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L'administration publique : entre l'autonomie et le contrôle



Jacques Bourgault
Université du Québec à Montréal

James Iain Gow
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1991-1992

· Rubrique : L'administration publique



En 1992, l'administration publique québécoise continue à livrer des biens et services en quantités presque innombrables, la plupart sans soulever de difficultés. Néanmoins, elle connaît plusieurs problèmes, dont un bon nombre rappelle l'importance des statuts, des institutions et des personnels. Du côté des institutions, l'année met en relief les avantages et les inconvénients de la décentralisation des pouvoirs. Dans le domaine de la Santé et des services sociaux, comme dans celui de l'environnement, les structures sont au coeur des réformes en voie de réalisation ou proposées. Pour ce qui est des personnels, les événements et les rapports de l'année ont soulevé des questions sur leur nombre et leur statut, sur leur représentativité, sur leur rémunération et sur les règles d'éthique qui les régissent. Des événements dans le champ du droit administratif soulèvent des questions d'accessibilité, d'efficacité et de justice.



Les institutions

Dans le cas des institutions, l'autonomie vise d'abord une flexibilité dans la gestion, un fonctionnement quasi-commercial ou encore, une autonomie de type judiciaire pour les instances de réglementation. Un second groupe d'institutions jouit d'autonomie afin de surveiller en toute indépendance les gestes des institutions administratives et leurs effets. Il s'agit d'institutions qui relèvent toutes de l'Assemblée nationale, le Vérificateur général, le Protecteur du citoyen, la Commission de la fonction publique et la Commission d'accès à l'information.


Les organismes autonomes de gestion

L'année 1992 a été mouvementée pour plusieurs organismes autonomes de gestion. Pour les grands organismes, les problèmes ont leurs origines dans l'ambiguïté de leur mission ou bien dans la sensibilité politique des choix des grands moyens. Pour les autres organismes, les problèmes sont du domaine de la bonne et honnête gestion.

En 1992, Hydro-Québec a poursuivi son éducation politique, en marche depuis quelques années déjà. Cette éducation se poursuit sur les plans domestique et international, avec des succès et des échecs dans chaque cas. Au début de l'année, l'affaire «des bons payeurs» de la réserve d'Akwesasné (Voir L'année politique au Québec 1991, pp.76-77) a connu une fin décevante pour les quelque 241000 clients ordinaires de la société d'État qui ont demandé une ristourne de 300$, comme celle qui avait été offerte aux «bons payeurs» autochtones. Face au refus d'HydroQuébec, quelque 5 000 parmi eux ont déposé une plainte auprès de son commissaire aux plaintes. Cet ombudsman interne rejeta la demande au début de mars, en prétextant que ce boni faisait partie du règlement d'un conflit. Cependant, le commissaire avait déjà au début de janvier conseillé à Hydro-Québec de porter plus d'attention aux besoins de sa clientèle résidentielle. Pour compliquer les choses sur le front autochtone, aux mois d'avril et de mai la société a connu de nouveaux problèmes, sur la réserve de Kahnawake cette fois, avec des comptes en souffrance et des forces de l'ordre (les peacekeepers) qui refusent de garantir la protection du personnel qui pourrait aller couper le courant à ces mauvais clients. Le chef local, Joe Norton accuse Hydro-Québec de mauvaise foi et juge sévèrement le refus de la Société d'envoyer des employés pour brancher une vingtaine de résidences.

Sur le plan international, la Société est ébranlée par la décision le 27 mars du gouverneur de l'État de New York d'annuler le plus gros contrat dans l'histoire d'Hydro-Québec (1000 megawatts par an pendant 20 ans, une valeur de 17 milliards $ ). Mario Cuomo base cette décision sur une révision à la baisse des besoins d'énergie de l'État, mais on y voit aussi les effets de la publicité négative des Cris et des groupes écologistes autour du projet de Grande-Baleine. Cette impression est renforcée par l'introduction devant la législature du Massachusetts, quelques jours après, d'un projet de loi interdisant aux caisses de retraite des employés publics de cet État, d'acheter ou de détenir des obligations d'Hydro-Québec. Projet d'un simple député, cette proposition n'est pas devenue loi, mais elle a provoqué de nombreux commentaires, tout comme la décision de Dartmouth College, le 20 décembre, de se départir de ses obligations d'Hydro-Québec.

Toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises, cependant. Le 24 janvier, on annonçait une entente entre Ottawa, Québec, les Cris et les Inuit pour que les cinq organismes d'évaluation d'impact environnemental intéressés puissent travailler conjointement dans l'étude du projet de Grande-Baleine. Bien que cette entente puisse retarder le processus d'approbation, c'est un important pas en avant, car elle rassurera l'opinion tant internationale que domestique sur les implications environnementales du projet. Ensuite, le Tribunal de l'eau d'Amsterdam, organisme dont l'autorité n'est que morale, néanmoins rendit un «verdict» le 20 février qui était certes nuancé, mais qui ne condamnait pas le projet de Grande-Baleine. Au mois d'octobre, la compagnie Norsk Hydro obtenait une décision favorable du ministère américain du Commerce qui réduisait de 27% à 7% les droits compensatoires sur le magnésium produit à Bécancour. Cet excédent avait été imposé parce que le gouvernement américain n'acceptait pas les termes du contrat négocié entre Norsk Hydro et Hydro-Québec. En novembre, Hydro-Québec négociait un nouveau contrat d'énergie avec la New England Power Pool. À la veille de Noël, la ministre Lise Bacon rappelait que, malgré toute leur opposition au projet de Grande-Baleine, les Cris détenaient toujours 63 millions$ d'obligations d'Hydro-Québec, en vertu de la convention de la Baie James de 1975.

Sur le front domestique, la Société termine l'année sur une note positive. Elle avait été fortement critiquée pour les fortes hausses de tarifs en 1990 et en 1991 qui, combinées à la taxe sur les produits et les services, avaient causé une hausse de 21% en deux ans. Aussi, lorsqu'au printemps de 1992, elle a demandé des hausses de 5,9% des tarifs résidentiels et de 5,5% des autres abonnés, la ministre a tranché en accordant une hausse uniforme de 3,5%. Mais voilà qu'au mois de novembre, Hydro-Québec déposait un nouveau plan de développement dans lequel elle s'engageait à ne pas hausser les tarifs plus vite que 65 l'inflation. L'annulation du contrat avec la New York Power Authority lui a permis de réviser à la baisse ses prévisions des besoins. De plus, ses tribulations auront amené la Société à reconnaître la nécessité de soigner ses rapports avec sa clientèle, de négocier sans pression avec les Autochtones, d'explorer davantage les avantages des programmes d'économie d'énergie et de viser à la transparence dans la négociation de ses contrats. Selon l'analyste Rudy Lecours de La Presse (du 11 novembre) Hydro-Québec a compris sa leçon, elle «met en veilleuse son arrogance de naguère» pour tabler sur l'habileté et l'écoute de sa clientèle.

Pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, les problèmes observés proviennent de l'ambiguïté et de son mandat et de son statut. Au cours du premier trimestre, les nouvelles sont mixtes. D'un côté, la Caisse a affiché un rendement de 17,2% en 1991, ce qui la plaçait dans la bonne moyenne des caisses de retraite au Canada. De l'autre côté, le départ du vice-président Daniel Paillé confirme l'autorité du président Guy Savard, un «ancien bailleur de fonds du Parti libéral du Québec» (La Presse du 21 février).

Cependant, la grande nouvelle de l'année concerne le sort de l'ancienne chaîne d'alimentation Steinberg. En 1989, la Caisse et la Société de développement industriel avaient aidé la société Soconav de Michel Gaucher à acquérir Steinberg, dans le but de garder l'alimentation sous contrôle québécois. Or, voilà qu'au mois de mai, on apprend que M. Gaucher veut se départir de cette entreprise déficitaire. La Caisse doit approuver toute transaction, puisqu'elle détient un bloc d'actions important dans Soconav et sa filiale Ivanhee qui loge la plupart des magasins et entrepôts de Steinberg. Parmi les aspects délicats de cette opération se trouve le fait que la Caisse investit aussi dans les firmes qui cherchent à acquérir les biens de Steinberg, Provigo et Métro-Richelieu, au point d'avoir des représentants aux conseils d'administration de celles-ci. L'éditorialiste Cilles Lesage note dans Le Devoir du 29 mai que ces «relations incestueuses» créent une impression de conflit d'intérêts, car la Caisse participe à la décision des deux côtés de la table. De toute façon, après avoir insisté sur le maintien d'un plus grand nombre de magasins que prévu la Caisse accepte, le 28 mai, l'acquisition de Steinberg par les deux autres firmes.

L'entente n'aura pas eu d'effets durables. Le 18 décembre, on apprend que Provigo est maintenant à vendre et qu'il y a un acheteur américain à l'horizon. La société Unigesco de Bertin Nadeau s'apprête à vendre ses actions dans Univa, la société mère de Provigo, non pas parce que celle-ci n'est pas rentable, mais parce que Unigesco connaît des problèmes d'endettement. Pour que cette vente puisse se réaliser, cependant, il faudrait l'accord des trois principaux actionnaires, dont la Caisse de dépôt (avec 14% des actions d'Univa).

Ainsi, le problème du contrôle du réseau de l'alimentation est posé pour la troisième fois en cinq ans. La question du statut de la Caisse est aussi posée, car le Premier ministre Bourassa rappelle devant l'Assemblée nationale le 17 décembre, que le gouvernement n'est pas habilité par la loi régissant la Caisse à orienter les décisions de celle-ci. Le chef de l'Opposition prétend, par contre, que l'entente de 1989 entre la Caisse et Michel Gaucher avait été négociée au cabinet du Premier ministre. Au-delà du statut formel de la Caisse, pour certains, cette histoire contribue à la remise en question de la politique du Québec inc., ce modèle d'économie mixte qui a caractérisé les politiques économiques québécoises depuis quelques années.

À la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), c'est un déficit persistant qui provoque un débat sur les causes du phénomène. Ce régime, entièrement financé par les employeurs, connaît en 1991 le plus fort déficit depuis sa création il y a soixante ans, soit 792 millions$. Au mois de mai le président de la CSST annonce un déficit probable de 608 millions$ pour 1992, mais l'Association des manufacturiers du Québec pense qu'il sera plus grand encore.

Pour la CSN, l'origine du déficit réside dans la baisse des cotisations des employeurs en 1989, qui sont passées de 2,75$ les 100$ de salaires à 2,32$. Pour le Conseil du patronat et la CSST, cependant, le problème des coûts s'explique par la montée rapide de la durée moyenne de la période des indemnisations: de 47,1 jours en 1989, elle est passée à 76,3 jours en 1992. Le 6 avril, la CSST demande au ministre du Travail d'introduire des amendements à la loi qui lui permettraient de demander une autre opinion que celle du médecin traitant. En effet, le Québec est la seule province où toutes les opérations dépendent de l'opinion du médecin traitant choisi par l'ouvrier blessé ou malade. On craint que ce médecin pèche par indulgence pendant une période de forte récession. Aussi, ce système génère un excès d'appels, ce qui cause un engorgement du système d'arbitrage médical et d'appel et ajoute beaucoup à la facture.

Le 14 mai, le ministre Normand Cherry dépose des amendements législatifs qui répondent aux principales demandes faites par la CSST, notamment celle qui lui permettrait d'obtenir une deuxième opinion médicale. Fort de l'appui de la FTQ, le gouvernement accélère l'étude du projet, qui est adopté par l'Assemblée nationale le 15 juin.

En deux occasions, le Protecteur du citoyen critique sévèrement la Commission des valeurs mobilières. En février, à la suite d'une enquête spéciale d'un an, et de nouveau dans son rapport annuel déposé à la mi-décembre, Daniel Jacoby trouve la commission coupable de «grave négligence» et de «fautes grossières et irréparables» dans une affaire de fraude et de faillite dans le secteur immobilier. Il reproche à la CVM notamment d'avoir approuvé les prospectus du promoteur Guy Paré et d'avoir négligé d'enquêter à temps sur cette entreprise de construction domiciliaire qui a coûté 8,1 millions$ à 607 épargnants. La commission lui répond en l'accusant de mener une campagne de salissage et une opération de relations publiques. Après enquête, la ministre déléguée aux Finances, Louise Robic, déclare qu'on ne peut y démontrer un lien de cause à effet, et qu'il n'y a pas lieu de suivre la recommandation de l'ombudsman de compenser les investisseurs pour la moitié de leurs pertes. À la fin de l'année, M. Jacoby critique «cette nouvelle jurisprudence créée de toutes pièces».

En février, les journaux rapportent que le Biodôme sur le site du stade olympique à Montréal coûtera quelque 18 millions$ de plus que les 40 millions$ prévus et que des firmes d'ingénieurs proches du Parti libéral du Québec auraient profité de majorations importantes de leurs honoraires par le responsable du projet, la Régie des installations olympiques (RIO). Le président de la RIO se dit préoccupé par le problème du contrôle des coûts, mais il nie l'importance du critère partisan lors de l'octroi des contrats. À l'Assemblée nationale, le ministre responsable, André Vallerand, invoque l'autonomie de la RIO pour ne pas répondre aux questions de l'Opposition sur cette affaire. Il se dit, cependant, rassuré par un nouveau règlement de l'Assemblée nationale qui assujettit les organismes autonomes au même régime de contrôle des achats que celui des ministères.

En septembre, à la suite d'une série d'articles dans La Presse indiquant que la Commission des courses de chevaux était soumise à une influence suspecte de la part des propriétaires de chevaux et qu'il y régnait une gestion très laxiste, le président de la commission, Yves Beaudoin, et le chef du service de l'inspection ont été suspendus par le ministre de l'Agriculture, Yvon Picotte. À ce moment, on annonce une enquête de la Sûreté du Québec, à laquelle s'ajoute, quelques semaines plus tard, celle du Vérificateur général.

Enfin, dans le monde de l'éducation, plusieurs problèmes reliés à la décentralisation sont soulevés en 1992. Le 26 mars, le ministre de l'Éducation, Michel Pagé, met la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) sous tutelle. Celle-ci se trouvait dans une impasse. À la suite du conflit prolongé entre l'ancienne présidente, Denyse Soucy-Brousseau et l'ancien directeur-général, Laurent Portugais, la Commission se trouvait incapable de s'entendre sur la nomination d'un nouveau directeur-général. Le nouveau président de la CECM, François Ouimet, a demandé au ministre de décréter une tutelle d'un jour, afin de nommer un directeur-général par intérim. Le ministre a répondu avec une tutelle de six mois, ce qui a permis au tuteur, Jean-Guy Gagnon, de proposer un plan de réorganisation de la Commission. Au moment où la tutelle a pris fin, le ministre a déclaré qu'il attendait pour l'été de 1993, un rapport sur les changements administratifs introduits à la suite du rapport du tuteur. Notons aussi, que lors de son procès, au mois de juin, Mme Soucy-Brousseau fut acquittée de l'accusation de fraude portée contre elle par M. Portugais pour une facture de restaurant alléguée frauduleuse.

De mai à novembre, le coroner Marc-André Bouliane a enquêté sur le transport scolaire, à la suite de la mort d'un enfant au mois de février, soit le 22' enfant mort dans un accident relié au transport scolaire depuis 1986. Profitant des responsabilités élargies des coroners depuis une législation de 1987, M. Bouliane a mené une vaste enquête sur le problème. Il est vite apparu que le partage des responsabilités dans ce domaine constituait un obstacle: les commissions scolaires, la Société de l'assurance-automobile, ainsi que les ministères de l'Éducation, de la Sécurité publique et du Transport étant impliqués. Fait inusité, M. Bouliane a fait témoigner les trois ministres responsables, au mois de juillet. Au mois d'octobre, le coroner Bouliane a remis un rapport qui proposait un plan en dix recommandations majeures. Le ministre du Transport, Sam Elkas, a rejeté la recommandation principale, soit la présence permanente de brigadiers scolaires à bord de chaque autobus, pour proposer plutôt un bras d'éloignement sur le devant de chaque autobus, solution jugée inutile par le coroner. Cette enquête, ainsi que d'autres, dont celle sur la mort du hockeyeur John Kordic, amènent certains éditorialistes à se demander s'il ne faut pas mieux cibler la nature de l'enquête du coroner.


Les organismes autonomes de surveillance et de contrôle

Si les organismes autonomes de gestion connaissent plusieurs déboires qui soulignent l'ambiguïté de leur statut, ce n'est pas le cas pour les organismes autonomes de surveillance et de contrôle. Ceux-ci profitent de leur autonomie pour rappeler au gouvernement des problèmes particuliers et généraux observés dans sa gestion. Ainsi, le Vérificateur général, dans son rapport annuel publié au début de décembre, révèle comme d'habitude, des situations scandaleuses, telle que celle de ce fonctionnaire de l'Assemblée nationale qui accepte une indemnité de départ de 100 000$, avant de se faire engager ailleurs dans la fonction publique, ou ces 80 fonctionnaires du ministère des Affaires internationales qui ont été graciés après avoir négligé de faire une déclaration d'impôt lorsqu'ils travaillaient à l'étranger, une perte nette de 2,5 millions$. Pourtant, ce sont les commentaires généraux de Guy Breton qui ont le plus de portée. Il juge sévèrement la conversion de 4,300 postes d'occasionnels, à la fois parce que ceci signifie l'échec des tentatives de réduire la taille de la fonction publique et parce que les gestionnaires se servent des postes d'occasionnels pour contourner les exigences de la Loi sur la fonction publique. Il considère qu'il y a risque de favoritisme lorsque 60 pour cent des emplois comblés le sont par des personnes ayant déjà une expérience dans la fonction publique. Le président du Conseil du trésor, Daniel Johnson, déclare que s'il y a favoritisme, c'est celui des fonctionnaires et que le remède se trouve dans un régime d'imputabilité des fonctionnaires devant le parlement. Guy Breton est d'accord, mais note qu'il appartient au gouvernement d'établir de telles règles. Le Vérificateur est aussi préoccupé par la qualité insuffisante de l'information sur le déficit budgétaire que le gouvernement fournit aux députés et par le piètre contrôle effectué sur les banques de données confidentielles détenues sur les citoyens. Faut-il attendre une fuite majeure avant d'agir?

Dans son rapport annuel, également publié en décembre, le Protecteur du citoyen s'intéresse aux services aux citoyens. En plus de publier les résultats de ses enquêtes ponctuelles, l'ombudsman évalue les progrès accomplis depuis l'adoption en 1991 d'une nouvelle politique de qualité des services. Tout en félicitant l'administration de l'adoption d'une telle politique, il observe que celle-ci est encore trop peu connue et des fonctionnaires et des citoyens et que plusieurs des cas qu'il soulève démontrent tout le chemin qui reste à faire. C'est le cas notamment des citoyens les plus démunis qui ont particulièrement souffert de la récession. Les demandes adressées au Protecteur ont augmenté de 8% par rapport à l'année précédente, le total dépassant aujourd'hui 25 000 cas. Daniel Jacoby ajoute que la politique actuelle ne s'applique qu'à la fonction publique; il faudrait l'étendre aux réseaux de la santé et de l'éducation, de même qu'aux organismes et sociétés d'État.

Pour sa part, la Commission de la fonction publique, dans son rapport annuel publié à la mi-juin, élargit le champ habituel de ses commentaires. Comme d'habitude, elle scrute le respect du principe de la sélection des fonctionnaires au mérite pour faire état de difficultés sérieuses à faire respecter la Loi sur la fonction publique: «vouloir remettre en question la sélection au mérite sous prétexte d'efficience ou d'efficacité..., c'est tout simplement oublier les fondements démocratiques qui ont justifié l'adoption de cette règle» (p.14). C'est peut-être cette expérience qui pousse la commission à prôner l'introduction d'un régime d'imputabilité externe. L'imputabilité à l'intérieur de la fonction publique est un principe en vole de mise en application, dit-elle, mais il serait temps de passer aux actes pour établir une vraie reddition de comptes des administrateurs devant l'Assemblée nationale.

En somme, les rapports des organismes autonomes de surveillance démontrent que l'administration québécoise est encore loin de son objectif de qualité totale, et que la demande pour un système d'imputabilité devant la législature se maintient.




La santé et les services sociaux


La mise en place de la nouvelle loi

Le 9 mars 1992, se tenaient les premières élections pour désigner les représentants de la population au ' x conseils d'administration des établissements du réseau de la santé et des services sociaux. Ces élections ont suscité beaucoup d'intérêt de la part des groupes de pression et des médias. De façon très générale, les candidatures furent fort nombreuses pour doter les quatre ou cinq postes (C.L.S.C.) réservés aux représentants du public. Par exemple, dans les C.L.S.C., 222 candidats se sont disputés les 95 postes disponibles; après quelques flottements et controverses quant aux règles électorales, le ministre Côté a émis des directives pour y faire appliquer les critères qui régissent les élections au Québec.

Le 23 mars, le ministre annonça un train d'une cinquantaine de mesures de mise en oeuvre de la réforme, parmi lesquelles on distingue la location de places dans le secteur privé pour les régions en déficit de lits d'hôpitaux, le regroupement d'établissements qui réduit de 189 le nombre de conseils d'administration et de plus de 200 les postes de cadres de direction, la régionalisation des budgets et la croissance des services de soins à domicile et de prévention en milieu scolaire, la nomination d'un commissaire aux plaintes et la transformation des centres de services sociaux en centres de protection de l'enfance et de la jeunesse. Par ailleurs, le ministre se montre satisfait de ses rapports avec la Fédération des médecins spécialistes quant à la répartition des effectifs en région et quant au décontingentement de certaines spécialités en déficit d'effectifs, telles la chirurgie et la médecine interne.


Le déménagement de l'Hôtel-Dieu de Montréal

Dans le domaine de la santé et des services sociaux, un des dossiers les plus controversés de 1992 fut certes le déménagement de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Rivière-des-Prairies.

Plusieurs aspects rendent ce dossier édifiant quant à nos pratiques de gestion publique. D'abord la préparation secrète de la double décision d'avril du Conseil des ministres, qui décrète le déménagement de l'établissement, ainsi que la révision de la mission universitaire de l'établissement. Vient ensuite le silence embarrassé du Conseil d'administration du centre hospitalier, de son président et des religieuses hospitalières qui faisait dire à un médecin chef de département que les centres hospitaliers ne sont que des créatures gouvernementales sans autonomie réelle.

Mentionnons aussi la propension du ministre Côté à retenir jusqu'en novembre 1992, l'information justifiant à ses yeux le déménagement, évitant ainsi le débat sur le bien-fondé de la décision. Pourtant, dès le mois de juin, la Commission d'accès à l'information lui avait enjoint de lever le secret sur ses études.

La ville de Montréal s'est opposée très vigoureusement au projet du ministre Côté, mais n'a pas joui de l'écoute de celui-ci, qui s'est plutôt contenté, en novembre, de railler la contre-proposition municipale.

Cette même administration montréalaise a contribué à la mise sur pied d'un comité de consultation formé de trois anciens sous-ministres québécois, maintenant passés au secteur privé, pour entendre les points de vue sur la question: tant le ministre que les autorités hospitalières ont refusé de s'y faire entendre.

Quelques mois plus tard, le comité publie un rapport demandant la révision du dossier... le tout conformément au souhait de la Ville de Montréal!

La quasi totalité des intéressés, employés, professionnels, scientifiques, bénéficiaires de centres spécialisés souhaitent, comme d'ailleurs les syndicats et les représentants des milieux d'affaires, que le déménagement n'ait pas lieu. Le ministre, appuyé par les résidents de la périphérie du futur site, s'en est tenu à son projet sans faire de concession.

Plusieurs ont accusé le ministre de faire preuve de courte vue en accélérant ainsi l'étalement urbain et en créant des coûts importants d'infrastructure pour la ville. Les accusations de favoritisme partisan furent nombreuses, ainsi : on rappelle que le projet mettra en valeur les terrains périphériques qui appartiennent aux amis du parti, tandis que La Presse du 7 mai publie les noms des firmes qui décrocheront les contrats... à la suite d'un appel d'offres qui débute le 9 mai! L'histoire lui donnera raison.

En fin d'année 1992, le Premier ministre vient au secours de son ministre et confirme le déménagement du centre hospitalier. Reste maintenant à préciser sa nouvelle vocation et ce qui adviendra de ses centres spécialisés qui desservaient l'ensemble de la population de la région.


Secousses à la direction des établissements de santé

Un des grands sous-ministres bâtisseurs du système de santé, devenu depuis dix ans directeur général du Centre Hospitalier de l'université Laval, remit sa démission le 6 juillet, à la veille de la publication d'un rapport concluant à son laxisme quant au dérapage du déficit du centre hospitalier.

En avril 1992, le ministre Côté, après avoir menacé de tutelle le Conseil d'administration de l'Hôpital général de Lachine, força le directeur général à remettre, sur cinq ans,, 74,000$. des quelque 94,000$. reçus depuis 1988 sous forme de bonis de performance. Cet épisode pose la question de la qualité des évaluations de performance, autant que celle de l'opportunité d'admettre les directions générales à être éligibles à ces bonis, quelle que soit l'ampleur de ceux-ci. On a jugé aussi fastueuses les nombreuses dépenses de perfectionnement en Italie et de représentation du directeur général.

À l'heure de la gestion de la productivité des services publics, ces deux épisodes ne manquent pas d'intérêt; dans le premier cas, le directeur général est tenu personnellement responsable de la croissance du déficit et ce, sans prendre en compte la responsabilité du Conseil d'administration. Dans le second cas, la lumière n'est pas faite sur la qualité du processus évaluatif, ni sur l'opportunité de verser des bonis de performance aux directeurs généraux : c'est par la menace de tutelle, plutôt que par le débat de fond, que la question se règle!


Contraintes à l'offre de services

Le 15 avril, la démission de 10 omnipraticiens du centre hospitalier Sainte-Anne des Monts, qui dessert 1 200 personnes et devrait compter sur 20 médecins, vint rappeler encore une fois la difficulté d'attirer des médecins en région; les mesures incitatives offertes aux médecins semblent annulées par l'effet des autres mesures présentées aux médecins oeuvrant en périphérie des grands centres urbains. En effet, sur les 1 000 médecins contactés par l'établissement, 11 ont manifesté de l'intérêt, 6 ont accepté une rencontre et 2 seuls ont accepté de se rendre visiter le centre! Dans les centres éloignés, le roulement du personnel médical est de 90% sur 4 ans (La Presse, 16 avril 1992) !

Des questions devront un jour être posées sur le rendement des sommes investies pour la sollicitation des médecins et leur rétention.

Par ailleurs, le 5 mai dernier, soit au moment de la divulgation des crédits du ministère, le ministre Côté annonça des mesures destinées à récupérer 135 millions$ en 1992-93 et 200$ en 1993-94. Dès le 27 avril, il avait annoncé que les 37 millions$ destinés à la prévention des maladies et nécessaires à sa réforme, proviendraient des budgets des hôpitaux. Parmi les mesures annoncées le 9 mai, on retrouve la désassurance des soins dentaires aux enfants de 10 ans et plus, celle des services optométriques aux adultes de moins de 41 ans, un ticket modérateur de 2,00$ par prescription pour la plupart des bénéficiaires de 65 ans et plus, la cessation de certains examens, tests, analyses de routine dans les centres hospitaliers, et la désassurance d'examens médicaux exigés par l'employeur ou une clinique de santé, ainsi que la désassurance des soins et chirurgies esthétiques.

De plus en plus, le ministre questionne les objectifs qu'il doit poursuivre et la nature des biens publics à produire pour atteindre ces objectifs.




L'environnement


Structures et procédés

Le 1er mars, l'étude des mémoires relatifs au projet de loi 412, visant à créer un Office de Protection de l'Environnement fut entreprise à la Commission parlementaire de l'Assemblée nationale. La plupart des 31 mémoires présentés sont réservés, quant à l'opportunité du projet, en raison des coûts supplémentaires de la nouvelle structure qui serait chargée de l'octroi de permis et d'autorisations et de l'émission des ordonnances. Les jeunes libéraux appuient fortement ce projet.

L'adoption de la loi fédérale sur l'évaluation environnementale (C-13) suscite beaucoup d'appréhension au gouvernement du Québec, en ce qu'elle donne préséance au processus fédéral pour tous les projets de construction de routes, pour la protection des sols agricoles, pour la gestion des déchets domestiques et tout autre domaine de juridiction provinciale où Ottawa dépenserait en fonction de son pouvoir de dépenser dans les champs provinciaux.

Ce projet de loi a poussé le gouvernement du Québec à mettre en application les dispositions du Règlement sur l'évaluation et l'examen des impacts des grands projets industriels, adopté il y a pourtant 12 ans! À la mi-avril, le ministre Paradis confirmait publiquement son engagement à mettre en application la totalité du Règlement.

Le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement a entrepris la révision de ses procédures de communication avec les promoteurs et industriels à la suite d'une étude réalisée auprès des ministres et entrepreneurs et qui révélait une perception négative et trop contraignante -du B.A.P.E.; plusieurs attribuent au B.A.P.E. des pouvoirs qu'il n'a pas, d'autres le voient comme un obstacle et la majorité déplore l'incertitude quant aux délais des processus &«audience.


Décisions ministérielles

Les normes de qualité de l'eau potable ont été relevées par le ministre, ce qui impliquera une obligation de filtrer l'eau usée et non pas seulement de la traiter chimiquement.

Le ministre a ordonné la fermeture du pollueur Tioxide à Tracy, car celui-ci n'a pas respecté ses engagements de 1986 à l'effet de cesser ses activités polluantes pour 1991. Tioxide Canada en a appelé de la décision du ministre devant la Commission des affaires municipales. Dans le cas dé l'usine Kronos de Varennes, le ministre a convenu avec la compagnie d'un échéancier pour éliminer les rejets polluants. Pendant ce temps, Tioxide Canada a obtenu 16 millions$ des deux gouvernements pour bâtir une usine non polluante de 175 millions$ à Bécancour.

En décembre, la firme Laidlaw a obtenu gain de cause contre le ministère qui voulait l'obliger à dépolluer les sols contaminés, qui sont sa propriété, et la nappe phréatique souterraine. Le tribunal a conclu que le ministre n'avait pas prouvé que Laidlaw avait elle-même pollué ces sols. Les frais de dépollution, à moins qu'un appel ne soit inscrit, seront donc à la charge des contribuables, ce qui a amené le ministre à annoncer son intention de faire modifier la législation en la matière.

Un refus de permis, malgré deux avis favorables des fonctionnaires compétents du ministère, a apporté au ministre Paradis de forts désagréments. Le promoteur Lacroix a inscrit une requête pour obliger le ministre à accorder un tel permis. À l'audition, en mars, Lacroix et sa secrétaire ont prétendu que le ministre et un député libéral avaient exigé 500 000$. en retour de l'attribution du permis; ils ont aussi soumis que le ministre avait émis un tel permis à des amis du parti à St-Amable, dans son propre comté, une firme qui n'opérait pas une entreprise d'entreposage de déchets solides.

M. Paradis a tout nié, l'entreprise de St-Amable a reconnu avoir ensuite vendu le site et son permis à une firme spécialisée de Longueuil et M. Lacroix s'est désisté de son recours, à la grande frustration de M. Paradis qui aurait souhaité être entendu par le tribunal, pour rétablir sa réputation.




La fonction publique


Les effectifs

Selon le Portrait statistique des effectifs régulier et occasionnel : 1992, la reprise de la croissance, constatée déjà depuis trois ans, se poursuit. L'effectif régulier au 31 mars est passé de 52 284 en 1989 à 55 879 en 1992. L'effectif occasionnel est passé de 12 078 en 1988 à 13 368 en 1992, avec comme résultat que l'effectif global a connu une hausse de 4 765 employés ou 7,4% en 4 ans, se chiffrant à 69 247 en 1992. Les principales causes de cette croissance sont la conversion d'emplois d'occasionnels en emplois réguliers (2 354 cas en 1991-1992), le transfert de près de mille emplois du gouvernement fédéral au gouvernement du Québec avec le transfert de la gestion de la Taxe sur les produits et les services, ainsi qu'une hausse des responsabilités à la CSST, au ministère de l'Environnement et à la SAAQ.

Cette hausse n'a pas manqué d'attirer l'attention des députés, des journalistes et, on l'a vu, du Vérificateur général. En effet, les chiffres démentent les annonces répétées du gouvernement qu'il allait sabrer dans la fonction publique. La dernière de ces déclarations remontait aux prévisions des dépenses au mois de mars 1992, où il déclare que les effectifs et la masse salariale seront réduits de 10% sur 5 ans. Ainsi, l'Opposition a réagi avec scepticisme lorsque le gouvernement a appuyé, au moment du vote de principe le 4 décembre, le projet de loi 198, qui interdit l'embauche de tout nouvel employé du 1er janvier 1993 jusqu'au 31 mars 1994, et qui impose une réduction de 20% des cadres de la fonction publique, ainsi que des organismes publics, écoles et hôpitaux compris. Ce projet est l'oeuvre d'un groupe de députés libéraux, mais son adoption au moment de la 2ième lecture n'a pu se faire qu'avec l'assentiment du gouvernement. Pour sa part, le Parti québécois se dit d'accord avec le principe d'imputabilité affirmé dans le projet de loi, mais en désaccord avec des limites arbitraires de l'effectif. De plus, a-t-il fait remarquer, le gouvernement n'avait nul besoin d'une nouvelle loi pour restreindre l'effectif de la fonction publique. Il reste à savoir si ce projet deviendra loi en 1993.


Présence des groupes cibles

Les femmes continuent leur lente progression dans la fonction publique. En 1992, elles sont 42,6% de l'effectif régulier, une hausse de 3,5% de leur part en 4 ans, et une hausse de 16% en termes de chiffres absolus. Chez les occasionnels, les femmes restent largement majoritaires, avec 63,7% de l'effectif, un chiffre qui reste stable depuis 3 ans.

Depuis 1988, les femmes ont augmenté leur présence parmi les corps suivants: la haute direction (13,2% contre 12,9%) les cadres supérieurs (12,0% contre 7,6%), les cadres intermédiaires (15,5 % contre 14,7 %) et les professionnels (28,0% contre 21,5%). Leur place parmi les employés de bureau s'est aussi accrue de 75,3% à 77,6%, mais c'est dans une catégorie qui régresse en chiffres absolus.

Pour leur part, les membres des autres groupes cibles se maintiennent à peu près au même niveau qu'en 1988 : les membres des communautés culturelles à 4% de l'effectif régulier et les Autochtones à 0,5%. Pour les personnes handicapées, une nouvelle définition limite toute possibilité de comparaison: en 1992, elles sont 1,5% de l'effectif régulier.


La rémunération

Pour la deuxième année consécutive, les conventions collectives du secteur public sont prolongées par législation. Le projet de loi 37, adopté le 22 juin, permet aux parties de toute convention du secteur public de s'entendre sur une prolongation de trois ans. En l'absence d'une telle entente, les conventions en vigueur sont prolongées pour un an, avec une augmentation de 3% des taux de la rémunération pendant les premiers 9 mois, et de 1% pour les derniers trois mois.

Ainsi, le gouvernement met fin à une période de deux ans pendant laquelle les hausses de salaire dans le secteur public ont dépassé celles du secteur privé. Le 8' Rapport sur les constatations de l'Institut de recherche et d'information sur la rémunération (l'IRIR, 1992) fait état de la situation en 1991. On se rappelle que FIRIR fait une distinction entre la comparaison des traitements et celle de la rémunération globale, qui comprend aussi les avantages sociaux et les conditions de travail. Le secteur public, objet de ces comparaisons, comprend la fonction publique et les secteurs de l'éducation et de la santé et des services sociaux.

Les employés du secteur public se situent par rapport au:



Salaires

Rémunération globale

Secteur privé

parité

+ 10%

Secteur privé syndique

-5%

parité

Autre secteur public

-4%

-6%

Autre secteur public syndiqué

-5%

-6%

Secteur municipal

-14%

-25%



Ces chiffres démontrent que les syndiqués du secteur public relevant du gouvernement du Québec sont à parité avec les salariés syndiqués du secteur privé, mais en avance par rapport aux employés non syndiqués. Aussi, ils tirent de l'arrière lorsque comparés aux employés du reste du secteur public, c'est-à-dire les employés du gouvernement fédéral, des entreprises publiques et des municipalités. Pour la première fois, FIRIR peut détailler le rapport avec les municipalités. On constate avec étonnement que sur le plan de la rémunération globale les employés municipaux connaissent une avance de 25% sur ceux du secteur public québécois.

En novembre 1992, HRIR a publié La décennie 80: qu'en est-il du pouvoir d'achat des salariés du secteur public québécois? Cette étude démontre que pendant la décennie suivant 1979-1980, l'ensemble des employés du secteur public québécois a perdu 4,16% de son salaire en dollars constants. Certains groupes avaient progressé un peu: le personnel d'entretien et de service (+2,46%) et les infirmières auxiliaires (+0,58%), mais tous les autres ont vu leur pouvoir d'achat réduit, notamment les agents de la paix (-10,05%) et les professionnels (-12,92%). Dans Le Devoir du 10 novembre, Gilles Lesage observe que les groupes qui ont fait les frais de l'écrasement de la pyramide salariale, en commençant par les professionnels, ont quitté le front commun. Il reste, cependant, d'après les constatations de VIRIR de juin 1992, qu'en 1991 les professionnels du secteur public restent le groupe le plus avantagé par rapport aux autres salariés québécois (un avantage de 9% pour la rémunération globale).


Questions d'éthique dans la fonction publique

Des serviteurs au-dessus de tout soupçon ?

La campagne référendaire n'a cessé d'être agitée par des révélations des médias qui rapportaient des propos des grands commis et conseillers ou diffusaient des documents officiels, qui tous remettaient en cause la valeur de l'entente soumise en référendum à la population.

La première et plus célèbre affaire porte le nom de la sous-ministre aux affaires intergouvernementales canadiennes, Mme Diane Wilhelmy, pourtant en congé de maladie au moment des faits: une personne a enregistré, à leur insu, la conversation entre Mme Wilhelmy et le premier conseiller constitutionnel de M. Bourassa, M. André Tremblay. L'appel est fait très tard le soir par M. Tremblay chez Mme Wilhelmy à partir de son appareil cellulaire et ce, semble-t-il, sans que l'interlocutrice ne connaisse la provenance de l'appel.

Sur un ton très déprimé et quelquefois courroucé, tous deux concluent que l'entente constitue une forme de dérision par rapport aux revendications traditionnelles du Québec.

Une injonction rendue le 15 septembre empêche la diffusion de la conversation au Québec, mais cet épisode judiciaire accroît l'intérêt de l'affaire et n'empêche pas sa publication ailleurs au Canada et donc sa connaissance au Québec. L'injonction sera levée quelques semaines avant le référendum.

Dans ce cas-ci, le tort causé au maître politique fut énorme: furent mis en cause non seulement les résultats obtenus dans la négociation constitutionnelle, mais également sa capacité même de négocier et d'apprécier les intérêts du Québec. Cependant, la haut fonctionnaire ne peut être blâmée: ce n'est pas elle qui a l'initiative de la conversation, elle semble ignorer qu'elle peut être enregistrée et elle pose des jugements professionnels à titre privé dans le cadre d'une conversation privée avec un ami qui, par ailleurs, est compétent en la matière. Bref, sa bonne foi n'est pas en cause, d'autant moins que c'est elle qui s'offre d'aller au combat judiciaire pour le gouvernement en réclamant l'injonction en son nom propre, laissant les conseillers gouvernementaux plus disponibles pour animer le combat référendaire.

Le second cas est plus dommageable à la compétence personnelle de M. Bourassa : M. André Tremblay, devant une quinzaine de membres du comité constitutionnel de la Chambre de commerce de Montréal, confie que M. Bourassa était très éprouvé par les longues séances de négociation qui auraient pu avoir raison de sa combativité et de sa capacité d'atteindre ses objectifs. M. Bourassa aurait même eu de la difficulté à s'exprimer en anglais et aurait bénéficié de l'assistance de M. Mulroney. Le conseiller politique conclut que l'entente n'apporte pas de gains constitutionnels et débouchera «sur des troubles». Il s'agit d'une erreur grave de jugement d'un conseiller politique de premier rang qui aurait dû mieux mesurer les risques de divulgation de ses propos.

Deux semaines avant le référendum, l'Actualité publie une série de documents qui auraient été préparés par des fonctionnaires du ministère des Affaires intergouvernementales canadiennes au sujet de l'entente constitutionnelle. Ces documents concluent systématiquement au caractère dangereux pour les intérêts du Québec de nombreux éléments de l'entente: la société distincte, partage des pouvoirs, dynamique de multilatéralisation des négociations, intégrité du territoire, droits reconnus aux Autochtones, etc...

Dans un premier. temps, le Premier ministre nie l'authenticité des documents, puis les dénonce comme étant tronqués et présentés de façon tendancieuse. Le ministre de la justice annonce une enquête pour découvrir la source de la fuite des documents. En novembre, un avocat contractuel est soupçonné, puis interpellé par les services policiers.

Dans ces trois affaires, seule une fonctionnaire permanente fut impliquée et sa bonne foi ne peut être mise en cause. Il s'est trouvé des ministres, compte tenu des dommages subis par le gouvernement, pour rappeler qu'elle fut recrutée sous l'administration péquiste; pourtant, elle a toujours eu la pleine confiance de son ministre et est décrite par tous les observateurs politiques comme rigoureuse, réservée, discrète et loyale.

Ces événements risquent d'accroître à l'avenir tant la volonté des politiciens de compter sur des hauts fonctionnaires engagés politiquement que leur méfiance envers les intellectuels engagés à contrat, s'ils ne sont pas rompus aux tactiques des luttes partisanes.


Conflit d'intérêts dans la haute fonction publique?

L'ex-directeur général pour l'ouest du Québec du ministère de l'Environnement, M. Antonio Flamand, a vu débuter le 27 janvier l'audition d'une requête pour arrêt des procédures dans une accusation d'abus de confiance sur le fond de guerre politico-juridique entre péquistes et libéraux.

M. Flamand se voit reprocher, à la suite d'une dénonciation du directeur régional du MENVIQ, M. Provencher, d'avoir été actionnaire dès 1986, de la compagnie SOLBEC qui acheta en 1984 la mine Poirier et la Cida en 1986 à Exploration minière Poirier. Or, en 1986, M. Flamand était directeur régional du MENVIQ et aurait utilisé son influence pour diminuer les exigences du ministère pour la restauration par le MENVIQ, du parc à résidus de cette mine, notamment deux hypothèques totalisant 2,7 millions$.

La thèse de la défense est à l'effet que M. Flamand n'est devenu actionnaire qu'en 1988, alors qu'il n'était plus directeur régional et qu'une autre personne prenait alors ce type de décision. La défense prétend notamment qu'on a voulu se débarrasser de Flamand en le «tablettant», le suspendant, le congédiant et en l'incriminant parce qu'on lui reprochait son zèle à dénoncer le laxisme du ministère et les attitudes de ses supérieurs, sa volonté de témoigner et diffuser des informations à la Commission Charbonneau, et de révéler des ententes impliquant M. Tommy D'Errico, un financier du P.L.Q. De plus, la défense soumet que les déclarations publiques du ministre privent M. Flamand de son droit à un procès impartial.

Bien que l'audition ait montré que les documents transmis à la Commission Charbonneau par le MENVIQ ont été expurgés de certaines informations que M. Flamand voulait diffuser, et que les conflits entre M. Flamand et ses supérieurs et les déclarations du ministre furent reconnus, le juge n'a pas retenu la thèse du complot et a constaté la signature datée de 1986 de M. Flamand sur des procès verbaux de la compagnie SOLBEQ. Le 29 mai, le juge a rejeté la requête en arrêt des procédures. L'avocat de M. Flamand inscrit une demande de certiorari pour faire casser cette décision. L'affaire se poursuit donc.




La réforme de l'aide juridique

Du 17 au 21 février s'est tenu à Québec un important colloque sur l'administration de la justice, le «Sommet de la Justice». Le ministre de la justice a profité du Sommet pour dévoiler son projet de réforme de l'aide juridique qui, à sa création en 1972, était accessible à 24% des Québécois et qui ne l'est plus qu'à 11% en 1989. Le ministre propose notamment d'abaisser le seuil d'admissibilité, de faire participer les bénéficiaires à certains frais et d'imposer des frais de 20$ pour l'ouverture des dossiers. En général, ses propositions furent fraîchement reçues à l'exception du Protecteur du citoyen qui réclama, deux semaines plus tard, une augmentation radicale de l'accès à l'aide juridique.

Pendant ce temps, sur le terrain, l'aide juridique vit des heures sombres: le 25 février, elle annonce que ses budgets annuels sont épuisés, bien qu'elle ait encore 4 000 factures a payer. Le Conseil du trésor doit débloquer des fonds supplémentaires. Le 2 mai en Commission parlementaire, le ministre de la justice dut admettre qu'un vice-président de la Commission des services juridiques, nommé en 1989 et payé 100 000$ par année, n'avait encore Jamais occupé ses fonctions, en raison d'un conflit de personnalité avec un de ses collègues; au surplus, c'était la seconde année consécutive où le ministre devait faire pareille admission.

Le 4 mai, le Conseil du trésor et la Commission des services juridiques ont mis 11 corporations régionales sous tutelle, afin de limiter leur pouvoir de dépenser et de procéder à une réorganisation des structures et des services offerts: dès l'été 92, il n'y aura plus de service de garde 24 heures par jour, 33 bureaux à temps partiel seront fermés, 44 postes d'avocats seront abolis, les stagiaires ne seront plus embauchés, le Grand-Nord ne sera plus couvert en permanence et les services d'immigration et d'appel de l'aide juridique à Montréal seront annulés.

En matière d'accessibilité à la justice, les réalités économiques ont pris le pas sur les idéaux sociaux en 1992.




Les identifications administratives multiples

Pour réduire la fraude, le ministre de la Santé et des Services sociaux a annoncé qu'à compter de 1993, la photo couleur du bénéficiaire de 14 ans et plus devra apparaître sur sa carte d'assurance-maladie, sauf s'il est hébergé dans un établissement public.

Dès février, la Société d'assurance automobile du Québec avait annoncé qu'à la fin de l'automne 93, les nouveaux permis comporteront la photo du titulaire et seront valides pour six ans, ce qui permettrait de réaliser d'importantes économies.

Les deux ministres ont garanti que toutes les mesures seraient prises pour éviter de porter atteinte à la vie privée des titulaires, notamment en ne créant pas de fichier central de ces photographies, à la suite des craintes émises par les organismes de protection des droits des citoyens, par le Vérificateur général et par la Commission d'accès à l'information. La rationalisation des processus publics, accompagnée des mesures de sécurité appropriées, semble avoir prévalu sur les mises en garde classiques de ces groupes.




Les affaires policières: répercussions administratives


L'affaire Marcellus François et le Service de police de la CUM

Le 28 janvier 1992, le directeur du Service de police de la CUM, M. Alain Saint-Germain, a noté le manque de rigueur, les erreurs de jugement, les propos racistes, la mauvaise coordination et l'absence de leadership dans l'opération policière qui, le 3 juillet 1991, s'est soldée par la mort de M. Marcellus François abattu par un policier.

Le caractère erratique et raciste des opérations ayant conduit à l'interception du véhicule a amené le coroner Harvey Yarosky, le 6 juin 92, à blâmer l'ensemble du SPCUM pour ce fiasco. Ce rapport a amené le ministre de la sécurité publique à confier au juge retraité Albert Malouf le mandat de proposer une réorganisation des services policiers de la CUM.

De plus, le ministre a confié au recteur de l'UQAM, M. Claude Corbo, la direction d'un groupe de travail sur les relations entre la communauté noire et la SPCUM.

Le coroner Yarosky était particulièrement outré du peu d'impact des recommandations du Comité Bellemare, faites sur les mêmes sujets 3 ans auparavant. Il s'interroge sur la pertinence des mesures et la résistance des personnes aux changements dans les organisations.


La Sûreté du Québec à la suite de la crise amérindienne

Plusieurs enquêtes concernant la Sûreté du Québec, remontant à la crise autochtone de l'été de 1990, font parler d'elles en 1992. Au mois d'août, on apprend que l'enquête du coroner sur la mort du caporal Lemay à Oka pourrait ne jamais aboutir. L'enquête fut suspendue le 17 septembre 1991, à cause des débuts des procès impliquant une centaine de Mowhawks. Malgré l'acquittement au mois de juillet de 34 de ceux-ci, lors d'un procès fort remarqué, on dit que l'enquête pourrait ne pas reprendre. Pour sa part, l'enquête d'un comité disciplinaire portant sur le comportement de 8 officiers et de 37 agents sur le pont Saint-Louis de Gonzague et aux alentours de Châteauguay, au plus fort de la crise, risque d'être déclarée illégale pour vice de forme. Les avocats des policiers prétendent que les membres du comité n'ont pas été nommés conformément à la loi, et que leurs clients n'ont jamais su ce qu'on leur reprochait. Une requête est adressée à la Cour supérieure le 15 décembre afin de faire déclarer les citations de ce comité illégales et invalides. Si jamais cette requête est agréée, la poursuite pourra être abandonnée, car un délai maximum de deux ans après l'événement s'applique dans pareil cas. Enfin, le Commissaire de la déontologie, qui depuis le 1er décembre 1990 succède au comité de discipline, rejette six plaintes d'un citoyen d'Oka contre des fouilles abusives par des agents de la SQ pendant la crise. La décision initiale a été prise en mars 1991, mais c'est seulement au moment de la confirmation de la décision, par le rejet d'un appel, que les journaux ont appris le contenu de la décision. Le commissaire y affirme notamment que les policiers ont le droit d'écarter certaines exigences de la Charte des droits et libertés à l'occasion de crises sérieuses, propos qui a suscité plusieurs commentaires défavorables de la part de criminologues et de groupes voués à la défense des libertés publiques.




Conclusion

Ainsi, les événements de 1992 rappellent les risques et les avantages inhérents à la décentralisation des pouvoirs. Problèmes politiques, gestion laxiste, accusations de favoritisme ont été observés, tant dans les organismes autonomes que dans les réseaux décentralisés de l'éducation, de la santé et des services sociaux. Néanmoins, les cas de l'Environnement, du transfert de l'Hôtel-Dieu et des fuites dans le dossier constitutionnel démontrent que l'administration centrale est aussi apte à connaître sa part de difficultés. Enfin, les organismes autonomes de vérification et de contrôle, ainsi que les tribunaux, ont manifesté plusieurs réticences quant au respect, par les organismes centraux et ministères, des règles fondamentales de production des biens publics. À cet égard, les contraintes de ressources ont suscité la remise en question de la dispensation de plusieurs biens publics. L'agenda public du futur sera fait de nombreux débats où rationalisation et nature des biens publics entreront en conflit.