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Les budgets du Québec 1993-1994 et 1994-1995



André Blais
Université de Montréal

François Vaillancourt
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1993-1994

· Rubrique : Le budget



Dans nos examens antérieurs des budgets du Québec, nous avions présenté des comparaisons interprovinciales et intertemporelles des dépenses et des revenus du Québec. Cette année, nous présentons des tableaux rétrospectifs des budgets des gouvernements libéraux pour la période 1986-1994 qui portent sur les dépenses (tableau 1) et les revenus (tableau 2). (Voir p. 34 et suivantes)







À l'examen du tableau 1 on note les tendances suivantes:

Quant au tableau 2, on observe que la part de l'impôt sur les revenus des particuliers demeure de l'ordre de 42% pour toute la période sauf durant la récession de 1990-1991 et celle des taxes à la consommation est de 19%. Par contre, on observe une baisse importante des revenus tirés du tabac et dans une moindre mesure de l'alcool alors que les revenus tirés de Loto-Québec se maintiennent et ceux d'Hydro-Québec s'accroissent.



Le budget 1993

Les dépenses. Dans son dernier discours comme ministre des Finances, Gérard D. Lévesque annonçait des dépenses totales de 40,9 milliards de dollars pour l'année fiscale 1993-1994, une augmentation de 1% par rapport aux dépenses de l'année précédente, bien inférieure à la hausse anticipée du PIB (2,6%). Le ton est donc aux compressions budgétaires.

Le tableau 1 présente la répartition des dépenses par ministères et organismes. Le Conseil exécutif, le ministère des Finances et celui de la Main-d'oeuvre, Sécurité du revenu et Formation professionnelle voient leur part du budget total augmenter. Le Conseil exécutif voit ses crédits augmenter pour gérer le programme d'innovation technologique de la région de Montréal (dont les crédits passent de 10 à 30 millions); les fonds consacrés aux secrétariats à la famille et aux autochtones sont également haussés. L'augmentation du budget du ministère des Finances découle du service de la dette, qui atteint les 5J milliards de dollars. Par ailleurs, un budget de 4,4 milliards de dollars (hausse de 267 millions correspondant à l'arrivée de nouveaux bénéficiaires) est consacré à l'aide sociale. Finalement, les budgets alloués au développement et formation de la main-d'oeuvre augmentent de 50 millions.

Le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux reste à peu près stable, alors que celui de l'Éducation diminue de près de 200 millions, les crédits alloués à l'école publique primaire et secondaire et à l'université étant réduits de 98 et 65 millions respectivement (les cégeps ont 24 millions de plus). Mais l'essentiel des compressions budgétaires provient du gel annoncé des salaires pour deux ans à compter de juillet 1993 des employés des secteurs public et para-public, ainsi que des réductions des effectifs de la fonction publique.

Les revenus. Le budget prévoit des recettes totales de 36,7 milliards et un déficit de 4,1 milliards, en baisse par rapport au déficit de l'année précédente qui s'élevait à 5 milliards. Notons cependant que le déficit réel fut de 4,7 milliards.

Du total de 36,7 milliards, 20% (7,4 milliards) proviennent des transferts du gouvernement fédéral. Pour ce qui est des revenus autonomes, les deux sources les plus importantes demeurent l'impôt sur le revenu des particuliers et la taxe de vente. On note par ailleurs que les revenus provenant de la taxe de vente sont appelés à diminuer, sans aucune raison apparente sauf peut-être une hausse appréhendée de l'économie souterraine. Le même facteur serait responsable de la baisse des revenus provenant du tabac. Par contre, les revenus associés aux «amendes, confiscations et recouvrements» augmentent substantiellement, cela suite à la décision du gouvernement de puiser 675 millions en 1994 et 325 millions en 1995 dans la réserve de stabilisation de la Société de l'assuranceautomobile du Québec (SAAQ). La constitutionnalité de ce geste a été contestée devant les tribunaux, le premier jugement donnant tort au gouvernement.

Parmi les mesures les plus importantes annoncées par le ministre des Finances, citons: l'imposition des primes d'assurance-vie et des régimes d'assurance-maladie payées par l'employeur; l'assujettissement de l'ensemble des revenus à la contribution aux services de santé; l'abolition de la déduction pour revenu d'emploi; des réductions apportées au remboursement d'impôts fonciers; le plafonnement des actions que peut émettre le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec; et finalement la surtaxe de 5% sur l'impôt à payer excédant 5000$ et d'un autre 5% sur l'impôt excédant 10 000$.




Les réactions

On pourrait difficilement s'attendre à ce qu'un budget qui annonce des compressions budgétaires et des hausses d'impôt suscite des réactions très favorables. Et en effet le neuvième budget du ministre Lévesque a été reçu fort négativement dans l'ensemble, même par les milieux d'affaires, qui se montrent généralement positifs à l'endroit du gouvernement libéral, et qui lui ont cette fois réservé un accueil plutôt froid (Denis Lessard, La Presse, 21 mai 1993, A6). La seule exception notable est l'éditorialiste Alain Dubuc, qui félicite le ministre des Finances pour avoir présenté un budget courageux et honnête, ne faisant pas semblant d'assurer la relance à coup de magie (Alain Dubuc, La Presse, 21 mai 1993, B2).

Plusieurs mesures ont suscité des réactions très négatives. Le plafonnement des actions du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec a provoqué l'ire des syndicats. La décision de puiser dans la réserve de stabilisation de la Société de l'assurance-automobile du Québec a été vivement contestée par la Société, qui émettait dès le soir du budget un communiqué indiquant qu'elle prendrait tous les moyens «pour empêcher le ministre des Finances de s'approprier ces excédents qui appartiennent aux assurés» (Maurice Girard, La Presse, 21 mai 1993, A6). Mais la pire colère a été suscitée par le caractère rétroactif des hausses d'impôt. L'abolition de la déduction pour frais d'emploi et la surtaxe ont été prélevées à partir du 1er juillet mais ont dû être payées en double, parce qu'elles s'appliquaient à partir du 1" janvier. Même Alain Dubuc, qui avait été un des rares supporters du budget, s'est attaqué à cette façon de procéder, allant même jusqu'à donner à son éditorial sur cette question le titre précurseur de «La tricherie» (La Presse, 3 juin 1993, B2).




Le budget 1994

Les dépenses. Le gouvernement du Québec prévoit des dépenses totales de 41,7 milliards de dollars pour l'année fiscale 1994-1995, une augmentation de 1,8% par rapport aux réalisations de 1993-1994. Cette augmentation est inférieure au taux de croissance anticipé par le ministère des Finances du PIB (4%). Les dépenses représentent 25% du PIB québécois.

Le tableau 1 indique la répartition des dépenses par ministère annoncée lors des dépôts des crédits. Ce sont les postes «Conseil exécutif» et «Personnes désignées par l'Assemblée nationale» qui reçoivent les plus fortes augmentations (plus de 100%) des crédits. Ces deux postes ne comptent que pour 2% de l'ensemble des crédits. La croissance des crédits du Conseil exécutif s'explique par l'annonce du plan d'action économique en novembre 1993 et par la prise en compte de la part du Québec dans le plan fédéral d'infrastructure. Quant au poste dé l'Assemblée nationale il reflète les coûts de l'élection québécoise prévue pour 1994-1995.

Outre ces deux postes, la hausse la plus importante (20%) est celle des crédits des organismes relevant de la ministre déléguée à la Condition féminine et à la Famille. Cette hausse s'inscrit dans un ensemble de mesures visant les familles, à savoir une hausse du crédit d'impôt pour le deuxième enfant à charge et un ensemble de mesures visant les usagers des services de garde. Celles-ci incluent la transformation de la déduction pour les frais de garde en crédit d'impôt remboursable, et un accroissement de l'exonération financière pour les familles à faible revenu. Cela rend possible un accroissement des frais de garde le 1" octobre 1994 et donc le paiement par les usagers de salaires plus élevés aux éducateurs et éducatrices. À titre transitoire, le gouvernement verse pour six mois une subvention aux garderies pour hausser de 1$ l'heure ces salaires. De plus, on modifie légèrement le programme APORT et on met en place un crédit d'impôt remboursable pour frais d'adoption (maximum 1000$).

Les budgets des deux plus importants ministères croissent peu, surtout si l'on modifie les crédits pour tenir compte des mesures générales de réduction des dépenses (réduction de 2% de l'effectif des ministères et réduction des dépenses de fonctionnement non salariale de 30%) et des mesures spécifiques à ces deux ministères (réduction des transferts de 25 millions dans chaque cas) annoncés dans le budget. Plusieurs ministères (Conseil du trésor; Industrie, Commerce, Science et Technologie; justice; Charte de la langue française; Ressources naturelles; Revenu) voient leurs crédits réduits en terme nominal.

Le discours du budget annonce également un ensemble de mesures visant les personnes âgées, dont le maintien de l'universalité du crédit d'impôt pour l'âge, abolie lors du budget fédéral, l'introduction d'une mesure législative permettant aux personnes âgées de reporter leurs impôts fonciers et la création d'un crédit d'impôt pour les personnes de 65 ans et plus qui créent des emplois familiaux. Finalement, on maintient le crédit d'impôt à la formation. On élargit l'accès au programme des prêts et bourses et on amorce un appui gouvernemental à l'autoroute électronique.

Les revenus. Le budget présente des recettes totales de 37,3 milliards de dollars et donc un déficit de 4,4 milliards, en baisse par rapport à celui réalisé en 1993-1994 de 4,7 milliards mais en hausse par rapport à celui prévu pour 19941995 lors du budget 1993-1994. Le déficit représentera 2,7% du PIB.

Les transferts du gouvernement fédéral représentent 7,7 des 37,3 milliards de dollars, soit 20,7% des recettes totales. Ces transferts sont plus élevés que ceux prévus il y a deux ans suite à une bonification du programme de péréquation.

Pour ce qui est des revenus autonomes, on se doit tout d'abord de souligner la réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers de 0,5 milliard de dollars. Cette mesure est mise en place par une réduction d'impôt égale à 2% x [10 000 - Impôt à payer], est progressive et devrait bénéficier à 92% des contribuables imposables. Bien que cette réduction soit en vigueur pour l'année 1994, elle se reflétera dans les déductions à la source à partir du 1" juillet de façon rétroactive, ce qui en doublera l'impact pour six mois.

Un autre changement important est l'unification du taux de la taxe sur les biens et services à 6,5%, soit une réduction du taux sur les biens (8%), et une hausse pour les services (4%), ce qui abaisse les recettes de 144 millions de dollars.

Un changement important dans la composition des recettes est la réduction de la part tirée du tabac. En effet les recettes tirées du tabac sont passées de 585,8 millions en 19901991, leur sommet, à 164 millions en 1994-1995 et leur part des recettes autonomes de 2,25% à 0,55%

Finalement, on note une accélération des privatisations, ce qui pourrait accroître les revenus du gouvernement.




Les réactions

Lorsqu'on lit les réactions au dernier budget, le mot qui revient le plus souvent est «électoraliste». Il s'agit évidemment du dernier budget avant les élections provinciales et chacun s'empresse d'y voir des visées électoralistes. C'est dans cette perspective qu'est interprétée la décision de réduire les impôts plutôt que le déficit. Cette décision est décriée par les milieux financiers alors que les syndicats accusent le gouvernement de démanteler l'État québécois.

Pour ce qui est de l'opposition péquiste, elle reprend le thème d'un gouvernement épuisé, à court d'idées, et qui se livre à de vieilles tactiques électorales. Jacques Parizeau dit que «étant donné qu'il [le gouvernement libéral] s'embarque dans une campagne électorale, il ouvre les chantepleures à nouveau» (Le Devoir, «26 mars1994, A6). Encore une fois, l'éditorialiste Alain Dubuc se démarque par son ton exceptionnellement positif, qualifiant le budget de «modèle de dosage et d'équilibre, qui réussit à la fois à faire preuve de rigueur financière et à penser aux gens, et même à leur plaire, sans pour autant sombrer dans l'électoralisme racoleur» (La Presse, 13 mai 1994, 132). La réaction de Jean-Robert Sansfaçon est plus typique. Il accueille la diminution d'impôt avec soulagement mais note que cette baisse ne suffira même pas à effacer la moitié de la hausse décrétée l'année précédente «(Le Devoir, 13 mai 1994, A10).