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L'élection provinciale de septembre 1994



Gilles Lesage
Le Devoir


L'année politique au Québec 1993-1994

· Rubrique : Les élections et les référendums



Jacques Parizeau l'a assez dit et répété: l'élection générale de septembre dernier au Québec constituait pour lui la seconde période d'un match politique qui, comme au hockey (l'image n'est pas fortuite, l'un et l'autre étant les deux sports favoris des Canadiens), prendra fin normalement avec la troisième période. Ayant remporté les deux premières - le rejet massif de l'Entente de Charlottetown et l'envoi, tout aussi imposant, de 54 députés du Bloc québécois à Ottawa, formant ensemble le premier tiers, suivi du second, l'élection d'un gouvernement souverainiste - le président du Parti québécois n'a aucune raison de douter que le tiers référendaire, le plus crucial et qui fait foi de tout le reste, ne sera pas également couronné de succès, quelque part au deuxième semestre de 1995. jamais deux sans trois? Sans remettre en cause la pertinence de cette métaphore - qui peut prédire l'issue d'un match engagé aux deux tiers, quel que soit par ailleurs l'avantage ou le désavantage numérique de l'une et l'autre équipe? - une autre vient spontanément à l'esprit: celle d'une répétition générale. La mise en scène est bien rodée, les comédiens connaissent bien leur rôle, décors et éclairage sont au point, c'est le moment privilégié pour relever les faiblesses, combler les lacunes. Le succès ou le four du lendemain dépendent de ces ultimes ajustements, sans lesquels tout le reste n'est qu'ombres et mirages. Avant, pendant et après... Depuis janvier dernier, en tout cas, les deux chefs qui courtisent assidûment les Québécois ont des options claires et précises, des convictions profondes. Pour reprendre une autre expression favorite du nouveau premier ministre, si le PQ est, depuis qu'il le dirige, souverainiste avant, pendant et après les élections, on peut en dire autant, à l'inverse, du Parti libéral du Québec. Il est résolument fédéraliste avant, pendant et après les élections, depuis que Daniel Johnson a pris la relève de l'ondoyant Robert Bourassa. L'ancien et le nouveau chef du gouvernement ont ceci en commun que, sans qualificatif, sans des si ou des peut-être à l'infini, pour ainsi dire les yeux fermés, pour le meilleur et pour le pire, l'un est fédéraliste à tout crin, l'autre indépendantiste à toute épreuve. Sans conditions, depuis 25 ans. Il fallait être drôlement déterminé, il y a un an, pour prendre la direction d'un gouvernement essoufflé et vieilli arrivant au terme d'un deuxième mandat assombri par deux graves échecs constitutionnels, et par une récession tout aussi désastreuse. Pari périlleux. La tentation était grande pour M. Johnson d'étirer le mandat à la limite de cinq ans, de frapper quelques grands coups, de fermer temporairement le grand livre des revendications dites traditionnelles du Québec et de mettre l'accent exclusif sur la priorité des priorités: les emplois à tout prix. La relève n'a pas été aussi abondante qu'il l'aurait souhaité pour mettre fin à l'hémorragie de ministres et députés quittant un navire en perdition, mais M. Johnson n'a pas dévié de sa course. À l'exception de Yvon Charbonneau, ex-président de la CEQ, de quelques maires et de jeunes recrues valeureuses dans le West Island montréalais, le chef libéral n'a pu compter sur les forces fraîches qui lui auraient permis de battre les augures. Depuis une quarantaine d'années - en fait depuis Duplessis en 1952 - aucun gouvernement québécois n'a obtenu de troisième mandat. Mais il a surmonté un double et terrible handicap: l'insatisfaction généralisée et persistante - trois Québécois sur cinq - à l'égard du gouvernement sortant, et le besoin de changement, tout aussi viscéral, d'une solide majorité d'électeurs.



Canadien et Québécois... d'abord

Ce qui l'a servi le mieux tient à deux facteurs: sa popularité personnelle, plus grande que celle du chef péquiste, et la crainte du séparatisme d'un bon nombre de Québécois, jusqu'à 60% présume-t-on, tout comme il y a 15 ans. M. Johnson a usé habilement de ces deux éléments, se dégageant du mieux qu' il a pu du gouvernement sortant dont il a été un membre éminent, et accentuant sans ménagements les dangers et périls d'une autre aventure séparatiste sous la gouverne de M. Parizeau. Dans un premier temps, cela a donné le «Canadien d'abord et avant tout». Mais les Québécois rejetant autant le statu quo qu'un saut dans l'inconnu, M. Johnson a dû aussi emprunter, presque malgré lui, le «Québec d'abord» de son père. Et cela a donné une formule alambiquée et biscornue à souhait: «Si je peux concevoir, comme plusieurs, être Québécois sans être Canadien, je ne peux concevoir être Canadien sans être Québécois.» Toujours est-il qu'à transformer cette élection en «primaires» référendaires, les libéraux de M. Johnson ont obtenu, globalement, autant de suffrages, à quelques milliers de votes près, que les ardentes troupes péquistes. Ils ont perdu le pouvoir et ont désormais 30 députés de moins que le gouvernement à l'Assemblée nationale, mais l'opposition est la plus nombreuse depuis 1966, depuis que Daniel Johnson le père avait délogé, comté par comté, jean Lesage. Cette fois, le coude à coude libéral-péquiste, à moins de 45% chacun, annonce une bataille féroce et impitoyable. Car au référendum, il n'y qu'un Oui ou un Non, pas d'élus, que des électeurs, comptés un par un, pour et contre. M. Parizeau le sait mieux que quiconque, lui dont toute la vie politique est animée, depuis un quart de siècle, par la recherche de «la nécessaire souveraineté» du Québec. Cette passion dévorante, c'est elle qui l'a attiré vers le père fondateur du PQ, René Lévesque; elle aussi qui l'en a éloigné, il y a 10 ans, à cause du «beau risque» fédéral; elle encore qui l'a ramené aux affaires, fin 1987, après le putsch qui a chassé Pierre Marc Johnson et son «affirmation nationale». Depuis lors, sans coup férir, le chef péquiste a su rallier toute la mouvance indépendantiste, aussi bien les purs et durs que les fédéralistes fatigués ou déçus et les nationalistes de tout acabit qui rêvent du grand soir ou des lendemains qui chantent. Le Non de 56% des Québécois à Charlottetown, le Oui de 49% des Québécois au Bloc québécois, M. Parizeau les a cultivés et souhaités, entretenus et appuyés à fond. Cette double offensive victorieuse, menée tambour battant, a conduit au succès électoral de septembre dernier. Quels que soient les motifs de rejet des libéraux - dans un premier temps, selon la coutume, on chasse le gouvernement, dans un second, on choisit vraiment son remplaçant, si l'on en est satisfait - il n'en reste pas moins que M. Parizeau a mérité amplement de prendre la relève.




Grogne et besoin de changement

Sans atténuer les convictions qui sont les siennes, si ce n'est en déplaçant l'accent pour mieux tenir compte de l'humeur électorale, le chef de l'opposition a misé abondamment sur la grogne populaire et sur le besoin de changement que les sondages faisaient ressortir, les uns après les autres, depuis des mois, voire depuis la faillite de Meech et la crise autochtone de l'été 1990. Moins charismatique que René Lévesque, inspirant moins confiance que Daniel Johnson, Jacques Parizeau n'en a pas moins réussi à attirer autour de lui une relève abondante et compétente, composée de gens d'expérience dans divers domaines - à l'exclusion notable du milieu des grandes affaires, qui reste farouchement libéral - et de vedettes qui n'ont pas besoin de la politique pour se faire valoir. De l'Estrie à la Côte-Nord, en passant par l'Abitibi et le Saguenay, cela a donné une équipe aguerrie et fort respectable, qui se bouscule au portillon du pouvoir. La contrepartie, certes, c'est que ces étoiles, nombreuses au firmament péquiste, n'hésitent pas à intervenir sur les sujets de leur compétence, qu'il s'agisse de Diane Lavallée (Jean-Talon) ou de jean Rochon (Charlesbourg) en matière de santé, de Richard Le Hir (Iberville) à propos de la masse salariale et autres pommes de discorde. C'est une abondance d'idées et de projets dont tout leader devrait se réjouir, ce dont M. Parizeau ne s'est pas privé, tout en y mettant les bémols d'usage pour ne pas effaroucher des électeurs déconcertés. Il a aussi pris soin de ne pas se laisser distraire par les «Side shows» (selon sa propre expression) que la presse, toujours aux aguets des incidents et des controverses, privilégie durant les éprouvants marathons électoraux.




Plus simple et accessible

Sous ses allures de grand seigneur au-dessus de la mêlée, M. Parizeau n'a pourtant rien négligé pour se rapprocher du «monde ordinaire». Il a fait des efforts inouïs, et bien récompensés, pour se montrer plus simple et accessible, facilement abordable et à l'écoute des citoyens, que ce soit aux Îles-de-la-Madeleine, à Rouyn-Noranda ou à Magog. Il en est résulté, ici et là, quelques incidents mineurs qui, somme toute, ont révélé le président du PQ sous son meilleur jour: celui d'un homme qui est capable de faire face à la musique et de tourner à son avantage un événement impromptu. Autre caractéristique de cette interminable campagne: les promesses et engagements divers du PQ. Au début, le chef de l'opposition y allait si libéralement qu'on a pu le taxer de Père Noël estival, surtout pour son comté de L'Assomption et la région de Lanaudière, comblées de ses plus grandes faveurs. Prenant la mesure du gouffre qu'il élargissait -comment rétablir la confiance des gens en promettant mer et monde alors que les coffres étatiques sont désespérément à sec? M. Parizeau est revenu ensuite à plus de sobriété. Les engagements, inévitables, sont assortis de mises en garde prudentes: tout dépend de l'état des finances publiques et des inéluctables priorités, soumises à une imprévisible conjoncture. Autre élément dont le PQ a su, en tout état de cause, tirer le meilleur parti: la grande popularité du chef du Bloc et de l'opposition officielle à Ottawa. Sous prétexte de renvoyer l'ascenseur à M. Parizeau et de servir à son tour de «vedette américaine» aux péquistes qui ont fait sa campagne en 1993, Lucien Bouchard a fort habilement fait ressortir que le choix de septembre dernier portait d'abord et avant tout sur l'élection d'un gouvernement et sur «l'autre façon de gouverner», le choix d'un pays ne pouvant être enclenché que par vole référendaire. Calculée ou non, cette manoeuvre d'un politicien respecté et crédible a probablement eu beaucoup d'impact sur un grand nombre d'électeurs indécis, inquiets ou sceptiques. Mais comment mesurer l'importance, si indéniable soit-elle, de ce qu'on a appelé le virage de Joliette, le dimanche 7 août 1994?




Symphonie et.. débat des clips

Dès lors mieux accordés, les violons péquistes ont aimablement composé une symphonie agréable à une pluralité, sinon à une majorité d'électeurs désabusés et de contribuables désenchantés par la politique et ses artisans. Ce n'est pas l'un des moindres mérites de M. Parizeau et de ses fidèles lieutenants que d'avoir insisté, jour après jour, sur la nécessité de rétablir le lien de confiance entre les élus et les citoyens. À cet égard, sans y accorder la prééminence que d'aucuns lui prêtent abusivement, force est de reconnaître que le débat télévisé du 29 août a pu permettre aux indécis et aux sceptiques de se faire une idée sur les deux chefs, leur programme et leurs projets. Si prévisible et même aseptisé soit-il, cet exercice a fait ressortir à quel point MM. Parizeau et Johnson diffèrent, non seulement quant à leur option fondamentale et au sujet de l'avenir du Québec, mais aussi quant à la gouverne des affaires publiques et le rôle même de l'État, en cette fin de siècle et de millénaire. Point culminant d'une campagne dominée par le chassé-croisé des télécopieurs (la guerre des fax), le débat, prévisible dans ses moindres détails, n'en passera pas moins à la petite histoire. Comme il n'y en avait pas eu depuis 40 ans au Québec - en fait, depuis le duel en noir et blanc entre jean Lesage et Daniel Johnson, en novembre 1962 - et qu'il y avait depuis lors, à chaque élection, un sempiternel débat sur le débat, celui d'août 1994 servira désormais de modèle et de norme. Au grand plaisir des nombreux amateurs de capsules, de flashes et de vidéoclips, de soupirs profonds et de rhétorique enflammée... Sur fond de sondages à répétition et de coups de sonde ad nauseam.




Un mandat pour...

Qu'en est-il en ces lendemains d'élections pas comme les autres - mais en est-il qui soient ordinaires? Avec une confortable majorité de sièges, avec une pluralité de suffrages, si mince soit-elle, la victoire et le mandat de M. Parizeau sont incontestables. Mais pour quoi faire au juste? Le programme électoral du PQ - celui pour lequel il s'est battu, avec les inévitables circonvolutions - stipule en toutes lettres: «l'élection d'un gouvernement du Parti québécois signifiera notamment que la population du Québec a choisi de se doter d'un gouvernement souverainiste, c'est-à-dire d'un gouvernement qui aura le mandat de préparer l'accession à la souveraineté, d'en faire la promotion, de préparer et de tenir un référendum qui permettra de la réaliser.» À l'évidence, on l'a constaté dès le 12 septembre, «l'enclenchisme» est moins impérieux que le printemps précédent et, l'automne venu, la course à obstacles s'allonge démesurément. Victoire, où est ton triomphe? Mais encore? À la lumière des propos de M. Parizeau, des nuances de M. Bouchard (il faut débroussailler le terrain du référendum à venir!), des résultats mitigés du 12 septembre, force est de reconnaître que si le président du PQ a, sans conteste, le mandat de gouverner, celui d'enclencher la souveraineté est à tout le moins problématique et nébuleux. Au fait, ce mandat ambivalent ne ressemble-t-il pas davantage, comme un frère jumeau, à celui du 15 novembre 1976, fait d'insatisfaction généralisée et de besoin de changement, de prudente confiance et d'étapisme à toute épreuve? Pas de saut brusque dans l'inconnu, si séduisante soit l'aventure, la vieille sagesse populaire rappelant qu'on ne fait pas pousser une fleur en tirant dessus... Il est avec le ciel, fût-il modérément bleu, des accommodements, n'est-ce pas, aujourd'hui comme naguère et jadis?




Troisième ou quatrième voie?

Quoi qu'il en soit de cette lourde interrogation en forme de hantise, à ce moment crucial, ce sont deux chefs bien campés, typés et convaincus, qui se disputent la faveur électorale et, bientôt, référendaire des Québécois. MM. Parizeau et Johnson mettent en relief, une fois de plus, l'inévitable et cruel combat entre la tête et le coeur. Ils incarnent avec dignité et détermination les deux options qui, comme naguère et jadis, nous tiraillent et nous sollicitent. Il y en a encore plusieurs qui rêvent d'une hypothétique troisième voie, d'une improbable quatrième voie. On l'a bien constaté en septembre 1989. Les anglophones, mécontents de ce que le gouvernement Bourassa n'ait pas tenu ses promesses à leur égard, se sont alors taillés de toutes pièces un Parti Égalité. Partisans d'une seule cause, ces tenants du bilinguisme intégral, ces «anglocréditistes» (ainsi que les qualifia le confrère jean-V. Dufresne) ont réussi à faire élire quatre des leurs à l'Assemblée nationale. Mais ils se sont vite divisés, en quatre justement, au point que le Parti Égalité ne comptait plus qu'un représentant à la dissolution de la Chambre, en juillet 1994. Et il n'a Pas survécu à la vague libérale qui a, de nouveau, submergé le West Island montréalais. Le blues des Anglo-Québécois, ou leur fatalisme, de même que la perplexité des allophones, risquent de durer un bon moment encore. Clivage et polarisation obligent et perdurent, moitié-moitié, comme un fruit doux-amer. À l'heure des transitions, des réalignements et des choix fondamentaux, il n'y a guère de place pour les tiers et ceux qui préfèrent, si inconfortable que ce soit, rester assis entre deux chaises. À cet égard, le succès relatif de M. Mario Dumont et de ses candidats de l'Action démocratique du Québec - ils ont joué les trouble-fête ou les empêcheurs de tourner en rond, à deux, dans une vingtaine de comtés - est largement illusoire. L'élection du jeune chef Mario Dumont dans Rivière-du-Loup tient en bonne partie à sa personnalité et au courant de sympathie qu'il a suscité depuis sa présidence tumultueuse de la Commission jeunesse du PLQ. «Que l'ADQ ait ou non un avenir», ainsi que l'a écrit Lise Bissonnette (Le Devoir du 8 septembre 1994), «sa percée rappellera au Parti libéral du Québec qu'il y a un prix à payer quand on joue aussi cyniquement avec ses convictions. Et elle dira au Parti québécois qu'il n'a pas la possession tranquille et exclusive de la volonté populaire en matière de souveraineté. L'ADQ a un sens dans notre paysage politique, et il mérite de s'y faire une place.» Toutefois, même si Mario Dumont est bien en prise sur l'humeur québécoise, il n'a aucunement quelque chance que ce soit, du moins pour l'heure, de supplanter l'un ou l'autre des deux mastodontes qui s'apprêtent à s'affronter en duel. Durant la campagne et même après, les fidèles du PADQ pouvaient se prétendre ni fédéralistes ni indépendantistes, mais fermement accrochés à une voie Mitoyenne, qui permette à la fois au Québec de se développer comme bon lui semble tout en bénéficiant d'une nouvelle structure confédérale avec le reste du Canada. Un Québec souverain dans un Canada uni, quoi, comme dans la célèbre boutade d'Yvon Deschamps. C'est le genre d'arrangement que, dans la foulée du Rapport Allaire, un bon nombre de Québécois aimeraient pouvoir échafauder en toute liberté, s'ils en avaient la possibilité et le loisir. La tête et le coeur, les bretelles et la ceinture, la prudence viscérale et le risque fascinant. Mais c'est aussi le genre d'arrangement, illusoire et aléatoire, qu'ils savent hors de portée prévisible.




Ni panacée ni magie

À l'heure référendaire, il n'y aura de voix, et de vole, que pour le Oui et pour le Non, sous la férule de MM. Parizeau et Johnson. Y compris pour le député Dumont et ceux qui, à son instar, rêvent encore de reporter cette terrible échéance. De la même manière que les anglophones ont réintégré massivement le giron libéral, pour mieux faire face à la menace séparatiste, ainsi les francophones devront-ils, une fois de plus, se réfugier sous l'un ou l'autre parapluie référendaire. Comme il y a 15 ans. Cette fois, cependant, avec une question plus dure et directe: la vraie question, s'il n'en tient qu'au premier ministre et au gouvernement qu'il dirige. Quelque part au cours de 1995, et probablement plus vers la fin de l'année qu'autour de la Saint-Jean. Le «gros party» que prévoyait le premier ministre fédéral, Jean Chrétien, pour la Fête du Canada, ce sera donc pour 1996 et, selon le résultat, le 24 juin ou le 1" juillet... Les si et les peut-être retrouveront probablement droit de cité après ce grand rendez-vous. Toujours minoritaires, quoi qu'ils fassent et quelle que soit leur décision ou non de se donner un «pays normal», pour reprendre l'expression de M. Parizeau, le soir de son modeste triomphe électoral au Capitole de Québec, en proie à tous les tiraillements, en butte à des difficultés incessantes, les Québécois continueront de s'interroger, de s'inquiéter, de supputer, d'espérer. C'est ce combat qui les tient en vie, alertes et méfiants, confiants et inquiets tout à la fois. Ils se trompent amèrement ceux qui croient que le prochain référendum réglera, comme par enchantement, tous les problèmes fondamentaux qui agitent les Québécois.




Pas de panacée ni de magie

Le clivage entre les francophones et les autres ne s'envolera pas en fumée, pour un oui ou pour un non. Il y a même danger que le Québec en sorte encore divisé, voire cassé en deux. jusque et y compris au sein même des familles, tout comme en mai 1980. Cette fois, le consensus est-il possible? Qui sera le grand rassembleur pour cette troisième période? Le soir de la grande première - la deuxième en fait, à 15 ans d'intervalle -qui aura davantage inspiré confiance et suscité l'adhésion? Car, au-delà des deux grandes options, le pouvoir étant personnalisé à l'extrême, qui de Parizeau ou Johnson réussira-t-il à rallier la tête et le coeur des Québécois, à en faire enfin l'arrimage, si ardu et fragile soit-il, bref, à réconcilier des aspirations contradictoires?




Un Non désastreux

Tout le monde en convient facilement, un deuxième Non, en moins d'une génération, serait un désastre absolu. Cauchemar appréhendé, évitable, à proscrire à tout prix. Ce ne serait pas un retour à la case départ, mais un recul terrible. Pari périlleux. Reprenons l'image de M. Parizeau: les péquistes commencent la troisième période en désavantage numérique, commentait le professeur Vincent Lemieux, le lendemain de l'élection. Constatant que les deux mastodontes ont perdu à leur façon - le PLQ, le pouvoir; le PQ, moins de 50% des voix et moins de 45% des suffrages -, il se demandait même si le référendum aura bel et bien lieu en 1995. Question fort légitime. Toutes sortes de bonnes raisons pourraient permettre à Jacques Parizeau d'ajourner cet exercice solennel qu'il appelle pourtant de tous ses voeux. La plus impérieuse de toutes, c'est que le Québec ne doit pas, ne peut pas sans de graves dangers, se dire Non encore une fois.