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Le patronat : une année difficile



Jean-Herman Guay
Université de Sherbrooke


L'année politique au Québec 1991-1992

· Rubrique : Le patronat



Une récession qui dure depuis trop longtemps; une reprise si lente qu'elle est à peine perceptible et un dossier constitutionnel qui occupe trop de place dans l'agenda politique au goût de la classe d'affaires, voilà quels furent les traits dominants de l'année 1992. Manifestement, le patronat québécois n'a plus la vigueur qui a marqué sa démarche des années 80. Plus réservé, plus perplexe, il regarde la conjoncture, inquiet de ce qu'elle lui réserve. La plupart des entrepreneurs ont concentré leurs énergies sur les défis économiques. Pour les organisations patronales, 1992 fut marquée par des efforts de concertation et de cohérence, à la fois dans les gestes et dans les discours. Du côté politique, on a tout fait, mais en vain, pour en finir avec la constitution.



Un climat général plutôt difficile

L'état de l'économie a continué de faire des malheureux parmi les gens d'affaires; les faillites furent nombreuses et les indices de relance rarissimes. Une enquête réalisée par l'Association des manufacturiers canadiens indiquait que les investissements projetés seraient probablement inférieurs à ceux de 19911 ] . Dans le seul secteur manufacturier on a enregistré, en 1992, plus de 84 000 pertes d'emploi . Et selon Richard Le Hir, on prévoit en supprimer 30 000 de plus en 19932 ] . La vente au détail a également subi un recul3 ] . La société Les Coopérants a fermé ses portes en janvier 1992. Et d'autres ont suivi tout au long de l'année: la chaîne La Maisonnée, les magasins M, le Groupe Sélection. Tous les secteurs ont été touchés: hôtellerie, édition, informatique, services de transport, produits forestiers. Une enquête effectuée au début de l'année par le Conseil du patronat du Québec auprès de ses membres indique que seulement 10% des répondants estimaient que le climat économique est «bon ou très bon». En juillet 1992 on était cependant un peu plus optimiste quant à l'avenir.4 ]

En fait les entrepreneurs-vedettes des années 80 quittent la scène les uns après les autres. Après la brusque sortie de Bernard Lamarre, de Lavalin en 1991 - qui fut sans retour -les problèmes grandissants des Malenfant et Gaucher avec leurs créanciers ont défrayé la manchette toute l'année. Le patron d'Unigesco, Bertin Nadeau, en a inquiété plusieurs lorsqu'il a envisagé de vendre les magasins Provigo à des intérêts américains. En somme, Québec inc. est en crise aussi bien dans les livres comptables que dans l'opinion publique. L'aveu des dirigeants de Provigo, que les prix au détail étaient «trop élevés» risque d'ailleurs d'accentuer le désenchantement du grand public à l'égard des élites économiques. Telle est peut-être la raison pour laquelle le C.P.Q. s'oppose à la divulgation des salaires des dirigeants d'entreprises. Selon Ghislain Dufour, les Québécois -contrairement aux Américains - n'ont pas une formation économique suffisante pour «apprécier de manière rationnelle» une telle situation!5 ]

Le chapitre des relations de travail, fait cependant exception. Ici la morosité n'est pas de mise; le patronat n'a guère à se plaindre. Sur la base des dix premiers mois, on peut considérer 1992 comme une année record. Depuis 20 ans on avait jamais compté un aussi faible nombre de grèves ou lock-out. En fait depuis le début des années 90, une «révolution culturelle» se produit dans les relations de travail.6 ] C'est d'ailleurs pour ne pas mettre en péril cette harmonie que le C.P.Q. a décidé de ne pas contester la loi québécoise antibriseur de grève, alors qu'il venait, en décembre 1991, d'obtenir de la Cour suprême le droit d'être entendu et ce, après neuf ans de démarches auprès des instances judiciaires.7 ] On veut éviter d'envenimer et de politiser des relations que jalousent les classes d'affaires des autres provinces canadiennes, disent-ils en somme. Le sondage du Conseil du patronat le montre éloquemment: 51% jugent le climat des relations de travail «très bon ou bon».




Une reprise qu'on attend d'ailleurs

Le patronat a les yeux tournés vers nos voisins du Sud depuis les dernières élections présidentielles. L'arrivée au pouvoir de Bill Clinton suscite des espoirs et des craintes. On compte évidemment sur une reprise de l'économie continentale; on espère que la «renaissance» promise aux Américains aura des répercussions positives sur les entreprises dont les produits sont destinés à l'exportation. Mais en même temps on s'inquiète du protectionnisme américain - un peu plus marqué chez les démocrates que chez les républicains. Déjà 1992 a été ponctuée par de nombreux conflits commerciaux entre le Canada et les États-Unis. On a ainsi imposé des droits à la compagnie Norsk-Hydro l'accusant de dumping parce qu'elle bénéficiait de subventions exceptionnelles de la part d'Hydro-Québec. Le contrat de cette dernière société avec l'État de New York a été du reste rompu suite aux campagnes menées par les écologistes américains et les Cris. Selon l'Association des manufacturiers du Québec il y a manifestement un «durcissement de ton» dans les rapports avec les États-Unis.8 ]

L'inquiétude se situe toutefois bien au-delà de ces litiges. Selon certains leaders patronaux, les gestionnaires actuels «ne sont pas à la hauteur des défis de la mondialisation économique... ils devront mieux prendre conscience de la concurrence s'exerçant à l'échelle planétaire et des possibilités du marché mondial ...»9 ] Sur la base du Rapport mondial sur la compétitivité on soutient que «La situation est beaucoup plus grave que ne veut bien nous le faire croire notre classe politique ...»10 ]

La Chambre de commerce du Québec réclame donc du gouvernement qu'il considère l'établissement de nouvelles politiques sous un jour nouveau. «Les enjeux sont d'une telle ampleur que la Chambre de commerce du Québec réclame du gouvernement du Québec qu'il décrète en quelque sorte un "état d'urgence compétitivité" sur tous les plans et que dorénavant les gestes posés soient d'abord examinés et évalués à la lumière crue de l'efficacité, sans complaisance.» Dans une entrevue le Président de la Chambre était encore plus direct: «Je suis inquiet, dit-il, parce qu'il existe des cas où nous ne sommes pas capables de prouver au Québec que nous sommes assez efficaces pour compétitionner avec le reste du monde. Nous ne serons pas capables de survivre.»11 ]

L'une des clés est celle-ci: améliorer la compétitivité fiscale des entreprises: «si le Québec voulait augmenter sa compétitivité fiscale, il aurait intérêt à réduire les charges fixes imposées aux entreprises et à diminuer la progressivité de son impôt personnel ou encore d'augmenter son crédit d'impôt sur dividende»12 ] Pour Richard LeHir, le problème du magasinage hors frontière est attribuable aux taxes trop élevées. Il faut donc progressivement réduire celles-ci.

Selon les dirigeants patronaux il est d'ailleurs urgent que l'on réfléchisse collectivement sur l'ensemble de la fiscalité. Suite à la lecture du discours du budget par le ministre Gérard D. Lévesque, la Chambre de commerce du Québec faisait clairement savoir qu'il fallait créer une commission qui «aurait pour mandat d'étudier l'état des finances publiques». Selon les dirigeants d'affaires, les particuliers et les entreprises sont surtaxés. Selon les syndicats «nous ne sommes pas surtaxés, mais mal taxés». La Commission sur les finances publiques, présidée par le ministre Daniel Johnson, qui a d'ailleurs commencé ses travaux en février 1993 s'inscrit dans cette démarche initialement souhaitée par la classe d'affaires.13 ]




Le patronat et la gestion gouvernementale

La cause structurelle des difficultés économiques renvoie à la sphère politique, du moins selon les dirigeants patronaux. Richard Le Hir de l'Association des manufacturiers du Québec propose l'étiologie suivante: les manufacturiers «... ne sont pas responsables du climat économique que les gouvernements font au fil des lois et règlements».14 ] L'analyse est simple: «dans les 25 dernières années, il n'y avait aucun intérêt à investir au Canada, sauf quand il y avait des subventions à la clé». Selon lui les entreprises devront apprendre à marcher seules.15 ] La rationalisation envisagée et souhaitée ne vise donc pas que les programmes sociaux - ou les autres classes -, comme par les années passées. On remet aussi ouvertement en question l'aide de l'État aux entreprises.

Cette analyse où l'on met le blâme sur les épaules de la classe politique affecte la perception des leaders actuels. Les gens d'affaires ont d'ailleurs aussi peu d'estime envers les leaders politiciens actuels que la population en général: 9% des répondants du Conseil du patronat du Québec jugent que la situation politique québécoise est bonne. Au niveau canadien, il n'y a que 2% des répondants qui sont de cet avis. Ghislain Dufour n'hésitait pas à dire: «J'ai l'impression qu'on va frôler le zéro au mois de juin en termes d'évaluation des hommes politiques québécois et canadiens».16 ] Ces relations difficiles avec la classe politique se manifestent dans plusieurs secteurs précis.

La gestion du dossier environnement fut l'un de ceux-là. Pour Richard LeHir de l'Association des manufacturiers du Québec, la politique du ministre Paradis représente un frein au développement économique. «Le coût des retards est colossal». Il dénonce la «pagaille inimaginable» et souhaite l'intervention directe du Premier ministre Bourassa. Il remet en question la judiciarisation abusive du dossier. Il dénonce le principe pollueur-payeur pour les terrains contaminés dans le passé. On ne peut pas dit-il appliquer des sanctions rétroactives contre une entreprise en particulier alors que tout le monde a pu profiter du mirage de la croissance faite au détriment de l'environnement. Selon lui, le ministère de l'Environnement du Québec menace l'équilibre difficile entre économie et environnement. Les grappes industrielles du ministre Tremblay deviennent «... les raisins de la colère lorsque Pierre Paradis crée le fouillis total ...» lance le Président de l'organisation.17 ] On s'interroge aussi sur la pertinence de créer un Office de protection de l'environnement, distinct du ministère de l'Environnement du Québec.18 ]

Dans le domaine de la main-doeuvre, le patronat a été aussi très critique à l'endroit des solutions gouvernementales. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain, celles de Laval et de la Rive Sud de même que celles de l'Est de Montréal et de ville Saint-Laurent ont critiqué conjointement la politique de la main-d'oeuvre du ministre Bourbeau. On trouve que le projet s'appuie sur le «mythe tenace selon lequel une nouvelle structure réglerait tous les problèmes». On est également déçu que les efforts envisagés ne soient pas arrimés solidement à ceux déployés par le système d'éducation. La Chambre de commerce du Québec est du même avis: «Il serait regrettable que cette hâte nous contraigne à vivre ensuite avec une structure bureaucratique qui risque de ne pas être véritablement adaptée au besoin».19 ] Une fois de plus on trouve l'effort trop bureaucratique. Il y a lieu ici de noter quelques ressemblances avec le discours de Gérald Larose, président de la CSN lorsqu'il lance parmi une série de propositions: «Il faut... débureaucratiser bon nombre de programmes et d'institutions».20 ]

Dans son mémoire annuel, intitulé «La compétitivité au Québec», la Chambre de commerce du Québec affirme ainsi: «Compte tenu de la taille du Québec, il y a désormais une surmultiplication d'institutions et de programmes dont nous avons par ailleurs du mal à assurer le financement adéquat dans un contexte budgétaire promis à demeurer difficile pour longtemps. Nous réclamons en conséquence un moratoire sur la création de nouvelles sociétés, régies, offices, etc.»21 ] D'une manière plus générale «les entreprises québécoises réclament plus de simplicité, plus de clarté dans leurs rapports avec l'État».22 ]

Dans d'autres domaines, on demande au gouvernement la mise en place de mesures de resserrement. Ainsi dans le domaine de l'enseignement, on dénonce le laxisme. Selon le Président de la Chambre de commerce du Québec, l'année scolaire de 180 jours au secondaire est nettement trop courte; il souligne qu'au Japon le calendrier scolaire compte 243 jours et 226 jours en Allemagne. Les conséquences: une formation déficiente pour les jeunes et des entreprises qui ne parviennent pas à recruter des gens qualifiés.23 ] Dans le même sens on propose de pénaliser les collégiens qui prendraient trop de temps pour compléter leurs études collégiales. Le C.P.Q. propose aussi des mesures de contrôle: «Il faut s'assurer que ce n'est pas la revue l'Actualité qui fait l'évaluation des cégeps: ça prend beaucoup plus que ça.»24 ] Le nouveau président de la Chambre de commerce du Québec, Yvon Marcoux, tient un propos fort semblable au sujet de l'éducation: «Nous sommes en train de préparer une génération d'analphabètes fonctionnels, incapables de remplir adéquatement les emplois des usines de l'an 2000, et voués à des salaires au seuil de la pauvreté ou à l'assistance sociale.»25 ] Au nom des 225 Chambres de commerces qu'il représente, Monsieur Marcoux dénonce le manque de concertation entre les efforts gouvernementaux en matière de formation et les besoins des entreprises.

Un resserrement s'impose aussi du côté de la Commission de la santé et de la sécurité au travail que la Chambre de commerce du Québec a qualifié de «horrifiante». Il faut adopter des mesures plus contraignantes dans l'objectif de réduire les coûts. Selon le patronat, il s'agit d'un «... autre cas d'espèce où l'on paraît avoir laissé la machine hors contrôle puisque les prestations montent en flèche pendant que le nombre d'accidents diminue!»26 ] Le Québec, soutient le Conseil du patronat du Québec, est «... la seule province qui ne contrôle pas le médecin traitant.»27 ] Lorsque la C.S.S.T. proposa d'augmenter de 31% les cotisations des employeurs, il ne faut pas s'étonner que le patronat y ait vu une volonté de «faire crever nombre d'entreprises»... «Ça frise la catastrophe» ont-ils ajouté.28 ] En juin, Ghislain Dufour n'a pas mâché ses mots à propos d'une éventuelle augmentation du taux de cotisation à la C.S.S.T.: «Je vais me faire lyncher si j'essaie de vendre ça à mes membres. Je vais péter un paquet d'entreprises.»29 ] Selon Frédéric Wagnière, éditorialiste à La Presse, la solution qui s'impose est celle-ci: «Pour mettre fin aux abus, le gouvernement doit donner le pouvoir décisionnel à ceux qui ont la principale responsabilité pour la C.S.S.T., ceux qui la financent: les patrons.»30 ]




Le rapprochement des solitudes

L'année 1992 en fut une de concertation entre les classes d'affaires francophone et anglophone et ce, à un double niveau.

La concertation s'est d'abord manifestée par la fusion du Board of Trade, créé en 1822, et de la Chambre de commerce de Montréal née en 1887. Longtemps concurrentes, ces organisations ont décidé en 1992 d'unir leurs forces: «On cohabitait sans se parler, soutient Luigi Liberatore du Board of Trade. On va maintenant bâtir, semer l'avenir. On va montrer la voie aux politiciens qui essaient de gagner en assommant l'autre... La confrontation politique n'a donné que des fruits amers».31 ] Jean Guilbault, de la Chambre de commerce, est du même avis: «... les gens d'affaires ont redécouvert l'intérêt du dialogue entre eux».32 ] Un conseil composé d'une trentaine de personnes, une organisation de presque 50 employés permanents, un membership combiné de 10 000 adhérents et un budget de 5 millions$, voilà les cartes que ce nouvel organisme compte bien jouer en vue de contribuer au redressement économique de Montréal. Le projet était discuté depuis près d'une dizaine d'année, ce n'est cependant qu'en 1992 que les discussions ont abouti à une entente ferme. Signe des temps, le nouveau président de l'organisme, est nul autre que Bernard Roy, premier secrétaire du Premier ministre Mulroney de 1984 à 1988. On compte bien que ses contacts lui seront utiles pour défendre les intérêts de Montréal à propos de l'accord Canada/ États-Unis/ Mexique, des difficultés des transporteurs aériens (Air Canada et Canadien), et du TGV. Selon l'ex-ambassadeur du Canada aux Nations Unies les gens de la Chambre de commerce ont fait un «coup de maître» en choisissant Bernard Roy. Mario Bertrand, actuellement de TVA, et ex-chef de cabinet de Robert Bourassa, est aussi très optimiste: «Il va choisir ses batailles et il va les gagner.»33 ]

Cette concertation patronale n'est pas strictement montréalaise ou québécoise. Ainsi les gens d'affaires de Montréal et de Toronto ont mis de côté leurs vieilles querelles pour présenter un mémoire conjoint à la Commission Beaudoin-Dobbie. La décentralisation fut au coeur de leurs recommandations: «Le gouvernement fédéral ne doit pas avoir le pouvoir de lancer de nouveaux programmes pan-canadiens sans l'approbation de l'ensemble des provinces. Car ce sont les régions qui peuvent le mieux articuler le développement économique.»34 ] Selon eux, la culture et la main-d'oeuvre doivent être assumées d'une manière nettement prédominante par les gouvernements provinciaux. «L'initiative doit venir des régions. Le rôle du gouvernement fédéral doit se limiter à celui de coordination.»35 ] Cette nouvelle alliance entre Montréal et Toronto est imposée par l'environnement international: «C'est simple, la globalisation des marchés et la concurrence étrangère font qu'on a besoin l'un de l'autre. On ne peut pas livrer bataille sur tous les fronts.»




Pour en finir avec le dossier constitutionnel

Le dossier constitutionnel a également préoccupé la classe d'affaires mais très souvent à contre coeur. Le sentiment qui fait l'unanimité peut être résumé ainsi: réglons le dossier rapidement. Richard LeHir concluait ainsi un article intitulé «Victoire à la Pyrrhus ou lendemains qui déchantent»: «On voit donc combien il serait important, pour un camp comme pour l'autre, de l'emporter de façon décisive, de façon à ce que le débat constitutionnel soit évacué pour au moins vingt ans, ce qui nous permettrait enfin d'appliquer nos énergies et notre savoir à faire autre chose que des affrontements débilitants.»36 ] Le Conseil du patronat est du même avis: «Ce qui importe actuellement, c'est de tourner la page du dossier constitutionnel pour s'occuper d'autres choses, dont les dossiers économiques.»37 ] Telle est du reste la seule phrase que le Conseil a pris soin de souligner dans son document intitulé «Un oui sans équivoque du C.P.Q.». La Chambre de commerce du Québec tient un propos identique. Dans son commentaire des premières propositions constitutionnelles fédérales, on y lit: «Il faut mettre un terme à l'incertitude politique pour bien des raisons, mais en particulier parce qu'elle nuit au climat des affaires au Québec et au Canada.»38 ] La participation patronale à la campagne référendaire fut remarquée.

C'est du reste dans cette perspective que la plupart des associations et des dirigeants d'entreprise se sont prononcés en faveur de l'entente de Charlottetown après avoir commenté les travaux des différentes commissions et conférences constitutionnelles qui se sont déroulées pendant la première moitié de l'année.

Au début de la campagne, la Banque royale a fait paraître une étude qui fut par la suite reprise par le Premier ministre Mulroney. On y annonçait que la souveraineté du Québec provoquerait la mise à pied de 700 000 personnes, une baisse de 18% du P.I.B. et une perte de revenu moyenne de 4 000$ pour tous les Canadiens en importance39 ] La Banque canadienne impériale de commerce a pris position dans le même sens. Selon son président, AI Flood, «... le plus petit indice d'instabilité peut semer la confusion sur les marchés financiers ...» Si le «Non» devait l'emporter, «... le pays continuera à dériver dans une mer de récriminations et de disputes politiques.»40 ] La Banque de Montréal a fait de même. Son président Matthew Barrett déclarait sans ambages: «Un vote pour le "Oui" serait tellement applaudi par la communauté internationale que la Banque du Canada aurait l'occasion de baisser ses taux.»41 ] Pour le camp du «Non», cette campagne en fut une de peur. On a jugé les propos d'irresponsables tout en estimant que l'impact de telles déclarations est aujourd'hui limité par la maturité économique des Québécois: «Les gens qui ont des postes importants dans les institutions financières devraient apprendre à se taire et cesser d'agiter des épouvantails! Les Québécois ont vieilli, ils ne marchent plus dans ce genre d'attitude!»42 ]

Parmi les gens d'affaires du Québec celui qui a cependant été le plus actif dans le dossier est sans nul doute, Claude Beauchamp, président du Regroupement économie et constitution. Autant il fut présent lors des tables rondes qui ont marqué l'année constitutionnelle, autant il s'est engagé à regrouper les entrepreneurs autour de l'entente de Charlottetown. Son discours est convergent: «L'incertitude constitutionnelle représente un frein à l'investissement et à la création d'emplois. De nombreux projets de modernisation et de recherche et développement ont été reportés dans l'attente des résultats du vote.»43 ]

Le soutien de la classe d'affaires au «Oui» a cependant parfois dépassé les cadres fixés par la Loi sur les référendums. Ainsi Laurent Beaudoin, de Bombardier a contrevenu à la loi en ajoutant aux chèques de paye des employés des extraits de l'une de ses allocutions en faveur de l'entente.44 ] La Banque laurentienne, les Magasins K-Mart et General Electric ont aussi fait l'objet de plaintes auprès du Directeur général des élections du Québec qui a qualifié d'«indécent» le geste.45 ]

Ce discours alarmiste n'a cependant pas fait l'unanimité. Pour l'Association des économistes, le résultat du vote aura peu d'impact. Selon la firme Salomon Brothers de New York le discours apocalyptique de la Royale n'est guère convainquant.46 ] La section québécoise de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante s'est réjouie d'apprendre que, suite à une enquête d'opinion, 73% des entreprises n'entendaient pas modifier leur plan d'investissements suite à une victoire du «Non».47 ] Selon la firme de courtage Lévesque, Beaubien, Geoffrion, une filiale de la Banque nationale, dont le rapport fut rédigé par le politologue Pierre Fournier, les conséquences d'une victoire du «Non» seront politiques.48 ] Même le Conseil canadien des chefs d'entreprises, pourtant favorable au camp du «Oui», a critiqué le discours prédisant la «catastrophe» aux Canadiens advenant un rejet de l'entente de Charlottetown.49 ]

Le Conseil du patronat du Québec n'a pas, quant à lui, dérogé de son orientation fédéraliste: Le Québec a «obtenu cette fois-ci du Canada anglais plus de choses que jamais... en tous cas plus qu'en 1982.»50 ] Le Conseil n'adopte pas pour autant la plate-forme libérale de jean Chrétien. Dès janvier, des signes de désaccords étaient visibles avec les libéraux fédéralistes. Si le Chef libéral revendiquait depuis plus d'un an la tenue d'un référendum national sur l'avenir constitutionnel du pays, le C.P.Q. mettait en garde, estimant que cette consultation était risquée; le tout, disait en somme le Conseil, peut se retourner contre les politiciens. «Le peuple est moins chicoté par la constitution que notre classe politique et journalistique.»51 ] L'avenir donnera raison au C.P.Q.

Quelques leaders de la classe d'affaires se sont par ailleurs prononcés pour le «Non». Il en va ainsi du président du Mouvement Desjardins, Claude Béland qui s'est exprimé «à titre personnel» et d'une manière très réservée en faveur du «Non».52 ] Cette prudence fort différente de l'attitude adoptée en 1990 n est qu'un symptôme de plus que le discours nationaliste très présent lors du débat à propos de l'accord du lac Meech a perdu du terrain au sein de l'élite économique québécoise. Alors que le concept de l'indépendance assortie d'une association économique avec le Canada recueillait 31% des appuis en février 1991, il avait dégringolé à 13% en juin 1992.53 ]

D'autres leaders patronaux se sont par ailleurs abstenus de dire «Oui» ou «Non». Ainsi le Président de l'Association des manufacturiers du Québec soutient que ses membres sont partagés. L'Association se considère ambivalente.54 ] Lorsqu'un chroniqueur du journal The Gazette accusa Richard LeHir de favoriser indirectement le «Non», il rétorqua: «Cette fois-ci, je trouve déplorable le procédé utilisé voulant que si tu n'es pas dans un camp, tu es forcément dans l'autre».55 ]

En somme 1992 fut une année de craintes ou de méfiance. L'environnement international et la restructuration de l'économie au profit des plus forts suscitent beaucoup d'inquiétudes au sein de la jeune classe d'affaires québécoise. Entre les lignes une trame apparaît dans le discours patronal. Elle peut être résumée ainsi: nous ne sommes guère prêts -les échecs retentissants des dernières années le montrent; la fiscalité des entreprises est trop lourde et les tracasseries gouvernementales sont trop nombreuses. Il importe d'unir les efforts et de mettre un terme aux éternelles querelles entre francophones et anglophones -aussi bien entre les organisations patronales qu'à l'échelle du pays.

On est également conscient qu'il faudra dans l'avenir être plus imaginatif. Nycol Pageau-Goyette, qui terminait en 1992 son mandat à titre de présidente de la Chambre de commerce de Montréal a tenu un discours marqué par l'urgence et la créativité. La métropole est dans un triste état. Il y a manifestement déclin. Elle prône une synergie des forces, une concertation autour d'objectifs communs: «Il ne faut pas éteindre la passion à Montréal, il faut la soutenir. Il ne faut pas bâillonner la créativité, il faut la libérer; elle doit éclater de partout.»56 ] jean Guibault de la Chambre de commerce de Montréal dressait le même portrait: «Cela me déprime de voir Montréal dans cet état là. Absence de vision, politiques morcelées, désindustrialisation du centre ouest ...»57 ]

L'avenir nous dira si les tendances de 1992 -souvent en continuité avec celles de 1991- donneront les fruits attendus.




Note(s)

1.  La Presse, 23 juillet 1992.

2.  La Presse, 23 décembre 1992.

3.  La Presse, 14 janvier 1993.

4.  Le Devoir, 9 juillet 1992.

5.  Le Devoir, 27 août 1992.

6.  La Presse, 29 décembre 1992.

7.  Le Devoir, 30 janvier 1992.

8.  La Presse, 23 décembre 1992.

9.  Le Devoir, 13 juin 1992.

10.  Le Devoir, 29 juillet 1992.

11.  Le Devoir, 11 juin 1992.

12.  Le Devoir, 29 octobre 1992.

13.  Le Devoir, 16 mai 1992.

14.  Le Devoir, 13 juin 1992.

15.  Le Devoir, 19 février 1992.

16.  Le Devoir, 15 janvier 1992.

17.  La Presse, 5 janvier 1992.

18.  Chambre de commerce du Québec, Réaction de la Chambre de commerce du Québec au projet de loi 412: Loi sur l'Office de la protection de l'environnement, 14 février 1992.

19.  Le Devoir, 12 février 1992.

20.  La Presse, 30 décembre 1992.

21.  Chambre de commerce du Québec, Mémoire annuel 1992, La compétitivité au Québec, 10 juin 1992, page 11

22.  Ibid, page 10.

23.  Le Devoir, 6 novembre 1992

24.  Le Devoir, 3 novembre 1992.

25.  Le Devoir, 28 septembre 1992.

26.  Chambre de commerce du Québec, Mémoire annuel, La compétitivité au Québec, 10 juin 1992, page 8.

27.  Le Devoir, 3 avril 1992.

28.  Le Devoir, 22 mai 1992.

29.  Le Devoir, 19 juin 1992.

30.  La Presse, 23 mai 1992.

31.  La Presse, 12 mars 1992.

32.  La Presse, 12 mars 1992.

33.  La Presse, 22 août 1992.

34.  La Presse, 4 février 1992.

35.  La Presse, 11 février 1992.

36.  Le Devoir, 23 avril 1992.

37.  Conseil du Patronat du Québec, «L'entente constitutionnelle du 22 août 1992: un oui sans équivoque du C.P.Q.», septembre 1992, page 4.

38.  Chambre de commerce du Québec, Position de la Chambre de commerce du Québec sur les propositions constitutionnelles fédérales, 27 janvier 1992. page 29.

39.  La Presse, 29 septembre 1992.

40.  La Presse, 28 septembre 1992.

41.  La Presse, 20 octobre 1992.

42.  La Presse, 30 septembre 1992.

43.  La Presse, 13 octobre 1992.

44.  La Presse, 20 octobre 1992.

45.  La Presse, 23 octobre 1992.

46.  La Presse, 14 octobre 1992.

47.  La Presse, 8 octobre 1992.

48.  La Presse, 21 octobre 1992.

49.  La Presse, 21 octobre 1992.

50.  Le Devoir, 11 septembre 1992.

51.  Le Devoir, 23 janvier 1992.

52.  La Presse, 15 octobre 1992.

53.  Sondage du C.P.Q., Le Devoir, 12 juin 1992.

54.  Le Devoir, 4 septembre 1992.

55.  Le Devoir, 12 septembre 1992.

56.  La Presse, 3 février 1992.

57.  La Presse, 29 mars 1992.