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La vie parlementaire



Louis Massicotte
Université de Montréal


L'année politique au Québec 1993-1994

· Rubrique : La vie parlementaire



Au Québec en 1993-1994, la vie parlementaire a été dominée par l'annonce de la retraite politique du premier ministre Robert Bourassa, son remplacement à la tête du gouvernement du Québec par le président du Conseil du trésor Daniel Johnson, l'adoption d'une nouvelle législation linguistique et la perspective d'une élection générale portant sur la souveraineté du Québec, avec pour toile de fond une récession qui s'éternise et un chômage élevé.



La santé du premier ministre Bourassa

Le 8 janvier, un communiqué signé par le docteur Steven Rosenberg, du National Cancer Institute de Bethesda, révélait que M. Bourassa avait subi deux jours plus tôt l'ablation d'une tumeur à la cage thoracique, et qu'il subirait au cours des prochains mois un traitement expérimental à l'interleukine 2. Rentré de Miami quelques jours plus tard, le premier ministre déclarait vouloir travailler jusqu'à la limite de ses forces plutôt que de se retirer immédiatement malgré la résurgence du cancer qui l'avait frappé trois ans plus tôt, une décision appuyée par 69% des Québécois selon un sondage Gallup réalisé peu après. En février et mars, il subissait à Bethesda deux traitements majeurs. La nomination au Sénat de son plus proche collaborateur Jean-Claude Rivest en mars n'a fait que nourrir les spéculations. Le 7 avril, le premier ministre faisait une brève rentrée à l'Assemblée nationale et le 3 mai, il était déclaré en excellente santé par son médecin. D'autres examens subis en juillet n'ont indiqué aucune résurgence du cancer dans son organisme, et M. Bourassa a pu fêter son 60' anniversaire le 14 juillet.




Les tiraillements de la succession

Les spéculations sur la succession du premier ministre ont émaillé les huit premiers mois de l'année 1993. Malgré la solidarité de façade affichée par tous les ministres, divers prétendants se sont mutuellement accusés d'activer en sous-main leurs préparatifs de candidature avant même que la course ne soit déclenchée, au grand dam du premier ministre, qui a laissé savoir à quel point l'agaçaient ces «tiraillages de cour d'école». L'hospitalisation en mai de Lise Bacon, victime d'une embolie pulmonaire, suivie de celle de Claude Ryan pour cellulite en juin, et l'annonce de la maladie qui emporta plus tard Gérard D. Lévesque, s'ajoutant au cancer du premier ministre, ont accentué l'image de fin de régime qui prévalait depuis la défaite du référendum sur l'Accord de Charlottetown.

M. Bourassa a mis fin au suspense le 14 septembre, en annonçant qu'il se retirerait de la vie politique lorsque le Parti libéral lui aurait choisi un successeur. Il a invoqué des raisons familiales et soutenu que son état de santé n'avait pas joué dans cette décision. Sur un ton catégorique qui a surpris de la part d'un homme souvent jugé louvoyant sur de telles questions, il a déclaré lors de la conférence de presse annonçant son départ: «L'indépendance du Québec est un non-sens géopolitique. Un peuple doit avoir la politique de sa géographie.»

Doyen d'ancienneté des chefs de gouvernement au Canada, Robert Bourassa aura occupé la fonction pendant un total de 14 ans et six mois, ce qui fait de lui l'un des premiers ministres les plus durables de l'histoire québécoise après Duplessis (dont les deux mandats totalisent 18 ans), Taschereau et Gouin (plus de 15 ans chacun). Il est probablement le seul chef politique canadien en ce siècle qui, après avoir été défait comme premier ministre et abandonné la direction de son parti, ait retrouvé ces deux fonctions par la suite.

La guerre de succession n'a pas eu lieu, les principaux concurrents potentiels du ministre Daniel Johnson (les ministres Lise Bacon, Gérald Tremblay et Yvon Picotte) déclarant forfait l'un après l'autre. Deux facteurs paraissent expliquer ce dénouement plutôt rare pour un parti au pouvoir. Daniel Johnson avait pris sur ses concurrents une bonne longueur d'avance, attestée par sa relative popularité dans les sondages. Il a également profité d'un sentiment généralisé voulant que le successeur immédiat de M. Bourassa, quel qu'il soit, soit voué à subir une cinglante défaite aux prochaines élections, et que dans un tel contexte le plus habile est celui qui saura attendre son heure.

En l'absence d'adversaire, Daniel Johnson a été proclamé chef du Parti libéral du Québec lors d'une réunion de l'exécutif du parti à Québec le 14 décembre. Il a été convenu que la passation des pouvoirs s'effectuerait au début du mois de janvier 1994.

Bien que le courant de sympathie suscité par la maladie du premier ministre ait contribué à redresser temporairement la cote du Parti libéral, le choix d'un nouveau chef n'a pas entraîné de rebondissement significatif et immédiat. À la fin de l'année, le Parti québécois menait toujours dans les sondages. Durant tout l'automne, on a observé une véritable course à la fonctionnarisation au sein des cabinets politiques, s'accompagnant à l'occasion d'abus typiques des fins de régime.




Les élections partielles de 1993

Les deux élections partielles tenues en 1993 ont confirmé, après celles de Montmorency en 1991 et d'An)ou en 1992, l'impopularité grandissante du Parti libéral et la force nouvelle du Parti québécois, qui est parvenu à faire oublier qu'il avait jusqu'en 1991 perdu toutes les élections partielles qui s'étaient déroulées depuis sa fondation.

Dans le comté de Portneuf, rendu vacant par la démission du ministre Michel Pagé le 16 novembre 1992, le scrutin du 5 juillet 1993 a occasionné un changement d'allégeance après 19 ans d'appui au Parti libéral. Avec 51% des voix contre 34% à son adversaire libéral, le péquiste Roger Bertrand a remporté une victoire d'autant plus convaincante qu'elle renversait une imposante majorité libérale antérieure. Le taux de participation s'est élevé à 62%. La performance du candidat du «Parti J'en Peut Pus» qui a recueilli 5,8% des voix, et le taux de rejet des bulletins (2,1% des votants) ont été interprétés comme autant de symptômes du déclin de la confiance de la population envers la politique et les politiciens.

Dans Laval-des-Rapides, dont le député libéral Guy Bélanger, en froid avec son parti depuis plusieurs mois, avait démissionné le 16 juin, le scrutin du 13 décembre a également tourné à l'avantage du Parti québécois dont le candidat, le criminaliste et ancien bâtonnier Serge Ménard, a recueilli 54% des voix contre 42% à son adversaire libéral. Le faible taux de participation électorale (moins de 40%) a été attribué à la cascade de scrutins (fédéral, municipal puis provincial) auxquels les Lavallois avaient été conviés au cours des deux mois précédents.




Relance du débat linguistique

Conformément à l'intention annoncée fin 1992, le gouvernement libéral a décidé de rouvrir le dossier linguistique. L'occasion lui en a été fournie par la nécessité de recourir de nouveau, au plus tard en décembre 1993, à la clause dérogatoire en vertu de l'article 33 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour maintenir en vigueur sa loi de 1988 sur l'affichage. En effet, une clause dérogatoire n'est valide que pour une période de cinq ans. Un avis du Comité des droits de la personne des Nations Unies sur la politique québécoise de l'affichage, rendu public en avril, conclut que la législation québécoise sur la langue de l'affichage enfreignait la liberté d'expression et invita le Québec à y mettre fin. Le gouvernement en fut confirmé dans son intention d'assouplir sa politique linguistique et de compléter avec la minorité anglophone la réconciliation amorcée lors du référendum d'octobre 1992.

Une tradition bien établie au Québec depuis un quart de siècle veut qu'un projet de loi en matière linguistique suscite une émotion extrême dans la société, une obstruction en règle de la part de l'opposition, et le recours par le gouvernement aux procédures de clôture des débats. L'on n'a guère dérogé cette année au scénario habituel, à cette nuance près que la guillotine a été maniée avec une brutalité inégalée jusque-là, et que l'opposition au projet s'est avérée moins forte que prévu, ses adversaires étant, dit-on, convaincus que la victoire du Parti québécois aux élections prochaines entraînerait l'abrogation rapide de la loi.

Présenté le 6 mai par le ministre Claude Ryan, le projet de loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française, stipule entre autres que l'affichage public et la publicité commerciale peuvent se faire à la fois en français et dans une autre langue, «pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante». Le gouvernement pourra toutefois déterminer par règlement les lieux, les conditions et les circonstances où l'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue. L'on abandonne ainsi la célèbre politique insideoutside de la loi 178, qui pour plusieurs sonna le glas des chances de ratification de l'Accord du lac Meech.

Le projet a été immédiatement renvoyé à la Commission de la culture pour auditions publiques à compter du 18 mai. Fait très inhabituel, qui n'a pas manqué de susciter l'ire de plusieurs, la motion de renvoi présentée par le leader parlementaire du gouvernement imposait à la commission une liste de 42 intervenants devant être entendus entre le 18 mai et le 2 juin, et spécifiait jusqu'à l'heure précise de comparution de chaque groupe, sans qu'une consultation préalable n'ait permis de s'assurer de la disponibilité des intéressés. La commission ne put finalement entendre que 23 des 42 intervenants annoncés. L'exercice occasionna plusieurs prises de bec entre le ministre Claude Ryan et des intervenants aux convictions nationalistes.

Le principe du projet de loi a été adopté le 9 juin par 71 voix contre 32, les députés péquistes faisant front commun pour la circonstance avec ceux du Parti Égalité. L'étude détaillée du texte en Commission de la culture n'a pu être complétée, le gouvernement ayant décidé d'interrompre les travaux de celle-ci après 17 heures de séance en recourant à la technique, devenue maintenant presque routinière, de la motion de suspension des règles pour raison d'urgence. Ainsi encadrées, les dernières étapes de la procédure ont été expédiées en moins de trois heures le 17 juin. Le 8 décembre, le Conseil des ministres a approuvé le texte des règlements d'application de la loi 86 (L.Q. 1993, c. 40) et leur entrée en vigueur en même temps que la loi habilitante le 22 décembre.




Les activités parlementaires

La deuxième session de la 34' législature, ouverte le 19 mars 1992, s'est poursuivie tout au long de 1993 et n'a été prorogée que le 10 mars 1994, le nouveau premier ministre tenant à faire suivre son entrée en fonction de l'ouverture le 17 mars d'une nouvelle session, marquée par la lecture d'un nouveau message inaugural. Aucune réforme majeure n'a jalonné la vie de l'Assemblée durant la période, le Parlement vivant toujours sur la lancée des réformes des années 1980, bien que ces dernières ne se soient guère concrétisées au chapitre de l'initiative parlementaire.

Le Répertoire législatif de 1993 énumère 112 lois sanctionnées durant l'année, dont 81 lois publiques et 31 lois d'intérêt privé. Presque toutes d'initiative gouvernementale, les lois publiques incluaient néanmoins quatre textes d'initiative parlementaire, les lois 197 (services de santé et services sociaux), 198 (réduction du personnel et imputabilité), 390 (Fonds de solidarité des travailleurs du Québec) et 391 (Amicale des anciens parlementaires du Québec). Les services de l'Assemblée ont calculé que la législation de 1993 couvrait plus de 4000 pages de texte. Comme à l'accoutumée, les procédures exceptionnelles de contrôle des débats ont été utilisées pour accélérer l'adoption de mesures controversées. Si la motion de clôture de l'étude en commission n'a pas été utilisée en 1993-1994, la motion de suspension des règles pour raison d'urgence l'a été à cinq reprises. En plus du projet de loi 86 sur la langue, déjà mentionné, on y a eu recours les 16 juin, 9, 13 et 14 décembre 1993 pour l'adoption, respectivement, des projets de loi 102 (conditions de travail dans le secteur public), 130 (assurance-automobile), 158 et 142 (industrie de la construction). Pour qui connaît les habitudes de l'Assemblée à cet égard, l'absence de recours à de telles procédures en 1994 constitue presque un frisson nouveau.

Les tableaux de la page suivante ventilent les activités des commissions permanentes de l'Assemblée pour les deux exercices financiers entre 1992 et 1994.







Ces chiffres se situent dans les moyennes générales observées depuis dix ans. La différence majeure entre les deux gouvernements qui se sont succédé durant la période réside dans le nombre accru d'heures consacrées aux activités de contrôle parlementaire. Ce nombre a grimpé autour de 350 depuis 1986, essentiellement grâce à l'ajout d'une centaine d'heures consacrées à la vérification des engagements financiers.

Que les commissions permanentes de l'Assemblée aient siégé 934 heures en 1993-1994, soit près du double de la durée des séances de l'Assemblée (500 heures), illustre à quel point les travaux parlementaires sont maintenant décentralisés. Le personnel de l'Assemblée a dénombré un total de 4279 articles étudiés en commission et au-delà de 950 amendements et sous-amendements proposés. Les commissions ont également procédé à deux consultations générales et à 23 consultations particulières auxquelles ont participé à titre d'intervenants 183 personnes et organismes (ces chiffres ont été fournis par le président de l'Assemblée Jean-Pierre Saintonge, Débats de l'Assemblée nationale, 26 avril 1994, p. 45).

Comme de coutume, les activités des commissions ne se sont pas soldées par la présentation de rapports substantiels, les commissions laissant à d'autres le soin de tirer la conclusion de leurs travaux. Voici un relevé plus détaillé de l'activité des diverses commissions.

Commission permanente du budget et de l'administration. Cette commission a tenu ses travaux sous le signe de l'austérité budgétaire. Le ton a été donné dès février avec une consultation générale sur le financement des services publics au Québec qui a nécessité 11 séances. Les divers groupes d'intérêt ont ainsi pu réagir au document gouvernemental Vivre selon nos moyens déposé le 19 janvier. La Commission a reçu un total de 79 mémoires. Elle a aussi procédé en mars à l'étude détaillée du projet de loi 198, Loi sur la réduction du personnel dans les organismes publics et l'imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d'organismes publics. Présenté par le député libéral Henri-François Gautrin, ce texte a pour effet d'obliger les organismes publics à réduire de 20% leur personnel d'encadrement avant le 1er avril 1996, et de 12% leurs autres effectifs d'ici le 1er avril 1998. L'article 8 pose le principe selon lequel les sous-ministres et dirigeants d'organismes publics sont «conformément à la loi, notamment en regard de l'autorité et des pouvoirs du ministre de qui chacun d'eux relève, imputables devant l'Assemblée nationale de leur gestion administrative». Il y est prévu que la commission permanente compétente de l'Assemblée entend au moins une fois par année le ministre, «si celui-ci le juge opportun», et, selon le cas, le sous-ministre ou le dirigeant d'organisme, afin de discuter de leur gestion administrative et, le cas échéant, de toute autre matière de nature administrative relevant de ce ministère ou organisme et signalée dans un rapport du Vérificateur général. Substantiellement réécrit en commission, ce texte a été sanctionné par la suite (L.Q. 1993, ch. 35).

Commission permanente de la culture. Trois projets de loi ont accaparé l'attention des membres de cette commission, qui s'est réunie à 39 reprises en 1993. La part du lion est bien sûr allée au projet de loi 86 sur la langue de l'affichage, qui a fait l'objet de consultations particulières (huit séances) et d'une étude détaillée (quatre séances). Une consultation générale de six séances sur le projet de loi 68 sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, a permis d'entendre une quarantaine de groupes. Plusieurs séances ont également été consacrées au projet de loi 135 sur le Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec.

Commission permanente de l'aménagement et des équipements. Avec une soixantaine de réunions durant l'année 1993, cette commission s'est avérée l'une des plus actives. Elle a été le théâtre d'interpellations sur l'avenir des régions, la politique de gestion des déchets solides et la réorganisation administrative du ministère des Transports. L'on y a étudié en détail plusieurs projets de loi d'intérêt privé touchant des municipalités particulières.

Commission permanente de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation. Les activités plutôt réduites de cette commission (13 séances seulement en 1993, avec une relâche du 30 avril au 28 septembre) ont comporté la vérification d'engagements financiers et l'étude de crédits budgétaires du ministère de l'Agriculture, ainsi qu'un examen des orientations, des activités et de la gestion de la Société québécoise d'initiatives agro-alimentaires (SOQUIA).

Commission permanente de l'économie et du travail. Au menu de cette commission a d'abord figuré une importante consultation générale sur la proposition de plan de développement 19931995 d'Hydro-Québec. Sur les 88 organismes qui ont déposé des mémoires, 83 ont pu être entendus durant les 17 séances qui se sont échelonnées du 23 février au 25 mars. C'était la première fois qu'Hydro-Québec soumettait un plan de développement triennal lui-même élaboré à la suite d'une consultation publique. L'autre sujet majeur abordé par la commission a été le controversé projet de loi 142 du ministre Normand Cherry, déréglementant partiellement l'industrie de la construction, qui a fait l'objet de consultations particulières (deux séances) et d'une étude détaillée (six séances).

Commission permanente des affaires sociales. Durant les quelque 20 séances qu'elle a tenues en 1993, cette commission a notamment tenu en mars une consultation générale sur les thérapies alternatives. En quatre jours, elle a entendu 33 organismes. Le gouvernement y a été interpellé sur le déménagement projeté de l'Hôtel-Dieu de Montréal à Rivière-des-Prairies, mesure controversée du ministre de la Santé et des Services sociaux Marc-Yvan Côté qui avait suscité une levée de boucliers de la part des intervenants intéressés, de même que des accusations de patronage (des ingénieurs impliqués dans le projet ayant versé des contributions à titre privé au parti au pouvoir). Le projet dut être abandonné par la suite.

Commission permanente des institutions. En mars, une consultation générale sur l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) a permis d'entendre 18 intervenants. En plus des tâches routinières relatives aux crédits et aux engagements financiers, cette commission a étudié à l'automne le projet de loi 106 sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Elle a été le théâtre le 5 novembre d'une interpellation sur la contrebande et le commerce illégal.

Commission permanente de l'éducation. La trentaine de séances tenues par cette commission ont porté notamment sur la réforme du Code des professions. Une consultation générale a eu lieu durant l'hiver sur l'avant-projet de loi, et le projet de loi afférent (140) a fait l'objet d'une étude détaillée en décembre. On relève également une interpellation le 12 novembre sur la réforme de l'enseignement primaire et secondaire.

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Le président de l'Assemblée nationale, Jean-Pierre Saintonge, a été porté à la présidence de l'Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF). Le député de Rimouski, Michel Tremblay, a été élu le 8 mars 1994 à l'une des deux vice-présidences de l'Assemblée, en remplacement de Roger Lefebvre, promu au cabinet. En septembre 1993, la présidence de la Commission de l'économie et du travail, vacante depuis la démission de Guy Bélanger, est allée au député de Fabre, Jean Joly. En janvier 1994, le député de Sauvé, Marcel Parent, a été élu président de la commission des institutions en remplacement de Claude Dauphin, qui quittait la politique. L'on compte toujours cinq présidents de commission libéraux et trois péquistes (il s'agit dans ce dernier cas d'anciens ministres). Quelques postes de vice-présidents de commission ont également changé de mains dans la foulée.




Intimidation de parlementaires et de leur personnel

L'intention du gouvernement Bourassa de déréglementer l'industrie de la construction par le projet de loi 142 a suscité des comportements inhabituellement agressifs à l'égard de députés et de leur personnel. Le 26 novembre, les bureaux des députés Yvon Lemire, de Saint-Maurice, et Ghislain Maltais, de Saguenay, ont reçu la visite de fiers-à-bras syndiqués qui rudoyèrent certaines des personnes présentes et saccagèrent les lieux. Les deux députés tentèrent en vain par la suite de faire comparaître les auteurs de ces gestes devant l'Assemblée. Ces derniers ayant entre-temps été accusés devant un tribunal de droit commun, le président Saintonge a ignoré un voeu du gouvernement et décidé en décembre qu'une motion de ce type ne pouvait être appelée et débattue tant et aussi longtemps que l'affaire dont elle traite est devant un tribunal.




Décès de parlementaires

Trois parlementaires ou ex-parlementaires bien connus sont décédés en 1993. Le doyen de l'Assemblée Gérard D. Lévesque, ministre des Finances, a été emporté par un cancer le 17 novembre à l'âge de 67 ans. Élu sans interruption dans Bonaventure depuis 1956, il avait ravi à Alexandre Taschereau la distinction d'avoir siégé le plus longtemps à l'Assemblée depuis sa fondation (plus de 37 ans). M. Lévesque avait détenu les portefeuilles de la Chasse et des Pêcheries, de l'Industrie et du Commerce, des Affaires intergouvernementales, de la justice et des Finances, en plus de porter le titre de vice-premier ministre. Dans l'opposition, il a été chef intérimaire du parti à deux reprises (1977-1979 et 1982-1983), chef de l'opposition et leader parlementaire. Fait exceptionnel, sa dépouille mortelle a été exposée dans la salle du Conseil législatif. Aux Finances, il avait été remplacé quelques semaines avant son décès par sa collègue Monique Gagnon-Tremblay à titre intérimaire.

Le 4 juillet, M. Bona Arsenault s'éteignait à Québec à l'âge de 89 ans. Après avoir siégé à la Chambre des communes, il avait représenté Matapédia à l'Assemblée nationale de 1960 jusqu'à sa défaite en 1976. Au sein du cabinet Lesage, il a été ministre des Terres et Forêts, de la Chasse et des Pêcheries (1962-1963) puis Secrétaire de la Province.

C'est le cancer qui a emporté prématurément l'ex-ministre Yves Bérubé le 5 décembre à l'âge de 53 ans. Ingénieur de profession, M. Bérubé avait été élu dans Matane en 1976 et 1981, mais ne s'était pas représenté en 1985. Ministre des Terres et Forêts et ministre des Richesses naturelles dans le gouvernement Lévesque, il avait été chargé de la nationalisation de l'amiante. À titre de président du Conseil du trésor (1981-1984), il a été l'auteur des ponctions salariales opérées en 1982-1983 dans le secteur public québécois.




Premiers pas du gouvernement Johnson

La famille Johnson est la seule dans l'histoire politique québécoise, et probablement canadienne, à avoir fourni trois premiers ministres portant autant d'étiquettes politiques, le libéral Daniel Johnson étant le fils de l'unioniste Daniel Johnson et le frère du péquiste Pierre-Marc Johnson. Âgé de 50 ans, issu du giron des grandes entreprises, le nouveau premier ministre représente la circonscription de VaudreuilSoulanges depuis 1981. Il a détenu le portefeuille de l'Industrie et du Commerce (1985) avant d'être muté à la présidence du Conseil du trésor en 1988.

Présentant son successeur aux instances dirigeantes du Parti libéral en décembre, M. Bourassa disait de Daniel Johnson: «Quand on lui pose une question, il répond par oui ou par non, tandis que moi ... » Le nouveau premier ministre a tenté de se démarquer de son prédécesseur en prenant des décisions sur des dossiers en souffrance. Son assermentation le 11 janvier s'est accompagnée d'un remaniement ministériel qui a réduit du tiers (à 20) le nombre des ministres. André Bourbeau a obtenu le portefeuille des Finances et Gérald Tremblay demeure à l'Industrie et Commerce. Cinq députés ont accédé au Conseil des ministres: Roger Lefebvre (justice), Georges Farrah (Tourisme), Jacques Chagnon (Éducation), Serge Marcil (Emploi) et jean Leclerc (Services gouvernementaux). Ce renouvellement a été obtenu au prix du départ de onze vétérans: Lise Bacon, Lawrence Cannon, Albert Côté, Marc-Yvan Côté, Robert Dutil, Sam Elkas, Gil Rémillard, Guy Rivard, Louise Robic, Raymond Savoie et Yvon Vallières. Le nouveau cabinet compte quatre femmes: en plus de Monique Gagnon-Tremblay, promue vicepremière ministre et présidente du Conseil du trésor, on retrouve Liza Frulla, Lucienne Robillard (qui hérite du lourd portefeuille de la Santé et des Services sociaux) et Violette Trépanier. Y siègent deux anglophones: John Claccia (maintenu aux Affaires internationales) et Robert Middlemiss (Sécurité publique) et un allophone (Christos Sirros). Durant le mois de janvier, sept circonscriptions sont devenues vacantes suite à la démission de leur député: Shefford, Rivièredu-Loup, Marquette, Charlesbourg, Chomedey, La Peltrie et jean-Talon. D'autres vacances ont été créées le 10 mars avec la démission du député de Mille-Îles, Jean-Pierre Bélisle, et le 14 avril par la démission de l'ex-ministre Louise Robic.

Désireux de frapper fort dans le dossier de la contrebande des cigarettes, où la violation de la loi était devenue chose banale, le gouvernement Johnson s'est entendu avec le nouveau gouvernement libéral d'Ottawa pour réduire de façon draconienne les taxes sur le tabac. Il a aussi rapidement pris avantage du projet fédéral de rénovation des infrastructures. L'entente signée le 7 février 1994 avec Ottawa permettra au Québec d'obtenir 26,47% des quelque 1990 millions de dollars que le gouvernement fédéral versera aux provinces pour de tels travaux. Ce pourcentage représente la moyenne de la part québécoise de la population canadienne et des chômeurs canadiens. Ce renouveau n'a pas empêché la défection du député libéral d'Iberville, Yvon Lafrance, passé au parti Action démocratique du Québec de jean Allaire. La chaleur des relations entre les libéraux des deux capitales a été refroidie par deux décisions du gouvernement Chrétien: la fermeture du Collège militaire royal de Saint-Jean, et l'abandon de l'entente sur la main-d'oeuvre négociée avec le gouvernement précédent.




Les élections partielles de février 1994

Deux élections partielles ont permis au nouveau gouvernement de tester le corps électoral avant le rendez-vous qui doit avoir lieu avant la fin de l'année 1994. Elles ont donné des indications tout à fait contradictoires. Dans Bonaventure, fief de feu Gérard D. Lévesque, le scrutin du 21 février s'est soldé par la déroute de la candidate libérale dans une circonscription pourtant détenue par ce parti depuis 1956. Le péquiste Marcel Landry l'a emporté par 56,2% des voix contre 43,8%. Ce triomphe inespéré, rendu encore plus significatif par une participation électorale élevée (78,8%) et en hausse (un phénomène que l'on n'avait pas vu lors d'une partielle depuis 1947), les péquistes étaient encore à le célébrer une semaine plus tard lorsque le scrutin de Shefford se solda par la victoire - encore moins attendue - du libéral Bernard Brodeur dans une circonscription pourtant représentée par le péquiste Roger Paré depuis 1981 jusqu'à sa démission pour cause de maladie le 2 janvier 1994. La défaite du péquiste Roger Nicolet a été attribuée à l'abstention délibérée de nombreux partisans péquistes, indisposés par le «parachutage» d'un candidat ne résidant pas dans la circonscription. Le faible taux de participation enregistré (50,7%) et le nombre élevé de bulletins rejetés (2,8%) accréditent cette version. À l'ajournement d'été en juin 1994, la répartition des 125 sièges de l'Assemblée était la suivante: 78 libéraux, 33 péquistes, un député du Parti Égalité, cinq indépendants et huit sièges vacants.

Au milieu de l'année 1994, à la veille d'élections prévues au plus tard pour l'automne, les sondages donnaient le Parti québécois de Jacques Parizeau en avance et un taux d'insatisfaction toujours élevé à l'égard du gouvernement sortant, les libéraux tirant réconfort de la plus grande popularité de leur nouveau chef et de la tiédeur de l'électorat vis-à-vis la souveraineté. Personne ne doute de l'importance historique de ce scrutin, quelle qu'en soit l'issue. Si les libéraux font mentir les prophéties et l'emportent, la question nationale, omniprésente depuis le début de la décennie, devrait passer à l'arrière-plan pour quelque temps. Si le Parti québécois obtient le mandat d'enclencher le processus menant à la souveraineté du Québec, une phase mouvementée de l'histoire québécoise va s'ouvrir, culminant avec la tenue d'un référendum sur la souveraineté promis pour huit à dix mois plus tard.

 

Ce texte a bénéficié des commentaires de Gaston Deschênes, chef de la division de la recherche de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale du Québec.