, par l'intermédiaire de la notion de compétence provinciale exclusive, nous avons une reconnaissance du droit de cité de l'autorité fédérale.




Une défense résignée

Pour la population et la classe politique du Québec, les résultats de cette négociation sont nettement en deçà des revendications traditionnelles; ils sont, en tout état de cause, à cent lieues des propositions du Rapport Allaire qui faisait la somme des demandes les plus exigeantes qui avaient été formulées à ce jour par les représentants du Québec. Le gouvernement Bourassa se lance dans une campagne référendaire avec des «offres» dont on peut difficilement extraire de grandes concessions qui feraient image. Il doit, au contraire, soutenir des propositions qui ont peu de résonance pour le système de représentation politique dominant et la vision constitutionnelle la plus ancrée dans l'arène politique québécoise et il doit aller à l'encontre des attentes que le Parti libéral a lui-même entretenues dans la population au cours des deux années précédentes.

Alors que la campagne est engagée par les conservateurs fédéraux sous le drapeau de l'accomplissement d'une grande réforme ambitieuse, les forces gouvernementales québécoises préchent plutôt la résignation assortie d'une croyance en l'obtention de gains lors de négociations ultérieures. En d'autres termes: il a été impossible de faire mieux mais, partant des éléments posés, ce n'est qu'un jalon devant mener à de nouveaux gains lors de négociations ultérieures. Le propos, il faut en convenir, n'est ni séduisant ni engageant.

Par ailleurs, une certaine perplexité, pour ne pas parler d'une résistance assez forte se manifeste au sujet de la réforme du Sénat et de la création d'un ordre de gouvernement autochtone. Que gagne-t-on avec la mise en place de cette deuxième chambre dans laquelle on consacre une très grande minorisation des Québécois et qui réfute, dans son existence même, le caractère binational de la réalité canadienne non-autochtone? Peut-on laisser aux tribunaux le pouvoir ultime de définir le troisième ordre de gouvernement, ses compétences et ses territoires? Voilà des questions qui laissent songeur. Peut-on accepter la définition de la société distincte telle qu'elle est formulée maintenant et son caractère purement symbolique. Est-on beaucoup plus avancés sur la partage des pouvoirs?. Faut-il y voir autre chose que la confirmation de l'enchevêtrement actuel des compétences assortie désormais d'un cadre de négociation officiel?

À la question globale et brutale: est-ce que le Québec y gagne? les réponses les plus favorables se doivent d'être nuancées et se projeter dans un avenir sans doute incertain mais enjolivé pour les besoins de la cause. Les «ce n'est qu'un début» séduisent difficilement lorsque les héros semblent fatigués et que les batailles sont couronnées d'insuccès. La publication de la conversation téléphonique de hauts fonctionnaires et conseillers du Premier ministre en matière constitutionnelle, ainsi que, dans un deuxième temps, de documents secrets internes faisant une évaluation sévère des propositions étudiées en juillet et août est venue entretenir les jugements critiques, voire défavorables sur le déroulement de la négociation et sur les «gains» qui ont pu en être tirés. Plutôt que de se résigner à conclure sur la question constitutionnelle dans des termes insuffisants, ne valait-il pas mieux surseoir sinon à l'échéance référendaire du moins à l'engagement politique des Québécois dans les institutions d'un État canadien à renouveler mais autrement?




Note(s)

1.  Pour cette section nous nous référons au Rapport du consensus sur la Constitution, Charlottetown, 28 août, dont le texte définitif a été rendu public alors que la campagne référendaire était nettement engagée.