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La vie locale et régionale



Louise Quesnel
Université Laval


L'année politique au Québec 1993-1994

· Rubrique : La vie municipale et régionale



La nouvelle réalité locale est décrite par les statistiques du recensement de 1991: accroissement du nombre de familles monoparentales, concentration des personnes âgées et des célibataires dans les villes centrales alors que les familles avec enfants préfèrent les pourtours des centres, relocalisation industrielle et maintien d'un niveau de chômage élevé, augmentation des itinérants et des sans-abri. Mais comment ces questions sociales concernent-elles les municipalités dont les responsabilités se situent traditionnellement plutôt du côté des infrastructures et des services à la propriété? C'est que les conditions difficiles, énumérées ci-haut, se font sentir surtout dans les grandes villes, qui regroupent 60% de la population du Québec, et qu'elles réduisent la contribution fiscale du secteur industriel qui péréclite et se redéploie au-delà de ses espaces traditionnels.

Dans les 258 municipalités urbaines, les 1195 municipalités rurales, les 96 municipalités régionales de comté et les trois communautés urbaines du Québec, l'année 1993-1994 est marquée par l'amorce d'un mouvement de révision des responsabilités traditionnelles et de redéfinition des champs de compétence. Ce n'est pas une période où peuvent être observés des changements importants aux niveaux juridique et institutionnel. D'autres périodes ont été beaucoup plus remarquables de ce point de vue, particulièrement à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ce dont il s'agit maintenant, c'est une prise en compte, au niveau des politiques gouvernementales, fédérales, provinciales et municipales, de l'impact sur le milieu local es tendances larges identifiées sous le nom de développement technologique, d'ouverture des marchés et d'internationalisation de l'économie.

L'impact local de la «globalisation» n'a pas fini d'étonner, par ses bons et ses mauvais côtés. Parmi les premiers, mentionnons le développement d'initiatives locales et l'émergence de solidarités régionales. Parmi les derniers, retenons surtout les problèmes de ressources et l'écart grandissant entre celles-ci et les services à offrir à la société locale. Dans ce contexte, les gouvernements municipaux s'activen e s 1 ajustent. Larmée 1993-1994 est avant tout celle de l'accommodation locale, de la recherche d'un ajustement à des conditions qui sont établies dans d'autres lieux, villes, régions ou capitales. Malgré cela, les conditions locales n'en sont pas moins présentes, de sorte que la vie locale est maintenant animée par une dynamique qui puise à un double foyer, celui de la société locale et celui du monde extérieur. Pour décrire ce phénomène, le vocabulaire des sciences sociales a vu apparaître deux nouveaux termes, celui de développement «endogène», pour désigner le dynamisme propulsé de l'intérieur de la localité, et celui de développement «exogène», pour décrire le dynamisme présent dans la société locale mais généré par des forces extérieures.

Voyons maintenant les faits marquants de cette année, en commençant par plusieurs dossiers de restructuration municipale qui rappellent constamment l'existence de liens étroits entre le gouvernement provincial et les municipalités, et le rôle moins immédiat mais tout aussi important du gouvernement fédéral. En deuxième lieu, nous regarderons la scène politique municipale en faisant une revue des activités électorales qui s'y sont déroulées.



Les enjeux des villes-centres

Si les régions du Québec connaissent une situation difficile depuis plusieurs années, pour les villes les conditions ont été plus favorables jusqu'à tout récemment. Ce n'est plus le cas présentement et elles le disent fortement dans deux documents. En octobre 1993, les maires des six principales capitales régionales du Québec (Montréal, Québec, Hull, Sherbrooke, Trois-Rivières et Chicoutimi) remettent un rapport au ministre des Affaires municipales, faisant état de leurs frustrations qu 1 se résument en deux points: responsabilité pour certains services rendus aux banlieues et niveau de taxes dépassant substantiellement celui des banlieues. Selon les six villes-centres, l'absence de concordance entre l'espace fonctionnel et l'espace des ressources impose un ajustement dans le partage du produit de la taxe de vente. De plus, les villes demandent au gouvernement provincial de leur verser une compensation financière pour la part qu'elles assument dans le transport scolaire et dans les services policiers, en plus de rappeler aux autorités provinciales qu'elles devraient payer des taxes pour certains édifices publics.

Pendant que les six métropoles régionales revendiquent plus d'équité dans le partage des ressources, un autre groupe de travail présidé par Claude Pichette se penche sur les problèmes de Montréal et de sa région. Créé en 1992 par le ministre des Affaires municipales du Québec, ce groupe de travail, dont la majorité des membres est issue du milieu des affaires, remet son rapport en décembre 1993. Ses recommandations sont révolutionnaires. Elles visent à regrouper les 102 municipalités de la région montréalaise à l'intérieur d'un conseil métropolitain ayant autorité sur cette région de 3,3 millions d'habitants. Conséquemment, cette restructuration bouleverserait la carte des municipalités régionales de comté et forcerait les villes de la couronne immédiate de la Communauté urbaine de Montréal à plus de solidarité régionale. Comme le Rapport Pichette a soulevé une vive opposition de la part des MRC et des villes de la banlieue élargie, le ministre des Affaires municipales a choisi de retarder l'adoption de ses recommandations et de consulter les dirigeants politiques locaux aux abois, en attendant les prochaines élections provinciales.

Comparativement aux propositions formulées par le Groupe de travail sur Montréal et sa région, les modifications apportées à la Communauté urbaine de Québec en décembre 1993 sont bien modestes. En s'adressant principalement à la structure de la CUQ, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale ébranle le pouvoir des maires des 13 municipalités composantes, qui perdent leur siège individuel au comité exécutif et se voient contraints d'y désigner trois représentants issus de leur conseil de 13 membres. Tout comme à Montréal, l'objectif ici est de favoriser la concertation régionale. Mais à Québec, les propositions ne remettent pas en cause l'absence de liens formels entre les autorités locales de la rive nord et celles de la rive sud, et ne visent pas à corriger la concurrence qui oppose trop souvent les municipalités, créant ainsi une barrière difficile à franchir pour atteindre la concertation (Voir, 10-18 mars 1994, p. 5-6).

Avec le projet de candidature de la ville de Québec comme hôte des jeux olympiques d'hiver de 2002, toute l'énergie locale de la région de la capitale s'est déployée à l'hiver 1994, avec tout son potentiel de contradiction et d'opposition. Pour déclencher ce qui est devenu en quelques mois une vive controverse dans la région de Québec, il a fallu l'annonce en janvier 1994 des aménagements nécessaires pour les compétitions de descente masculine de ski. L'éditorialiste du quotidien Le Soleil (28 janvier 1994, p. A-10) commente ainsi le projet:

[ ... ] transformer une montagne boisée en une piste de course pour athlètes de pointe, avec tremplin de 30 mètres de haut au sommet, pour accentuer la dénivellation et une aire d'arrivée qui s'avancera de 150 mètres carrés dans le fleuve.

Roger Taillibert, l'impayable architecte du Stade olympique de 1976, à Montréal, peut aller se rhabiller!

Toutes ces installations pourront être aménagées pour un petit 20 millions $ et démontées le lendemain de la compétition. Les barges utilisées pour asseoir l'aire d'arrivée des skieurs repartiront et il ne restera plus qu'à reboiser la montagne. Rien n'y paraîtra. Il fallait simplement y penser!

Ce qui peut sembler un «détail» dans l'ensemble du projet, puisqu' 11 ne s'agit que de 25 millions $ et seulement d'une des composantes des jeux olympiques, s'est rapidement transformé en inquiétude majeure pour les dirigeants politiques de la CUQ. Ces derniers ont exigé d'être rassurés sur deux plans. D'abord sur celui du fond du projet, en obtenant plus d'information et une implication réelle (et non seulement symbolique) du comité responsable d'assumer le «Suivi» du projet. Ensuite, sur celui de l'appui des contribuables de la région, par la réalisation d'une consultation populaire. Pour satisfaire aux exigences du Comité international olympique, un consensus devra être établi en faveur de la candidature québécoise avant le 18 août 1994. Malgré l'envergure du projet, les gouvernements d'Ottawa et de Québec ont été quasi absents des débats publics. Après avoir observé les discussions locales pendant quelques mois, ils interviendront s'ils tiennent à la venue des jeux à Québec.




Québec et les municipalités

Dans l'ensemble, le gouvernement provincial n'a pas rendu grand service aux municipalités. Il les a plutôt embêtées à plusieurs reprises. D'abord, avec la loi concernant les conditions de travail dans le secteur public et le secteur municipal, adoptée en juin 1993. Devant l'obligation de réduire de 1% la masse salariale totale de la municipalité, les dirigeants politiques de 1000 organismes municipaux sur 15731 ] ont préféré se prévaloir de leur droit de retrait du gel pour deux ans des salaires municipaux. À cet effet, ils ont négocié une entente avec leurs employés à l'effet de réduire les dépenses liées à la rémunération et aux avantages sociaux sans avoir recours au gel salarial, témoignant ainsi de l'existence de relations cordiales entre les municipalités et leurs employés dans la plupart des municipalités.

Les municipalités ont dû faire face aux responsabilités financières découlant du transfert par le gouvernement provincial des coûts liés à l'entretien de la voirie locale. L'exercice budgétaire pour l'année 1993 a donc été particulièrement difficile, compte tenu de la nécessité d'absorber des dépenses nouvelles tout en connaissant une absence de croissance des revenus à cause du très faible rythme de la construction domiciliaire au Québec. Selon les statistiques de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, il faut remonter à 1982 pour observer une situation aussi critique du point de vue des mises en chantier de construction. Par ailleurs, on constate que le taux de vacance des immeubles locatifs au Québec est le plus élevé au Canada.

Dans la foulée du transfert de responsabilités du palier provincial au palier municipal, les villes ont dû assumer une part accrue du financement du transport en commun. Pour Montréal, cela a représenté une dépense additionnelle de 120 millions $. Pour faire face à ces nouvelles responsabilités, les villes ont eu recours à la surtaxe sur les immeubles non résidentiels, substitut à la taxe d'affaires. Cette surtaxe leur permet, entre autres, de retirer des revenus pour les édifices publics fédéraux et provinciaux qui se trouvent sur leur territoire. Ainsi, la ville de Hull a doublé ses revenus en passant de la taxe d'affaires, en 1992, à la surtaxe en 1993. La ville de Mirabel a puisé 15% de ses revenus dans la surtaxe, notamment à cause de la présence sur son territoire des installations aéroportuaires fédérales. La surtaxe ouvre aussi la porte à une ponction accrue auprès des entreprises et des commerces, ce qui favorise peu les municipalités ayant un petit nombre d'unités non résidentielles, comme les «villes -dortoirs », et beaucoup les municipalités qui comptent un nombre considérable de commerces comme la ville de Montréal qui en a tiré 25% de ses revenus en 1993.

La surtaxe sur les immeubles non résidentiels a heurté de plein fouet les commerçants qui en ont appelé de la constitutionnalité du règlement municipal qui l'imposait. En septembre 1993, un jugement de la Cour supérieure du Québec déclarait ce règlement inconstitutionnel et invalide, sur la base de la nature indirecte de cette taxe2 ] .

Le jugement de la Cour supérieure fut contesté par la ville de Montréal et le Procureur général du Québec devant la Cour d'appel du Québec. Dans l'attente d'une décision, les 280 villes qui ont eu recours à la surtaxe en 1993 ont dû l'abandonner et revenir à l'ancien régime. La ville de Montréal, quant à elle, retint une formule hybride, puisant à la fois à la taxe d'affaires et à la surtaxe sur les immeubles non résidentiels. Le mouvement d'opposition à la surtaxe fut donc maintenu, proposant de faire porter la mobilisation des milieux de commerçants contre le gouvernement du maire jean Doré jusqu'à la prochaine élection municipale, en novembre 1994. En refusant de payer les pleins montants de leurs taxes foncières et en réduisant leur contribution financière au transport en commun, les gouvernements fédéral et provincial forcent les municipalités à trouver d'autres sources de financement.

Malgré ce contexte qui ne montre pas une volonté de partager les ressources de la part des gouvernements supérieurs, les municipalités prennent l'initiative d'entamer des discussions avec les autorités provinciales dans le but d'accroître les «responsabilités en échange d'autonomie» (La Presse, 19 janvier 1994, p. C8). Le nouveau chef du Parti libéral et premier ministre du Québec, Daniel Johnson, annonce la création d'une table de concertation Québec-municipalités pour aborder cette demande venant des villes et de l'Union des municipalités du Québec qui les représente (annonce faite devant le congrès de l'UMQ en mai 1994). C'est en fait un projet à trois composantes indissociables que PUMQ désire négocier. D'abord, elle demande une augmentation de responsabilités dans les domaines du développement économique local, de l'administration de la justice et du développement social et communautaire. UUMQ lie cette possibilité d'élargissement des fonctions municipales à deux conditions. La première est à l'effet que les villes se voient octroyer des sources additionnelles de financement et de taxation, et la seconde porte sur la levée de certains contrôles de la part du gouvernement provincial concernant les emprunts municipaux, l'aménagement, les politiques environnementales, les ententes intermunicipales, etc. (Union des municipalités du Québec, La décentralisation et les municipalités, janvier 1994, p. 61-64). Comme plusieurs de ces dossiers sont passés à l'avant-plan des préoccupations sociales et politiques, les revendications de l'UMQ ne sont pas prises à la légère. Par exemple, l'Institut de développement urbain, porte-parole des milieux économiques, commentait, à la veille des scrutins municipaux de novembre 1993, un tableau montrant le niveau d'endettement des 20 premières villes du Québec (La Presse, 6 novembre 1993). En s'inquiétant de l'augmentation de l'endettement municipal, l'Institut de développement urbain apporte un argument au maintien du contrôle provincial sur les emprunts municipaux.




Il s'agit là d'un important projet de décentralisation qui n'est pas mené à terme avant les élections provinciales de l'automne 1994. Les conditions générales dans lesquelles il a été élaboré ayant peu changé en 1994, il est fort probable que les discussions continueront quel que soit le parti qui sera alors porté au pouvoir. De plus, le document de l'UMQ a été présenté comme «texte de réflexion» sur le processus de décentralisation et devrait être suivi d'un second document à l'été 1994. L'UMQ adopte un discours qui tire son intérêt du fait qu'il identifie clairement deux des affirmations qui seront au centre des discussions ultérieures, soit (1) que la décentralisation est susceptible d'améliorer la prestation des services publics par la municipalité, et (2) que le statut et le rôle des élus municipaux comme principaux acteurs locaux doivent être confirmés. Qu'en sera-t-il alors du rôle régional qu'ils ont aussi été appelés à jouer dans le cadre de la mise en place des instances de concertation?




Le développement régional

En 1993, une étape significative est franchie dans le domaine du développement régional avec la mise en place des tables de concertation dans chacune des 16 régions du Québec. Déjà annoncée dans la proposition du gouvernement du Parti québécois en 1983 intitulée Le choix des régions et dans la suite de l'expérience des Sommets socio-économiques régionaux, cette table de concertation doit produire un plan stratégique de développement devant servir de cadre à la signature d'une entente entre chaque région et le gouvernement du Québec. Si les possibilités d'intervention sont limitées, avec un modeste budget annuel de 3 millions $1 l'effort de concertation peut, quant à lui, représenter un défi de taille puisqu'il s'agit de regrouper autour d'une même table de 45 à 60 personnes, dirigeants municipaux, dirigeants de MRC, députés et ministres de la région, et représentants de divers organismes.

Dans les régions, de nouvelles formes de support au développement économique sont apparues en 1993. Les conseils régionaux de développement, responsables des tables de concertation et de la planification stratégique, ont aussi entrepris la gestion de différents fonds servant à la création d'emploi et à l'aide aux petites et moyennes entreprises. De plus, sept sociétés régionales d'investissement ont été créées pour promouvoir l'utilisation de capital de risque et la mise sur pied de sociétés locales d'investissement dans le développement de l'entreprise.

ses débuts, en 1993, ce projet n'a réussi à convaincre que quelques MRC de soutenir la création de ces SOLIDES qui se veulent des partenaires au développement des petites entreprises (Le Devoir, 19 et 20 mars 1994, B6). Moins attaché au financement étatique, parce que supporté par des institutions telles que la Banque Nationale, la Société d'investissement Desjardins, la Caisse de dépôt et de placement et le Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs du Québec, les sociétés régionales d'investissement témoignent de l'amorce d'un certain retournement dans les régions qui montrent des signes d'initiative et de prise en main de l'intérieur de leur territoire (développement «endogène»). À peine engagé, ce mouvement pourra ou bien s'élargir au cours des prochaines années, ou bien manquer de souffle et de ressources et s'éteindre.

Pendant que le gouvernement du Québec, les régions et les villes pensaient plan stratégique et problèmes des villes-centres, des élections se tenaient au niveau fédéral. Dans la foulée des promesses électorales, le Parti libéral ressortit un engagement déjà utilisé en 1988 et qui lui valut, en 1993, l'appui des maires des grandes villes québécoises. Le programme de réfection des infrastructures, d'une durée de deux ans, permet aux municipalités d'assumer, à même leur programme triennal d'immobilisation, le tiers des dépenses, tandis que les deux autres tiers sont assumés à part égale par les niveaux supérieurs. D'abord définis en fonction de la réhabilitation des infrastructures sanitaires et de voirie, le programme s'est élargi au fil des négociations tripartites, pour finalement montrer une grande variété d'une municipalité à l'autre.

Considéré par les autorités fédérales comme mesure de relance de l'activité économique, le programme de réfection des infrastructures va partager un montant total de 1992 millions $ en deux ans entre les provinces, les territoires canadiens et les réserves indiennes. En partageant les fonds selon une formule qui tient compte du poids démographique des provinces et du nombre de chômeurs, le programme a accordé quasi 25% du montant total au Québec et plus particulièrement aux grandes villes.

Cette démarche de négociation de ce qui a été décrit comme étant la «manne fédérale et provinciale» (La Presse, 22 novembre 1993, p. A9) contraste à plusieurs titres avec l'autre démarche entreprise parallèlement dans le cadre des plans stratégiques de, développement régional. Ces derniers sont élaborés sous la responsabilité des conseils régionaux de développement, composés de 45 à 60 membres et chargés d'établir les priorités d'investissement de l'ordre de 3 millions $ annuellement (soit un total de 48 millions $ pour l'ensemble des régions). Le programme de réfection des infrastructures, quant à lui, impliquant un montant total de 527 millions $ pour deux ans au Québec, échappe à la concertation régionale et à la planification stratégique telle qu'élaborée par les conseils régionaux. Dans les plans hautement «stratégiques» (en terme de stratégie électorale s'entend ... ) des gouvernements fédéral et provincial, les fonds publics investis semblent inversement proportionnels à l'effort imposé aux régions en terme de concertation. L'année 1993 n'est donc pas celle de la rupture dans la dynamique traditionnelle des pourparlers lors desquels les investissements publics majeurs sont consentis aux municipalités. Nous nous trouvons en présence de deux logiques: celle des relations intergouvernementales tripartites qui impliquent les élites politiques et administratives s'activant autour d'un plat fiscal bien garni, et celle de la concertation régionale qui propose un plat diététique à une table de participants nombreux et diversifiés. La tradition veut que la première logique domine.




La démocratie locale

Considéré comme un point d'intérêt spécifiquement local, l'exercice de la démocratie dans les municipalités a suivi plusieurs cours. Voyons d'abord l'implantation des conseils de quartier à Québec.

À titre d'expérience pilote d'une durée de deux ans, le gouvernement du Rassemblement populaire de Québec a mis en place un conseil consultatif dans le quartier du Vieux-Limoilou, et un autre dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. Cet organisme, dont les membres sont désignés par le conseil municipal, a comme responsabilité de débattre des questions soulevées par ses membres et de formuler des avis au comité exécutif à propos de modifications au zonage et, de façon plus générale, sur tout sujet d'intérêt local. Il est remarquable de constater que le conseil municipal a fait preuve d'une approche avant-gardiste en imposant une composition égalitaire du conseil de quartier en terme d'hommes et de femmes, et en lui accordant un pouvoir d'initiative (Ville de Québec, Les conseils des quartiers expérimentaux, mars 1993).

À Sainte-Foy, la mairesse qui convoitait un troisième mandat a été réélue malgré les attaques dont elle a fait l'objet par son opposante qui a dénoncé son mode de gestion autocratique et le niveau des dépenses publiques. À Québec, où les thèmes de la fiscalité municipale et du réaménagement prioritaire du centre-ville ont été au coeur des débats, la lutte à deux n'a pas soulevé de passions.

Le moment le plus intense dans la vie politique locale est sans doute celui des élections municipales. En novembre 1993, 59% des maires terminaient leur mandat et des élections étaient tenues dans 853 grandes, moyennes et petites municipalités du Québec, pour les postes de maire et de conseiller municipal. Dans les villes comptant 20 000 habitants et plus, dont Québec, Sainte-Foy, Chicoutimi, Verdun, Laval, Pierrefonds, Repentigny, des partis politiques municipaux se sont fait la lutte, éliminant totalement les élections sans opposition, dites «par acclamation». Dans les municipalités de moins de 20 000 habitants, l'opposition structurée était moins répandue et plus de la moitié des postes de maire et de conseiller ont été comblés sans opposition avec des renouvellements de mandat, ou suite aux efforts de recrutement de leurs prédécesseurs. Bien que la proportion soit en baisse importante depuis quelques années, il y avait encore 58% des maires qui ont été élus par acclamation à l'automne 1993.

Quelques villes ont attiré l'attention lors des élections municipales de 1993 (tableau 2). À Saint-Jérôme, dans les Laurentides, trois partis se sont fait la lutte tandis que le maire sortant faisait campagne seul. Un nombre record de 41 candidats et candidates se bousculèrent pour occuper le siège du maire et les huit sièges de conseillers. À Laval, la campagne électorale fut aussi menée par trois partis, dont celui du maire sortant de charge et à nouveau candidat, le Parti du ralliement officiel des Lavallois. Les deux partis d'opposition, le Parti Option-Laval et le Parti lavallois, ont attaqué la majorité sortante pour ses politiques fiscales et ses pratiques administratives, sans réussir à convaincre les électeurs qui ont réélu le maire sortant de charge et 23 des 24 candidats de son parti aux postes de conseiller.




Les élus sortant de charge ont été reportés au pouvoir de façon aussi claire à Sainte-Foy. Cette lutte électorale a été particulièrement intéressante du fait qu'elle a opposé deux candidates, dont la mairesse sortant de charge qui convoitait un troisième mandat. Les enjeux de la campagne ont porté sur le niveau des dépenses publiques, sur les projets de développement de la ville et sur le mode de gestion autocratique de la mairesse qui n'en a pas moins été réélue, avec 11 de ses 12 candidats aux postes de conseiller.

À Québec, le système de partis, bien établi depuis 1977, opposait deux partis: le Rassemblement populaire de Québec, majoritaire à l'Hôtel de Ville depuis 1989 et dont le maire sortant de charge sollicitait un deuxième mandat, et le Parti Progrès civique de Québec qui présentait un nouveau candidat à la mairie en 1993. Les trois candidats indépendants à la mairie, ayant occupé très peu de place dans la campagne, ont recueilli 2% des voix. Parmi les six candidats indépendants aux postes de conseiller, un conseiller sortant de charge a été réélu représentant du centre-ville de Québec pour le quartier Saint-Roch. Ce fut une campagne plutôt tranquille que le candidat d'opposition à la mairie a vainement tenté de faire démarrer alors que la campagne électorale fédérale battait son plein. Encore ici, la fiscalité municipale a été traitée par toutes les parties, tout comme la question du réaménagement prioritaire du centre-ville qui avait déjà été au coeur des débats électoraux en 1989 (Louise Quesnel et Serge Belley, Les partis politiques municipaux, Montréal, Éditions Agence d'Arc, 1991).

En résumé, les élections municipales de 1993 n'ont pas rompu avec la tradition. Les maires et mairesses sortant de charge ont été réélus, et le régime de partis a été maintenu dans les moyennes et grandes villes, laissant ainsi peu de place aux élections par acclamation et aux candidatures dites indépendantes. Dans les plus petites municipalités, les «équipes» ont été plus fréquentes que les partis comme organisation électorale et les élections sans opposition sont demeurées le cas d'espèce le plus fréquent. La présence des femmes à l'Hôtel de Ville a continué de progresser tranquillement et à la fin de l'année 1993, le Québec comptait 125 mairesses, soit 8,6%, et 1730 conseillères municipales, soit 19,2%.




Conclusion

En jetant un regard d'ensemble sur la période, nous constatons qu'elle est surtout marquée par la remise en question du partage des responsabilités et des missions des différents gouvernements. Nous y voyons très peu de réflexion sur les processus démocratiques et sur les valeurs véhiculées dans les débats sur les villes-centres ou sur les régions. Par contre, tous affichent des préoccupations très prononcées au sujet des conditions économiques et des dépenses publiques.

Pour les dirigeants politiques municipaux, cette année sonne le début d'un processus d'élargissement de leur implication alors qu'ils sont mobilisés au sein des instances régionales en voie de redéfinition. Appelés à agir avec d'autres partenaires, les élus locaux sont conviés à cet exercice exigeant et indispensable dont les résultats ne peuvent encore être anticipés.




Note(s)

1  Ce nombre inclut les offices municipaux d'habitation, les régies intermunicipales, les MRC, les communautés urbaines, les sociétés de transport, etc.

2.  «Une taxe directe est celle qu'on exige de la personne qui doit l'assumer alors qu'une taxe indirecte est celle qu'on exige d'une personne dans l'intention que celle-ci se fasse indemniser par une autre. [ ... ] même si c'est le propriétaire de l'unité qui est taxé, la loi prévoit qu'il en "refilera" le coût aux occupants, donc aux locataires; ainsi, il s'agirait d'une taxe indirecte puisqu'elle vise indirectement le locataire.» (Droit de Cité, vol. 1, n' 1, janvier 1994, p. 5)