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Le mouvement syndical



Pierre Noreau
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue


L'année politique au Québec 1993-1994

· Rubrique : Le mouvement syndical



Le thème de la marche du 1er mai 1993, «La justice sociale par la solidarité», annonçait déjà celui de la marche de 1994, «Solidaires pour la relance sociale»; question de montrer peut-être qu'entre la solidarité et la justice, il faut savoir compter avec l'économie et la relance de l'emploi. Mais de ce côté, la reprise est encore à venir malgré une quasi-stabilité des prix et une importante diminution des taux d'intérêt, tout au cours de la période 1993-1994. Entre 1993 et 1994, en effet, le taux de chômage officiel s'est fixé autour de 13 % au Québec et à près de 11 % au Canada. Le chômage touche ainsi presque toutes les catégories professionnelles et le nombre des emplois syndiqués perdus au cours de la période révèle que, dorénavant, l'avenir du syndicalisme est lié à celui du monde du travail dans son ensemble.



Affiliation et taux de présence syndicale

En 1992, 1 207 823 salariés étaient assujettis à une convention collective de compétence québécoise ou fédérale, ou encore couverts par le Décret québécois de la construction. Un an plus tard, en 1993, on n'en dénombrait plus que 1 169 449, ce qui constitue une baisse de près de 2,9% des effectifs syndicaux au Québec (Les relations de travail en 1993, Québec, Publications du Québec, 1994, p. 29) . En chiffres absolus, près de 40 000 emplois syndiqués ont ainsi été perdus. Parallèlement, le taux de présence syndicale qui s'établissait à 49,7% en 1992 tombait à 46,8% en 1993 (ibid, p. 31).

Cette baisse aura été ressentie différemment selon les secteurs économiques et elle affecte de façon variable les centrales syndicales québécoises. Ainsi, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), qui compte une majorité de salariés dans le secteur privé a perdu 13 000 de ses membres entre 1992 et 1993, alors que la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ), plus concentrés dans le secteur public et parapublic, ont à peu près maintenu leur membership. Sur l'ensemble des travailleurs syndiqués, 102 359 étaient membres d'une organisation affiliée à la CEQ, 258 650 étaient syndiqués à la CSN, près de 450 000 étaient membres d'un syndicat affilié à la FTQ et 58 990 étaient syndiqués à la Centrale des syndicats démocratiques (CSD). Finalement, 242 547 salariés étaient membres d'organisations dites «indépendantes», qui regroupent, à l'extérieur des grandes centrales syndicales, jusqu'à 25,3% des salariés syndiqués, en vertu du Code du travail du Québec.

Certains secteurs économiques comprennent une plus grande proportion de travailleurs syndiqués que les autres. Ainsi, toujours en 1993, le taux de présence syndicale est de 49,2% dans le secteur primaire, de 52,5% dans le secteur manufacturier et de 41,7% dans le secteur tertiaire. Dans le secteur privé, 34,7% des salariés étaient couverts par une convention collective; et 73,9% dans le secteur public. Il s'agit néanmoins là d'une diminution, de plus de 7% par rapport à 1988, et la chose est vraisemblablement due à la précarité croissante des emplois créés dans la fonction publique et dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l'éducation.

Certains groupes syndicaux ont par ailleurs modifié leur affiliation syndicale entre 1992 et 1993. Ces transferts d'allégeance sont parfois favorisés par la compétition que se livrent les centrales. Bon an mal an, on reconnaît cependant que les gains obtenus par la pratique du maraudage ne représentent qu'une faible proportion de la hausse annuelle du membership syndical. Ces glissements d'allégeances vont d'ailleurs dans tous les sens. Ainsi, si les 401 travailleurs syndiqués du Château Frontenac sont passés de la FTQ à la CSD (Le Soleil, 20 mars 1994), les employés de garage de la Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec (CTCUQ), quittaient la CSD pour revenir à la CSN, qu'ils avaient quittée en 1972 (Le Soleil, 2 novembre 1993). Parallèlement, la CSN a cherché sans succès à obtenir l'adhésion des 1300 travailleurs de la brasserie Labatt, syndiqués jusque-là par les Teamsters, qui viennent eux-mêmes de joindre la FTQ (La Presse, 3 novembre 1993). À l'inverse, la CEQ tente depuis plusieurs années une percée en dehors du monde de l'éducation, et y parvient souvent au détriment du membership de la CSN (L'Actualité, vol. 8, n' 17, 24 mars 1994).

En marge de ces dissensions, certaines alliances se sont cependant renforcées. Ainsi, la FTQ est parvenue à établir, à la fin de 1993, une entente satisfaisante concernant ses relations avec le Congrès du Travail du Canada. Elle touche notamment la participation québécoise aux différentes instances du CTC, mais également les modalités de financement de la Fédération, et prévoit une participation québécoise plus poussée dans le champ des relations internationales (Le monde ouvrier, novembre 1993, p. 7).

On constate finalement un certain renouvellement du leadership syndical. Ainsi, après 40 ans de vie syndicale, Fernand Daoust annonçait officiellement sa décision de quitter la présidence de la FTQ à l'occasion du 23, congrès de la centrale, tenu en décembre 1993. Il assumera dorénavant la présidence du Fonds de solidarité, poste que Louis Laberge occupait jusque-là. Daoust est remplacé à la tête de la FTQ par Clément Godbout, qui occupait le siège de secrétaire-général et qui sera remplacé dans cette fonction par Henri Massé, issu du Syndicat canadien de la fonction publique. Pour sa part, Gérald Larose était reconduit à la présidence de la CSN à l'issue de son 57' congrès, tenu en mai 1994, malgré la candidature de Réjean Fleury, un syndicaliste issu du secteur de l'alimentation, favorable à une radicalisation de l'action syndicale et à une «démocratisation» des structures de la Confédération (Le Devoir, 12 mai 1994). Après 20 ans de service, Jean-Louis Harguindeguy quittait pour sa part la présidence du Syndicat de la fonction publique du Québec, lors du 17, congrès du SFPQ. Il est remplacé dans ses fonctions par Danielle-Maude Gosselin, qui promet pour l'avenir une action «plus politisée» (Le Soleil, 22 mai 1993). Finalement, Diane Lavallée, présidente de la Fédération des infirmiers et infirmières du Québec (FIIQ) annonçait son départ de la présidence et son intention de se présenter aux prochaines élections provinciales sous la bannière du Parti québécois. jennie Skene lui succédera à la tête de la FIIQ.

En 1993, 7921 conventions collectives régissaient les rapports de travail des 562 418 salariés oeuvrant dans le secteur privé et péripublic. Au total, 2013 nouvelles conventions ont été signées au cours de la période 1992-1993, qui sert ici de référence, soit du 1" août 1992 au 31 juillet 1993. L'intervention d'un conciliateur a été nécessaire dans 15,5% des cas. Sur l'ensemble des nouvelles conventions ratifiées, on comptait 248 «premières conventions collectives».

Entre 1992 et 1993, le recours à la grève ou au lock-out n'a été nécessaire que dans 5,7% des cas, soit dans le cadre de la négociation de 115 conventions collectives. Il s'agit néanmoins d'une hausse par rapport à l'année précédente alors que les arrêts de travail ne touchaient que 4,3% des nouvelles conventions signées. jusqu'à 9835 salariés ont été affectés par ces arrêts des travail et 59,6% d'entre eux oeuvraient dans le secteur manufacturier. Dans 82,6% des cas ces arrêts de travail ont été provoqués par une grève, et dans 13% par un lock-out. Sur les 115 arrêts de travail inventoriés, 57 touchaient des syndicats affiliés à la FTQ, 27 concernaient des syndicats de la CSN, 16 des syndicats indépendants et 13 des syndicats affiliés à la CSD. Toute proportion gardée, la CSD est cependant la centrale la plus souvent impliquée dans des arrêts de travail (9,2%) tout au cours de la période étudiée, compte tenu du nombre de négociations dans lesquelles elle était impliquée. Cette proportion s'établit respectivement à 6,9% pour la CSN, 6,2% pour la FTQ et 3,4% pour les syndicats indépendants.

Au chapitre des conditions de travail négociées, on doit souligner les tendances suivantes, observées tout au cours de la période 1992-1993. En matière salariale, signalons d'abord l'abandon de la clause prévoyant l'indexation des salaires au coût de la vie, dans près des deux tiers des conventions collectives renouvelées qui la prévoyaient déjà. La chose s'explique par la relative stabilité des prix dont nous avons déjà fait état. En contrepartie, on constate une tendance à inclure dans les conventions des dispositions prévoyant l'ajout de primes salariales pour le travail du dimanche et pour le travail de soir ou de nuit et l'augmentation des primes destinées aux chefs d'équipe.

Au niveau des clauses dites normatives, on remarque une bonification significative des dispositions prévoyant l'extension du temps chômé et payé: vacances annuelles, congés fériés ou mobiles, congés pour cause de décès et congés de parentalité. Certaines de ces clauses ne font cependant qu'assurer la concordance des conventions collectives avec les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes de travail. On remarque également une augmentation du nombre de clauses prévoyant la semaine de travail comprimée. Cette tendance est cependant à peu près constante depuis 1983. On constate également un plus grand intérêt pour les clauses relatives à la santé et à la sécurité du travail, qui ont été modifiées dans une proportion de plus de 150/. dans le cadre des nouvelles conventions collectives. On constate par ailleurs une progression du nombre des clauses relatives au recyclage professionnel. Le ministère du Travail souligne en effet que la présence de cette disposition est passée de 28% à 46% des conventions collectives entre 1980 et 1992-1993. Finalement, on observe l'augmentation du nombre des clauses concernant l'application de la convention collective aux employés à temps partiel. Cette réalité constitue un bon indicateur du processus de restructuration du marché du travail. Dans 70% des cas, ces dispositions prévoient cependant que seule une partie de la convention est applicable à ces salariés, ce qui peut faire craindre l'institutionnalisation d'une syndicalisation à deux vitesses. En contrepartie, un certain flottement subsiste quant aux principes d'ancienneté régissant les mises à pied et les mécanismes de supplantation. On compte dans les nouvelles conventions collectives presque autant de cas où cette clause est apparue que de cas où elle est supprimée.

Si les conditions de travail négociées se transforment lentement du fait de l'évolution de l'économie et du marché de l'emploi, les mêmes paramètres provoquent également de nombreuses mises à pied. En effet, plus de 19 000 entreprises québécoises ont fermé leurs portes depuis le début de la récession en 1989, et au cours de la dernière année de nombreux secteurs ont été touchés (Le Devoir, 23 octobre 1993). Malgré ces difficultés économiques, certains conflits de travail ont néanmoins eu lieu et certaines négociations importantes ont fait l'objet de l'attention des observateurs. Les enjeux de ces conflits sont cependant très variés. Citons quelques exemples. Les 60 travailleurs syndiqués de la compagnie Multipak ont déclenché une grève pour protester contre une diminution de salaire de l'ordre de 25%. Les livreurs et les employés des entrepôts Vachon de l'Est du Québec ont également débrayé pour faire savoir leur refus des offres patronales prévoyant une modification de leurs horaires de travail. Dans le secteur de l'imprimerie, 165 employés du quotidien de Sherbrooke La Tribune (SCEP) ont dû consentir au gel de leurs salaires, après une semaine de grève. À Montréal, 365 typographes, expéditeurs et pressiers du Journal de Montréal tombaient en lock out, rejoints par les 156 préposés à l'encartage du quotidien, mis à pied dans la foulée du lock-out patronal. Toujours dans le domaine de l'imprimé, 60 typographes du quotidien The Gazette étaient mis en lock-out. Dans le cas du journal de Montréal comme dans celui du journal The Gazette, le problème de la diminution des effectifs est en jeu et met en évidence les effets dévastateurs de l'informatisation sur tout un secteur d'emploi.

Ailleurs, les 70 employés de Shockbéton (syndiqués chez les Métallos-FTQ) demandaient au ministre du travail d'intervenir et de nommer, après 13 mois de grève, un médiateur pour les aider à dénouer l'impasse attribuée à la mauvaise foi de l'employeur. Dans le secteur du bois et de la forêt, à la Scierie Leduc on assiste à la poursuite du conflit le plus long auquel ait dû faire face la CSD depuis sa création il y a 22 ans. Ce conflit est en effet le prolongement judiciaire d'une grève commencée en 1988, dans lequel l'employeur est accusé d'embaucher des briseurs de grève. À ces arrêts de travail, il faut ajouter les grèves initiées par les salariés de très nombreuses Caisses populaires (Le monde ouvrier, février 1994), les négociations parfois difficiles qui ont touché une trentaine d'hôtels représentés par des syndicats affiliés à la CSN à l'échéance de leurs conventions collectives et celles qui ont fait s'opposer les autobus Prévost de SainteClaire de Bellechasse et leurs 700 employés syndiqués (TCA) concernant notamment le mouvement du personnel dans l'usine, les mécanismes de mise à pied et de rappel, la pondération du temps de travail par rapport au temps de production et la durée de la convention collective. Dans ce dernier cas, les négociations ont pu aboutir sans arrêt de travail. Dans le domaine du transport aérien, cependant, les 106 pilotes d'Air Alliance, le plus important transporteur régional du Québec, ont dû déclencher la grève au cours de l'été 1993, revendiquant une diminution du nombre d'heures de vol et la parité salariale avec leurs collègues d'autres filiales d'Air Canada qui oeuvrent en Ontario et en Colombie-Britannique. Chez Premier CDN, une entreprise dans laquelle le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ) détient une importante participation, 130 syndiqués membres du local 299 de la Fraternité nationale des charpentiers-menuisiers, forestiers et travailleurs d'usine (FTQ) ont rejeté les offres patronales et ont opté pour le recours à la grève. Ces offres prévoyaient notamment une baisse du salaire horaire de 10%, une réduction de la banque de congés de maladie et une augmentation de la semaine normale de travail.

C'est cependant dans l'industrie de la construction que les plus importants changements sont survenus, notamment au chapitre des conditions de travail et d'embauche et au chapitre des protections collectives. En effet, en décembre 1993, malgré les manifestations publiques orchestrées par tous les syndicats impliqués dans le secteur de la construction résidentielle, l'Assemblée nationale du Québec adoptait la loi 142 modifiant les règles du )eu dans l'industrie de la construction et imposait une loi de retour au travail très sévère. Le gouvernement Bourassa mettait ainsi fin aux grèves déclenchées dans un très grand nombre de chantiers québécois. La loi 142 prévoit notamment la déréglementation de 85% de la construction résidentielle au Québec. Elle permet à tout constructeur d'un édifice de huit logements et moins d'engager des ouvriers non syndiqués. La nouvelle loi risque par conséquent de toucher 30 000 syndiqués de la construction en incitant les entrepreneurs à embaucher des ouvriers à moindre coût, ce qui implique une pression à la baisse sur les salaires et la disparition des caisses de retraite des travailleurs de la construction. Dans toute cette affaire, le gouvernement du Québec est surtout accusé d'institutionnaliser le travail au noir auquel il promet de s'attaquer depuis plusieurs années, en faisant d'une situation illégale une règle générale. Les dispositions prévues à la loi vont d'ailleurs dans le sens inverse des percées réalisées au cours du Sommet de la construction, organisé à la fin octobre en vue d'arriver à une négociation des conditions de travail dans l'industrie de la construction. Si certains voient dans cette révolution la fin de la syndicalisation dans le secteur de la construction (La Presse, 30 novembre 1993), d'autres croient que l'appartenance à une organisation syndicale sera au contraire la seule planche de salut des salariés, s'ils ne veulent pas se trouver tout à fait isolés sur les chantiers. Seul le temps saura cependant dire quel avenir est réservé au syndicalisme dans le secteur de la construction résidentielle.

Finalement, dans le secteur municipal comme dans le secteur péripublic, c'est surtout la loi 102 qui aura fait l'objet des principales prises de positions syndicales, tout comme ce sera le cas dans le secteur public et parapublic dont nous parlerons plus loin. La loi 102, adoptée à la fin du mois de juin 1993 et mise en application dans le cadre d'un décret gouvernemental adopté en septembre, prévoit notamment un gel des salaires de deux ans et, à l'aide d'aménagements divers, des économies budgétaires équivalant à 1% de la masse salariale, obtenues par le biais de «gains de productivité» supplémentaires ou par la réduction d'un certain nombre d'avantages sociaux. Ces contraintes s'appliquent cependant également aux sociétés d'État (Hydro-Québec, SAQ, Radio-Québec), et aux employés des municipalités intéressées à se prévaloir des dispositions de la loi. Le gouvernement espère ainsi réaliser des économies de 171 millions $ pour l'ensemble du secteur public et parapublic et donner un coup de pouce aux finances des villes et des petites et moyennes municipalités.

Dans le secteur municipal, la loi 102 donnera cependant lieu à de nombreux accrochages, même si une étude récente sur la rémunération globale au Québec révèle que les salaires déboursés par les administrations locales sur une base horaire restent généralement supérieurs à1a moyenne québécoise dans la majorité des cas retenus dans l'enquête (La Presse, 19 mai 1993). Dans certains cas, on tentera de respecter les objectifs de la loi de manière à éviter une application trop restrictive des dispositions prévues au décret. Dans d'autres cas, les municipalités feront face au refus catégorique des syndicats municipaux ou à l'expression d'une certaine solidarité de leurs salariés vis-à-vis des mobilisations organisées par les travailleurs provinciaux.




Les limites de la négociation dans le secteur public et parapublic

C'est dans le secteur public et parapublic que la loi 102 a le plus manifestement contribué à envenimer les relations de travail. Elle est accompagnée d'un second projet de loi - le projet de loi 198 - qui prévoit une réduction de 12% des effectifs de la fonction publique au cours des cinq prochaines années (Le Soleil, 4 janvier 1994). Annoncées au printemps de 1993, ces deux législations ouvrent la porte à toute une série de manifestations. Au début du mois de mai, 1800 délégués de la CSN, de la CEQ, de la FTQ, du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec et du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec préparent l'organisation d'un piquetage symbolique le 11 mai et de manifestations publiques, le 29 mai, à Québec et à Montréal (Le Soleil, 5 mai 1993). À la fin de mai, il apparaît cependant déjà que le Font commun intersyndical présente des failles. En effet, la décision de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (44 000 membres) d'accepter un gel des salaires de deux ans étonne les dirigeants du Front commun CSN-CEQ-FTQ-SPGQ-SPGQ (Le Soleil, 20 mai 1993). La FIIQ continue néanmoins de s'opposer à la récupération d'une somme équivalent à 1 % de la masse salariale que le gouvernement compte notamment obtenir par Il imposition de Jours de congés obligatoires, mais non rémunérés. Parallèlement, le 6 juin, la Fédération des Affaires sociales (CSN), qui compte 100 000 membres dans les secteurs de la santé et des services sociaux, s'écarte du Front commun et, jusqu'à la fin de la session parlementaire, tient une vigile devant l'Assemblée nationale.

Une proposition déposée par le Front commun au début de juin reste lettre morte entre les mains du Conseil du trésor et force les centrales syndicales à en appeler au premier ministre. Une rencontre avec Robert Bourassa permet que la sanction de la loi 102 soit reportée au 15 septembre, ce qui donne aux parties 90 jours pour en venir à un accord. Cette période de trêve ne permettra pas la conclusion d'une telle entente, et malgré une proposition déposée par le gouvernement le 17 septembre, les décrets permettant l'application de la loi sont promulgués le 29 septembre 1993. Ils prévoient notamment des «congés sans solde» obligatoires de deux à trois jours pour l'ensemble des 350 000 salariés des secteurs public et parapublic, ce qui permet au gouvernement de réduire les salaires de 1% (une économie de 171 millions $) d'ici au 31 mars 1994 (La Presse,1er octobre 1993). C'est avec beaucoup d'amertume que les centrales syndicales se résignent à abandonner la lutte, malgré l'offre faite par le président du Conseil du trésor de négocier à nouveau, jusqu'au milieu de décembre, des modalités d'application qui, toutes, devraient respecter le cadre imposé par la Loi 102. Les trois grandes centrales ont tour à tour annoncé leur intention de loger une plainte au Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du Travail (La Presse, 25 novembre 1993). Ces contraintes sont d'autant plus difficiles à accepter que le gouvernement du Québec négocie, parallèlement à ces événements, des conditions de travail spécifiques avec ses 4500 policiers provinciaux. Les centrales représentant les fonctionnaires du gouvernement du Québec ont ainsi directement dénoncé l'entente particulière intervenue entre Québec et les policiers de la Sûreté du Québec au cours du mois de novembre 1993 (La Presse, 16 novembre 1993).

La période 1993-1994 ouvre finalement la porte à un dernier front: la mobilisation des éducateurs et éducatrices du réseau des garderies publiques. Elle trouve appui sur des problèmes anciens touchant notamment la question de la rémunération. Le mouvement est largement animé par la CSN qui est très présente dans ce secteur névralgique. Onze garderies de Montréal sont ainsi tombées en grève illimitée et, au total, près de 300 garderies ont participé au mouvement de protestation et aux arrêts de travail qui se sont produits au cours du printemps 1994, affectant 18 000 enfants au Québec (La Presse, 21 avril 1994). Le mouvement de grève initial prendra fin avec l'annonce, lors de la lecture du budget Bourbeau, d'une augmentation de un dollar l'heure en faveur des éducatrices. La mobilisation se poursuit néanmoins partiellement par la suite dans le cadre d'un mouvement revendiquant l'extension des gains obtenus par les éducatrices à d'autres catégories de travailleurs en garderies (cuisiniers, etc.).

Au chapitre de la rémunération, l'Institut de recherche et d'information sur la rémunération a produit ses rapports annuels sur l'état comparé de la rémunération globale des salariés du secteur public et parapublic. Dans la deuxième partie de son neuvième rapport, produite en novembre 1993, l'IRIR souligne que: «Les résultats de 1993 montrent que les salariés du secteur public enregistrent une perte de pouvoir d'achat de 0,5%, alors que l'ensemble des autres salariés québécois profitent d'un léger gain équivalant à 0,3%. La perte de pouvoir d'achat dans le secteur public est toutefois plus élevée si la réduction de 1% de la masse salariale est prise en compte.» (Neuvième rapport sur les constatations de l'I.R.I.R., novembre 1993, p. 27) Cette tendance est également reconnue par l'IRIR dans la première partie de son rapport de 1994. On y constate que pour 1993, les salaires de l'administration publique ont été inférieurs de 1,4% par rapport à ceux de l'ensemble des salariés québécois et que seul le niveau comparé des avantages sociaux permet de rétablir une forme de parité entre la rémunération globale des travailleurs du secteur public et parapublic et de ceux des autres secteurs.




Nouveaux enjeux sociaux, nouveaux enjeux politiques

L'activité syndicale ne s'est pas strictement cantonnée aux questions touchant les conditions de travail. En tant qu'agent socio-économique, le mouvement syndical s'est également intéressé au problème du financement des services publics ou aux conséquences de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA); des questions sur lesquelles les trois grandes centrales ont produit des mémoires conjoints. Les modifications apportées à la Charte de la langue française par le projet de loi 86, adopté en juin 1993, ont également mobilisé les centrales syndicales qui ont fait savoir en commission parlementaire et par leur participation aux manifestations du mouvement Québec-Français, leur opposition à l'affichage bilingue au Québec. D'autres manifestations ont également été organisées contre la loi C-105 modifiant la Loi sur l'assurance chômage, au cours de l'hiver 1993.

Dans le domaine de l'éducation, la réforme du régime collégial (projet de loi 82) a conduit la CEQ, mais également la CSN, à prendre position en faveur d'un meilleur accès à l'éducation et d'une promotion de la réussite du «plus grand nombre» (Nouvelles CEQ, janvier 1993 et mai-juin 1993). À la fin de 1993, un projet de politique visant la réforme de l'enseignement primaire et secondaire mobilise à nouveau la CEQ. La Centrale de l'enseignement du Québec rend également public un mémoire sur l'identité nationale et l'autonomie autochtone, et la FTQ, un mémoire sur le plan de développement d'Hydro-Québec. Les deux centrales se sont finalement penchées sur la question des rapports interculturels.

La FTQ a organisé un colloque sur l'action syndicale dans l'entreprise. Elle a également tenu son 231 congrès en décembre 1993. La presse nationale a vu dans les interventions des congressistes un signe de radicalisation du militantisme syndical (Le Devoir, 15 décembre 1993). Une critique acerbe du gouvernement libéral a été suivie par l'adoption de résolutions appelant au boycott du Journal de Montréal et du journal The Gazette. Des propositions adoptées en faveur de la prévention contre la violence faite aux femmes et contre le maraudage syndical ont également attiré l'attention des médias. La CSN tenait, elle aussi, son congrès au mois de mai 1994. Les observateurs ont surtout porté intérêt aux propositions favorisant le partage du temps de travail, bien que la position des salariés par rapport à la question soit assez partagée selon leur niveau de revenus.




Concertation, contrat social et rivalités syndicales

Au cours des dernières années, les efforts de concertation patronale-syndicale, incarnés par les conférences socio-économiques, le projet des grappes industrielles ou les assises du Forum pour l'emploi, sont souvent restés en marge du quotidien. Dans le cours des négociations collectives, des expériences innovatrices ont cependant été tentées en vue d'assainir les relations de travail. La signature de «contrats sociaux» établissant les conditions de travail pour une durée de plus de trois ans à l'usine Atlas de Tracy, et chez Marine Industries de Lévis sont les exemples les plus souvent cités. La période 1993-1994 fournit toute une série de cas où la négociation a conduit à la ratification d'ententes collectives à long terme. Actuellement, au Québec, on compte une cinquantaine de conventions collectives dont la durée de vie est de plus de trois ans, certaines assorties d'une prise de participation des salariés dans l'entreprise (Le Devoir, 29 novembre 1993).

La prolifération de ces initiatives a cependant donné lieu à la suspicion, même au sein des organisations qui en avaient fait la promotion, comme c'est le cas de la CSN. On craindra en effet rapidement que l'extension de la durée des conventions collectives ne soit réduite à ses dimensions mécaniques et que les contrats sociaux ne servent finalement qu'à limiter les droits syndicaux, notamment lorsque cette extension n'est associée à aucune modification significative des conditions de travail des salariés (Le Devoir, 13 décembre 1993). Cette crainte trouve d'ailleurs rapidement une expression concrète dans le projet de loi 116 annoncé par le ministre du Travail Normand Cherry à l'automne de 1993. Celui-ci prévoit le déplafonnement des périodes d'application des conventions collectives en modifiant les anciennes dispositions du Code du travail qui limitaient la durée des ententes collectives de travail à une période d'au plus trois ans. On limite ainsi d'autant les périodes pendant lesquelles les changements d'allégeance syndicale sont possibles.

Le nouveau projet de loi 116 sera reçu très différemment selon les porte-parole syndicaux et relancera les rivalités entre la CSN et la FTQ. En effet, la CSN s'oppose au déplafonnement des conventions parce qu'elle craint que la situation économique difficile favorise une exploitation abusive de cette disposition et que le droit d'association syndical soit limité par l'extension des durées d'application des ententes collectives de travail. Elle en appelle par conséquent au Bureau international du travail. Au contraire, la FTQ appuie le projet de loi en voyant dans cette modification du Code une limite possible aux opérations de maraudage de la CSN et un gage de stabilité industrielle, fondé sur la redéfinition des relations patronales-syndicales (Le Devoir, 6 décembre 1993). Mais, plus fondamentalement, le problème est sans doute de savoir si, en institutionnalisant les contrats sociaux, on ne risque pas de banaliser ce qui n'avait de sens que dans certaines conditions exceptionnelles.

Repris par le ministre de l'Emploi, Serge Marcil, à la suite du discours inaugural du printemps 1994, le projet fera finalement l'objet d'une étude en Commission avant d'être adopté en mai, assorti d'une clause crépusculaire qui oblige l'Assemblée nationale à réévaluer la portée des nouvelles dispositions au plus tard au printemps de l'an 2000. L'épisode a cependant exacerbé les divisions syndicales et remis à l'ordre du jour le problème du maraudage. Il faudra cependant un certain temps avant d'apprécier si ces accrochages feront long feu ou s'ils diminueront au fur et à mesure des luttes à venir.

La période 1993-1994 apparaît surtout comme un temps de réalignement. Si les conditions économiques difficiles qui président à cette époque singulière favorisent un réajustement parfois très concret des rapports de travail, elles pourraient également laisser derrière elles une nouvelle culture industrielle dont il n'est pas certain que le mouvement syndical contrôle tous les tenants et aboutissants. La modification des paramètres traditionnels de la négociation collective, mais, davantage, la contribution grandissante des travailleurs à la gestion d'entreprise, souvent à la suite d'une prise de participation, pourraient cependant, sur une plus longue période, permettre l'atteinte d'objectifs longtemps poursuivis par le mouvement syndical en matière de cogestion et de droit de gérance. Reste à établir la place effective de la négociation dans le cadre de cette mutation.