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Demandes sociales et actions collectives



Pierre Hamel
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1993-1994

· Rubrique : Les mouvements sociaux



En 1993 et au début de 1994 le domaine du social a été la scène de plusieurs affrontements qui traduisent une tension accrue entre les citoyens les plus démunis et l'État. De fait, cela n'est pas sans liens avec un malaise grandissant, sur le plan social, entre les classes populaires et les groupes favorisés. Parfois ces affrontements s'inscrivent dans le prolongement de luttes entreprises antérieurement. À d'autres occasions, elles annoncent des conflits profonds qui risquent de prendre de l'ampleur au cours de la prochaine année, si ce n'est d'ici la fin de la décennie.

L'arrière-plan sur lequel se sont déroulés ces conflits est avant tout celui de la crise des finances publiques, avec ce qu'elle implique en termes de choix politiques et idéologiques en ce qui a trait à la gestion du social. En dernière analyse, c'est notre modèle de société qui est en cause. C'est ce que reflètent les demandes et les diverses formes d'action collective élaborées par de nombreux acteurs sociaux.

Ce sont les revendications et les modes d'action mis de l'avant par ces acteurs que nous considérons ici à partir de trois rubriques générales: (1) fiscalité et taxes; (2) défense des droits sociaux; (3) environnement, aménagement et enjeux régionaux.



Fiscalité et taxes

La crise des finances publiques s'est exprimée de diverses manières. Si elle a conduit le gouvernement provincial à geler les salaires des fonctionnaires et à sabrer dans certains programmes sociaux, elle s'est aussi répercutée dans la redéfinition du partage des responsabilités entre les municipalités et le gouvernement provincial. De plus, cela a entraîné certaines modifications à la fiscalité municipale, permettant aux administrations municipales d'obtenir des revenus compensatoires. Dans le cas de Montréal, cela a eu pour conséquence que les propriétaires d'immeubles non résidentiels ont dû acquitter dès le mois de mars 1993 une surtaxe municipale (taxe d'eau et de services) pour l'ensemble de leur immeuble - y inclus les locaux vacants -, ne recevant de remboursement pour ceux-ci qu'au début de l'année suivante.

C'est ce qui a poussé plusieurs contribuables à mettre sur pied l'Association des propriétaires d'immeubles commerciaux de Montréal dont l'objectif était de contester le nouveau régime fiscal de la ville de Montréal. Ainsi, au cours de 1993, l'Association a organisé pas moins de 13 manifestations publiques dont la majorité s'est tenue devant l'hôtel de ville.

chaque fois, les leaders de l'Association ont demandé l'abolition de la surtaxe et ont dénoncé la gestion faite par l'administration Doré-Cousineau. À plusieurs occasions, ces manifestations ont regroupé des centaines de petits commerçants et de sympathisants en colère, donnant lieu à quelques reprises à des affrontements avec les policiers. Au mois de mars, les manifestants ont même réussi à provoquer l'annulation d'une séance du conseil municipal (Le Devoir, 2 mars 1993).

De plus, l'Association s'est engagée dans une contestation juridique en Cour supérieure, invoquant le caractère «déraisonnable, inéquitable et discriminatoire» (La Presse, 11 mars 1993) du règlement municipal en cause. On soutenait aussi qu'à certains égards, cette nouvelle disposition fiscale violait l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Même si le juge de la Cour supérieure a donné raison aux dix petits propriétaires qui s'étaient engagés dans cette contestation juridique en invalidant le règlement municipal, déclarant « inconstitutionnelle la surtaxe sur les immeubles non résidentiels» (La Presse, 20 octobre 1993), cela ne réglait pas pour autant le conflit. En effet, après avoir décidé de reporter la cause devant la Cour d'appel du Québec, le ministre des Affaires municipales a conseillé aux municipalités de «continuer à percevoir la surtaxe sur les immeubles non résidentiels» (La Presse, 20 octobre 1993). Cela a eu pour conséquence de politiser davantage le conflit. Dépassant le cadre d'un mouvement poujadiste, il a mis en cause le partage des responsabilités fiscales à l'intérieur de l'administration publique, plus précisément entre le gouvernement du Québec et les municipalités.

C'est aussi pour lutter contre les taxes que s'est mis sur pied, il y a quelques mois, le Mouvement pour l'abolition des taxes réservées aux cigarettes (MATRAC). Formé autour d'un regroupement de petits détaillants en alimentation, ce groupe de pression a obtenu des appuis indirects de la part de l'Association des détaillants en alimentation du Québec, laquelle reçoit un «soutien financier des compagnies de tabac» (La Presse, 27 janvier 1994). C'est dans le but de forcer les gouvernements à abolir les taxes spéciales sur le tabac que le MATRAC a organisé en janvier dernier dans plusieurs villes des opérations de vente de cartouches de cigarettes à 20$ l'unité.

S'il est vrai que la hausse des taxes a permis entre 1982 et 1992 de réduire de 40% la consommation de cigarettes, elle a aussi donné lieu à la formation d'un important marché de contrebande qui transitait en très large partie par la réserve d'Akwesasne (Le Devoir, 15 février 1994). Contrebande, que la GRC et la SQ n'ont pas été en mesure d'enrayer et qui, selon le gouvernement du Québec, pourrait faire perdre en 1993 jusqu'à 150 millions de $ de taxes non perçues. Ainsi, choisissant de repousser à plus tard les débats de fond sur l'environnement, la santé et les valeurs sociales, d'un commun accord, les gouvernements fédéral et provincial ont voté, à la mi-février, en faveur d'une réduction draconienne des taxes sur le tabac.

Cette décision ne contribue pas à l'élaboration d'une culture du débat public et du consensus qui s'avère pourtant indispensable si nous voulons apprendre à mieux résoudre, en tant que société, des problèmes controversés. Cette lacune s'est d'ailleurs manifestée avec beaucoup d'acuité autour d'un certain nombre d'enjeux relatifs aux droits sociaux. Mais là aussi resurgit, parfois en filigrane, la question de la fiscalité sous l'angle d'un partage des ressources publiques, faisant émerger, par la même occasion, le problème d'une certaine équité.




Droits sociaux

À ce sujet, c'est d'abord par rapport à l'aide sociale que les résistances aux réformes étatiques ont été les plus vives. Ainsi, au début de 1993, une série de manifestations publiques ont été organisées par le milieu syndical et par le milieu communautaire afin de contrer le projet de réforme du régime d'assurance-chomâge mis de l'avant par le ministre de l'Emploi et de l'Immigration. Cependant, en dépit d'une opposition sociale très forte qui a eu recours à plusieurs moyens d'action - ainsi, au début du mois de février 1993, quelque 45 000 manifestants ont marché dans les rues de Montréal pour dénoncer la politique gouvernementale -, le projet n'en a pas moins été adopté par le gouvernement conservateur en avril 1993. La réforme entraîne des pénalités pour ceux et celles qui quittent leur emploi pour des raisons considérées non valables par la loi, contribuant par le fait même à augmenter sensiblement le nombre des assistés sociaux au Québec (La Presse, 6 février 1993). En janvier 1994, on estime que les nouvelles dispositions de la loi auraient «privé jusqu'à maintenant près de 7000 Québécois de prestations» (Le Soleil, 30 janvier 1994).

Dès janvier 1994, le nouveau ministre du Perfectionnement des ressources humaines, Lloyd Axworthy, a par ailleurs annoncé une réforme en profondeur du filet de sécurité sociale canadien à l'exception du régime de pension (programmes d'assurance-chômage, d'aide sociale, de formation et d'emploi et d'aide aux étudiants): «l'un des objectifs de cette vaste réforme vise à briser le cycle de dépendance des prestataires à l'égard de l'assurance-chômage et de l'aide sociale.» (Le Soleil, 2 février 1994) De plus, cette réforme propose de reconsidérer le partage des responsabilités entre Ottawa et les provinces en matière de sécurité sociale.

Pour l'instant, toutefois, il ne s'agit là que d'intentions politiques qui n'apportent pas de solutions concrètes à celles et ceux qui s'appauvrissent ou qui vivent déjà en deçà du seuil de pauvreté. C'est pourquoi l'ensemble des associations qui se portent à la défense des droits des assistés sociaux ont choisi de poursuivre leurs revendications. Ainsi, le Front commun des personnes assistées sociales du Québec - porte-parole d'une quarantaine d'associations - a décidé, en février dernier, de contester devant la Cour supérieure «la conformité de la loi de l'aide sociale avec les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne» (La Presse, 5 février 1994). Le Front commun demande d'abolir deux dispositions considérées comme discriminatoires: (1) la réduction de 100$ par mois pour les assistés sociaux qui partagent leur logement; (2) la non-application des lois du travail pour celles et ceux qui trouvent un emploi, soit dans un milieu de travail conventionnel, soit en milieu communautaire.

Le 12 mars dernier, alors que le Parti libéral du Québec tenait son congrès à Montréal au Palais des congrès, plus de 2000 manifestants sont venus exprimer leur opposition aux politiques d'austérité du gouvernement libéral. Prévue par une coalition d'organismes syndicaux et populaires, la manifestation venait couronner le Forum de la solidarité sociale, organisé par la coalition à la place Bonaventure au même moment que le Parti libéral était en congrès. Ce Forum, qui proposait un nouveau regroupement des forces sociales, avait pour objectif de suggérer des solutions de rechange aux politiques néo-libérales de l'État. Dénonçant l'ensemble des choix budgétaires et fiscaux du gouvernement libéral, la coalition revendiquait avant tout une «véritable politique d'emploi» (Le Devoir, 14 mars 1994).

C'est dans un esprit similaire que le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) a tenu plusieurs manifestations pour sensibiliser l'opinion publique concernant la décision du gouvernement fédéral, dans son budget de 1993, d'abandonner son programme d'aide à la construction de logements sociaux. De plus, au cours de la campagne électorale de l'automne dernier, les membres du FRAPRU ont installé un campement provisoire en face du quartier général du Parti progressiste-conservateur à Ottawa, réitérant leurs revendications pour le maintien du programme fédéral de subvention des logements sociaux.

Après les élections, dès janvier 1994, le FRAPRU a dû poursuivre ses manifestations pour rappeler au nouveau gouvernement les engagements du Parti libéral au cours de la campagne électorale. En effet, celui-ci avait promis d'«assurer un financement sûr et stable au secteur d'habitation coopératif et sans but lucratif » (La Presse, 23 janvier 1994). Ce qui, en janvier et février derniers, était loin d'être acquis.

En outre, les restrictions budgétaires et les réformes gouvernementales n'épargnent pas les autres domaines du social. Concernant l'enseignement collégial, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science, Lucienne Robillard, a entrepris en 1993 une réforme ayant pour objectif d'améliorer la performance des cégeps, notamment en ce qui a trait à la durée des études. Parmi les mesures prévues qui visent le renouveau de l'enseignement collégial, on retrouve l'introduction d'un ticket «accélérateur» pénalisant les retardataires. En effet, la réforme introduit des droits variables (autour de 50$ en moyenne) perçus pour les cours à réussir - requis pour l'obtention du diplôme collégial -, après sept échecs dans un programme de formation technique et après cinq échecs dans un programme de formation préuniversitaire.

C'est principalement contre cette mesure que se sont mobilisés les cégépiens dès le mois de mars en organisant des grèves sporadiques, des journées d'étude et plusieurs manifestations publiques. La plupart de ces actions ont été pilotées par le Bureau d'information et de communication de la coalition collégiale (BICCC), issu d'un regroupement de 22 associations étudiantes collégiales. Toutefois, en dépit des nombreux moyens de pression auxquels les étudiants ont eu recours, cela n'a pas empêché la ministre de faire adopter son projet de réforme.

Depuis plusieurs années, les groupes d'éducation populaire doivent se mobiliser pour défendre leur spécificité et conserver le financement gouvernemental essentiel à l'accomplissement de leur mission. Cette fois, semble-t-il, le nouveau ministre de l'Éducation s'apprête à modifier le programme de soutien à l'éducation populaire autonome, en proposant son démantèlement pour en remettre la gestion à différents ministères. Cela pourrait entraîner la «disparition progressive des approches spécifiques développées en éducation populaire» (B. Vallée, Programme de soutien à l'éducation populaire autonome, Montréal, ICEA, 1994, p. 2). C'est pourquoi en février dernier l'Institut canadien d'éducation des adultes a entrepris une campagne de sensibilisation et de mobilisation des groupes en éducation populaire.

Pour leur part, à partir du printemps 1993, les travailleuses en garderie ont réitéré leurs revendications pour l'amélioration de leurs conditions salariales. L'an dernier, «le salaire moyen des éducatrices en garderie [était] de 9,30$ l'heure» (Le Devoir, 26 mai 1993). Même si toutes les parties concernées (Office des services de garde, directions de garderies, monitrices, parents, ministre déléguée à la Condition féminine et à la Famille) sont d'accord pour reconnaître que les travailleuses en garderie sont nettement sous-payées, dans le contexte de restrictions budgétaires, l'État demeure réticent à dégager de nouveaux fonds (Le Devoir, 22 avril 1993). C'est afin de faire pression sur le gouvernement que les garderies affiliées à la FAS-CSN ont tenu quelques journées de grève et ont organisé des manifestations publiques. Ces grèves ont affecté plus de 70 garderies au Québec, 50 dans la région de Montréal.

En février de cette année, après quelques mois de répit, les travailleuses en garderie sont revenues à la charge. Malgré les subventions de 6,5 millions promises à l'ensemble du réseau par le gouvernement du Québec, les travailleuses en garderie n'étaient pas toutes convaincues que ce montant était suffisant. Au moment d'écrire ces lignes, les garderies affiliées à la FAS-CSN poursuivaient d'ailleurs leur mouvement de grève.

Par ailleurs, dans plusieurs autres domaines, des associations et des groupes sociaux ont choisi de s'exprimer sur la place publique pour se porter à la défense de leurs droits. Ainsi, en ayant recours à divers moyens d'action, les mouvements féministes ont poursuivi la sensibilisation de l'opinion publique concernant la violence faite aux femmes. De leur côté, les Centres de femmes du Québec ont rappelé en 1993 au premier ministre du Québec qu'ils ne pouvaient plus survivre avec les coupures effectuées par le Conseil du trésor (Le Devoir, 4 mai 1993) dans les subventions additionnelles promises aux organismes communautaires par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Enfin, le groupe Naissance-Renaissance, un regroupement provincial de parents qui «travaillent à l'humanisation de la naissance et de la périnatalité» (Le Devoir, 17 avril 1993), a organisé, dans plusieurs régions du Québec, des manifestations d'appui aux sages-femmes pour la reconnaissance et l'exercice de leur pratique en vertu de la Loi sur la pratique des sages-femmes dans le cadre de projets-pilotes. En fait, les sages-femmes ont rencontré beaucoup de résistance de la part des médecins qui disaient craindre que l'on «autorise des projets-pilotes dans des milieux sans surveillance médicale» (La Presse, 10 mars 1993).




En juin 1993, les handicapés descendent dans la rue à leur tour pour décrier l'insuffisance des soins à domicile.

En juin 1993, les handicapés ont décidé de descendre dans la rue pour rappeler l'insuffisance des soins à domicile. De fait, 176 Montréalais et Lavallois étaient alors sur une liste d'attente afin de recevoir les soins appropriés à leur état de santé. Contrairement à ce qui avait été promis par la réforme Côté, les handicapés ne reçoivent toujours pas les soins correspondant à leurs besoins: «pour répondre à la demande, les manifestants implorent le ministère de la Santé et des Affaires sociales d'injecter 1,5 million de dollars supplémentaire.» (La Presse, 17 juin 1993) De fait, ce problème ne constitue que la pointe de l'iceberg, comme l'a rappelé en 1992 le rapport de la Commission consultative sur la situation des personnes handicapées au Québec. La revendication d'un débat public large sur le financement socio-sanitaire, capable de prendre en compte à la fois les soins curatifs et la réadaptation, demeure plus que jamais à l'ordre du jour.

Sur le plan environnemental, l'action sociale s'est poursuivie en 1993 et 1994 autour d'enjeux majeurs qui ont déjà retenu l'attention publique dans le passé comme le projet de Grande Baleine, ou autour de nouveaux projets, de moindre envergure, comme celui de la construction d'un barrage hydro-électrique sur la rivière Sainte-Marguerite entre Sept-Îles et Port-Cartier. Mais les enjeux environnementaux surgissent aussi en milieu urbanisé ou dans leur périphérie immédiate. Deux exemples peuvent illustrer cette réalité.

Le premier exemple est celui d'une démarche de concertation pour contribuer à reconstruire l'écosystème du lac Saint-Louis, dont la contamination atteint un seuil critique. Plusieurs citoyens ainsi que des groupes environnementaux et des entreprises se sont en effet réunis à la fin du mois de mars 1994 à Beauharnois pour amorcer l'élaboration d'un plan de restauration du lac Saint-Louis qui servira à encadrer l'action des trois paliers de gouvernement. Dirigé par Stratégies Saint-Laurent, une coalition de groupes environnementaux, l'exercice a déjà permis d'identifier une vingtaine d'objectifs prioritaires autour de trois axes majeurs: arrêt complet des pollutions industrielles et agricoles, renaturalisation des berges et des milieux humides riverains, contrôle du débit du fleuve (Le Devoir, 28 mars 1994). Le deuxième exemple est celui du projet de privatisation de la gestion des parcs et réserves fauniques du Québec par le ministre de l'Environnement et de la Faune. Plusieurs groupes (dont l'Association des biologistes du Québec, le Fonds mondial pour la nature et l'Union québécoise pour la conservation de la nature) ont demandé un moratoire à ce sujet. Ce projet menacerait, selon eux, la «philosophie» qui a caractérisé la «constitution du réseau des parcs» (Le Devoir, 16 février 1994).

Pour leur part, recevant des appuis d'importants groupes écologistes comme le Sierra Club, les Cris ont poursuivi leur lutte au projet de développement hydro-électrique de Grande-Baleine. En janvier 1994, ils ont déposé devant la Cour d'appel de l'État de New York une demande pour «forcer la New York Power Authority (NYPA) à effectuer une évaluation des impacts qu'aurait le contrat de 800 mégawatts qu'elle négocie présentement avec Hydro-Québec sur l'environnement de l'État» (Le Devoir, 29 janvier 1994). Cette demande, à cause des délais qu'elle entraîne, a conduit la NYPA a revoir sa position relative à ce contrat. Une décision devrait être rendue avant la fin de mai. Habituée à subir les foudres des groupes écologistes, Hydro-Québec commence néanmoins à recevoir des appuis de certains d'entre eux. Ainsi, la mise sur pied l'an dernier de l'Union pour le développement durable qui entend, entre autres, faire la promotion «des bienfaits environnementaux des exportations d'électricité» (Le Devoir, 15 mars 1993), permet d'élargir le débat en considérant les effets de l'hydro-électricité par rapport à d'autres filières énergétiques. C'est donc dire que la problématique environnementale autour du projet Grande-Baleine et des autres projets de développement hydro-électrique pourrait entrer dans une nouvelle phase. Cela ne justifie pas pour autant, compte tenu notamment du contexte actuel de crise des finances publiques, de passer sous silence les enjeux et les finalités des investissements que la société d'État entend faire dans les années à venir. Le débat de fond à ce sujet non plus n'est pas terminé!

Sur le plan de l'aménagement, la lutte entreprise par la Coalition pour l'avenir de l'Hôtel-Dieu en 1992, contre le déménagement de l'hôpital à Rivière-des-Prairies a connu pour ainsi dire en 1994 un dénouement heureux. C'est à une véritable épreuve de force à laquelle nous avons assisté pendant au moins deux ans entre, d'une part, le ministre de la Santé et des Affaires sociales, Marc-Yvan Côté, et, d'autre part, un mouvement d'opposition très large - incluant, entre autres, la ville de Montréal, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et l'Université de Montréal. Finalement, le nouveau premier ministre, Daniel Johnson, a mis fin à ce conflit en annonçant le 12 janvier dernier que le gouvernement avait décidé de construire un hôpital régional de courte durée dans le nord est de l'île et de rénover l'ancien hôpital de l'Hôtel-Dieu. On se trouve ainsi à ne pas encourager l'étalement urbain, à favoriser l'intégration du patrimoine architectural aux activités socio-économiques contemporaines et à renforcer une certaine synergie sur le plan des activités de recherche en médecine.

D'autres mouvements d'opposition à des projets d'aménagement ont également vu le jour au cours de l'année et demie écoulée. Cependant, ils ne sont pas parvenus à obtenir autant d'appuis que dans le cas précédent. Bien que pour des raisons esthétiques, environnementales et techniques, ces projets ont suscité quelques controverses, ils n'ont pas réussi à engendrer un consensus très large parmi les spécialistes. Il semble que, de ce fait, ces mouvements d'opposition ont connu beaucoup moins de succès. On peut penser ici à la relocalisation des HÉC dans le boisé Brébeuf à Montréal ainsi qu'à la construction du projet domiciliaire mis de l'avant par la Société d'habitation et de développement urbain de la Ville de Montréal (SHDM) dans le Faubourg-Québec en bordure est du Vieux Montréal.

Enfin, plusieurs mouvements régionaux sont intervenus en 1993 pour sensibiliser l'opinion publique et les dirigeants politiques à leurs problèmes de développement et à la détérioration des conditions de vie dans les régions. N'hésitant pas à bloquer des routes, à occuper des bureaux de poste, à occuper aussi des usines, les citoyens de plusieurs régions du Québec sont descendus dans la rue - allant jusqu'à fermer la ville dans le cas d'Amos - afin de s'opposer à des décisions gouvernementales qui entraînaient des coupures de services et des pertes d'emplois pour leurs localités. Que ce soit à Saint-Clément, à Port-Cartier, à Amos, à Rouyn-Noranda, aux Méchins, à Saint-Honoré dans le Saguenay ou à Drummondville, les citoyens ont eu recours à l'action directe pour faire connaître leur opposition aux décisions gouvernementales. La plupart de ces manifestations ont fait état de la dépendance des régions face aux transferts gouvernementaux, rappelant les disparités du développement régional. Cela a d'ailleurs conduit, en septembre 1993, les élus locaux ainsi que l'Union des municipalités régionales de comté (UMRCQ) à réclamer l'organisation d'une conférence nationale sur la décentralisation, pour discuter de la question d'un nouveau partage des responsabilités entre le gouvernement provincial et les municipalités (La Presse, 11 septembre 1993). De fait, cette revendication ainsi que toutes les manifestations précédentes qui la motivaient réagissaient de prime abord aux rationalisations administratives élaborées dans un contexte d'austérité financière par les gouvernements supérieurs. La crise des finances publiques n'épargne pas non plus les régions.